Georges Docteur en Histoire

- LA REVOLUTION NATIONALE - LA RESISTANCE - L'OCCUPATION ALLEMANDE - LA LIBERATION AVERTISSEMENT Les Éditions HORVATH ont tenu à présenter à leurs lecteurs la réédition intégrale de l'ouvrage de Georges ROUGERON publié en 1969 sous le titre : «Le Département de l'Allier sous l'État Français» vivant témoignage d'une tranche dramatique de notre histoire.

Nous tenons à exprimer notre reconnaissance à Jean GOMINET et la bibliothèque de Montluçon, à la bibliothèque de Vichy, ainsi qu'à Jean-Charles VARENNES qui nous ont apporté leur concours. Le document de couverture représentant le Général Pétain provient de la collection Monceau (Archives de l'Allier).

Réalisation Gérard Tisserand - Corinne Poirieux Copyright Editions HORVATH, 27, bd Charles de Gaulle, 42120 LE COTEAU. I.S.B.N. 2-7171-0274-4

INTRODUCTION

En ce temps-là, Vichy étant devenue capitale, à la Troisième République succéda l'Etat Français. Promotion inattendue : le pays bourbonnais, au centre de la , hébergeait le centre du Pouvoir ! Mais promotion douloureuse puisqu'elle était due au malheur de la France. Juillet 1940 - Août 1944... Le « Gouvernement de Vichy » est entré dans l'Histoire. Par la mauvaise porte. Celle du péjoratif avec toutes les nuances de l'amertume, du mépris ou du dédain. L'on a même inventé le « vichysme », les « vichystes » dans le même état d'âme, ce qui navre les vichyssois et agace parfois leurs compatriotes bourbonnais dont la conscience ne se sent d'aucun reproche. Si, désormais, l'on voulait bien dire le « Gouvernement à Vichy », par exemple, cela serait plus exact et plus juste. Ainsi donc, l'Histoire s'est faite durant une époque en partie chez nous. De nombreux travaux, des mémoires - les uns apologétiques, les autres sévères - se sont attachés à définir les causes, rechercher les motivations, établir les bilans d'un épisode bouleversé et bouleversant qui n'a pas fini d'épuiser le champ de la controverse. Notre domaine se doit d'être plus limité. Il ne s'agit pas de refaire une Histoire du régime établi à Vichy. D'aucuns l'ont déjà fait ; d'autres le feront dans l'avenir. Notre recherche sera celle de la place tenue par la petite patrie bourbonnaise dans le drame vécu par la grande patrie : Tenter de situer les événements marquants dans leur cadre local, d'établir la part qu'y ont pu prendre nos com- patriotes. Et aussi de voir de quelle manière les événements se sont traduits dans l'existence bourbonnaise. Pour ce faire, nous ne disposions plus des repères que sont, en état démocratique, les mouvements et les mutations de l'opinion traduits d'époque en époque par les consulta- tions électorales et leurs résultats. Il nous a donc fallu rechercher un autre lien coordonnant les aspects multiples de la Révolution Nationale. Ce lien, dès lors, ne pouvait être que le Pouvoir, de qui tout émanait et qui ramenait tout à lui-même. C'est donc le Pouvoir que nous allons suivre, depuis ses cheminements ; dans sa chronique, sa pratique ; avec ses auxiliaires, ses ultras, ses réprouvés, jusqu'à sa fin en Bour- bonnais. Mais, si le Pouvoir était à Vichy, l'Occupant se tenait à Moulins, participant lui-aussi à notre petite Histoire en même temps qu'à la grande. Cela ne s'était plus vu depuis cent vingt-cinq ans. Et quelle présence! Il ne s'agissait pas seulement d'une armée ennemie, pour l'heure victorieuse, ce qui arrive dans toutes les guerres perdues par le vaincu. Pas seulement des soldats. Avec eux, derrière eux, une idéologie abominable imposant ses prétoriens et sa police. Il nous faudra ici, après les combats courageux sans espoir des derniers jours, passer à la présence sous ses aspects et avec ses contraintes multiples ; à la seconde in- vasion qui les étendit partout ; et, enfin, à la délivrance. Et puis, face au Pouvoir et à l'Occupant, nous décou- vrirons la Résistance. Elle commença lorsqu'une minorité de Parlementaires refusa de s'incliner devant la séduction ou la menace. Elle se poursuivit avec des militants politiques pour qui elle fut tout naturellement le devoir. Elle grandit ensuite avec celles et ceux qui rallièrent les mouvements, les maquis, les groupes armés, les réseaux, qui l'aidèrent en organisant la solidarité car elle subit durement la répression du Pouvoir et celle de l'Occupant. De quelle manière a-t-on pu passer en quarante-six mois de la défaite à la victoire, de l'Occupation à la Libé- ration ? Au commencement il n'y avait rien. Rien que l'immense désarroi de ceux qui, demeurés au pays, avaient vu déferler d'abord, mêlé à la cohue des armées en retraite, le triste exode d'une armée sans cesse accrue de réfugiés arrivant de toujours plus près pour tenter de s'en aller toujours plus loin. Il nous souvient de la stupeur qui fut la nôtre, accueil- *lant à Montluçon les véhicules d'une commune de Saône- et-Loire quelques semaines seulement après ceux d'une commune de l'Aisne ! Le flux de la grande peur devait cesser chez nous, la population bourbonnaise ayant jugé avec bon sens qu'il était inutile d'ajouter au dramatique encombrement des routes de France. Ce fut ensuite l'arrivée des soldats habillés de vert et que de sporadiques combats aux têtes de pont de la Loire, de l'Allier et de la Sioule retardèrent à peine. Et puis l'armistice de juin 40, suscitant les sentiments mêlés du soulagement et de la tristesse, avec l'espoir d'ob- tenir bientôt des nouvelles familiales, le souhait de ne point trop souffrir dans le nouvel état des choses, la curiosité du déroulement futur d'événements auxquels l'on pensait bien ne plus devoir être confronté avec l'espoir de s'en tirer au moindre mal. L'on écoutait, quand on le pouvait, la voix de Londres avec intérêt, mais les perspectives qu'elle traçait apparais- saient comme fort lointaines sinon bien irréelles. L'on savait gré au vieux Maréchal d'avoir mis terme à la guerre avant qu'elle ne fît trop de dommages en terre bourbonnaise, et c'est un sentiment non feint de vénération quasi générale qui se dessinait à son endroit. Mais à son endroit seulement. Les synthèses établies par le Service du Contrôle postal et celui des Ecoutes téléphoniques sont à ce propos révélatrices de la résurgence d'un vieil état d'esprit qui, sous l'ancienne monarchie, prêtait à dire : — Si le Roi savait... Le Roi seul... Le Maréchal seul. Point l'entourage, déjà soupçonné de desseins perfides ; Pierre Laval, Darlan ne purent jamais prétendre à la popularité parce que l'on croyait qu'ils jouaient le jeu de l'Allemagne, trompant le Maréchal qui voulait, lui, pensait-on, jouer celui de la France (1). Toujours pesante à qui la subit, l'occupation — que nos compatriotes du nord-est bourbonnais ressentirent le plus longtemps — ne fut point, de la part de la Wehrmacht, différente de ce que sont toutes les présences d'une armée conquérante en territoire conquis : formalités, réquisitions, amendes, corvées, couvre-feu, le plus ou moindre degré dans l'application dépendit du plus ou moindre degré de rigorisme ou d'humanité de la part des chefs immédiats dans les limites d'initiative qui leur étaient dévolues ; du plus ou moindre degré d'intelligence ou de stupidité de la part des exécutants en sous-ordre.

(1) Dans ses Mémoires de Guerre, le Général de Gaulle relate une anec- dote que lui contait à Londres l'Ambassadeur soviétique Bogomolov, pré- cédemment accrédité auprès du Maréchal : « A Vichy, j'avais des loisirs que j'employais à me promener incognito à travers la campagne en cau- sant avec les bonnes gens. Un paysan menant sa charrue me dit un jour : « C'est bien triste que les Français aient été d'abord battus. Mais, voyez ce champ! Je puis le labourer parce qu'on a su s'arranger pour que les Alle- mands me le laissent. Vous verrez que, bientôt, on saura s'arranger pour qu'ils s'en aillent de la France ». (T. I. L'Appel.) Les pires exactions vinrent des éléments spécifiques de l'hitlérisme : son armée privée, les S.S. ; ses polices englobées sous le vocable sinistre de Gestapo qui firent chez nous ce qu'elles avaient appris à faire dans leur propre pays : arres- tations, tortures, meurtres, pillages, pourvoiement des camps de concentration... Encore n'eussent-ils été aussi nocifs s'ils n'avaient trouvé parmi la population des auxiliaires assez avilis pour se mettre à leur service comme informateurs, dénonciateurs, hommes de main bons à toutes les besognes. Il ne faudrait point imaginer cependant, que les grandes questions nationales passionnaient la multitude de nos com- patriotes. De tout temps, les Bourbonnais ont été générale- ment de braves gens vivant une existence paisible, même lorsqu'elle fut difficile, dans un pays aimable d'équilibre et de mesure. Des braves gens ne sont pas nécessairement tous des gens hardis, surtout en période dangereuse où l'on est plus enclin à voir venir qu'à se mettre en avant, imaginant qu'il se trouvera bien quelque part quelque téméraire pour se lancer dans une aventure d'issue incertaine. Et durant quatre années, cette interrogation toute simple : — Si seu- lement on savait comment ça va tourner ? traduisit sans autre éloquence les perplexités d'un grand nombre souhai- tant d'ailleurs que cela tournât bien pour leur pays et pour eux-mêmes... C'est qu'alors les soucis personnels et familiaux étaient nombreux : rationnement des vivres, du tabac ; raréfaction du combustible, de l'habillement, de la chaussure ; coupures de courant électrique ; manque de carburant, restrictions de la circulation, posaient des problèmes quotidiens. Afin de tenter de résoudre ceux-ci le marché noir, le troc en susci- taient d'autres, satisfaisants pour qui en profitait, pénibles pour qui les subissait, tragiques parfois pour ceux auxquels le manque de ressources en interdisait le recours à défaut duquel le niveau de l'existence, en ville surtout, était au plus bas. Comment, avec tout cela sur soi-même, s'occuper encore des affaires des autres ? Quant à ceux ayant décidé de, tout de même, s'en occuper ils se partagèrent en « bons » et en « mauvais » Français. Mais, suivant le camp qu'ils choisirent, cela ne voulut pas dire la même chose. Pour les uns il y eut les « collabora- teurs » et les « patriotes » ; de l'autre côté, ce fut les « amis du Maréchal » et les « agents de l'étranger ». Les époques troublées sont celles, toujours, des simplifications élémen- taires. Avec le recul du temps il apparaît que la réalité se trouvait plus nuançée car aucun des deux camps ne fut monolithique. Du côté des « maréchalistes » il s'agissait d'aider le « grand vieillard » qui avait sacrifié sa retraite pour atténuer le malheur commun en louvoyant au milieu des périls à la recherche du havre le meilleur ; et les anciens combattants de 14-18, alors nombreux, gardaient une dilection affective à leur chef des jours glorieux. Mais, dans le profond de cette identique apparence, des différenciations certaines quant au comportement : Tout d'abord une masse moutonnante faisant confiance et laissant aux plus qualifiés le soin de la décision et de l'action, ce qui présentait l'intérêt de la présence tempérée par l'irresponsabilité. Pour certains de ceux ayant accepté des fonctions, il s'agissait d'assumer le service public dans l'intérêt général en aidant et protégeant leurs concitoyens, sans plus. Pour d'autres qui, occupant des postes respon- sables, s'avéraient des convaincus de la « Révolution Natio- nale », c'était une sorte d'accession inespérée de gens auxquels, sous la République, le suffrage universel n'avait ou n'aurait permis aucune chance ; une revanche du « parti de l'ordre » et des bien-pensants sur la démocratie, le Front populaire, l'Ecole laïque... Une tradition qui, interrompue après l'échec du Maréchal de Mac-Mahon, se renouait au bout de soixante années. Bien peu qui, délibérément, dési- raient aider au grand dessein du Troisième Reich ; l'Etat Français leur suffisait. Mais cela conduisit d'aucuns à des excès de zèle dont ont peut dire sans jugement lui-même excessif qu'ils furent malencontreux. Quant à l'infime minorité qui avait choisi d'épouser le fanatisme hitlérien, des aigris d'anciens Partis assouvissant leurs rancunes, des idéologues dévoyés par le pseudo-socia- lisme nazi, des aventuriers spéculant sur la victoire totale de l' « ordre nouveau », pour la plupart étrangers au pays bourbonnais, méprisés, honnis et dangereux. Enfin, tout à l'autre pôle, il s'en trouva persuadés de satisfaire à la pensée secrète du Maréchal en adoptant une attitude anti-allemande évidemment insoupçonnée dans le moment. Du côté des Résistants il s'agissait de préparer la résur- rection et, avec elle, la libération nationale. Mais, si l'objectif était identique, là encore des différenciations quant aux motivations : Il s'en trouvait chez lesquels l'entrée dans la lutte clan- destine était la voie naturellement tracée par leur engage- ment antérieur et pour qui l'avenir politique du pays demeurait inséparable du combat dans le présent ; ils furent des militants de la Résistance parce qu'ils avaient été et restaient les militants d'un idéal politique. Pour eux le service du Parti et le service de la Nation se confondaient sans détour. Il me souvient toujours de cette matinée où je portais à un vieux socialiste vichyssois le premier numéro du Populaire clandestin, tiré à la ronéo et fort peu lisible ; les larmes lui vinrent aux yeux et il s'en fut chercher le drapeau rouge de la section locale qu'il gardait chez lui caché. L'ancien qu'il était et le jeune que j'étais alors s'étreignirent dans une commune émotion : enfin, le Parti était vivant et présent ! Tel fut le cas de ceux animés d'une foi spirituelle ou d'une philosophie et qui voulurent être des témoins de leur conviction offensée par l'abomination qui pesait sur les hom- mes. Ainsi se rencontrèrent pour une même œuvre des chré- tiens et des francs-maçons apprenant à se connaître et s'es- timer. Et puis, il y eut ceux qui, n'ayant aucunement milité auparavant, ressentirent en eux-mêmes l'humiliation de la défaite, les souffrances de la patrie accablée et voulurent se battre pour l'honneur d'abord, pour la victoire ensuite. Cela leur suffisait. Se refusant à la « politique », éprouvant quelque défiance parfois à l'égard de ceux des Partis, ils seraient les fervents du « gaullisme » intrinsèque. Telle s'est révélée, ici, la Résistance, une dans sa diver- sité accrue par les compartimentements qui découlaient des impératifs de sécurité et d'efficacité de la lutte clandestine. Ce furent des dates choc qui sonnèrent le réveil de L'opi- nion par étapes successives : octobre 1940, Montoire et l'appel à la Collaboration d'où vinrent les premières réserves à l'égard de Pétain, sans que, cependant encore, sa personne fût véritablement discutée. L'éviction de Laval, le 13 dé- cembre 1940, parut effacer octobre et ranimer le courant de ferveur. Mais bien vite il fallut déchanter. Rien n'était vraiment changé, sinon que s'accroissaient les difficultés matérielles de l'existence, se développait le marché noir, se faisaient plus pressantes les exigences de l'occupant, La visite du 1 mai 1941 à Montluçon et à Commentry révéla davantage l'enthousiasme des Légionnaires portant béret et décorations pour le grand chef de l'autre guerre devenu le guide à suivre aveuglément parce que lui savait où aller, et celui des jeunes encadrés dans les Mouvements officiels ou contrôlés, que la spontanéité de la masse ; Darlan était délibérément dédaigné. L'attaque contre l'Union Soviétique, en juin 1941, vint faire penser que l'Allemagne pourrait bien n'être point si aisément victorieuse, d'autant qu'elle avait déjà échoué dans le projet de débarquement en Grande-Bretagne ; l'on se dit que si le Reich l'emportait tout de même un jour il ne pourrait qu'en sortir sérieusement éprouvé et, par voie de conséquence, moins exigeant. Stalingrad, le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, la retraite de l'Afrika-Korps en Libye confirmèrent que l'Allemagne nazie n'était point invincible ; l'entrée de la Wehrmacht en Zone-Sud, le désarmement de l'Armée de l'Ar- mistice, l'installation de la Gestapo à Vichy et Montluçon confirmèrent la fragilité du pouvoir du Maréchal. Pour celui- ci, dès lors, le respect attristé ou l'ironie l'emportèrent sur la ferveur, et la haine sur l'antipathie à l'égard des dirigeants de son gouvernement. Les informations officielles, françaises et allemandes, perdirent tout crédit ; il suffisait qu'elles affirmassent quelque chose pour qu'instinctivement ont crût le contraire. La propagande ne rencontra que mépris ; dans les cinémas les actualités étaient accueillies d'éclats de rire, de huées et de sifflets, si bien qu'en mars 1943 la Sous-Pré- fecture de Montluçon faisait savoir qu'en cas d'incidents les salles pourraient être fermées et, en mai, elle faisait obliga- tion de mettre l'éclairage durant leur projection. Dans le même temps grandissait l'audience radiophonique de la France Libre ; la Résistance cessait peu à peu d'être l'aven- ture de quelques-uns pour devenir une affaire sérieuse suscitant l'attention d'un plus grand nombre. Le : — « Je souhaite la victoire de l'Allemagne »..., proféré le 22 juin 1942 par Pierre Laval avait produit le grand choc de répulsion parmi la masse des non-engagés qui, s'ils n'étaient encore guère prêts à suivre la Résistance, ne se sentaient nullement désireux de la victoire hitlérienne. Quant fut, en mars 1943, institué le S.T.O., chaque famille se vit directement concernée. Dès lors, si la Résistance active demeurerait le propre d'une minorité, celle-ci ne serait plus isolée. Il se rencontrerait des paysans « planquant » les réfractaires ou le matériel ; des commerçants approvisionnant les maquis ; des médecins soignant les blessés ; des gendar- mes et policiers prévenant des recherches ; de braves gens hébergeant dans leur demeure les pourchassés et les para- chutés ; d'autres s'offrant à transmettre des renseignements, distribuer des tracts... L'adhésion tacite ou formelle du plus grand nombre se ferait complice, les perspectives devien- draient celles de la majorité qui finirait par croire elle-même en avoir toujours été. Et, à la fin, il y eut, peu ou prou, de cœur ou de fait, tout le monde ou presque, ceux-là compris qui avaient pa- tiemment attendu pour être certains de se trouver du bon côté ! Nous avons désiré écrire ce récit parce qu'une telle évocation constitue pour nous tout à la fois la présence et l'Histoire. Parce qu'il nous a semblé le devoir à ceux qui ne sont plus, à ceux qui sont demeurés les camarades fraternels ; à ceux-là même qui furent, de bonne foi, dans l'autre camp. Parce qu'il n'est pas possible qu'un peuple demeure dans l'ignorance de sa geste. Parce qu'attendre encore eût peut- être été bien tard. Pour ce faire, nous avons bénéficié des travaux d'en- semble parus depuis vingt ans ; des documents que nous pûmes consulter à l'occasion de nos fonctions après la Libé- ration ; d'une documentation personnelle amassée au jour le jour dans la pensée qu'elle pourrait un jour être utile. Diverses personnes ont bien voulu éclairer notre recherche ou nous faire l'honneur de répondre à nos questions, portant ainsi témoignage. A elles va notre très vive gratitude (1).

(1) Membre et Secrétaire du Comité Départemental de la Libération, nous avons veillé, dès la prise du pouvoir, à la Sous-préfecture de Mont- luçon et à la Préfecture, à ce qu'aucune destruction ou dispersion des dossiers existants ne soit effectuée ; les scellés furent apposés sur ceux du Service des Renseignements Généraux. Le personnel en place coopéra à cette sauvegarde avec une entière bonne volonté. Ce sont les documents sur lesquels nous avons travaillé. Par la suite, ils ont été versés, ainsi que ceux que nous détenions personnellement, aux Archives Départe- mentales pour Moulins et sont demeurés sur place pour Montluçon. Peut-être aura-t-on l'impression que nous avons parfois noté des faits d'apparence mineure dans le grand remous du temps. C'est que rien n'était dépourvu d'intérêt car chaque attitude, chaque engagement, chaque décision concourt à tout mieux expliquer. Sans doute sommes-nous demeuré incomplet. Aussi bien accueillerons-nous avec le plus grand soin toute documen- tation nouvelle. Enfin nous avons souhaité offrir la démonstration qu'il n'est point impossible, après avoir été engagé dans l'action, de s'efforcer, dans le récit, à l'objectivité sans laquelle se confondent l'Histoire et la propagande. A chacun de ceux qui voudront bien nous lire d'en juger. G. R.

— La première partie de ce travail est parue dans le Bulletin du De- partement de l'Allier, d'octobre 1966 à novembre 1968; elle se retrouve ici, complétée et rectifiée lorsqu'il en était besoin.

PREMIÈRE PARTIE

LA RÉVOLUTION NATIONALE La capitale évacuée par le Gouvernement le 10 juin 1940, celui-ci s'était, d'abord rendu à Tours pour, le surlen- demain, se réunir au château de Cangé. Deux Ministres d'ori- gines ou d'ascendance bourbonnaises : Raoul Dautry à l'Ar- mement, Georges Monnet au Blocus faisaient alors partie du Cabinet ; dans ce conseil dramatique les deux derniers s'étaient prononcés pour continuer la lutte. Ils persévéraient à la réunion du lendemain. Mais le 14 juin l'appareil de l'Etat prenait la route de Bordeaux où se tiendrait une nouvelle réunion ministérielle au cours de laquelle Monnet allait encore protester véhémentement contre la proposition d'effectuer un sondage des intentions allemandes. Durant les ultimes délibérations du 16 juin, Dautry et Monnet opineraient en faveur de la proposition anglaise de double nationalité ; puis un télégramme télé- phoné du Chef d'Etat-Major, le général Georges, soulignant la nécessité absolue d'une décision, viendrait précipiter les choses, amenant le Maréchal Pétain au pouvoir (1).

(1) DAUTRY (Raoul) né à (Montluçon, en 1880. Ingénieur en chef des Chemins de Fer. Directeur général de la S. N. C. F. en 1936. Ministre de l'Armement en 1939-40 fit partir, le 11 juin, pour l'Angleterre puis le Canada, le petit stock d'eau lourde détenu en France. Président de l'Entraide Française à la Libération. Ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme de 1944 à 1946. Membre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques en 1946. Maire de Lourmarins (Vaucluse). Décédé à Lourmarins en 1951. MONNET (Georges), né à () en 1898. Agriculteur et Maire à Celles-sur-Aisne. Député socialiste S.F.I.O. de l'Aisne de 1928 à 1942. Ministre de l'Agriculture en 1936-37 et 1938, du Blocus en 1940. Secrétaire général du Comité d'organisation des Jus de fruits en 1942, président de l'Office professionnel en 1944. Installé en A.O.F., s'occupa de production agricole indigène, présidant l'Institut de recherches du Café et du Cacao. Conseiller de l'Union Française pour la Côte d'Ivoire sous la IV Républi- que ; membre du Sénat de la Communauté sous la V République. Minis- tre de l'Agriculture et de la Coopération de la République de Côte d'Ivoire de 1959 à 1961. Conseiller personnel du Président de la République de Côte-d'Ivoire de 1961 à 1964. Président-directeur général du Centre National des Expositions et Concours agricoles depuis lors. Par sa mère, née Mar- guerite Chantemille, petit-fils de Joseph Chantemille, Maire de Montluçon, Député puis Sénateur de l'Allier sous la Troisième République. GEORGES (Alphonse-Joseph), né à Montluçon en 1875, Directeur du 3 Bu- reau de l'E.M. en 1914-18 ; Directeur des Services administratifs et écono- miques d'occupation de la Ruhr en 1922 ; général de brigade en 1924 ; général de division en 1928 ; membre du Conseil Supérieur de la Guerre en 1932 ; grièvement blessé dans l'attentat de Marseille en 1934 ; Chef d'Etat-Major général de l'Armée en 1935 ; commandant en chef des fronts nord-est et sud-est en 1939-40 ; Inspecteur général des Forces terrestres en 1940. Membre du Comité Français de la Libération Nationale, à Alger, en 1943. Décédé à Paris en 1951. Mais Bordeaux devenant occupé, le Gouvernement n'y pouvait demeurer. Le 29 juin il arrivait à Clermont-Fer- rand pour, presqu'aussitôt, constater qu'il ne pourrait s'y loger. La seule ville du Centre disposant du maximum de locaux était la grande station thermale bourbonnaise. Le 1 juillet, en fin d'après-midi, Vichy commençait d'entrer tout à la fois dans l'actualité et dans l'Histoire. Les cheminements du pouvoir

La « petite gazette » conte qu'au débouché du pont de Bellerive, la voiture qui amenait le deus ex-machina du nouvel ordre de choses, Pierre Laval, tomba en panne et celui-ci dut faire à pied les quelques centaines de mètres qui conduisent à l'Hôtel du Parc. Le Président de la Ré- publique était entré à 16 h. 15 à Vichy devant une foule nombreuse ; à son tour arrivait à 18 h. 15 le Maréchal Pé- tain ovationné ; un peu plus tard l'Ambassadeur américain Bullitt. Afin de loger tout le monde le potentiel résidentiel de Vichy fut largement mis à contribution, ce qui n'empêchait chacun de se trouver à l'étroit : le Président de la Répu- blique au Pavillon Sévigné ; le Président du Sénat à la villa Mercier, le Président de la Chambre à la villa « Les Adrets » avenue Thermale ; le Président du Conseil, les Ministres d'Etat, le Ministère des Affaires Etrangères, l'Information, les Réfugiés, à l'Hôtel du Parc ; le Ministère de la Défense Nationale à l'Hôtel Thermal ; celui de la Guerre à l'Hôtel des Bains ; le Ministère de la Marine au Helder ; celui de l'Air au Radio ; le Ministère des Finances et du Commerce au Carlton ; le Ministère de la Justice à l'Hôtel de Plai- sance ; le Ministère de l'Intérieur au Grand Casino puis au Queens-Hôtel ; le Ministère du Travail, 17, rue Alquié ; le Ministère des Colonies à l'Hôtel Britannique ; le Minis- tère de l'Instruction publique au château de la Presles à Charmeil, puis au Collège Jules-Ferry ; le Ministère de l'Agriculture et du Ravitaillement à l'Albert-1 ; le Minis- tère des A. C. et de la Famille française au château de Charmeil, puis à l'Hôtel de l'Hermitage ; le Ministère des Transmissions au Castel Flamand ; le Haut-Commissariat à la Reconstruction Nationale, Hôtel Mazagran. De plus, le Corps Diplomatique se voyait affecter l'Hôtel des Ambas- sadeurs, au nom prédestiné, tandis que le Gouvernement belge s'installait tout naturellement à l'Hôtel Albert-1 Au Sénat était attribuée la salle de la Société des Sciences Médicales ; la Chambre des Députés disposait du Petit-Casino, avec les deux questures au Majestic. C'est là, qu'allant des uns aux autres, tantôt engageant, tantôt mena- çant, Pierre Laval déployait huit jours d'activité intense pour convaincre les Parlementaires d'immoler la Républi- que sur l'autel de la défaite. D'une journée à l'autre Vichy s'emplissait des Sénateurs et Députés appelés par commu- niqués de presse et messages radio que diffusaient les sta- tions espagnoles, suisses et Radio-Paris sous contrôle alle- mand. Le 4 juillet, devant une soixantaine de Sénateurs réu- nis à la Société des Sciences Médicales, le Vice-président du Conseil dévoila les grandes lignes de son projet de réforme constitutionnelle, ajoutant : Si le Parlement n'y consent pas, c'est l'Allemagne qui nous imposera toutes ces mesures avec, pour conséquence immédiate, l'occupation de toute la France. Les cinq douzaines d'auditeurs, abasourdis, demeurèrent sans voix. Le lendemain il s'en était ressaisi une partie qui s'en fut solliciter une audience du Maréchal afin d'établir un échange direct d'explications. Mais d'adroites manœuvres de Cabinet laissèrent en suspens, tandis que Pierre Laval tentait de recommencer son opération en présence de quatre-vingts Députés assemblés au Petit-Casino. Cette fois il ne pouvait plus bénéficier de surprise. Un Parlementaire d'origine bourbonnaise, Marcel Héraud (1), lança la première inter- pellation, rappelant que si la République avait perdu une guerre, elle en avait gagné une autre et s'élevant contre des propos menaçants qu'aurait tenus la veille à Clermont-Fer- rand le général Weygand. Georges Monnet demanda ce qu'il adviendrait si, le Maréchal Pétain étant investi du pouvoir, un « accident » lui survenait ? Laval, fort mécon- tent, répliqua brutalement à Marcel Héraud qu'était fini le temps de faire et d'entendre des discours ; plus aimablement à Monnet que le Maréchal investi désignerait son successeur. Dans le même temps le Queens' Hôtel abritait un petit groupe remuant : Bergery, Chateau, Scapini, arrivé de Bordeaux et bien résolu à liquider la République. Marcel Déat, Paul Rives vinrent le rejoindre, de trois ils passèrent à six puis neuf, allant de réunion en réunion, quotidien- nement, préparant dans leurs conciliabules la tactique de

(1) HERAUD (Marcel), né à Cérilly en 1883. Avocat à la Cour d'Appel de Paris. Député républicain indépendant de la Seine de 1932 à 1942. Sous- secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil en 1930 ; Ministre de la Santé publique en 1940. Décédé à Paris en 1960. démolition qui, finalement, s'avérerait, en complément des déclarations du Vice-président du Conseil, et en fonction des événements, d'une si complète efficacité. Il en sortit le Manifeste des 17 pour un Etat national et socialiste. La présence de Paul Rives parmi les « collaborationnistes » fut pour les Socialistes bourbonnais une profonde déception. Elle se peut attribuer à l'influence sur lui déterminante de Marcel Déat qui l'avait amené dans le département ; égale- ment à l'antipathie qu'il nourrissait à l'endroit de Marx Dormoy dont la seule présence mettait obstacle à ce qu'il eût un rôle plus éminent parmi la vie publique. Une intelligence remarquable et une attristante aventure...

Après quelques autres réunions quotidiennes dans le même style, les Assemblées furent convoquées pour siéger en séances publiques le 9 juillet. Dans le cours de la matinée, la Chambre des Députés, où le Président Herriot, toujours soucieux de respectabilité, était arrivé traversant le parc en habit, vota par 395 voix contre 3 « qu'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles » ; le Sénat adoptait, durant l'après-midi, l'avis conforme par 229 contre 1.

Depuis la veille étaient arrivés en renfort de la police locale, 500 gardes, 800 gendarmes, 200 agents de la Sûreté nationale.

Vichy fourmillait alors de séjournants bien inattendus : Parlementaires arrivés de leur circonscription parfois au prix de beaucoup de difficultés ; agents des ministères peu à peu regroupés après un périple mouvementé à travers le pays et qui commençaient leur installation dans les locaux réqui- sitionnés d'où se voyaient expulser les occupants : curistes et réfugiés ; plus une faune hétéroclite de personnages, les uns connus, les autres encore obscurs, portés dans le sillage : écrivains, artistes, journalistes, égéries, agitateurs, boursi- coteurs, ratés de la politique... Les uns inquiets sur leur deve- nir et parmi lesquels, bedonnant et barbu, le fameux Albert Dubarry rescapé de l'affaire Stavisky connaissant bien le Bourbonnais pour y avoir été rédacteur en chef du Radical de l'Allier au début du siècle ; les autres bien résolus à profiter de la succession ouverte par la défaite. Ces derniers avaient établi leur quartier général au bar le Cintra où l'on recrutait pour les ministères attachés, chargés de mission, d'où l'expression inédite dans la langue française « cintra- niser ». Les gens de plus haute qualité se retrouvaient à déjeuner et dîner au Chantecler dont le ravitaillement se révélait à la mesure des convives. Un journaliste parisien qui se fit remarquer dans la « collaboration » a tracé de Vichy aux premiers mois de l'Etat Français un tableau étourdissant (1) : Vichy bourdonnait comme un Deauville des plus heureux jours. De la gare à l'Allier, c'était un flot de robes pimpantes, de négligés savamment balnéaires, de vestons, des grands tailleurs : Hollywood, Juan-les-Pins, les Champs-Elysées, tout Auteuil, tout Passy, toutes les grandes « premières » de Bernstein et de Jean Cocteau, la haute couture, la banque, la Comédie-Française, le cinéma, avec les grues les plus huppées du boulevard de la Madeleine, juchées sur leurs talons Louis XV et une superbe dont elles ne descendaient plus à moins de mille francs. Le hall de l'Hôtel du Parc était, de l'aube à la nuit tombée, une volière. Une nuée toujours renouvelée de perruches en faux blond ou en faux roux, de mirliflores vernissés, de cabots, de plumitifs, d'abbés élégants et de douairières, assiégeait quatre gardes mobiles promus au rang de majordomes, grasseyant dans leurs moustaches de gendarmes et qui se faisaient épeler trois fois le nom de Mme Cécile Sorel. Les gazettes locales n'arrivaient plus à tenir le compte de tant de célébrités... Le concours d'uniformes, surtout, était prodigieux. On se fût cru aux plus belles heures de la retraite automobile, vers Pontoise, quand notre dernier front crevait, vers les ponts de Loire, quand tous les états-majors de Paris se disputaient le passage. Mais l'allure était autrement avantageuse. On s'était repris magnifiquement, les sticks fendaient l'air. Saumur n'était pas plus fringuant un jour de carrousel du cadre noir. Les « baigneurs » invétérés, les vieilles dames à triples fanons vichyssoises d'été depuis l'autre guerre, les rentiers cossus à bedons et rosettes, en avalant leurs cinquante grammes de Chomel ou de Grande Grille, contemplaient ces parades avec humeur. On n'était plus chez soi. La défaite, la défaite... Fran- chement, était-ce une raison pour que l'on ne vous eût pas gardé, au grill-room des Ambassadeurs, la table où vous déjeu- niez depuis dix ans ? L'Hôtel du Parc, très médiocre caravansérail, énorme caserne à baigneurs beaucoup plus que palace confortable offrait une atmosphère et des aspects assez décourageants. Une fois franchie la volière du hall, on se heurtait, dans chaque escalier, chaque ascenceur, chaque couloir — et il y en a plusieurs kilomètres — aux plus ahurissants solliciteurs. La moindre encoignure en abri- tait des grappes têtues, où j'avais la stupéfaction de distinguer à chaque heure quelque éminent faisan de la presse ou de la Chambre. Des fonctionnaires inamovibles, huissiers, garçons de bureau, larbins de tout genre, traînaient dans ce va-et-vient perpétuel leur paressse rogue et leur affreux débraillé. A la

(1) Lucien REBATET : Les Décombres - Ed. Denoël - Paris 1942. nuit ou tôt le matin, lorsque la place était à peu près nette de tous ces détritus du régime, on voyait, montant la garde aux portes, les bottes des généraux endormis. Au mois d'août de l'été 1940, le grand salon de l'Hôtel du Parc était le pôle des soirées vichyssoises. Il fallait bien être le dernier des faquins pour ne pas y venir faire au moins un tour après chaque dîner. Les femmes mettaient une robe habillée, les hommes, dans leurs fauteuils, une chartreuse verte ou une coupe de champagne devant eux, prenaient des poses de grands laborieux qui se détendent quelques instants après un écrasant labeur d'Etat. Beaucoup, à vrai dire, continuaient tout simple- ment, sous les lampes, les papotages qui avaient rempli leur journée. Dans le salon, se cotoyaient, sans beaucoup se confondre, les deux partis que la nouvelle terminologie politique désignait par « collaborationnistes » et « anticollaborationnistes ». Le premier, où je retrouvais la plupart de mes anciens amis, se groupait volontiers autour de la table d'Adrien Marquet, depuis quelques semaines ministre de l'Intérieur, grand, mince, impec- cablement mis, parlant d'abondance, disant très haut ce que beaucoup murmuraient tout juste. Derrière nous, pourtant, à la table de cette éminente douai- rière, on professait du meilleur ton que si l'anti-sémitisme avait été naturel et utile jadis, il était indigne de l'élégance française de s'attaquer aux Juifs, maintenant que les Allemands les pour- chassaient chez nous. Cette marquise du VII arrondissement profitait de ce qu'un correspondant de journal allemand était à la table voisine pour crier : — Alors, chère amie, vous venez demain matin chez moi, au Queen's. Ma petite radio marche, c'est une merveille ! Nous prendrons Londres, de Gaulle doit parler. Es l'ont annoncé ce soir. Comment ? Vous ne l'avez pas encore entendu ? Mais c'est inouï ! Les militaires, pour ces soirées, arboraient volontiers des tenues civiles d'un chic martial. Force vieux messieurs les imi- taient. C'était une variété infinie de cravates de cheval, de culottes à côtes, de basanes, bottes, jambières, guêtres du style « tirés de Rambouillet ». Je n'avais jamais si bien compris l'éty- mologie de « culotte de peau ». Le spectacle donnait aisément le ton vichyssois : manoir à la fin d'une chasse à courre entre agents de change, officiers supérieurs, gentilshommes campa- gnards, et ouvroirs pour dames patronnesses de Saint-Thomas- d'Aquin ou de Saint-François Xavier, avec un vieux relent de couloirs de Palais-Bourbon. Ces mâles harnachements étaient un signe de ralliement, la profession de foi de « ceux qui ne s'estimaient pas battus », une façon de dire qu'on ne se démobilisait pas. La moustache blanche, gaillardement retroussée, le colonel de C... confiait, dans le hall, à d'autres pétulants sexagénaires (nous fûmes vingt qui l'entendirent) : « Ça va très bien. Les Anglais tiennent magnifiquement. Nous remettrons ça au mois de mars. J'ai vingt-cinq fusils mitrailleurs enterrés dans ma ferme, sous un tas de fumier, pour mes cavaliers. Ah ! ce coup-là, je vous garantis qu'on sera prêt ! » Mais d'autres étaient plus discrets. De table en table, se nouaient des colloques feutrés, des conjurations dont les initiés toutefois, devinaient le sens rien qu'à reconnaître les invités de tel ministre ou tel chef de cabinet. Vingt vieilles folles agitant des écharpes de gaze, des sautoirs de perles brinqueballant sur leurs décolletés couperosés, égéries littéraires et politiques qui avaient eu M. Henry Bordeaux ou M. Paul Reynaud pour grands hom- mes, faisaient la liaison d'un groupe à l'autre, réalisant avec un prurit de toute la peau, ce rêve inespéré : vivre une sorte de crise ministérielle permanente. Pareil à ces duègnes, on voyait toujours apparaître, indis- pensable dans ce lieu, une sorte de larve insexuée, du nom d'André Germain, fort riche, disait-on, collé comme une ventouse depuis vingt ans, à tous les écrivains et tous les parlementaires d'une nuance quelque peu nationale. Il baisait ou serrait cin- quante mains. Il offrait passionnément ses services, ses rensei- gnements, ses conseils. Il se trouvait infailliblement un monsieur fort bien ou une oiselle antique pour les écouter : « André Ger- main m'a dit... André Germain pourrait... ». C'était, ma foi ! une figure de la Révolution. Trois ou quatre jeunes personnes, très pétulantes et très répandues, voltigeaient, ce soir, intimes et confidentielles, avec un général ou un notoire chef cagoulard, le lendemain avec un journaliste étranger, archi-gaullistes avec celui-ci, d'une germano- philie provocante avec cet autre, manifestement en service com- mandé. Pour le compte de qui ? Les opinions variaient. Les officiers du S.R., en bourgeois, faisaient cercle autour d'un guéridon, suivaient ces évolutions en louchant des yeux de tous côtés, tendaient des oreilles larges comme des pavillons de cors, tous aussi bien camouflés que des messieurs de la brigade mondaine en mission auprès de la loge présidentielle, un soir de fête à Longchamp. Cependant, très loin, au fond de la salle, le maréchal Pétain se levait. Un long paravent l'avait caché jusque là. Les nouveaux visiteurs, émus et déférents, ne pouvaient détacher leurs yeux de ce beau visage qui apparaissait enfin, sérieux, calme, plein, demeuré si viril sous la majestueuse blancheur de l'âge. Le petit peloton de ses confidents, toujours les mêmes, surgissait à ses côtés : l'amiral Fernet, le Dr Ménetrel, son chef de cabinet civil, le vieux général de cuirassiers Brécart, M. du Moulins de la Barthète, ce dernier assez bel homme d'une quarantaine d'années, aux yeux de jais, bombant le jabot, suant la suffisance et l'arrogance du grand bourgeois par le moindre de ses gestes et par chacun de ses regards. Dans mes premiers jours de Vichy, le Maréchal, admirable- ment droit et ferme dans son veston gris, traversait en partant tout le salon. Chacun se levait. Pour une minute, le silence se faisait sur les ragots et les intrigues, une onde de recueillement passait dans l'air parmi les visages frivoles ou grimaçants. On me ra contait comment, au mois de juillet, le vieux chef était contraint de s'asseoir à la première table venue, se trouvait mêlé aux plus indécentes canailles. Effrayé et scandalisé, un peu tard, d'une pareille promiscuité, son cabinet méditait un protocole de plus en plus rigide. Bientôt, la brève promenade à travers le salon fut supprimée. Une espèce de cloison de vitres opaques vint s'ajouter au paravent, formant un corridor jusqu'à une porte discrète. Le Maréchal, plus étroitement que jamais accompagné de son état-major, sortit désormais par là, comme à regret il allait à tout petits pas, contemplant avidement la salle par-dessus la cage de verre. Son œil distinguait parmi les fauteuils une physionomie connue. Il lui adressait de la main un affectueux salut, un charmant sourire l'éclairait. Mais ses gardes du corps le rappelaient aussitôt aux exigences de son rang et de l'heure, avec cette morgue cérémonieuse qui n'appar- tient plus qu'aux majordomes de grand style. Le Maréchal dis- paraissait, le dos, cette fois, un peu las. Les salonnards, distraits et affairés, n'avaient même pas tourné la tête. On emmenait coucher comme un vieillard impo- tent le vainqueur de Verdun, le grand-père de la Patrie. Lorsqu'on avait gaspillé une soirée décevante et irritante à l'Hôtel du Parc, le lendemain, pour tuer une heure — ces heures- là étaient nombreuses à Vichy — il n'y avait d'autre ressource que de retourner à la Restauration. Tout ce que la France compte d'illustrations fausses ou vraies, hormis les prisonniers, passa sous les ombrages et devant les guéridons de fer de ce vaste café d'été. On allait y rejoindre ou y découvrir les nouveaux arrivants. Jacques Doriot surgissait, robuste, haut et massif... De ses yeux noirs, pétillants, derrière les lunettes, il contemplait les splendides brevetés d'état-major, médaillés jusqu'au nombril, en vareuses conquérantes de chas- seurs à pied ou de dragons. Il assurait que l'air vichyssois le rendait malade. On voyait beaucoup la barbe noire et pointue d'Eugène Frot, oscillant curieusement, pour l'heure, entre la Maçonnerie et le Fascisme, manifestant, en tout cas, un anti- judaïsme vigoureux. Un géant barbu et rubicond, vêtu d'une vareuse du temps de la marine en bois, coiffé d'une surprenante casquette qui tenait du cocher russe et du loup de mer, venait avec assiduité prendre son apéritif. C'était M. Watteau, général de l'Air et grand avoué parisien. Les étoiles, la sainte forme : avec de pa- reils titres, M. Watteau ne pouvait manquer d'être juge à Riom. A le croiser vingt fois par jour, bourlinguant par les rues, bayant aux vitrines, allant des rotins de l'Hôtel des Princes aux chaises longues des Ambassadeurs, on pouvait apprécier à son exacte mesure le labeur qui écrasait un magistrat du plus grand procès de notre histoire. Les littérateurs étaient innombrables. De talent ou non, ils battaient, pour la plupart, dans leurs propos politiques, tous les records de sottise et d'enfantillage. Or, la littérature ne vou- lait plus parler que politique. L'illustre Cagoule, regroupée, avait, à la Restauration, son principal poste de commandement. On y voyait Méténier, le « capitaine », ayant assez bien l'air d'un inspecteur d'assuran- ces devenu pirate, collectionnant presque autant de jours de prison que les plus fameux anarchistes de jadis ; le célèbre doc- teur Martin, quelque peu inquiétant avec ses cheveux redressés en torche et ses yeux gris illuminés. Notre petit groupe de « fas- cistes » était, avec eux, dans les meilleurs termes. Leur instinct révolutionnaire méritait bien quelque crédit. Mais déjà, on devinait, dans cette poignée d'hommes, nos seuls spécialistes de l'attentat, si utiles et si mal utilisés, une burlesque dissidence, une cagoule parisienne et saine, une autre « anglaise », déplo- rablement et follement vichyssante.

Un matin, où j'avais affaire à la gare, je tombai sur une sorte de revue. Une centaine de fantassins venaient de débar- quer pour renforcer la garde mobile vichyssoise. Le général Weygand en personne passait dans les rangs, furieusement pète- sec et invincible, inspectait les bidons et les masques à gaz. Les hommes étaient tous très jeunes, portant l'écusson d'un des plus illustres régiments de France : le 152 de Colmar... Je ne pouvais supporter la vue de cette fourragère rouge aux épaules de ces petits vaincus, qui frivolaient passivement, l'air terne et sour- nois dans leurs pauvres culottes bouffantes, sous les ordres aboyés des chefs en gants blancs, n'ayant pas davantage la cons- cience de leur défaite qu'une gamelle. J'avais le cœur soulevé et bouleversé.

Un ou deux jours plus tard, en flânant au-dessus de la source des Célestins, je surprenais, sans le vouloir, les lectures intimes d'un général à trois étoiles. Assis derrière un petit kiosque, au bord d'une allée écartée, il était plongé profondément dans Rie et Rac. Quand je racontai la chose, on rit beaucoup et on ne me crut pas trop. Mais, à quelque temps de là, un de mes amis, à son tour, tomba sur un général qui lisait Rie et Rac. A sa description, je compris que ce n'était pas le mien. L'on échangeait des informations difficiles à contrôler ; on se contait ce que l'on avait vu dans le flot mouvant du désastre ; l'on bâtissait des hypothèses généralement em- preintes d'incertitude pessimiste que s'employait activement à répandre et brasser le très habile Vice-président du Conseil : si l'Assemblée Nationale se montrait réticente, les Allemands installés sur la ligne de démarcation au pont de Moulins et à Toulon-sur-Allier n'auraient-ils pas la tentation d'inter- venir ? Le général de Lattre de Tassigny avec sa division à Clermont-Ferrand pourrait bien se charger de mettre de l'ordre... mieux valait donc accepter de bonne grâce les changements qui, de toute manière se feraient, plutôt que de se les voir imposer. Après l'on s'occuperait de reconstruire la France dans un « ordre nouveau » accueillant aux rallie- ments. Le 10 juillet au matin, sous un soleil éclatant, le parc alentour du Grand Casino regorgeait de curieux maintenus à distance par des cordons de gardes-mobiles casqués avec leur manteau noir. A 10 h. 30 s'ouvrit une séance en comité secret, présidée par le vice-président du Sénat Valadier, qui reviendrait vingt ans plus tard à Vichy comme Président- Directeur général de la Compagnie Fermière. Parmi les interventions, une déclaration des « dix-sept » au nombre desquels le Député de Gannat Paul Rives et son ami Marcel Déat, d'ascendances gannatoises (1), qui constituait un ful- minant réquisitoire contre la République suivi d'un appel à la collaboration avec le vainqueur pour l'édification d'une « forme nationale du socialisme ». M. Lucien Lamoureux parut manifester par deux interruptions son assentiment à l'exposé du Vice-Président du Conseil (2). La séance publique où allait se jouer le dernier acte était pour l'après-midi à quatorze heures mais elle commença avec un retard assez marqué ; 666 Parlementaires revinrent s'installer au parterre face à la scène où avait été reconstitué pour le Bureau le décorum du « plateau » des Assemblées ; ils avaient en mains les documents du projet de loi, les bulletins de vote tirés chez Wallon devenu l'imprimerie du Journal Officiel, dont la première parution à Vichy porte le n° 162 daté des 1 2, 3, 4 juillet 1940 et qui, le 8 juillet, venait de publier le Décret portant transfert provisoire du siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres. Léon Blum, que la rumeur avait indiqué disparu ou en fuite, était là depuis les jours précédents, fidèlement accom- pagné par Marx Dormoy et Isidore Thivrier. Il avait reçu une

(1) DEAT (Marcel), né à Guérigny (Nièvre) en 1894, de père originaire de Jenzat. Professeur de philosophie. Député socialiste (S.F.I.O.) de la Marne de 1926 à 1928, de la Seine de 1932 à 1936. L'un des créateurs du Parti Socialiste de France en 1933, puis de l'Union Socialiste et Républi- caine en 1935. Ministre de l'Air en 1936. Après l'armistice de 1940, direc- teur du quotidien « L'Œuvre » et, engagé dans la voie pro-hitlérienne, du Rassemblement National Populaire en 1941, du Front Révolutionnaire Na- tional en 1943. Ministre du Travail et de la Solidarité Nationale en 1944. Se réfugia en Allemagne où il fit partie de la Commission gouvernementale française, puis en Italie, échappant aux recherches après la défaite nazie. Décédé à Milan en 1956. (2) Le procès-verbal de cette séance, mis sous scellé et déposé aux Archives Nationales, fut, après la Libération, communiqué à la Commis- sion d'Enquête parlementaire sur les événements survenus en France de 1933 à 1946. Il a été reproduit intégralement dans le rapport, vol. 2 des Documents. - Imprimerie Nationale Paris 1951. hospitalité fraternelle, d'abord à Montluçon dans une petite maison appartenant à l'architecte socialiste Talbourdeau puis chez le Député-Maire de Commentry, à Montassiégé où il pouvait être à l'aise pour travailler et se promener dans les bois. Chaque après-midi les deux Elus socialistes se ren- daient à Vichy, rapportant des détails sur la « prépara- tion » à laquelle s'adonnaient Pierre Laval et son équipe. Ce furent eux qui, avant la session extraordinaire des Cham- bres, s'efforcèrent de réunir au Ministère des Colonies où se trouvait leur voisin Albert Rivière les Parlementaires de leur parti présents dans la capitale provisoire pour un rendez-vous qui préluda aux abandons. En réunion de la Commission spéciale chargée de l'exa- men du projet de loi Marx Dormoy ayant demandé à qui il appartiendrait de décider de la paix ou de la guerre s'était attiré de Pierre Laval une réponse assez équivoque pour inquiéter les commissaires qui réclamèrent un texte consti- tutionnel ultérieur inscrivant l'assentiment préalable des Assemblées législatives. Il avait d'autre part préparé une déclaration justifiant la République dont il me donna lecture et qu'il se proposait de faire au cours de la séance où il avait pris place dans le fond de la salle aux fauteuils de gauche, entourant avec Vincent Auriol, le Président Léon Blum. Mais l'atmosphère la rendrait sans objet et la hâte d'en finir ne le permit point. La délégation de pouvoirs au Maréchal Pétain « à l'effet de promulguer, par un ou plusieurs actes, une nouvelle cons- titution de l'Etat français » fut adoptée par 569 voix contre 80 et 17 abstentions. Parmi la représentation de l'Allier, deux Sénateurs : Beaumont, Peyronnet ; quatre Députés : Boudet, Lamoureux, Planche, Rives avaient voté pour ; un Sénateur : Marx Dormoy, deux Députés : Jardon, Isidore Thivrier contre. Quand le leader socialiste était sorti en fin de matinée du Grand Casino, ayant à son côté Marx Dormoy qui ne le laissait un seul instant, alors qu'autour de lui le vide trans- pirant la lâcheté se faisait navrant, ç'avait été le spectacle de la haine déchainée : Jacques Doriot, prenant sa revanche, criait à Marx Dormoy - J'aurai ta peau ! Tixier-Vignancour, paraissant en crise hystérique, s'agitait frénétiquement mon- trant du doigt les anciens Ministres socialistes : - Les res- ponsables au poteau ! tandis que fusaient huées et injures accompagnées de poings menaçants. Au déjeuner il leur avait fallu quitter la salle à manger des Ambassadeurs sous les invectives. Je pus encore mesurer ce qu'ont d'effroyable et d'attris- tant les passions portées à leur paroxysme. Le courrier par- venu à la questure de la Chambre des Députés pour Léon Blum m'était remis tous les deux ou trois jours. J'en effec- tuais le tri car Marx Dormoy avait estimé ne pas devoir faire suivre ce qui aurait pu affecter le Président. Que de lettres lamentables de pauvres gens trompés par une propa- gande indigne ! Que d'épîtres ignobles, de menaces abomi- nables au « juif Karfunkelstein dit Léon Blum » ! Mais aussi, il me souvient une oasis de fraîcheur qui m'émut profon- dément : cette missive d'un paysan du Var qui écrivait : - Monsieur le Président, je ne suis pas riche et les miens non plus. Mais je suis sûr que vous souffrez. Venez vous reposer chez moi ; vous aurez une chambre toute simple, vous serez de la famille et nous vous garderons bien. Je regrette de n'avoir point retenu le nom de cet homme de cœur qui donnait un exemple de courage au fort de la tour- mente. Dans quelques semaines Léon Blum serait enfermé à Chazeron, puis à Bourrassol, en attendant le procès de Riom puis la déportation. Marx Dormoy serait incarcéré à Pelle- voisin avant d'être conduit à Vals et ensuite à Montélimar et toute une correspondance affectueuse s'échangerait que l'on peut retrouver dans la seconde partie du Tome II de « L'Œuvre de Léon Blum » au chapitre : La prison et le procès. Dès le lendemain furent promulgués les trois Actes cons- titutionnels qui mettaient fin à la Troisième République. Le 13 juillet était constitué le nouveau Gouvernement et le 14 juillet pour la dernière fois célébré sous la forme d'une Journée de deuil national : le Maréchal et son Vice-prési- dent du Conseil assistèrent dans la matinée, en présence des Ministres et du Corps diplomatique à un service religieux en l'église Saint-Louis d'où il se rendirent à pied au monu- ment aux Morts entouré de fleurs et où deux haies de sol- dats présentaient les armes. La musique de la Garde Répu- blicaine interpréta la « Marseillaise », suivie de la sonnerie « Aux Morts » puis les troupes défilèrent devant le Chef de l'Etat. A onze heures le Président Albert Lebrun venait lui rendre visite et ils parurent ensemble au balcon de l'Hôtel du Parc. Le lendemain matin, à 6 h. 30 l'ancien Président de la République quittait le Pavillon Sévigné, salué seulement par les membres de ses Cabinets civil et militaire, pour se retirer à Vizille. La veille avaient été refoulés un certain nombre d'indésirables, parmi lesquels Dubarry, que la Troi- sième République eut grand tort de tolérer et même fré- quenter. Le lendemain le Comité des Forges se réunissait aux Célestins. Le 19 juillet la presse annonçait que M. et Mme « ont fait baptiser en l'église Saint- Louis l'enfant qu'ils ont eu de leur récente union » : jamais encore la paroisse vichyssoise n'avait accueilli franc-maçon de rang aussi illustre ! Le 31 août prendrait fin, sur le dernier acte d'Orphée, le cycle des spectacles lyriques du Grand Casino. La chronique du pouvoir

Dans l'esprit de chacun le séjour à Vichy ne devait être qu'une étape, assez brève, avant de regagner sinon la capi- tale dépossédée, mais à tout le moins Versailles. En effet les Autorités françaises avaient demandé l'autorisation de faire remonter l'administration puis le Gouvernement lui-même. Hitler, fort contrarié, suggéra l'ancienne cité royale pour septembre ; puis les choses traînèrent en longueur sans aboutir. Il apparut qu'un nouveau transfert ne serait point tellement aisé et que bien l'on ferait de s'installer en vue du prochain hiver ; des ordres furent donnés pour les installa- tions de chauffage central. Puis, les mois s'écoulant, la capitale provisoire dut revêtir la physionomie qui serait la sienne pendant quatre années. Au troisième étage de l'Hôtel du Parc, la chambre et le bureau du Chef de l'Etat, le Secrétariat général de la Prési- dence du Conseil, le Cabinet ; au second étage la Vice-pré- sidence du Conseil ; au premier étage les Affaires étrangères ; et, tout en haut les appartements ministériels. Le Conseil des Ministres se réunissait au rez-de-chaussée du Pavillon Sé- vigné (1). La cohue ne désemplissant pas alentour et jusque dans le hall de l'Hôtel du Parc, les disponibilités en logements se rétrécissant tandis que s'accroissaient les prix, l'on décida pour le 31 juillet une vaste opération de police : vérifications d'identité, rafles, expulsion de ceux qualifiés indésirables qui aboutit à ramener fin août la population repliée de 120.000 à 60.000 personnes ; il n'était demeuré qu'une quinzaine de Sénateurs et quelques Députés. Par contre, le 1er août avait vu arriver les premiers représentants allemands sous les traits du Dr Klauss et de ses collaborateurs, assez entourés. La légende du Maréchal commençait à se façonner. Déjà, les réfugiés du Nord, réunis le 5 juillet à Vichy, le compa- raient à Pascal et à Socrate, ce qui dut peut-être le surpren- dre, ajoutant que « le seul nom du Maréchal Pétain a suffi pour arrêter net la panique qui jetait des millions de Fran-

(1) Le Chef de l'Etat occupait la chambre 123 qui, depuis la Libération, a été achetée par des admirateurs en vue d'y aménager un musée, dessein qui n'a pu encore être réalisé en raison des protestations qu'il a soulevées. çais sur les routes... » (1). A leur tour, également assemblés à Vichy, les Conseillers Municipaux de Paris et Conseillers Généraux de la Seine exprimaient leurs sentiments de grati- tude pour les services rendus à la Patrie et de confiance pour l'œuvre de redressement entreprise (2). Chaque fin de matinée, Philippe Pétain effectuait, accom- pagné du colonel Bonhomme et du docteur Ménétrel, suivi de quatre policiers en civil, une promenade à pied dans le parc ; les curieux s'assemblaient sur son passage, saluaient, applaudissaient, les enfants couraient vers lui et il accueillait sans orgueil apparent ces manifestations spontanées. Le jeudi était consacré aux réceptions. A partir du 16 mai 1942 il y eut audience publique pour les délégations chaque samedi ; en vue de cette première le président de la Société des Cuisiniers de Paris, M. Carton, d'origine bourbonnaise, était venu apporter une francisque en sucre, chef-d'œuvre des artisans confiseurs. Le dimanche matin débutait par la céré- monie des couleurs avec garde et musique à laquelle le Chef de l'Etat assistait du perron de l'Hôtel du Parc, suivie de la messe à l'église Saint-Louis et des ovations qui se renou- velaient au sortir. Le 15 août, une femme s'était précipitée mains jointes, criant : — Monsieur le Maréchal, sauvez la France ! de tout quoi à son voisin il avait soufflé : — Si elle croit que c'est facile... Dans le courant d'août un artisan vichyssois ayant exécuté le moulage en cire d'un portrait du Chef de l'Etat était invité au Pavillon Sévigné, compli- menté et emportait un souvenir ineffaçable de cette rencontre. Le 14 juillet 1940 avait vu se dérouler la première solennité officielle dans la nouvelle capitale où l'église Saint- Louis remplaçait en quelque sorte Notre-Dame de Paris. Le 15 septembre, le général Weygand faillit périr dans un accident aérien. En atterrissant à Rhue l'appareil qui le transportait ayant accroché un arbre, son officier d'ordonnance s'était précipité afin d'amortir le choc. Lorsque le général arriva à Vichy en ambulance, ce fut pour apprendre qu'il n'était plus membre du Gouvernement. Le 2 novembre la commémoration des morts fut célébrée avec éclat : messe en l'église Saint-Louis en présence du Gouvernement et du Corps diplomatique, acclamations à la sortie ; cérémonie au monument avec un détachement

(1) Progrès de l'Allier, édit. départ. 7-7-40. (2) d° 8-7-40. d'infanterie, de fusiliers marins et de l'air, la musique de la Garde, les anciens combattants, les écoliers ; dépôt d'une immense couronne d'œillets et de chrysanthèmes ; sonneries, « Marseillaise », et enfin les bravos enthousiastes. En novem- bre 1940 était constituée la Garde personnelle du Chef de l'Etat, composée de gendarmes décorés pour faits de guerre et ayant eu, depuis leur entrée dans l'armée, une conduite remarquable ; ces militaires devaient mesurer au moins 1 m 75 ; ils portaient l'uniforme de la gendarmerie rehaussé de buffleteries et d'aiguillettes, le casque des unités moto- risées d'un modèle spécial et la Compagnie comprenait cinq pelotons portés, un peloton motocycliste auxquels était ad- jointe l'ancienne musique de la Garde Républicaine. En présence du Maréchal parfois, la relève de la Garde devint un spectacle familier. L'équipement se poursuivant, le 3 septembre 1940 avait été inauguré « Radio-Vichy Actualités », avec studio d'enre- gistrement et cabine de speaker au Casino ; le Secrétaire général à l'Information, Presse et Radio, Tixier-Vignancour en faisait les honneurs (1). Il présentait le 4 novembre la première bande d'actualité cinématographique, consacrée aux événements de Mers-el-Kébir et à la reconstruction. A sa sortie, rue de Paris, le Maréchal fut couvert d'acclamations. Il avait commencé les déplacements extérieurs qui accroî- traient sa popularité assistant, le 12 septembre, à l'inaugura- tion des travaux du terrain d'exercices physiques de Billezois ; à neuf heures du matin, accueilli par le Commissaire géné- ral à l'Education physique et aux Sports Jean Borotra, il arrivait entre deux haies des Compagnons de France et des Chantiers de la Jeunesse torse nu tenant à la main pelles et pioches. Sur le terrain, les enfants des écoles, les apprentis des usines Michelin et vingt professeurs d'éducation physique qui présentèrent des exercices, des chants et la devise : « S'unir, servir toujours ». Pétain dit son contentement, fit l'éloge de l'esprit d'équipe et de discipline contre l'indivi- dualisme. Le 28 septembre il se rendait, avec le Ministre de l'Intérieur Peyrouton, à l'école de Lalizolle, interrogeant les jeunes élèves sur la leçon en cours, bavardant ensuite avec eux, avant d'être l'hôte, au château de Chalouze, du profes- seur Alajouanine.

(1) En août 1942, les autorités occupantes mirent à la disposition de la radiodiffusion nationale un des émetteurs de la région parisienne relié directement à Vichy et synchronisé avec Toulouse, de sorte que l'ensemble du pays pouvait entendre les émissions vichyssoises. A partir du 20 janvier 1943 un nouvel émetteur de faible puissance (50 wts et 224 m) entra en service pour la ville et ses environs immédiats. Le 8 novembre venait la cérémonie du « Chêne du Maréchal » en forêt de Tronçais. Notre compatriote Jacques Chevalier (1), Secrétaire Général à l'Instruction publique depuis le 14 septembre et qui entretenait de leur commun séjour en Espagne franquiste des liens personnels avec le Maréchal, avait désiré la présence de celui-ci dans son pays natal. A midi le cortège officiel arrivait devant la maison de son collaborateur où se trouvaient le Maire, les Conseillers municipaux, les Anciens Combattants, deux jeunes filles por- tant des fleurs, les journalistes et photographes. Le Maréchal était l'hôte à déjeuner de Jacques Chevalier avant de par- courir la forêt pour aboutir au rond des Vernelles, accom- pagné du Ministre de l'Agriculture et du Préfet, où l'atten- daient le général Bérard, commandant le Département et le Sous-préfet de Montluçon, Marchais. Le 1 Groupement des Chantiers de la Jeunesse rendait les honneurs ; un important concours de population venu des environs accla- mait. A l'écrivain-paysan Emile Guillaumin, le Maréchal demanda un exemplaire de son œuvre maîtresse « La Vie d'un Simple » ; il entendit Jacques Chevalier lui présenter « sa » forêt et fit une réponse empreinte de modestie qu'in- terrompit un cri : — « Le Maréchal est aussi grand que le chêne ! » lancé non point comme l'affirme l'hagiographie de l'époque par un vieux bûcheron mais par un retraité du métropolitain de Paris. Les écoliers offrirent des fleurs, le martelage des initiales se déroula suivant le cérémonial des Eaux et Forêts, puis un tailleur de merrain s'adonna à une démonstration de son travail. Repartant une heure plus tard, Pétain emportait la hachette et un exemplaire somptueuse- ment relié de « Bourbonnais 39 », tandis que la foule recueil- lait comme souvenirs les éclats de bois détachés par le Maréchal. Entre temps, s'était déroulé un autre déplacement aux conséquences beaucoup plus graves. Le 24 octobre, au matin, un convoi de trois voitures quittait l'Hôtel du Parc, arrivant à neuf heures à La Madeleine pour franchir la Ligne de Démarcation : dans la première, le Chef de l'Etat ; dans la seconde, le Vice-Président du Conseil. Une voiture venant de (1) CHEVALIER (Jacques-Louis-Antoine), né à Cérilly en 1882; fils du général Georges Chevalier, Professeur de philosophie ; Doyen de la Faculté des Lettres de Grenoble en 1931. Accomplit de nombreuses missions culturelles à l'étranger et fut chargé de réorganiser l'enseignement en Espagne par le général Franco. Secrétaire général à l'Instruction publique en septembre 1940. Secrétaire d'Etat à l'Instruction publique et aux Beaux-Arts en décembre 1940, à la Famille et à la Santé en 1941. Arrêté par les F.F.I. à Cérilly en juillet 1944 ; condamné par la Haute-Cour de Justice à vingt ans de travaux forcés, avec peine commuée, en 1946. Membre correspondant de l'Académie des Sciences Morales et Politiques. Décédé à Cérilly en 1962 ; auteur d'une œuvre philosophique considérable. Zone occupée avait précédé, amenant un général allemand en grande tenue : le Maréchal descendit devant l'ancien bureau de l'Octroi, revêtu de l'uniforme bleu par dessous sa gabar- dine, cependant qu'un détachement de la Wehrmacht pré- sentait les armes. L'escorte de gardes mobiles fut remplacée par une escorte motocycliste allemande ; l'on reprit la mar- che, traversant le pont Régemorte, une automobile alle- mande en tête, pour tourner à gauche par le cours de Bercy et gagner la route de Paris, sous les regards et les vivats de nombreux curieux. Le lendemain, le pont était fermé à la circulation depuis onze heures, mais inutilement, le Chef de l'Etat étant revenu par Châteauroux-Montluçon. C'était Montoire et la collaboration. Le prestige du Maréchal n'en fut pas sensiblement atteint, mais l'on commença de se dire qu'il devait avoir de mauvais conseillers. Lui-même le pensait, sans doute, car le dernier mois de l'année allait voir se dérouler un extraordinaire mélodrame auquel furent mêlés plusieurs personnages importants d'ori- gine ou d'affinités bourbonnaises. Jacques Chevalier était l'un des rares commensaux en qui le maréchal Pétain eut pleine confiance. Universitaire distingué et l'un des maîtres de la pensée chrétienne contemporaine, il avait, de ses études à Oxford, conservé des sympathies britanniques, parmi les- quelles son condisciple lord Halifax. De ce dernier, précisé- ment, le Chargé d'Affaires du Canada venait, le 4 décembre, lui apporter un message verbal qui pouvait passer pour une ouverture discrète ; le 5 décembre, il en informait le Maré- chal qui, le lendemain, donnait le feu vert à une négociation toute secrète, sur les bases d'un mémorandum établi par le Secrétaire général à l'Instruction publique et qu'emportait, le 7 décembre, à Londres, le diplomate canadien. L'initiative demeurerait sans aboutir (1). Huit jours plus tard, une invitation de Hitler pour le retour à Paris des cendres de « l'Aiglon », et à propos de

(1) Les protocoles des entretiens secrets franco-britanniques ont fait l'objet de controverses passionnées après la Libération sur leur authen- ticité. Jacques Chevalier en apporta la révélation le 7 août 1945, à une audience du procès Pétain. Le Livre Blanc britannique publié le 13 juillet 1945 n'en fait aucune mention. Le prince Xavier de Bourbon, dans son ouvrage Les Accords secrets franco-anglais de décembre 1940 s'en est porté garant et l'a confirmé dans Le Figaro du 7 avril 1953. Pour notre part, ayant rencontré Jacques Chevalier après sa capture par un groupe des Corps Francs des M.U.R. en juillet 1944, et lui annonçant que les Améri- cains et les Anglais approchaient de Chartres, il nous répondit : — J'en suis très heureux, ajoutant qu'il avait négocié avec son ami lord Halifax et possédait une lettre autographe du Roi d'Angleterre. laquelle s'était beaucoup dépensé de Brinon (1), venait divi- ser le gouvernement dont la majorité apparaissait hostile. Tout était prêt pour le voyage, lorsqu'un coup d'audace de quelques-uns, parmi celle-ci, devait tout renverser. Au cours d'une promenade d'après déjeuner, le 13 décembre sur les bords de l'Allier, les Ministres Peyrouton et Bouthillier s'étaient décidés à brusquer les choses pour soustraire le Chef de l'Etat à l'influence de Laval. Mis au courant quatre autres Ministres donnèrent leur accord auquel, en dernier ressort acquiesça le Maréchal. A vingt heures, le Chef de Cabinet du Ministre de la Justice téléphonait en code au général Fornel de la Laurencie (2), Délégué général dans les Territoires occupés depuis le 16 août, l'ordre d'arrestation de Marcel Déat, devenu, depuis son retour à Paris, l'un des plus notoires prohitlériens. Dans le même temps, se tenait, inopinément convoquée, une réunion ministérielle à l'Hôtel du Parc, au cours de laquelle Pierre Laval était « démis- sionné » d'office, puis, quelques instants plus tard, appréhendé par le Directeur de la Sûreté Nationale assisté du docteur Martin, chef du Groupe de Protection, sorte de police supplé- tive recrutée en partie parmi les anciens « Cagoulards » et casernée dans les locaux de la Loge maçonnique. Il fut conduit et placé sous surveillance à son domicile de Chatel- don. Des dispositions extraordinaires de sécurité isolaient complètement Vichy : trafic ferroviaire interrompu, mise en fourrière du wagon spécial de Laval, coupure des relations téléphoniques, routes au sortir de la ville gardées par le G.P. Néanmoins, malgré le bouclage de la ville, le corres-

(1) BRINON (Fernand-Marie de), né à Libourne (Gironde), en 1888. d'ascendances maternelle et paternelle en Montagne bourbonnaise et à Vaumas avant la Révolution Française. Journaliste, rencontra Hitler à différentes reprises entre les deux guerres : fondateur du Comité France- Allemagne en 1933. Ambassadeur et Délégué personnel du Vice-président du Conseil pour les questions allemandes en août et novembre 1940. Délégué général du Gouvernement français pour les Territoires occupés en décembre 1940. Secrétaire d'Etat auprès du Chef du Gouvernement en 1942, à la Présidence du Conseil en 1944. Constituait en août 1944 une Délégation Gouvernementale Française pour la Défense des Intérêts Nationaux, deve- nue en septembre la Commission Gouvernementale qu'il présida, en Allemagne. Arrêté après l'armistice en 1945. Condamné à mort par la Haute-Cour de Justice et exécuté à Montrouge en 1946. Après l'arrestation par la Gestapo du Député-Maire de Commentry il était, à la demande de Paul Faure, intervenu auprès des autorités allemandes, mais sans résultat, pour faire libérer Isisore Thivrier. (2) LA LAURENCIE (Benoît-Léon de FORNEL de), né à Broût-Vernet en 1879. Général de brigade en 1932, de division en 1935, de corps d'armée en 1939. Commandant l'Ecole de Cavalerie de Saumur et, pendant la guerre de 1939-40, le III Corps. Délégué général du Gouvernement français pour les Territoires occupés en août 1940, destitué en décembre. Conseiller National en janvier 1941, déclaré démissionnaire d'office en novembre. Interné à Evaux-les-Bains. Décédé à Vichy en 1958 : inhumé à Broût- Vernet. pondant à Vichy de l'Agence de Presse Allemande était parvenu à sortir et gagner Moulins d'où il téléphona à Paris le récit de l'événement. Le lendemain, arrivait à Vichy, en début d'après-midi, le nouveau ministre des Affaires étrangères convoqué par téléphone, sans savoir de quoi il s'agissait et qui, bloqué durant deux heures, les pieds dans la neige, à La Madeleine, avait commencé par y prendre une angine. L'on s'agitait, en sens différents, aussi bien à Paris qu'à Vichy : ici, le Maré- chal attendait la suite ; là-bas, Abetz piquait des colères pour finalement arriver, le 16 décembre, dans la nuit, à la Ligne de Démarcation où se morfondaient les envoyés proto- colaires du Chef de l'Etat, et foncer, escorté de deux voitures de SS armés sur la capitale provisoire (1). Dans le cours de la matinée du 17, il obtenait la mise en liberté de Pierre Laval, le rappel du général de la Laurencie et son rempla- cement par de Brinon, la dissolution du G.P. Pierre Laval partait pour Paris, avec l'escorte allemande. Dans le rema- niement gouvernemental, Jacques Chevalier était devenu, le 14 décembre, Secrétaire d'Etat à l'Instruction publique et aux Beaux-Arts ; le 18, il refusait de livrer aux Allemands le personnel enseignant alsacien replié, malgré la menace du franchissement de la Ligne de Démarcation. Ce même jour, le Ministre des Finances était expulsé avec ses baga- ges, en gare de Moulins, du train pour Paris... Prononçant, le 15 décembre, une conférence à Vichy, intitulée « Du sens de l'histoire », le P. Gaston Fessard avait entrepris de démontrer combien était illusoire et viciée dans son essence toute collaboration avec le nazisme. Mme Flandin, qui était présente, en témoigna son vif méconten- tement. L'année nouvelle débuta avec, le 4 janvier 1941, le nouveau titre « Journal Officiel de l'Etat Français ». Le 9 janvier venait la messe des Saint-Cyriens à Saint-Louis. Le Maréchal y assistait avec le Ministre de la Guerre et les attachés militaires étrangers. Le R.P. Dillard prononça une allocution sur le thème « La France continue », fort peu goûtée des représentants de l'Axe, ensuite de quoi, durant le parcours jusqu'à l'Hôtel du Parc, les membres de la Légion Française des Combattants ovationnèrent chaleureusement. Aux premiers jours de 1941, la situation gouvernemen- tale s'avérait assez difficile. Le Maréchal imaginant qu'il serait le plus fin, finit par accepter de rencontrer, dans le plus grand secret, Pierre Laval. Au début de l'après-midi du (1) Dans ses Mémoires, Otto Abetz affirme que sa voiture n'était suivie que par deux autres véhicules qui transportaient « l'escorte de huit poli- ciers qui accompagna toutes les personnalités officielles dans leurs dépla- cements à l'étranger ». 18 janvier, il quittait Vichy comme pour une promenade coutumière en auto ; mais, traversant Bellerive, Charmeil et St-Rémy-en-Rollat, faisait stopper sur la petite route de Marcenat, à l'endroit où celle-ci passe sous la voie ferrée et escaladait le remblai pour y retrouver son train spécial et le Ministre des Communications, fort perplexe sur les raisons de ce curieux déplacement. Il grimpa dans son wagon et le convoi se mit en route pour stopper, une nouvelle fois, dans la petite gare de La Ferté-Hauterive, parallèlement à un autre train venu de Paris. Pierre Laval faisait les cent pas sur le quai. Non moins mystérieusement, l'entretien achevé, le train du Maréchal déposa celui-ci en gare de Saint-Germain-des-Fossés d'où il sortit par le portillon, comme un voyageur ordinaire, ce qui me valut de me trouver face à face avec le Chef de l'Etat et l'un des rares témoins aussi involontaires que stupéfaits de ce retour tout paré du secret d'Etat ! Le 25 février, dans un nouveau remaniement, où l'amiral Darlan recevait la vice-présidence, Jacques Chevalier passait au Secrétariat d'Etat à la Famille et à la Santé, son obstination à faire entrer Dieu dans les program- mes scolaires ayant fini par agacer ceux qui, sans être hostiles à Dieu, estimaient inopportun d'ajouter une nouvelle source de complications à un état de choses qui en com- portait suffisamment. Fin février, une cérémonie privée à caractère officiel, le mariage du fils du général Huntziger, Ministre de la Guerre, qui s'unissait à Mlle Isaure de Féligonde, en qui se retrouvait une double ascendance bourbonnaise, permit au Chef de l'Etat de recueillir son habituel contingent de vivats. Il en allait de même, le 20 mars, au retour de Gre- noble et de Vienne ; le 22 avril, au retour de Pau, Tarbes et Lourdes. Le Maréchal aimait sortir aux environs de Vichy. L'une de ses promenades appréciées du dimanche après-midi était Busset d'où l'on découvre, par temps clair, un remarquable panorama jusqu'au Livradois et aux monts Dore. Les habi- tants, un peu stimulés par l'autorité locale, eurent l'idée de faire placer, à l'endroit de la halte dominicale, un banc taillé en pierre du pays et que le Chef de l'Etat inaugura dans le courant de mars. Le 13 avril, il se rendait inopinément entendre la messe à l'église de Brugheas, s'entretenant ensuite sur le parvis de l'église, avec les paysans et le curé. Le 23 avril, les enfants de l'école de La Bruyère, qui jouaient dans un pré, en bordure de la route, avaient la sur- prise de voir s'arrêter deux voitures et se diriger vers eux le Maréchal qui bavarda particulièrement avec ceux dont les pères étaient prisonniers en Allemagne ; ensuite de quoi, les voix juvéniles clamèrent leur contentement... L'auteur du compte rendu ajoute que, revenus de leur étonnement, les enfants « osèrent manifester leur joie en cabrioles dans l'herbe verte et en répétant inlassablement : « Nous l'avons vu, nous, le Maréchal Pétain » (1). Trois jours plus tard, les écoliers de La Bruyère recevaient un portrait en couleurs, au bas duquel était écrit et signé de la main du Maréchal : « En souvenir de notre première rencontre ». Quatre mois après, c'était au tour des pères, prisonniers de guerre, d'avoir, en Allemagne, un colis du Maréchal. Ainsi, se dessinait, toujours embellie, l'image vénérable d'un Chef paternel et simple, animé des meilleures intentions. Fin mars, l'on avait publié que celui-ci irait, le 3 avril à Montluçon et à Commentry pour lancer un appel à tous les mineurs de France. Mais il s'agissait là de fiefs d'ex- trême-gauche, à population ouvrière touchée par le chômage, de tradition socialiste et où l'influence communiste s'était manifestée depuis 1935 en progression. Quelles seraient les réactions populaires ? Il apparut que des sondages plus approfondis s'avéraient nécessaires, aux termes desquels l'on estima que la visite pouvait être tentée à l'occasion de la première célébration officielle du 1 Mai. Durant les deux journées précédentes, l'on prépara fiévreusement les deux villes : arcs de triomphe, guirlandes tricolores, pavoisements, la devise « Travail - Famille - Patrie » sur les édifices publics, tandis qu'établissements industriels, commerçants et particu- liers rivalisaient de zèle. La Délégation spéciale de Montlu- çon lançait un appel : « ...Pas de récriminations ; nous n'en avons pas le droit. Servons notre pays, chacun à notre place. Haut les coeurs ! Pour des jours meilleurs ! 1 Mai ! Fête du Travail, fête du Maréchal, fête du muguet ! Des fleurs.... Des drapeaux... la France... » La Préfecture fit connaître qu'à cette occasion, un certain nombre d'internés administratifs seraient élargis et la circulation automobile autorisée dans tout le département de l'Allier. Dans les Communes situées sur le passage du cortège officiel, de Vichy à Montluçon et Com- mentry, légionnaires et écoliers étaient mobilisés, des messes dites pour la France et son Chef. A ceux qui s'inquiétaient de la prévision atmosphérique, en raison de la lune rousse, Le Centre assura qu'il ferait « le temps du Maréchal » et livra à la méditation de ses lecteurs les vers d'une « simple Française » : « Lorsque chez nous, enfin, respirant librement, Nous revivrons alors dans chaque coin de France,

(1). — Progrès de l'Allier, édit. Vichy 25-4-41. Petits et grands, à genoux, lentement, Pensant à vous, supplieront pieusement : Seigneur, bénis le Chef, Sauveur de notre France ». (1) Dès 8 h. 30 les enfants des écoles de Vichy étaient mas- sés sur les trottoirs conduisant à l'Hôtel du Parc devant lequel se trouvaient rangés les Scouts de France ; les plus proches portaient des petits drapeaux tricolores. Face aux écoliers, les membres de la Légion Française des Combattants avec béret et décorations ; la musique du 92 R.I. Quand le Maré- chal, en uniforme kaki, apparut, suivi de l'amiral Darlan et du général Laure, les acclamations fusèrent ; deux petites filles offrirent des roses et du muguet. Après avoir passé en revue légionnaires et enfants le Maréchal gagna sa voiture ; le Vice-président du Conseil, le Secrétaire d'Etat à la Famille et à la Santé étaient du voyage, avec les membres des Cabi- nets civil et militaire. La première étape fut Saint-Pourçain-sur-Sioule pour un arrêt devant le monument aux Morts où se trouvaient le Président de la Légion et le Maire nommé ; des fleurs, un petit baril de vieux marc saint-pourcinois étaient offerts ; l'on cria : « Vive le Maréchal ! Vive Pétain ! Vive la France ! ». Nouvelle halte, après Montmarault où les gar- çons des Chantiers de la Jeunesse et des Compagnons de France formaient la haie, à Bézenet. A la hâte, et au tout dernier moment, l'on avait recouvert à l'entrée de Montlu- çon des inscriptions tracées durant la nuit sur un mur par ceux qui n'étaient point d'accord : « A bas les traîtres ! Vive De Gaulle ! ». Autre fausse note : le « temps du Maréchal » était en défaut et les averses compromettaient quelque peu les déco- rations. A 10 h. 45 le cortège officiel stoppa devant l'Hôtel de Ville de Montluçon, salué par les cloches des églises ; les Légionnaires attendaient rangés en sections sur la place. Dans le vestibule de l'Hôtel de Ville, le Préfet Porte et les mem- bres du Corps Préfectoral, les membres du Protocole et des Maisons civile et militaire, des Parlementaires : René Bou- det, Beaumont, M. Lucien Lamoureux, Paul Rives, Albert Peyronnet ; l'ancien Sénateur Marcel Régnier ; les journalis- tes ; le docteur Cléret, Président de la Délégation spéciale dont la mission s'achevait et M. Méchain, nouveau Maire nommé, qui commençait la sienne ; les présidents de la Légion au premier rang, les autorités militaires, les délégations ouvrières, les agriculteurs en blouse, les cadeaux destinés à être offerts... Le Président de la Délégation spéciale salua le Chef de l'Etat, concluant : « Monsieur le Maréchal, à vos (1). — Le Centre, 1-5-41. ordres ! » C'était alors la revue des délégations ; la remise des cahiers de vœux par les délégués patronaux, ouvriers et commerçants. Au représentant paysan qui se plaignait du manque d'engrais, de main-d'œuvre et de traction, le Maré- chal fit remarquer qu'il ne tenait ni le robinet de l'essence ni l'écurie des chevaux et le Président de la Chambre d'Agri- culture, au garde-à-vous, de conclure : « Monsieur le Maré- chal, nous sommes à vos ordres »... Venait ensuite la prestation du serment de la Légion. Le Maréchal parut au balcon de l'Hôtel de Ville accompagné de l'amiral Darlan, du Président Départemental André Gervais et du Président local de la Légion. Les cris scandés de « Vive Pétain ! » déferlaient vers la Maison commune ; il put être remarqué que Darlan ne recueillait aucune part de ces ova- tions. Quand le calme fut revenu, André Gervais s'adressa au Chef de l'Etat : « Nous vous demandons d'entendre en ce serment autre chose que des phrases rituelles. Nous vous demandons de l'entendre comme un acte de foi en vous, notre seul Chef... Nous vous demandons de l'entendre, Monsieur le Maréchal, comme l'engagement que prennent vos Légionnai- res de l'Allier d'être, en toute abnégation, en totale fidélité, derrière vous seul, pour la seule France, toujours et partout « Légionnaires d'abord ». (1) L'éloignement de Laval était ainsi ratifié et la réserve à l'égard de Darlan soulignée. Au sortir, rangés en double haie, les Compagnons du Tour de France firent la voûte d'honneur avec leurs cannes enrubannées. Les voitures démarrèrent en direction du monu- ment aux Morts ; une nouvelle surprise attendait faubourg St-Pierre sous la forme d'un détachement symbolique, qui, en uniformes de 1914-18 et de 1939-40, montait la garde au pied d'un portrait géant peint sur un pignon. L'on passa aux enfants, de six à huit mille, massés avenue Président-Wilson récemment rebaptisée avenue Maréchal-Pétain avant de retourner à l'Hôtel de Ville où le Vice-président du Conseil allait essuyer une nouvelle déconvenue : comme de la foule partaient les cris « Pétain au balcon ! » ce fut l'amiral qui se montra saluant familièrement de la main sans parvenir à arracher un « Vive Darlan ! » tandis que redoublaient les « Pétain au balcon ! » Une visite aux usines Dunlop, où le personnel ouvrier se montra assez froid, tournait la page Montluçon en cette journée que des résistants et des travail- leurs avaient célébrée à leur manière, allant au cimetière cou- vrir de fleurs la tombe de Jean Dormoy, véritable initiateur du Premier Mai.

(1) - Le Centre. 3-5-41. Un court arrêt, semblable aux précédents, à Néris-les- Bains, Durdat-Larequille... Et, vers 17 heures, le Maréchal était à Commentry, stoppant devant le monument aux Morts où l'ornementation florale avait adroitement dissimulé l'ins- cription « Commentry à ses enfants victimes de la guerre » jugée par le Protocole de nature à contrarier les visiteurs officiels. Les Légionnaires, la Municipalité étaient en attente ; le 27 Régiment de Chasseurs avec sa musique rendait les honneurs, les cloches sonnaient à toute volée. Le Chef de l'Etat se rendit à la Forge où une équipe travaillait spécia- lement ; puis, toujours à pied, à l'Hôtel de Ville sous les acclamations. Des mineurs en tenue de travail, les Compa- gnons du Tour de France qui allaient recevoir leur charte, se tenaient au perron ; le Député-Maire souffrant, avait estimé, bien que non rallié au régime, courtois d'accueillir lui-même l'hôte de sa ville, et du balcon Pétain prononça le discours radiodiffusé de présentation des principes de la Charte du Travail. Une heure plus tard, il regagnait Vichy par son train spécial, salué dans les gares, et tout particulièrement à Belle- naves, au passage. Deux à trois mille personnes se trouvaient à l'arrivée. La journée s'était endeuillée avec un accident de la route ayant causé la mort de quatre Légionnaires de Dur- dat-Larequille. Délirant d'enthousiasme, Le Centre, sous le titre « Villes du Maréchal » traduisit que Montluçon et Commentry, répu- diant leur passé, venaient d'être conquises par la Révolution Nationale. A regarder de près, les voix les plus sonores étaient celles des dévoués Légionnaires, des jeunes filles et jeunes gens des groupements catholiques, des enfants des écoles... Quant aux notabilités en évidence il s'agissait, hormis les fonctionnaires publics, surtout de représentants d'activités économiques, libérales appartenant à ce qu'il était convenu d'appeler au temps de la République l'opinion modérée et qui, de ce fait, n'avaient jamais eu d'influence politique ; des militants syndicalistes des anciennes C.F.T.C. et C.G.T. avaient également rejoint. Il est néanmoins incontestable que la masse non encore sensiblement éprouvée par les restric- tions ; l'année précédente horrifiée par le déferlement des réfugiés et des soldats en déroute, par les destructions dans les zones de combat ; pour l'heure soustraite à l'occupation allemande ; encore peu touchée par la Résistance, savait gré au vieil homme d'avoir « fait le don de sa personne » pour épargner ici les épreuves qui pesaient ailleurs. Le surlende- main arrivait en gare de Montluçon un convoi de 200 Lor- rains expulsés de leurs demeures pour n'avoir point voulu se laisser germaniser. La Fête nationale du Travail et de la Paix Sociale avait été partout célébrée sous le signe de la journée chômée avec, dans les villes, rassemblements, allocutions, remise des cahiers de vœux par les délégations ouvrières et patronales. A Vichy, place de l'Hôtel-de-Ville, surmonté d'un immense portrait du Maréchal, la cérémonie revêtit un caractère particulièrement spectaculaire. Un rite nouveau s'y mêlait où l'avait de quel- ques jours précédé : le lever des couleurs suivant le cérémo- nial en usage dans la marine ; désormais dans les cours d'éta- blissements scolaires, d'usines, sur une place publique par- fois, enfants, jeunes gens, travailleurs, Légionnaires seraient rassemblés hebdomadairement au garde-à-vous tandis que monterait lentement à son mât le drapeau national. Au Pavil- lon Sévigné les couleurs furent hissées chaque matin et des- cendues chaque soir en présence de la Garde personnelle pré- sentant les armes. Mais l'on pouvait déchiffrer sur les murs à Vichy des graffiti : « L'amiral dans la flotte », cependant que de nombreux commerçants s'y refusaient à exposer les portraits de Darlan distribués par la Propagande. Le Maréchal reprenait le train de ses sorties en ville et alentours : vernissage de l'Exposition des Œuvres de la Marine le 17 mai, office de l'Ascension en l'église Sainte-Jeanne- d'Arc le 22 mai, revue des militaires et de Légionnaires le 1 juin, messe de Pentecôte à St-Rémy-en-Rollat, arrêt à Lapalisse lors d'une visite à Roanne le 21 juillet, messe anni- versaire de Mers-el-Kébir le 3 juillet, 14 juillet au monument aux Morts de Vichy, grand prix à l'hippodrome de Bellerive le 3 août. Mais depuis deux mois était intervenu, avec le début de la guerre germano-soviétique, un événement d'importance capitale ; le 30 juin à minuit le personnel de l'Ambassade de l'U.R.S.S. quittait Vichy, cependant que plus de deux cent cinquante suspects d'origine russe étaient parqués au stade municipal depuis la matinée ; après criblage cent quatre- vingt-cinq seraient libérés (1). Il en résultait quelques re- mous aussi bien dans l'opinion commençant à se poser des questions et réfléchir que dans les milieux gouvernementaux tiraillés entre leurs tendances et la pression allemande. Débutant une entreprise d'intoxication intellectuelle qui, durant plus de trois années ferait bien des ravages, le conférencier mondain Xavier de Magallon venait, le 4 juillet au Grand Casino, expliquer que l'Allemagne étant, de par la logique des choses, en lutte avec la barbarie bolchevique, dans l'intérêt général du moment et pour plus tard obtenir une paix de bon accord, il fallait accepter de collaborer. (1) C'est de Vichy que Staline apprit l'imminence de l'attaque alle. mande. Léopold Trepper, Chef du célèbre Réseau L'Orchestre Rouge, ayant eu l'information, s'était rendu en toute hâte de Paris à la capitale pro- visoire demander à l'attaché militaire soviétique de télégraphier à Moscou. Il eut quelque peine à obtenir satisfaction et Staline ne le crut pas. Depuis le début de juillet Jacques Chevalier se montrait désagréablement surpris de ne pouvoir obtenir d'audience du Maréchal ; avec adresse et persévérance certains dres- saient un savant barrage entre le Chef de l'Etat et son conseiller intime. Le 14 juillet Darlan, que l'on suspectait de complaisances collaborationnistes, avait été nettement boudé. Par contre le 10 août, Weygand, arrivé d'Alger et qui passait pour vouloir résister faisait l'objet d'ovations dans les rues de Vichy. La crise devait se dénouer le lende- main par un remaniement ministériel qui écarta Jacques Chevalier, son portefeuille regroupé avec l'Education nationale et la Jeunesse allant à un médecin, le docteur Serge Huard (1), d'alliance bourbonnaise. Le Bourbonnais était également devenu lieu approprié pour les déplacements ministériels : le 2 avril 1941, le général Huntziger, Ministre de la Guerre, était à Montluçon pour une prise d'armes et la revue du 152 R.I. en compagnie du géné- ral Delattre de Tassigny, commandant la XIII Région mili- taire. Le 24 mai, Pierre Caziot, Ministre de l'Agriculture, présidait, à St-Pourçain-sur-Sioule, l'assemblée générale de la Fédération des Syndicats Agricoles de l'Allier qui votait une Adresse d'hommage au Maréchal. Il était le 17 juillet à Montmarault pour remettre des récompenses aux femmes de cultivateurs mobilisés. Le 13 juillet, le contre-amiral Platon, Secrétaire d'Etat aux Colonies, inaugurait à Vichy le train- exposition de la France d'Outre-mer. Il arrivait aussi que la Maréchale fut mise à contribution, assistant le 24 août à la première cinématographique du film « La Vénus Aveugle », réalisé par le metteur en scène d'ascen- dance commentryenne Abel Gance, en hommage au Chef de l'Etat. Décidément infatigable celui-ci inaugurait, le 4 septem- bre, une Exposition agricole des Ecoles primaires ; le 8 sep- tembre il venait se mêler à une remise de gerbes au monu- ment aux Morts par un groupe de jeunes gens et jeunes filles de patronages catholiques ; le 11 septembre il était aux céré- monies commémoratives de la mort de l'aviateur Guynemer ; le 19, il visitait la Maison du Missionnaire ; le 21 il inaugu- rait une Exposition des Œuvres d'Art espagnol. Le 25 il célé- brait la cérémonie commémorative de l'affaire de Dakar avec un grand déploiement de troupes : le 152 R.I., une compagnie de fusiliers-marins, une compagnie de l'Air, deux escadrons motorisés et blindés de la Garde, des délégations ayant par- ticipé à la défense de Dakar, la musique de l'Armée de l'Air (1) HUARD (Serge) né à Paris en 1897. Docteur en médecine, chirur- gien des hôpitaux de Paris. Secrétaire général de la Santé publique en 1940. Secrétaire d'Etat à l'Education nationale et la Jeunesse, à la Fa- mille et la Santé en 1941. Décédé à Paris en 1944; avait épousé made- moiselle Paulette Meige, d'une vieille famille médicale moulinoise. et, nouvellement créée par le Vice-président du Conseil qui goûtait le faste, la « Musique de l'Amiral de la Flotte » ; en l'église Saint-Louis officiait le chanoine Chevrier tout récem- ment nommé Evêque de Cahors. Le 27 on le retrouvait à un gala de bienfaisance où sa canne habituelle mise aux enchè- res fut adjugée 144.000 francs. La jeunesse demeurant l'une de ses prédilections, le Chef de l'Etat se trouvait, le 13 octobre, dans la petite école de Périgny où, après avoir entendu le compliment d'un des élè- ves, il s'installa à la place du maître pour lire son message radio-diffusé aux écoliers de France dont l'écoute avait été organisée spécialement parmi les établissements scolaires. Le 23 octobre il recevait une délégation d'instituteurs de l'Allier dont le porte-parole consacra son propos au sens de la nou- velle devise « Travail-Famille-Patrie » pour exprimer sa con- viction du « relèvement dans l'honneur » et conclure « Maré- chal, nous voilà ! » ; tout content, ce dernier offrit les cinq premiers exemplaires du recueil de ses discours, messages et articles dont il invita le Préfet à lire les principes qu'il vou- lut lui-même commenter. Un mois plus tard, il se rendait à Châtel-Montagne, visitant l'église et l'école. Et tout à la fin de l'année il recevait dix élèves des établissements scolaires de Moulins pour la zone occupée, dix de Montluçon pour la zone libre. Le 12 novembre les information radio annonçaient la mort tragique du Ministre de la Guerre tombé avec son avion au-dessus des Cévennes alors qu'il rentrait d'Algérie ; on l'avait attendu en vain au début de l'après-midi à l'aérodro- me de Vichy-Rhue. Le surlendemain, les sept cercueils des victimes de l'accident arrivaient en fin de soirée à la gare de Vichy, transportés à l'église Saint-Louis pour la veillée funè- bre. Le 15 novembre étaient célébrées, dans la capitale pro- visoire, les obsèques nationales en présence du Chef de l'Etat, de tous les membres du Gouvernement, du Corps diplomati- que conduit par le Nonce, des délégations allemandes avec l'Ambassadeur Otto Abetz et italienne, du cardinal Gerlier, Primat des Gaules, des autorités civiles et militaires de l'Allier. L'amiral Darlan, au sortir du service religieux, pro- nonça l'éloge funèbre, les troupes défilèrent ; puis lentement, les cercueils sur des prolonges d'artillerie, le cortège gagna le cimetière pour l'inhumation provisoire. A l'issue de la céré- monie, au cours d'un entretien de trois-quarts d'heure avec le Maréchal et Darlan, l'envoyé allemand exigeait et obtenait par les menaces habituelles le renvoi de Weygand dont le proconsulat en Afrique du Nord apparaissait devoir contra- rier les desseins du Reich. Le 30 novembre, le Maréchal, accompagné de l'amiral Darlan, partit de Vichy à vingt-deux heures pour une nou- velle rencontre franco-allemande. Précédé d'une locomotive- pilote, son train gagna d'abord La Ferté-Hauterive, dernière gare française avant la Ligne de Démarcation, tandis que les voitures allaient attendre de l'autre côté, dans l'ignorance du lieu fixé pour l'entrevue avec Gœring. Il n'en repartit que le lendemain matin, jusqu'à Coulanges-sur-Yonne, au nord de Clamecy où attendaient le représentant du ministre du Reich et l'ambassadeur de Brinon afin de le conduire par la route à St-Florentin-Vergigny (Yonne). Pour le retour, en fin d'après-midi du 1 décembre, Pétain et Darlan retrou- vèrent leur train qui avait été amené à St-Florentin et arriva en gare de Vichy à 22 heures 28. Ainsi s'acheminait-on vers le second hiver de la présence du pouvoir à Vichy. Les installations avaient pris figure défi- nitive dans le provisoire car nul ne pouvait plus présager de ce qu'en serait la durée. Le Ministère de l'Agriculture était à l'Hôtel Mondial ; le Ravitaillement à l'Hôtel Florida ; l'Education Nationale et la Jeunesse au Plazza ; les Colonies à l'Hôtel Britannique ; la Famille et la Santé au Radio ; l'Information à la villa François- 1 rue des Cygnes ; l'In- térieur aux Célestins ; la Justice au Carlton ainsi que la Production Industrielle et les Communications ; quant aux Commissariats Généraux, ils se découvraient : Prisonniers de Guerre rapatriés et Familles, 1, rue Hubert-Colombier ; Chantiers de la Jeunesse, 4, rue Prunelle ; Chômage des Jeunes, Grand Casino ; Questions Juives, Hôtel Algéria. La Grande Chancellerie de la Légion d'Honneur avait trouvé place 11, rue du Parc. L'on avait également fini par mettre de l'ordre dans l'Hôtel gouvernemental, un journaliste local notait : « On ne pénètre pas à l'Hôtel du Parc comme dans un moulin à vent. La garde et la police en sont assurées par les gardes mobi- les qui, au nombre de deux cents, constituent la garde personnelle du Maréchal. Dans le hall aux six colonnes, éclairé par des pla- fonniers diffuseurs et des appliques au sommet des colonnes, c'est la cohue des gens qui arrivent, s'en vont ou attendent leur tour. Il faut, pour se rendre à n'importe quel service, montrer patte blanche auprès des gardes qui, assis derrière une banque-bureau, vous invitent à donner votre nom, ainsi que celui de la personne ou du service que vous désirez atteindre et le motif de votre visite. Quelques minutes d'attente en un petit salon, parfois trop étroit pour le nombre de solliciteurs, et un garde, avec courtoisie et poli- tesse, vous remet votre fiche. Alors, vous pouvez prendre l'ascen- seur qui vous enlève vers les étages supérieurs, à destination du lieu où vous avez affaire » (1). (1) - Tribune, 9-2-41. Les milliers de fonctionnaires repliés trouvaient le temps long ; ils finirent par s'organiser des rencontres de détente : Cercle interministériel pour les Cadres supérieurs ; Cercle des Fleurs, au Casino du même nom pour les autres (1). Une quarantaine d'Ambassades ou Légations figurait le Corps diplomatique : pays de l'Axe comme l'on disait alors pour désigner l'alliance Berlin-Rome-Tokyo, et dépendants ; pays neutre. L'Hôtel des Ambassadeurs ne parvenant à les abriter toutes, des immeubles et hôtels avaient été réquisi- tionnés ; le Nonce élisait tout naturellement domicile à la Maison du Missionnaire ; l'Ambassadeur des Etats-Unis était villa Ica, près des nouveaux parcs ; celui de l'U.R.S.S. avant son expulsion à l'Hôtel Patruno, 7, rue de la Laure ; la République Argentine s'était installée 18, boulevard de Rus- sie ; l'Espagne, 46, rue Maréchal-Lyautey ; la Hongrie, 7, rue Louis-Blanc ; l'Irlande, Hôtel Gallia ; le Japon, 41, quai d'Allier ; Monaco, Hôtel Gallia ; la Turquie, 131, boulevard des Etats-Unis. Il était venu s'y adjoindre, en octobre 1941, un Consul général d'Allemagne, Krug von Nidda qui prit possession de l'immeuble du docteur Roubeau, 31, boulevard de Russie, à l'angle du boulevard des Etats-Unis, ce qui pou- vait passer pour une place stratégique ! Plus tard viendrait un Ambassadeur élisant domicile à la villa du docteur Gui- chard, 19, rue Alquié. La Délégation de l'Ambassade d'Italie était 62, avenue Paul-Doumer. La mission allemande obser- vait, exigeait, morigénait ; les missions américaine, canadien- ne, espagnole, helvétique, pontificale témoignaient sympathie à l'endroit du Maréchal ; les missions canadienne et portu- gaise informaient les Britanniques ; la mission mexicaine aidait la Résistance, les réfugiés antifascistes. Le 12 novem- bre 1941, Mgr Valerio Valeri, Nonce apostolique, rendit visite au préventorium de Saint-Allyre et déjeuna au pres- bytère de Sanssat. Les deuils venaient éprouver la colonie internationale : en juin, Armando Humberto da Gama Ochoa, Ministre du Portugal ; en août Pol Le Tellier, Ambas- sadeur de Belgique, demeuré depuis la rupture exigée par l'Allemagne à titre privé et aux obsèques duquel les seules présences officielles furent celles des Présidents Jeanneney et Herriot par hasard à Vichy ; en février 1942, Sotomatsu Kato, Ambassadeur du Japon, trouvé mort à l'aube au bas de sa fenêtre ; en avril Mme Leahy, épouse de l'Ambassa- deur des Etats-Unis. A Cusset était décédée fin janvier 1941, âgée de 93 ans, Mme Cornélius Roosevelt, cousine germaine de l'ancien Président des Etats-Unis Théodore Roosevelt.

(1) Le personnel des administrations et organismes divers était évalué à environ 30.000. Les événements internationaux ouvraient également des vides : expulsion de l'Ambassadeur de Yougoslavie en avril 1941 ; des légations sud-américaines : Brésil, Chili, Costa- Rica, Guatémala, Pérou, malgré la protestation du Nonce et les démarches de Laval à Paris, en janvier 1943, saluées au départ par le Maire de Vichy. En septembre le personnel de l'Ambassade d'Italie, prit la fuite dès l'annonce de la capi- tulation sauf l'attaché militaire qui se plaçait sous la protec- tion de l'armée allemande. D'autre part, les chauffeurs et agents du Corps diploma- tique s'assuraient, couverts par l'immunité, une solide répu- tation — partagée d'ailleurs avec ceux des Ministères — de razzia du ravitaillement à des prix de marché noir imbatta- bles dans toutes les campagnes environnantes. Au 1 avril 1943 il ne demeurait plus que dix-neuf représentations accré- ditées. Mais, fin septembre 1941, Vichy avait reçu la visite d'un souverain, le Prince de Monaco, venu s'entretenir avec le Maréchal et quelques ministres. Afin de tenter de décongestionner un peu la ville des opérations d'éloignement se faisaient jour de temps à autre : fin décembre 1940 la police avait expulsé 3.956 étrangers. A partir du 15 janvier 1941 était institué le permis de séjour à Vichy, Bellerive, Cusset pour tous les repliés ; ceux non admis seraient refoulés hors de l'Allier, du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire ; une commission spéciale, à l'Intérieur, avait pour tâche d'examiner les situations particulières, tout ceci s'accompagnant d'opérations de police. Un mois plus tard il avait été tranché sur 28.500 cas. ; 21.083 permis étaient délivrés, 1.338 refusés ; 5.554 personnes étaient parties d'elles-mêmes, 580 expulsées ; 703 meublés groupant 5.913 chambres avaient été explorés en visites domiciliaires par la Sûreté nationale. En mai s'entama le rapatriement, avec un premier convoi de sept cents personnes, des réfugiés pari- siens. D'autres mesures revêtaient un caractère personnel tout différent : au début de mai, l'expulsion du Sénateur du Nord, Mahieu, ancien Ministre, pour « propagande inoppor- tune et propos injurieux à l'égard de la politique de l'ami- ral Darlan » ; en juin, même mesure à l'égard du représen- tant de l'Associated Press pour « avoir répandu publique- ment des critiques contre la personne et la politique de l'ami- ral Darlan » ; le même mois le Député Joseph Denais et son ancien collègue Louis Dumat s'entendaient prier de quitter Vichy « où leur présence n'était pas jugée désirable ». Puis fut renforcée, à partir du 15 avril 1944, en l'étendant à la population autochtone, l'obligation du permis de séjour, toute personne résidant seulement par convenance personnelle devant se préparer à quitter la ville. L'ouverture d'une saison thermale restreinte, à partir du 15 mai, reçut agrément pour les malades munis d'un cer- tificat de leur médecin local, d'un second du médecin vichys- sois et d'un billet de logement délivré par l'hôtellerie ou d'un certificat d'hébergement par un habitant régulier ou autorisé à résider ; 4.500 curistes purent bénéficier jusqu'au 15 septembre des soins thermaux. Il en irait sensiblement de même les années suivantes, le nombre passant à 6.000 en 1943. Les aspects bourbonnais de l'emploi du temps officiel demeuraient immuablement : réceptions, sorties, visites : au début de février 1942, le Chef de l'Etat recevait l'un de ses anciens soldats, artisan bourrelier-sellier à Moulins, venu lui offrir une serviette-portefeuille de voyage. Le 8 mars il assis- tait, en l'église Saint-Louis, à un service funèbre célébré pour les victimes d'un raid de l'aviation britannique sur la région parisienne. Le 4 avril il inaugurait trois expositions : la Vie et l'Œuvre du Maréchal, l'Aviation, l'Armée nouvelle ; mais la première étant susceptible de déplaire aux Allemands, en raison de la période 1914-18, il fut interdit à la presse d'en faire mention, y compris la visite du Maréchal lui-même ! Le lendemain il était à l'Office de Pâques à l'église de Bellerive. Le 9 avril il se trouvait devant le monument aux Morts avec deux cent cinquante étudiants des deux Zones qu'il accueillait ensuite au Pavillon Sévigné, donnant pour consigne : « Partout et toujours pensez français » ; le len- demain chacun reçut un morceau du drapeau qui avait servi pour la descente des couleurs. Mais voilà que, neuf jours plus tard, survenait un nou- veau bouleversement : Pierre Laval revenait aux affaires avec cette fois le titre de Chef du Gouvernement et une auto- rité accrue ; dans l'équipe installée à l'Hôtel du Parc, Fer- nand de Brinon recevait le titre de Secrétaire d'Etat auprès du Chef du Gouvernement. L'opinion interpréta ce change- ment comme un renforcement de la pression allemande sur le pouvoir. Et lorsque, le 11 juin, devant les délégués dépar- tementaux et régionaux de la Légion française des Combat- tants et des Volontaires de la Révolution nationale réunis à l'Hôtel Thermal, le Maréchal lut une courte déclaration pré- cisant : « Il n'y a plus de nuage entre nous. M. Laval a donné sa confiance en arrivant. Nous nous sommes serré la main et maintenant nous marchons la main dans la main. Quand M. Laval parle il est d'accord avec moi, comme je le suis moi-même avec lui quand je m'adresse à vous. Il est respon- sable du Gouvernement. Il trace la ligne à suivre. C'est la communion parfaite dans nos idées et dans nos actes », il y eut chez certains quelque perplexité mêlée de regret et d'in- quiétude tandis que parmi les bonnes gens qui dans les rues de la ville et sur la place de nos villages applaudissaient le « sauveur de la Patrie » il s'en trouvait se demandant si, cette fois, le Maréchal ne prenait pas un mauvais chemin. Le 2 mai, Laval et Darlan rencontraient Abetz à Moulins à pro- pos de l'évasion et la venue à Vichy du général Giraud. Le dimanche 17 mai avait été consacré à une manifesta- tion de prestige. Au Stade municipal de Vichy s'ouvrait par une grande rencontre sportive la Quinzaine Impériale, dédiée aux fondateurs d'un empire d'outre-mer qui peu à peu chan- geait de camp et destinée à démontrer la nécessité de le main- tenir. Le grand soleil ; la foule envahissant les gradins, le pourtour ; la Musique de l'Amiral de la Flotte, celles de l'Ecole de Billom, des chasseurs à pied, de l'infanterie colo- niale ; la jeunesse scolaire de Vichy, des établissements Miche- lin ; les groupes de sportifs d'Auvergne, de l'Afrique du Nord, de l'Afrique Noire ; le lever des couleurs en présence du colonel Pascot, Commissaire général aux Sports et du Gouverneur général Brévié, Secrétaire d'Etat aux Colonies ; la prestation du serment de l'athlète, tout contribuait à don- ner une extraordinaire impression de vitalité qui se prolon- gea dans les acclamations accompagnant l'arrivée du Maré- chal. A Cusset, sous les toits d'une vieille tuilerie, treize artistes moulaient, retouchaient, cuisaient en série des bus- tes du Chef de l'Etat destinés à la Propagande. Mais, le 14 juillet, tandis que Chef de l'Etat, Chef du Gouvernement, Ministres et autorités diverses étaient devant le monument aux Morts de Vichy pour la cérémonie rituelle, à un autre point de la ville cinq cents personnes se tenaient, silencieuses, au pied du monument de la République ; la police dispersa ce rassemblement. Des précautions nouvelles se faisaient jour : surveillance extérieure de l'Hôtel du Parc et du Majestic par la garde mobile, patrouilles dans les rues, installation de grilles intérieures à l'Hôtel du Parc qui don- naient lieu à maints commentaires. Il avait été question que le Chef de l'Etat, ne pouvant se rendre dans sa propriété du Midi en raison de l'occupation italienne, un château près de Varennes-sur-Allier lui fut affecté pour les vacances et peut-être devint sa résidence principale. Puis ce projet fut abandonné. Le 6 août, le Maréchal recevait au château de Charmeil le comte de Paris qui, sans s'être annoncé, venait d'atterrir, arrivant du Maroc, à l'aérodrome de Rhue pour un entretien politique à l'issue duquel les interlocuteurs se séparèrent as- sez mécontents, l'un avec le sentiment que le prétendant sou- haitait prendre sa place ; l'autre d'avoir été traité avec quel- que désinvolture. Le lendemain, l'hériter du trône de France était l'hôte de Pierre Laval qui lui proposa, à titre d'essai, le Secrétariat d'Etat au Ravitaillement et il lui fallut repartir, ayant fait le tour pour rien ! Pour le 15 août, le Chef de l'Etat assista à la messe de l'Assomption dans la petite église de Charmeil. Le 18 il rece- vait deux cents étudiants de la Zone occupée rentrant d'un pèlerinage au Puy. Le 24 août lui était présenté le premier numéro du journal filmé « France-Actualité » en identique pour les deux Zones. Le 27 août, dans la cour du château de Charmeil promu au rang de résidence d'été, il remettait en présence du Secrétaire d'Etat à la Guerre, l'unique drapeau de la Gendarmerie à sa Garde personnelle qui renouvela le serment de fidélité. Le 4 septembre les instituteurs de l'Allier avaient été invités à l'inauguration de l'Exposition de l'Enseignement agricole et ménager et d'Artisanat rural des Ecoles, qui se tenait dans les locaux de l'E.P.S. Jules-Ferry pour y enten- dre le Maréchal. Des autocars spéciaux convergèrent de tout le département vers Vichy où les abstentions furent soigneu- sement notées ; le Chef de l'Etat lut une allocution aux Ins- tituteurs de France retransmise par radio ; à l'issue du déjeu- ner, au Grand Casino, Pierre Laval improvisa un plaidoyer : « Je porte le fardeau des fautes des autres et je m'effor- cerai de le bien porter pour que la France n'en souffre pas trop ». Dans l'après-midi, sous la présidence du Ministre Abel Bonnard, le Préfet Porte exposa aux enseignants bourbon- nais ses vues sur l'école et la Révolution nationale. Au début d'octobre le Chef de l'Etat inaugura la Mai- son du Prisonnier de Vichy, le Commissaire général Pinot précisant que la caractéristique essentielle de ces institutions était d'être les « Maisons du Maréchal » qui allait, cinq semaines plus tard, découvrir d'autres sujets de préoc- cupations. En attendant, les soucis de politique intérieure le conduisaient à recevoir et faire assister à une prise d'armes les Cardinaux Suhard et Gerlier que l'on disait être fort opposés à propos des affaires de l'Etat. Il se racontait que le général Giraud se serait rendu à Alger pour y préparer une arrivée des Américains et peut- être de Pétain. Puis il se dit que si l'on devait se trouver conduit à un repli, seul partirait le Chef du Gouvernement, le Maréchal demeurant pour subir le sort du Roi des Belges. Ainsi s'entretenait de commérages le fil des jours... Depuis le 23 mars les membres du Gouvernement pou- vaient disposer, avec l'agrément des autorités allemandes, d'avion, plus pratique que la « micheline » hebdomadaire, pour les liaisons avec Paris. Georges ROUGERON est né à Saint-Germain-des-Fossés (Allier), le 6 janvier 1911. Au sortir de l'école primaire, âgé de treize ans, il devenait apprenti puis compagnon plâtrier-peintre en bâtiment. En même temps, il militait aux Jeu- nesses Socialistes où il fut remarqué par Marx Dormoy, député-maire de Montlu- çon, puis Ministre au temps du Front Populaire. Il devint secrétaire particulier de celui-ci, en même temps que responsable administratif de la Fédération et de la presse socialiste de l'Allier. Lors des événements de 1940-1944, il reprit son métier, s'employa à réorganiser, dans la clandestinité, le Parti socialiste, fut arrêté et interné politique. En 1944, Secrétaire-Membre du Comité Départemental de la Libération de l'Allier, il prenait part aux responsabilités de la Résistance puis de l'administration provisoire départementale. Depuis nous le retrouvons Conseiller Général, Président du Conseil Général de l'Allier, Sénateur-Maire de Commentry, Conseiller Régionnal d'Auvergne, autant d'étapes importantes qui jallonnent une activité politique soutenue. Très tôt attiré par l'Histoire, il est devenu un spécialiste remarqué dans le domaine bourbonnais, auteur d'une soixantaine d'ouvrages, et de plusieurs centaines d'études ou d'articles dans la presse et les revues spécialisées. Il vient d'être reçu, en octobre 1983, Docteur en Histoire, avec la mention très bien.

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