Livraisons de l'histoire de l'architecture

29 | 2015 Ornements en architecture

Jean-Michel Leniaud (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lha/387 DOI : 10.4000/lha.387 ISSN : 1960-5994

Éditeur Association Livraisons d’histoire de l’architecture - LHA

Édition imprimée Date de publication : 10 juin 2015 ISSN : 1627-4970

Référence électronique Jean-Michel Leniaud (dir.), Livraisons de l'histoire de l'architecture, 29 | 2015, « Ornements en architecture » [En ligne], mis en ligne le 10 juin 2017, consulté le 09 juin 2020. URL : http:// journals.openedition.org/lha/387 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lha.387

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SOMMAIRE

Noir sur blanc Jean-Michel Leniaud

Diffusion, réception de l’œuvre d’un artisan-entrepreneur du XIXe siècle : l’atelier Monduit Robert Dulau

Diffusion, réception de l’œuvre d’un artisan-entrepreneur : la maison Monduit Michel Goutal

Les crêtes en fonte dans la première moitié du XIXe : le gothique retrouvé avant Viollet-le- Duc Sayuri Kawase

Monduit s’expose : la participation de la maison Monduit aux expositions universelles. Caroline Mathieu

Dômes et signes spectaculaires dans les couronnements des grands magasins parisiens : Dufayel, Grand-Bazar de la rue de Rennes, Printemps, Samaritaine. Olivier Vayron

La renaissance du château de Mouchy (1855-1866) Sophie Derrot

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Noir sur blanc

Jean-Michel Leniaud

1 Il est ici question de métal : de fer forgé, de fonte de fer, de cuivre. De ces matériaux qui, employés de plus ou moins longue date dans les bâtiments, participent à leur structure ou à leur décoration. Les techniques contemporaines de la Révolution industrielle ont élargi considérablement le champ de leur emploi. La fonte est présente à la flèche de la cathédrale de Rouen conçue par Alavoine à la fin de la Restauration : on la retrouve à la crête de la cathédrale de Chartres et dans les colonnes de la salle des imprimés édifiée par Labrouste à la Bibliothèque nationale. Le cuivre sert à couvrir les toitures, jusqu’à la généralisation du zinc : celles de la cathédrale de Rouen, de la basilique de Saint-Denis, de la Madeleine et de Sainte-Clotilde. Bientôt, apparaîtront d’autres métaux : le zinc, sur les immeubles parisiens ; l’aluminium, que Labrouste utilise sous forme de pâte au revers des coupoles de la salle des imprimés pour y améliorer la visibilité et dont Otto Wagner se sert en feuilles, à la SparKasse de Vienne, une fois qu’il aura été produit de façon économique.

2 La présente livraison se fixe pour objectif l’étude de quelques unes de ces productions : bien que souvent négligées par l’analyse architecturale, elles donnent une bonne partie de leur originalité aux constructions du XIXe siècle. À partir de la monarchie de juillet, elles en constituent même un incontestable identifiant. Elles donnent le signe d’une grande ambition : le mariage de l’art et de l’industrie sous les auspices, la plupart du temps, des grandes expositions internationales, universelles ou non. Autrement dit, l’association de nouvelles techniques et des matériaux industriels avec un art, l’architecture, dont l’évolution des formes n’est pas, quoi qu’on dise, en rapport avec celle des programmes.

3 Insistons sur l’intérêt de privilégier le matériau par rapport à la forme, au programme, à l’implantation urbaine ou à toute autre question. Ce n’est pas que cette problématique soit franchement nouvelle : Jean-François Belhoste étudie le métal depuis longtemps, d’autres l’ont fait de la brique ou, plus timidement, du plâtre, André Guillerme s’est intéressé aux matériaux industriels et polluants. Mais ce qu’on découvre ici, c’est l’enthousiasme de l’aventure sur les chemins neufs de la recherche, l’acuité d’un regard décapant une fois qu’il est débarrassé des habitudes acquises. On voit l’architecture autrement : les anciennes catégories s’en fragilisent.

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4 Une question surgit, en particulier : celle de l’ornement. Les techniques nouvelles et les matériaux industriels la subvertissent : comment par exemple, opposer l’historicisme du répertoire d’ornements à la modernité des procédés industriels, dans la mesure où c’est, de façon évidente, la croissance exponentielle de ceux-ci qui facilite la généralisation de l’historicisme ornemental ? Pour être concret, est-il légitime d’opposer gothique et industrie, puisque l’industrie, par le moyen de la fonte, contribue à diffuser efficacement le répertoire ornemental du Moyen Âge ? Posons comme conclusion, à valeur d’hypothèse de travail, que le XIXe siècle n’a pas conçu d’opposition idéologique entre le passé des arts et la modernité des techniques : réducteur et systématique, c’est le XXe siècle qui en est l’auteur. Allons plus loin et énonçons que le XIXe siècle a exploité cette modernité des techniques avec détermination dans son projet de conquête du passé.

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Diffusion, réception de l’œuvre d’un artisan-entrepreneur du XIXe siècle : l’atelier Monduit Distribution and reception of the work of a craftsman-contractor : the Workshop Monduit Ausstrahlung und Rezeption des Schaffens eines Kunsthandwerkbetriebs : die Maison

Robert Dulau

1 La profession d’artisan-entrepreneur dont le savoir-faire était principalement guidé par l’expérience et la transmission des gens de métier1 s’est sensiblement transformée dans la seconde partie du XIXe siècle ; activité longtemps ignorée des historiens de l’art, elle bénéficie désormais d’une approche plus complète. Cet intérêt confirme l’attrait des chercheurs pour l’analyse des aspects techniques innovants : maîtrise des matériaux, processus de fabrication, liens durables noués parfois entre architectes et artistes. La maison Monduit2, dynastie d’artisans de plomberie et de cuivrerie d’art dans la seconde partie du XIXe siècle, illustre la diversité, la singularité et le rayonnement des réalisations de ces nouveaux entrepreneurs. (ill. 1)

2 Ill. 1 : Ouvriers de la Maison Monduit sur le toit du Comptoir national d’escompte à Paris

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Photographie, vers 1880. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

Découverte de l’atelier Monduit.

3 Réalisée par étapes, la mise au jour de l’atelier correspond à une série de donations faite par Mme Gabrielle-Pasquier-Monduit 3 qui donnèrent lieu à une exploration progressive de l’activité professionnelle de cet atelier.

4 La première donation concerne une collection d’ornements d’architecture en plomb et en cuivre faite à l’État en 1970 au moment de la cessation d’activité de l’entreprise et déposée au château de Pierrefonds. Ces pièces remarquables constituent un véritable conservatoire de l’histoire de l’ornement français au XIXe siècle et au début du XX e. Répliques exactes à échelle à grandeur de l’original d’œuvres, les pièces, exécutées par l’atelier Monduit s’échelonnent de 1850 à 19324. Une seconde donation, comprenant cette fois photographies, lavis, dessins, catalogues de l’atelier Monduit est faite au musée d’Orsay en 1983. Cette riche documentation atteste de la diffusion au gré des Salons, des expositions nationales et internationales du savoir-faire de l’atelier dans les domaines de la restauration des monuments historiques, de la création d’ornements d’architecture et de l’exécution de statues monumentales. La même année la réplique en cuivre martelé du saint Michel de Frémiet du Mont Saint-Michel et fabriquée par Philippe Monduit entrait dans la collection permanente de sculptures, sous la grande halle du musée d’Orsay5. Cet événement correspondait en fait à une évolution du statut de l’artisan, légitimant ainsi auprès du visiteur autant la création d’un grand sculpteur que la réalisation technique exécutée par un artisan d’art. En 1987, lors de l’exposition au Mont Saint-Michel dédiée au renouveau des flèches au XIXe siècle, sont analysés la fabrication et le montage liés à la réalisation de l’archange du Mont Saint-Michel de

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Frémiet. Un catalogue accompagnant l’exposition présente un premier essai de monographie sur l’entreprise Monduit6.

5 Par ailleurs un premier inventaire réalisé de 1994 à 1996 des œuvres en plomb et en cuivre présentées au château de Pierrefonds témoigne de la nécessité à faire entrer dans une collection l’ensemble des pièces de cette famille d’entrepreneurs7. Une ultime donation de Madame Pasquier-Monduit, faite en 2000 au musée d’Orsay, vient compléter la donation précédente. Enfin un livret tout entier consacré à l’atelier Monduit est publié en 20118.

6 L’atelier Monduit sort ainsi progressivement de l’anonymat où était relégué le fabricant et des œuvres parmi les plus emblématiques de sa production sont désormais accessibles au musée d’Orsay et au château de Pierrefonds. Cependant de nombreux aspects liés au rayonnement de l’entreprise, à la diversité de l’activité artisanale et semi-industrielle méritent encore d’être approfondis.

7 C’est à la faveur de la consultation des annuaires, almanachs, indicateurs du bâtiment, adjudications, bulletins de la chambre de commerce de Paris…, que l’on mesure au fil des décennies l’évolution professionnelle de ce grand atelier. Cet examen permet également de préciser le rôle des alliances successives avec d’autres entreprises qui permit à cet atelier hors norme d’asseoir ses activités.

8 Par ailleurs, le fonds des archives de l’architecture du XXe siècle éclaire un autre champ d’intervention inédit de l’entreprise qui ne se limitait pas à la plomberie et à la cuivrerie d’art, mais recouvrait une activité semi-industrielle9 : appareils hydrauliques, création d’appareils sanitaires et systèmes d’éclairage10. Secteur, aussi déterminant financièrement pour l’entreprise que celui de la restauration et de la création d’ornements d’architecture.

9 Quant aux revues techniques et savantes, monographies de monuments ou journaux populaires, ils contribuent à mieux cerner le rôle social de l’entreprise et à apprécier auprès des critiques de l’époque la réception et la diffusion des œuvres de grande cuivrerie d’art. Cette lecture éclaire également la nature des collaborations qui souvent se sont nouées entre architecte et ingénieurs, aux côtés de l’artisan d’art ou du fabricant.

10 Enfin l’excellence, la singularité de la grande production de l’atelier Monduit viennent en filigrane questionner le débat entre art et technique qui, sous le second Empire et la troisième République, a diversement animé la scène artistique nationale.

Diversification de la production de l’entreprise : ce que révèlent les almanachs et annuaires du commerce et du bâtiment.

11 Cette source documentaire variée, destinée essentiellement aux professionnels du bâtiment, révèle au fil des décennies l’évolution de cette famille d’artisans qui sut également nouer des alliances avec d’autres entreprises afin de garder un niveau d’excellence dans ses réalisations artistiques et industrielles.

12 Trois secteurs d’activités apparaissent dans les annuaires. L’un se réfère au domaine pour lequel l’entreprise Monduit a acquis sa notoriété : maîtrise du fer blanc, couverture, plomberie et cuivrerie d’art. Un autre concerne la distribution d’eau, les

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canalisations et ses dérivés (robinets pour le gaz, le lavabo, garde-robe…) ; un dernier champ, moins renseigné, se réfère aux aspects liés à la fabrication des appareils d’éclairage.

13 C’est d’abord en qualité de maçon que s’inscrit pour la première fois dans l’Annuaire général du commerce judiciaire et administratif de 1839 la mention « Monduit, entreprise de maçonnerie »11. La même année, une autre entrée signale « Monduit le jeune : ferblantier-lampiste »12, indiquant la connaissance et la maîtrise de la fabrication d’ustensiles en fer blanc ainsi déjà que les techniques d’éclairage.

14 En 1847 dans l’Annuaire du commerce et de l’industrie de Didier-Bottin13 dans la rubrique « ferblantier lampiste », on lit « Monduit, jeune, potier d’étain et plombier ». L’utilisation de l’étain, métal de tradition ancienne à la technique peu modernisée au XIXe siècle, est liée à la fabrication d’objets ménagers courants14, ce qui ne pouvait que diversifier la clientèle de la firme. Quant à l’art de la plomberie, elle va constituer le cœur de métier des activités professionnelles qu’exercera la Maison Monduit.

15 En 1853, l’Annuaire du commerce de Bottin-Didot porte cette fois la mention de Monduit fils, plombier, fontainier15, couverture, zinc. Cette énumération donne déjà toute la mesure des qualifications. Le fontainier est d’abord un plombier qui ajoute à ses champs de compétences la réparation, le forage, l’entretien, mais aussi la pose des canalisations ainsi que le repérage des pentes et la création de fontaines. Le plombier est par ailleurs naturellement amené à intervenir sur les couvertures, les ornements en métal, les amortissements et les poinçons.

16 Quant à la maîtrise du zinc, il s’agit d’une spécialité complémentaire, indispensable à celle de couvreur 16 Dans l’annuaire du commerce de Bottin-Didot de 1858 apparaissent les premières listes des travaux de prestige réalisés par la famille d’artisans : Monduit, entrepreneur du château impérial de Saint-Germain-en-Laye, du Palais de la Légion d’Honneur. Mais ce sont les années 1860 qui attestent de l’élargissement professionnel et de toutes les spécialités de l’entreprise Monduit.

17 Ainsi, l’Annuaire du commerce de 1861 mentionne-t-il l’acquisition de la prestigieuse maison des frères Louis-Jacques et Antoine Jérôme Durand17 et l’association avec la maison Béchet. Cette acquisition atteste que l’entreprise Monduit a su autant pour son activité artistique qu’industrielle s’entourer des plus éminents professionnels pour capitaliser et développer le savoir-faire de l’entreprise. L’Annuaire du commerce de 1862 ajoute à la spécialité de la plomberie d’art les rubriques portant sur les appareils liés à l’hygiène et au confort domestique bourgeois. (ill. 2) On trouve ainsi le nom de l’entreprise Monduit à la fois sous les intitulés « garde-robe »18 avec mention de « sièges et appareils inodores, tuyaux pour chute d’aisance à double emboitement »… Le nom de Monduit apparaît également en tant que « foreurs de puits artésiens ».

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Ill. 2 : Coupe d’une cuvette avec légende

Dessin aquarellé et plume, sans date. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

18 L’Annuaire du commerce de 1864, fait état de la renommée acquise par l’entreprise « plomberie d’art et couverture » ; distinctions acquises lors de l’exposition universelle de Londres en 1862 ; participation aux travaux réalisés par Monduit à Notre-Dame de Paris19 et dans le nouveau Louvre de Lefuel. Une nouvelle rubrique apparaît, sous l’intitulé « Pompes et réservoirs » et se réfère à la distribution d’eau « entrepreneur de la ville de Paris pour les travaux de dérivation de la Dhuis ». L’importance de la firme se reflète également dans la diversification de ses adresses parisiennes, distinguant les ateliers, des bureaux et des magasins d’exposition20. Dans un article de la revue Le Constructeur21 du 15 février 1865, le rédacteur, lors d’une visite du magasin d’exposition de l’entreprise Monduit, commence par évoquer la spécialité acquise en matière d’équipement sanitaire par l’entreprise : « Monduit et son associé Béchet appliquent un système à double emboîtage qui ne laisse passer aucune odeur tant les joints sont hermétiques ».

19 Vient ensuite un long inventaire des travaux de couverture et de plomberie d’art exécutés par l’entreprise, qu’illustre une lithographie, faite à partir d’une photographie de Marville montrant épis de faîtages, mascarons…, témoignage du savoir-faire de « ces véritables artistes »22. Le Répertoire général des archives commerciales enregistre les modifications de statut de l’entreprise. Ainsi apprend-t-on que la société Ph. Monduit ramène en 1873 son capital de 3 000 000 frs à 2 400 000 frs.

20 Les annuaires enregistrent jusqu’à la fin du XIXe et au début du XXe siècle les activités professionnelles que la maison Monduit souhaite voir figurées. Les rubriques ne changent plus guère. Dans l’Indicateur du bâtiment de 1889, ce sont les spécialités de « couverture zinc, plomb, tôleries estampées, repoussées d’ornement » qui sont

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mentionnées, à part égale avec « la distribution d’eau, gaz et les lavabos hydrauliques ». C’est à partir du XXe siècle, qu’un glissement s’opère. L’annuaire Sageret 23 en 1903 privilégie dans la rubrique Bronze les appareils d’éclairage au gaz et à l’électricité, en rappelant fournisseurs de lustres en bronze, lanternes monumentales pour l’exposition de 1889. À la rubrique Canalisation sont énumérés « études et projets de canalisations de ville, parcs et jardins ». À la rubrique Lavabo, sont inscrits « toilettes de tous modèles, poste d’eau en porcelaine, fonte émaillée et étain… ». La branche artistique liée à la couverture et aux ornements d’architecture se réduit, mais ne disparaît pas complètement24. Après la Grande guerre, L’Annuaire industriel de 1925 mentionne essentiellement les installations liées à la « distribution d’eau pour hôpitaux, casernes, maisons particulières et la chaudronnerie industrielle ».

L’entreprise Monduit au service de la modernisation des infrastructures urbaines et du confort domestique.

21 L’activité de fontainier conduite en parallèle avec les chantiers de restauration et de création d’ornements d’architecture marque la vocation semi-industrielle et celle d’inventeur de l’entreprise. Elle correspond à la parfaite maîtrise de la plomberie que la firme avait acquise dès 1853, consacrant dans ce domaine une part de ses activités à la recherche et à l’expérimentation d’appareils de filtrage de l’eau25. Recherches liées dans la seconde partie du XIXe siècle avec l’extension des villes au besoin croissant d’approvisionnement en eau et en gaz. Un dessin au crayon retrouvé aux archives d’architecture du XXe porte la mention « tuyaux de descente des eaux pluviales et des dauphins du palais du Louvre, côté quai », correspondant aux travaux de plomberie réalisés pour le Nouveau Louvre26. (ill. 3)

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Ill. 3 : Éléments de tuyaux de descente en forme de dauphin

Plume et crayon, sans date. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

22 Les Rapports et documents de la ville de Paris de 1880 signalent dans un article de M. Deligny un récapitulatif des travaux exécutés pour la dérivation de la Dhuis en 186327 et destinés à la distribution de l’eau à Paris28. Il s’agit là de grands travaux dont une part essentielle de la fontainerie fut attribuée à la firme Monduit et Béchet qui y participa en tant qu’« entrepreneur pour la ville de Paris ». Par ailleurs, l’hebdomadaire Le Siècle industriel en 1870 29… fait mention de travaux de canalisations en fonte souterraines portant sur la pose de câbles télégraphiques à Paris… Une photographie non datée des archives d’architecture du XXe siècle montre la pose d’une conduite de refoulement entre l’usine d’Ivry et les réservoirs de Charonne à Paris. (ill. 4) L’association en 1872 avec l’entreprise Gaget-Gauthier, spécialiste en couverture mais surtout dans le domaine des travaux hydrauliques, permit à Monduit de travailler dans l’installation de canalisations en province30. Cette maîtrise de la plomberie devait naturellement porter la maison Monduit à se spécialiser en créant pour les besoins domestiques et publics des modèles de meubles de lavabos avec systèmes d’alimentation robinets en bronze, tiges de cuivres, cuvette en zinc, boutons de cristal... De nombreux dessins également déposés aux archives d’architecture du XXe siècle font état de ces prototypes ainsi que de croquis techniques, qu’accompagnent des légendes descriptives, mentionnant les systèmes de réservoirs, de ventilation et d’alimentation en eau. Certains de ces dessins techniques, non datés, décrivent des installations de sanitaires répondant à des commandes publiques et réalisées pour la salle des conférences de la Chambre des députés ainsi que pour la gare Saint-Lazare, (ill. 5) devant correspondre au second projet d’agrandissement de la gare par Juste Lisch après 1889.

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Ill. 4 : Conduite de refoulement

Photographie, sans date. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

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Ill. 5 : Coupes et plans d’installation sanitaire, gare Saint-Lazare

Dessin aquarellé, sans date. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

23 La fabrication de luminaires et d’appareils d’éclairage constitue une autre spécialité de l’activité d’entreprise de la maison Monduit, domaine où elle fut aussi novatrice. Des séries de planches aquarellées31, rehaussées à la gouache, numérotées, avec indication de l’échelle et estampillées Monduit, montrent la création de différents modèles de lustres en fer forgé à gaz, appliques, consoles avec lampier, suspensions pour meubles de billard. Le décor, tiges à enroulements ornées de fleurs de lys, de godrons, de feuilles d’acanthe… témoigne de la parfaite maîtrise des formes du répertoire inspiré de l’éclectisme néo-classique de la fin du XIXe siècle (ill. 6 et ill. 7). Dans ces planches Monduit excelle dans le soin d’exécution de ses modèles, bien éloignés de ceux consignés, dans les catalogues de référence proposés par les grands magasins (Louvre, Bon Marché…) ou encore de ceux fabriqués par l’entreprise Perrin-Grados32. La maison Monduit participait également dans ce cadre à l’installation électrique de demeures privées. C’est le cas pour le château de Langeais pour lequel une planche extraite d’un catalogue montre la création d’un lustre en fer forgé33 (ill. 8). Elle prit part également lors de l’exposition universelle de 1889 à l’installation d’appareils devant renfermer « les régulateurs pour la lumière électrique des galeries, ainsi qu’à la création de lanternes spéciales »34. Malgré le peu d’archives existantes connues à ce jour, consacrées à l’éclairage et aux installations sanitaires, on mesure combien ces fabrications furent régulières et importantes et correspondaient à une part essentielle de l’activité privée et publique de l’entreprise Monduit. C’est le succès de cette activité industrielle qui permit à Monduit pour une large part de consacrer une part de son savoir-faire à de prestigieuses réalisations artistiques, moins lucratives, mais essentielles à la renommée de la maison.

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Ill. 6 : Lampe à pétrole et à bougies

Dessin aquarellé, estampillé Monduit, Fils, sans date. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

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Ill. 7 : Suspension à 5 lampes pour billard

Dessin aquarellé, estampillé, Ph. Monduit, sans date. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

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Ill. 8 : Lustre en fer forgé, château de Langeais

Photographie, sans date. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

L’action d’un patron éclairé de la fin du XIXe siècle

24 Cet aspect correspond à l’engagement d’un patron d’industrie, soucieux autant des intérêts de l’entreprise que de réforme sociale visant au mieux-être de la condition ouvrière. Intention qui s’inscrit dans le courant inspiré du catholicisme social qui se développa sous la Restauration avec la création de multiples sociétés de secours mutuels, héritage des confréries de métier et du compagnonnage. Dans la seconde partie du XIXe siècle, les courants progressistes sont plus particulièrement liés au développement du mutuellisme et de la solidarité que fixent dans un cadre précis, des mesures destinées à une meilleure protection des ouvriers. L’entreprise Monduit incarne ce courant et s’applique à adopter un certain nombre de mesures sociales. Henri intéresse dès 1872 son personnel aux bénéfices de l’entreprise, son fils Philippe crée en 1886 une caisse de prévoyance et de retraite pour ses employés35.

25 Dans le Bulletin de la participation aux bénéfices de 188636, est exposée la situation financière de l’entreprise37 et le dispositif salarial : « Un intérêt sur les bénéfices est attribué à titre gracieux… Il est fixé à 10% des bénéfices nets de l’année. De la somme attribuée à chaque participant, il sera fait deux parts égales : l’une dont l’employé a libre disposition et lui sera versée chaque année, l’autre sera versée à son compte à la caisse de prévoyance et de retraite ».

26 Cette fibre sociale, Philippe Monduit l’a certainement développée au contact de son père Honoré, lui-même proche de Frédéric le Play38, théoricien, économiste et auteur d’une théorie sociale reposant sur les principes de l’épargne et de la prévoyance, de

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l’union indissoluble entre la famille et son foyer et de l’engagement réciproque du patron et de l’ouvrier. Philippe Monduit est également au centre des débats, à la fin du XIXe siècle, sur la nécessité de la formation professionnelle des apprentis, mesure indispensable mais ne devant, selon lui, nullement désorganiser la production industrielle39.

27 La carrière de Philippe Monduit s’appuyait sur l’appartenance à un large réseau professionnel qui le plaçait dans le rôle d’expert dans des domaines aussi divers que celui de la couverture et de la cuivrerie d’art, mais aussi de l’hygiène, des bâtiments, des accidents du travail, des assurances sur la vie, du sauvetage des entreprises40… Membre dès 1879, puis vice-président de 1898 à 1902 de la chambre syndicale des entrepreneurs de couverture et plomberie et de l’assainissement du département de la Seine ; vice-président de la chambre d’industrie et du Bâtiment, en 1900 ; il entre en 1902 à la chambre de commerce de Paris avant d’accéder au poste prestigieux de directeur en 1909, fonction qu’il n’exercera que quelques mois.

28 Le discours de M. Kester, dans Le Bulletin de la chambre de commerce du 11 décembre 190941 au moment de son décès exprime toute la reconnaissance qu’avait acquise au fil des décennies ce grand entrepreneur.

Réception de la maison Monduit dans la presse et les monographies de monuments.

29 La presse savante et populaire, les monographies de monuments relatent de 1865 au début du XXe siècle, à travers les Salons, les expositions, les événements parisiens et internationaux les travaux exécutés par l’entreprise Monduit. Ce que soulignent les commentateurs, c’est l’originalité du processus de fabrication des décors en plomb et des ornements d’architecture réalisés en pièces de cuivre martelé. Articles et ouvrages évoquent les débats sur les arts appliqués à la technique, avec en filigrane la suprématie de l’art français, qu’accompagne presqu’unanimement l’éloge rendu à la famille d’artisan pour son habileté, mise au service du sculpteur ou de l’architecte.

Chantiers de restauration

30 La participation à la restauration des monuments historiques qui orienta les travaux de l’entreprise Monduit et l’introduisit auprès des architectes diocésains et des monuments historiques est connue.

31 De nombreuses références relatent cette immense activité42. L’encyclopédie populaire Le Magasin pittoresque43 dans sa livraison d’avril 1871, retrace l’histoire du château de Pierrefonds, et tout en faisant l’éloge de Viollet-le-Duc, rappelle que les travaux de couverture en plomb reviennent à M.M Monduit et Béchet. Déjà en 1862, Aymar- Bression44 dans Le Journal des travaux de l’académie nationale agricole, manufacturière et commerciale, d’octobre 1862 évoquait le stand de la firme Monduit lors de l’exposition universelle de Londres en 1862 : « On ne nous pardonnerait pas de passer sous silence l’exposition de M.M Monduit et Béchet, les dignes successeurs de M. Durand et des cuivres repoussés sous l’inspiration de nos grands architectes Lassus et Viollet-le-Duc : ce sont les statues colossales de saint Barthélémy et de saint Matthieu, des mêmes dimensions que celles qui ornent la flèche de Notre-Dame45 ».

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32 La réalisation des statues des Apôtres en cuivre martelé constitue un premier essai dans l’exécution d’œuvres monumentales qui aboutira à la réalisation de statues autonomes.

33 L’hebdomadaire populaire Le Monde illustré d’août 1873, montre combien la firme Monduit possédait une parfaite connaissance de tous les métaux ainsi que la technique du chaudronnage. Ainsi est-il relaté le remontage de la colonne Vendôme après la Commune « dont les 274 panneaux de bronze brisés et fendus sont redressés et ajustés dans les ateliers M.M Monduit, Bechet et Cie qui exécutèrent les remarquables plomberies d’art de la sainte-Chapelle, de Notre-Dame ».

34 L’article d’Henri Chabeuf dans Le Recueil mensuel de l’Art chrétien46 se fait, lui, l’écho d’une grande réalisation de la firme Monduit47 : la création en 1893 de huit statues ornant la base de la flèche néo-gothique de Saint-Bénigne de Dijon48 : « Sur les contreforts un peu inclinés l’architecte49 a posé des statues en cuivre repoussée de 2m 65, modelées par Camille Lefèvre… et exécutées au marteau sur des matrices de fonte dans les ateliers de la maison Monduit de Paris et dont la réputation est depuis longtemps consacrée. »

35 La statue en cuivre martelé du saint Michel de Frémiet, couronnant en 1897 le haut de la flèche néo-gothique du Mont Saint-Michel s’inscrit dans la longue lignée des anges exécutés par les ateliers Monduit50, mais la presse et les critiques ne s’attachent pas d’emblée à l’exécution cette œuvre emblématique de l’artisan. C’est au Salon de 1896 qu’est présentée la statue en plâtre du saint Michel51 qui servit de modèle à la statue en cuivre repoussé du Mont Saint-Michel. La presse se fait élogieuse pour le sculpteur Frémiet52. Lors de l’érection de l’archange en 1897, les commentaires des magazines expriment leur admiration, mais nulle mention n’est faite de la maison Monduit. En outre la nature du matériau est rarement identifiée. Le quotidien Le Matin du 30 août 1897, La Chronique des Arts du 21 août 1897, Les Semaines religieuses du diocèse de Lyon et de l’archidiocèse d’Albi… parlent la même année de bronze doré. Ce sont les revues techniques (annuaire du conseil héraldique de France, 1898, puis Le Bulletin de la société de géographie de Rochefort en 1909) qui identifient le cuivre martelé et c’est l’ouvrage plus tardif de Lucien Magne en 191753 qui rend hommage aux ateliers Monduit en présentant l’archange et en rappelant le lien qui unissait, à travers une technique d’excellence, le plombier d’art aux artistes. Il faut ensuite attendre l’exposition de dessins d’architecture, initiée par Franz Jourdain au musée des Arts décoratifs à Paris et que relate le 27 novembre 1931 le quotidien Le Temps pour que soit à nouveau évoqué le Saint Michel de Frémiet exécuté par Monduit en cuivre martelé. Malgré ce retrait des critiques et de la presse, la notoriété des ateliers Monduit était depuis les années 1860 irrécusable. Il a suffi d’ailleurs au maître d’œuvre Petigrand de proposer au ministère des beaux-arts et des cultes un simple marché de gré à gré pour que les ateliers Monduit réalisent l’archange du Mont Saint-Michel54.

Création de grandes statuaires commémoratives.

36 La statue commémorative de Vercingétorix d’Aimé Millet érigée en 1865 sur le site d’Alésia et présentée dans la section des sculptures au Salon de 1865 est l’occasion de renforcer le sentiment national, de célébrer le talent du sculpteur55 et de saluer l’habileté de l’atelier Monduit. (ill. 9) Dans son étude sur le salon de 1865, Jankowitz précise que :

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« Cette statue est exécutée en cuivre repoussé [….] Modeler en feuille de métal, ressouder ensuite tous les fragments de manière à faire un ensemble harmonieux n’est point une tâche facile. Aussi devons-nous rendre justice à l’habileté de MM. Béchet et Monduit qui se sont acquittés avec un grand succès de leur mission.56 »

37 Cette statue monumentale, constitue une démonstration montrant l’adaptabilité et la faisabilité autant technique qu’artistique du cuivre repoussé57 utilisé à grande échelle. Elle éclaire la démarche de la maison Monduit dont la quête d’une amélioration technique se caractérise autant par le maintien d’une culture des métiers traditionnels que par l’adoption de protocoles innovants, visant à mieux adapter le produit à la demande58. Modèle de référence, le Vercingétorix de Millet allait inspirer les sculpteurs, Auguste Cain, Emmanuel Frémiet, Auguste Bartholdi, Georges Récipon, tous familiers des ateliers Monduit. Cette postérité ne se démentira pas. L’historien d’art Salomon Reinach évoque dans un article en 191059 le rôle de Lacordaire et de Napoléon III dans la décision d’ériger la statue du héros gaulois et mentionne les noms de Monduit et Béchet dans la réalisation en cuivre repoussé de cette grande statuaire60.

Ill. 9 : Statue de Vercingétorix, Salon de 1865

Photographie. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

38 La fabrication de la « statue de la liberté éclairant le monde », destinée à commémorer le centenaire de l’indépendance américaine, déclenche dans la presse d’élogieux articles où se mêlent fierté nationale, foi dans le progrès et prouesse technique. L’annonce de la fabrication de la statue par les ateliers Monduit, Gaget-Gauthier est relayée dans la revue consacrée à l’exposition illustrée de Philadelphie du 18 juin 1876. La Gazette des lettres de décembre 1877, insiste sur le symbole de l’union franco- américaine de la statue et rend hommage à Bartholdi et à la maison Monduit. Un an plus tard, le journal littéraire Le XIXe siècle du 10 juin 1878 évoque avec emphase dans

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un article de Philibert Bréban le lent cortège dans Paris de la tête monumentale de la statue : « La tête de la statue est sortie des ateliers Monduit, Gaget et Gauthier, portée par un fardier de 16 chevaux […]. La tête fait huit mètres de hauteur et pèse 8000 kilos […], l’émotion se manifestait par les cris de Vive la République et par le chant de la Marseillaise […] on n’avait nulle idée de la majesté de cette tête […] de la profondeur du regard qui donne une expression superbe de foi dans l’œuvre civilisatrice dont elle est le symbole… ».

39 L’article de Charles Talandier extrait de la revue technique Le Génie civil de 1883 consacre vingt-cinq pages à la mise en œuvre technique de l’œuvre qui fut achevée par les ateliers Gaget-Gauthier61. Il décrit la figure d’étude faite au 1/16e, modèle grandi au ¼ puis divisé par sections, évoque la construction en cuivre repoussé supporté par une armature de fer…, rappelle le statut de référence qu’avait acquis chez Bartholdi le Vercingétorix de Millet, fabriqué par l’atelier Monduit et démontre combien le cuivre par sa légèreté et sa durée permet la reproduction des ornements et des statues colossales, en les obtenant d’un poids tout-à-fait minime relativement à leur volume… Dans le Rapport sur l’exposition de 1889, Alfred Picard62 dans un chapitre sur les bronzes les fontes et la ferronnerie d’art, célèbre « l’œuvre moderne la plus considérable, la statue de la liberté, statue colossale qui fait le plus grand honneur à l’industrie française » et rend hommage aux œuvres de MM Gaget-Gauthier et Cie et Monduit.

Création d’édifices civils urbains.

40 Ces mêmes arguments en faveur du cuivre avaient déjà été évoqués en 1869 par Charles Garnier dans son essai À travers les Arts63puis abondamment exposés dans sa monographie dédiée au Nouvel opéra de Paris en 1878 (ill. 10). C’est l’occasion pour l’architecte64, à travers un éloge très appuyé à la firme Monduit et Béchet de rendre compte de la mise en œuvre technique et du choix adopté pour la couverture et les ornements de l’Opéra. La grande coupole centrale de la salle, les pavillons latéraux ainsi que le décor sculpté sont réalisés en cuivre repoussé65. Le choix d’une couverture en cuivre relève autant de l’urgence du calendrier de chantier que d’une contrainte technique. Les coupoles devaient impérativement, pour l’architecte, être peintes avant leur pose définitive. Ainsi seule une calotte en cuivre de vingt-quatre segments pouvait s’assembler et se démonter à volonté66. L’architecte rappelle les qualités du matériau : « la ductilité du cuivre se prête facilement à recevoir la forme concave et le fer pour former les armatures à cause de sa plus grande résistance aux déformations ». La légèreté permet de ne pas charger les fermes du comble, la répétition des motifs67, la durabilité et le coût moindre du matériau, complètent les arguments en faveur du cuivre. Garnier s’attarde à décrire certaines phases, toutes artisanales, de la fabrication des ornements en cuivre (masques, aigles68, proues, orifices ornés…). « Tous les modèles des sculpteurs étaient moulés par une gangue de fonte qui formait la matrice et dans laquelle on introduisait le cuivre en l’enfonçant. On l’emboutissait au moyen d’outils en bois dur frappés par un maillet… L’exécution ne laissait d’exercer la sagacité de l’ouvrier, qui devait emboutir ou restreindre le cuivre de façon à lui faire prendre la forme exacte du moule, sans changer d’épaisseur. Quant aux pièces trop peu nombreuses pour exiger la fonte d’un moule, des ouvriers expérimentés repoussaient directement le métal au jugé. ».

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41 L’aspect lié à la fidélité due à l’œuvre originale, constitue un argument particulièrement éloquent : « Jamais la reproduction n’a fait tort aux modèles ». L’éloge de la firme Monduit est sans conteste. « C’est la maison Monduit et Béchet qui a exécuté ce travail considérable […] et avec une grande perfection, une grande rapidité [….] Je voudrais que les personnes pussent monter au-dessus de la coupole centrale et examiner de près le travail de MM Monduit et Béchet […] cet examen pourrait leur donner l’idée de patronner le cuivre repoussé ».

42 La reconnaissance de Garnier témoigne que l’entreprise, au-delà d’un savoir-faire acquis de longue date, fonctionnait comme un laboratoire, améliorait, transformait un produit, en en contrôlant les étapes de faisabilité pour le rendre à la fois efficient et attractif.

Ill. 10 : Opéra de Paris, coupole latérale

Photographie, sans date. Fonds Mesureur et Monduit fils. © CNAM / SIAF / cité de l'architecture et du patrimoine / archives d'architecture du XXe siècle

Le débat entre art et technique

43 La réception chez les critiques, architectes et artistes des œuvres exécutées par l’entreprise Monduit atteste de la place particulière acquise par l’atelier et cette reconnaissance reflète aussi en filigrane les discours liés à l’époque entre partisans d’un art autonome délivré de la machine et ceux qui tentent une conciliation entre les arts, l’industrie et les techniques. Dans cet enjeu où s’affrontent une certaine idéologie du progrès et la soumission à la matière, c’est souvent l’architecture qui livre les exemples les plus convaincants69 d’une alliance acceptable entre les arts et la technique. La restauration et la création de nouveaux édifices civils urbains, auxquelles l’entreprise

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Monduit a tant participé, attestent de l’emploi et du traitement innovant des matériaux liés autant à la structure des édifices qu’au programme décoratif de l’architecte et du sculpteur. L’usage du cuivre repoussé devient un des symboles de la modernité au même titre que la fonte de fer ou le zinc. Programme décoratif répondant même chez certains architectes à l’instar de Garnier, comme le souligne Jean-Michel Leniaud, jusqu’à « réduire la structure architecturale à une place secondaire au profit de la « peau » de la construction ».70

44 Ainsi les grandes coupoles de cuivre et la lanterne de l’Opéra Garnier, réalisées semi- artisanalement par Monduit71 répondent autant aux contraintes techniques qu’au projet esthétique de l’architecte et participent d’un réel ennoblissement de l’édifice où le bâtir et l’orner apparaissent comme deux composantes indissociables. Les grands quadriges du sculpteur George Récipon, situés aux extrémités de la verrière de fer et de verre du Grand-Palais, réalisés à l’occasion de l’Exposition 1900, fournissent un autre exemple de cette coopération entre art et technique. Suspendus en encorbellement au- dessus du vide, les attelages d’inspiration baroque réalisés en cuivre martelé par la maison Monduit, magnifient les parties hautes du bâtiment72 en en allégeant visuellement la structure. Les groupes des pylônes et les cartouches du pont Alexandre III de Récipon sont aussi signés Monduit.

45 Le foisonnement du décor des parties hautes de l’Hôtel de ville de Paris reconstruit de 1874-1882 et dont l’ornementation des toitures et des figures ont été fabriqués par Monduit, (campanile, crêtes, stryges, écuyers, lucarnes ornées, cartouches…), ressuscitent, sous l’égide protectrice de la Troisième République, la puissance symbolique de la cité. Une certaine Beauté liée au programme décoratif avec ses déclinaisons ornementales peuvent ainsi au sein même du programme architectural être saisies distinctement. Les œuvres toujours visibles des réalisations de la maison Monduit rappellent que cet artisan-entrepreneur a été le témoin et l’acteur discret d’une pensée qui permettait aux architectes, aux sculpteurs et au fabricant de se côtoyer, de s’apprécier et de collaborer utilement afin de « tirer la beauté de la nécessité même, de faire tourner l’utile au profit de l’élégance73 ».

NOTES

1. Jean-Pierre Gourden, Le Peuple des ateliers, les artisans au XIXe siècle, Paris, Créaphis, 1992, 164 p. 2. L’activité familiale de cette entreprise remonte à Philippe Clair Monduit (1802-1875), puis à son fils Louis Honoré Monduit (1824-1893) et à Philippe Monduit (1857-1909), fils d’Honoré Monduit. L’atelier fondé en 1829, cesse son activité en 1970. 3. Gabrielle Pasquier-Monduit (1910-2009), arrière-petite-fille de Philippe Monduit. 4. Ce fonds comprend une quarantaine de pièces d’ornements d’architecture et correspond aux activités liées à la restauration des monuments historiques, à la création d’édifices civils urbains, aux statues commémoratives et à la participation de

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l’atelier Monduit aux expositions universelles. On précisera également que la grande maquette du château de Pierrefonds en pierre de Saint-Pierre d’Aigle, réalisée sous la direction de Viollet-le-Duc par Lucjan Wiganowski, inspecteur des travaux, a été complétée pour l’ornementation (crêtes, épis, poinçons…) par la maison Monduit. Cette maquette, présentée lors de l’exposition universelle de 1878 à Paris, avait été ensuite offerte au musée de Cluny par M. Mozet, entrepreneur des travaux de Pierrefonds. Voir Catalogue et description des objets d’arts de l’Antiquité du Moyen-Âge et de la Renaissance, par E. Du Sommerard, 1883, p. 32. Cette maquette est désormais présentée au château de Pierrefonds. 5. Le Saint Michel de Frémiet en cuivre martelé provenait du fonds d’ornements d’architecture qui avait été précédemment déposé au château de Pierrefonds en 1970. 6. Voir le catalogue Le Mont-Saint-Michel, l’archange et la flèche, Paris, CNMHS, 1987, 160 p., et en particulier l’article de Colette di Matteo, dédié aux ateliers Monduit, p. 129-139. 7. Dorothée Kaiser avec la conservatrice en chef au musée d’Orsay Caroline Mathieu entreprit de 1992 à 1996 un inventaire détaillé et rédigea les notices des pièces de plomb et de cuivre martelées présentés au public au château de Pierrefonds. 8. Robert Dulau, Dorothée Kaiser, L’Atelier Monduit, une collection d’ornements d’architecture, Paris, Éditions du Patrimoine, 2011, 47 p. 9. Le terme d’industrie dans la seconde partie du XIXe siècle ne fait pas spécifiquement référence à la grande production mécanisée du travail, on parle alors plutôt d’industrie manufacturière ; l’industrie désigne avant tout l’habileté et le savoir-faire mis au service de l’exécution d’un métier. Voir Jean Pierre Gourden, op.cit. 10. Le fonds Monduit, du centre d’archives du XXe siècle, et non encore traité a été déposé par le CNAM en juillet 1987. Le CNAM l’avait antérieurement reçu en 1970, date de la fermeture de l’atelier Monduit, rue de Chazelles à Paris. Le fonds du centre des archives du XXe siècle comprend des photographies sur les réalisations emblématiques de l’atelier, mais surtout possède des documents techniques inédits relatifs aux travaux d’éclairage et de fontainerie de ce grand fabricant. 11. Plus précisément maçon en gros murs en référence aux murs porteurs. Il s’agit, selon toute vraisemblance, de Philippe Clair Monduit (1802-1872). Deux adresses parisiennes apparaissent : 145 quai de Valmy et 87 rue de Vaugirard. 12. Le ferblantier, concurrençant la fabrication en cuivre et en étain, confectionne à l’aide de feuilles de fer blanc une grande variété d’ustensiles : tuyaux de conduite d’eau, cuisinières, califacteurs, baignoires à réchaud… Il maîtrise différentes techniques de soudure. Le métier de lampiste, considéré au XIXe comme un art d’industrie, recouvre tous les systèmes d’éclairage (Lampes à bec plat, réflecteurs opaques, globes…) et exige une connaissance précise de la combustion et des propriétés physiques de la lumière naturelle et artificielle. Voir Lebrun, Manuel de ferblantier-lampiste, Paris, librairie encyclopédique de Roret, 1830, nombre de pages non spécifié. 13. Publié sous divers titres depuis la fin du XVIIIe siècle, cet annuaire contient l’inventaire des commerçants, fabricants, corps d’État, administrations, établissements publics et s’étend de la France entière aux colonies. 14. Comptoirs de café, entonnoirs, couverts, robinets, brocs, récipients de mesures… Voir G. Laurent, Potier d’étain et poids et mesure. L. Mulo, éd. Roret, Paris, réédition de 1909, 468 p.

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15. Claude Mathieu de la Gardette, L’Art du plombier-fontainier, Paris, 1773, 226 p. 16. La technique du zinc par découpage, cintrage, soudures à l’étain fait aussi référence à la pose de chéneaux, de tuyaux de descente d’eaux pluviales ainsi qu’à la confection d’ornements d’architecture : girouettes, coqs d’église… 17. Le nom de Durand, plombier-fontainier, est mentionné aux côtés du charpentier Bellu à propos de la nouvelle flèche de la Sainte-Chapelle dans la Notice historique de la Sainte-Chapelle de Paris, éditée en 1855 par Nicolas Michel Troche. Par ailleurs, les maisons Durand, Monduit et Béchet font l’objet d’une brève biographie écrite dans Le Génie civil de janvier 1890. Un article de N. Sennevoy relate que « la maison Durand fut chargée par Lassus de la restauration de la flèche de la Sainte-Chapelle et par Viollet-le- Duc de celle de Notre-Dame. La maison Durand fut l’auxiliaire de toutes les restaurations monumentales. En 1860, l’établissement fut acquis par Monduit et Béchet, deux praticiens qui poursuivirent l’œuvre de leur devancier jusqu’en 1872. On y retrouve leur industrie perfectionnée dans l’emploi du cuivre. Citons, le Vercingétorix de Millet, le dôme des Invalides, ceux de cuivre de l’Opéra, les flèches de plusieurs églises et l’ornementation de nombreux châteaux ». Voir l’article de Jean-Marc Hofman : « L’irrésistible ascension de Louis-Jacques Durand », dans Viollet-le-Duc, catalogue de l’exposition à la cité de l’architecture et du patrimoine, Paris, Norma Éditions, 2014, p. 52-59. 18. L’acception « garde-robe » fait référence aux lieux d’aisance, puis à la cuvette de faïence munie d’un piston, fabriquée par les plombiers anglais. 19. La maison Monduit participa avec l’entreprise Durand à la restauration de la flèche de Notre-Dame et à la réalisation des douze apôtres en cuivre martelé, réalisés sous la maîtrise d’Eugène Viollet-le-Duc et du sculpteur Geoffroy-Dechaume. 20. Ateliers situés au 104 boulevard Monceau, les bureaux, au 4 rue Fournial, les magasins d’expositions au 50 rue Caumartin. C’est à partir de 1862 que les activités de l’entrepreneur seront concentrées au 25 rue de Chazelles dans le XVIIe arrondissement de Paris. 21. Revue bi-mensuelle, consacrée aux industries du bâtiment : travaux publics, docks, magasins généraux et constructions. 22. « Comme entrepreneur de couvertures, on doit à cette maison une toiture en fonte qui présente des avantages, tant pour la légèreté que pour sa durée. Ce sont des tuiles en fonte, de toutes formes et de toutes dimensions, enduites d’une préparation qui préserve de l’oxydation. Cette maison a obtenu aux expositions des médailles, celle de Paris en 1855, de Londres en 1862. Cette maison a exécuté la plomberie de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, du dôme des Invalides, du Palais des Tuileries et de beaucoup d’autres monuments importants. Elle se distingue par un goût et une pureté d’exécution qui font honneur aux véritables artistes employés par MM. Monduit et Béchet. Une visite à leur magasin d’exposition rue Caumartin nous a émerveillés sous le rapport du fini de certaines pièces joint au bon marché auquel on peut les obtenir. » 23. Annuaire du bâtiment, des travaux publics et des arts industriels à l’usage des architectes ingénieurs, Paris, Sageret, 1866-1914, nombre de pages non spécifié. 24. Citons de 1926 à 1932 les travaux de plomberie et de la re-création du grand lion qui somme le beffroi de l’hôtel de ville d’Arras, détruit pendant la guerre de 1914-1918, En 1921, les ouvrages en plomb de la basilique de Lourdes, la réfection de la couverture de

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plomb de la cathédrale de Reims en 1938. Colette di Matteo, dans Le Mont Saint-Michel, l’archange, la flèche (Paris, 1987) mentionne également les contributions de Monduit avec l’architecte Yves-Marie Froidevaux dans les couvertures de la cathédrale de Coutances en 1957 et celle avec l’architecte André Sallez en 1961 pour le temple de la Visitation, rue Saint-Antoine à Paris (p. 136). 25. . Le catalogue de brevets d’invention de 1860 mentionne « un filtre avec robinet de la jauge », p. 459 ; le Génie Industriel de 1867 atteste de l’amélioration de cette invention « avec un appareil filtrant en fonte avec robinets de jauge d’arrêt en bronze », p. 258. 26. . L’entreprise Monduit participa d’abord avec l’entreprise Durand à la création Nouveau Louvre sous Napoléon III, puis à la reconstruction des pavillons de Marsan et de Flore après l’incendie de la Commune. La firme Monduit exécuta ainsi, sous la maîtrise d’œuvre de Lefuel, maints travaux de couverture et de plomberie d’art : Arch de France : pour le Nouveau Louvre de 1858 à 1868 : F21 1698 ; F21 1722 ; F21 1736. Pour les pavillons de Flore et Marsan de 1871 à 1875 ; F21 3463/A ; F21 3463/B ; F21 3466/B CP/64AJ/571/1. 27. L’article précise que la rivière qui prend sa source dans le département de la Marne a fait l’objet de la création d’un aqueduc enterré, décidé en 1863 sous la maîtrise d’œuvre d’Eugène Belgrand et qui conduisait les eaux du bassin de la Dhuis aux réservoirs de Ménilmontant à Paris. 28. Il s’agissait, rappelle le rapport de M. Deligny, d’améliorer la distribution en eau des XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements, nouvellement intégrés à la ville de Paris sous Napoléon III. 29. L’adjudication porte précisément sur l’établissement de câbles souterrains situés près des points où les chemins de fer du Nord et de l’Est traversent les fortifications de Paris. Le montant du rabais accordé par Monduit et Béchet est aussi précisé : 32% ainsi que le montant des travaux : 14 330 frs. 30. L’entreprise Monduit-Gaget Gauthier travailla aux installations hydrauliques au Havre, à Lisieux, Chalon-sur-Saône, Toulon, Nice, Menton… 31. Fonds des archives d’architecture du XXe siècle. 32. Fabricants de décoration métallique de zinc, plomb et de cuivre. 33. Fonds des archives d’architecture du XXe siècle. 34. Monographie de l’exposition universelle de 1889 de A. Alphand, tome I, p. 395. Paris, 1892. 35. Le personnel de l’entreprise Monduit varie, dans la décennie 1880 selon les données publiées par l’étude pratique de la participation du personnel de 300 à 400 employés. 36. Bulletin publié par la société pour l’étude pratique de la participation du personnel dans les bénéfices. 37. L’ancienne maison Monduit, Gaget et Cie est une société en commandite au capital de 1 500 000 francs, soit environ 4 800 000 euros au taux actuel de réactualisation de l’Insee. 38. Frédéric Leplay (1806-1882), fut également le commissaire général de l’exposition universelle de Paris en 1867 à laquelle contribua Honoré Monduit. Son fils Philippe Monduit était par ailleurs membre de la société d’économie sociale et des unions de la paix sociale, qu’avait fondée Frédéric Le Play.

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39. Philippe Monduit en tant que chef d’entreprise est concerné par l’apprentissage technique des jeunes gens de moins de dix-huit ans. Soucieux d’une bonne organisation du travail, il est hostile comme nombre de ses collègues des chambres de commerce, à un projet de loi qui instaurerait une formation obligatoire pendant le temps de travail. Le Bulletin de la société industrielle de l’Est d’octobre 1909, p. 24-26, relate sa prise de position : c’est, dit-il « apporter une perturbation au fonctionnement de l’industrie… ». 40. Le Bulletin de la chambre de Commerce de mai et juin 1903 évoque les rapports demandés à Ph. Monduit sur les assurances sur la vie, le service des ordures ménagères et les accidents du travail et la responsabilité des patrons en cas de faillite, celui de juillet 1905 sur les procédures de saisies, celui de 1907 concerne un projet d’impôt sur les administrateurs de société… 41. Le bulletin fait le récapitulatif d’une part des fonctions exercées par Philippe Monduit : « Il est membre en 1903 et 1904 de la Commission administrative de l’École supérieure pratique de commerce et d’industrie […] il fait partie des commissions des Douanes, de l’Enseignement commercial […] Il rédige des rapports pour la chambre de Commerce sur le contrôle et la surveillance et la faillite des sociétés d’assurances ; des accidents du travail ; organisation des cours professionnels », p. 1576-1577. 42. Un inventaire établi par départements et par villes en France et à l’étranger en 1994 par Mme Gabrielle Pasquier-Monduit donne une mesure quantitative des travaux (restaurations et créations) exécutés pendant la période d’activité d’Honoré et de Philippe Monduit de 1850 à 1909. 104 sites concernent les édifices cultuels. 61, les châteaux, 72, les édifices civils urbains. 43. Dirigé par Édouard Charton (1807-1890), directeur de publications et homme politique qui prôna sa vie durant la promotion du peuple par l’éducation et l’instruction. 44. Pierre-Aymar Bression, Histoire générale de l’exposition universelle de 1867 : les puissances étrangères, Paris, Imp. J. Claye, 1868, 296 p. Breysson (1815-1875) était directeur de l’Académie nationale de la société française de statistique universelle. 45. Les sculptures originales des apôtres en cuivre martelé ont été faites à Notre-Dame de Paris sous la maîtrise d’œuvre de Viollet-le-Duc, par Geoffroy-Dechaume. C’est l’entreprise Durand à laquelle la maison Monduit participa qui en a assuré la fabrication. À l’exposition de Londres de 1862, Monduit montre une réplique parfaite à échelle 1 des saints Matthieu et Barthélémy provenant de son magasin d’exposition du 50 rue Caumartin à Paris dans le VIIIe arrondissement. 46. Recueil mensuel d’archéologie religieuse publié de 1857 à 1914, fondé par l’abbé J. Corblet (1819-1886) 47. Les statues de Saint-Bénigne de Dijon dont la duchesse Alix de Vergy, Etienne de Barbisey ont été amplement reproduites dans les catalogues édités par Monduit et destinés à ses clients. Les répliques sont désormais présentées au château de Pierrefonds. 48. Jean-Michel Leniaud, « Les flèches au XIXe siècle », dans le catalogue de l’exposition Le Mont Saint-Michel, l’archange, la flèche, op.cit., p. 17-29. 49. Charles Suisse (1846-1905) nommé en 1876, architecte diocésain de la cathédrale Saint-Bénigne de Dijon fut chargé de la flèche de la cathédrale.

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50. Ceux de cuivre de Geoffroy-Dechaume à Notre-Dame de Paris, l’archange de Louis Meunier, dessiné par Viollet-le-Duc de la chapelle de Pierrefonds en 1867, l’ange en plomb martelé de la collégiale Saint-Martin de Montmorency en 1882. 51. Statue en plâtre réalisée à partir d’un exemplaire d’édition en bronze présenté au Salon de 1876. 52. . Le journal Le Matin du 16 février 1896 évoque « une œuvre souveraine ». La Revue des deux-Mondes dans l’article de Georges Lafenestre parle du « caractère épique et triomphant de l’archange ». 53. Lucien Magne, Décor du métal, le cuivre et le bronze, Paris, Laurens, 1917, 200 p. : « C’est au plombier Monduit que revient l’honneur d’avoir rétabli dans ses ateliers ce travail de martelage dont on fit la première application pour la flèche de Notre-Dame reconstituée par Viollet-le-Duc. Depuis cette époque, les meilleurs parmi nos statuaires, Mercié, Frémiet, comprenant la valeur de ce procédé de travail n’hésitèrent pas à lui fournir des modèles d’un beau caractère et parfaitement adaptés à la technique. », p 119. 54. Lettre de V. Petitgrand au ministère de l’instruction publique, des beaux-arts et des cultes du 11 février 1896. Archives de la Médiathèque du patrimoine ; 769. Cité par Colette di Mattéo, op. cit., p 120. 55. À ce propos, Jankovitz déclare . « Au centre de l’exposition, se dresse le Vercingétorix de Millet […] le héros gaulois est debout […] sa corpulence est celle d’un Titan […], son costume est composé autant de science que de sentiment pittoresque. » 56. Parfois, le jugement est plus nuancé. Dans Le Monde illustré de juillet 1865, le critique Théophile Gautier fils, admire « la mâle figure du défenseur gaulois », mais s’étonne « qu’elle ne soit pas en bronze, mais composée de feuilles de cuivre repoussé ». L’auteur décèle dans l’exécution faite dans les ateliers de MM. Monduit et Béchet un défaut grave : « Cette technique ne reproduit pas fidèlement la pensée de l’artiste ». Cette réflexion témoigne que la technique du cuivre martelé, dans la statuaire monumentale, ne fait pas encore chez les critiques l’unanimité et qu’on lui préfère la tradition du bronze coulé. 57. Les ateliers Monduit réaliseront nombre de statues monumentales. L’Inventaire général des richesses d’art de la France mentionne en 1876 la statue de la Vierge à l’enfant érigée lors de la construction de la nouvelle église Saint-Bernard à Paris ; la monographie consacrée au Palais du Trocadéro (Paris, Morel, 1878, 200 p.) consacre un passage sur la réalisation de la Renommée, d’Antoine Mercié, qui couronnait la lanterne de la salle des fêtes. 58. La technique du cuivre repoussé correspond en fait à une extension du procédé technique appliqué initialement au plomb. Les feuilles de plomb étaient antérieurement d’épaisseur inégale et coulées sur le sable. Monduit transforme le procédé en faisant laminer industriellement les feuilles pour qu’elles acquièrent alors une épaisseur égale. Une autre innovation consiste à s’inspirer d’une technique jusque là réservée à l’orfèvrerie. Ainsi, la fabrication du décor ou de l’ornement de plomb est exécutée par repoussage de la feuille de plomb sur une matrice en fonte possédant l’empreinte du motif à reproduire. Le cuivre se travaille de la même manière que le plomb, il exige la même justesse et la même habileté des ouvriers, mais doit être réchauffé pour être ensuite martelé à froid sur la matrice. Voir Dorothée Kaiser, op. cit., p. 44-45.

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59. Revue archéologique, tome XV, janvier-juin 1910, p. 184-185. 60. Deux grandes sculptures commémoratives parisiennes de Bartholdi furent également fabriquées par les ateliers Monduit. Le Lion de Belfort, érigé en 1881 rappelant la résistance du colonel Denfert-Rochereau lors du siège de Belfort en 1870 et le Ballon des Ternes, réalisé en 1903 à la mémoire des aéronautes lors de la guerre franco- prussienne. Il fut détruit et fondu en 1941 sous le régime de Vichy pour contribuer à l’effort de guerre allemand. 61. Honoré Monduit est amené à quitter ses associés Gaget-Gauthier en 1880. Ce sont ces derniers qui achèveront la statue de la Liberté. Honoré Monduit constitue alors avec son fils Philippe une nouvelle société : Mesureur, Monduit fils qui durera jusqu’en 1890. 62. Alfred Picard, Exposition universelle et internationale de 1889, rapport général, Paris, Imprimerie nationale, 10 volumes, 1891-1892, t. VI, p. 164-168. 63. Charles Garnier, À travers les Arts, causeries et mélanges, chapitre IX, reproduction métallique des œuvres d’art. Paris, Hachette, 1869, 328 p. L’architecte rappelle le travail de repoussage et de martelage du cuivre exécuté par Monduit et Béchet dans la restauration de l’embase de la flèche des Invalides, dans la statue du Vercingétorix de Millet et des coupoles de l’Opéra. Il distingue les pièces artistiques utilement faite par la galvanoplastie, des pièces ornementales en cuivre martelé qui donnent « liberté d’exécution, variété tout en conservant l’aspect général lorsque la pureté de la forme est nécessaire au beau et plutôt qualité lorsque l’ensemble doit frapper les yeux. », p. 141-144 64. Charles Garnier, Le Nouvel opéra de Paris, Paris, Ducher et Cie, 2 volumes, 1878 et 1891. Voir les chapitres consacrés, tome I, au plafond du peintre J. Lenepveu, p. 163-181 et celui dédié à la coupole extérieure de la salle et de celles des pavillons, p. 301-313. 65. Charles Garnier rappelle que c’est la statue monumentale du Vercingétorix de Millet qui dicta son choix pour la réalisation des coupoles en cuivre de l’Opéra de Paris. 66. La maniabilité des feuilles de cuivre, transportables et détachables permettait au peintre Jules Lenepveu de réaliser son décor peint avant la pose définitive de la couverture. 67. Il s’agit ici des feuilles de cuivre de mêmes dimensions utilisées pour les dômes. 68. Il s’agit du sculpteur Auguste Caïn (1821-1884) avec lequel la firme Monduit travailla à l’hôtel de ville de Paris. 69. Jean-Pierre Leduc-Adine, « Les Arts et l’industrie au XIXe siècle », dans Romantisme, 1977, n°55, p. 67-78. 70. Jean-Michel Leniaud, extrait de la leçon d’architecture donnée à la cité de l’architecture et du patrimoine le 20 janvier 2014. Voir également du même auteur Charles Garnier, Paris, Éditions du Patrimoine, 2003, 175 p. 71. Livraison industrielle des feuilles de cuivre et mise en forme par battage de la feuille, silhouettage, cuisson, martelage… 72. Autre sculpture monumentale Le Génie des arts, œuvre d’Antonin Mercié, réalisée en 1878 orne le fronton du pavillon Lesdiguières au Louvre. Haut relief en cuivre martelé fabriqué par la maison Monduit, il a remplacé le Napoléon III à cheval de Barye que la troisième République avait fait enlever.

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73. Charles Blanc, Revue des Arts Décoratifs, décembre 1880, cité par É. Corroyer dans le rapport du jury de la troisième section sur les métaux usuels à propos de l’exposition organisée par l’Union centrale des Beaux-Arts, appliqués à l’industrie, p 302.

RÉSUMÉS

L’atelier de plomberie et de cuivrerie d’art Monduit fut, durant la seconde partie du XIXe et le début du XXe siècle, l’un des plus éminents représentants de la diversification progressive des activités des artisans et des industriels de l’époque. Essentiellement connue pour sa participation aux restaurations de monuments historiques, la fabrication d’ornements d’architecture et de statues monumentales prestigieuses, l’entreprise Monduit prit également une part active à l’amélioration des infrastructures urbaines et à la création de luminaires. Annuaires, revues techniques, presse savante et populaire aident à apprécier l’étendue des savoir-faire de cet atelier, son rôle social ainsi que la place emblématique qu’il acquit au fil des décennies sur la scène artistique nationale. L’installation de réseaux de canalisation d’eau, la fabrication d’appareils d’éclairage, témoignent, entre autre activités, de l’étendue des réalisations de l’entreprise ; cette assise industrielle lui permit de poursuivre la fabrication d’œuvres remarquables reconnues des architectes, des sculpteurs et d’un public cultivé et de porter à un degré d’excellence peu égalé sa maîtrise du métal au service de l’art.

Getting depressed, Jean-Louis Pascal spends a sad end of life. His leaving of the National Library, in 1912, is difficult, even he is succeeded by Ernest Recoura, one of his favorite students he chose to fill his place. He is still passionate about his role as a workshop leader he used to be since 1872 ; his charisma and his students success for winning the Grand Prix de Rome attract many foreign students, coming from America, Switzerland and Austria, and eager to attend his tuitions. At the beginning of the new century, he takes part in the creation of the regional school of architecture and becomes important in the architectural debate, as he used to do throughout his all life writing many papers published in the specialist press, which shows real writing skills. Pascal considered the buildings uniformity, due to the works carried out by the Préfet Haussmann, as “disgusting”. As Charles Garnier did, he stands against styles internationalization and claims for an architecture using local materials, respecting the climate and the regional habits. He will give a proof of this requirement at the early XXth century, for a mansion he designed for a Franco- American couple : the castle of the Doux he considered as one of his most brilliant realisations.

Das Blei- und Kupferatelier Monduit spielte im ausgehenden 19. Jahrhundert und zu Beginn des 20. Jahrhunderts eine herausragende Rolle bei der schrittweisen Auffächerung der Tätigkeitsgebiete von Kunsthandwerk und Industrie. Das insbesondere für seine Beteiligung an Restaurierungsmaßnahmen im Bereich der Denkmalpflege bekannte Unternehmen, das architektonische Ornamente und aufwendig gearbeitete Statuen herstellte, war darüber hinaus entscheidend an der Verbesserung städtischer Infrastruktur beteiligt sowie an der Errichtung von Straßenbeleuchtungen. Über Berichterstattung in der Presse und in wissenschaftlichen Zeitschriften fand das Werk des Ateliers breite Aufmerksamkeit und Bekanntheit, was entscheidend zur Festigung der jahrzehntelangen Ausnahmestellung der Maison Monduit im französischen Kunsthandwerk beigetragen hat. Unter anderem zeugen Kanalisationssysteme und Beleuchtungsapparaturen vom breiten Aktivitätsspektrum des Unternehmens; seine

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Verankerung in der Industrie erlaubt es ihm, auch seine künstlerische Produktion fortzuführen und zahlreiche, von Architekten, Bildhauern und der Öffentlichkeit hochgeschätzte Werke anzufertigen, die Monduits herausragenden Beherrschung der Metallverarbeitung verdeutlichen.

AUTEUR

ROBERT DULAU Robert Dulau, ancien conservateur en chef du patrimoine, a contribué au remontage et à la présentation d’une collection rare de différentes pièces d’ornements d’architecture du XIXe et du début du XXe siècle, réalisées par la maison Monduit. Collection présentée désormais au château de Pierrefonds. Responsable du département des peintures et des vitraux à la cité de l’architecture et du patrimoine au Palais de Chaillot, il participa également dans ce lieu à la reconstruction à échelle à grandeur de l’original d’un des appartements montant-traversant de Le Corbusier pour la cité radieuse de Marseille. Adresse électronique : [email protected]

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Diffusion, réception de l’œuvre d’un artisan-entrepreneur : la maison Monduit Pavillon de Flore, Pavillon de Marsan: Lefuel’s architectural game of mirrors, and lead ornaments (1861-1878) Der Pavillon de Marsan und der Pavillon de Flore, architektonische Spiegelbilder Lefuels und Architekturornamentik aus Blei (1861-1878)

Michel Goutal

1 À peine la liaison du Louvre avec le palais des Tuileries, le grand dessein d’Henri IV, venait-elle d’être réalisée par Napoléon III, qu’un événement tragique, l’incendie des Tuileries lors de la Commune en 1871, entraîna la destruction presque complète du Palais. Chacune des extrémités des Tuileries posait problème : le pavillon de Marsan menaçait ruine et le pavillon de Flore était endommagé. Une reconstruction générale s’imposait et l’architecte Hector Lefuel1 proposait dès 1871 un premier projet destiné à relever partiellement les Tuileries en suggérant le maintien du pavillon central et des annexes construits par Philibert Delorme que venait prolonger de chaque côté la création de galeries ouvertes2. Mais le contexte politique troublé dans la mesure où les Tuileries avaient été depuis la Révolution le symbole du pouvoir exécutif et le souvenir funeste de la guerre civile, empli d’émotion patrimoniale, eut pour conséquence d’enliser les projets successifs sur la reconstruction des Tuileries. Les discussions finirent par aboutir en 1879 à la démolition des ruines des Tuileries, puis en 1883 à leur complet arasement3.

2 Seuls les pavillons de Marsan et de Flore prolongeant les ailes Nord et Sud du Louvre et qui s’intégraient encore structurellement au Palais des Tuileries, furent relevés et leur restauration, ne souleva pas de réel débat doctrinal. Leur état de conservation était cependant très préoccupant, surtout celui du pavillon de Marsan qui était gravement endommagé4.

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3 Dans quels délais, sur quel modèle architectural Lefuel procéda-t-il à la « cicatrisation » de la face Nord pavillon de Flore et à la reconstruction du pavillon de Marsan ? Quelle entreprise participa à la restauration des ornements de couverture et quelles informations apportent à ce sujet les registres d’attachement ? Peut-on déceler des sources d’inspiration dans les ornements en plomb des deux pavillons ?

Lenteur des travaux de reconstruction de Flore et de Marsan

4 Si lors de l’incendie du palais des Tuileries, le pavillon de Marsan, avait été presque détruit, (disparition complète des toitures des combles et des planchers) le pavillon de Flore se trouvait dans un état de dégradation moindre. Les toitures, hormis le comble, les planchers des étages et les intérieurs n’avaient été que peu affectés. (ill. 1)5 À ce sujet, Lefuel rappelait dans l’exposé des motifs, relatifs à la reconstruction et à la réfection des Tuileries fin 1871, « que les excellentes dispositions des pavillons de Flore et de la galerie attenante les avaient préservées de la destruction et que seules les toitures avaient brûlé, les intérieurs ayant subi peu de dégradations ».6

Ill. 1 : Palais des Tuileries, montrant le pavillon de Flore et son aile attenante après l’incendie de la Commune en 1871

Photographie. © Cabinet des arts graphiques du Louvre

5 Dès le 20 juillet 1871, dans une lettre adressée au ministre des travaux publics7, Lefuel demandait un crédit de 2 000 000 frs pour la restauration du Pavillon de Marsan, puis dans une lettre non datée de 1871, 1 500 000 frs pour le pavillon de Flore8.

6 Un courrier de Lefuel adressé le 6 février 1872 au Conseil de bâtiments civils dresse un bref état sanitaire du pavillon de Marsan : « Au pavillon de Marsan se rencontrent toutes les conditions des grands appartements des Tuileries : destruction complète des

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planchers, éboulement des parties supérieures des murs de refend, amoncellement des parties inférieures »…9

7 Une autre lettre de Lefuel du 29/12/1872, adressée au ministre des travaux publics10 réitère le même constat : « Le Pavillon de Marsan a été mal traité, aussi avait-on calculé qu’il faudrait refaire sur ses façades tout pour les consolider et les remettre en harmonie avec celles du pavillon de Flore. Le bâtiment pourrait être largement pourvu à toutes les nécessités de service de la cour des comptes ». Apparaît clairement dans cette lettre de Lefuel son intention de prendre pour référence architecturale le pavillon de Flore.

8 Lefuel demandait aussi de trouver une nouvelle affectation au pavillon de Marsan. Un projet imaginé par Adolphe Thiers ne fut en fait jamais mis en œuvre11 et seules les archives de la Cour des Comptes y furent entreposées jusqu’en 189812.

9 Concernant le gros œuvre du Pavillon de Marsan, un rapport de l’assemblée nationale du 02 avril 1873 fait encore part de la lenteur des travaux et rappelle une nouvelle fois que 2 000 000 frs sont nécessaires13 à la réédification du pavillon de Marsan 14. Malgré ces retards successifs, la restauration du pavillon de Flore était réalisée en 1876 (restitution à l’identique du comble et cicatrisation de la face Nord) et reconstruction complète du pavillon de Marsan achevée en 1878.

Le pavillon de Flore de 1861, référence architecturale

10 La restauration des combles des pavillons de Flore et de Marsan nécessitait au-delà de la réfection des toitures et des planchers la mise en œuvre d’une nouvelle programmation de décors sculptés. Face Nord du pavillon de Flore et décor complet sur trois faces Nord, Sud et Ouest pour le pavillon de Marsan15. Il s’agissait également de recréer les lucarnes des combles, les arêtiers avec leur décor et les ornements de couverture de l’acrotère et de l’arêtier, accompagnant la statuaire. Mais Lefuel ne procéda pas, concernant ces deux pavillons à une création architecturale.

11 Ainsi pour le pavillon de Flore, Lefuel reproduit-il les ornements de couverture qu’il avait lui-même dessinés et créés sur ce même pavillon en 1861 confirmant ainsi ses choix antérieurs. L’architecte avait en effet à cette époque su convaincre Napoléon III de détruire l’ancien pavillon de du Cerceau, jugé dans un état de vétusté préoccupant, et de le reconstruire en gardant les mêmes volumes, mais en en modifiant les percements et en réalisant un imposant comble à quatre étages de lucarnes. Dans la restauration de 1874, l’architecte reprend pour le pavillon de Flore, les mêmes dispositifs architecturaux et pour les parties hautes des toitures le même décor ornemental en plomb qu’il avait déjà exécuté sous l’Empire quinze ans auparavant. Une intéressante photographie des Tuileries faite avant l’incendie de la Commune montre le pavillon de Flore sous Napoléon III. On distingue nettement le dispositif mis en œuvre : comble et ses rangées de lucarnes ornées et le décor de l’acrotère16. (ill. 2)

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Ill. 2 : Palais des Tuileries, montrant le pavillon de Flore avant l’incendie de la Commune

Vers 1868. Photographie. © Cabinet des arts graphiques du Louvre

12 Quant au pavillon de Marsan, l’intention de l’architecte a consisté simplement à réaliser une transposition. Il reproduit pour ce pavillon les ornements de couverture qu’il était justement en train d’exécuter une nouvelle fois pour le pavillon de Flore. Si Lefuel profita de ces travaux pour élargir de sept mètres l’aile Rivoli du côté du Carrousel, il dota le pavillon Marsan d’une façade semblable à celle de Flore. Le pavillon Marsan était ainsi, à l’exception de la statuaire, refait sur le modèle de son pendant, lui- même réalisé à l’identique sur le modèle initialement créé en1861. Dans cette double copie en miroir, le pavillon de Flore devenait ainsi une référence architecturale, dont la transcription exacte au pavillon de Marsan venait apporter pour les deux pavillons Sud et Nord du Louvre17, harmonisation de style, symétrie, échelle et ornementation semblable. Les deux pavillons, désormais amputés des bâtiments des Tuileries, acquéraient ainsi une autonomie architecturale.

13 Les lucarnes des combles et les ornements en plomb, le décor des toitures des pavillons de Flore et de Marsan, loin d’être de simples détails d’ordonnance, contribuent, au-delà de l’étanchéité, de l’éclairage des différents niveaux du pavillon, à l’indispensable phase d’embellissement du programme architectural. Les ornements d’architecture devaient être, après l’incendie de la Commune presque entièrement refaits et le choix du matériau en plomb moulé dont les qualités (aptitude à la fusion, malléabilité, ductibilité) permettaient de reproduire des éléments décoratifs étanches. Il s’agissait de redonner tout son faste à ce palais qui, même amputé du bâtiment des Tuileries, avait été destiné depuis son origine et particulièrement sous le second-Empire aux fêtes et aux fastes18 et se devait désormais de célébrer la puissance de la troisième République naissante.

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L’entreprise du plombier d’art Monduit, chantier et aspects financiers

14 Parmi les entreprises qui soumissionnèrent pour l’ornementation et l’étanchéité des couvertures, les dépouillements des registres d’attachement, provenant de l’agence d’architecture du Louvre et des Tuileries19 indiquent que le choix en matière de plomberie d’art, pour la reconstruction du Pavillon Marsan et du pavillon de Flore, s’est essentiellement porté sur la maison Monduit20 et ses associés, Béchet et Gaget Gauthier. 21 Cette maison avait de longue date acquis en matière d’ornement d’art en plomb et en cuivre une renommée nationale et internationale et avait déjà participé en matière de restauration aux plus grands chantiers de restauration des monuments historiques (Notre-Dame de Paris, le château de Pierrefonds, Saint-Bénigne de Dijon…) , mais surtout l’atelier Monduit avait déjà pris part sous Napoléon III à divers travaux de plomberie au Louvre de 1859 à 1863, sous la maîtrise du même maître d’œuvre, Hector Lefuel (pose de candélabres sur la place Napoléon, travaux de plomberie dans les combles des pavillons Rohan, Turgot, Richelieu, Colbert, Sully, Denon, Mollien et aux constructions de l’aile Sud)22. L’artisan-entrepreneur Monduit avait ainsi toute légitimité pour intervenir à nouveau dans la recréation des ornements en plomb des pavillons de Flore et de Marsan.

15 Les registres d’attachement de 1874 à 1878 qui attestent l’exécution des travaux constituent des documents essentiels à la compréhension et au suivi du chantier. Véritables outils de contrôle, ils dressent tout d’abord au jour le jour pour le pavillon de Marsan et le pavillon de Flore la liste des travaux nécessaires préalables à la reconstruction : réparation, démontage et déblaiements des pièces de plomberie.23 Concernant justement la plomberie, les registres de l’année 1875 font ainsi l’inventaire pour le pavillon de Marsan des travaux de « dégorgement des chéneaux, de réparation de fuite des descentes, de désoudage de l’emboîtement de tuyaux en fonte, de transport de vieux tuyaux, de raccord de chéneaux en plomb et de démontage de vieux tuyaux…. ». En date du mois d’août 1876 le nom de Monduit est également lié à de multiples livraisons de tables de plomb24 effectuées par l’usine J. J. Lavessière et fils à Saint-Denis25 et destinées à l’entreprise Monduit et C ie. Des attachements en date de 1877 indiquent encore la démolition des plombs ornés et unis de type membron… Cette lecture montre qu’il ne fut pas indispensable de réutiliser des plombs anciens.

16 Pour le pavillon de Flore, un attachement du 13 septembre1875, précise également les travaux de réparations nécessaires : « pose de caniveaux et de tuyaux en plomb, livraison de colliers à brides en cuivre de 0,85mm, de visite de chéneaux, de sondage et de dégagements des descentes…»26.

17 Les registres d’attachements du 4 avril 1875 au 26 novembre 1875 relatifs aux travaux exécutés par la maison Monduit, Gaget-Gauthier, viennent apporter d’autres informations complémentaires sur le chantier et rendent compte cette fois de l’installation et du montage des différentes pièces en plomb ornées du pavillon de Marsan. (ill. 3)

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Ill. 3 : Attachement n° 10 bis

En date du 24 avril 1875, F21/3464/B © Archives nationales

18 Les attachements numérotés enregistrent presque journellement l’activité du chantier, la localisation, le nombre de pièces, la nature des pièces installées. Ils précisent également la quantité ainsi que le poids des différentes pièces de plomberie et parfois y est mentionné le nombre d’ouvriers à l’ouvrage : compagnon plombier et son aide… Apparaissent ainsi pour le pavillon de Marsan les éléments structurants : les corps de lucarnes, leur couvrement, l’encadrement haut, l’encadrement des jouées et les serrures, identifiés selon le niveau décroissant de bas en haut qu’ils occupent sur le comble (lucarnes du 1er, 2e, 3e et 4e rang). Parfois leur forme est rappelée : lucarnes carrées du 1er rang, lucarnes ovales du 2e rang… Pour chaque rangée sont généralement précisés le nombre et la nature des motifs ornementaux fixés et soudés sur les lucarnes et qui diversement les accompagnent. Pour les lucarnes du 1er rang, sont mentionnés couronnement et consoles en plomb orné avec feuilles. Pour celle du 2e rang : cordes, feuilles enlacées, embase de flamme, flamme, tête de bélier ; pour les lucarnes du 3e rang, feuille de couronnements, cordes, volutes ; pour les lucarnes du 4e rang, perles, feuilles de couronnement…

19 D’autres parties constituantes du comble sont mentionnées, les arêtiers et leur décor : membron en plomb orné, branches de laurier, torsades. Mais les registres de l’année 1875 ne mentionnent pas le décor de couronnement du pavillon. C’est toutefois une grande partie du répertoire ornemental classique qui est évoqué précisément dans ces registres. Le rappel systématique du poids de chacune des pièces en plomb sert à établir le montant financier dû à l’entreprise et à rappeler que le calcul des résistances des structures porteuses du pavillon a été minutieusement réalisé27.

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20 Un intéressant attachement figuré montre un profil avec l’établissement des modèles pour les membrons et lucarnes en plomb orné du pavillon de Marsan. Ce dessin montre précisément l’ensemble des pièces composant les membrons mis en recouvrement. L’ensemble s’élève à 3,23m (ill. 4). Un profil montre également un des membrons de la galerie Sud28. Un dessin cette fois à grandeur d’exécution en date du 23 janvier 1878 explique le montage intérieur d’un membron avec les pièces de charpente et les tiges métalliques29.

Ill. 4 : Établissement des types servant de modèles pour les membrons et lucarnes en plomb ornés du pavillon Marsan et de la galerie sur la rue de Rivoli

F21/3466/B. © Archives nationales

21 Par ailleurs un projet d’exécution, encre et mine, non signé, mais vraisemblablement de Lefuel, datant de 1874, montre une éloquente élévation de la face Nord, rue de Rivoli, du pavillon de Marsan30 (ill. 5) où apparaissent les différents niveaux du bâtiment, le comble avec les souches de cheminée, une esquisse de la grande sculpture, les pots à feu et le décor orné en plomb. Sur le comble apparaissent ainsi nettement les quatre rangées de lucarnes en plomb qui s’échelonnent en diminuant de gabarit du bas vers le haut. Les motifs ornementaux des lucarnes se simplifiant également progressivement au fur et à mesure de l’élévation.

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Ill. 5 : Projet de reconstruction du pavillon de Marsan montrant l’élévation, le grand comble avec l’étagement des lucarnes, le décor en plomb des arêtiers et de la corniche et les grandes cheminées

Vers 1874, 64.AJ, 534, bis, pièce, 4. © Archives nationales

22 Les éléments en plomb moulé fixés sur l’acrotère sommant le pavillon sont constitués de rosaces, de guirlandes de laurier et de palmettes, la partie inférieure est ornée de feuilles d’acanthes ciselées et de godrons. Il est intéressant de rappeler que le seul assemblage des pièces de plomb du pavillon fixées sur l’acrotère représente pour les faces Nord et Sud un métré de 13,5 m, 17,5 m pour les faces est ouest, soit pour l’ensemble du comble 62 m de linéaire, témoignant de l’échelle monumentale de cette ornementation. (ill. 6) Ce décor en plomb sur les quatre faces du comble, ainsi que l’ordonnance des façades du pavillon de Marsan sont la réplique exacte de celui exécuté au pavillon de Flore.

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Ill. 6 : pavillon de Marsan

Photographie montrant l’ampleur en plomb moulé du couronnement du pavillon de Marsan. © agence Goutal ACMH, Julie Degageux, architecte

23 Enfin, un intéressant détail à grande exécution en date du 24 juillet 1878 montre un membron intérieur du couronnement du pavillon de Marsan. Il convient de noter que sur la charpente métallique sont projetés des assemblages, certains par rivets, d’autres par boulons. L’assemblage métal et bois semble être relativement maladroit. Quant aux ardoises, elles sont posées au crochet pointé. (ill. 7).

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Ill. 7 : Détail à grande exécution du membron intérieur du couronnement du pavillon de Marsan

24 janvier 1878. (On notera que sur la charpente métallique sont projetés des assemblages par rivets et par boulons et que l’assemblage bois et métal se révèle relativement maladroit. Les ardoises sont posées au crochet pointé). 64/AJ/ 515 bis. © Archives nationales

24 La dimension financière constitue un autre aspect intéressant des mémoires. Pour le pavillon de Marsan et de Flore une série de documents provenant du ministère des Travaux publics et datant de 1874, (section des Bâtiments Civils) mentionnent différents mémoires dissociant les sommes successives perçues par l’entreprise Monduit31 pour les travaux de plomberie d’art et de couverture. Pour le pavillon de Flore, en date du 2 février 1874 apparaît un règlement de 75 551,44 francs lié à la plomberie d’art auquel s’ajoute en date du 13 février 1874, une somme de 29 054,40 francs relatifs à la couverture.

25 Un autre état de liquidation des dépenses effectuées en 1875 pour le pavillon de Marsan cette fois, est particulièrement éloquent. Il montre que la maison Monduit a reçu la somme de 59 063,62 frs pour un montant total de travaux de 424 321,27 soit 14% de l’ensemble des interventions. (ill. 8) Même s’il s’agit là d’un état intermédiaire de liquidation des dépenses, la part relative aux travaux de plomberie d’art reste significative si on la compare aux autres corps de métiers. 41% pour la serrurerie, 30% pour la maçonnerie, 8% pour la charpente…

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Ill. 8 : Liquidation des dépenses, pavillon de Marsan et galerie Rivoli

Année 1875, F21/ 3464 B. © Archives nationales

Sources d’inspiration dans les motifs d’ornementation des toitures

26 Une étude plus approfondie serait à conduire encore sur ce sujet, mais on peut s’autoriser à lancer quelques premières pistes de réflexion. Il est certain que Lefuel dans le choix et la forme des motifs décoratifs en plomb des pavillons de Flore et de Marsan a puisé dans l’histoire architecturale du Louvre et des Tuileries. Cette quête de l’emprunt, faite à différentes époques, l’architecte l’avait déjà ingénieusement pratiquée sous l’Empire dans les modifications architecturales et la décoration qu’il avait conduites dans l’aménagement et la recomposition du nouveau Louvre32.

27 Cette démarche traduit la propension, si caractéristique du XIXe siècle, à recourir, en la redistribuant, à une variété des références anciennes. Il semble alors naturel que Lefuel ait appliqué cette même formule dans le choix de l’ornementation des pièces de plomb des pavillons de Flore et de Marsan. Ses sources d’inspiration puisent naturellement à la fois dans l’ornementation de la Renaissance et celle de l’époque classique. Trois motifs caractéristiques du vocabulaire décoratif de ces différentes époques : rosaces, palmettes et guirlandes de fleurs ou de fruits, festons apparaissent dans les éléments de décor en plomb fixés sur l’acrotère des pavillons de Flore et de Marsan.

28 Ainsi, dans l’album de dessins au lavis et à encre brune d’Hugues Sambin33, trouve-t-on de nombreuses feuilles montrant des séries de dessins, destinés à l’ornementation des corniches. Dans un décor compartimenté, apparaissent en alternance masques, mais

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également guirlandes de lauriers et décor de palmettes dont on retrouve le motif dans les décors en plomb moulé de Flore et de Marsan. Au Palais des Tuileries, des fragments de décor sculptés de frises Renaissance montre des bucranes enguirlandés de feuillages et sommés de rosaces. Au XVIIe siècle, François Francart 34 livre par ailleurs de nombreux dessins dont le plafond de la chambre du roi des Tuileries où s’inscrivent en abondance les guirlandes de lauriers.

29 Un autre exemple fait référence dans l’aile Denon à l’ancienne cour des écuries, l’actuelle cour Lefuel, construite par l’architecte en 1857. L’entablement de la tribune formant portique et soutenu par deux colonnes présentant en alternance tambours cannelés et fûts taillés au diamètre supérieur, dévoile dans sa partie inférieure une guirlande de fruits entre des consoles à palmettes35. C’est le même principe typologique, fait de motifs ornementaux que Lefuel répétera pour l’appliquer ensuite dans les décors en plomb moulé des parties hautes des pavillons de Flore et de Marsan où figurent rosaces, guirlandes de lauriers et palmettes. (ill. 9, ill. 10).

Ill. 9 : Détail des différents motifs en plomb moulé du couronnement du pavillon de Marsan

© agence Goutal ACMH, Julie Degageux, architecte

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Ill. 10 : Portique de la cour Lefuel

Située dans l’ancienne cour des écuries impériales, réalisé en 1867 par l’architecte (angle ouest-nord) et montrant sur l’entablement le détail de l’ornementation sculptée. © agence Goutal, Julie Degageux, architecte

30 Cet usage accompli de la citation et plus précisément de la transposition, l’architecte et décorateur Lefuel l’utilisa à profusion pour tenter de réaliser une sorte d’ultime synthèse des arts.

Regard contemporain

31 L’examen actuel de certains ouvrages en plomb particulièrement sur les parties hautes du pavillon de Marsan nous éclaire sur la mise en forme technique de la plomberie d’ornementation que la maison Monduit confectionna sous la maîtrise d’œuvre de Lefuel de 1874 à 1878 lors de la reconstruction du pavillon de Marsan. Les arêtiers sont constitués de trois parties. Un cylindre de plomb, armé d’une âme de bois, un diamètre 25 cm de diamètre et une section de 1,20 m de long. Sur l’arêtier sont fixées par des tirefonds les parties moulées, représentant un décor de feuillages et de rosettes. De part et d’autre du cylindre de plomb sont fixées des feuilles de plomb, destinées à assurer à l’arêtier une parfaite étanchéité. Quant aux chéneaux, ils sont constitués de feuille de plomb d’une épaisseur de 5 mm.

32 Il apparaît que pour la facilité d’exécution, deux feuilles d’environ 80 cm de longueur et de 1,20 de largeur aient été soudées et non agrafées entraînant par fissuration des problèmes de dilatation et par là-même une perte d’étanchéité. Ce problème lié à une trop grande longueur des feuilles de plomb a été également constaté dans les chéneaux de la couverture de la cour de la Salle des États36 et celle de la cour Visconti37 et a révélé un état sanitaire préoccupant. Les dispositions techniques de mise en œuvre par Lefuel

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et exécutées par Monduit ont été de toute évidence guidées par un souci de rapidité lié aux exigences de calendrier du chantier. Il fallut alors supprimer, lors d’interventions récentes en 2006, cette disposition malheureuse et déposer tous les éléments décoratifs en plomb, puis suspendre à des pattes les éléments d’ornementation.

33 La répétition des ouvrages décoratifs en plomb du pavillon de Marsan et de Flore de Lefuel a dicté le moulage des pièces. Le processus de fabrication n’altère cependant pas la qualité des moulages exécutés qui, situés dans les parties hautes, accompagnent la décoration de la statuaire. Par ailleurs les ouvrages décoratifs étaient à l’origine pour des raisons esthétiques originellement peints. Il s’agissait d’éviter les coulures blanchâtres sur l’ardoise38. La restauration contemporaine n’a pu en raison des interventions successives retrouver la couleur d’origine, les ornements ont été cependant recouverts d’une couleur gris-vert s’harmonisant avec les ouvrages voisins.

34 L’ensemble du décor, statuaire et ornements en plomb du Pavillon de Marsan et du pavillon de Flore, se déploie à une échelle imposante quand on le considère à hauteur et témoigne d’un programme parfaitement abouti, particulièrement soucieux des masses et des ensembles. La vision des bâtiments et des combles s’allège progressivement pour ne présenter depuis le sol que la lointaine vision étagée des lucarnes, les crêtes soulignant les lignes des toitures, les grands pavillons Nord et Sud, se posant comme les figures de proue du palais du Louvre.

NOTES

1. Hector Lefuel (1810-1880), succède à Louis Visconti (1891-1853), en 1855. Il est nommé architecte en chef des travaux de la réunion des Tuileries au Louvre en 1855. Parallèlement aux travaux de réunification des Tuileries au Louvre, il démolit et reconstruit en 1861 le pavillon de Flore et une partie de la grande galerie. De 1873 à 1876, après l’incendie de la Commune, il réhabilite le Pavillon de Flore et reconstruit le Pavillon de Marsan et l’aile attenante rue de Rivoli de Percier et Fontaine. 2. Dans une lettre de 1871 relative à la reconstruction des Tuileries et du Louvre, le ministre des travaux publics, reprenant les arguments de l’architecte Lefuel déclare : « Il ne serait pas question de rebâtir les bâtiments édifiés à diverses époques entre le pavillon de Flore et le pavillon de Marsan, mais il nous semble indispensable de reproduire le pavillon central et ses annexes construit par Ph. Delorme. Cette partie du palais a toujours été regardée comme un chef-d’œuvre de l’architecture française, tandis que les bâtiments qui les rejoignent ne se recommandent ni par leur composition ni par leur décoration. Ils pourraient être avantageusement remplacés par deux galeries ajourées qui laisseraient la vue s’étendre librement du jardin à la place du Carrousel et qui relieraient le château aux pavillons de Flore et de Marsan. Chose singulière, c’est le projet qu’avait rêvé l’imagination de Chateaubriand ». Arch. nat., F21 881.

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3. Vincent Lemire, Yann Potin, Reconstruire le palais des Tuileries, une émotion patrimoniale et politique rémanente ? (1871- 2011), dans Livraisons d’histoire et de l’architecture, 2011, n° 22, p 87-108. 4. Hector Lefuel précise pour le pavillon de Marsan que le feu était allé bien au-delà du pavillon et avait consumé une grande partie de l’aile attenante construite par Percier et Fontaine entre 1802 et 1812. 5. Photographie du palais des Tuileries, montrant le pavillon de Flore, cabinet des arts graphiques du Louvre. 6. Arch. nat., F21 881 7. Charles Saubert de Larcy (1805-1882), ministre des travaux publics du 19 février 1871 au 07 décembre 1872. 8. Arch. nat., F21 881 9. Arch. nat., F21 881 10. Oscar Bardi de Fourtou (1836-1897), ministre des Travaux publics du 7 décembre 1872 au 18 mai 1873. 11. Un surcoût de 6 000 000 de francs de Lefuel mit un terme au projet de réutilisation du Pavillon de Marsan. Les débats parlementaires du 31 mai et 28 septembre 1881 relatent les propositions faites en 1875 par l’architecte et l’ambiguïté qui aurait surgi dans les termes utilisés entre « travaux à exécuter » et « aménagement » du Pavillon de Marsan. Par ailleurs, l’Union centrale des arts décoratifs, (UCAD), créée en 1877, fusionna en 1880 avec l’Union centrale des Beaux-Arts appliqués à l’industrie et s’installa en 1905 au Pavillon de Marsan et dans l’aile attenante rue de Rivoli. L’U.C.A.D avait pour but d’abriter des collections constituées par des collectionneurs et des industriels. 12. . La Cour des Comptes fut hébergée temporairement au Palais-Royal, puis intègrera en 1912 la rue Cambon dans un bâtiment construit par Constant Moyeux. 13. Selon le convertisseur INSEE, francs 1880-euros, 2 000 000 de frs équivaudraient à 760 000 000 euros. 14. Arch. nat., F21 881 15. L’important décor sculpté sur trois faces du pavillon de Marsan a été lancé en 1876 et témoigne de la profusion décorative propre à Lefuel. Parmi les artistes, côté rue Rivoli, Gustave Crauk, Ernest Barrias, Charles Gauthier ; côté Tuileries, Jean-Marie Bonnassieux, Jacques Léonard Maillet ; côté cour du Carrousel, Théodore Gruyère, Eugène Delaplanche, Pierre Loison, Maximilien Bourgeois. 16. Photographie des Tuileries avant l’incendie de la Commune, Cabinet des arts graphiques du musée du Louvre. 17. La seule différence sensible entre les deux pavillons au-delà de la statuaire, réside dans l’absence de garde-corps au pavillon de Marsan sur les faces Nord et Sud alors qu’il en existe sur la façade Sud du pavillon de Flore. Étude de Madame Degageux, citée dans la note 1. 18. Louis Hautecoeur, Histoire de l’architecture classique en France, la fin de l’architecture classique, tome VII, 1848-1900. Paris, Éditions A et J. Picard, 1957, p 177. 19. Les archives de l’agence d'architecture du Louvre et des Tuileries constituent un fonds patrimonial exceptionnel. Constitué en décembre 1848 et versé aux archives nationales de 1971 à 1997, ce fonds couvre une période s'étendant de 1848 à 1968

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environ. Il retrace à travers les études, plans, projets, dessins, photographies, l'art officiel du Second Empire réalisés pendant les travaux de restauration et d'achèvement du Louvre, menés par Duban, Visconti, et Lefuel. Il porte témoignage de plusieurs bâtiments disparus : la partie occidentale de la Grande Galerie et les anciens pavillons de Flore et de Marsan, le château des Tuileries, ou la bibliothèque du Louvre. Enfin, il rend compte de l’importance que représente l'entretien permanent d'un ensemble complexe de bâtiments séculaires. Archives de l’Agence d’architecture du Louvre et des Tuileries, XIXe-XXe, sous série AJ64, Archives nationales, 2005. 20. Le nom de Monduit avec son associé Béchet, puis Gaget-Gauthier figure également parmi les entrepreneurs de plomberie dans les procès-verbaux de réception de travaux : MONDUIT ET BECHET, plomberie (1860-1863). Arch. nat., F21 1736. 21. D’autres fournisseurs sont également mentionnés, mais leurs interventions portent plus spécialement sur l’éclairage au gaz, la fonderie de cuivre, la plomberie de canalisations (entreprises Akar et Bizot, La Compagnie parisienne, Cabaret, Fortin Herman). 22. Arch. nat., F211722. 23. En date du 22 février 1877, les attachements mentionnent systématiquement le nombre de compagnons plombiers ainsi que les heures effectuées à la tâche par les aides. Par ailleurs dans le carnet des vérificateurs de M.M Dufrêne et Ernst, le nom de Monduit est également mentionné dès la fin de 1871, pour la vente de vieux plombs négociés au taux de 55 fr les 100 kilos et achetés par la maison Monduit-Béchet ; arch. nat., 64AJ/215. 24. Les tables de plomb font référence au plomb moulé en table. La table en chêne, posée sur des tréteaux est inclinée pour permettre le coulage et la fluidité du plomb. Fortunato Bartolomoeo de Felice, Dictionnaire raisonné des connaissances humaines. Tome XXXIV, Yperdon, 1774, 839 p. 25. Il est intéressant de relever que cette société spécialisée dès 1859 dans les fonderies et laminoirs de cuivre, et installée à Grenelle et à Saint-Denis, s’est associée avec une entreprise belge en 1878 pour fonder la « Société industrielle des métaux », sous la direction de Jules Mesureur qui devint ensuite en 1879 l’associé de la maison Monduit. Cette information témoigne de l’étroit réseau professionnel constitué par la maison Monduit avec les entreprises spécialisées. 26. Arch. nat., F21 3466/B. 27. Le poids en plomb orné avec serrures des lucarnes du premier rang s’élève à 38 kg. Les lucarnes ovales du deuxième rang à 188 kg, celles du troisième rang à 174 kg, celles du quatrième rang à 130 kg. 28. Arch. nat., F21 3466/B 29. Arch. nat., 64 AJ 515 bis. 30. Arch. nat., CP/64/AJ/535. 31. Arch. nat, F21 3466/B. Pour le pavillon de Marsan, en date du 19 mars 1875, 38,50 frs et 98,50frs ; en date du 01 juillet 1876, 2320 ,02 frs en date du 15 mai 1877, 16 790,00 frs ; en, date du 27 août 1877, 55 432.78 frs ; 1877 en date du 29 mai 1878, 33 629,66 frs 32. Louis Hautecoeur, op.cit., p. 168-178 33. Voir l’ouvrage d’Erlande-Brandebourg, Hugues Sambin, un créateur au XVIe siècle, 1501 ?1620, Paris, Réunion des musées nationaux, 2001, 126 p.

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34. Voir l’ouvrage de Nicolas Sainte-Fare-Garnot, Le Décor des Tuileries, sous Louis XIV, Paris, Réunion des musées nationaux, 1988, 223 p. 35. Ce portique de Lefuel s’inspire abondamment des colonnes, caractéristiques de Philibert Delorme au Palais des Tuileries. 36. Couronnant la salle où est exposée la Joconde. 37. Couronnant l’espace où sont présentés les arts de l’islam de Riccioti. 38. Le plomb blanchit naturellement et s’oxyde.

RÉSUMÉS

Après l’incendie du palais des Tuileries par la Commune en 1871 et le long débat qui allait aboutir à sa destruction, l’architecte Hector Lefuel réhabilite de 1874 à 1878 les pavillons de Flore et de Marsan qui avaient été gravement endommagés lors de la guerre civile. C’est alors à un double jeu de miroir architectural auquel on assiste. La réhabilitation donna lieu en effet pour le pavillon de Flore à une reconstruction à l’identique telle que Lefuel l'avait créé en 1861. Quant au pavillon de Marsan, l’architecte se livre à une simple transposition architecturale du pavillon de Flore. Ainsi les ornements d’architecture en plomb : lucarnes des combles et décor des acrotères du pavillon de Marsan sont une réplique exacte des motifs initialement destinés et réalisés pour le pavillon de Flore quinze ans auparavant par l'architecte. C'est dans le répertoire du décor Renaissance et classique que Lefuel puisa ses références. Les ornements furent exécutés par l’artisan et plombier d’art Monduit et ses associés, Béchet et Gaget Gauthier et les nombreux documents les dossiers d’attachements écrits et figurés, plans, élévations, comptes financiers attestent de l’activité de cet impressionnant chantier.

After the Palais des Tuileries was set on fire by the Commune insurrection in 1871, and following the lengthy discussions which ended up with the decision to pull it down completely, from 1874 to 1878 the architect Hector Lefuel restored the two Pavillons, Flore and Marsan, which had been severely damaged during the civil war. What ensued was an architectural game of mirrors: The Pavillon de Flore was restored to its original state as Lefluel had built it in 1861. As for the Pavillon de Marsan, the architect simply copied what he had done for the Pavillon de Flore. The lead architectural ornaments, the attic’s dormer windows and the acroteria of the Pavillon de Marsan are exact replicas of those originally designed and created by the architect for the Pavillon de Flore fifteen years earlier. Lefuel took his inspiration from the Renaissance and classical styles. The ornaments were made by the lead craftsman Monduit, with his associates Béchet and Gaget Gauthier. The numerous documents, attachment files (with text and drawings), plans and elevations, financial ledgers, etc., give some idea of the intense activity surrounding this impressive building project.

Nach dem Brand des Tuilerienpalastes im Zuge der Commune 1871 und dessen darauf schließlich folgender Zerstörung stellte der Architekt Hector Lefuel von 1874 bis 1878 die Pavillons de Flore und de Marsan wieder her, die während des Bürgerkriegs stark beschädigt worden waren. Dabei ist in doppeltem Sinne ein architektonisches Spiegelbild zu beobachten. Am Pavillon de Flore vollzog sich eine identische Rekonstruktion des Baus, wie ihn Lefuel 1861 erschaffen hatte. Am Pavillon de Marsan entschied sich der Architekt dafür, den Pavillon de Flore zu duplizieren. So bildet

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die Bleiornamentik der Lukarnen sowie das Attikadekor des Pavillon de Marsan eine genaue Kopie der fünfzehn Jahre zuvor für den Pavillon de Flore vorgesehenen und angefertigten Motive. Lefuel bezieht sich in seinen Entwürfen auf das dekorative Vokabular der Renaissance und des Klassizismus. Die Ornamente wurden vom auf Bleikunst spezialisierten Atelier Monduit und dessen Partnern Béchet und Gaget Gauthier angefertigt. Zahlreiche Quellen wie Pläne, Entwürfe und Rechnungen zeugen von der regen Geschäftigkeit dieses Bauvorhabens.

AUTEUR

MICHEL GOUTAL Michel Goutal, architecte en chef des Monuments historiques, prend ses fonctions en 1983 en Champagne Ardennes et en Lorraine où il travaille dans les départements des Ardennes, de la Meuse, de la Moselle et des Vosges. Il est nommé en 1997 dans le département de la Gironde. Responsable depuis 1999 du musée du Louvre et de l’Orangerie du jardin des Tuileries, puis en 2001 de la Villa Cavrois de Mallet-Stevens, il est également en charge depuis 2007 des domaines nationaux de Jérusalem et depuis 2008 des domaines présidentiels. Au palais du Louvre il a pris part à la restauration de la galerie d’Apollon et travaille actuellement sur le pavillon de Marsan. Parallèlement à ses fonctions d’architecte en chef, Il remplit de 2003 à 2008 la mission d’inspecteur général des monuments historiques en Franche-Comté et en Rhône-Alpes. Membre de l’Icomos international, il a effectué de 2005 à 2007 de nombreuses missions d’expertises notamment à Lalibela en Éthiopie et travaille depuis 2014 au Grand Bassam en Côte-d’Ivoire. Adresse électronique : [email protected]

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Les crêtes en fonte dans la première moitié du XIXe : le gothique retrouvé avant Viollet-le-Duc Cast-Iron ridge ornament in the first half of the nineteenth century in France : a gothic decoration revived before Viollet-le-Duc Metallene Firstbekrönungen aus der ersten Hälfte des 19. Jahrhunderts : die Wiederentdeckung gotischer Formen vor Viollet-le-Duc

Sayuri Kawase

1 Dans la seconde moitié du XIXe siècle, un grand nombre d’édifices médiévaux a fait l’objet de vastes campagnes de restauration et de nombreuses crêtes ont été rétablies pour couronner les combles : Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879) en réalise une à Notre-Dame de Paris vers 1861 et, plus tard, au château de Pierrefonds. Jean- Baptiste Lassus (1807-1857) restitue à la Sainte-Chapelle de Paris une crête en fleurs de lys, Louis-Charles Sauvageot (1852-1908) en réalise une à la tour du gros-horloge de Rouen ; Victor Ruprich-Robert (1820-1887) exécute celle du château d’Amboise… C’est ainsi que l’on trouve aujourd’hui cet ornement sur la toiture de plusieurs monuments médiévaux restaurés à cette époque. On le rencontre aussi sur des édifices construits en style néo-gothique au XIXe siècle. La pose de crêtes sur la toiture semble ainsi à cette époque faire l’objet d’un grand intérêt.

2 Or l’apparition des crêtes au XIXe siècle n’a pas été réellement étudiée, en comparaison avec les recherches sur d’autres éléments placés au faîte de la toiture, à l’instar des flèches reconstruites à la même époque1. Depuis 1997, un groupe de recherches sur les couvertures métalliques s’intéresse à cet ornement et spécifiquement pour le plomb, métal longtemps délaissé par rapport au fer2. Dans le cadre d’un projet collectif, Jannie Mayer propose une histoire générale de la crête3. Dans cette étude, l’auteur donne un aperçu de l’évolution historique de cet ornement et rappelle l’épanouissement des crêtes en plomb dans la seconde moitié du XIXe siècle, notamment celles réalisées par Viollet-le-Duc.

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3 Cependant, le mouvement de la « renaissance » des crêtes au XIXe siècle avait déjà commencé avant Viollet-le-Duc. Parmi les planches de la Monographie de la cathédrale de Chartres4, Lassus représente une crête en forme de quadrilobe sur le faîte de la cathédrale. Jean-Michel Leniaud fait remarquer l’existence d’une crête en fonte exécutée sur le projet de François Debret (1777-1850) à la basilique de Saint-Denis5. Ces deux cas soulèvent une série de questions. Depuis quand, sur quels chantiers a commencé ce regain d’intérêt pour les crêtes ? Dans quelles perspectives les architectes ont-ils rétabli ces ornements avant que Viollet-le-Duc n’en réalise lui-même ?

4 Parler des restaurations des monuments médiévaux entreprises dans la première moitié du XIXe siècle révèle souvent une méconnaissance de l’architecture médiévale chez les architectes qui travaillaient avant Viollet-le-Duc et les exemples des crêtes qui ont précédé les œuvres réalisées par ce célèbre architecte ont été relativement négligés jusqu’à présent. Cet oubli ne permet pas à l’historien de saisir pleinement les raisons de l’épanouissement des crêtes dans la seconde moitié du XIXe siècle et conduit parfois à une certaine partialité dans l’histoire de cet ornement. Il est donc opportun d’étudier des exemples peu connus de crêtes rétablies au début du XIXe siècle, d’apprécier également le choix de la fonte pour ces réalisations avant même que Viollet-le-Duc ne théorise son propos sur les ornements dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle.

Les premiers essais de crête en fonte

L’École des Beaux-Arts de Paris (1834-1835)

5 Prenons tout d’abord l’exemple d’une crête dont l’établissement a été projeté par Félix Duban (1798-1870) à l’École des Beaux-Arts, car elle occupe une des premières places dans cet historique.

6 En 1816, une ordonnance royale décide du transfert de l’École Royale des Beaux-Arts sur le site occupé par le Musée des monuments français. Duban, est nommé architecte officiel chargé de la construction de nouveaux bâtiments. Il succède à son beau-frère F. Debret6 et, en 1833, soumet au Conseil des bâtiments civils son projet. Dans ce projet, il a en particulier, remarquablement modifié l’aspect du Palais des Études. Le projet de Duban différait en tous points du projet primitif de son prédécesseur notamment dans l’emploi des fragments provenant des châteaux de Gaillon et d’Anet7. Le Conseil s’opposa à cette intention et ordonna également la suppression de l’attique de la façade principale8. Mais, malgré les désaccords entre l’architecte et le Conseil, en 1840, le palais des études fut pourvu d’un attique.

7 Le plan de cet attique du Palais des Études réalisé par Duban nous apprend que celui-ci avait songé à poser un faîtage ajouré avec un nouveau projet de bâtir un comble en fer. Le devis, en date du 10 octobre 1834, des travaux à exécuter indique que l’architecte a consacré un article indépendant à la « fonte », selon lequel il avait dans l’idée de mettre « la dentelle du faîtage développant du [sic] 16 m à 9 kg le mètre9 ».

8 L’un des dessins représentant le bâtiment de ce Palais des Études, conservé à l’École des Beaux-Arts, donne à voir la crête que concevait Duban10. Si la date n’est pas précisée, Jörn Garleff présume que ce dessin a été exécuté vers 1834 ou 183511. Nous pouvons voir

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aujourd’hui au sommet du Palais des Études une crête dont la forme correspond à celle figurée sur l’esquisse de Duban.

9 Cette crête de Duban peut être considérée comme le point de départ du développement de cet ornement des toitures au XIXe siècle en France. Foulon, secrétaire adjoint de la troisième classe de l’Institut historique, en fait d’ailleurs l’éloge en ces termes : « Mais si la restitution de ces ornements est toute naturelle, toute logique dans le cas de restauration des monuments anciens, l’établissement de semblables amortissements de faîtes serait tout aussi naturel et logique pour les toitures des édifices érigés dans le goût du XVIe siècle, ou élevés par complément à des constructions de ce temps. Ainsi, nous avons vu à Paris M. Duban faire courir une crête gothique sur le comble de l’École des Beaux-arts, le temple de l’architecture moderne. Les jeunes élèves qui vont puiser dans les cours de cette école l’instruction et le goût pourront, à la vue de cette crête, s’inspirer du désir de couvrir d’ornements les toitures de nos édifices ».12

10 Le Magasin pittoresque (1846) émet un avis similaire : « Puisque nos bâtiments ont besoin d’être protégés par des toitures élevées et apparentes, rendons-les belles et agréables à l’œil, afin qu’elles ne déparent pas les somptueux édifices au-dessus desquels elles s’élèvent. L’habile architecte de l’École des beaux-arts a déjà fait dans ce sens une tentative heureuse. Espérons qu’elle sera imitée, et que l’exemple de nos ancêtres ne sera pas perdu pour nous ».13

11 La première manifestation de la crête au XIXe siècle remonte sans doute ainsi à Duban et à son projet de construction de nouveaux bâtiments de l’École des Beaux-Arts.

La Sainte-Chapelle de Paris (1837)

12 La restauration d’une crête à la Sainte-Chapelle de Paris réalisée également par Duban occupe une autre place importante dans cette généalogie. Presque vingt-ans avant que J.-B. Lassus ne réalise la crête de fleurs de lys en 1855, son prédécesseur Duban prévoyait un projet de restitution d’une crête et d’une flèche pour la Sainte-Chapelle de Paris.

13 Comme de nombreuses autres églises, la Sainte-Chapelle de Paris, précieux monument médiéval construit sous le règne de saint Louis, n’a pas échappé aux dommages de la Révolution. Il faut attendre les premières années de la monarchie de Juillet pour qu’un mouvement vers 183514 favorable à sa restauration suscite un nouvel intérêt pour ce monument et que des travaux voient le jour. En 1836, l’architecte Duban fut chargé du projet. Il entreprit les travaux de restauration de ce monument avec son adjoint, Lassus, jeune architecte qui avait déjà commencé à se spécialiser dans l’étude de l’architecture médiévale.

14 En mars 1837, Duban présenta pour les interventions d’urgence un devis, dans lequel il prévoyait la restitution d’une crête « en fonte à jour et dorée » avec une flèche du XIIIe siècle15. Un dessin conservé à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine permet de connaître son projet16. Curieusement, la forme végétale de cette crête ne correspond pas à l’ancienne qui couronnait jadis le faîte.

15 Dans le rapport en date du 15 mars 1837 adressé au ministre de l’Intérieur, l’architecte n’explique pas en détail la raison de la restitution de la crête ni celle du matériau qu’il choisit pour cet ornement. Quant à la toiture, Duban projetait d’employer du plomb ; il avait l’idée de restituer aussi une statue d’ange en bois qui surmonterait l’extrémité du

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chevet et il entreprit de la couvrir de plomb et de la dorer17. La fonte était, elle, ainsi délibérément choisie pour la crête.

16 Ces deux exemples de l’École des Beaux-Arts et de la Sainte-Chapelle de Paris montrent qu’il existait chez Duban un réel intérêt pour la restauration d’une crête en fonte sur les faîtages des édifices dans les années 1830. Avant même Viollet-le-Duc, Duban semble bien avoir joué un rôle de précurseur dans ce domaine en France.

La cathédrale de Chartres (1838-1839)

17 Au terme de la première année de chantier à la Sainte-Chapelle de Paris, on concevait un projet semblable pour la cathédrale de Chartres. Dès 1836, l’architecte départemental Baron ( ?-?), l’ingénieur Émile Martin (1794-1871) et l’entrepreneur parisien de serrurerie Théophile Mignon (?- ?) commencent la reconstruction d’une nouvelle charpente et d’une toiture métallique à la place de l’ancienne en bois et en plomb qui avait été complètement détruite par l’incendie du 4 juin 1836. À cette époque, les nouveaux essais de construction de combles en fer avaient été entrepris sur plusieurs édifices civils et des monuments. Après examen par la commission spéciale, le projet proposé par Mignon et Martin fut finalement retenu ; il combinait la fonte pour la charpente avec le fer pour le chevronnage18. Une nouvelle charpente en fonte de fer fut réalisée en 1839.

18 Ce fut à l’automne de l’année 1838 que fut proposé le projet de « rendre » la crête au nouveau comble de la cathédrale de Chartres. Dans la lettre datée du 20 septembre 1838, le ministre du culte s’exprimait ainsi : « L’avis général a été d’ailleurs qu’il fallait profiter de la circonstance pour rendre au comble de la cathédrale de Chartres sa crête ou dentelle qui couronne les faîtages anciens de tous les édifices gothiques. Cette crête peut être faite en fonte, en zinc, en tôle repoussée au marteau, en plomb. Le choix de cette dernière matière semblerait préférable puisque l’administration pourrait profiter d’une partie des plombs dont il lui est permis de disposer et elle n’aurait ainsi à dépenser que la main d’œuvre19».

19 Au bout de deux mois, on décidat d’adopter la fonte comme matériau. Le devis approximatif du 12 novembre 1838 montre le détail du projet20. « La dite crête en fonte posera sur un faîtage également en fonte qui couvrirait la partie supérieure des combles et serait attaché [sic] aux faîtages et arbalétriers des fermes. »

20 On possède une esquisse représentant la crête dessinée par Baron en mars 183921. Les deux panneaux devaient être joints par un boulon entre le bouton et la tringle horizontale qui se situe au-dessus des panneaux. La crête devait également être fixée à l’aide d’un boulon aux faîtages. D’après le devis, 385 panneaux auraient un poids total de 29 448 kg de fonte. Néanmoins, on ne construisit pas de crête en fonte à la cathédrale de Chartres alors qu’une statue d’ange fut réalisée à l’extrémité du chevet. Nul ne sait pourquoi ce projet ne vit pas le jour.

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Ill. 1 : Baron, esquisse d’une crête à placer sur les faîtages des grands combles

Le 10 mars 1839, Paris. Papier, manuscrit, crayon, encre noire, 32,5 x 50 cm. CP F19/7677 © Archives nationales

La basilique de Saint-Denis (1846)

21 Un autre type de crête prévue et enfin réalisée en fonte fut celle de la basilique de Saint-Denis, le chantier le plus important de l’histoire de la restauration monumentale au XIXe siècle 22. Dès 1813, l’architecte Debret, ancien élève de Charles Percier (1764-1838), dirigeait les travaux de restauration du grand chantier de la fameuse abbatiale de l’abbé Suger.

22 À partir de 1838, alors qu’il s’apprêtait à terminer les travaux de la flèche23, Debret songeait à la reconstruction d’une charpente en métal. Après qu’on eut récupéré le plomb à la Révolution (1794), les toitures de ce monument furent refaites en tuiles, puis en ardoises en 1805 en raison de leur très mauvais état24. Par conséquent, la silhouette de son comble devint assez basse et était dans « un délabrement qui inspirait les plus vives inquiétudes25». À ces motifs s’ajoutèrent d’autres considérations : le sinistre de la cathédrale de Chartres en 1836, qui avait ravagé l’ancienne charpente, pressa également le gouvernement de préserver la basilique de Saint-Denis et ainsi par un projet de loi daté du 18 juillet 1838, il fut décidé de remplacer de la charpente inflammable par une nouvelle charpente en fer. C’est ainsi qu’en 1842, se posa à nouveau la question des matériaux à utiliser.

23 Debret proposa de placer une crête en fonte le long du faîtage du comble. Son projet qui comportait un dessin de charpente métallique fut adressé au Conseil en janvier 1843 puis en 1844.

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Ill. 2 : François Debret, Projet de couverture et de crête de la basilique de Saint-Denis

Album « Église Royale de Saint-Denis », 1844, 0,66 x 0,49, papier aquarelle. n˚6197 (2) © Médiathèque de l’architecture et du patrimoine

24 Pourtant, ce projet se heurta rapidement à une difficulté, car le contrôleur Guillemot proposait la suppression de la crête en fonte afin de ne pas dépasser le crédit demandé en 184426. Il jugeait que ce retranchement ne changerait rien aux conditions essentielles du projet de comble, de sorte que Debret se rangea lui-même à cet avis. Cependant, le Conseil désapprouva cette solution considérant que « la suppression de la crête serait regrettable en ce qu’il en existait une sur le comble primitif27». La conservation de cet ornement était « le vœu » du Conseil28. Finalement, le Ministre autorisa le projet et les travaux de la crête en fonte projetée par Debret commencèrent à la fin de 1846.

La Chapelle royale de Dreux (1839-1845)

25 D’autres architectes se montraient également séduits par l’utilisation de la crête en fonte pour l’architecture néo-gothique. L’architecte du roi Louis-Philippe, Pierre- Bernard Lefranc (1795-1856) utilise la crête dans sa nouvelle construction gothique, la Chapelle royale de Dreux, celle de la famille d’Orleans. Après l’achèvement de la première chapelle en une coupole et un péristyle à quatre colonnes, surmontés d’un fronton dorique29 en 1822, Louis-Philippe entreprit la transformation de la chapelle qu’il jugeait trop petite pour en faire une nécropole royale destinée à abriter la dynastie naissante des Orléans et les nouveaux travaux furent exécutés sous la conduite de Lefranc de 1839 à 1845.

26 Des crêtes en fonte aux faîtes des bras du transept ainsi que de l’abside de cette chapelle furent posées et restent encore en place aujourd’hui. Un goujon de fer semble

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relier l’une à l’autre entre deux losanges et des vis fixent l’ensemble aux faîtières. Selon les archives de la Maison du Roi30, c’est le fondeur Christophe-François Calla (1802-1884) qui contribua à la réalisation de ces ornements. Calla est un des acteurs du développement de la fonte architecturale et ornementale à l’époque. C’est lui qui fondit les colonnes et les pièces de charpente de la bibliothèque Sainte-Geneviève, une des œuvres emblématiques d’Henri Labrouste (1801-1875). Il participa à la fabrication d’éléments en fonte à l’église de la Madeleine et aux candélabres de la place de la Concorde31.

27 La crête de la Chapelle royale de Dreux a ainsi été réalisée par l’un des entrepreneurs les plus représentatifs de la première moitié du XIXe siècle et constitue un autre témoignage de l’une des premières expérimentations de crêtes en fonte, encore visibles de nos jours.

Le Palais de Justice de Rouen (1852)

28 Le mouvement de la renaissance des crêtes en fonte s’est aussi étendu en province. À Rouen, on a tenté de rétablir les crêtes disparues du Palais de Justice. Après sa destruction lors de la Révolution, le conseil général du département décida, en 1836, de restaurer complètement les bâtiments du Palais et c’est à l’architecte départemental H. C. M. Grégoire (1791-1854) que sont confiés les travaux. D’après Eustache de la Quérière32, qui étudiait la décoration des toitures, le Palais de Justice possédait jadis une crête remarquable et il souhaitait vivement la restauration de cet ornement : « Le Palais de Justice [...] est aujourd’hui enrichi de cette élégante décoration, que nous mettons également sous les yeux de nos lecteurs, encore n’existe-t-elle plus dans son intégrité ; il y manque l’amortissement ou couronnement depuis l’année 1794, époque où le faîte de la salle dite des Procureurs en fut totalement dépouillé pour faire emploi du plomb33. Cette immense salle des Procureurs, ou des Pas- perdus, étant en ce moment même soumise extérieurement à une complète restauration, il est à croire que son ancienne dentelle, complément nécessaire, indispensable de son ornementation, lui sera restituée34. Nous avons d’autant plus lieu d’espérer cette restitution, que l’architecte chargé de l’édification de la partie neuve du Palais de Justice est dans l’intention d’en décorer la toiture comme on l’eût fait au quinzième siècle35 ».

29 Pourtant, on ne sait pas si Grégoire a restauré parfaitement selon la restitution de La Quérière la partie supérieure des crêtes du bâtiment le plus ancien, la salle des Procureurs. En revanche, lorsqu’il construit en 1843-1852 un nouveau bâtiment en style néo-gothique36, pour la Cour d’Appel, situé en face de la salle des Procureurs, il semble avoir posé une crête. Le mémoire des travaux prouve que la fonte fut adoptée pour l’ornement en dentelle des faîtes37. Sans doute l’architecte a-t-il créé cet ornement en imitant le reste du bâtiment ancien parce qu’il se préoccupait de l’harmonie des deux bâtiments38. Il n’a pas choisi le plomb en tant que matériau comme le souhaitait La Quérière. Ainsi, à Rouen, le nouveau matériau fut également adopté dans le cadre de l’ornement du toit du néo-gothique.

30 Ces exemples montrent que c’est par l’emploi de la fonte que s’est développée la renaissance des crêtes, avant même que Viollet-le-Duc ne réalise ses crêtes en plomb sur divers chantiers de la seconde moitié du XIXe siècle. Pourquoi lors de la création des premières crêtes eut-on recours à la fonte ? Quel était le point de vue des architectes qui adoptèrent ce matériau ?

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La crête et le nouveau matériau industriel, le choix de la fonte

La mode de la fonte

31 Dans la première moitié du XIXe siècle, il s’agissait d’améliorer la fabrication nationale de la fonte de fer ; en effet, la France s’était laissé dépasser dans les techniques de la production de la fonte par l’Angleterre qui excellait dans ce domaine depuis le début de la Révolution industrielle. La France se devait alors de consacrer tous ses efforts au perfectionnement technique des moyens de production de la fonte et invita des ouvriers anglais pour améliorer son savoir-faire39.

32 Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, le fer et la fonte sont plus largement employés40. Dans la capitale, ces matériaux produisirent de nombreux bâtiments civils et diverses constructions : la charpente des marchés (Madeleine, 1824), des panoramas, des théâtres (Opéra comique, 1829), des amphithéâtres (Collège de France, 1831-42), les ponts (Carrousel, 1834), les ornements des portes, les réverbères, etc. La fonte fut également utilisée pour les édifices religieux : la flèche de la cathédrale de Rouen41 de Jean-Antoine Alavoine (1778-1834) destinée à remplacer celle de bois du XVIe siècle, détruite par la foudre en 1822, en est un des exemples les plus représentatifs. À Reims, le Conseil des bâtiments civils préconisa l’emploi de ce nouveau matériau pour la chapelle de l’archevêché42. En 1835, on décida également de reconstruire en fonte le couronnement du clocher de la cathédrale du Mans43. Étienne-Hippolyte Godde (1781-1869), architecte de la ville de Paris de 1813 à 1830, utilise la fonte pour les balustrades ainsi que pour les grilles de chœur dans plusieurs chantiers de construction et de restauration des églises dont il se chargeait44. À l’église Saint-Vincent-de-Paul à Paris, Jacques-Ignace Hittorff (1792-1868) réalisa une cimaise en fonte sur le fronton45. Dans les travaux de restauration de la basilique de Saint-Denis, en 1833, on choisit la fonte pour poser des balustrades à l’intérieur de l’édifice46. Comme ses contemporains, Grégoire appréciait ce matériau et il remplaça le mur crénelé abattu en 1830 par une grille gothique en fonte47.

33 La raison principale de cette vogue de la fonte est liée à ses avantages économiques et à la résistance de ce nouveau matériau. Jean-Paul Zitt fait remarquer que l’existence de la logique de « rentabilité » et « l’exigence de sécurité contre l’incendie en favorise l’emploi pour les colonnes, balustrades et escaliers qui se prêtent à des variations décoratives48». Les exemples de crêtes en fonte s’inscrivent dans le contexte d’un engouement pour ce nouveau matériau adapté à de nombreux usages.

La fonte et l’architecture gothique, l’architecture nationale

34 Pourquoi les premiers essais de crêtes se sont-ils combinés avec le développement de la fonte dans la première moitié du XIXe siècle en France bien que la Grande-Bretagne ait aussi joué un rôle primordial dans cet engouement de l’emploi de ce nouveau métal49? Notons que, lors du rétablissement d’une crête à la cathédrale de Chartres en 1838, l’architecte départemental Baron décida de l’utilisation d’une grande quantité de fonte, bien que, par économie, le ministre du culte ait proposé au Préfet que la réutilisation du vieux plomb soit préférable50. S’il avait privilégié l’économie, l’architecte aurait

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choisi le plomb comme le suggérait le ministre. Ce n’était donc pas seulement les avantages économiques et de résistance qui dictèrent l’emploi de la fonte par les architectes. Quelle était la nature de cette motivation chez Baron et ses contemporains pour le choix de ce matériau ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur la conception d’Alavoine et de sa flèche en fonte de la cathédrale de Rouen, déjà mentionnée, et qui causa une si vive polémique au XIXe siècle.

35 On dispose pour cette flèche de maintes informations grâce aux travaux de Jean- Philippe Desportes dans la Revue de l’art. En septembre 1822, la flèche en bois édifiée presque trois siècles plus tôt est détruite par la foudre, de sorte que le ministre de l’intérieur demande un nouveau projet à Alavoine. À l’instar de la mise en œuvre de ce métal qu’il réalisa à la cathédrale de Sées, l’architecte proposa une flèche en fonte. Son projet est accepté avec enthousiasme tant à Rouen qu’à Paris. L’architecte contemporain Louis-Charles Eck fait d’ailleurs l’éloge de sa flèche : « Cette admirable dentelle métallique, ouvrage aussi hardi que grandiose, dû au talent d’un célèbre architecte de notre époque, du savant Alavoine qui fut enlevé trop tôt à son art pour avoir pu achever cette belle œuvre [...]51 ».

36 Or, cette flèche fera l’objet bientôt de critiques par les défenseurs de la conservation des monuments gothiques52.

37 L’un des reproches adressés à la flèche d’Alavoine tient au fait que la fonte est visible au regard de chacun et non dissimulée53. Les membres du Comité des arts et monuments ne semblaient pas davantage approuver l’idée d’employer ce matériau dans les monuments médiévaux. Après sa visite de la cathédrale de Chartres en juin 1836, Victor Hugo (1802-1885) déclare : « [...] Triste spécimen, qui heureusement au moins, ne se verra pas du dehors comme ce déplorable clocher de Rouen54». Dans l’article « Encore du Gothique en fonte » du tome XIII des Annales archéologiques (1853), Adolphe Napoléon Didron (1806-1867) s’indignait aussi contre la flèche d’Alavoine en s’inquiétant d’un projet de construction des flèches en fonte sur l’église Sainte-Clotilde55. Ainsi, tant sur le chantier de la cathédrale de Chartres que sur d’autres, demandait-on de restreindre l’usage de la fonte visible en extérieur, d’autant que l’exemple de la flèche de la cathédrale de Rouen était jugé excessif. Cependant, ce matériau fut utilement utilisé dans la réalisation de crêtes contrairement à ce que souhaitaient Hugo et Didron.

38 Exposer la fonte au-dessus du toit des édifices gothiques correspond à un esprit novateur propre au début du XIXe siècle : à Saint-Michael à Liverpool, la fonte n’a pas été dissimulée mais apparaissait à l’extérieur. Mais contrairement à Alavoine et à ses contemporains, Henri Labrouste et Victor Baltard (1805-1874) n’utilisèrent la fonte plus tard dans leurs œuvres que comme motif d’ornement intérieur56. L’objectif de rendre visible la fonte n’était pas toujours la marque d’une originalité française dans la première partie du XIXe siècle. Il s’agit plutôt d’une sorte d’intimité entre ce nouveau métal et la crête, elle-même considérée comme un élément gothique de cette époque en France.

39 Selon Desportes, toute la fin du projet d’Alavoine était « consacrée à présenter la fonte comme le matériau privilégié d’une réalisation de ce genre57 ». Il croyait à la prédestination du fer à être utilisé dans le domaine des édifices gothiques avec hardiesse : « On aurait donc tort de s’astreindre à n’employer que les procédés en usage dans le XIIIe siècle et de se priver des ressources nouvelles que nous procurent les perfectionnements des arts industriels pour élever la flèche projetée avec plus de

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solidité et d’économie. Si l’on considère les ouvrages délicats que les architectes goths ont fait exécuter, on remarquera la quantité considérable de fer qu’ils ont été obligés d’y introduire pour suppléer à la force des pierres... Ces moyens auxiliaires de solidité avaient souvent l’inconvénient d’être visibles et d’altérer la forme des ornements en introduisant des divisions qui n’étaient pas dans le dessin de l’ouvrage. Que l’on ajoute à cet inconvénient celui de l’oxydation du fer qui fait éclater les pierres dans lesquelles il est engagé et l’on sera convaincu que ces artistes habiles auraient accordé la préférence à la fonte de fer sur la pierre si les moyens de l’exécuter eussent été aussi perfectionnés de leur temps qu’ils le sont aujourd’hui »58.

40 La fonte convenait bien à l’architecture gothique, cette idée s’observait dès la première moitié du XIXe siècle. En 1841, Félix Tourneux l’affirmait de la façon suivante : « De toutes les formes anciennes celle qui paraît devoir se prêter le mieux à l’emploi de la fonte, c’est sans contredire l’architecture gothique59. » Pour Michel Chevalier, défenseur de Louis-Auguste Boileau (1812-1896), l’adaptation du fer à la forme gothique était évidente : « L’architecture gothique, par sa légèreté relative, par le plaisir qu’elle trouvait à [...] lui donner dans le détail des formes contournées, dentelées et à jour..., était un appel à des matériaux différents, plus maniables et très résistants. C’était en quelque sorte la prédiction des constructions en fonte et en fer60 ». Le dernier projet de la charpente métallique à Chartres illustre aussi la vue contemporaine de la fonte pour l’architecture gothique : ce plan finalement choisi met en valeur plus clairement l’ogive gothique que les autres projets préparés pour ce concours. À propos de cette charpente métallique, Eck en fit l’éloge de même qu’il l’avait fait pour Alavoine : « Projeté en ogive dont la forme est en parfaite harmonie avec l’architecture au moyen âge de la cathédrale elle-même, ce comble présente à la fois un aspect élégant et un caractère de solidité qu’on ne peut apercevoir tout d’abord dans les combles Roussel et Leturc...61 ». Ils croyaient ainsi que « l’emploi du fer devait entraîner vers des formes de style gothique62 ».

41 Mais de quel « gothique » parle-t-on en ce début de XIXe siècle ? C’est en fait le gothique flamboyant que l’on évoque, celui qui appartient aux XVe et XVIe siècles. À la commission des monuments historiques créée en 1837 par le comte de Montalivet, il s’agissait de la conservation des monuments médiévaux construits au XVe et XVI e siècles tels que l’hôtel de la Trémouille ; le salon de la princesse Marie d’Orléans, aménagé en 1835, était empli de motifs du déclin de l’art ogival63. Viollet-le-Duc commente cette passion pour ce troisième gothique dans le tome II des Annales archéologiques (1845) : « Il est encore beaucoup de gens, qui, lorsqu’on leur parle d’architecture gothique, voient surgir autour d’eux des milliers de clochetons, des dentelles de pierres [...] et toute la végétation exagérée du XVe siècle. [...] nous avons encore tant de graves et doctes personnages qui ne voient le gothique que dans les choux frisés du XVe siècle64 ».

42 Dans la première partie du XIXe siècle, on pensait que c’était à l’époque du gothique flamboyant que l’on avait souvent employé le fer pour augmenter la résistance des parties des monuments découpés et percés à jour alors que l’utilisation du fer se rencontre très rarement dans les constructions des édifices gothiques des premières époques65.

43 Pour les dessinateurs des crêtes en fonte, le « gothique » signifiait bien gothique flamboyant. La plupart des exemples de crêtes se composent de « contre-lobe66 », un motif typique dans l’architecture des XIVe et XVe siècles, ou de « contre-courbe », autre

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motif parmi les plus riches de l’architecture gothique à son déclin67 avec le quadrilobe : la crête comme balustrade conçue par Baron pour la cathédrale de Chartres démontre que l’architecte s’est inspiré des crêtes typiques du gothique flamboyant, sans doute de celles du château de Meillant, dont les toits débordent de contre-lobes ainsi que de contre-courbes reliés par les tringles ; le premier projet de Debret en 184368 montre que l’architecte adopta le contre-lobe doré et son autre projet témoigne de son intérêt pour le quadrilobe. L’une de ses esquisses conservées aux Archives Nationales atteste qu’il s’est référé aux crêtes de Notre-Dame de Rouen et du Palais de Justice de Rouen pour une crête de la basilique Saint-Denis ; à la chapelle royale de Dreux, ces motifs furent d’ailleurs adoptés par Leflanc. Ces concepteurs de premières crêtes en fonte appartenaient à la même école que Percier et Fontaine et ils partageaient le même goût. Pour cette génération, la crête était une caractéristique du gothique flamboyant, c’est pourquoi ils optèrent pour la fonte. Ils savaient que le fer a été utilisé au fur et à mesure que les formes de l’architecture gothique se sont allégées au Moyen Age69. Les avantages de ce nouveau matériau, son « aptitude au moulage70 » ont permis la réalisation de formes complexes et « légères » propres au gothique flamboyant qu’ils recherchaient.

44 Le XIXe siècle percevait aussi dans les crêtes « flamboyantes » un symbole de l’architecture nationale : cet ornement du faîtage s’imposait graduellement comme un élément principal de l’architecture française avec la redécouverte de la valeur du toit aigu propre à la France après le long règne de l’école classique. Certes, les crêtes fournissaient un élément ornemental dans de nombreux châteaux et édifices civils à l’époque de la première Renaissance en France : l’étude de l’architecture des XVe et XVIe siècles abordée par Léon Vaudoyer (1803-1872) en livre plusieurs exemples. Concernant les toitures, Louis Hautecœur affirme que l’architecture française du XVIe siècle n’a pas rompu avec ses traditions71. Malgré l’influence de l’Italie, les édifices gardent longtemps les caractères du Moyen-Age dans la forme des toits72. D’après Barry Bergdoll, pour Duban et son ami Vaudoyer, la Renaissance française était le véritable laboratoire dans lequel on pouvait observer l’identité culturelle, vraiment nationale73. Duban désirait mettre en valeur la transition du gothique à la Renaissance française dans la cour d’honneur de l’École des Beaux-Arts74, il mit alors l’accent sur l’importance du toit par la disposition des crêtes au-dessus de l’attique du palais des études. Rappelons encore les mots de La Quérière en 1846 : « Cette renaissance de l’ornementation des faîtes ne peut manquer de se produire, [...] si l’on a le bon esprit de laisser aux pays méridionaux leurs toitures aplaties, pour reprendre les combles aigus, ou en tiers-point, seuls appropriés au climat humide et destructeur que nous habitons »75

45 Ainsi, les précurseurs en matière de renaissance de cet ornement retrouvaient-ils dans les crêtes la preuve de la survivance de la tradition française ou le triomphe du toit français décoratif sur l’art ultramontain. Pour la première génération, la crête renvoyait à un motif du gothique flamboyant et était perçue comme la marque d’une identité culturelle nationale. L’apparition de ces crêtes en fonte apporte donc une preuve de la « patrimonialisation » du toit aigu gothique dans la première moitié du XIXe siècle en France.

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La fin de la crête en fonte

Le tournant : les arguments de Viollet-le-Duc contre la crête de Debret à la basilique de Saint-Denis

46 C’est Viollet-le-Duc qui représente une rupture avec la génération précédente. Le point de départ se réfère à la basilique de Saint-Denis où l’architecte émit une objection brutale à la crête de Debret. C’est sans aucun doute l’une des premières expérimentations de Viollet-le-Duc en matière de restauration des crêtes médiévales. Il faut examiner le travail de l’architecte sur le chantier de la basilique de Saint-Denis76.

47 En novembre 1846, Viollet-le-Duc est nommé architecte de la basilique de Saint-Denis, il aborde aussitôt l’examen du monument et met en cause la couverture en cuivre ainsi que la crête en fonte exécutées par la serrurerie Mignon d’après le projet de Debret77. Or les travaux de la crête étaient déjà en cours lors de sa prise de fonctions.

48 Selon Viollet-le-Duc, le problème de la crête conçue par Debret résidait dans sa forme et surtout dans le mode de fixation de la crête au faîtage par des goujons en fer. Dans une lettre datée du 27 novembre 1846 adressée au ministre des Travaux publics, il critique le dispositif et propose le remplacement du faîtage en fonte de fer et de la crête en fonte par ceux en plomb : « Je veux parler du comble en fer que l’on termine en ce moment. Ce comble fort bien établi d’ailleurs, est recouvert par des feuilles de cuivre, et couronné d’une crête en fonte de fer. Je ne parlerai pas de la forme de cette crête qui n’est pas en rapport avec le style de l’Édifice ancien, et dont on ne retrouverait d’exemple nulle part dans aucun des monuments de cette époque, mais il est un fait plus grave ; afin de fixer cette crête au faîtage du comble on a été obligé de faire passer des goujons en fer au travers de la lame de cuivre qui forme faîtière. La crête en venant s’assembler dans les goujons, ne recouvre pas comme elle le devrait ces trous formés par ces goujons, et dans les momens de forte pluie l’eau chassée par le vent entre en assez grande quantité par ces trous non suffisemment couverts, coule sur les assemblages supérieurs des fermes et descend en gouttes le long des poinçons jusque sur les voûtes. L’introduction de l’eau sous un comble est fâcheuse partout, mais elle est surtout dangereuse sur le faîtage, là où les assemblages des fermes sont rapprochés et fort utiles à la conservation de tout le système »78.

49 Dorénavant, Viollet-le-Duc insistera sur cette question. En décembre 1846, il demande à nouveau de suspendre les travaux d’établissement de la crête. Dans un rapport du 2 janvier 1847, il souhaite que la charpente soit modifiée. En conséquence, le ministre l’invite à préparer un autre projet. Suivant la demande du ministre, en mai 1847, Viollet-le-Duc adresse un nouveau projet de crête en plomb avec le dessin du faîtage. En août de la même année, son projet est approuvé par le Conseil. Par la suite, le 26 septembre 1847, l’architecte remettra au ministre le cahier des charges pour le projet de crête en plomb et le modèle de la soumission. Il est approuvé le 2 novembre 1847.

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Ill. 3 : Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, Projet de crête de faîtage en plomb, mai 1847

Encre de chine, crayon, lavis sur calque contre-collé, 0,62 x 0,37 n˚ 2706, tiroir 57, pochette 266, 1996/083/266 © Médiathèque de l’architecture et du patrimoine

Le remplacement de la crête de Debret

50 Les deux arguments de Viollet-le-Duc étaient-ils justifiés ? Quelle crête Debret avait-il conçue ? Il est certain que la forme en contre-lobe de la crête en fonte projetée par Debret était, comme le remarque Viollet-le-Duc, étrangère au style de l’édifice ancien.

51 Quant au mode de fixation, Viollet-le-Duc s’en inquiète à juste titre. Le devis montre que Debret avait l’idée de percer les bouts de faîtage en fonte de trous destinés aux goujons réunissant les deux parties de la crête en fonte à un fort tenon en fer auquel ils étaient fixés par huit boulons à clavettes79. Une esquisse de la crête de Debret montre l’assemblage des pièces de crête sur le faitage80. Cette méthode présente l’inconvénient de laisser pénétrer l’eau dans l’intérieur du faîtage sans le recouvrement. Or, Debret n’a pas prêté attention au recouvrement du sommet du toit. En mai 1847, Viollet-le-Duc a représenté l’état de la couverture ainsi que la crête81. Ce dessin met en évidence que la crête de Debret était simplement posée sur le faîte comme un ornement de sorte qu’elle ne recouvrait pas suffisamment les lames de cuivre ; ses parties jointes au faîtage sont facilement exposées à la pluie. C’est ce problème qui l’a conduit à souhaiter la modification de la fixation de la crête avec le faîtage et à préparer un nouveau projet pour le remplacement de ces deux parties. Viollet-le-Duc conclut sa lettre de novembre 1846 en mettant l’accent sur la fonction de la crête : « Les crêtes anciennes n’étaient pas de simples ornements, elles avaient un but utile en ce qu’elles venaient donner du poids aux feuilles de plomb qui couronnaient le faîtage et qu’elles empêchaient le vent de les enlever dans les charpentes anciennes [...]82 ».

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Ill. 4 : Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, charpente métallique et crête, mai 1847

Encre de chine, lavis, papier, 0.62 x 0.45. N˚ 2712, tiroir 57, pochette 266, 1996/083/266 © Médiathèque de l’architecture et du patrimoine

52 Dans une lettre du 15 juin 1847 au président du Conseil, le ministre des Travaux publics donne une appréciation positive sur ce point83. L’inspecteur général Biet dans un rapport fait le 5 août 1847, donne aussi son accord à la proposition de Viollet-le-Duc : « Les objets de cette nature sont placés non seulement pour décorer les combles, mais aussi pour donner au faîtage une fixité qui les préserve des accidents84 ».

53 Un rapport du 6 septembre 1847 signale que son nouveau projet est adopté par le Conseil qui émet un avis favorable hormis le devis. Le 26 septembre 1847, Viollet-le-Duc remet au ministre le cahier des charges et le devis de crête en plomb à établir sur le comble, ainsi que le modèle de soumission à faire souscrire par Pierre François Marie. Boulanger (1813-1891) ferronnier, pour l’exécution de ce travail85. Après avoir approuvé l’établissement d’une nouvelle crête sur le comble, le ministre adopte la proposition de Viollet-le-Duc86. Pour cette nouvelle crête, un arrêté ministériel du 2 novembre prescrit le fer et le plomb, vraisemblablement suivant le cahier des charges87 : celui-ci indique « la construction en fer forgé et plomb d’une crête ornée destinée à maintenir et décorer le faîtage du grand comble88 ». D’après l’article 13, le fer était destiné aux armatures et le plomb aux diverses parties de la crête.

54 Dès la fin du mois de novembre89, Boulanger entame le démontage de la crête précédente. La toiture de la basilique de Saint-Denis sera donc couronnée d’une crête en plomb90. D’ailleurs, la description d’un rapport dressé le 30 décembre 1931 lors de travaux de réparation de la crête effectués sous la direction de l’architecte Lucien Sallez, témoigne qu’elle est conforme au programme de Viollet-le-Duc : « Cette crête se compose d’une armature en fer forgé boulonnée sur la panne faîtière, également en fer, de la charpente métallique et supportant un habillage en plomb repoussé dont les

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éléments affectent la forme de fleurons alternativement petits et grands. Chaque pesant environ 125kg91 ».

55 Ainsi la basilique de Saint-Denis inaugure par l’expérimentation de Viollet-le-Duc le rétablissement des crêtes médiévales. On peut y reconnaître la première marque d’une rupture avec le courant de la renaissance initiale de cet ornement lors de la première moitié du XIXe siècle. Désormais, Viollet-le-Duc s’efforça de réaliser des crêtes idéales sur ses chantiers en adoptant des formes végétales uniformisées92 et en refusant les procédés et les perspectives de la génération précédente.

56 Dans le tome IV de son Dictionnaire raisonné paru vers 1859, Viollet-le-Duc justifie à nouveau les raisons fonctionnelles des crêtes pour lesquelles on posait ces sortes de couronnements au sommet des charpentes au XIIe siècle : « La plupart des charpentes étaient dépourvues de sous-faîtes et de pannes ; elles ne se composaient que d’une suite de chevrons espacés ; il était nécessaire alors de donner de l’assiette à ces chevrons non reliés entre eux, au moyen d’un poids posé à leur extrémité. Il fallait encore recouvrir les dernières tuiles par des faîtières qui fussent assez lourdes pour ne pas être renversées par l’effort du vent et assez larges pour empêcher la pluie ou la neige de passer entre les deux rampans de tuiles93 ».

57 Selon le spécialiste de l’architecture médiévale, c’était une crête en plomb que l’on posait presque toujours dès le XIIe siècle sur les charpentes recouvertes en ardoises ou en métal94. Pour poser les lames de plomb repoussé qui composaient la crête, on utilisait des armatures en fer. L’architecte décrit ces procédés et ajoute qu’ils « sont encore employés aujourd’hui95 ».

58 Effectivement à l’époque même où il rédigeait cet article, la restauration des crêtes s’amplifiait et les techniques d’emploi du plomb repoussé se développaient grâce à la collaboration de Viollet-le-Duc avec l’atelier Monduit, l’entreprise qui mit au point la technique du métal repoussé96. Ils travaillèrent ensemble sur divers chantiers de restauration tels que Pierrefonds, par ailleurs, les crêtes de l’auteur du Dictionnaire ont inspiré d’autres architectes ; l’architecte Desjardins, par exemple, établit en 1862 sur la cathédrale de Lyon une crête décorative en plomb, des faîtages sur le modèle de ceux réalisés à Notre-Dame de Paris97. Les théories et les réalisations de Viollet-le-Duc ont ainsi exercé une grande influence sur la restauration des crêtes dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle Jannie Mayer fit une étude sur l’histoire de la restauration de la décoration métallique des toitures en recourant à des exemples de la seconde moitié du XIXe siècle et notamment à ceux de Viollet-le-Duc98.

59 Toutefois, l’explication théorique de la crête présentée par Viollet-le-Duc dans son ouvrage, et les exemples pratiques qu’il fit réaliser sur certains grands monuments ne sont pas nécessairement les seuls critères pour comprendre la renaissance des crêtes au XIXe siècle. Certes, les architectes dans la première moitié du XIXe siècle ne prêtaient pas d’attention particulière à la fonction ou à l’exactitude archéologique de la forme de cet élément : lors du rétablissement d’une crête à la cathédrale de Chartres, par exemple, le ministre des Cultes insista pour rendre au comble de cette cathédrale l’apparence de l’ornement médiéval en « dentelle » et l’architecte départemental Baron n’expliquait en rien la raison de ce rétablissement. Il décrit seulement « une crête ou frise destinée à parcourir l’arête du faîtage99 ». Il en va de même pour Duban, Debret, Leflanc, et Grégoire. Pour eux, la pose de crêtes avait principalement pour objet de donner de la « légèreté », d’évoquer la « dentelle » du gothique flamboyant. L’essentiel

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était la décoration en soi. En revanche, pour Viollet-le-Duc qui lutta pour recouvrer la valeur et la fonction de l’architecture gothique, la pose de crêtes ne pouvait pas être considérée comme un simple accessoire. Le Dictionnaire démontre que la crête médiévale se doit d’être un élément fonctionnel, bien que son explication sur l’efficacité des crêtes, pour ce qui est des charpentes médiévales dépourvues de pannes faîtières et intermédiaires, reste un peu douteuse100. Dans le développement des crêtes du XIXe siècle, comme le fait remarquer Jean-Michel Leniaud, dans Les cathédrales au XIXe siècle, il existe, parmi les autres ornements tels que les crochets et les statues, une différence essentielle entre la génération du début du XIXe siècle, qualifiée de troubadour et qui fait de « l’ornement une fin en soi » et la génération suivante les subordonne « à la norme101 ». Mais, doit-on pour autant condamner ces premiers essais au début du XIXe siècle au nom de l’« authenticité » matérielle, d’une vue moderne, ou critiquer chez les architectes de cette époque le manque de connaissance scientifique de l’architecture gothique ? Il existait un autre critère dans la première moitié du XIXe siècle et il convient de ne pas donner une place exclusive dans l’histoire des crêtes du XIXe siècle à celles réalisées par Viollet-le-Duc.

60 La renaissance des crêtes au XIXe siècle en France avait commencé par l’emploi de la fonte avant les œuvres de Viollet-le-Duc. Le nouveau matériau industriel a favorisé la résurgence de ces ornements, allant de pair avec la recherche du gothique flamboyant et l’architecture nationale. La combinaison de ces facteurs a amené les premiers essais de crêtes en fonte. Même si l’Angleterre précéda la France dans l’utilisation de la fonte, l’apparition des crêtes en fonte fut sans doute un phénomène caractéristique de la première moitié du XIXe siècle en France.

61 Comme le fait remarquer Philippe Plagnieux, « Si de nombreux historiens de l’architecture du XIXe siècle placent encore volontiers Viollet-le-Duc et ses contemporains à la base de l’arbre généalogique des architectes-restaurateurs102», nous devons dorénavant faire figurer les travaux de la génération précédente. L’histoire des crêtes au XIXe siècle se compose bien de deux courants principaux clairement différenciés, et participe nettement de l’histoire de la restauration monumentale au XIXe siècle.

NOTES

1. Jean-Michel Leniaud, « Les flèches au XIXe siècle », dans L’Archange, la flèche, Caisse nationale des monuments historiques et des sites, 1987, p. 17-29. 2. Paul Benoit, « Le plomb dans le bâtiment en France à la fin du Moyen Âge : l’apport des comptes de construction et de réparation », dans Les couvertures métalliques, Les cahiers de la section française de l’ICOMOS, n˚ 19, 2000, p. 15-17. 3. Jannie Mayer, « La décoration des couvertures du Moyen Âge au XXe siècle », dans Les couvertures métalliques, Les cahiers de la section française de l’ICOMOS, n˚ 19, 2000, p. 43-47.

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4. Jean-Baptiste Lassus et Amaury-Duval, Monographie de la Cathédrale de Chartres, Atlas, Atlas, Paris, Imprimerie nationale, 1867, Gr. in-fol., 2 p., 72 pl. 5. Jean-Michel Leniaud, Viollet-le-Duc ou les délires du système, Paris, Mangès, 1994, p. 93. 6. Jean-Michel Leniaud, « François Debret et Félix Duban », dans Félix Duban : les couleurs de l’architecte, 1798-1870, Actes du colloque sous la présidence de Bruno Foucart, , Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, p. 55. 7. David Van Zanten, « Félix Duban et les bâtiments de l’école des beaux-arts (1832-1840)», Félix Duban. Les couleurs de l’architecte, 1996, p. 40-41. 8. Ibid., p. 42. 9. Arch. nat., F13 1116, Devis des travaux à faire en construction d’un étage d’attique en centre haut du principal corps de logis du Palais des Beaux-Arts, par Duban, le 10 octobre 1834. 10. Dessins de Duban 8 (21243). Paris, École des Beaux-Arts, Félix Duban, No1, Vol. 1. 11. Jörn Garleff, Die Ecole des Beaux Arts in Paris, Paris, Wasmuth, 2003, p. 478. 12. Foulon, « Revue d’ouvrages français et étrangers », dans L’Investigateur, Journal de l’Institut Historique, t.VIL, IIe série, Paris, Institut Historique, 1847, p. 35. 13. « De la décoration des toitures à différentes époques : épis, crêtes, girouettes, etc », Le Magasin pittoresque, Paris, 1846, p. 278. 14. Jean-Michel Leniaud, Jean-Baptiste Lassus (1807-1857), ou le temps retrouvé des cathédrales, Genève, Droz, 1980, p. 60. 15. Paris, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, 80/14/13, Devis de la restauration, travaux d’urgence pour mise en état, le 15 mars 1837. 16. Dessin de flèche de la Sainte-Chapelle de Paris, 1837, n˚21616 bis. 17. Ibid. 18. Jean-François Belhoste, « La fonte et le fer dans la restauration des cathédrales au XIXe siècle », L’Homme et la matière : l’emploi du plomb et du fer dans l’architecture gothique, actes du colloque, Noyon, 16-17 novembre 2006, sous la direction de Arnaud Timbert, Paris, Picard, 2006, p. 201. 19. Arch. nat., F19 7677, lettre au préfet du ministre, Paris, le 20 septembre 1838. 20. Arch. nat., F19 7677, devis d’une crête, Chartres, le 12 novembre 1838. 21. Arch. nat., F19 7679, esquisse d’une crête à placer sur les faîtages des grands combles, par Baron, Chartres le 10 mars 1839. 22. Sur la restauration effectuée à la basilique de Saint-Denis au XIXe siècle, voir Jean- Michel Leniaud, Saint-Denis de 1760 à nos jours, Paris, Gallimard, 1996, 360 p. ; Jean-Michel Leniaud et Philippe Plagnieux, La Basilique de Saint-Denis, Paris, Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2012, 208 p. 23. Jean-Michel Leniaud, op.cit., 1980, p. 78. 24. Benjamin Mouton, « Toiture de la basilique de Saint-Denis : problèmes de conservation », Les Couvertures métalliques : matériaux et techniques / Section française de l’Icomos, Paris, 4 et 5 décembre 1997, p. 141. 25. Ministère de l’intérieur, direction des monuments publics et historiques, Situation des travaux au 31 décembre 1844, Paris, Imprimerie royale, 1845, p. 6.

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26. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (MAP), 80/14/81, Révision du devis des travaux par Guillemot, le 6 mars 1843. 27. MAP, 80/14/81, extrait du registre des délibérations, le 6 mars 1843. 28. MAP, 80/14/81, rapport à M. le ministre des Travaux publics, le 10 mars 1843. 29. Eustache de Rotrou, Dreux, ses antiquités, Chapelle Saint-Louis, Dreux, Lacroix Libraire, 1870, p. 88. 30. Arch. nat., O4 2239 B, Mandat de paiement pour M. Calla, le 29 octobre 1845. « Objet de paiement : Premier à compte sur ses travaux de fonderie pour l’établissement de la coupole en fer de la Chapelle de Dreux ». 31. Jean-Claude Renard, L’Âge de la fonte, un art, une industrie 1800-1914, Paris, Éditions de l’Amateur, 1985, p. 38. 32. Membre de l’Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen. 33. Eustache de la Quérière, Essai sur les girouettes, épis, crêtes et autres décorations des anciens combles et pignons, Paris, Derache et Dumoulin, Rouen, Lebrument, 1846, p. 9-10. 34. Eustache de La Quérière, op.cit., p. 10-11. 35. Ibid., p. 11. 36. Edmond Spalikowski, Le Palais de justice de Rouen et son histoire, Rouen, Édition Maugard, 1939, p. 165. 37. Arch. dép. de Seine-Maritime, 4N223, Mémoire des Travaux agrandissement du Palais du Justice, le 20 octobre 1851. 38. Chambres des Pairs, séance du 6 juin 1842. Rapport fait à la Chambre par M. le duc de Crillon, au nom d’une commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi relatif à l’ouverture d’un crédit de 896,800 francs pour l’achèvement du Palais de Justice de Rouen, p. 2-3. 39. Notice sur les nouvelles forges de Fourchambault, département de la Nièvre. Exposition de 1823, Paris, s.d., p. 3. 40. Louis Hautecœur, Histoire de l’architecture classique en France, t.VII, Paris, Éditions A et J. Picard, 1957, p.301. 41. Jean-Philippe Desportes, « Alavoine et la flèche de la cathédrale de Rouen », dans Revue de l’Art, n ̊ 13, 1971, p. 48-62. 42. Jean-Michel Leniaud, Les Cathédrales au XIXe siècle, Paris, Economica, 1993, p. 287. 43. Ibid. 44. Jean-Paul Zitt, Les Débuts de la fonte ornementale en France, de l’Empire à la monarchie de Juillet, mémoire de master, présenté sous la direction de M. Jean-François Belhoste, École du Louvre, 2011, p. 105. 45. Claude Mignot, L’Architecture au XIXe siècle, Paris, 1983, p. 172. 46. Ministère de l’intérieur, direction des monuments publics et historiques, Situation des travaux au 31 décembre 1833, Paris, Imprimerie royale, 1834, p. 17. 47. Congrès archéologique de France, LXXXIX, session tenue à Rouen, 1926, Paris, 1927, p. 162. 48. Jean-Paul Zitt, « Les débuts de la fonte ornementale en France, de l’Empire à la monarchie de Juillet », Cahiers de l’École du Louvre, n ̊ 1, septembre 2012, p. 3. URL : http://www.ecoledulouvre.fr/revue/numero1/Zitt.pdf

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49. En recherchant les exemples de crêtes en fonte en Grande-Bretagne, on ne trouve pas d’exemples qui précéderaient ceux de la France. Concernant les églises du néo- gothique anglais qui introduisirent la fonte dans leurs constructions au cours des années 1810, on connaît trois exemples à Liverpool : l’église Saint-Georges (1813-1814), l’église Saint-Michael (1813-1815) et l’église Saint-Philippe (1815-1816). Mais, Il n’est pas fait mention de crêtes en fonte pour ces églises. 50. Arch. nat., F19 7677, lettre au Préfet du ministre, Paris, le 20 septembre 1838. 51. Louis Charles Eck, Traité de l’application du fer, de la fonte, de la tôle..., Paris, Carilian- Goeury et V Dalmont, 1842, p. 26. 52. Jean-Philippe Desportes, op.cit., 1971, p. 58. 53. Jean-Michel Leniaud, op. cit., 1993, p. 289. 54. Victor Hugo, En voyage France-Belgique, Paris, Ronff, 1902, p. 65. 55. « Mélanges et nouvelles », dans Annales archéologiques, t.XIII, 1853, p. 103-104. 56. Toutefois les piliers des Halles de Paris (1853-1858) conçus par Baltard ne sont pas dissimulés. La Revue générale de l’architecture (1857) en fait l’éloge : « [...] on peut louer sans réserve l’emploi de la fonte. Les colonnes sont minces, délicats, légères, et l’œil en est satisfait », Claude Mignot, op.cit., p. 192-193. 57. Jean-Philippe Desportes, op.cit. p. 51. 58. Ibid., p. 51-52. 59. Félix Tourneux, « De l’emploi de la fonte et du fer forgé dans les constructions », Revue générale de l’architecture et travaux publics, 1841, t. II, p. 418. 60. Bruno Foucart, « La cathédrale synthétique de Louis-Auguste Boileau », Revue de l’art, 1969, n˚ 3, p. 62. 61. Louis-Charles Eck, op.cit., 1841, p. 37. 62. Jean-Michel Leniaud, op.cit., 1993, p. 287. 63. On peut voir le socle du bois de ce salon gothique au musée du Louvre. 64. Viollet-le-Duc, « De l’art étranger et de l’art national », dans Annales archéologiques, t. II, 1845, p. 304. 65. « De l’emploi du fer comme moyen de consolidation dans les monuments gothiques », dans Revue générale de l’architecture et travaux publics, 1841, t. II, p. 23. 66. « Festons arrondis qui décorent l’intrados de certains arcs » ou « une suite de découpures en manière de festons décorant l’intrados d’une arcade ». Ernest Bosc, Dictionnaire raisonné d’architecture et des sciences et arts..., t. I, Paris, Firmin-Didot, 1883, p. 504 et p. 508. 67. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné..., op.cit., t. IV, « contre-courbe », p. 279. 68. Les dessins de cette crête sont conservés aux Archives nationales parmi les dessins de François Debret, (CP/568AP15 5). 69. Revue générale de l’architecture et travaux publics, 1841, p. 23. 70. Claude Mignot, op. cit., p. 172. 71. Louis Hautecœur, Histoire de l’architecture classique en France, t.I, Paris, Picard, 1943, p. 72. 72. Martine Diot, Épis de faîtage en plomb, t.I, du XVe au XVIIIe siècle, Centre de recherches sur les Monuments historiques, Paris, 1989, p. XIII.

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73. Barry Bergdoll, « Léon Vaudoyer et Félix Duban », dans Félix Duban..., op.cit., 2001, p. 43. 74. Ibid. 75. Eustache de La Quérière, op.cit., p. 51. 76. L’affaire de la crête de Saint-Denis a été déjà rapportée respectivement par Jannie Mayer et Jean-Michel Leniaud mais il reste encore tout de même quelques points obscurs. Mayer a laissé une petite histoire sur la crête de la basilique de Saint-Denis mais celle-ci n’est pas publiée : ces petites notes sont conservées avec un plan dressé par Viollet-le-Duc à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. Leniaud a signalé cette crête dans ses ouvrages (1994, 2012) et notamment La Basilique royale de Saint-Denis, Paris, Picard, 2012, 207 p. 77. MAP, 80/14/66. 78. MAP, 80/14/17, lettre de Viollet-le-Duc au ministre, le 27 novembre 1846. 79. Ibid. 80. Arch. nat., Cartes et Plans, 568/AP/080. 81. MAP, Fonds Viollet-le-Duc, église royale de Saint-Denis, mai 1847 (n˚ 2712). 82. MAP, 80/14/17, lettre de Viollet-le-Duc au ministre, le 27 novembre 1846. 83. MAP, 80/14/16, lettre au président du Conseil général des bâtiments civils, le 15 juin 1847. 84. MAP, 80/14/16, rapport fait au Conseil par Biet, le 5 août 1847. 85. MAP, 80/14/16, lettre de Viollet-le-Duc au ministre, Saint-Denis, le 26 septembre 1847. 86. MAP, 80/14/16, rapport au ministre secrétaire d’État au département des travaux publics, le 2 novembre 1847. 87. MAP, 80/14/16, arrêté ministériel, Paris, le 2 novembre 1847. 88. MAP, 80/14/66, Cahier des charges particulières des travaux de serrurerie et de plomberie à exécuter à l’église royale de Saint-Denis pour la façon et la pose d’une crête ornée sur le grand comble de cette église, le 20 septembre 1847. 89. MAP, 80/14/66, Attachement du démontage de la crête en fonte du grand comble. Boulanger commença ce travail le 22 novembre 1847. 90. Benjamin Mouton, « Le cuivre, La basilique de Saint-Denis, Seine-Saint-Denis », dans Monumental, 2001, p. 214. Elle est pourvue d’armatures en fer. 91. MAP, 81/093/010, rapport, le 30 décembre 1931. 92. La forme des crêtes de Viollet-le-Duc est trop caractéristique pour nous permettre d’emblée de retrouver la trace de sa participation dans les monuments : la basilique de Saint-Denis, la nouvelle sacristie de la Notre-Dame de Paris, la Notre-Dame de Paris, la chapelle de la Vierge de la cathédrale d’Amiens, l’église de Saint-Denis de l’Estrée, etc. Celle du château de Pierrefonds constitue la scène de l’épanouissement des crêtes de cet architecte. 93. Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, A. Morel, t. IV, p. 392. 94. Ibid., p. 395 95. Ibid., p. 397.

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96. Robert Dulau et Dorothée Kaiser, op.cit., p. 3. 97. Philippe Dufieux, « Gothiques et romans: la restauration des églises à Lyon au XIXe siècle », dans Livraisons d’histoire de l’architecture, n ̊3, 2002, p. 47, note 42. 98. Jannie Mayer, op.cit., p. 46. 99. Arch. nat., F19 7677, rapport à Monsieur le préfet d’Eure-et-Loir, au sujet de plusieurs objets relatifs aux travaux de la cathédrale, le 11 mars 1839. 100. Pour la plupart des charpentes des XIIe et XIIIe siècles, c’est le voligeage qui assurait le contreventement des fermes et agissait pour la stabilité des fermes. Sur ce point, je remercie M. Frédéric Epaud pour ses conseils. 101. Jean-Michel Leniaud, op.cit., 1993, p. 505. 102. Philippe Plagnieux, « L’œuvre de l’architecte François Debret à Saint-Denis », dans Bulletin monumental, 2000, t. 158-IV, p. 379.

RÉSUMÉS

Dans la première moitié du XIXe siècle en France, la recréation de « crêtes » en fonte pour les toitures des monuments gothiques et du néo-gothique a fait l’objet d’un grand intérêt chez les architectes de cette époque. Pour eux, la crête était une caractéristique du gothique flamboyant qu’ils recherchaient et ils savaient aussi que c’était à la période du gothique flamboyant que l’on avait plus souvent employé le fer pour les parties découpées des monuments médiévaux : ils optèrent pour la fonte dans la création de crêtes. Cette première génération du début du XIXe percevait aussi dans les crêtes un ornement symbolique de l’architecture nationale française. Cependant Viollet-le-Duc insista sur la fonction structurelle de la crête dans les faîtages et fit remplacer finalement à la basilique de Saint-Denis la crête en fonte projetée par Debret par une autre en plomb. Pour ce spécialiste de l’architecture médiévale, la crête ne pouvait pas être un simple accessoire, mais devait être un élément fonctionnel.

In the first half of the 19th century in France, the architects were extremely interested in the revival of metallic ornaments on ridges of rooves by the use of cast iron in gothic and neo-gothic monuments. They considered this roof ornament as a characteristic of flamboyant gothic and knew that the iron was very often used in medieval monuments in the late gothic period. They also regarded this ornament as a symbol of national French architecture. In contrast, Viollet-le- Duc thought of this roof ornament as a more functional element of gothic architecture. For reasons of this concept, he changed the cast iron roof ornament made by his predecessor for another one in lead at the basilica of Saint-Denis.

In der ersten Hälfte des 19. Jahrhunderts gewannen gusseiserne Firstverzierungen ("crêtes") auf den Dächern gotischer Monumente zunehmendes Interesse unter Architekten. Sie wurden als charakteristisches Merkmal der Flamboyant-Gotik angesehen und vielfach in Gusseisen reproduziert. Die Firstbekrönungen galten darüber hinaus als symbolisches Ornament einer als national verstandenen französischen Architektur. Viollet-le-Duc hingegen betonte die strukturelle Funktion dieses Gitters auf dem First und ließ schließlich die von Debret geplante gusseiserne "crête" durch eine aus Blei ersetzen. Aus seiner Sicht als Kenner mittelalterlicher

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Architektur stellte die Firstbekrönung weniger ein allein dekoratives Accessoire als vielmehr ein funktionales Element dar.

AUTEUR

SAYURI KAWASE Sayuri Kawase est née en 1981 à Tokyo et est doctorante à l’École patique des hautes études. Depuis son master à l’université de Tokyo, elle se consacre aux études de l’histoire de la restauration monumentale au XIXe siècle en France afin de réfléchir sur la notion moderne occidentale de « patrimoine ». Après avoir présenté un mémoire de master intitulé « la Monographie de la Cathédrale de Chartres et son époque » également à l’université de Tokyo en 2009, elle a commencé ses études en France en 2011. En 2013, elle a soutenu un mémoire de master intitulé « Les crêtes au XIXe siècle » à l’École pratique des hautes études sous la direction de Jean- Michel Leniaud avec lequel elle travaille actuellement à sa thèse sur les combles métalliques de la cathédrale de Chartres. Elle travaille également comme guide conférencier dans cette belle cathédrale. [email protected]

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Monduit s’expose : la participation de la maison Monduit aux expositions universelles. The Maison Monduit on display at the International Exhibitions Monduit stellt aus: die Teilnahme der Maison Monduit an den Weltausstellungen

Caroline Mathieu

1 Glorification de l'industrie triomphante, manifestations de prestige et d'orgueil, sources de toutes les expériences, de toutes les fantaisies et véritables invitations au voyage, les expositions universelles sont nées du désir de rassembler produits et procédés de fabrications de toutes les puissances modernes, et de stimuler la concurrence. L'industrie s'exposait déjà, en des manifestations nationales, depuis la fin du XVIIIe siècle. La première manifestation française date de 1798 et affirme déjà « vouloir porter le coup le plus funeste à l'industrie anglaise ». Elle s'installe sur le Champ de Mars, qui va devenir l'un des lieux privilégiés des expositions universelles. De 1801 à 1849, ces présentations se renouvellent dans la cour du Louvre, sur la place de la Concorde ou les Champs-Élysées, et durent une semaine pour la première, six mois pour la dernière, ce qui sera la longueur habituelle des expositions universelles. Avec le développement des chemins de fer, du commerce et des échanges internationaux, naît bientôt l'idée d'organiser une confrontation pacifique, internationale, rassemblant commerce, industrie et beaux-arts.

2 C'est la Grande Bretagne, forte de sa précoce révolution industrielle et de sa stabilité politique, qui, en 1851, réunit « tous les pays d’Orient et d’Occident » en un palais exceptionnel, le Crystal Palace. Puis Paris organise sa première Exposition universelle en 1855, y adjoignant les Beaux-Arts absents à Londres. Les expositions universelles se succèdent désormais en France avec un intervalle de onze années: 1867, 1878, 1889, 1900. Vienne, bientôt les États-Unis, plus tardivement l’Italie et même l’Australie viennent enrichir et diversifier ces rencontres périodiques.

3 Les expositions universelles étaient, pour les arts appliqués à l’industrie relativement peu connus, le moyen d’exister de façon spectaculaire, comme le prouvent les

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photographies des stands de l’atelier Monduit (ill. 1) ; la création, en 1876, de L’Union centrale des arts décoratifs par Victor Champier, (1851-1929), sur le modèle du South Kensington Museum de Londres (Victoria & Albert Museum) et celle d’un réseau d’écoles en province pour encadrer l’essor des arts appliqués à l’industrie soutenu par l’État, fait découvrir l’importance de ces métiers, de même que l’esprit des champions de l’Art Nouveau, prônant l’abolition des barrières entre arts majeurs et arts mineurs. Cependant, Champier peut encore écrire, à propos de l’Exposition de 1889 : « Jamais, jusqu’à présent, les expositions universelles n’ont donné lieu à des ouvrages illustrés sérieusement faits, consacrés à l’étude des productions de l’art appliqué à l’industrie. Tandis que les œuvres des peintres et des sculpteurs fournissent matière à de nombreuses publications plus ou moins luxueuses, celles des fabricants, orfèvres, bronziers, céramistes, ébénistes, décorateurs, etc., – qui ont bien cependant une valeur d’art aussi ! – sont la plupart du temps traitées avec une incompréhensible négligence. De nos jours, on ignore, on méconnaît les efforts réels accomplis dans les ateliers ou les manufactures pour rajeunir les formes surannées des styles passés. On ne cherche à s’enquérir ni des artistes décorateurs qui obscurément, travaillent à cette rénovation, ni des fabricants qui s’épuisent dans une lutte courageuse contre la routine de l’imitation stérile à laquelle la foule réserve ses faveurs ».

Ill. 1 : Le stand Mesureur et Monduit à l’Exposition universelle de 1889 à Paris

Épreuve sur papier albuminé. On reconnaît le griffon ailé de Caïn, le chevalier en armure, tous deux ornements de l’hôtel de ville de Paris, ainsi que le lion de Belfort. PHO 1996 6 27. © RMN, Musée d'Orsay, fonds Monduit, don de Mme Pasquier Monduit

4 Ce que Victor Champier revendique, c’est qu’à côté des architectes et des sculpteurs soit enfin reconnu le travail de l’artisan d’art, et plus précisément « l’effort du fabricant pour donner à l’art la part qui lui revient 1 ».

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5 C’est effectivement ce débat qui parcourt le second Empire comme la troisième République, ces difficiles rapports entre l’Art et l’industrie, dont les expositions se font régulièrement l’écho. Ainsi, en 1889, (1832-1923) est stigmatisé comme un mercantile un « constructeur de machines » et la Tour qualifiée d’« odieuse colonne de tôle boulonnée ». Un autre exemple est particulièrement significatif : l’architecte (1845-1906) est présenté comme le seul inventeur de la ferme articulée du palais des machines, tandis que l’ingénieur Victor Contamin (1840-1893) qui a rendu possible cette création, est, lui, rarement mentionné. On remarque d’ailleurs, dans les diverses notes que produit pour les jurys la maison Monduit, qu'elle aussi ne laisse de revendiquer sa part légitime d’art et de création alors que justement la plomberie et la cuivrerie d’art connaissent un essor sans précédent : « Tous les monuments français, soit restaurés, soit nouvellement construits, sont dominés par des épis, des frises, ornés par des cuivres sortant de cette maison… »2.

L’excellence dès les débuts de la maison Monduit

6 Bien que présents et récompensés dès 18513, la première grande participation de la maison Monduit se fait à Londres en 1862. Associée à Béchet en 1861, la maison présente, entre autres, une réplique des statues des apôtres Matthieu et Barthélemy, parmi les douze figures qu’il avait réalisés pour la flèche de Notre-Dame de Paris (ill. 2), fabriquées sous la direction de Viollet-le-Duc, avec lequel s’étaient instaurés de vrais liens d’amitié4 et du sculpteur Geoffroy-Dechaume. En 1867, à Paris, Monduit participe à la création du palais du Champ de Mars, dessiné par l'ingénieur Jean-Baptiste Krantz (1817-1899), assisté de l'architecte Léopold Hardy et de l'ingénieur Eiffel. Il s’agit d’un édifice de plan ovale formé, autour d'un jardin, de sept galeries concentriques, dont chacune correspond à un domaine précis, tandis que chaque section rayonnante permet de parcourir l'ensemble des produits d'une nation.

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Ill. 2 : Charles Marville (1813-1879), Le stand Monduit et Béchet à l’Exposition universelle de Londres, 1862

Avec les statues de Saint Matthieu pour la flèche de Notre-Dame et Saint-Barthélemy pour celle de la Sainte-Chapelle, épreuve sur papier albuminé. PHO 1996 6 73. © RMN, musée d'Orsay, fonds Monduit, don de Mme Pasquier Monduit

7 L’entreprise Monduit obtient pour cette participation une médaille d’or dans la classe 22, Bronzes d’art, Fontes d’art diverses, objets en métaux martelés et repoussés et fait l’objet d’une longue citation dans le rapport du jury international où sont aussi rappelés les travaux antérieurs réalisés par la maison Monduit : « La classe 22 ne compte qu’une seule maison qui présente une série complète et très remarquable (ornements et statues) exécutés au moyen du repoussé : c’est l’établissement de MM. Monduit et Béchet. Indépendamment des produits exposés, cette maison a exécuté, pour nos monuments, d’importants travaux, parmi lesquels nous devons citer ceux du Louvre, de la Sainte Chapelle, de Notre-Dame, du dôme des Invalides, du Palais de Justice, des châteaux de Saint-Germain et de Pierrefonds etc. La plupart de ces travaux sont en plomb. Pour ceux en cuivre, nous mentionnerons seulement la statue colossale de Vercingétorix, érigée à Alise- Sainte-Reine (Côte d’Or) (ill. 3). Le modèle de cette statue, qui mesure 7 mètres de haut, a été composé par le statuaire Aimé Millet. L’exécution en cuivre a été commencée d’après un modèle en plâtre et a été continuée d’après dessins, en raison de modifications successives. Les accessoires ont été aussi réalisés d’après dessins. L’espace nous oblige à borner là nos citations mais, nous tenons à le dire, la maison Monduit et Béchet demeure, de tout point, digne d’encouragement »5.

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Ill. 3 : Vercingétorix, statue d’Aimé Millet

En cuivre martelé, présenté sous la verrière du palais de l’industrie, 1865. PHO 1996 6 53. © RMN, musée d'Orsay, fonds Monduit, don de Mme Pasquier Monduit

8 Deux autres médailles d'or s’ajoutent au prestige croissant de la maison Monduit, ainsi que des médailles remportées par les ouvriers. La prise en compte de l’équipe d’artisans, au-delà de son responsable, est particulièrement éloquente et témoigne de la reconnaissance venant s’élargir cette-fois à l’ensemble de l’entreprise. Il faut citer C-J. Morel, premier ouvrier marteleur et médaille d’or, le fidèle Albert Boignes, chef d’atelier du martelage du cuivre qui reçoit une médaille d'argent; en tout, ce sont vingt- six des collaborateurs des ateliers Monduit qui sont ainsi récompensés !6 Si les succès s’enchaînent à chaque participation, il convient néanmoins, à toujours veiller à convaincre le jury, et à systématiquement valoriser les progrès techniques développés par la firme et enfin de récapituler les principaux et prestigieux travaux accomplis depuis la dernière exposition. C’est aussi dans les diverses notes de l’atelier Monduit que l’on trouve de précieuses indications relatives au nombre d’ouvriers et au chiffre d’affaires. Ainsi, pour l’Exposition de Vienne en 1873, est joint un historique de la maison Monduit : « Le nombre des ouvriers employés est en moyenne de six cent cinquante pour un chiffre d’affaire de deux millions par an », on parle aussi de la nouvelle société en commandite et de ses nouveaux associés : « Monduit, Béchet et Compagnie, avec l’adjonction de MM. Gaget et Gauthier en qualité de co-gérants ». La maison s’emploie à expliquer de façon didactique et technique les progrès accomplis dans les travaux en plomb et en cuivre : « Dans l’exécution des travaux en plomb, Monduit et Béchet ont apporté une grande amélioration consistant dans l’étamage intérieur des pièces de plomb. Le résultat de ce mode de travail est de consolider le plomb pour pouvoir, au moyen de ferrures, fixer les pièces et éviter l’inconvénient grave du contact du chêne avec le plomb. Application en a été faite pour toutes les lucarnes du Palais des Tuileries et

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toute l’ornementation du Dôme des Invalides. Perfectionnement apporté dans le travail du cuivre depuis l’Exposition de 1867 : ainsi qu’on le verra dans l’exécution de la Vierge et des bustes composant le poinçon du chevet pour la cathédrale de Clermont (poinçon exposé à Vienne), toutes les parties du métal composant les sujets sont jointes au moyen de rivets en cuivre abreuvés dans le métal, travail ne laissant rien à désirer, puisque n’ayant plus aucune soudure, l’incendie même n’est plus à redouter, et il n’y a plus la crainte de voir les soudures se défaire et les objets se déformer »7.

9 La variété et la profusion des pièces envoyées à Vienne en 1873 témoignent des qualités du travail réalisé. À ce titre les noms des architectes ou des sculpteurs figurent toujours systématiquement et viennent explicitement valoriser le travail de l’artisan. (ill. 4). La liste des œuvres est impressionnante, En plus du poinçon de Clermont-Ferrand établi à partir d’un dessin de Viollet-le-Duc, composé d’une Vierge à l’enfant en cuivre martelé, de sept bustes en cuivre dessinés par Antoine Zoegger8, « le tout monté sur quatre rinceaux en plomb martelé, exécutés avec la perfection indiquée : l’étamage du plomb à l’intérieur », on trouve la crête et le lambrequin du Palais de la Cour de Cassation à Paris ainsi que la crête et un des épis du Palais de Justice de Paris, dessin de M. Duc9 architecte. Sont exposés également « la crête avec épi exécutée au palais de M. le comte Guido Hankel à Neudeck (Silésie)10, réalisés sur un dessin de M. Lefuel11 architecte et de Villeminot12, sculpteur ». L’un des « épis exécutés au château de M. le baron Seillière à Cires-les-Mello, sur un dessin de M. Destailleur13, architecte, » est aussi mentionné ; puis « un des vases exécutés au château de M. le baron de Rothschild, à Ferrières, de M. Lami architecte14 ».

Ill. 4 : Charles Marville, Stand Monduit et Béchet à l’Exposition universelle de Vienne, 1873

Avec les deux anges de l’église Saint-Laurent, modèle de Geffroy-Dechaume. Épreuve sur papier albuminé, et des objets provenant de l’opéra de Paris (masque, aigle), épreuve sur papier albuminé. PHO 1996 6 22. © RMN, musée d’Orsay, fonds Monduit, don de Mme Pasquier Monduit

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10 La liste se poursuit avec la mention d’« un tronçon de la flèche projetée pour être exécutée à Lausanne (Suisse), sur dessin de M. Viollet-le-Duc, architecte, et de la crête de l’abbaye de Saint-Denis, de M. Villeminot, sculpteur ». Puis, suit alors l’énumération de tous les travaux importants exécutés depuis l’Exposition de 1867. Monduit reçoit une médaille d’or et Béchet la légion d’honneur. L’exposition de Philadelphie, en 1876, est trop proche de celle de Vienne, mais Monduit, Gaget-Gauthier y sont toutefois représentés par la main tenant le flambeau de la future statue de la Liberté15(ill. 5).

Ill. 5 : Exposition de 1878, statue de l’Indépendance américaine

© Julien Turgan, Les grandes usines, bibliothèque du musée d’Orsay / Patrice Schmidt

Un nouveau départ, Mesureur et Monduit

11 1878 est l’exposition de la revanche : « La France peut donner avec orgueil au monde le spectacle d’une nation si maltraitée par la conquête et les dissensions intestines, se relevant seule, en si peu de temps. Il y a à peine huit ans qu’elle a reçu un de ces coups terribles dont ses ennemis espéraient qu’elle ne se relèverait pas, et la voilà qui se montre aujourd’hui comme si elle n’avait perdu ni un soldat ni un canon et comme si elle n’avait pas eu à payer un écu de tous les milliards de sa rançon »16.

12 Vaincue de la façon la plus humiliante en 1870, éprouvée par le tragique épisode de la Commune, sommée de verser à l’Allemagne cinq milliards or, la France a entrepris un effort de redressement dont l’exposition universelle concrétise la réussite. Deux grands palais sont élevés ; l’un, destiné à perdurer, sur la colline de Chaillot, le Trocadéro, œuvre de Gabriel Davioud et Jules Bourdais17, dont la maison Monduit assure l’ensemble de la couverture ainsi que la monumentale figure de la Renommée, modèle du

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sculpteur Antonin Mercié, « exécutée en cuivre repoussé au marteau dans les ateliers de MM. Monduit, Gaget et Gauthier. Cette figure dont la composition montre une fois de plus la grâce et la vigueur exceptionnelle du talent du jeune statuaire, tient d'une main plusieurs couronnes, tandis que, de l'autre, elle soutient la traditionnelle trompette. Sa dimension s’élève à 3,50 m et la figure est dorée ainsi que les ornements qui supportent sa base18. »

13 Ce sera déjà un triomphe pour l'entreprise Monduit, mais la réalisation qui remporte spectaculairement tous les suffrages est sans conteste la tête de la statue de la Liberté éclairant le monde de Bartholdi, dont la gigantesque tête, exposée au Champ de Mars, est visitée par un public très important. C’est à cette époque qu’Honoré Monduit souhaitant soutenir son fils Philippe fonde alors une nouvelle entreprise : Monduit Fils et s'associe aux frères Mesureur. Mais ce changement de statut va voir Philippe Monduit privé de la paternité de la réalisation de la statue de la Liberté. Ce changement de société explique que seuls les noms de Gaget-Gauthier soient mentionnés pour la célèbre statue, alors que l’ensemble avait été mis au point et conçu par Bartholdi et réalisé par les ateliers Monduit. D’ailleurs Turgan ne s’y trompe pas en publiant en 1881, son treizième volume des Grandes Usines dans lequel il fait l’éloge de la maison. Il consacre un chapitre entier à l’établissement Monduit et Béchet, avec les successeurs mentionnés et rappelle leurs travaux d’adduction d’eau réalisés à l’Exposition 19. Une médaille d’or et un Grand prix viennent ainsi s’ajouter au palmarès de la maison et Honoré Monduit est promu au grade de chevalier de la légion d’honneur. La maison Monduit fils participe ensuite à l’exposition de Sydney en 1879 et obtient une médaille de bronze, mais déjà se profile l’Exposition d’Amsterdam en 1883. Cette fois, Monduit ne cache pas sa fierté de n’exposer que des œuvres réalisées après 1879 et encore jamais présentées et développe les nouveaux progrès atteints dans le processus de fabrication et le traitement du métal : « Les ornements qui composent notre exposition sont tous en plomb ou en cuivre martelés à la main sans qu’aucune de leurs parties ne soit estampée à la machine, ni fondue. Les procédés que nous employons pour fabriquer ces poinçons, épis, crêtages, lucarnes et statues les rendent tout particulièrement propices à leur destination. L’épaisseur du métal employé est en moyenne de 0,0015 pour le cuivre et de 0,003 pour le plomb ; une fois que les différentes pièces qui doivent composer un ornement sont battues, elles sont réunies et soudées ensemble puis montées sur une armature en fer, qui, véritable ossature, en maintient toutes les parties, les relie entre elles et permet de les fixer sur les charpentes des combles. Dans ces conditions, il est facile de se rendre compte de la très grande légèreté des ornements que nous fabriquons, ce qui est un avantage des plus sérieux puisque, en général, ils doivent être placés à une grande hauteur et que le montage et la pose en sont rendus néanmoins très facile. […] Malgré cette très grande légèreté, nous sommes parvenus à donner à nos cuivres et à nos plombs une solidité à toute épreuve. Cela tient à ce que les opérations successives de battages et de recuit que nous faisons subir au métal, en resserre les pores et en rendent les molécules très homogènes. […] Enfin, outre la légèreté et la solidité, un des principaux avantages de notre fabrication est un bon marché relatif ».

14 Suit alors la liste des pièces exposées; au Palais de Justice de Bruxelles, « un crêtage en cuivre martelé, composé de moulures, têtes de lion, guirlandes, rosaces, flammes et autres motifs. Chacun des motifs est repoussé au marteau dans une seule et même pièce de cuivre, ce malgré les saillies considérables et exceptionnelles à tout ce qui s’est fait à ce jour » ; puis ce sont les lucarnes, membrons et lambrequins en plomb martelé exécutés pour l’hôtel de ville de Paris, sur des dessins des architectes Ballu et

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Deperthes, « véritables travaux d’art car les lignes architecturales n’ont pas exclu une ornementation composée des figures et fruits. L’examen des pièces diverses composant les motifs indiqués démontre que comme pour le cuivre, le martelage du métal plomb a été aussi étendu à des limites inusitées jusqu’à ce jour, l’assemblage des pièces et le mode de les fixer est d’une simplicité telle, que les points d’appui sur le chevronnage suffisent très bien pour offrir une solidité ne laissant rien à désirer : perfection du travail, légèreté des armatures, économie considérable d’ensemble d’exécution et de pose ».

15 Parmi les autres objets présentés, se trouve l’épi du Comptoir d’Escompte de Paris, dont l’architecte est Victor Corroyer et : « Le modèle au 10e d’un lion exécuté de 8 mètres de long [le lion de Belfort, de Bartholdi], […] quelle que soit l’échelle, il est démontré que les grands artistes peuvent trouver entière satisfaction dans l’exécution en cuivre martelé de toutes leurs œuvres. […]. De l’exécution d’une œuvre en cuivre martelé, on doit aussi reconnaître un grand avantage pour la perfection de l’œuvre : l’artiste consciencieux (tels sont tous les maîtres de ces grandes œuvres), ne sont jamais satisfaits d’eux-mêmes, et sont toujours tentés d’améliorer ; avec la reproduction par le cuivre, martelé, l’artiste a cette facilité : jusque dans les dernières des limites, il peut à sa guise sur ses indications faire agir le praticien marteleur pour exécuter telles modifications qu’il peut reconnaître utiles. »

16 On y voit aussi l’un des sphinx du campanile de l’hôtel de ville de Paris : « Un des quatre grands sphinx réalisés (ill. 6) justifie à tous que les engagements (de perfection de l’exécution), ont été remplis, et messieurs les architectes ont pu réaliser leur programme, réalisant une grande économie sur le système de la fonte de cuivre et aussi la réalisation d’une différence de poids considérable, point si important lorsqu’il s’agit de l’ornementation d’un campanile qui est toujours de construction très élevée et isolée ».20

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Ill. 6 : Wegner et Moti, Stand Mesureur et Monduit à l’exposition universelle d’Amsterdam, 1883

Avec la sphinge et divers ornements du nouvel Hôtel de Ville de Paris. Épreuve sur papier albuminé. PHO 1996 6 26. © RMN, musée d’Orsay, fonds Monduit, don de Mme Pasquier Monduit

17 Une médaille d’or et un diplôme d’honneur s’ajoutent à la consécration de la maison, signalée comme « un établissement spécial et unique en Europe »21. À peine le temps de respirer et c’est l’exposition universelle d’Anvers de1885 ! Là encore, Monduit montre une partie des œuvres qui avait été exposée à Amsterdam, mais aussi des pièces nouvelles, comme le griffon ailé en cuivre martelé, œuvre du sculpteur Caïn, qui a travaillé avec la maison pour la reconstruction du nouvel hôtel de ville de Paris. On y admire aussi la reproduction d’une partie de son couronnement: un chevalier en armure de 2,50 m en cuivre martelé de 0,002 d’épaisseur. Les ateliers Monduit ont réalisé dix chevaliers de même dimension mais de modèles différents. On y voit également deux grandes lucarnes en plomb repoussé avec tête de Mercure et guirlandes de fruits, le tout réalisé suivant un nouveau procédé.

18 L’amélioration constante des processus de fabrication en cuivre et le rappel régulier des prouesses techniques constituent pour Monduit vis-à-vis de ses collègues, des organisateurs d’exposition et des spécialistes une véritable obsession, une exigence qui place en fait l’activité de l’atelier au rang d’un véritable laboratoire de recherche : « Pour les premiers, nous avons trouvé le moyen de supprimer complètement le bois et voici comment : toutes les pièces de plomb ou de cuivre, après avoir été martelées, sont ajustées séparément au moyen d’armatures métalliques sur l’ossature en fer du bâtiment : elles sont complètement indépendantes les unes des autres et peuvent subir tous les mouvements de dilatation, non seulement sans se déchirer elles-mêmes, mais encore sans peser ou tirer sur les pièces voisines »22.

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19 À Anvers, la maison revient laurée de deux diplômes d’honneur, tandis que Philippe Monduit reçoit la croix de chevalier de l’ordre de Léopold. L’associé Mesureur est, lui, nommé chevalier de la Légion d’honneur.

Le triomphe

20 Les expositions de 1889 et de 1900 à Paris sont une véritable consécration pour Philippe Monduit. En 1889, il est chargé des toitures et de l’ornementation du Palais des Beaux- Arts et du Palais des Arts libéraux, « avec leurs grands dômes et leurs pavillons d’angle, leurs poinçons, arêtiers et membrons en cuivre repoussé ; les plombs fondus de la fontaine de Coutan pour la reproduction des grands dauphins (ill. 7), des vases, des cornes d’abondance etc.; et les cinquante lanternes monumentales en bronze qui servent à l’éclairage électrique du jardin central, et qui au point de vue ornemental comme au point de vue pratique, ont remporté tous les suffrages »23. Cette commande de toitures vient rappeler que Monduit, de par sa formation initiale de plombier, travaille également comme entreprise de couverture. Il accumule à nouveau les récompenses dans différents domaines qui recouvrent alors aspects sociaux et hygiène – deux grands prix pour les classes 25 (bronzes) et 63 (Travaux publics et Génie civil), une médaille d’argent dans la classe 64 (hygiène) et une médaille de bronze dans l’Économie sociale et, distinction ultime, il est alors nommé officier de la légion d’honneur, mais un procès lié à un dépassement de frais généraux vient un peu assombrir sa joie. Ill. 7 : L’atelier Monduit, rue Poncelet

Avec les dauphins de la fontaine de Jules Félix Coutan, pour l’Exposition de 1889 à Paris, épreuve sur papier albuminé. PHO 1996 6 5. © RMN, musée d’Orsay, fonds Monduit, don de Mme Pasquier Monduit

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21 Philippe Monduit avait créé, avec trois autres entrepreneurs de travaux publics, parmi lesquels Gaget, Gauthier et Cie une sorte de syndicat : « Sur la prière instante de M. Monduit, les associés ont bien voulu consentir à s’effacer pour ne pas nuire à son prestige […] à le laisser seul en face de l’administration, exécuter seul les travaux, d’en établir la comptabilité, produire et encaisser les mémoires ».

22 Mais les associés ne sont pas du tout d’accord sur les comptes présentés par Monduit et demandent un arbitrage, confié à deux chefs d’entreprise, Leblond et Jansonie. Toute la question tourne en fait autour des frais généraux ; doit-on « faire entrer en ligne de compte les frais généraux, et en fixer le quantum, si ces frais généraux doivent comprendre ceux relatifs à l’exploitation de la maison de commerce de chacun des entrepreneurs qui ont exécuté des travaux, comme le prétend M. Monduit, ce qui est contesté énergiquement par les autres syndicataires »24.

23 Dans une lettre adressée à M. Jansonie, Monduit explique sa position : « La question des frais généraux est tellement importante pour moi, elle me causerait un si énorme préjudice, une perte sèche si considérable, si vous la tranchiez dans un sens défavorable à mes revendications, que je ne saurais trop insister auprès de vous, pour que vous l’examiniez en homme de métier, en entrepreneur qui sait que, dans un prix de revient, la totalité de nos frais généraux doit figurer au même titre que les marchandises et la main d’œuvre. Autrement, il y a perte sur le chantier, et les autres chantiers se trouvent grevés de frais généraux encore plus considérable. Je suis sûr que, connaissant votre esprit d’équité, que vous ne consentirez pas à ce que, après avoir consacré au moins une année de ma vie à l’Exposition, après y avoir apporté tous mes soins, tous mes efforts, tout mon temps, au détriment de mes autres chantiers sur lesquels je me faisais remplacer par des commis, je me trouve dépouillé au profit de mes anciens associés qui se seront enrichis, tandis que moi-même, je sortirai, beaucoup moins avancé que si je ne l’avais pas entreprise, de cette malheureuse affaire 25».

24 Ses adversaires lui reprochent aussi le prix du cuivre utilisé pour l’ornementation des deux palais de Formigé ; Gaget et Gauthier, les anciens associés, demandent une estimation à divers estampeurs, beaucoup plus basse : « Qu’est-ce-que ça prouve ? Ce n’est un secret pour personne qu’actuellement toutes les maisons d’estampage par suite d’une concurrence insensée, traitent les affaires au-dessous de leur prix de revient. J’en ai eu cette semaine un exemple frappant. Un estampeur vient de m’enlever à Bordeaux un important travail de zinc repoussé que j’avais étudié avec un de ses confrères et il est plus que certain que l’adjudicataire ne couvrira pas la dépense. … Leur situation est des plus mauvaises, et seules les anciennes maisons, enrichies par leurs bénéfices passés, pourront traverser cette crise »26.

25 De plus, fait remarquer Monduit, c’est seulement en janvier février 1889 que l’architecte Formigé a reçu des fonds destinés à l’ornementation de ses palais, et donc, il a fallu embaucher un grand nombre d’ouvriers et leur faire faire des heures supplémentaires. « Étant donné les délais très courts qui m’étaient accordés, je soutiens énergiquement que j’ai tiré de mes entreprises le parti le meilleur et le plus avantageux, et je n’accepte aucune réduction, ni sur la main-d’œuvre d’atelier, ni sur les frais généraux d’atelier. »

26 Mesureur et Monduit sont encore présents à l’exposition universelle de Milan en 1906 où un Grand prix leur est décerné. La dernière participation professionnelle de Philippe

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Monduit en tant que membre du jury est celle de l’exposition franco-britannique de Londres en 1908. Monduit meurt peu après en 1909: « La mort de M. Philippe Monduit, chef de l'importante maison de ce nom (entreprise de couverture, de plomberie et de cuivrerie d'art), est une perte cruelle pour le personnel de cet établissement, pour sa corporation tout entière, où il avait acquis une place éminente et pour la Chambre de commerce de Paris, dont il était devenu le président. Notre Société le comptait parmi ses membres, et il avait doté ses employés et ses ouvriers de la participation aux bénéfices depuis 1886. Monduit joignait à ses hautes capacités beaucoup de modestie et de courtoisie, en même temps qu'une grande aménité de caractère. »27

27 Heureusement, il avait reçu en 1900 une véritable consécration pour tous ses efforts, avec, entre entre autres, la réalisation des deux quadriges imaginés par le sculpteur Georges Récipon (1860-1920). Un article est prétexte à entrer de plain-pied dans l’intimité laborieuse de l’activité de l’entreprise. « Si mon atelier vous intéresse, m’avait dit Georges Récipon, combien vous seriez plus intéressé encore par les ateliers de M. Ph. Monduit, où mon œuvre revêt sa forme définitive, aussi légère qu’indestructible. Et tout aussitôt, un essaim de souvenirs était venu bourdonner à mes oreilles et devant mes yeux. Il s’agissait en effet de l’industrie bien française, profondément utile et très artistique de la cuivrerie d’art : l’art de représenter en lames de cuivre martelé, rivées et soudée, les œuvres les plus grandioses et souvent les plus belles de la statuaire moderne. De cet art, j’avais été le témoin voici quinze ans, alors que j’avais vu des fenêtres de mon cabinet de travail, monter et démonter pièce à pièce, la statue de La liberté éclairant le monde, de Bartholdi, ce colosse érigé aujourd’hui dans la baie de New York, et bravant de sa robe de cuivre les rafales et les embruns de l’Atlantique. Je savais que la maison Monduit- la tradition s’étant perpétuée intacte des mains du père au fils- avait à son actif, dans Paris, les œuvres les plus audacieuses, les plus géniales. Pour n’en citer qu’une et justifier mon admiration : Le génie des arts de Mercier au palais du Louvre (…) Je me hâtai donc de frapper à la porte des ouvriers du cuivre, modelant sous la direction de M. Monduit et de son très distingué chef d’atelier, M. Boignes, les figures et les chevaux des chars du Grand Palais. » Au milieu de la rue Poncelet, dans une halle immense comme une gare et recouverte mi-partie de tuiles, mi-partie de verres, une centaine et plus de chaudronniers travaillent et s’agitent dans la bruyante cadence, dans le strident choc des marteaux sur le souple métal. Dès les premiers pas, à droite et à gauche, voici une féerique cavalerie du plus beau ton rouge doré, de la plus haute stature (ill. 8). Ce sont sept énormes chevaux, d’aucuns manquant d’une patte, les autres de la tête, mais de corps puissant, râblé, nerveux, veines saillantes, muscles apparents ; et ces coursiers au repos font songer aux lointaines légendes, aux chevaux enchantés des conteurs des Mille et Une Nuits, des poètes arabes. Faisons quelques pas et nous serons en pleine ruche ouvrière et nous nous initierons à tous les secrets de cette industrie artistique. La voici résumée en quelques phrases par M. Monduit lui-même, que ses multiples occupations n’empêchent pas de rester le plus courtois et le plus accueillant des hommes. Sur des modèles en fontes de fer, reproduisant exactement les modèles en plâtre livrés par le sculpteur, l’ouvrier chaudronnier commence le battage, de la feuille de métal, en se contentant d’abord de lui imprimer très sommairement les principaux reliefs au moyen de gros maillets en bois. Après un certain temps de travail, dit le silhouettage, il sent que son cuivre devient moins malléable, plus sec ; afin de lui rendre sa souplesse, il le porte sur des brasiers de coke activés par un puissant ventilateur, et il le recuit. Il peut alors lui donner une nouvelle tournée de coups de marteaux qui elle-même est suivie d’une nouvelle tournée de feu, et ainsi de suite jusqu’à ce que le cuivre qui à chaque opération se rapproche davantage du modèle, sous l’action de plus en plus serrée de l’outil ait enfin réalisé la forme désirée.

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Chaque morceau étant battu séparément, il faut maintenant réunir entre elles les différentes pièces de la statue au moyen de brasures ou de rivures, puis monter la statue elle-même avec une mise au point très rigoureuse. Une fois la statue assemblée, on la garnit intérieurement d’une légère armature en fer qui suit très fidèlement les principaux contours de cuivre et qui constitue une véritable ossature. Cette ossature est elle-même reliée à un arbre principal en fer, qui est fixé solidement sur l’édifice. Quand nous aurons dit que les lames de cuivre employées ont généralement une épaisseur de un millimètre et demi, le lecteur se rendra compte de l’extrême légèreté de cette statuaire de cuivre, à laquelle le battage, le martelage, en resserrant toutes les molécules donnent une cohésion, une solidité incroyable ". C’est bien là une des plus admirables applications de la Science pour servir l’Art en ses fantaisies chimériques. Et nous sommes sûrs que confiés en d’aussi bonnes mains, les « quadriges » du Grand Palais braveront les intempéries des saisons, la morsure des années et longuement témoigneront de la puissante envolée, de l’audace et de la force de la sculpture française à l’aube du vingtième siècle28 ».

Ill. 8 : L’atelier Monduit avec la fabrication des chevaux des quadriges de Récipon pour le Grand Palais, exposition universelle de 1900

Épreuve sur papier albuminé. PHO 2001 3 10. © RMN, musée d’Orsay, fonds Monduit, don de Mme Pasquier Monduit.

28 C’est aussi une vivante illustration d’une aventure entre art et industrie, révélatrice de tout l’esprit du XIXe siècle, architectural, politique, social et de tout ce savoir-faire, de cet enthousiasme positiviste qui caractérisent cette époque inventive et prodigieuse.

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NOTES

1. Victor Champier, « Les industries d’art à l’Exposition universelle de 1889 », dans le supplément à la Revue des Arts décoratifs, novembre et décembre 1890, fascicule 15, Paris, 1890. Champier a fondé cette revue en 1880, publiée sans interruption jusqu’en 1902. 2. Julien Turgan, Les Grandes Usines, études industrielles en France et à l’étranger, Paris, Calmann-Lévy, XIII, 1881, p. 1 à 16. 3. En 1855, Durand, dont Monduit rachète le fond en 1860, est primé et fait chevalier de la légion d’honneur. 4. Louis-Honoré Monduit est parmi les rares personnes qui assistent à l’enterrement de l’architecte, à Lausanne, en 1879. 5. Rapport du Jury International, publié sous la direction de Michel Chevalier, tome III, groupe III, classes 14 à 26, p. 307. Le rapport était confié à des experts, et pour le groupe bronzes d’art, fontes d’art diverses, objets en métaux repoussés le fondeur Ferdinand Barbedienne avait été sollicité. 6. Exposition universelle de 1867, Catalogue officiel des exposants récompensés par le jury international, Paris, E. Dentu libraire-éditeur, 1867, p. 19 et 20. 7. Musée d’Orsay, fonds Monduit. Le musée d’Orsay a bénéficié de la générosité de Mme Gabrielle Pasquier-Monduit, à plusieurs reprises, par un don de lavis pour les catalogues Monduit, de calques, de photographies, de médailles et de nombreuses archives, réunis sous le titre : Fonds Monduit. 8. Antoine Zoegger, 1829-1885. 9. 1802-1879. 10. Le comte Henckel von Donnersmark avait épousé la célèbre Païva et fait construire l’hôtel particulier situé au 25 avenue des Champs Elysées ; le musée d’Orsay conserve un dessin de Lefuel pour le château de Neudeck (ARO 1982-3), Neudeck est le nom allemand, Swierklaniec est le nom polonais ; il fut rasé par le régime communiste en 1965. Le musée possède aussi une des quatre consoles du grand salon de l’hôtel des Champs-Elysées. (OAO 1323), une autre se trouve au Musée des Arts décoratifs. 11. Hector Lefuel, 1810-1881. 12. Louis Villeminot, 1826-1914. 13. Hippolyte-Alexandre Destailleur, 1822-1893. 14. Eugène Lami, 1800-1890, peintre et décorateur. 15. Le rapport du jury international mentionne la faible participation de la France, et mentionne qu'aucun fabricant de métaux repoussés n'y est présent. 16. Le Globe, journal de Londres. Cité dans L’Exposition de Paris (1878), journal hebdomadaire, n° 9. 17. Remplacé par le palais de Chaillot, élevé pour l’exposition Internationale de Paris, 1937, mais dont une partie a été englobée dans le nouvel édifice 18. Exposition universelle de 1878, Le Palais du Trocadéro, Paris, Ve A. Morel et Cie, Libraires-éditeurs, p. 129.

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19. Julien Turgan, op.cit., p. 1 à 16. 20. Note présentée par MM. Mesureur et Monduit fils à Messieurs les membres du jury de la classe 46, Exposition d’Amsterdam, musée d’Orsay, fonds Monduit, avec corrections de Philippe Monduit. 21. « Les vainqueurs de l’exposition de Vienne, membres de l’Union Centrale », dans Bulletin de l’Union centrale, Revue mensuelle des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie, juin 1875, 1ère année, n° 11, p. 289. 22. Note présentée à Messieurs les membres du jury par Mesureur et Monduit Fils, groupe 2, classe 20, musée d’Orsay, fonds Monduit. Ces notes sont très précieuses ; à chaque fois est joint un récapitulatif des derniers travaux importants menés par l’atelier. 23. Note présentée par Ph. Monduit à l’appui de sa demande de proposition pour la croix de la légion d’honneur ; c’est le jury des récompenses de la classe 25 qui demande cette distinction pour Philippe Monduit. 24. Musée d’Orsay, fonds Monduit ; malheureusement, je n'ai pas trouvé la conclusion de ce procès, mais tout porte à croire que Monduit l'a gagné. L'association avec Mesureur se termine aussi par un procès, gagné par Monduit fils en 1913, alors que la maison est administrée par l'architecte Léon Pasquier, père de Mme Gabrielle Pasquier- Monduit. 25. Musée d’Orsay, fonds Monduit. 26. Note complémentaire présentée à Messieurs les arbitres sur la question des travaux exécutés dans mon atelier, 15 juillet 1892, musée d’Orsay, fonds Monduit. 27. Bulletin de la participation aux bénéfices publié par la société pour l'étude pratique de la participation du personnel dans les bénéfices, reconnue d'utilité publique par décret du 12 mars 1889, s. l., 1909, Chaix Imprimeur, p.221 28. Le Monde Illustré, 23 décembre 1893, p. 449

RÉSUMÉS

Les expositions universelles au XIXe siècle et au début du XXe siècle ont entre autres excellences contribué à faire connaître le prestige de certains artisans. A ce titre, la maison Monduit figure incontestablement parmi l’une des plus prestigieuses et des plus représentatives de son temps. Grands plombiers d’art, ils ont participé régulièrement aux grandes expositions universelles en France et à l’étranger, mais la reconnaissance de leur talent sur la scène internationale ne fut pas si aisée. Il a fallu que la maison Monduit, relayée par la presse savante et populaire et par les connaisseurs et les experts, ne cesse, dans le cadre des expositions, de rappeler la diversité et le nombre d’œuvres fabriquées et surtout s’emploie à montrer les innovations apportées dans la technique du plomb et du cuivre. Il a fallu qu’elle rappelle que son travail ne s’exerçait pas de façon autonome, mais en collaboration et sous la maîtrise d’œuvre d’architectes parmi les plus talentueux et au service des sculpteurs les plus renommés. Ce double parrainage lui a assuré ainsi qu’à ses ouvriers une large part de sa notoriété et de son rayonnement à l’étranger. L’œuvre

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réalisée et fabriquée par la maison Monduit résonne enfin en écho sur le long débat engagé tout au long du XIXe siècle sur les délicates limites entre l’art et la technique.

Among many other advantages, the International Exhibitions of the XIXth century and the XXth century contributed to enhance the publicity of a few craftsmen. From this point of view, the Maison Monduit stands among the most prestigious and representative companies. As artistic plumbers, they regularly took part in the International Exhibitions in France and abroad, but the acknowledging of their skills on the international stage was not easy. Supported by scientific and popular papers, by experts and scientists, the Maison Monduit had to keep reminding the diversity and the number of her works of art, and moreover shows the innovations allowed by the cupper and lead technic. She had to remind her work was not independent, but in close collaboration and under the direction of the most gifted architects to promote the works of well- known sculptors. This double patronage let her (as well as her craftsmen) get awareness and publicity. The work designed by the Maison Monduit meets finally success after the very long debate which occurred all along the XIXth century on the limits between art and technic.

Die Weltausstellungen des ausgehenden 19. und beginnenden 20. Jahrhunderts haben entscheidend zur Bekanntheit und zum Prestige verschiedener Kunsthandwerksbetriebe beigetragen. Die Maison Monduit nimmt darunter eine herausragende und für ihre Zeit besonders repräsentative Stellung ein. Als ausgezeichnete Bleigießer waren sie regelmäßig auf großen Ausstellungen im In- und Ausland vertreten, auch wenn sie auf internationaler Bühne nicht dieselbe Anerkennung wie in Frankreich fanden. Über die Fachpresse als auch über zahlreiche berufliche Kontakte strebte der Betrieb Monduit stetig nach einer weiteren Verbreitung und Bekanntmachung seiner Produkte und präsentierte anschaulich seine Erfindungen auf dem Gebiet der Blei- und Kupfertechnik. Dabei war Monduit besonders daran gelegen, die Zusammenarbeit mit renommierten Architekten und Bildhauern herauszustellen, woher das Haus schließlich einen großen Teil seiner Bekanntheit und seinem Ruhm im Ausland verdankt. Das Werk der Maison Monduit findet darüber hinaus Niederschlag in den über das gesamte 19. Jahrhundert andauernden Debatten über die heiklen Grenzziehungen zwischen Kunst und Technik.

AUTEUR

CAROLINE MATHIEU Caroline Mathieu est au musée d'Orsay dès 1980 et travaille sous la direction de Michel Laclotte, à l'élaboration du programme scientifique du musée. Responsable des collections d'architecture, elle a participé aux expositions Viollet-le-Duc (1980, sous la direction de B. Foucart), Le Japonisme (1988), Paris – Barcelone (2002); au musée, elle a été commissaire de l'exposition: 1889. La Tour Eiffel et l'Exposition universelle, 1989, et de projets soulignant les liens entre art et industrie: Les Schneider, Le Creusot, 1995, La maison de Wendel, 2004, Saint Gobain, 2006. Elle a organisé des expositions contribuant à une meilleure connaissance des collections et de l’art de la seconde moitié du XIXe siècle dans le monde, au Japon, aux États-Unis, en Corée, en Australie, en Chine, à Singapour, au Brésil. C. Mathieu a publié textes et articles (L'art du XIXe siècle, 1990), et, sur les collections du musée : guides du musée et des collections, 1986, 2004 et 2012, La peinture au musée d'Orsay, 2003; Orsay. L'Architecture, 2003. En 2009, elle a organisé pour la ville de Paris la rétrospective consacrée à Gustave Eiffel, le magicien du fer, présentée à l'hôtel de ville. En 2010, elle a assuré le commissariat, avec Akiya Takahashi, de l’exposition Édouard Manet et le Paris Moderne, au musée Mitsubishui Ichigokan de Tokyo, et, en 2011, celui de l’exposition Paris au temps des Impressionnistes à l’Hôtel de ville de Paris. Cette même année, elle a organisé l’exposition Rêve et

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réalité à Séoul en Corée et à Singapour. Cette année, elle est commissaire de l’exposition Au-delà de l’Impressionnisme : naissance de l’art moderne au National Museum of Korea à Séoul, comprenant 173 œuvres de toutes techniques, puis de l’exposition Naissance de l’Impressionnisme. La liberté de peindre, au National Art Center de Tokyo. Elle a enseigné à l’École du Louvre et à l’Institut national du patrimoine. Adresse électronique : [email protected]

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Dômes et signes spectaculaires dans les couronnements des grands magasins parisiens : Dufayel, Grand- Bazar de la rue de Rennes, Printemps, Samaritaine. Domes and remarkable signs in the roof decorations of Parisian department stores : Dufayel, Grand-bazar de la rue de Rennes, Printemps, Samaritaine Kuppeln und weitere ausgefallene Bekrönungen der Pariser Warenhäuser Dufayel, GrandBazar de la rue de Rennes, Printemps und Samaritaine

Olivier Vayron

1 Les grands magasins1 sont apparus dans le paysage parisien essentiellement à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Nés avec la révolution industrielle, ces commerces d’un nouveau genre s’implantent peu à peu dans la capitale en annexant les ilots jouxtant la maison mère. Une fois la parcelle totalement absorbée, ceux-ci peuvent atteindre des dimensions colossales comme en témoigne, dans les années 1880, le Bon Marché d’Aristide Boucicaut. Avec ses 46 451 m², il était le plus grand magasin du monde2. Dans une agglomération comme Paris où la consommation de grands espaces est ordinairement réservée à des bâtiments de bien public, son emprise au sol est exceptionnelle. Une majorité des grands magasins investit les nouveaux quartiers parisiens aménagés par le préfet Haussmann, plus particulièrement les zones fortement actives et passantes. En se multipliant dans la capitale entre le dernier quart du XIXe siècle et la première décennie du XXe, les grandes firmes cherchent à établir leur devanture aux emplacements stratégiques. Dans ce contexte de compétition, quatre grands magasins, ces nouvelles « cathédrales du commerce modernes3 » comme les nomme Zola, construits entre 1880 et 1910, sont particulièrement intéressants : La Samaritaine, entreprise des époux Cognacq-Jaÿ longeant la rue de Rivoli, au centre de Paris, entre le Louvre et l’Hôtel de Ville, cherche à bénéficier de la très forte circulation

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de l’artère principale menant des Halles à la rive gauche par le Pont-Neuf. Le Printemps de Jules Jaluzot est installé entre la gare Saint-Lazare et le nouveau quartier de l’Opéra, sur le très à la mode Boulevard Haussmann. De même, les Magasins réunis implantent le Bazar de la rue de Rennes sur ce grand axe menant à la gare Montparnasse, tout récemment desservie par la ligne 4 du Métropolitain reliant la rive droite à la rive gauche. Pendant ce temps, le Palais de la Nouveauté Crespin-Dufayel s’installe dans une parcelle démographiquement très dense, entre le boulevard Barbès et la rue de Clignancourt.

2 Pour ces entreprises privées, le dessein de l’architecture participe à la conquête de la clientèle. À ce titre, il est étonnant de constater que, face à une nouvelle catégorie d’édifices, les architectes n’ont visiblement pas peiné à trouver un style qui est devenu propre aux grands magasins. La grande majorité des commerces construits d’un seul tenant utilise des codes nettement spectaculaires, tirés ou proches des modèles palatiaux. Ce sont d’imposants édifices dont l’habillage de style classique est destiné, entre autres, à impressionner le passant. Dès lors, au même titre que les grands monuments, cathédrales ou palais, de petits guides touristiques informent les visiteurs étrangers de la position de ces constructions extraordinaires qui sont des étapes à ne pas manquer.

3 Néanmoins, le caractère exceptionnel et séducteur de ces magasins ne s’apprécie pas uniquement dans le travail des façades mais aussi dans l’étonnant développement des couvrements et la profusion de leur décor. La hauteur des toitures étant déterminée par des arrêtés municipaux, les patrons des grandes entreprises commerciales ne cessent de demander des dérogations pour leur construction. À la fin du XIXe siècle, des firmes comme Le Palais de la Nouveauté de Crespin-Dufayel, ou Au Printemps de Jaluzot obtinrent de la municipalité l’autorisation de construire des combles de grandes dimensions dépassant celles fixées par la réglementation de voirie. Pour ces grandes surfaces marchandes, la saillie du gabarit ordinaire représente une manière efficace et indispensable de signaler leur présence aux passants, tous chalands potentiels. Le nouveau décret de 1902 libèrera davantage les architectes, leur permettant de surélever la hauteur des combles et de réaliser une plus grande variété de toitures4. Cette réglementation5 visant à concourir à la salubrité de Paris, cherche en priorité à rompre, dans le cas des immeubles de rapport, avec « la monotonie qui a prévalu dans la transformation de Paris » sous Haussmann, vivement critiquée à la fin du siècle6. Ainsi, dans l’architecture parisienne privée, les combles s’enrichissent de courbures nouvelles et les toitures bénéficient d’un déploiement encore inégalé7. Par ailleurs, il faut ajouter que l’apparition des ascenseurs, à la toute fin du XIXe, déplace l’étage noble, plus orné, au sommet des immeubles d’habitation. Plus hautes et couronnant les étages les plus fastes, les couvertures devenues à présent nettement visibles se parent d’un vocabulaire ornemental plus riche que dans les décennies précédentes8. Dès lors, les architectes des grands magasins exploitent les nouvelles possibilités, n’hésitant pas à concurrencer, par la somptuosité de riches ornements sommitaux, les édifices les plus prestigieux.

4 Les études des grands magasins menées par les historiens d’art, se concentrent la plupart du temps sur les façades et les intérieurs de ce type d’édifice. Peu de travaux ont encore été effectués sur l’ornementation des toitures des grands magasins dont la fonction s’avère néanmoins réellement importante. Car elle renseigne, elle aussi, sur les manières d’attirer la clientèle qui sont propres à chaque magasin. Les ornements

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sommitaux de cette catégorie d’édifice qui feront l’objet de cette étude peuvent figurer parmi les plus représentatifs à Paris : le magasin n°2 de la Samaritaine par (1903-1907), le Printemps de Paul Sédille sur l’îlot n°1 (1883-1889) et le Printemps de René Binet sur l’îlot n°2 (1907-1910) le Palais de la Nouveauté (ill. 1) de Gustave Rives (1892-96) et le Grand Bazar de la rue de Rennes d’Henry Gutton (1906-1907). Ce dernier ouvrage ayant aujourd’hui totalement disparu, seuls le Printemps de René Binet, le bâtiment fortement altéré de Paul Sédille ainsi qu’une petite partie du décor de couvrement de la Samaritaine de Jourdain sont encore visibles. Une étude des ornements sommitaux, très lacunaire, de ces quatre monuments parisiens renseigne sur la diversité des solutions apportées à une même catégorie d’édifice. Diversité de décors de ces grandes constructions, qui néanmoins présentent tous une signalétique similaire, des typologies codifiées appropriées à une clientèle définie et des audaces et des innovations décoratives, emblématiques du nouveau « spectacle » des commerces modernes. Ill. 1 : Façade, dômes et lanternons du magasin n°1 du Printemps, boulevard Haussmann, 1889, Paul Sédille

Cliché photographique, auteur non-identifié, ca. 1900. © BHVP, département des photographies, 4-ALB-2000, n°121, Le Printemps, auteur inconnu, s.d.

Dômes, lanternons, épis et fanions : les signaux des grands magasins.

5 « Du moment qu’une architecture attire les curieux, charme l’œil, sert de cadre adéquat aux marchandises exposées, elle sera parfaite.9» Le magasin déploie une série de motifs ornementaux constituant –comme le note l’architecte Louis Bonnier– une « montre »10, servant à intercepter le regard du passant. Cette fonction d’appel se lit, tout d’abord,

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dans la présence quasiment systématique de dômes couronnant les rotondes d’angle des magasins. La tradition architecturale fait du dôme un motif destiné aux édifices publics prestigieux. Le dôme agit donc comme un signal remarquable, employé de plus en plus fréquemment durant la fin du XIXe siècle11.

6 Les architectes des magasins parisiens privilégient ce traitement spectaculaire des angles coiffés de dômes en l’appliquant à la majorité des établissements construits entre 1880 et 191512. Le dôme se présente comme un amortissement indispensable. Utilisé comme borne sommitale, il permet d’identifier de loin, la fonction commerciale de l’édifice. Le Printemps et la Samaritaine sont des exemples réellement représentatifs du déploiement et du requis de ce motif sur les couvertures. Le grand magasin du Printemps occupait lors de la construction de Paul Sédille à partir de 1881 un îlot délimité par le boulevard Haussmann, la rue du Havre, la rue Caumartin et la rue de Provence. Sédille choisit de disposer l’entrée principale du magasin, non sur le très passant boulevard Haussmann, mais sur la petite portion de la rue du Havre. Cette entrée étant située sur la façade la plus étroite, les deux dômes qui la surplombent, apparaissent rapprochés, et forment de ce fait un signal extrêmement voyant (ill. 1). Le carrefour de la rue du Havre offrant un recul avantageux, le passant peut ainsi apercevoir les dômes depuis la Place de la Madeleine, depuis la Place Saint-Augustin, depuis l’Opéra, ou depuis la gare Saint-Lazare13. La Samaritaine offre un exemple plus spectaculaire encore.

7 L’architecte Frantz Jourdain n’installe pas ses rotondes d’angles, comme on aurait pu l’attendre, au plus proche de la grande rue de Rivoli, mais dans la très étroite rue des Prêtres-Saint-Germain l’Auxerrois, séparée des quais du Louvre par un seul îlot d’habitation. En choisissant cet emplacement stratégique pour ces dômes, Jourdain donne à son magasin un champ de visibilité exceptionnel. Ainsi les grands dômes de la Samaritaine s’exhibent dans le panorama urbain depuis la Seine et les quais de la rive gauche. Cette conquête d’une devanture commerciale sur le fleuve faisant l’objet de nombreuses contestations –notamment de la part des défenseurs du vieux Paris– aboutira, dès 1927, à la destruction de ces coupoles14.

8 La puissance signalétique de ce motif est manifeste. À la demande des maîtres d’ouvrages des grands magasins, elle conduit les architectes à installer des dômes toujours plus grands. D’un point de vue constructif, la rivalité des entreprises s’assimile littéralement à une « querelle de clochers » ; les enseignes affichent leur domination commerciale par l’intermédiaire de dômes plus imposant que celui de la firme concurrente. En 1892, Dufayel, pour son Palais de la Nouveauté, se battit avec le Conseil municipal et obtint une dérogation15 pour construire, au-dessus du porche d’entrée de son magasin, un gigantesque dôme au croisement de la rue André del Sarte et du n°26 de la rue de Clignancourt (ill. 2). Culminant au-dessus des toits du quartier de Clignancourt avec ses 47,50 mètres16, le faîte du magasin se trouve presque de niveau avec l’assise de l’église du Sacré-Cœur17. En témoigne aussi le Printemps de René Binet : vingt-quatre ans après Paul Sédille, en 1907, cet architecte fut chargé de construire sur le bloc voisin, un magasin semblable au premier Printemps. Il ne se contenta pas de reproduire des dômes similaires à ceux réalisés par Sédille mais les conçut deux fois et demi plus grands18.

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Ill. 2 : Elévation, porche d’entrée et dôme des Magasins Crespin-Dufayel, Paris, 26 rue de Clignancourt, 1896, Gustave Rives architecte

Planche gravée, exécutée à partir d’un cliché photographique, auteur inconnu, tiré de « Etablissements Dufayel, à Paris, », dans La Construction moderne, 15 fév. 1896, n°20, pl.40. © Cité de l’architecture et du patrimoine

9 Au magasin Dufayel, « la coupole hardie », comme le note un commentateur, étonne par sa conception d’ensemble, alors totalement inédite. Le grand dôme, dont il ne subsiste aujourd’hui que le tambour en pierre, était ajouré de grandes plaques de verre pour distribuer la lumière dans le hall d’entrée, malgré les nombreux luminaires intérieurs. Ce comble vitré présentait des arêtiers métalliques supportant une grande plate-forme de plan carré, sorte de panorama. À chaque angle de la plate-forme était disposé un lampadaire de type urbain muni de trois bras de lumière. Enfin, au centre de cet espace, s’élevait un monumental phare électrique. On ne sait cependant si ce fanal, censé guider la clientèle vers le grand magasin, a réellement été mis en service.

10 Les dômes de la Samaritaine élevés près d’une décennie plus tard par Frantz Jourdain remplissent la même fonction de balise lumineuse sommitale. Exécutés en brique de verre, ils devaient s’illuminer le soir (ill. 3). À leur propos l’architecte Edmond Uhry observe que les dômes donnent à la Samaritaine le caractère « de grande maison de vente qui s’affiche, qui veut attirer […] » non pas la clientèle, mais bien « le passant ». On retrouve ce concept, dans une moindre mesure avec la coupole du Printemps n°2 de Binet et de son successeur, Georges Wybo. Culminant à 50 mètres de hauteur, la double coupole octogonale, rue Caumartin, est difficilement visible depuis la rue. Mais une illustration du catalogue d’avril 1910 du Printemps, la représente néanmoins comme un gigantesque globe brillant de mille feux19. Cet élément de couvrement, ne constituant pourtant pas un motif principal depuis l’extérieur puisqu’il reste très peu visible, s’affiche aussi comme un phare illuminant et signalant le magasin à la clientèle.

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Ill. 3 : Rotonde d’angle de la Samaritaine, Paris, angle de la rue de l’arbre sec et de la monnaie, 1907, Frantz Jourdain architecte

Cliché photographique, auteur inconnu, tiré de « Agrandissements des Magasins de la Samaritaine, » dans L’Architecte, février 1907, p. 13. © Cité de l’architecture et du patrimoine

11 À cet important motif de couvrement qu’est le dôme, s’ajoutent d’autres éléments en amortissement, servant également d’appel. Les architectes des grands magasins cherchent sans cesse à dominer l’ordonnance des alignements voisins, au Printemps, à la Samaritaine ou au Palais de la Nouveauté de Dufayel. Aussi le dôme est-il systématiquement prolongé par l’adjonction d’un lanternon. Sans autre fonction que de rehausser le bâtiment, ils apparaissent comme l’indispensable ornement des coupoles. Le nom de belvédère qu’on leur prête20 évoque plutôt une « belle vue21» que l’on peut avoir, non pas depuis leur balustrade, mais depuis la rue. Aussi, à la Samaritaine, comme au Printemps, ce motif très plastique est utilisé pour mobiliser l’attention du passant. Soutenu par des consoles, le lanternon avec son fort encorbellement accentué encore par la saillie des garde-corps, se détache nettement des dômes sur lequel il repose. À la Samaritaine, la silhouette élancée du lanternon faite d’ondulations, de courbes et de contre-courbes extrêmement travaillées, capte le regard du spectateur et l’entraîne vers le sommet du magasin. Le mouvement d’ascension vertical des lanternons s’achève, soit comme à la Samaritaine par une longue flèche à huit pans, soit comme au Printemps par un épi formant l’ornement terminal.

12 L’épi, installé au sommet de l’édifice, s’expose comme le porte-étendard du magasin. À la manière d’un mât, il porte au plus haut l’emblème du magasin : au Printemps un caducée, symbole du commerce, ou un drapeau à la Samaritaine et chez Dufayel, s’agitant au-dessus des toits parisiens pour rallier le passant. Il peut aussi présenter une forme particulièrement innovante. À ce titre, le Grand Bazar de la rue de Rennes se

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distingue radicalement des autres magasins. Parmi les quatre édifices cités dans cet article, il est le seul à être dépourvu de dôme, au profit des épis, uniques ornements des couvertures. L’architecte a préféré installer sur la façade d’angle, formée par le croisement de la rue de Blaise-Desgoffes et de la rue de Rennes, un pan coupé plutôt qu’une rotonde. Ce parti pris architectural, n’est pas celui de la maison rivale, le magasin Félix Potin, situé de l’autre côté de la rue Blaise-Desgoffes. Félix Potin possède bien une configuration et une emprise au sol similaire au Grand Bazar et ne dispose, comme lui que de deux façades sur rue. En revanche, si Paul Auscher, l’architecte spécialisé dans la construction d’édifices industriels et essentiellement de grands magasins, réalise bien pour le bâtiment Félix Potin le traditionnel dôme d’angle22, l’architecte Henry Gutton au Grand Bazar, rejette ce motif au profit de l’épi (ill. 4). Membre fondateur de la jeune Ecole de Nancy il reproduit à foison cet élément sur le couronnement de l’édifice. Les deux façades arborent une file de vingt-quatre épis en amortissement des piles des travées. Sur un peu plus de cent mètres de façade, dix-sept épis, nettement plus élevés, sont destinés à recevoir de petits fanions triangulaires et colorés ou des réclames sous formes de bannières. Entre les épis au-dessus de l’entrée, s’étalait en grosses lettres : « ENTRÉE LIBRE GD BAZAR DE LA RUE DE RENNES. La profusion de cet élément, tout comme celle des dômes et des lanternons, témoigne de la vertu signalétique de tels motifs de couverture. Ainsi la conquête des parties couronnant les façades s’expriment à travers l’ingéniosité, la diversité et la puissance des dispositifs apportés à ces motifs ostensibles, susceptibles d’impressionner, d’appeler et d’attirer le client.

Ill. 4: Façade du Grand bazar de la rue de Rennes, Paris, angle de la rue de Rennes et Blaise- Desgoffe, 1907, Henry Gutton architecte

Cliché photographique, auteur inconnu, tiré du « Grand Bazar de la rue de Rennes, » dans L’Architecte, mars 1907, pl.15. © Cité de l’architecture et du patrimoine

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Le lien entre la clientèle et le décor de couvrement des grands magasins.

13 Grâce à la variété de leurs produits, à leur méthode de vente moderne uniformisée et à la qualité de leur cadre, les grands magasins accueillaient une grande diversité de clients créant du même coup un brassage de populations sans précédent23. Néanmoins chacun s’adressait à un public particulier. Une analyse de l’économiste et historien Georges d’Avenel (1855-1939) sur Le Mécanisme de la vie moderne (1896), associe un type distinct de population à chaque firme commerciale. Le Printemps était censé s’ouvrir majoritairement à une clientèle fréquentant le quartier de l’Opéra, riche et élégante, tandis que la Samaritaine était plutôt destinée aux employés et travailleurs du centre de la ville24. En dépit de son caractère généraliste, cette analyse se retrouve également dans d’autres périodiques contemporains. Ernest Cognacq, le propriétaire de la Samaritaine, décrit lui-aussi sa cible d’acheteurs, révélant que ses clients ont, pour la plupart, « un budget modeste et regardent à un sou près quand ils achètent. 25» Pour correspondre aux attentes de ses acheteurs, il met sur pied un système de vente à crédit, La Semeuse de Paris26. À l’inverse, cette pratique n’est pas développée au Printemps où l’acheteur peut régler comptant. Néanmoins tous ces magasins ont une cible qui leur est commune : « Les femmes surtout27 ! » Et le décor, notamment celui des couvertures, participe à la conquête de cette clientèle, majoritairement féminine, quoiqu’issue de milieux distincts.

14 Pour son établissement créé le 11 mai 1865, Jules Jaluzot a trouvé un nom évocateur de fraîcheur et de jeunesse : Au Printemps28. « La poésie de l’enseigne inspire le bon architecte29» puisque Sédille réalise sur la toiture du magasin une ornementation conçue à partir de motifs floraux récurrents. Ce programme décoratif cohérent fait écho à la féminité. Sur la couverture, ce décor se répartit entre les brisis de la toiture et le couvrement des rotondes. L’architecte compose essentiellement son décor autour des motifs de fleurettes et de palmettes. Ainsi les chéneaux et antéfixes en zinc sont ornés de rinceaux lovés dans le même enroulement de feuilles d’acanthes largement déployées, d’où s’échappent des palmettes effilées, couronnées d’un fleuron duquel émerge une fleurette épanouie (ill. 5). Au-dessus des chéneaux, sur les lucarnes en œil- de-bœuf moulés en fonte sur chevalet de fer, le motif est inversé et les palmettes naissent cette fois des fleurettes. Sur les versants du dôme, au-dessus de la frise de guillochis, l’architecte propose encore une variation du motif en alternant les fleurettes en bouton avec les feuilles des palmettes. Puis couronnant le tout, les enroulements des garde-corps en fer forgé représentent les tiges stylisées des fleurettes ajourées, fixées sous la main courante, tandis que les palmettes sont disposées en amortissement des balustres30. Ces deux mêmes motifs, dans une disposition similaire, sont également réutilisés sur les crêtes en fonte de fer. Les palmettes sont installées en amortissement des petits pilastres cannelés et les panneaux contiennent une fleurette en leur centre. En lisant cette description, il serait facile de conclure que le décor est « l’art de tourner en rond » pour reprendre le titre d’un article de Ségolène Le Men et Anne Lame paru dans la revue Romantisme31. La récurrence de ces éléments à partir desquels l’architecte produit des variations de composition doit être perçue plutôt comme une allitération ornementale, discrète et élégante, devenant l’image emblématique du magasin. En effet, la fleurette épanouie, qui se retrouve le long des façades, sur les éléments

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métalliques des garde-corps et des grilles d’entrée, prend une place prépondérante au sein des motifs décoratifs. Sédille ira même jusqu’à l’utiliser comme point de ponctuation pour l’enseigne du Printemps, située au-dessus de l’entrée principale, rue du Havre. L’architecte du Printemps Sédille et plus tard, Binet au Printemps n°2, se met, en utilisant ce vocabulaire floral, au service de l’œil affiné de la femme élégante. « Inconsciemment, les charmantes visiteuses savaient gré au décorateur […] du souci qu’il avait pris de leur plaire »32.

Ill. 5 : Dôme d’une des quatre rotondes d’angle du Printemps, détails d’ornements et coupe du lanternon, Paris, rue du Havre, 1889, Paul Sédille

Planche gravée, Huguet, exécutée à partir des dessins de l’architecte, tiré de « Grands Magasins du Printemps à Paris », Encyclopédie d’architecture des travaux publics et particuliers, 1885, n°3, pl. 1005.

15 Ce code ornemental ne se limite pas à de délicates et poétiques allusions à la belle saison du printemps. C’est tout un langage de type classique qui se déploie sur la toiture écaillée du magasin, ornée de larges festons, de riches acrotères, de masques de lion, de rubans entrelacés, de fleurons et de rinceaux. En amortissement des piliers d’angles, deux hiératiques sphinges en bronze doré -modelés par le sculpteur d’allégorie monumentale Charles Gauthier (1831-1891)33 sont installés de part et d’autre des dômes eux-mêmes coiffés par les belvédères aux fines colonnes torses. Enfin du fleuron terminal naît l’épi agrémenté d’une rose des vents et d’un caducée en fer forgé rehaussé d’or. Cette opulence décorative et le langage parfaitement classique, s’accorde, semble-t-il, au type de visiteurs que le magasin veut attirer à lui : une clientèle raffinée et aisée. La présence de fer forgé et de bronze, l’ornementation des tympans des arcades aux disques en marbre vert de Gênes et aux plaques en granit rose d’Ecosse34 s’accompagnent surtout, pour reprendre les mots de Zola, d’« une prodigalité d’or, des flots d’or, des moissons d’or »35. La raison de ce luxe ostentatoire nous est donnée par cette citation, empruntée à un commentateur anonyme, à propos du décor

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de magasins de nouveautés : « La clientèle a confiance dans la richesse des matériaux » 36. Ici, le vocabulaire décoratif, servi par la richesse des matériaux employés, utilise efficacement les références à la culture classique supposée propre à l’élite. Il utilise aussi la sémantique de l’enseigne, le Printemps, pour illustrer l’opulence et l’abondance des produits dont le magasin dispose. Il est éclairant de comparer cette conception à celle qui prévaut alors à la même époque aux États-Unis où les magasins dépourvus d’ornementation, se réduisent à des constructions rectangulaires de style entrepôt, habillées, pour les plus élégantes, de façades de granit, et entièrement dépourvus de décor de couverture. Outre-Atlantique, la neutralité et la sobriété de cette architecture est destinée à rassurer la clientèle, qui, autrement, pourrait croire que les tarifs pratiqués intègrent le financement d’inutiles décorations37.

16 Au contraire, au Printemps, l’investissement consacré au décor est encore souligné par le choix et la spécificité des artisans qui y ont œuvré. Les fabrications en fonte de fer, en plomb et en zinc fondu ou repoussé, proviennent de l’atelier d’Alexandre Devèche (1844-1908). Premier d’une prestigieuse lignée d’ornemaniste, Devèche fut récompensé par une médaille d’argent au Salon de 1884 pour les décorations qu’il réalisa sur les quatre dômes du Printemps38. Par la suite la collaboration renouvelée entre l’ornemaniste et l’architecte dans la création d’objets précieux, comme ce grand vase d’argent ciselé présenté hors concours en 188939, témoigne de la reconnaissance de l’architecte pour le savoir-faire de cet artisan. L’emploi des frères Trioullier dans la conception des petits éléments floraux en bronze doré qui ornent les balustres et garde-corps en fer forgé, est plus éloquent encore, puisque cette respectueuse entreprise familiale40, fondée d’après leur publicité en 1580, était spécialisée en objets d’orfèvrerie et bronzes d’église41.

17 Bien que le Bazar de la rue de Rennes présente une nomenclature différente à celle du Printemps, il affiche lui aussi une exubérance et une splendeur décorative, à l’intérieur du magasin autant qu’au dehors. Lors de son ouverture au public, la réclame de la firme publiée dans les quotidiens en fait étalage :

18 « Jamais établissement parisien ne s’ouvrit en un cadre plus joli, avec une élégance plus ingénieuse que le Grand Bazar de la rue de Rennes, dont Paris va s’embellir. Tous les objets d’utilité et de luxe sont à profusion dans les vastes galeries de ce palais. Les yeux seront éblouis, les bourses s’y délieront d’elles-mêmes entre les mains des visiteurs enchantés, et ce pour le meilleur profit du commerce, pour la joie et la commodité parisienne.42»

19 En couronnement, un féérique décor grimpe à l’assaut du ciel. Il est formé par les longs épis en fer en « T », rejoints par des séries de cadres en fer industriel en « U », et se déploie sur toute la longueur de la façade. Comme pour contrebalancer l’effet produit par l’utilisation de fer ordinaire, l’architecte Gutton emploie des matériaux précieux (ill. 6). Dans les cadres métalliques prennent place des plaques de marmorite noire et des petits ornements de cuivre repoussés et ajourés. Tout comme au Printemps, l’or a une place importante. Les ornements de cuivre en sont rehaussés, et les plaques de marmorite, gravées au jet de sable, sont ornées d’incrustations de filets d’or43. Comme au Printemps, l’architecte Gutton s’est inspiré de motifs végétaux. Tous les ornements en cuivre ajouré représentent des aiguilles et pommes de pins que l’on retrouve aussi, gravées au sable, dans la marmorite. Malgré leur vocabulaire ornemental commun, puisé dans la nature, le décor de couvertures du Grand Bazar de la rue de Rennes, par le traitement des matériaux, se distingue nettement de celui, typiquement monumental,

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des magasins du Printemps. En raison de sa tonalité dominante noire et de ces fines incrustations d’or, un commentateur du Grand Bazar établit un rapprochement avec ces objets semi-précieux : les laques japonaises, très en vogue dans la société parisienne bourgeoise de la fin du XIXe44.

Ill. 6: Détail de la crête du Grand bazar de la rue de Rennes, Paris, 136 rue de Rennes, 1907, Henry Gutton architecte

Cliché photographique, auteur inconnu, tiré du « Grand Bazar de la rue de Rennes, » dans L’Architecte, mars 1907, fig.15, p. 26. © Cité de l’architecture et du patrimoine

20 Le décor de la Samaritaine présente une approche tout à fait différente dans sa mise en œuvre. Elle se distingue tout d’abord par le choix des entrepreneurs sélectionnés par Frantz Jourdain et Ernest Cognacq. C’est à la Société Schwartz et Meurer que l’architecte confie le décor en fer du couronnement du grand magasin (1905). Depuis sa création en 1882, cette entreprise s’était d’abord spécialisée dans la construction industrielle de serres puis de halles, de kiosques, de marquises, de gares… Schwartz et Meurer était, au demeurant, un établissement réputé, largement sollicité, jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, dans la réalisation de charpentes métalliques en France ainsi qu’à l’étranger45. Le choix de cette Maison s’explique par le fait que Jourdain lui confie, en plus du décor sommital, l’exécution de toute la charpente et l’ossature métallique du magasin. À la demande de l’architecte, l’entreprise aura pour tâche de parer la toiture du magasin de poutre en fer industriel et en tôle. Face à ce décor composé de matériaux usinés puis transformés, on peut se demander si sa conception obéit à des motifs économiques qui, pour Cognacq –à l’instar des États-Unis– ne devaient pas entraîner une augmentation du coût des produits, ceux-ci étant destinés à la classe moyenne. En effet, très loin des décors du Printemps composés de délicats ornements de zinc, de fer ou de bronze rehaussés d’or, les grands poteaux en fer ne se

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parent d’aucun matériau luxueux. À la couleur or, Cognacq et Jourdain préfèrent le bleu électrique, ou « bleu canard », dont sont revêtues toutes les parties métalliques. Cependant l’absence de noblesse des matériaux issus de l’industrie lourde est compensée par le savoir-faire des entrepreneurs et l’ingéniosité de l’architecte qui réalisent, ensemble, le décor le plus exubérant et attractif à moindre frais. Le critique d’art et poète Emmanuel De Thubert (c.1880-1945) lance à ce propos :

21 « La première Samaritaine demandait à l’architecture de tirer du pavé et de pousser aux comptoirs une clientèle encore hésitante. […] De fait, le peuple entendait l’appel de l’architecture ; il entrait, achetait ; puis, revenait : "Le magasin est à moi", semblait-il dire »46.

22 Il semblerait donc, selon De Thubert, que le décor « sans flafla », rompant avec celui de la tradition monumentale, aurait tendance à encourager l’achat compulsif et irrépressible d’une population pourtant peu encline aux dépenses. Jourdain, dans l’un de ses rares commentaires à propos de la Samaritaine, en donne, de façon plus imagée, une fonction identique:

23 « Ma bâtisse n’est pas une matrone austère. C’est une petite dame un peu folle qui fait aux passants : Psst ! Venez-donc. Il fallait bien l’habiller, la coiffer, la maquiller de façon qu’elle séduise les gens. »47

24 La métaphore avec une femme « un peu folle » n’est pas anodine. Elle a certainement primé dans la conception décorative de l’édifice. Le sémillant décor de couvrement élaboré par l’architecte fait volontiers penser à la parure, évoquée dans la citation, qui orne une dame « un peu folle ». Comme elle, il revêt une allure plutôt fantasque. Sur ces dômes inédits, et dans les plus petits éléments décoratifs, Jourdain s’applique à faire cohabiter des lignes souples et arrondies avec des lignes coupées aux angles aigus et imprévisibles. Ces motifs de galbes, ponctués d’arêtes incisives, sont partout présents dans le décor. Il en est ainsi des petits cordeaux en ressaut décorant les chambranles des lucarnes ; on le voit encore dans la silhouette des crossettes en tôle pliée dessinant, à la suite de doux enroulements, un coude brutal et inattendu. Le dessin des lucarnes avec celui des consoles à ceinture retroussée, portant les chéneaux, forment une des parties de l’ornementation de couvrement la plus dynamique et la plus extravagante. Arrachés à la fin des années 192048 pour mieux s’harmoniser avec la sobriété de l’agrandissement Art déco d’Henri Sauvage, ces décors ont totalement disparu. Il n’est certainement pas exagéré de noter, qu’en perdant les ornements de la « coiffe » que Jourdain a élaboré, le lien symbolique entre le bâtiment de 1907 et le public a été sans aucun doute altéré, voire même en partie rompu. Dans la mise en œuvre de ce décor de couvrement, Jourdain veut semble-t-il donner une impression d’exubérance ornementale, de prodigalité. Les grands poteaux en fer des façades se déployant par des floraisons de fer sur la toiture, sont un bel exemple des ornements expansifs et baroques qu’avait créés l’architecte. Ces épanouissements décoratifs formant des volutes à la fois puissantes et ajourées semblent s'envoler joyeusement au faîte du dôme pour rejoindre la flèche du lanternon (ill. 7) :

25 « Les fermes métalliques supportant ce dôme se courbent et se réunissent en un décor charmant qui est un bouquet de fleurs offert à la tentation des parisiennes »49.

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Ill. 7 : Dôme de la rotonde d’angle de la Samaritaine, Paris, angle de la rue de l’arbre sec et de la monnaie, (détail) 1907, Frantz Jourdain architecte

Cliché photographique, auteur inconnu, tiré de « Magasins de la Samaritaine, à Paris, dôme, place de l’Ecole, » dans L’Architecte, février 1907, Pl.12. © Cité de l’architecture et du patrimoine

26 Ainsi le visiteur peut identifier à loisir dans ces élancements festifs, une évocation rieuse, expansive et jubilatoire de l’existence qui rappellent l’abondance des biens disponibles et les plaisirs de la consommation.

27 Les moyens mis en œuvre et le processus de fabrication du décor des couvrements se distinguent nettement à la Samaritaine, au Grand Bazar et au Printemps. Il est vraisemblable que les différences en matière de clientèle féminine visée par les magasins aient contribué à infléchir les choix décoratifs des architectes et des maîtres d’ouvrage. Malgré ces différences conceptuelles, les intentions ornementales recouvrent bien la même finalité, celle de charmer pleinement le public attendu et de correspondre au plus près à ce qu’est, à la fin du XIXe siècle, le magasin de nouveautés : un « Palais de la femme »50.

Couverture des grands magasins : Laboratoire de la modernité

28 « Il faut maintenant invoquer ici les pluies d’hiver […] pour patiner toutes ces retouches si redoutablement neuves, et que surmonte le trop moderne décor de la Samaritaine51. ». Formulée par la Revue de l’Art ancien et moderne en 1924, soit quatorze ans après la construction, ce commentaire, quoique négatif, demeure l’un des moins acerbes. Le décor de couvrement du grand magasin déplaît. Les grands « dômes bulbeux » surtout, coiffés de lanternons et traités suivant l’esthétique du « Modern

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Style52», attisent la fureur des critiques qui disent préférer « les anciens styles ». Les « clochetons infamants de la "Samaritaine" » sont qualifiés « d’ordures » et de « pacotille baroque » et « fantasque53». L’éditorialiste, Rémy de Gourmont, qui rédige de petits épilogues au Mercure de France souhaiterait voir pendre à ses clochetons celui « qui a déshonoré les bords de la Seine54». Bien qu’elle soit mal tolérée, c’est moins l’architecture toute métallique du magasin que les grands dômes, très visibles depuis la rive gauche, qui font l’objet de toutes les détestations. Seize ans à peine après leur érection, ces motifs disparaîtront du paysage parisien. En 1922, Frantz Jourdain réalise un projet d’extension de la Samaritaine. Il propose de conserver les deux dômes et de poursuivre les façades de verre et de métal sur la rue de la Monnaie et de l’Arbre Sec55. Cependant, lorsqu’Ernest Cognacq demanda la même année un permis de construire, le Comité technique et d’esthétique de la ville de Paris exigea la démolition des deux rotondes d’angle56. Finalement le décor en fer, utilisé à profusion sur le couvrement du premier magasin, s’efface en une totale absence d’ornement du toit-terrasse du « magasin 2 » réalisé en parement de pierre, dès juin 1926, par Frantz Jourdain et Henri Sauvage.

29 La haine évidente à l’encontre des dômes de fer et de verre de la Samaritaine tient de leur caractère par trop novateur. À propos de l’architecte, un commentateur affirme à juste titre qu’il s’agit de « son manifeste de fer, credo schismatique […] conçu dans le lyrisme d’une âme en révolte57». Depuis la fin du XIXe siècle Frantz Jourdain, dans ses nombreux articles, ses traités et même son roman de mœurs L’Atelier Chantorel (1893)58, s’attaque à l’enseignement de l’école des beaux-arts ainsi qu’à la direction dépendant du ministère de l’instruction publique, assumée alors par Henry Roujon.

30 La volonté de libérer l’architecture des entraves académiques conduit Jourdain à concevoir pour la Samaritaine une œuvre identifiée par la critique comme véhémente et protestataire59. Les sinueux enroulements du fer grimpant sur le dôme du magasin témoignent ostensiblement de l’art nouveau défendu par l’artiste à l’encontre des tenants de l’architecture traditionnelle. Sur les fermes métalliques extérieures, exécutées par la maison Schwartz et Meurer, le fer industriel se ploie, fléchit, s’arque, se coude et se recourbe, se soumettant aux sinuosités végétales caractéristiques de l’art nouveau. Sur les âmes des poutres s’épanouissent, à chaque segment, de larges motifs de feuilles réalisées en cuivre repoussé. Enfin au sommet du dôme, les circonvolutions des poutraisons des fermes se réunissent en un grand bouquet pour former le lanternon coiffé d’une flèche, abhorré par Rémy de Gourmont.

31 L’Art nouveau ne s’affiche pas seulement sous la forme d’arabesques et de motifs tirés de la flore, propres à l’Art nouveau, mais aussi dans l’utilisation de matériaux décoratifs. Bien que l’usage du fer industriel ne soit plus considéré, au début du XXe siècle comme novateur, à cette échelle, son utilisation à des fins esthétiques et son application au couvrement extérieur d’un bâtiment destiné à perdurer dans le temps semblent inédites dans le paysage parisien. Sur le dôme, les grandes poutres de fer, les tôles découpées, planées et dressées sont laissées apparentes afin de concourir à la décoration de l’édifice. Les treillis des poutraisons et les têtes de rivets eux-mêmes ne se cachent pas. Ils sont traités comme des motifs ornementaux et valorisent aussi la nature hautement industrielle, technique et contemporaine du matériau. Dans l’utilisation sans commune mesure qu’il fait de la ferrure, à la fois utilitaire et décorative, Jourdain se débarrasse des poncifs ornementaux et compose, avec ses assemblages et ses combinaisons, une nouvelle grammaire architecturale. L’absence de

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postérité de cette réalisation semble néanmoins donner raison aux critiques qui ne virent dans la couverture de ce magasin, que l’intention de renouveau d’« un homme qui s’est emballé pour une belle cause »60. La volonté de renouvellement artistique dont est issu ce « petit morceau d’architecture fantastique »61 aurait pourtant dû se comprendre au regard de ce qu’est le magasin de nouveautés : une nouvelle manière de faire du commerce, apparue tout récemment au XIXe siècle.

32 Il peut paraître surprenant de voir à quel point le couvrement de la Samaritaine concentre l’exaspération de la critique62 alors que le Grand Bazar de la rue de Rennes qui pourtant s’inspire lui aussi des formes souples et végétales de l’art nouveau est parfaitement bien accueilli. Tous reconnaissent pourtant que le magasin de nouveautés, qui ambitionne de ravir le passant et d’étonner la clientèle en se présentant comme un « Palais merveilleux63» doit se distinguer d’une architecture traditionnelle.

33 Au Printemps, il est vrai que le modernisme, bien que tangible, reste mesuré. Paul Sédille lui-même cherche à s’éloigner d’une facture issue de l’imitation des modèles anciens : « tous leurs efforts [des artisans ferronniers] devraient tendre vers l’invention qui a été et doit rester une des qualités maîtresses64». Malgré son appartenance à la nouvelle génération, l’architecte, alors considéré comme un « innovateur réfléchi65», ne conçoit pas le décor du grand magasin dans une perspective résolument moderne. L’ornementation se déploie comme une longue variation sur le thème végétal, sans s’écarter pour autant des motifs de la tradition néo-classique. Le second architecte du Printemps, René Binet, perpétue cette veine néo-classique de Paul Sédille lorsqu’il construit le Printemps n°2, dans le prolongement du premier magasin, boulevard Haussmann. Édifié comme la Samaritaine, dans la première décennie du XXe siècle, le nouveau bâtiment commercial reprend les mêmes motifs, à peine transformés. L’architecte René Binet qui s’est distingué lors de l’exposition universelle de 1900 avec sa très surprenante porte monumentale est pourtant connu pour son « modernisme spirituel », ses conceptions décoratives originales et novatrices66. Son ouvrage, Esquisses décoratives, renouvelant les formes ornementales en puisant dans de nouveaux modèles, les micro-organismes, témoigne chez l’architecte d’un besoin de transformation des motifs traditionnels. Sur les couvertures du Printemps de Binet, le décor apparaît comme une claire réminiscence du premier magasin de Sédille, à peine rajeuni. Sur les dômes, les fleurettes, omniprésentes dans le premier Printemps, prennent avec Binet la forme de besants crantés, de disques dentelés ou de roues crénelées. Les feuilles d’acanthe et les rinceaux sont épurés et deviennent des vrilles aux spirales tournoyantes et aux mouvements centrifuges. Malgré la touche apportée par le dessin de type industriel, les motifs ornementaux conservent les formes classiques du magasin de Paul Sédille. Curieusement, la décoration intérieure du Printemps n°2, largement étudiée, est quant à elle réellement moderne et rompt avec l’héritage de Sédille. Afin que, depuis la rue, le client puisse identifier clairement les magasins du Printemps n°1 et 2 séparés par la rue Charas, comme deux bâtiments appartenant à la même firme, Binet s’est vu obligé de reprendre les codes décoratifs que l’architecte Sédille avait utilisé, une vingtaine d’années auparavant, pour le magasin n°167.

34 C’est pourtant à partir des motifs néo-classiques68, de lanternons et dômes renaissances, d’antéfixes, de guirlandes, sphinges ailés, etc., que se crée la vraie modernité du Printemps. Chacun de ces éléments, « imposés par le goût du temps »69, qui se déploient sur les couvertures du magasin sont surdéveloppés. Leur taille est bien

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supérieure à l’échelle habituelle de ce genre de motif. Les crêtes surtout, présentent une hauteur considérable, égale à celle de l’étage attique. Ce goût, très sensible, pour les ornements disproportionnés, hors de toute échelle, ne fait cependant l’objet d’aucun commentaire négatif. Néanmoins, il est remarquable de constater en regardant les vues du Printemps qu’hormis celles réalisées par l’agence d’architecture du magasin ou publicitaire, les dessinateurs rétablissent des proportions courantes de ces crêtes par rapport à l’élévation des façades en les rabaissant de plus d’un tiers70. Il faut noter que les travaux du Printemps de Paul Sédille se terminent en même temps que l’ouverture de l’exposition universelle de 188971 qui glorifie l’époque industrielle grâce à laquelle, en architecture, les portées sont considérablement augmentées, permettant de réaliser à moindre frais des édifices aux coiffés de couvrement gigantesques.

35 Manifestement, les maîtres d’œuvre semblent puiser l’originalité et la modernité des bâtiments commerciaux dans le sillage de ces architectures fantastiques aux couvrements spectaculaires des grandes expositions temporaires. Ce phénomène de surdéveloppement des couvertures et des décors, démesuré par rapport à l’élévation du bâtiment, est plus visible encore au Palais de la Nouveauté de Dufayel. Dans ce magasin, la hauteur totale du tambour, de la coupole et du lanternon du porche d’entrée égale la hauteur de la façade. Les architectes, en jouant fortement sur les proportions des motifs classiques de dômes, de lanternons, de crêtes, accusent la modernité de ces bâtiments commerciaux. À l’évidence celle-ci se révèle comme une priorité, de la part de ces grandes firmes, pour affirmer leur image auprès du public.

36 Cette caractéristique, assez répandue dans les grands magasins, n’est pas la plus étonnante. C’est à la Samaritaine et au Grand Bazar de la rue de Rennes que l’on observe les caractères les plus spectaculairement novateurs. En effet, s’emparant d’une quête de modernité propre aux grands magasins, Frantz Jourdain appose dans le décor de couvrement de la Samaritaine, la principale pierre de touche de l’art moderne. En effet les tenants du rationalisme architectural, dont Jourdain est un fervent défenseur, ne cessent d’enjoindre les artistes à réaliser des édifices dont la structure, sincère et ne dissimulant pas ses procédés constructifs, interagirait avec les parties décorées72. Viollet-le-Duc dont les théories furent largement reprises au XIXe siècle par les artistes en quête de modernité73 engageait les architectes à « établir une corrélation entre cette structure [constructive] et cette décoration.74» Sous ce rapport, le décor des couvrements de la Samaritaine peut figurer parmi les plus beaux exemples de l’architecture moderne.

37 En effet sur la couverture du magasin de la Samaritaine, les fermes métalliques sur lesquels se concentre tout le décor du dôme sont visibles depuis l’extérieur, à la manière d’un exosquelette. Ces fermes sont elles-mêmes rejoint par les piliers rythmant les travées des façades de la rotonde d’angle. Ainsi la charpente extérieure largement décorée des dômes se présente comme l’aboutissement, plus orné, des montants structurels des façades, les piliers. Un commentateur du grand magasin, Charles Plumet, note très justement : « le décor est intimement lié à la construction et l’explique même 75». De cette manière, répondant aux attentes d’un art moderne et rationnel, la structure de l’édifice et le décor semblent se déployer depuis le départ des piliers, à la base du bâtiment, jusqu’au lanternon sommital. Néanmoins, peu de critiques ont relevé la mise en œuvre extrêmement originale des théories propres à cet art nouveau. Le déploiement jugé trop exubérant du fer décoratif semble avoir capté tout entier leur intérêt pour ce bâtiment.

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38 Curieusement, alors que sa conception est plus audacieuse encore, le Bazar de la rue de Rennes soulève l’enthousiasme de la critique. Dans ce magasin où l’épi règne sur le couronnement des façades, le jeune architecte nancéen prend, comme à la Samaritaine, le parti de réunir les épis décoratifs aux éléments structurels des parois. Les cent dix- huit principaux épis se présentent tous comme les terminaisons de piliers porteurs ou secondaires franchissant sans discontinuité les cinq niveaux de façade. Rassemblés entre eux par des panneaux métalliques ajourés, ils forment une longue crête dont la singularité participe à donner « le caractère si nouveau, si particulier et si prenant de cet édifice76». Puisant ses sources dans l’art nouveau, le décor sommital et la structure architectonique forment un ensemble biomorphique ou, selon les termes de l’époque, organique. Le dessein est très net : les épis en amortissement, agrémentés de pommes de pin, forment les ramures végétales des piliers de façades, qui en sont, eux, les troncs.

39 D’autre part, la toiture, presque plate, disparaît totalement depuis la rue Le passant ne peut donc apercevoir, couronnant l’édifice, que cette crête, si étonnante. L’architecte André Guitton détourne le décor de couvrement en liant la crête, formée d’épis, à la façade du bâtiment plutôt que de l’attacher à sa fonction habituelle : orner une toiture, devenue ici inapparente.

40 D’une manière un peu magistrale, le Bazar de la rue de Rennes, rendant la couverture invisible au regard, donne ainsi au décor sommital devenu libre de se déployer, une forme nouvelle d’autonomie.

41 Chez Dufayel, au Printemps à la Samaritaine ou au Grand Bazar de la rue de Rennes, chaque décor de couvrement évoque la thématique du grand magasin moderne, alors « si actuel77». Les innovations ornementales apparaissent ici comme l’acte volontaire des maîtres d’ouvrages ou des architectes imbus d’un désir de renouveau. Cependant, seule une étude plus approfondie permettrait de l’affirmer.

42 Pour cette catégorie d’édifices, dits industriels, des architectes d’esprit libre tels que Frantz Jourdain, Paul Sédille, René Binet, Henry Gutton et, dans une moindre mesure, Gustave Rives, élèvent des constructions voyantes, démonstratives, s’inscrivant parfois brutalement dans le paysage parisien. Des quatre grands magasins, seul le Printemps n°2 de Binet a conservé presque intact son décor de couvrement. Au regard de cette courte étude, la perte des ornements sommitaux du premier Printemps, de la Samaritaine, et du magasin de Dufayel, altère et estompe largement les intentions des maîtres d’œuvre et d’ouvrage. L’aspect trop novateur de certains de ces décors pourrait avoir dicté leur suppression.

43 En 1931, à propos de l’équipement commercial des époux Cognacq-Jaÿ, on rappelait déjà que « la Samaritaine a toujours fait scandale78 ». Souvenir d’une révolte moderniste contre l’architecture traditionnelle, cet édifice, quoique profondément modifié, nous apparaît, aujourd’hui encore, comme le témoin d’un long passé de controverses.

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NOTES

1. Le grand magasin, est une forme commerciale apparue durant le deuxième quart du XIXe siècle. Il se situe dans la continuité des galeries marchandes, passages couverts réunissant dans un même lieu plusieurs boutiques. Le magasin de nouveautés, commerce de détail, possède des comptoirs multiples proposant aux clients une large gamme de marchandise sans cesse renouvelée au fur et à mesure des modes et des saisons, en allant du mobilier, au textiles, aux outils bricolage ou à l’animalerie. 2. Claudine Chevrel, « Une Histoire des grands magasins », société des amis de la Bibliothèque Forney, 2012, n° 193. Tiré de Jan Whitaker, Une Histoire des Grands Magasins, Paris, Citadelles et Mazenod, 2011, 263 p., [traduction Jacques Bosser]. 3. La formule « cathédrale du commerce moderne » tirée du roman d’Émile Zola, Au Bonheur des Dames, chapitre IX, se retrouve très fréquemment dans les études contemporaines sur les grands magasins du dernier quart du XIXe siècle. Cf. le titre du catalogue d’exposition : Béatrice de Andia, Caroline François (dir.), Les Cathédrales du commerce parisien, [Paris, Musée Cognac-Jay, 25 juil.-24 sept. 2006], Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2006, 238 p. 4. Marilù Cantelli, Jacques Guillerme, L’Illusion monumentale : Paris, 1872-1936, Liège, Mardaga, 1991, 107 p., p. 80. 5. Le nouveau décret de voirie de 1902 a été élaboré par Louis Bonnier, architecte dit de la modernité. Fervent défenseur de l’art nouveau. 6. Arch. nat., F21/6537, « rapport du 22 juin 1898, de Jules Roux concernant une demande d’autorisation d’élever une construction à une hauteur extra-réglementaire, n°108 rue Réaumur par l’architecte Wattier. Cité dans Marilù Cantelli, Jacques Guillerme, op.cit., p. 37. 7. Dorénavant, le nouveau rayon légal de 45° prolongeant un arc de cercle que les combles ne doivent pas dépasser, permet la création de courbures nouvelles et un déploiement encore inégalé des toitures dans l’architecture parisienne ainsi que la possibilité d’adjonction de niveaux supérieurs.Ce décret de 1902 assoupli la réglementation de 1859 et de 1884. Bien que l’élévation ne puisse toujours pas dépasser la hauteur maximale de 20 m pour les plus grande avenues, la hauteur des combles, désormais limitée par un arc de cercle prolongé par une oblique de 45°, permet d’atteindre une plus grande élévation des couvertures et d’y installer plusieurs niveaux, comme Sauvage le fera en 1927 à la Samaritaine avec sa toiture en gradins. À ce sujet se rapporter à Institut français d’architecture, « Exposition Henri Sauvage (1873-1932) », Colonnes, septembre 1994, n°6, 20 p. 8. À la planéité des couvertures des immeubles haussmanniens se substituent la plasticité et la luxuriance décorative. Cf. Marilù Cantelli, Jacques Guillerme, op.cit. 9. Pascal Forthuny, « La Rue pittoresque », dans Revue des Arts Décoratifs, 1899, n°19, p. 237-252, p. 242. 10. Ibid. 11. Charles Vigreux fils, « Le dôme central et les galeries industrielles », Revue technique de l’exposition universelle de 1889 par un comité d’ingénieurs, de professeurs, d’architectes et de constructeurs, Paris, Bernard, p. 65-73, p. 65. Le dôme est utilisé pour sa valeur

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démonstrative. Pour l’exposition universelle de 1889, le célèbre Palais de l’Industrie comportait dans les plans primitifs un porche dépourvu de dôme. En y ajoutant son fameux dôme, l’architecte Bouvard reconnut qu’ « il fallait là un motif puissant pour appeler l’attention des visiteurs ». 12. Il est étonnant de voir à quel point après l’exposition universelle de 1889 le motif du dôme est exploité pour magnifier des bâtiments privés de haute catégorie. D’abord présent dans les quartiers luxueux et excentrés du XVIe arrondissement, il gagne le centre de la capitale après 1900. Les dômes, visibles encore aujourd’hui, d’un ensemble d'immeubles de rapport construits entre 1898 et 1900 par l'architecte Louis Dauvergne, dans la perspective de la rue de l'Alboni ; ou le dôme à double étage, très opulent, d’un autre immeuble de rapport construit par l'architecte Henri-Paul Nénot, en 1893, qui occupait l'angle de l’avenue Georges Mandel et de la rue des Sablons sont certainement les plus connus et les plus caractéristiques de cette période. 13. Anonyme, « Grands Magasins du Printemps à Paris », dans Encyclopédie d’architecture des travaux publics et particuliers, 1885, n° 3, p. 1-35, p. 1. Les dômes du Printemps sont visibles par la rue Tronchet depuis la place de la Madeleine, par le boulevard Haussmann depuis la place Saint-Augustin, par la rue Auber depuis l’Opéra et par la rue du Havre depuis la gare Saint-Lazare. 14. Jean-François Cabestan, Hubert Lempereur, « La Samaritaine, un palimpseste urbain », dans Le Moniteur d’architecture, oct. 2009, n° 209, p. 101-110, p. 105. 15. Cf. archives de Paris, vo1.11, Règlement de voiries. 16. Marilù Cantelli, Jacques Guillerme, op.cit., p. 26. 17. Anonyme, « Les Établissements Dufayel, à Paris », dans La Construction moderne, 15 fév. 1896, n°20, p. 235-236, p. 236. Léopold Reverchon, « Les Installations d’horlogerie des établissements Dufayel », La Nature, 1896, n°24, p. 147-149, p. 147. 18. Adolphe Derveaux, « Le "Printemps" », dans Art et Décoration, 1922, n°49, p. 27-32. 19. Cf. Patrick Devedjian, Olivier Muth, Véronique David, Danielle Minois et al., Une Dynastie de peintres verriers, les Brière à Levallois-Perret, Archives départementales des Hauts-de-Seine, 2010, 256 p., p. 173. Cf. Fonds iconographiques de la bibliothèque historique de la ville de Paris. 20. Anonyme, « Grands Magasins du Printemps à Paris », dans Encyclopédie d’architecture des travaux publics et particuliers, 1885, n°3, p. 1-35. 21. Belvédère : de l’italien bello, beau, et vedere, voir. Dictionnaire de la langue française d’Emile Littré, enrichi depuis 1846. http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/, mis en ligne en 2010 et consulté en août 2013. 22. Paul Gallotti, « La Maison Félix Potin », dans Le Béton armé, 1905, n°8, p.130-134. Cf. Anonyme, « Succursale de la Maison Félix Potin, rue de Rennes », dans La Construction moderne, 1906, n°20, p. 148. 23. Claudine Chevrel, op.cit. 24. Georges d’Avenel, « Les Magasins de Nouveauté », dans Le Mécanisme de la vie moderne, 1896, n° 1. 25. Ces mots prêtés à Ernest Cognacq, tirés d’un petit texte, Centenaire de la samaritaine (1970) sont posthumes. Paris, BHVP, 144877, document imprimé, Centenaire de la Samaritaine, 1970, p. 7. 26. Idem, p. 10.

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27. Idem, p. 7. 28. Jean-Paul Caracalla, Le Roman du Printemps, histoire d’un grand magasin, Paris, Denoël, 1997, 167 p., p. 23. 29. Adolphe Derveaux, op. cit., p. 27. 30. Anonyme, « Grands Magasins du Printemps à Paris », op.cit., p. 21. 31. Anne Lame, Ségolène Le Men, « Le Décor, ou L’Art de tourner en rond », dans Romantisme, 1992, n°78, p. 60-74. 32. Adolphe Derveaux, op. cit., p. 30. 33. Centre de documentation du musée d’Orsay, dossier Charles Gauthier. 34. Anonyme, « Grands Magasins du Printemps à Paris », op.cit., p. 4. 35. Émile Zola, Au Bonheur des Dames, Paris, Arvensa, 2014, chapitre IX, 828 p., p. 215. 36. Anonyme, « Grands Magasins à Paris », dans La Construction moderne, 1905, n°38, p. 448-451, p. 451. 37. Claudine Chevrel, op.cit. 38. Anonyme, « Quatrième section : Architecture », dans Revue des Arts Décoratifs, 1884, n°5, p. 217. 39. Anonyme, « Les industries de l’art à l’Exposition universelle de 1889, » dans Revue des Arts Décoratifs, 1889. 40. Ministère de l’Instruction publique, Inventaire général des richesses d’art en France, Paris, Monuments religieux, Paris, Plon, 1901, 528 p., p. 286. Lucien Falize, « Exposition d’orfèvrerie de Nuremberg, » dans Revue des Arts décoratifs, 1885, n° 6, p. 33-50, p. 40. Le père Charles Eugène Trioullier est surtout connu pour avoir réalisé de nombreux objet d’orfèvrerie pour l’impératrice Eugénie. Voir Bernard Berthod, Élisabeth Hardouin- Fugier, Dictionnaire des arts liturgiques, XIXe-XXe siècle, Paris, Éditions de l’Amateur, 1996, p. 432-433. 41. Cette manufacture se particularisera par la suite totalement dans le mobilier cultuel devenant, trente ans plus tard, une chasublerie. 42. « Le Grand Bazar de la rue de Rennes ouvrira ses portes demain samedi – 3 heures. » Communiqué paru dans Le Matin, 28 sept. 1906, p. 2. 43. A. R. L., « Bazar de la rue de Rennes », dans La Construction moderne, mars 1907, n°24, p. 281-283, pl. 59-60. 44. Anonyme, « Grand Bazar de la rue de Rennes à Paris », dans L’Architecte, 1907, n°3, p. 27-28, p. 27. 45. Cf. BnF, département des estampes, Microfiche Hd-606-4, Schwartz et Meurer : Serrurerie d’art, album, 1904. 46. Emmanuel De Thubert, « À propos de la Samaritaine », dans La Construction moderne, 25 oct. 1931, n°4, p. 50-53, p. 52. 47. Le Cri de Paris, avril 1907. Cité dans Arlette Barre-Despond, Jourdain, Éd. du Regard, Paris, 1988, 412 p., p. 168. 48. Jean-François Cabestan, Hubert Lempereur, op.cit., p. 104. 49. Charles Plumet, « L’Architecture et la Décoration moderne », dans Supplément illustré de L’Art et les Artistes, nov. 1906, n°20, p. I-IV, p. III. 50. Paris, BHVP, 144877, op.cit., p. 7.

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51. Anonyme, « À Saint-Germain-l’Auxerrois », dans Revue de l’Art ancien et moderne, 1924, n°46, p. 277-278. 52. Louis Hautecoeur, « De l’échoppe aux grands magasins », La Revue de Paris, 1933, n°40, p. 811-841, p. 832. 53. Rémy de Goumront, « Architectes », Mercure de France, 1911, n°334, p. 353. Rémy de Gourmont, Épilogues, Réflexions sur la vie, 1905-1912, Paris, Mercure de France, 1920, [1910], p. 289-290. 54. Rémy de Gourmont, op.cit. 55. Arlette Barré-Despond, Jourdain, Paris, Éd. du Regard, 1988, 412 p., p. 174.Cf. Stéphanie Guilmeau, Le Comité technique et d’esthétique de la ville de Paris, 1909-1938, mémoire de Master 1 en Histoire de l’art, dirigé par Bruno Foucart et Simon Texier, Paris IV, Sorbonne, 2006. 56. Commission du Vieux Paris, « Procès verbaux », Commission municipale du Vieux Paris, samedi 31 janvier 1925, p. 16. 57. Pascal Forthuny, « Dix années d’architecture », Gazette des Beaux-arts, 1910, n°3, p. 426-440, p. 434. 58. Frantz Jourdain, L’Atelier Chantorel, Paris, Charpentier, 1893, 339 p. 59. Pascal Forthuny, « Dix années d’architecture », op.cit. 60. Ibid. 61. Rémy de Gourmont, op. cit., p.353. 62. Cf. « chapitre 7, The Departement Store », dans Meredith Clausen, Frantz Jourdain and the Samaritaine, Art Nouveau theory and criticism, Leiden, Brill, 1987, 330 p. 63. P. D. L. M., « Les Grands magasins du Printemps », dans Le Monde illustré, 25 mai 1889, n°1678, p. 346. 64. Marcel Deslinières, « L’Avenir des arts décoratifs en France », dans L’Architecture, 1895, n°7, p. 47-49, p. 49. 65. P. D. L. M., op.cit. 66. Henri Mayeux, « Exposition rétrospective des œuvres de René Binet, architecte au Salon d’Automne », dans L’Architecture, déc. 1922, n°23, p. 369-370. 67. Pascal Forthuny, « Dix années d’architecture », op.cit., p. 430. 68. Louis Hautecoeur, « De l’échoppe aux grands magasins », op. cit., p. 811-841, p. 831. 69. Ibid. 70. Georges Lafenestre, « Les Magasins du Printemps édifiés par M. Paul Sédille », Gazette des beaux-arts, 1883, n°27, p. 239-253, p. 243.Anonyme, « Les grands magasins du Printemps », Le Monde illustré, 1883, n°27, p. 141-142, p. 141. [Illustration Karl Fichot]. 71. P. D. L. M., op. cit. 72. Cf. entrée « Unité » dans Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, Bance, 1854-1869, p. 339. Cité dans Roland Recht, « Viollet-le-Duc et Gottfried Semper : leurs conceptions du patrimoine monumental », Revue germanique internationale, mis en ligne le 31 août 2011, consulté le 13 mai 2013. URL : http://rgi.revues.org/780 73. Lucien Magne, « L’architecture moderne », dans Art et Décoration, 1898, n°2, p. 45-53, p. 52.

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74. Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, De la Décoration appliquée aux édifices, Paris, Ballue, 1880, 45 p., p. 16. 75. Charles Plumet, op. cit., p. I-IV. 76. Anonyme, « Grand Bazar de la rue de Rennes à Paris », dans L’Architecte, 1907, n° 3, p. 27-28, p. 27. 77. Pascal Forthuny, « Dix années d’architecture », op.cit., p. 434. 78. Emmanuel de Thubert, « À propos de Frantz Jourdain », dans La Construction moderne, 1931, n° 47, p. 50.

RÉSUMÉS

De la seconde moitié du XIXe siècle au début de la première guerre mondiale, le paysage parisien, déjà profondément modernisé par les travaux haussmanniens, est remodelé par la soudaine implantation – invasive pour certains – d’une nouvelle catégorie d’édifices : les grands magasins. Concurrentes acharnées, ces firmes privées, issues d’un mouvement de concentration commerciale, établissent fermement leur enseigne dans la capitale par le biais d’une architecture puissante et même « bruyante ». La conception de ces bâtiments modernes de type industriel est due à la collaboration, souvent très active, de directeurs d’établissements et d’architectes d’horizons différents, (Frantz Jourdain, Paul Sédille, André Gutton ou Gustave Rives) ouvrant ainsi la voie à des solutions plastiques aussi originales que diverses. L’analyse et la comparaison des décors de couvertures de ces édifices, qui ont pour vertu de couronner l’enseigne et d’en signaler la présence, offrent à l’historien de l’art un point de vue inédit.

From the second half of the XIXth century to the beginning of the First World War, a new type of buildings appears in Paris: department stores. Their sudden emergence is considered invasive by some people and remodels a landscape that had already been deeply modernized by Haussmann. These private companies spring from a commercial concentration movement. They are fierce competitors and settle firmly in the capital through a powerful and even “noisy” architecture. The conception of these modern industrial buildings stems from the dynamic collaboration between establishment directors and architects from all horizons (Frantz Jourdain, Paul Sédille, André Gutton or Gustave Rives), thus paving the way for original and various plastic solutions. These buildings’ covering decorations the store and signal its presence. Analyzing and comparing them offers a new perspective to art historians.

Zwischen der zweiten Hälfte des 19 Jahrhunderts und dem Beginn des Ersten Weltkriegs wird die Pariser Stadtlandschaft, die bereits durch die Modernisierungen des Baron Haussmann grundlegend verwandelt worden ist, durch eine rasche, für manche geradezu übergriffige Verbreitung eines neues Bautypus gekennzeichnet: die als Grands Magasins bezeichneten imposanten Warenhäuser. Diese in scharfer Konkurrenz zueinander stehenden Unternehmen, die aus zunehmender kommerzieller Konzentrierung hervorgegangen sind, verschaffen sich im städtischen Raum über auffällige Architekturformen Aufmerksamkeit. Oftmals ist diese architektonische Konzeption auf eine Zusammenarbeit zwischen der geschäftsführenden Direktion und den verschiedenen Architekten zurückzuführen (Frantz Jourdain, Paul Sédille, André Gutton oder Gustave Rives), was zu ebenso originellen wie unterschiedlichen

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gestalterischen Lösungen führt. Im vorliegenden Beitrag soll das Dachdekor, welches die jeweiligen Gebäude bekrönt und die Sichtbarkeit der Unternehmen verstärkt, einer eingehenden Analyse und einem Vergleich unterzogen werden, um aus Sicht der Kunstgeschichte bislang unerforschte Aspekte dieses Bautypus herauszustellen.

AUTEUR

OLIVIER VAYRON Olivier Vayron réalise après l’obtention d’une licence en histoire de l’art à l’université de Paris IV, Paris-Sorbonne, son master 2 sur la galerie de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle sous la direction de Barthélémy Jobert, Basile Baudez et Thierry Laugée. Doctorant en histoire de l’art contemporain sous la direction de Barthélémy Jobert à l’université Paris IV, il poursuit son travail de master sur le musée d’anatomie comparée et de paléontologie du Jardin des Plantes en l’élargissant dans une approche pluridisciplinaire et transversale à une étude approfondie de l’ancienne muséographie et des collections dispersées ou disparues de l’institution scientifique. Il est associé au programme de recherche PATRI-Nat (Patrimonialisation du savoir naturaliste), sur le cycle peint d’Auguste Biard à la galerie de minéralogie du Muséum de Paris. Adresse électronique : [email protected]

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La renaissance du château de Mouchy (1855-1866) The Castle of Mouchy Das Schloss von Mouchy

Sophie Derrot

1 Sis dans une ancienne baronnie de l’Oise, entre Mouy et Noailles, le château de Mouchy trouve son origine dans une place forte médiévale, incendiée une première fois par Louis le Gros au début du XIIe siècle1, puis reconstruite deux fois, la dernière au XVIe siècle. Le domaine échoit à la famille de Noailles au milieu du XVIIe siècle ; elle le conserve durant la Révolution qui mit cependant à mal le château2. Philippe Louis Marc Antoine de Noailles (1752–1819), duc de Mouchy3, vient s’y installer en 1800, à son retour d’Angleterre. Le château Renaissance est agrandi dans le même style et embelli par ses descendants au cours du XIXe siècle : des écuries sont notamment construites en 18254 et les deux grandes phases de travaux auxquelles la présente étude s’intéresse sont menées au milieu des années 1850 puis au milieu des années 1860. La commune de Mouchy-le-Châtel ne compte pourtant aujourd’hui aucun château : les troupes nazies ayant occupé le bâtiment pendant la seconde guerre mondiale et l’ayant laissé en mauvais état, il sera en grande partie détruit par son propriétaire vers 1961. Ne subsistent plus aujourd'hui que la Tour carrée, donjon du XIIe siècle, et certains éléments datant du XIXe siècle : le caveau de la famille, la terrasse, les écuries, l’église de Mouchy-le-Châtel, reconstruite en même temps que le château, ainsi que la chapelle, la conciergerie et le portail monumental d’entrée, situés sur la commune voisine d’Heilles (hameau de Mouchy-la-Ville).

2 Le troisième quart du XIXe siècle voit donc l’apogée du domaine de Mouchy, qui doit alors se parer de tout le lustre nécessaire au prestige d’une grande famille de la noblesse fréquentant la cour de Napoléon III. En effet, les initiateurs du dernier agrandissement du château, Antoine de Noailles et sa femme, Anna Murat, sont proches du couple impérial et se rendent notamment aux séries organisées à Compiègne, non loin de Mouchy. Le château familial se trouvait en quelque sorte placé comme un parallèle Renaissance avec le gothique Pierrefonds, alors en pleine restauration par

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Viollet-le-Duc. Il s’agit alors de faire du domaine familial une grande demeure aristocratique, suivant la mode Renaissance, à partir d’un existant historique, afin de magnifier le passé d’un grand nom – et donc son présent. La restauration et l’embellissement du domaine sont confiés, dans les années 1850 comme 1860, à l’architecte Hippolyte-Alexandre Destailleur, qui s’adjoint le sculpteur-ornemaniste Michel Liénard. Tous deux sont très appréciés à l’époque et reconnus pour leur connaissance des styles historiques ; ils sont par ailleurs familiers des réalisations s’inscrivant dans un programme de prestige.

3 Hippolyte-Alexandre Destailleur (1822–1893), fils de l’architecte François Destailleur et élève d’Achille Leclère, est très actif sous le second Empire et jusqu’aux années 1890. Plus connu peut-être pour ses activités de collectionneur d’estampes et de dessins, il construit néanmoins tout au long de sa carrière plusieurs hôtels et châteaux pour la noblesse et la grande bourgeoisie, comme l’hôtel d’Haussonville (1856), ainsi que des tombeaux, dont la chapelle funéraire de Napoléon III et du prince impérial à Farnborough. Une grande partie de ses réalisations architecturales sont aujourd’hui détruites mais certaines subsistent, comme le château de Franconville, construit pour le duc de Massa, dans le Val-d’Oise (1876-1882). Il trouve un collaborateur idéal en la personne de Michel Liénard (1810–1870)5. Ce dernier, qui commence sa carrière à la fin des années 1830, est alors reconnu comme un maître du néo-Renaissance, bien que ses réalisations aient été loin de se limiter à ce style. Les contacts de Liénard avec la famille Destailleur commencent tôt : son maître, Jean-Baptiste Plantar (1790-1879), dernier sculpteur des bâtiments du Roi, avait collaboré avec François Destailleur, père d’Hippolyte, pour la construction du ministère des Finances, rue de Rivoli, en 1826, puis peut-être sur la restauration du château d’Amboise pour les Orléans. Liénard et François Destailleur travaillent ensuite ensemble en 1845–1846 à la construction du passage Jouffroy, à Paris (9e arr.).

4 Si le chantier de Mouchy intervient assez tôt dans la carrière d’Hippolyte Destailleur, il appartient à la dernière partie de celle de Liénard. Au moment de la première phase de travaux, dans les années 1850, Michel Liénard est au sommet de sa carrière, riche de très nombreuses collaborations dans de multiples domaines. Il bénéficie dès le début de sa carrière d’appuis dans les milieux aristocratiques qui lui permettent de se voir confier de prestigieuses commandes, telle la chapelle royale des Orléans, à Dreux (1839-1845). Avant Mouchy, l’ornemaniste a déjà travaillé sur plusieurs grandes demeures, notamment avec l’architecte Pierre-Charles Dussillon (1804-1860), comme le château de Regnière-Écluse pour le comte d’Hinnisdal (vers 1844-1845), et il a occupé peu avant une place importante dans les décors intérieurs du palais du quai d’Orsay (1852-1855). Mais le château de Mouchy est sans contexte sa plus vaste réalisation dans le domaine architectural. Une documentation assez riche permet de rendre compte de l’ampleur du chantier et de l’importance de cette commande pour le sculpteur : des mémoires de travaux couvrent la période entre 1853 et 1866, complétés de quatre lettres du milieu des années 18606 ; des dessins de Liénard et Destailleur sont conservés au musée des Arts décoratifs de Paris7 et à la Kunstbibliothek de Berlin8 ; des détails du travail de Liénard pour le château figurent dans son recueil de gravures posthume, le Portefeuille de Liénard (Paris, C. Claesen, v.1879), (ill. 1). Le fonds Destailleur des Archives nationales comprend par ailleurs des plans en élévation avant et après les travaux9. Enfin, Pierre-Ambroise Richebourg, photographe au statut quasi-officiel sous le Second Empire, a également consacré deux campagnes photographiques au château, laissant un ensemble précieux témoignant des états successifs du bâtiment10. Grâce à l’étude de

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ces sources, on s’aperçoit que Liénard est chargé de tous les travaux concernant le décor extérieur et peut-être une partie de l’intérieur11.

Ill. 1 : Groupe de motifs d'ornements du château de M***

dans Portefeuille de Liénard, Paris, C. Claesen, [v. 1879], pl. 31. Coll. part.

5 Avant de restaurer le château, la famille de Noailles-Mouchy avait déjà demandé à Hippolyte Destailleur de construire vers 1852-1853 la sépulture de la famille, toute proche de l’église de Mouchy mais située à l’intérieur de la propriété ducale12, et en 1854 de commencer la restauration de la chapelle qui se trouve non loin du château. Liénard participe à ces deux chantiers, comme en attestent trois mémoires de travaux13.

6 Les sources permettent de reconstituer les deux temps des travaux du château au milieu du siècle. Certaines photographies de Richebourg représentent le bâtiment après la première phase, d’autres après la seconde. Henri de Noailles (1808-1854) commence les travaux dans les années 1840, en faisant construire la terrasse qui existe encore aujourd’hui, du côté de la vallée14. Sa veuve, Cécile de Noailles (1812-1858) entame la restauration du bâtiment historique entre 1855 et 186015. S’ensuivent quelques années de pause dans les travaux du château, pendant lesquelles l’église de Mouchy est restaurée par les mêmes Destailleur et Liénard, entre 1860 et 1864. Antoine de Noailles (1841-1909), fils des précédents et nouveau duc de Mouchy, se marie en 1865 à Anna Murat (1841-1924), liée à Napoléon III. À la suite de ce mariage et de la fréquentation par le couple de la cour impériale, le château est agrandi par d’une aile supplémentaire, dont l’essentiel de la construction s’achève vers 1866. Divers travaux se continueront jusqu’en 1873 et Destailleur reprendra la chapelle en 188216.

7 Si nous ne disposons pas de plan exact de l’état du château avant les travaux, les documents iconographiques permettent de reconstituer une partie de son agencement.

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Le bâtiment est placé parallèlement à une hauteur et domine le parc de l’un de ses côtés. L’arrivée par la route se fait de l’autre côté, dans la cour d’honneur, où le château se présente avant 1865 sous la forme d’un L : en face du visiteur se dresse le bâtiment Renaissance, haut de trois étages dont le dernier est en combles, et à sa droite, en avant, la grosse tour médiévale qui sera reliée au bâtiment principal lors de la seconde phase des travaux17. Du côté qui donne sur le parc, la façade surmonte la grande terrasse, à laquelle on accède depuis le château par un petit escalier qui descend du balcon.

8 D’après les mémoires, la première phase des travaux concerne la remise en état du bâtiment dit « Henri II ». L’objectif annoncé –redonner au château son faste tout en respectant l’existant– est clairement perceptible dans les mémoires. Ceux-ci rappellent en cela un des premiers chantiers de Liénard, la restauration du château de Blois sous la direction de Félix Duban : d’un côté il crée et dessine lui-même une grande partie des ornements, de l’autre, il s’inspire de ce qui subsiste, comme le montrent certaines mentions des mémoires de travaux : « lucarnes copiées des anciennes », « balustres imités des anciens », « restauration de la frise ». Les travaux de sculpture sont alors clairement désignés comme complétant la partie ancienne du château : le principe de ces premiers travaux, peut-être donné par les commanditaires, était que la structure architecturale générale devait être respectée et que chaque ouverture et pilastre devait être orné. Ce dernier point est particulièrement flagrant lorsque l’on compare les élévations dessinées par Destailleur avant et après les travaux18, on s’aperçoit alors que la remise en état dépasse la simple restauration et représente une entreprise considérable19.

9 La façade « Henri II » est alors sans conteste l’objet de toutes les attentions, étant celle qui doit révéler la magnificence du château au nouvel arrivant. Les tourelles octogonales encadrant la façade voient leur décoration renouvelée et enrichie. Les cinq lucarnes qui bordent la toiture s’inspirent très clairement de celles des châteaux de la Loire que Liénard et Destailleur connaissent bien, particulièrement Blois et Amboise, avec les motifs de coquilles de leur fronton et les chambranles en pilastres et les quilles qui les surmontent. Le chêneau du toit est également refait, ainsi que la crête de zinc très ornée qui le surmonte. Le luxe de la façade se révèle surtout dans l’ornementation des deux premiers étages et dans le porche d’entrée. Sous la corniche du toit et sous celle du premier étage courent deux frises différentes subsistant du château du XIXe siècle : l’une est composée de rinceaux et l’autre alterne rosaces et bucranes, dans un esprit plus proche de la première moitié du XVIIe siècle que de la Renaissance d’Henri II, mais restaurée par Liénard selon ses motifs originaux et non remplacée par une frise plus en harmonie avec le reste de l’ornementation. Les initiales de la famille propriétaire (N de Noailles et M de Mouchy entrelacés) sont très présentes dans la décoration du château, prenant place dans les frontons au milieu de rinceaux, dans les chapiteaux des pilastres, ou dans les frises ici et là. Elles sont la plupart du temps accompagnées de la couronne ducale et de branches de laurier ou d’olivier, comme sur les pilastres entourant les fenêtres du premier étage. Cette omniprésence des symboles des propriétaires rappelle classiquement les salamandres de François Ier et les porcs- épics de Louis XII sur les châteaux de Blois ou de Chambord.

10 Entre les fenêtres du premier étage prennent place cinq grands trophées sculptés, soutenus par des agrafes et terminés par de grands lambrequins. Ces trophées ont été dessinés et réalisés par Liénard et suivent chacun un thème différent, tournant autour

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des plaisirs aristocratiques : les arts, la chasse, les festins, la guerre, les jeux et la musique. Ces trophées représentent une étape importante du travail de Liénard au château de Mouchy : les œuvres semblables qu’il avait pu produire auparavant n’avaient pas eu cette ampleur et cette place centrale dans la décoration d’un bâtiment. Ces trophées seront photographiés, gravés et publiés20. Au premier étage, entre les fenêtres, se trouvent de grands cadres sculptés avec autant de minutie, ornés d’une fleur de lys dans un fronton, de consoles fleuronnées, d’un cartouche, de moulures, contenant un socle destiné à supporter un buste21. Ces socles – de grands culs de lampe en crédence ornés de blasons, de couronnes, de fleurons et de têtes de lion – doivent mettre en valeur les bustes représentant chacun un roi de France sous lequel les Noailles se sont illustrés22. Les initiales de ces souverains se retrouvent dans les motifs qui ornent les angles des cadres, sous la forme de monogrammes.

11 La dernière pièce majeure de cette première restauration est le porche d’entrée, la voie d’honneur pour rentrer dans le château. Ce porche est créé au moment des travaux et Liénard en sculpte tous les détails d’ornementation, extérieurs comme intérieurs. L’entrée est dramatisée par son encadrement : de chaque côté de la porte, deux colonnes cannelées, ornées de bracelets et de brindilles, entourent une niche où se trouve un grand vase en bronze surmonté d’un cartouche de marbre de couleur et d’un N couronné. Le visiteur entre ensuite à l’intérieur du porche, lui aussi rythmé par des colonnes et des pilastres aux chapiteaux semblables, sous une voussure décorée de rosaces et de têtes de satyres, avant d’arriver à la porte surmontée par deux chiens de chasse, gueule ouverte, allongés et attachés de part et d’autre d’un écusson couronné portant blason23.

12 Cette phase de restauration s’apparente à de la reconstruction. Si les murs et quelques ornements subsistent, le décor semble avoir été suffisant pour pouvoir s’en inspirer, mais pas assez pour cadrer avec le château tel que le souhaitent les ducs de Mouchy. La majeure partie des sculptures d’ornement sont donc créées ou recréées et les photographies témoignent de la réussite de l’entreprise. Il ne s’agit pas ici d’une restauration aussi stricte que celle de Blois, mais plutôt une remise au goût du jour dans le style de la Renaissance tardive.

13 Environ cinq ans après la fin des travaux sur les parties anciennes, le nouveau duc de Mouchy décide de faire agrandir le bâtiment. Il est peu probable ce projet existait dès le début de la précédente campagne de restauration. En effet, une partie des réalisations de la fin des années 1850 est détruite par les nouveaux aménagements. L’agrandissement du château se fait par le rajout d’une aile partant perpendiculairement à l’aile Renaissance et faisant face à la route, et par le rattachement de la tour médiévale au château. Le bâtiment au complet prend donc désormais la forme générale d’un U24. Nous disposons de beaucoup moins de témoignages iconographiques sur cette nouvelle partie, mais le dernier mémoire de travaux de Liénard concerne entièrement ce chantier ; il montre que le travail de l’atelier de Liénard est là encore important25 et qu’il a englobé tout le nouveau bâtiment, y compris les modifications de la partie ancienne, comme la serre donnant sur la salle à manger de l’aile Henri II, ou la reprise des chêneaux de celle-ci. Sur l’aile XIXe siècle, Liénard suit la ligne dictée par le reste du château, avec les mêmes motifs dominants : culs de lampe, rosaces, dauphins, coquilles, moulures d’oves, de cordes ou de rubans, et bien sûr les lettres N et M sous de multiples formes (gravées, sculptées, en fronton, en frise, dans des cartouches, etc.). Il sculpte aussi des trophées et des cadres

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pour des bustes en rappel de ceux de l’aile Henri II. La pièce maîtresse de ce chantier est la grande tour d’Horloge : construite à l’extrémité de l’aile Renaissance, en pendant de la tour qui se trouve au coin des ailes anciennes, elle est pareillement surmontée d’un toit conique très haut, garni des quatre lucarnes portant les horloges qui lui donnent son nom. Ces horloges, réalisées par Liénard, sont ornées d’un grand cartouche, de guirlandes de fruits, d’une tête d’Apollon, de hiboux, de coqs, avec des moulures de godrons autour du cadran. Une corniche en créneaux tient lieu de rappel de l’architecture la plus ancienne. Le reste de l’aile semble dans la même ligne esthétique que l’aile Renaissance, avec deux étages, puis un étage de combles ornés de lucarnes, alternant des grands et des petits modèles. Les combles de la partie ancienne sont encore enrichis pour s’harmoniser avec la nouvelle construction. La nouvelle aile porte elle aussi sur son toit de grandes cheminées aux armes des ducs de Mouchy, rappelant celles du palais du Louvre.

14 Si les mémoires de travaux nous donnent une idée de l’importance du rôle de Liénard dans la décoration du château de Mouchy, les photographies nous permettent de visualiser une grande demeure aristocratique de style Renaissance repris au XIXe siècle. Les rappels des architectures du XVIe siècle sont bien visibles et le respect du décor subsistant a sans doute contribué à une certaine unité dans la décoration. Le style adopté s’inspire certes des éléments historiques subsistants, mais s’inscrit dans une Renaissance telle qu’elle est vue au milieu du XIXe siècle, très large, allant de la fin du gothique flamboyant à Louis XIII. Les éléments redondants et leur dimension nobiliaire servent le message qu’un décor omniprésent doit faire passer. L’action de Destailleur et Liénard ne se limite pas au château Renaissance : l’église du village est quant à elle restaurée suivant son époque de construction, dans un gothique très simple, avec un grand tympan roman. Les différentes réalisations suivent un plan complet de réaménagement du domaine, soucieux de dégager une relative cohérence entre ses différents éléments tout en maintenant les traces de l’historique de chacun des bâtiments.

15 Si la manière de travailler de Félix Duban, sur le chantier de Blois notamment, est bien connue, celle d’Hippolyte Destailleur n’a jamais encore fait l’objet d’une étude publiée. Il est difficile d’estimer quelle a été la marge de manœuvre du sculpteur par rapport à l’architecte sur ce chantier et de déterminer d’où vient la cohérence historique du décor. Destailleur collectionne déjà les dessins topographiques et les gravures d’architecture qui feront de lui un connaisseur averti des réalisations historiques. Cependant, Liénard peut aussi exploiter sa formation avec Jean-Baptiste Plantar sur les chantiers des châteaux de la Couronne et ses premières expériences sous la direction de Félix Duban, l’un des pères de l’architecture néo-Renaissance française. En engageant cet artiste, Destailleur était certain d’avoir recours à un sculpteur non seulement capable de travailler sur une base historique, mais également connu pour sa capacité à inventer de nouveaux ornements. Au moment du chantier de Mouchy, Liénard est probablement à la tête d’un grand atelier qui lui permet de répondre à une commande de cette ampleur, mais qui reste encore assez mal connu. Outre celui du sculpteur Moreau26, un nom se détache dans les lettres et les mémoires de travaux qui subsistent, celui d’Alfred Doussamy (1831-1885), gendre de Liénard. Le chantier de Mouchy tient en effet lieu de passation entre les deux hommes, même si Doussamy ne reprend pas formellement l’atelier de Liénard après la mort de ce dernier, en 1870. Doussamy travaille par la suite à plusieurs reprises avec Hippolyte Destailleur, notamment pour

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l’hôtel de Mouchy à Paris, situé sur le boulevard de Courcelles et également rénové par l’architecte27, mais détruit en 1958.

16 Surtout, le jeune sculpteur collabore avec Destailleur sur le pendant anglais de Mouchy, Waddesdon Manor, construit pour le baron Ferdinand de Rothschild entre 1874 et 189928. Grand amateur d’objets d’art Renaissance, le baron avait été frappé par les châteaux français de Touraine et embauche sur le souvenir de Mouchy Hippolyte Destailleur, puis son fils, Walter-André d’Estailleur (1867-1940) pour construire son domaine au nord-ouest de Londres. Les deux constructions offrent de nombreux points de similarités et, si Waddesdon Manor ne connaît pas de base ancienne, il s’inspire de plusieurs châteaux français (Chambord, Maintenon, Chaumont-sur-Loire, etc.). À côté de ces influences historiques, de nombreux ornements sont repris à l’identique de Mouchy pour décorer Waddesdon, comme l’indiquent des annotations sur certains dessins du fonds Destailleur de Berlin29. Le travail de Doussamy est alors précieux : il arrive à Waddesdon en 187930 et tient lieu de véritable trait d’union entre les deux chantiers, au point que son nom apparaît au côté de celui de l’architecte sur l’œil de bœuf du pavillon central.

NOTES

1. Antoine-Joseph Warmé, Mouy et ses environs : Angy, Bury, Ansacq, Cambronne, Heilles, Hondainville, Neuilly, Mello, Mouchy-le-Chatel, Saint-Félix, Thury-sous- Clermont, Ully-Saint-Georges, Beauvais, D. Père, 1873, t. VI-513 p. 2. Anonyme, « Château de Mouchy (département de l’Oise) », dans Le Magasin pittoresque, t. XXXIII, 1865, p. 245-246, ill. 3. Le titre de duc de Mouchy est porté par la branche cadette de la famille de Noailles, à partir du milieu du XVIIIe siècle. 4. Notice sur Mouchy-le-Châtel, Beauvais, Moniteur de l’Oise, 1893, p. 9. 5. À propos de cet artiste, voir Sophe Derrot, Michel Linéard (1810-1870), luxuriance et modestie de l’ornement au XIXe siècle, thèse de doctorat soutenue en 2014, École des hautes études, vol. 1 (391 p.), vol. 2 (238 p.). 6. Ces mémoires et lettres sont conservées par l’actuel duc de Mouchy, que je remercie pour son aide. Treize mémoires concernent les réalisations de Liénard et permettent d’estimer les sommes considérables qu’il a touchées pour ce travail, qui se montent au total à plus de 174 895 francs. 7. Une quinzaine de dessins issus des fonds Linéard et Prignot conservés au département des Arts graphiques du musée des Arts décoratifs ont pu être reliés à Mouchy. 8. Les albums Destailleur conservés par la Kunstbibliothek de Berlin comptent un grand nombre de dessins en rapport avec Mouchy, souvent daté, parfois annotés mais jamais signés. La plupart de ces dessins semblent se rapporter à la seconde phase des travaux extérieurs, ainsi qu’aux travaux intérieurs.

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9. Arch. nat., fonds Destailleur, 536 AP. Ce fonds, conservé aujourd’hui sur le site de Fontainebleau, n’est pas accessible pour le moment. 10. Vingt-sept de ces photographies se trouvent aujourd’hui dans le fonds Destailleur de l’Académie d’Architecture (nos 522.1 à .22) et dans le fonds Richebourg du département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France (EO-28 (1 et 2) – Fol et Pet. Fol.). D’autres photographies, prises vers 1955 puis au moment de la démolition en 1961, se trouvent dans le fonds Fernand Watteuw, conservé aux archives départementales de l’Oise (30 Fi 7/438 à 440, 30 Fi 2/611 à 615 et 30 Fi 15/1014/1 à 1016/1 et 4959/1). 11. Concernant l’intérieur, il n’y a qu’une mention dans les mémoires qui laisserait penser que Liénard y a aussi œuvré, à propos de « balustres ou vases pour le haut du lit de Madame la duchesse de Mouchy ». On conserve par ailleurs les noms de sculpteurs sur bois qui ont probablement travaillé sur les décors intérieurs, comme les frères Huber. 12. Des plans pour ce caveau se trouvent dans les albums Destailleur de la Kunstbibliothek de Berlin. 13. Ces mémoires concernent des travaux de sculptures pour le caveau et sa porte, ainsi qu’une sculpture pour la chapelle. 14. Notice sur le Mouchy-le-Châtel, op. cit., p. 10. 15. Le Magasin pittoresque de 1865 (art. cité) indique 1856 comme date de début des travaux. Mais les premiers mémoires de Liénard concernant le château datent bien de 1855. 16. Des plans de cette chapelle, datés de 1882, se trouvent dans le fonds des Arch. nat. 17. Notices sur Mouchy-le-Châtel, op.cit., p. 10. 18. Ces élévations, conservées dans les fonds des Archives nationales, sont reproduites dans Bruno Pons, Waddesdon Manor, Architecture and Panelling, Londres, P. Wilson for the Waddesdon trust, 1996, p. 66. 19. L’ampleur des travaux se perçoit également dans la somme que l’atelier Liénard touche pour cette première phase : 136 595,18 francs pour le cumul des mémoires de 1855 à 1860. 20. Ceux des arts et de la guerre ont été gravés dans le dernier des recueils des travaux de Liénard, le Portefeuille de Liénard et tous sont photographiés, tout comme les modèles des trophées de la chasse et des festins, dont les photographies sont signées par Liénard (photographies nos 20 et 21 du fonds Destailleur, Académie d’Architecture). 21. Un calque pour le cadre pour le buste de François Ier se trouve dans le fonds Destailleur de la Kunstbibliothek de Berlin. 22. L’auteur de ces bustes et leur date de réalisation sont inconnus. Les mémoires de Liénard mentionnent François Ier, Henri II (illustration de ce cadre dans la collection Maciet de la bibliothèque des Arts décoratifs, album 233, 12), Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. 23. Plusieurs dessins du fonds Liénard du musée des arts décoratifs présentent des études pour ce porche, notamment pour les chapiteaux des colonnes et pour les panneaux de la porte. 24. Un plan du château en novembre 1865 se trouve dans le fonds Destailleur des Arch. nat.

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25. La somme touchée s’élève à 38 300 francs, dont dix-sept voyages de sculpteur. 26. Ce sculpteur est mal connu, mais il est cité à plusieurs reprises comme appartenant à l’atelier de Liénard. Peut-être a-t-il un lien avec le sculpteur Mathurin Moreau (1821-1912), qui collabore avec l’ornemaniste sur des fontaines pour les fonderies du Val d’Osne. À Mouchy lui sont attribués les satyres qui surplombent le porche d’entrée du château et les deux cariatides du portail monumental du domaine. 27. La revue Paris architecte de 1865 évoque plusieurs collaborations pour le duc de Mouchy entre Doussamy sculpteur et Destailleur architecte et dessinateur : un meuble pour un coffret en cristal de roche du xvie siècle (mai 1865, p. 20, pl. X), ainsi qu’une porte d’écuries (février 1867, p. 16 et pl. VII). Le motif de cette porte se retrouve dans le fonds Liénard du musée des Arts décoratifs (CD 413964 et CD 414055) ; d’autres dessins en lien avec l’hôtel de Mouchy se trouvent dans le fonds Prignot du même musée. Une autre mention de collaboration, pour une « maison avenue de l’Opéra » figure dans un album Maciet de la BAD (242,1). 28. Sur Waddesdon Manor, voir B. Pons, Waddesdon Manor…, op. cit. 29. Certains dessins du fonds Destailleur de la Kunstbibliothek de Berlin concernent Waddesdon Manor, mais portent des mentions telles que « les profils sont ceux des lucarnes de Mouchy ». 30. B. Pons, Waddesdon Manor…, op.cit., p. 69.

RÉSUMÉS

Tout proche de la résidence royale puis impériale de Compiègne, le château de Mouchy (Oise), ainsi que son domaine, est embelli et agrandi au XIXe siècle, sur la volonté de la famille de Noailles. Au milieu du siècle, Henri de Noailles puis son fils, Antoine, ducs successifs de Mouchy, confient le chantier au jeune architecte Hippolyte Destailleur. Celui-ci emploie le sculpteur- ornemaniste Michel Liénard et son atelier, pour le seconder sur ce chantier qui mêle restauration et construction. La seconde moitié du siècle voit se succéder deux grandes phases de travaux (1855-1860 puis 1860-1864) qui visent à donner au château historique de la Renaissance le prestige d’une grande demeure nobiliaire. Fins connaisseurs du style Renaissance, Destailleur et Liénard recréent un décor sculpté à l’aulne de cette volonté de faste, en s’inspirant de modèles historiques et du rayonnement de la famille commanditaire. Le chantier de Mouchy prend une place toute particulière dans la carrière des deux hommes. Pour Liénard, il s’agit de la dernière pierre à une carrière couronnée par le succès et la reconnaissance ; pour Destailleur, Mouchy signe des débuts flamboyants dans le domaine de la construction nobiliaire. Aujourd’hui détruit, le château de Mouchy a laissé des traces dans un autre bâtiment, Waddesdon Manor, cousin anglais également construit par Destailleur et le successeur de Liénard, Alfred Doussamy, pour le baron Ferdinand de Rothschild.

Close to the royal and then imperial residence of Compiègne, Mouchy Castle (Oise) and its estate were embellished and extended during the nineteenth century by the will of the Noailles family. In the middle of the century, Henri de Noailles and then his son, Antoine, successive dukes of Mouchy, entrusted the construction work to the young architect Hippolyte Destailleur. In order

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to assist him with this work which combined restoration and new construction, Destailleur employed the sculptor and ornemanist Michel Liénard and his team. During the second half of the century, between 1855 and 1866, two important phases of construction were carried out to bring back some noble prestige into the historical castle from the Renaissance. Astute experts of the Renaissance style, Destailleur and Liénard recreated a sculpted decoration commensurate to the will of splendor, and took inspiration from historical models as well from the influence of their sponsor family. The work at Mouchy Castle occupied a particular place within the career of both artists. For Liénard, it was the last part of a career crowned by success and recognition; for Destailleur, Mouchy was the blazing beginning of his work in the field of construction for nobility. The castle of Mouchy does not exist anymore, but its influence remains visible in its English cousin, Waddesdon Manor, which was also built by Destailleur and the successor of Liénard, Alfred Doussamy, for the baron Ferdinand de Rothschild.

Das in unmittelbarer Nähe zum königlichen, später kaiserlichen Schloss von Compiègne gelegene Château de Mouchy (Departement Oise) wird zusammen mit seinem umliegenden Besitzungen im Laufe des 19. Jahrhunderts auf Veranlassung der Familie von Noailles umfassend ausgebaut und ausgeschmückt. Um die Mitte des Jahrhunderts übertragen die Herzöge von Mouchy, Henri von Noailles und später sein Sohn Antoine, die Arbeiten dem jungen Architekten Hippolyte Destailleur, der bei diesem Bauvorhaben, bei dem sich Restaurierung und Neubau mischen, vom Bildhauer und Stuckateur Michel Liénard und dessen Werkstatt unterstützt wird. Während zweier bedeutender Bauphasen in der zweiten Hälfte des 19. Jahrhunderts (1855-1860 sowie 1860-1864) soll das Renaissance-Schloss in eine prunkvolle zeitgemäße Adelsresidenz verwandelt werden. Als profunde Kenner der Renaissancekunst entwerfen Destailleur und Liénard ein aufwendig gestaltetes Dekor aus Erlenholz, das sowohl den historischen Vorbildern als auch der gesellschaftlichen Stellung der Auftraggeber Rechnung trägt. Für Liénard als auch für Destailleur bedeuten die Arbeiten in Mouchy dabei den Grundstein für eine erfolgreiche spätere Karriere, die letzterer insbesondere mit adeligen Bauaufträgen fortsetzt. Auf das heute zerstörte Schloss von Mouchy lässt sich noch anhand eines ihm eng verwandten Baus in England schließen, des Waddesdon Manor, das ebenfalls von Destailleur zusammen mit dem Nachfolger von Liénard, Alfred Doussamy, für den Baron Ferdinand von Rothschild errichtet worden ist.

AUTEUR

SOPHIE DERROT Sophie Derrot est née en 1983 et est conservatrice à la Bibliothèque nationale de France. Archiviste-paléographe (promotion 2008), elle a soutenu en septembre 2014 une thèse de doctorat sur le sculpteur-ornemaniste Michel Liénard (1810-1870), à l’École pratique des hautes études sous la direction de Jean-Michel Leniaud. Adresse électronique : [email protected]

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