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22 Chapitre 2 Furieusement

Explosive ou feutrée, bruyante ou sourde, la colère traverse les siècles et le département. Qu’importe la forme qu’elle prend, accompagnée d’un soupçon de passion, la colère nous donne toujours de bonnes histoires.

23 LA RÉVOLTE des pailles

LE BOULLAY-MIVOYE (Canton de 2)

uand en 1845 fut promulguée l'interdiction des couvertures de Qchaumes, appelées couramment pailles, ou de roseaux, causes de nom- breux incendies dramatiques, la mesure a été très mal accueillie. Les réactions des plus pauvres, pour lesquels le coût des couvertures en tuiles étaient prohibitifs, ne se firent pas attendre. C’est dans la région de Nogent-le-Roi que les troubles furent les plus violents. En 1854, le Préfet Grou- chy, venu en visite au Boullay-Mivoye, fut pris à partie, séquestré et malmené et né- cessita l'intervention de la troupe pour le libérer. Afin de calmer les esprits, il démis- sionna et l'application du texte prit beau- coup plus de temps.

TRACT ÉLECTORAL sans concession Un curé inquiet

PRUNAY-LE-GILLON (Canton de 2)

n 1872, lors des élections, s'élevèrent des voix pour dénoncer une clôture hâtive des réceptions de candidatures, erreur re- Econnue. Ce recours induisit en retour une plainte pour diffama- tion de Petey, membre du conseil municipal qui incrimina l'abbé Ri- vière, curé du lieu. L'opposition contre-attaqua en diffusant un tract imprimé énumérant leurs griefs contre Petey : avoir fui devant les Prussiens, fait des réquisitions d'avoine trop importante, avoir acca- blé ses opposants de billets de logements et, enfin, avoir voulu fêter la paix avec une distribution de vin. Cette fête fut vécue comme un attentat moral alors que le roi de Prusse lui-même avait prescrit un deuil de deux mois. La justice se désista. 

24 Un curé inquiet

CHÂTEAUNEUF-EN-THYMERAIS (Canton de Saint-Lubin-des-Joncherets)

n 1832, Jean-Nicolas Roger, curé du lieu qui, n'en pouvant plus des bouleversements que traversait la depuis la Révolution, prit la décision d'adresser une lettre à tous les fonctionnaires et officiers publics. Datée, signée, elle portait l'adresse du 229, rue de l'Espérance et fut expédiée soit par la poste soit remise directement au domicile des destinataires. Elle était ainsi rédigée « Le règne du fils du régicide nous va-t-il mieux que celui Ede nos anciens rois et de nos rois capétiens ? Vous voyez vous-mêmes combien l'avenir de notre belle patrie est peu rassurant... » Par ce texte, le curé espérait rallier à la cause légitimiste mais, si les effets de sa démarche furent ignorés, il dut bel et bien en rendre compte au tribunal. 

25 Une Marianne en (Canton de Nogent-le-Rotrou)

ors des combats dans la région de Loigny début décembre 1870, un officier appartenant aux mobiles de la fut blessé lors d'un affrontement contre les Prussiens. Il fut re- cueilli par le maire de Lumeau, M. Lhopiteau qui le cacha et le soigna chez lui. Quelques mois après la fin du conflit, l’officier fit parvenir une paire de vases en porcelaine de LLimoges d'inspiration antique à son hôte. Ce cadeau, d'ordre privé, fut bientôt suivi d'une re- mise de décoration officielle pour avoir eu le courage d'héberger un officier français quand les Prussiens occupaient la région. Enfin, un dernier présent, une Marianne en porcelaine de Limoges de style art nouveau fut offerte en 1902 à la mairie. 

UN VOISIN INVIVABLE, un abbé furieux LE PUISET (Canton de Voves)

e seigneur du Puiset est resté dans les mé- moires comme une figure marquante de la L résistance au pouvoir royal. Connu pour ses raids dévastateurs, ses violences et exactions com- mises à l'encontre des populations, il a tenu tête pendant douze années au Roi de France retranché dans sa forteresse du Puiset, un donjon de pierre et un château perché sur une butte de terre à . Ce seigneur, malgré deux sièges au cours des- quels il fut vaincu, ne renonça pas à sa promesse à reconstruire son château. Sans les pressions de Suger, abbé de l'abbaye de Saint-Denis dont dé- pendait l'église de Toury, et qui souhaitait se dé- barrasser du voisin violent, il n'est pas certain que Louis VI aurait fait raser le donjon du Puiset et le château de Toury.

26 Chanson SÉDITIEUSE DE L'ANNÉE NOGENT-LE- ROTROU (Canton de Nogent-le-Rotrou)

in 1831, deux hommes furent présentés aux assises pour avoir chanté dans les rue de Nogent-le-Rotrou une chanson séditieuse dont le texte donnait à penser qu'il s'agissait de légitimistes. La chanson commençait par « À entendre Lafayette, les Jésuites man- gaient not'pain, je les regrette car c'est maint'nant qu'nous avons faim » et continuait Fainsi, « Au diable cette Ré- publique, au diable cette clique, chaque marchand fait faillite, tous nos richards sont en fuite. On fait rien, on ne vend rien, ça ne va pas, Henri V reviendra, aux Bour- bons ouvrons les bras ». Les gendarmes déclarèrent que même une petite fille de six ans leur avait chanté cette ritournelle. On acquitta les chanteurs car si tout Nogent connaissait la chanson et la répétait, il aurait été dif- ficile de condamner tout le monde.

Malhonnête, MAIS PAS TRÈS MALIN... SANTILLY (Canton de Voves)

e 6 septembre 1871 fut promulguée la loi sur les dommages de guerre afin d'in- demniser les victimes des réquisitions. Un agriculteur envoya 23 bons et présen- ta une facture de 67 000 francs. Convaincu qu'il allait se faire voler, il alla trouver le pasteur de Chartres qui traduisit lesdits bons. Le pasteur fit immédiatement Lremarquer que le nombre d'articles ne correspondait pas au relevé des Prussiens. Le paysan avait simplement modifié les chiffres. On lui avait demandé 42 bottes de pailles, il avait ajouté un 1 et noté 142 sur sa facture. Il n'avait pas imaginé que le nombre d'articles fournis figurait en toutes lettres. Le pasteur prévint la commission, la tentative d'escro- querie ne fit pas long feu et un dédommagement normal, soit 16 885 francs fut versé au cultivateur indélicat. 

27 CHARTRES (Canton de Chartres) LES ans les années 1800, Chartres fut pendant de nombreux mois, le théâtre de vols à répétition. Vers 1815, ce n'est que fortuitement qu'on QUARANTE Ddécouvrit l'auteur de ces méfaits. Un soir, un sergent voyant passer Monsieur Lecomte, le concierge de la cour d'assises, qui courait en portant de lourdes planches, s'étonna de cette scène. Il en parla autour de lui et il fut VOLEURS décidé de réaliser une perquisition chez le dénommé Lecomte. Et là, surprise, ce fut la caverne des quarante voleurs mais il était bel et bien seul. On y trouva pêle-mêle, matériaux du conte de construction, pièces à conviction, le jupon de Mademoiselle de Rey et les bas de soie de Madame de Chabot. Rien n'avait échappé à la rapacité maladive du voleur, y compris les à lui seul titres de propriété de la famille du président du tribunal. 

28 PROFITEURS de guerre

POUPRY (Canton de Voves)

a guerre de 1870 terminée, les langues se délièrent dans le village. Après les pillages de Loigny, Lumeau et , deux conseillers municipaux tous deux cultivateurs, dont l'un chargé des réquisitions par la préfecture, étaient entrés de leur plein gré en contact avec l'armée prussienne. La ferme de l'un d'eux avait été occupée pour établir un dé- Lpôt d'alimentation prussien. À ce titre, elle était convenablement approvisionnée en blé battu, orge, têtes de bétail pour la boucherie et chevaux. Les rôles étaient bien établis, l'un profitait de son pouvoir de réquisition et l'autre, de la capacité de stockage de sa ferme. Ensemble, ils fournissaient à la demande l'ennemi. Cette proximité et leur trafic valut à chacun dix ans de prison pour entente avec l'ennemi. 

NOGENT-LE-ROTROU Opération (Canton de Nogent-le-Rotrou) n 1866, un marchand de bestiaux s'établit dans la ville et se lia d'amitié avec le négo- ciant en porcs local. Bientôt, leur entente réussie, était telle que ce furent sorties et distractions Ecommunes, toujours à trois, les deux amis et l'épouse du négociant. Tout allait pour le mieux jusqu'au jour où le négociant découvrit qu'il était trompé. Un soir où ils furent réunis, il informa les amants qu'il savait. Là, il enjoignit à sa femme de regarder, fit tomber à verdict terre l'homme, le coinça sous une chaise, baissa le pantalon du trompeur et procéda méticuleusement à l'ablation d'un testicule. L'acte d'accusation insista sur le soin apporté à l'opération et le bon état de san- té de la victime. Ce fut donc une décision d'acquit- tement que rendit la cour. Le préjudice subi n'était clément qu'un demi-mal et l'ensemble des jurés se refusa à poursuivre. 

29 DÉLIRE érotico- mystique

AUNEAU (Canton d’Auneau)

n 1838, un individu fit le tour du couvent des sœurs de la Croix, un ordre hospitalier. Il examina les lieux, vit une grande échelle le long du mur et une cellule dont la fenêtre était ouverte. La nuit venue, il accéda à la cellule, puis se déshabilla et remonta dans le plus simple appareil le long corridor qui desservait les cellules. Arrivé au bout, il entra, se jeta sur le lit, tenta d'embras- Eser la dormeuse tout en lui tenant les propos suivants, « n'ayez pas peur, je suis l'ange Raphaël, Dieu m'a envoyé pour vous apporter des consolations ». Interrompu par la mère supérieure, il reprit le même discours. Le juge souhaita une expertise médicale qui n'eut pas lieu, mais il n'y a pas trace de condam- nation. 

UN DIRECTEUR DE PRISON amoureux CHARTRES (Canton de Chartres)

n 1867, un nouveau directeur arriva à la prison et s'installa dans le logement de fonc- tion avec femme et enfants. Au même étage logeait le gardien-chef qui avait une fille de dix-sept ans environ. L'arrivant fut absolument subjugué par la jeune fille et multiplia les visites. Sa cour se poursuivit jusqu'à ce que la belle céde. Amoureux Efou, il décida de l'enlever, de tout quitter pour elle. Prudent, il rechercha un pays proche qui n'extradait pas pour enlèvement et opta pour la Belgique. Il persuada son amoureuse, mais, erreur fatale, soucieux d'avoir quelque argent, puisa dans la caisse des prisonniers. Le séjour tourna au cauchemar, l'argent manqua, sa belle le quitta et enfin, on l'extrada pour détournement de fonds. 

30 31 CONVICTIONS bourgeoises (Canton de Nogent-le-Rotrou)

ourant 1815, après Water- loo, un groupe de proprié- taires, d'officiers publics et d'artisans de la ville Cs'inquiétant de la chute prévisible de l'empire décidèrent de porter leur opinion à la connaissance de tous. Ils craignaient, en effet, le re- tour de la noblesse au pouvoir avec la perte des acquis de la bourgeoi- sie et la résurgence de l'influence du clergé. Réunis au château dont le propriétaire partageait leurs in- quiétudes, ils élaborèrent trois textes qu'ils placardèrent sur les piliers des halles un jour de marché. La teneur était simple et sans ambages : À bas les Bourbons, non au retour de la dîme, Vive Napoléon II. De simples amendes sanctionnèrent leur coup d'éclat. 

Monument aux morts PRÉCURSEUR SAINT-ANGE-ET-TORÇAY (Canton de Saint-Lubin-des-Joncherets)

ieux de rudes combats pendant la guerre de 1870, la commune de Saint-Ange-et-Torçay fut la première d'-et-Loir à édifier un monument dédié aux combattants. C'était une L nouveauté car jusqu'alors, on ne célébrait que les chefs de guerre. Ce monument aux morts représentait alors une vraie rupture avec les pratiques antérieures, et ce, pour deux rai- son. Il rendait hommage aux combattants, mais surtout il réunissait dans deux monuments jux- taposés les soldats des deux camps. Un premier monument, inspiré des colonnes forestières, jouxte toujours la route, et à l'arrière un enclos réunit les Prussiens et leurs alliés.

32 Un voleur vraiment MALCHANCEUX

CHÂTEAUDUN (Canton de Châteaudun)

e 24 mai 1852, le sacristain de l'église de la Madeleine, indisponible, envoya son épouse attendre le facteur d'orgues qui devait accorder l'instrument. Lassée d'attendre dans la nef, elle rejoignit la tribune. Quand elle entendit du bruit, pensant que c'était l'ac- cordeur, elle jeta un coup d'œil et, vit un homme occupé à fracturer un tronc, une Lsorte de tirelire installée pour collecter les dons en espèces faits par les fidèles. Elle se pré- cipita dans l'escalier, mais le bruit de ses pas firent prendre la fuite au voleur qui s'échappa par la grande porte. Finalement, alerté par les cris de la femme, des passants interceptèrent l'homme dont ce n’était pas le jour de chance. Une présence invisible dans l'église et un tronc quasiment vide dont le desservant surestima le contenu, et enfin une arrestation...

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