MYTHOLOGIE » Florent Favard
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LA SÉRIE EST UN RÉCIT (IMPROVISÉ) : L’ARTICULATION DE L’INTRIGUE À LONG TERME ET LA NOTION DE « MYTHOLOGIE » Florent Favard C.N.R.S. Editions | « Télévision » Document téléchargé depuis www.cairn.info - Favard Florent 86.213.140.174 12/05/2017 16h40. © C.N.R.S. Editions 2016/1 N° 7 | pages 49 à 64 ISSN 2108-8926 ISBN 9782271091611 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-television-2016-1-page-49.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Florent Favard, La série est un récit (improvisé) : l’articulation de l’intrigue à long terme et la notion de « mythologie » , Télévision 2016/1 (N° 7), p. 49-64. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour C.N.R.S. Editions. © C.N.R.S. Editions. Tous droits réservés pour tous pays. 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Editions La série télévisée contemporaine est avancé sur les séries « narrativement un récit. complexes » (Mittell 2015 : 17 et sui- On trouve encore des voix pour vantes), c’est- à- dire qui mêlent les veines défendre l’idée que « la série n’est pas épisodiques et feuilletonnantes depuis la un récit mais un grand nombre de récits fin des années 1980. situés de façon plus ou moins analogue » Proposant toujours des épisodes (Esquenazi 2010 : 91) ; il ne sera pas ques- qui valent pour eux-mêmes, et sans tion ici d’ignorer la valeur de ces unités atteindre le continuum narratif infini de récit microscopiques que sont les épi- représenté par le soap opera (Esquenazi sodes « situés de façon plus ou moins 2010 : 111 ; Mittell 2015 : 239), les séries analogue », mais d’aborder la série à contemporaines opèrent généralement l’échelle macroscopique pour s’intéresser à deux niveaux, combinant les microré- à la façon dont une « intrigue continue », cits que sont les épisodes pour articuler semblable à celle qui unit les volumes des « arcs narratifs », des intrigues qui d’un cycle littéraire (Besson 2004 : 29), peuvent durer jusqu’à plusieurs sai- peut être déployée dans le temps long sons, voire l’intégralité du programme de la production d’une série télévisée – et parfois même, offrir un dénouement américaine, dans un contexte hautement aux spectateur(ice)s, si les scénaristes concurrentiel qui laisse peu de place à la et la chaîne s’entendent suffisamment planification du récit. à l’avance sur une date de fin, comme Si les séries américaines sont ici le ce fut le cas, par exemple, pour Lost centre d’attention, c’est parce qu’elles (ABC, 2004-2010). Ces « récits télévi- restent le creuset de l’écriture sérielle suels à long terme », qui doivent fournir à la télévision et sont riches de plus de des « satisfactions temporaires » tout en soixante ans d’histoire. Il faut aussi noter promettant « un renouvellement de l’in- que la recherche anglo- saxonne porte trigue » (Lavery 2009 : 315), sont nés, il un regard aujourd’hui beaucoup plus est utile de le rappeler, sur les broadcast 49 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Favard Florent 86.213.140.174 12/05/2017 16h40. © C.N.R.S. Editions TELEVISION-7_CS6_pc.indd 49 08/03/2016 16:24:03 Télévision n° 7, 2016 networks1, et non sur le câble (Thompson nul doute beaucoup à dire sur l’utilisa- 2007 : xviii). C’est la raison pour laquelle tion du terme « mythologie » dans une ce sont des séries dites « de networks » perspective anthropologique ; mais le but qui seront explorées ici. de cet article est de comprendre à quoi se Il y a récit dans la forme progres- réfèrent les scénaristes qui l’emploient, sive, longue, audiovisuelle, qu’est la et ainsi en quoi le terme peut apporter série télévisée, et ce à l’échelle macros- un éclairage bienvenu sur l’évolution copique ; ce récit macroscopique, qui de l’intrigue macroscopique des séries semble encore flou pour une partie de narrativement complexes ces vingt der- Document téléchargé depuis www.cairn.info - Favard Florent 86.213.140.174 12/05/2017 16h40. © C.N.R.S. Editions la recherche sur les séries télévisées, se nières années. trouve déjà défini en creux dans une ter- C’est à cette première étape pragmatique minologie employée par les scénaristes de défrichement du terrain, d’exploration américain(e)s, reprise par les fans, réem- du terme et de ses dérivés dans la sphère ployée par la recherche anglo- saxonne, de la production audiovisuelle américaine, sans jamais avoir été clairement définie : que se consacreront ces pages : à un rapide la notion de « mythologie2 ». panorama de l’emploi contemporain de Il s’agira dans ces pages de se concen- « mythologie », succéderont l’analyse de trer sur son usage systématique dans son apparition avec la série The X- Files une perspective narratologique contex- (Fox, 1993-2002), et de l’évolution de sa tualiste, et même plus spécifiquement définition avec les héritières de ce pro- « storyologique » (au sens, par exemple, gramme, les séries Fringe (Fox, 2008-2013) de Ryan 2009 : 73), c’est- à- dire, « l’étude et Person of Interest (CBS, 2011- présent). de la logique qui lie les événements en une intrigue – [une étude souvent reléguée] aux scénaristes et auteurs de manuels de scénarios3 ». Il y aurait sans Une notion « indigène » omniprésente aujourd’hui 1. Financés par la publicité : aux États- Unis, ABC, CBS, NBC, Fox, The CW. 2. Qui n’a aucun rapport avec l’ouvrage Mytho- Il y a dans la série Fringe un épisode logie des séries télé de Jean- Pierre Esquenazi, qui, qui cristallise à lui seul la façon dont publié en 2009 dans la collection « MythO ! » chez Le Cavalier bleu, ne porte ce nom que par contrainte fonctionnent aujourd’hui les séries narra- éditoriale (presque tous les titres de la collection tivement complexes contemporaines, qui suivent le modèle Mythologie de…), et décrit avec jus- comme le rappelle Jason Mittell, usent tesse la « culture passionnée » qu’est la sériephilie. d’une « esthétique opérationnelle » très 3. Une approche que Ryan assimile à demi- mot à la narratologie de contenu d’André Gau- réflexive et mettent en place des « effets dreault, mais qui, dans l’article cité, se place dans spéciaux narratifs », des rebondissements une optique plus directement pratique, sensible et dispositifs de narration visant à attirer au travail d’écriture, et qui, à la suite de Jerome Bruner, s’interroge sur ce qui fait une « bonne » l’attention des spectateur(ice)s sur la histoire (dans un contexte socioculturel donné). fabrication du récit (Mittell 2015 : 42-43). 50 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Favard Florent 86.213.140.174 12/05/2017 16h40. © C.N.R.S. Editions TELEVISION-7_CS6_pc.indd 50 08/03/2016 16:24:03 F. Favard La série est un récit (improvisé) La série Fringe met en scène les d’expérimentation de Mr. Jones, là où enquêtes aux frontières de la science la trame de la réalité est la plus poreuse. d’une équipe menée par l’agente du FBI C’est ainsi que l’équipe découvre le troi- Olivia Dunham ; les expériences étranges sième point de convergence vers lequel et actes terroristes hors du commun qui il se dirige. sont l’objet de son attention sont rassem- Alors même que Fringe fonctionne, blés sous la désignation de « Pattern » comme The X- Files et de nombreuses séries (traduit en français par « le Projet », qui dites « procédurales », sur une enquête évoque plus l’idée d’un plan que celui hebdomadaire bouclée dans le temps de Document téléchargé depuis www.cairn.info - Favard Florent 86.213.140.174 12/05/2017 16h40. © C.N.R.S. Editions d’un motif). l’épisode – sur une suite de microrécits de Dans There’s More Than One of Eve- quarante- quatre minutes – elle affiche au rything (120), l’épisode final de la pre- terme de sa première saison la connexion mière saison de Fringe, Olivia Dunham entre ces unités, pour pointer du doigt a soudain une révélation. Elle est alors une « structure seconde4 ». De même que chargée d’enquêter sur le mystérieux « l’intrigue continue » et la « pulsion de Mr. Jones, un antagoniste qui a déjà complétude » lient les volumes d’un cycle frappé par deux fois, en tentant d’ouvrir littéraire qui peut- être ne se terminera un portail vers une réalité alternative jamais (Besson 2004), Olivia Dunham dans une rue de New York et sur un relie les enquêtes pour découvrir un motif terrain de football à Providence. Le FBI qui les lie, et par- là même, donne un cer- reste incapable de savoir pourquoi il a tain élan à l’intrigue macroscopique de la choisi ces deux endroits, et où il frap- série, tout en dessinant des connexions pera pour sa prochaine tentative. Pour plus complexes au sein d’un monde fic- y voir plus clair, Olivia rassemble alors tionnel qui se densifie.