ETUDE ARCHEOLOGIQUE ET HISTORIQUE DE LA VALLEE DU (VE-XVIIIE

SIECLE) : LE CAS DU BASSIN VERSANT DE L’ORGEVAL

Pierrick Tigreat, doctorant sous la direction d’Eric Rieth, Paris 1-CNRS, UMR 8589 LAMOP [email protected]

INTRODUCTION

1 - Bassin versant de l'Orgeval (-et-)

1. INTRODUCTION À LA CONNAISSANCE D’UN TERRITOIRE

La vallée du Grand Morin s’étend sur 119 communes, à la fois sur les départements de la Marne, où la rivière prend sa source à Lachy, et de la Seine-et-Marne, respectivement 32 et 87 territoires communaux. Au total, son bassin versant s’étend sur 1193 km², soit approximativement un dixième de la superficie du bassin de la Marne. D’une longueur de 113 kilomètres, le Grand Morin traverse tour à tour les villes d’, de la Ferté-Gaucher, de

1 Coulommiers, de Crécy-la-Chapelle, de Saint-Germain-sur-Morin et d’, avant de se jeter dans la Marne, rive gauche, en aval de , à 40 kilomètres à l’est de Paris. L’, affluent principal du Grand Morin, est long de 62 kilomètres, mais de nombreuses rivières de taille plus modeste s’y jettent, notamment la rivière Orgeval. Marquée par un climat océanique dégradé, aux températures douces, la vallée du Grand Morin reçoit en moyenne 678 millimètres d’eau par an1. L’échelle d’approche de ce travail de recherche, débuté en 2008, a été définie par les limites du bassin versant de l’Orgeval, fenêtre d’observation du Grand Morin s’étendant sur près de 104 kilomètres carrés. Au cœur de la , il recèle de sites multiples, qui, de façon contrastée, révèlent les implantations et les interventions anthropiques dans le paysage, de la préhistoire à la période contemporaine. La connaissance de ces sites peut s’avérer ancienne et lacunaire. Aujourd’hui, elle est surtout le fruit de mises à jour récentes et quotidiennes accomplies par les archéologues, travaillant en amont des projets d’aménagement de ce territoire.

1.1. Milieu physique et humain A l’ère Tertiaire et au Quaternaire, le territoire a été modelé par des phénomènes géologiques fondamentaux. La formation des Alpes a entraîné le soulèvement des couches sédimentaires tertiaires, incitant la reprise de l’érosion des terrains à travers un dense réseau fluvial dégageant ainsi la plateforme structurale calcaire de la Brie entre la Marne et la Seine. Des actions périglaciaires parachèvent le modelé de cette contrée, à l’origine, entre autres, de la butte de Doue qui s’élève à 193 mètres d’altitude. L’Orgeval, parmi les affluents principaux du Grand Morin et d’une longueur de 12,8 kilomètres, naît de la confluence de trois ruisseaux, celui des Avenelles, de Courgy et du Rognon. Six sous bassins y sont distingués : Sous bassins versants Altitude moyenne Surface des Quatre-Cents 140 m 1.1 km² des Avenelles 85 m 45,7km² de Goins 146 m 1.3 km² de Choqueuse 142 m 1.7 km² de La Gouge 125 m 24,7km² de Mélarchez 146 m 7,1 km²

2 - Tableau des sous bassins versant de l'Orgeval

1 Poulin M., Flipo N., Even S., Tusseau M.-H., Alfandari V., Sainte-Laudy M., Goulette S., Billen G., Garnier J., Bleuse N., Némery J. et Servais P., Fonctionnement hydrologique et biogéochimique du Grand Morin, Rapport d’activité, publication en ligne, PIREN-Seine, 2000, p. 3.

2 La partie amont de l’Orgeval est constituée essentiellement de parcelles agricoles drainées, possédant l’un des plus forts taux de drainage rapporté à l’aire totale, 65 %, des affluents du Grand Morin. Sa partie avale, quant à elle, est composée d’une zone densément boisée. L’emprise du bassin est effective, de manière inclusive ou exclusive, sur quinze communes, quelles soient seulement admises dans ses limites, traversées par la rivière Orgeval ou ses affluents.

1.2. Division historique du territoire L’unité administrative apparente du département de Seine-et-Marne ne reflète guère les divisions historiques du territoire qui ont marqué des modes distincts d’occupation, d’exploitation des ressources et d’organisation du paysage agraire2. Au milieu du Ier siècle de notre ère, l’aire géographique rimant aujourd’hui avec la Seine-et-Marne est répartie entre des peuples de la Gaule belge au nord et de la Gaule celtique au sud. De la sorte, le bassin versant de l’Orgeval est occupé par les Meldes, établi dans le nord-est de l’actuel département. Conquise, la Gaule est divisée en trois provinces administrées par des légats, le nord de la Seine-et-Marne est alors associé à la province de Belgique. En parallèle, les peuples romanisés engagent la formation de « cités-territoire » (civitates) et développent une civilisation résolument urbaine. Les Meldes fondent Latinum (actuelle Meaux), chef-lieu de leur civitas, plus tard connu sous le nom de Fixtuinum. Dans la civitas Meldorum, deux agglomérations, sises dans le bassin versant de l’Orgeval, sont présumées être des vici gallo- romains, Coulommiers et Doue. Au crépuscule du IIIe siècle, dans le dessein d’alléger l’administration impériale, l’empereur Dioclétien divise l’empire en 101 provinces réparties en 12 diocèses dirigés par des vicaires. Dès lors, l’actuel territoire seinais-marnais est réuni à la province de Première Lyonnaise, avant d’être rattaché à la Quatrième Lyonnaise par Constantin, au cours du IVe siècle. En ce temps, un comte (comes) était nommé dans chaque chef-lieu de cité, pour le territoire qui nous préoccupe, Meldi (actuelle Meaux). A la fin de l’empire, ces civitates deviendront les sièges des évêchés. A l’époque mérovingienne, elles seront connues sous le nom de « pays » (pagus), puis de comté sous les Carolingiens. La Brie est mentionnée dès le VIIe siècle. Au Moyen Age central, à partir du début du XIe siècle jusqu’en 1285, elle est unie au comté de avant de rejoindre le domaine royal avec l’accession au trône de Philippe le Bel. La frontière féodale du comté de Champagne et de la Brie avait été établie sans tenir compte des circonscriptions civiles ni des

2 Le département de la Seine-et-Marne ne fut créé que le 26 février 1790, par décret de l’Assemblée Nationale.

3 circonscriptions ecclésiastiques, définissant de nouvelles divisions, aussi bien dans les châtellenies sous le domaine de la couronne que celles du comte palatin de Champagne. A l’échelle du bassin versant de l’Orgeval, avant ce rattachement, la Forêt-du-Mant (commune de la Haute-Maison) était unie à la Châtellenie de Crécy-en-Brie dans l’étendue du domaine royal, et le reliquat des fiefs dans les châtellenies de Coulommiers et de Meaux au sein du comté de Champagne3. Quant aux circonscriptions ecclésiastiques, avant la Révolution, le diocèse de Meaux4 regroupait l’ensemble de ce territoire, réparti entre les doyennés de Coulommiers, de La Ferté-Gaucher et de La Ferté-sous-Jouarre5.

2. PRÉSENTATION DE LA PROBLÉMATIQUE, DES THÉMATIQUES ET DES OBJECTIFS

2.1. Positionnement de ce travail au sein du programme A travers le volet « Zones humides » du programme, la visée nouvelle de ce projet scientifique est l’étude diachronique, dans une aire géographique homogène, des aménagements du cours d’eau par l’homme, afin de produire l’énergie nécessaire au fonctionnement technique d’installations artisanales et industrielles, pérenniser l’activité halieutique, irriguer les exploitations agricoles, assainir les terres, drainer les marais, aménager les berges et des équipements militaires, évacuer les eaux usées et réaliser l’adduction d’eau potable. En outre, la mise en place du parcellaire, des biefs ainsi que des étangs, des ponts et des bacs mais aussi l’impact sur le milieu, faune et flore, de ces aménagements hétérogènes sont autant d’éléments qui demeurent des préoccupations majeures.

2.2. Objectifs de la recherche en cours En résumé, il est entrepris l’étude archéologique des usages distincts et des multiples fonctions du Grand Morin (patrimoine énergétique et industriel pour les moulins, stratégique pour les aménagements militaires, halieutiques pour les pêcheries, agricole et industriel pour les manufactures et les pêcheries). De plus, l’évaluation du patrimoine archéologique en milieu aquatique et l’étude de la navigabilité de la rivière comptent parmi les objectifs de ces travaux, à travers l’étude des aménagements du lit et des berges (chemin de halage, quais, épis

3 Stein Henri et Hubert Jean, Dictionnaire topographique du département de la Seine-et-Marne : comprenant les noms de lieu anciens et modernes, revu et publié par Jean Hubert, 1954, 687 p., p. XVIII, XXIII et XIV. 4 Jusqu’en 1622 dans la province ecclésiastique de Sens avant l’érection de Paris en archevêché. 5 Id., p. VII.

4 longitudinaux, chaussées...) et des adaptations architecturales (fonctionnellement et écologiquement, contraintes hydrographiques, sections navigables de la rivière...). A l’échelle du bassin versant de l’Orgeval, l’occupation du sol, les dynamiques de peuplement comme le paléoenvironnement (parcellaires anciens, composantes du paysage, agriculture, poids et influences des activités humaines sur l’espace qu’elles soient administratives, juridiques, écologiques, politiques...) sont des préoccupations indissociables à cette étude. L’examen des installations hydrauliques en milieu urbain (Coulommiers), la pression anthropique sur la ressource, les rapports entretenus entre la ville et le milieu, l’utilisation de la rivière par une population de type citadine font également partie des objectifs. L’étude du fonctionnement hydraulique et écologique sur le long terme du bassin versant de l’Orgeval permettra d’envisager l’impact et la pression anthropiques sur le milieu à travers une analyse qualitative et quantitative des vestiges archéologiques, de leur emprise spatiale ainsi que dans la mesure du possible, des crues, des étiages, des accidents hydrologiques et des obstacles au fil du temps et du cours d’eau.

3. MOYENS MIS EN ŒUVRE

La démarche scientifique adoptée repose sur plusieurs exigences théoriques et méthodologiques : ™ Revue bibliographique des travaux en archéologie environnementale, sur l’hydraulique et bilan synthétique des connaissances sur le secteur géographique de l’Orgeval ™ Mise en place d’un protocole de collecte des données, des échelles d’approche de l’étude (hiérarchisation des villes, leur statut et leur situation, à l’échelle d’un site, type d’occupation, activité...) et construction d’outils, recherche méthodologique sur l’identification des vestiges, leur descriptif et leur analyse ™ Etude des sources documentées : cartographiques, planimétriques et écrites, ces dernières permettant d’intégrer les données économiques et sociales, afin de comprendre l’organisation et la gestion du territoire ™ Entretiens avec des personnes ressources au niveau local (Service Régional de l’Archéologie d’Ile-de-, Service Régional de l’Inventaire Général d’Ile-de- France...) ™ Prospections, enregistrement des données archéologiques, classification et structuration des informations

5 4. L’EXEMPLE DE COULOMMIERS

Chef-lieu de canton, dans l’arrondissement de Meaux, en pays de la Brie laitière, Coulommiers est à 20 kilomètres au sud-est de Meaux. L’agglomération urbaine, traversée d’est en ouest par la rivière du Grand Morin, se développe principalement sur la rive nord, tandis que les plateaux environnants sont consacrés aux cultures. Coulommiers est évoqué pour la première fois sous le nom de Columbario vico, au VIIe siècle6.

3 - Carte archéologique des sites gallo-romains de Coulommiers

Antérieurement à la conquête romaine, les Gaulois s’établirent à l’abri d’un méandre de la rivière au cœur d’une zone marécageuse, approximativement entre l’hôtel de ville actuel et l’ancienne prison. La ville figure parmi la liste succincte des agglomérations antiques

6 Id., p. 146.

6 présumées d’Ile-de-France7. Si l’origine de la ville demeure inconnue, et qu’aucune inscription épigraphique authentifiée de l’époque gallo-romaine ne l’évoque, de nombreux témoignages archéologiques peuvent tout au moins suggérer l’existence d’une occupation dense à cette période. Au Moyen Age, Thibault Ier, comte de Blois-Champagne, démontre tout au long de son règne un fervent soutien au clergé (fondation du prieuré de , fondation du prieuré de Saint-Ayoul...). En 1080, il souscrit à la fondation du prieuré de Sainte-Foy de Coulommiers, entraînant une urbanisation avancée de la rive orientale de la cité. Son arrière- petit-fils, Henri Ier le Libéral, selon les préceptes hérités de ses prédécesseurs, poursuit le développement des cités, favorise les foires et modernise ses terres. En 1172, il commandite l’ouvrage du canal de Coulommiers, dénommé « le brasset des tanneurs ». Ce chenal accueille une nouvelle industrie et ses ouvriers spécialisés originaires de Troyes. Le savoir-faire des artisans autorisera un essor économique de la ville, ainsi qu’un dense trafic fluvial sur le Grand Morin, navigable depuis . Ces avancées favorables se perçoivent également aux agglomérations urbaines de Crécy-La-Chapelle et de La Ferté-Gaucher. Les établissements déclineront à la fin du XVIIe siècle, la faute incombant aux lourds impôts. Jusqu’alors, les Columérins vivaient en bourgeois libres grâce à l’exemption de la taille et de la corvée accordée par le comte Thibault IV le Chansonnier, en 1231. Au XIIe siècle, Thibault II admet également l’installation des Templiers à Coulommiers, ordre reconnu en 1128. La commanderie fut établie sur les terres de Montbillard, gratifiée d’un patrimoine parmi les villages avoisinants et à Coulommiers même, sous la forme de maisons et de moulins. Les revenus issus de l’exploitation de leurs biens servaient en grande partie à financer leur activité militaire en Terre Sainte. En 1187, la perte de Jérusalem pour le monde

4 - Coulommiers, vitrail représentant un tanneur au travail

7 Petit Jean-Paul et Mangin Michel (dir. sc.); Brunella Philippe, Atlas des agglomérations secondaires de la Gaule Belgique et des Germanies, publ. par le Parc archéologique européen de Bliesbruck-Reinheim, Paris, Ed. Errance, 1994, 292 p.

7 chrétien, entraîne l’établissement durable des Templiers en Europe, jusqu’à leur arrestation en France en 1307 ordonnée par Philippe IV le Bel. Leurs biens confisqués, ils furent hérités par l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. La commanderie de Coulommiers, avec celles de Coutran, et Fourches, demeure une des quatre commanderies conservées en Ile-de-France.

5 - La ville de Coulommiers d'après la gravure de Chastillon de 1600

En 1613, Catherine de Gonzague, princesse de Clèves, duchesse de Longueville, commandite la construction d’un château à Salomon de Brosse dans la prairie des Margats (marécages). La demeure est détruite 123 ans plus tard, mais les importants aménagements réalisés perdurent, en témoigne le bras artificiel dénommé « La fausse rivière », de 4 km de long.

8 Outre ces données historiques préalables et préparatoires, un premier inventaire des toponymes de moulins à Coulommiers à pu être dressé :

Datation Nom Mentions 1172 Celpoy Molendinum de Celpoi 1190, 1201 et 1326 Château (Le moulin du) Molendinum de Castello de Columbariis ; Molendini de Porta Castelli ; Le moulin du Chastel de Coulommiers 1201 Porte-château Molendini de Porta Castelli 1249 Jard (Le) Molendinum de Gaart 1306, 1308 Osches Le moulin d’Osches 1308 et XVIIe siècle Les Prés Les moulins des Prés ; Deux moulins à draps appelés les moulins des Prés lez Coulommiers mouvant de la commanderie de Maison Neuve 1398 Le Temple Domus de Temlplo apud Columbarium constituta 1342 Moulin-du-Château Le molin du chastel de Coulommiers 1607 et 1765 Moulin-Groteau Le Moulin Neuf appelé aussi le Moulin Groteau, au faubourg de la porte de Provins Moulin-des-Prés Tanneurs (Le brasset des)

6 - Moulins de Coulommiers

Au-delà de ces installations, sises sur le territoire de Coulommiers, d’autres structures sont connues. Sur le cadastre de 1810, l’ancien lieu-dit, l’étang Mingault apparaît et dans l’obituaire de Sens, l’ancien lieu-dit à proximité de Coulommiers, le gué Jousson est cité.

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CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

Un certain nombre de travaux sur la vallée du Grand Morin, au sein du PIREN-Seine, ont déjà pu être accomplis, avec des premiers acquis scientifiques sur le comportement hydraulique de la rivière, l’impact sur l’eau des apports domestiques et agricoles d’une région à caractère rural dominant8, le transport des matières en suspension vecteurs potentiels de pollution, la production de biomasses d’une rivière au caractère eutrophique marqué, enfin, la production de matière organique autochtone dans le lit du cours d’eau. En conséquence, l’apport de l’archéologie et de l’histoire dans l’étude de la vallée du Grand Morin n’en est à ce jour qu’à ses débuts, qui a abouti à un inventaire de trente-trois ouvrages hydrauliques9. De ce fait, au regard des précédentes études, ce travail, au sein d’un programme interdisciplinaire, sera fondé sur une échelle de temps beaucoup plus longue. Rythme et héritage des processus d’aménagement de la vallée seront pris en compte. In fine, par l’archéologie et l’ensemble des autres disciplines scientifiques, chacune avisant d’un aspect particulier du bassin, une synthèse locale pourra être réalisée.

RÉFÉRENCES

Baptiste Hervé, La commanderie des Templiers de Coulommiers : vie et résurrection, Lefevre, 2000, 299 p. Dessaint Ernest, Histoire de Coulommiers des origines à nos jours, Coulommiers, impr. Ernest Dessaint, 1925, 293 p. Geslin Pierre, Brie antique : notice sur la topographie antique de l’arrondissement de Coulommiers, La Mée-sur-Seine, Amattéis, 1992, 189 p. Richard Yves, Coulommiers et ses environs, La Mée-sur-Seine, Amattéis, 1992, 334 p.

8 Les zones rurales représentent 73 % de la surface du bassin. 9 Bourlangue S., Poulin M., Even S., Flipo N., Modélisation du fonctionnement hydraulique et écologique du Grand Morin, Rapport technique, CIG-ENSMP, 2000.

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