Le Yorkshire occulte (1) Secrets de famille fabiens et ingénierie culturelle au Royaume-Uni par Jasun Horsley

« Quel père parmi vous, si votre fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent à la place ? »

Introduction : la glorification du vice

Qui, dans le monde actuel, a le courage d’écrire en faveur de la justice et de la vérité ? Qui est prêt à être aussi ringard ? Il est relativement aisé d’écrire sur des sujets qui ne nous concernent pas directement ; ou sur des sujets qui nous concernent, mais que les gens ont envie d’entendre, sur de bonnes choses qui feront que nous seront aimés et admirés pour les avoir partagées. Mais qu’en est-il des choses que nous avons été conditionnés à taire dès le plus jeune âge ? Les choses que nous sommes socialement contraints de maintenir cachées ? Écrire ou parler de ces choses revient à briser un pacte tacite du silence, un contrat auquel nous n’avons jamais souscrit consciemment, et que nous n’avons jamais eu la possibilité de refuser consciemment. C’est la chose que personne ne souhaite faire. C’est aussi la chose qui a le plus besoin d’être faite. Parce que tant que cet accord de ne pas parler, de ne pas écrire, ou même de ne pas penser à certaines choses, n’est pas brisé, alors notre parole, nos écrits, notre pensée seront étouffés par la peur, consciente ou pas, de rompre ce contrat en exprimant l’indicible. À ce stade, le système de soutien social sur lequel nous nous sommes reposés toute notre vie durant, et duquel dépend la survie de notre identité, cesserait de nous soutenir. Nous serions abandonnés, et partirions à la dérive dans un océan froid, sombre et sans merci de significations brisées. Si j’écris ceci, ce n’est pas parce que tel est mon désir ; c’est une obligation. J'ai, moi aussi, découvert mon enfant intérieur il y a quelques années – et j'ai décidé d'avorter. ~ Sebastian Horsley, 2004, correspondance privée

Mon frère Sebastian Horsley, « dandy du monde souterrain » autoproclamé, était un artiste particulièrement célébré pour ses actes potentiellement (et au final, concrètement) autodestructeurs. Un article récent paru dans Time Out l’a classé parmi les dix plus gros consommateurs de drogue de Londres ; dans un autre article sur l’acteur Shia Labeouf, on pouvait lire que mon frère avait « fait, de manière convaincante, une œuvre d’art de sa propre autodestruction fatale ». Cette phrase en dit long. Qui exactement fut convaincu par l’autodestruction artistique de mon frère, et de quoi ont-ils été convaincus ? Que le suicide est une quête artistique honorable ? Quelle sorte d’héritage une « œuvre d’art » de ce type laisse-t-elle ? Comment le fait que quelqu’un soit poussé à s’autodétruire de manière compulsive peut-il être une source de louanges ? Je suis l’une des deux personnes encore en vie (avec ma sœur, une psychothérapeute) possédant une connaissance intime des forces qui poussèrent mon frère à s’autodétruire. Une chose est donc douloureusement claire à mes yeux : quel qu’ait été le « message » porté par mon frère, par sa vie ou sa mort, ce n’est pas un véritable message mais une fiction : une histoire inventée qui cache une légion de péchés. Ironiquement, elle ne les cache pas avec l’illusion de la vertu, comme dans le cas bien plus célèbre de Jimmy Savile, mais avec l’étalage dandyesque du vice présenté sous un jour favorable. Je crois profondément que « l’art » de Sebastian Horsley n’était pas de l’autodestruction mais un processus élaboré destiné à masquer les forces sociales, culturelles et personnelles qui ont rendu sa destruction inévitable. Je pense qu’il montre que l’abusé est programmé par l’abus, non pas seulement pour protéger ses abuseurs, mais aussi pour perpétuer l’abus. Ma comparaison avec Savile n’est pas non plus totalement fortuite. Comme je l’écrivais dans Seen and Not Seen, avec ses tenues flamboyantes, ses cheveux décolorés, ses bijoux bling-bling et sa personnalité étrange, Savile était lui aussi un dandy. Comme mon frère, et comme le kidnappeur d’enfants de Chitty Chitty Bang Bang, Savile portait des hauts-de-forme. Je doute que mon frère ait jamais imité Savile, mais d’un autre côté, il est difficile d’évaluer l’influence qu’a eue Savile sur ceux qui, comme nous, ont grandi dans les années soixante et soixante-dix. Durant cette période, Savile était considéré comme l’homme le plus influent du rock and roll britannique, et mon frère et moi regardions Top of the Pops toutes les semaines, religieusement. Le premier modèle de mon frère, et le plus durable, fut le glam-rocker , et Savile était par certains aspects un avatar du glam rock. Se peut-il que mon frère ait appris de Savile certains de ses tours de dandy ? L’une des choses les plus perturbantes à propos de Savile était la façon dont il étalait ses inclinations. Il s’en amusait à la télévision et à la radio (parfois même en présence de ses victimes). Il les a admises dans son autobiographie. Et pourtant, personne n’a rien dit. Les révélations actuelles, et apparemment sans fin, sur l’abus sexuel institutionnalisé des enfants au Royaume-Uni ont forcé les gens à réévaluer ce qu’ils croyaient savoir sur la façon dont fonctionne la corruption, et sur ce à quoi ressemble cette dernière. Il fut un temps où nous cherchions les prédateurs sexuels au coin de la rue ou à la sortie des écoles ; des personnes louches au regard fuyant, rôdant aux marges de la société, aisément identifiables, et encore plus aisément désignées comme boucs-émissaires. Dans la Grande-Bretagne de l’après-Savile, une vision aussi simpliste est devenue l’apanage des ignorants. Les véritables prédateurs se trouvent en pleine lumière et occupent des positions de pouvoir ; ce ne sont pas des marginaux ou des exclus, mais les piliers de notre communauté. Bien loin de se trahir par leurs regards fuyants ou leurs attitudes coupables, leur manque apparent de conscience de soi les soustrait au sentiment de culpabilité. Ils n’exhibent aucun des signes sur lesquels nous comptons d’ordinaire pour nous apercevoir que quelqu’un est animé de mauvaises intentions. Dans leur esprit, ils ont le droit de faire ce qu’ils font. C’est le pouvoir des privilèges, et les privilèges du pouvoir. J’estime que les qualités qui valurent à la vie et à l’art autodestructeurs de mon frère (son autodestruction artistique) d’être célébrés n’étaient pas les expressions uniques d’une âme créative, mais les symptômes d’une psyché mortellement traumatisée. Elles étaient ses tentatives désespérées et publiques de se libérer d’un bourbier culturel et familial, une lutte qui, ironiquement et tragiquement, fut identifiée par cette même culture comme une forme « d’art ».

Sebastian Horsley, après sa crucifixion en 2000 aux Philippines

Si quelqu’un devait monter une production dans laquelle Bette Davis serait dirigée par Roman Polanski, celle-ci ne pourrait exprimer totalement la violence refoulée et la dépravation d’une seule journée dans la vie de ma famille. C’était une pieuvre répugnante, et je n’ai jamais pu réellement échapper à ses tentacules. ~ Dandy in the Underworld

Mon frère et moi naquîmes dans ce type de milieu privilégié. Notre grand-père, Alec Horsley, étudia à Oxford, fut officier de district adjoint au Nigéria de 1925 à 1932, et fonda sa propre entreprise, Northern Dairies, en 1937. Il fut aussi l’un des membres fondateurs de la société fabienne de Hull, dont le logo était, et est toujours, un loup déguisé en agneau. La société fabienne posa les fondations du parti travailliste britannique, et Russell Brand se fait aujourd’hui l’avocat de leurs idées auprès des masses : un détail curieux, parce que mon frère voyait en Brand un rival (mis à part les hauts-de-forme, le sexe et la drogue, il existe d’autres parallèles frappants entre eux deux ; sur la liste des consommateurs de drogue publiée par Time Out, Brand est classé n°9 et mon frère n°7). Du temps de mon grand-père, les membres de la société fabienne soutenaient l’idée d’une « société planifiée scientifiquement », ce qui incluait la mise en place d’un eugénisme accompagné de mesures de stérilisation. La branche fabienne de Hull fut fondée en 1943 par seize personnes, avec un comité présidé par mon grand-père. Il semble que mon grand-père ait suivi à la lettre l’exemple de son associé Bertrand Russell, étant lui aussi un aristocrate qui parlait au nom du peuple, bien qu’il n’ait que peu de choses en commun avec ce dernier (pour autant que je sache, et mises à part des visites dans des prisons, il ne s’est que rarement, voire jamais, mélangé avec les membres d’autres classes sociales). Mon père, Nicholas Horsley, rejoignit Northern Dairies à la fin des années cinquante, peu après avoir rencontré ma mère. Il finit par en devenir le président, et Northern Dairies devint Northern Foods, un énorme conglomérat connu avant tout pour son association avec Marks & Spencer (Northern Foods « inventa » le sandwich emballé et fut l’un des pionniers des plats préparés). Je n’étais que vaguement au courant de tout ceci en grandissant. Enfant, le développement le plus significatif fut sans doute pour moi lorsque Northern Foods forgea une alliance avec Rowntree Mackintosh (affilié à la société fabienne), ce qui eut pour conséquence que notre maison fut toujours remplie de chocolats. J’étais en revanche parfaitement au courant des nombreuses fêtes organisées dans notre maison et dans celle de nos grands-parents, et des nombreux étrangers qui allaient et venaient, de l’atmosphère d’ébriété généralisée, de l’idéalisme intellectuel et social, de la licence sexuelle, et du curieux intérêt de mon grand-père non seulement pour la célébrité, mais aussi pour la criminalité. Dans Seen and Not Seen: Confession of a Movie Autist, je citais un passage de Dandy in the Underworld qui décrit un « ami pédophile de mon grand-père, le visage ravagé par le cancer » qui s’était entiché de moi durant mon enfance. Le livre me décrit comme ayant eu « un de ces visages à la beauté merveilleuse qui faisait s’arrêter les gens dans la rue, donc on ne pouvait s’attendre à ce qu’un pédophile invité dans le cercle familial y ait été indifférent. » Je n’ai aucun souvenir de cet homme, mais je me rappelle comment mes parents racontaient avec amusement des histoires sur ses tentatives gauches de me caresser sous la table. L’incident s’est lui aussi effacé de ma mémoire, mais il ne fut apparemment pas considéré comme une source d’inquiétude. Un autre détail étrange est que ma sœur détenait l’autographe de Jimmy Savile lorsqu’elle était adolescente. Mon père l’aurait prétendument rencontré par hasard à bord d’un avion (il est intéressant de noter que Savile a pourtant déclaré qu’il n’avait jamais pris l’avion). En tant que président de Northern Foods, mon père était un homme d’affaires hautement respecté, avec des connexions dans le monde de la politique, et il aurait très bien pu avoir rencontré Savile dans des circonstances un peu moins neutres, dirons-nous. Dans As it Happens, l’autobiographie étonnamment révélatrice de Savile, celui-ci mentionne qu’il fut accompagné par un dirigeant de Northern Foods durant sa fameuse course caritative « John o’ Groat’s to Land’s End », et que la compagnie lui avait fourni la nourriture et les boissons durant la course (avec un van qui le suivait). On peut donc dire que ma famille a littéralement alimenté les « activités » de Savile. Jusqu’où va la métaphore ? Après avoir été laissé à l’abandon durant toute ma vie, je suis désormais dévoré d’un désir de revanche. ~ Dandy in the Underworld

Ce fut mon grand-père qui présenta à mon frère Jimmy Boyle, l’ex-gangster de Glasgow. Alec avait fait en sorte que certaines des sculptures de Boyle fussent exposées à Hull. Avec ses valeurs progressistes affirmées concernant la réhabilitation, il était impressionné par Boyle, devenu une célébrité suite à l’adaptation à l’écran par la BBC de son livre A Sense of Freedom. Boyle fut emprisonné pour la première fois pour meurtre en 1967, et fut libéré en 1982. À son apogée, il était homme de main et recouvreur de dettes pour le compte de la mafia de Glasgow, et était connu comme étant « l’homme le plus dangereux d’Écosse ». Malgré ceci, sa peine fut réduite, et il semble raisonnable de penser que le soutien de mon grand-père n’y était pas étranger. En 1983, Boyle et son épouse s'associèrent avec mon frère et son partenaire pour lancer le Gateway Exchange, un centre de réhabilitation pour les drogués, les délinquants sexuels et les ex-détenus, dans lequel mon frère disait être « bien camouflé ». Il écrit dans ses mémoires comment Boyle « lui permettait d’exprimer des pulsions interdites, des désirs et fantasmes inavoués. »1 La passion de mon frère pour la criminalité était l’un de ses points communs avec Alec, ce qui incluait d’écrire des lettres aux jumeaux Kray et à Myra Hindley, la fameuse tueuse de la Lande. Un article de 1999 du Guardian sur Jimmy Boyle mentionne comment Boyle, en 1967 (juste avant son arrestation), « était en cavale à Londres sous la protection des Kray ». D’après mon frère, Boyle travailla avec les Kray durant les années soixante et peut-être même avant cela. Jimmy Savile avait des liens avec les Kray, et Savile était originaire du Yorkshire, où mon frère et moi passèrent notre enfance, et où Peter Sutcliffe, le célèbre éventreur du Yorkshire (que Savile connaissait lui aussi), aurait poursuivi ses victimes durant mon adolescence.2 Comme je l’ai décrit dans Seen and Not Seen, le fait que Savile ait débuté en tant que manager de dance-club signifiait qu’il avait côtoyé des gangsters, peut-être même dès son adolescence. Les Kray et lui travaillèrent et jouèrent ensemble dans les années soixante, et furent probablement impliqués dans le trafic d’enfants pour le compte de l’élite britannique, y compris via des foyers d’accueil où les enfants étaient prétendument torturés, et même tués. Myra Hindley et Ian Brady fréquentèrent les salles de danse de Manchester où Savile officiait en tant que disc-jockey dans les années soixante, et Savile disait qu’il était l’ami de Ian Brady. Brady (qui grandit à Glasgow avant de partir pour Manchester), se vantait de son association avec la mafia de Glasgow et avec les jumeaux Kray. Glasgow est aussi la ville où fut fondé le Paedophile Information Exchange (PIE) en 1974. Cette organisation était affiliée au National Council for Civil Liberties, une cause que ma famille aurait très certainement soutenue. L’objectif du PIE était de réduire l’âge de la majorité sexuelle à quatre ans, voire tout simplement de l’abolir. Ce n’est que lors de l’écriture de Seen and Not Seen que j’ai commencé à tenter d’assembler toutes les pièces de ce puzzle. C’était un peu comme un survol de la terre brûlée de mon enfance. Depuis, j’ai atterri, et ai commencé à explorer ce territoire plus directement. Le présent ouvrage est une sorte d’ébauche d’une carte carbonisée.

1. Tiré de Seen and Not Seen : « Un an après sa libération, en 1983, Jimmy Boyle et son épouse Sarah (la psychiatre de Boyle en prison, et fille de l’aristocrate et censeur du cinéma britannique, John Trevelyan) ouvrirent The Gateway Exchange, un centre de réhabilitation à Édimbourg pour les alcooliques et les drogués qui encourageait l’expression créatrice. Mon frère et sa petite amie (qui devint sa femme par la suite), Evlynn Smith, participèrent eux aussi au projet. ‘‘Une semaine après son lancement’’, écrivait Sebastian dans Dandy, ‘‘le Gateway était rempli d’assassins, de junkies, de cinglés, et de déviants sexuels – j’étais bien camouflé.’’ Il se décrit lui- même comme le ‘‘serviteur’’ de Boyle : ‘‘Lorsque [Boyle] donnait des ordres, il n’y avait pas d’autre choix que d’obéir. Il prit pour moi la place d’un parent absent.[...] Ce que j’aimais à propos de Jimmy, c’était qu’il me permettait d’exprimer des pulsions interdites, des désirs et fantasmes inavoués. Il me séduisait parce qu’il n’avait pas les conflits que j’avais.’’ »

2. Durant cette période, Savile fut interrogé par la police à propos des meurtres, et fut brièvement considéré par elle comme un suspect. Il y a un paradoxe tragique dans le fait que les qualités qui sont à l’origine de la capacité extraordinaire d’un homme à obtenir du succès, sont aussi les plus susceptibles de le détruire. ~ Sebastian Horsley, correspondance privée avec l’auteur

Le chemin de vie emprunté par mon frère associait le succès mondain à l’autodestruction et a montré que ces deux aspects étaient inséparables pour lui. Lorsque j’ai cité la phrase ci-dessus pour la première fois dans Seen and Not Seen (une citation que mon frère avait faite graver pour moi, même s’il l’avait probablement volée quelque part), je l’avais comprise différemment. J’avais compris que les forces inconscientes qui animent une personne et la poussent à créer peuvent aussi la pousser à s’autodétruire. Je suis quasiment certain que c’est ainsi que mon frère l’entendait. Pourtant, il a choisi d’utiliser le mot « succès », et pas créativité ou génie, et le succès a une dimension manifestement mondaine. La manière dont je lis désormais cette citation (à la fin de cette enquête que vous êtes sur le point de lire), est que les actes qu’un homme doit commettre pour obtenir du succès, et les forces auxquelles il doit se soumettre, sont ceux qui ont le plus de chances de le détruire. Cela n’a rien à voir avec l’expression personnelle par la créativité, et tout à voir avec la volonté de puissance. Le paradoxe tragique de l’artiste est que le désir d’un statut mondain est complètement antinomique avec le besoin plus profond qu’a l’âme d’exprimer ce qui est en elle. Et pourtant mon frère et moi fûmes tous deux élevés dans l’idée que le succès mondain était la mesure ultime pour déterminer à quel point l’attitude d’une personne (ou l’expression de son âme) était juste ou valable. On nous a inculqué que devenir un leader culturel était le but suprême sur le plan social et personnel, et que ceci nous était échu par droit de naissance. Malgré le quakerisme d’Alec, que mon père rejeta probablement parce qu’il le considérait comme une hypocrisie, notre famille n’avait pas de religion. C’est pour l’intelligentsia que mon père, comme son père avant lui, éprouvait le plus de déférence. Il se moquait de mon frère (un dyslexique), le traitant de stupide, délivrant ainsi un coup de hache dans l’âme de mon frère dont il ne se remit jamais. Il nous donna de l’argent plutôt que de l’amour, un système de valeurs qu’il avait hérité de son père, qui dit un jour : « pour vous montrer à quel point mon père m’aimait, il a laissé tout son argent à mon frère » (Alec fut toute sa vie durant le rival de son frère aîné, tout comme je le fus avec le mien). On nous donna des scorpions plutôt que des œufs. Mon frère était un fabien de piètre qualité. Il déchira le déguisement d’agneau pour incarner pleinement le loup. Il ne souhaitait pas plaire, mais offenser – plaire en offensant. Mon grand-père se faisait passer pour un parangon de vertu imprégné des valeurs de la communauté, mais il s’agissait derrière les apparences d’un homme d’affaires impitoyable et quelque chose de plus que cela encore (comme je pense que ce travail va le montrer). Sebastian mit sur le devant de la scène l’aspect caché, criminel, de notre héritage familial. Il s’efforça de porter la turpide morale aussi loin qu’il était possible, « pour faire de la décadence une vertu [et] rendre l’âme monstrueuse. » J’ai réalisé en écrivant Seen and Not Seen que, malgré toute son attitude fièrement dédaigneuse envers la morale conventionnelle et la conscience sociale, il existait presque certainement des actes que mon frère ne pouvait pas évoquer, que ce soit en raison des conséquences judiciaires, mais aussi par peur des représailles des autres personnes impliquées. Ainsi, alors que notre père et notre grand-père ont caché leurs vies secrètes derrière le voile de la vertu, mon frère cacha la sienne derrière le voile du vice. C’est, par bien des aspects, un déguisement encore meilleur. Mon frère, mon père et mon grand-père ont-ils prêté serment de ne pas dévoiler certaines choses ? Si c’est le cas, quelles étaient ces choses ? Ce qui suit est une tentative pour répondre à cette question obsédante, à l’aide d’un mélange d’enquête, de déductions, et d’imagination – autant d’éléments qui sont également nécessaires dès lors qu’on a affaire à des secrets de famille. Mon frère se décrivit lui-même comme étant « un suicide manqué » et « une futile explosion de couleurs dans un monde sans couleur. » Dans le privé, il me confia qu’il considéra le suicide comme la seule voie honorable pour un nihiliste, sous-entendant qu’à un certain moment il avait prévu de s’ôter la vie pour priver la mort, ou Dieu, de ce plaisir. Plus poétiquement, il écrivit dans Dandy que la chose la plus importante au moment de faire face à un peloton d’exécution était de « donner soi-même l’ordre de tirer ». Cette mythologie créée par mon frère à propos de sa personne fut en grande partie efficace. Les gens y croyaient, même, et peut-être particulièrement, ceux qu’il gardait proches de lui (ce qui n’incluait pas sa famille). Elle fut ensuite récupérée par les médias grand public, et sa mort est désormais considérée par beaucoup comme ayant été plus héroïque que tragique, la preuve d’une vie vécue selon ses propres conditions. Vivre par la piqûre, mourir par la piqûre. Une telle vision ignore commodément – bannit, même – la question de savoir ce qui fut à l’origine de l’addiction suicidaire. Mon frère et moi naquîmes et fûmes élevés dans un environnement qui exaltait le vice et normalisait la corruption – et dans lequel la corruption se parait des atours de la vertu. Comment aurait-il pu se sentir en sécurité dans un tel environnement, si ce n’est en s’y conformant, en rejetant toute vertu comme un mensonge, et en devenant aussi ouvertement corrompu que le monde qui l’entourait ? Les enfants imitent non pas ce qu’on leur dit, mais ce qu’on leur montre. Tous ceux qui ont grandi durant cette période en Grande-Bretagne, qui ont regardé Jimmy Savile blaguer chaque semaine sur ses crimes à la télévision nationale, qui se rendaient dans des écoles et des foyers d’accueil dirigés par des prédateurs sexuels, incapables d’en parler ou même de l’admettre consciemment... Quels types d’effets à long terme tout ceci peut-il avoir sur des générations d’enfants ? Le cas de mon frère pourrait n’être qu’un cas particulièrement extrême parmi une myriade d’autres cas. Il n’existe pas de preuve irréfutable que mon frère fut agressé sexuellement lorsqu’il était enfant. D’un autre côté, il n’en existe quasiment jamais. Le plus souvent, l’incident ou les incidents qui traumatisent la psyché d’une personne sont relégués dans l’inconscient, recouverts du voile protecteur de l’amnésie ; et plus le traumatisme est profond, plus le voile est impénétrable. Mais le traumatisme parvient malgré tout à faire surface : il est visible par l’intermédiaire des comportements. Très peu d’éléments de la vie publique de mon frère, de sa personnalité et de ses centres d’intérêts ou obsessions ne pointent pas en direction d’une histoire cachée de maltraitance. Ajoutez à cela les innombrables preuves indirectes qui montrent que notre cercle familial coïncidait en de nombreux points avec les cercles de l’abus sexuel systématique qui sont révélés actuellement au Royaume-Uni – quand il n’était pas en parfaite concordance avec ceux-ci – et que nous reste-t-il ? La glorification du vice. Si vous ne pouvez les vaincre, joignez-vous à eux.

L’unique raison pour laquelle vous lisez ceci est parce que mes propres efforts pour rejoindre la culture qui m’a maltraité se sont avérés aussi futiles que mes efforts pour la vaincre. Il ne me reste plus qu’à rendre public mon refus de participer, il ne me reste plus qu’à témoigner, à défier ma programmation, à être la voix qui fut étranglée, la voix qui dit non sous l’orage, même si la tempête se limite à mon propre verre d’eau. Cela doit commencer quelque part.

Partie 1 : Le grand-père

Même si la méritocratie est leur couverture crédible, la stratification sociale fut toujours le véritable atout-maître des fabiens. Les droits sociaux furent une autre insertion fabienne dans la fabrique sociale, même si l’idée les précède, bien entendu. ~ John Taylor Gatto, Underground History of American Education Le présent travail commença alors que je finissais un mémoire sur le cinéma qui, bien qu’il s’agissait avant tout d’une confession, débutait comme un ouvrage relativement léger et accessible. Pour les deux derniers chapitres, en revanche, je choisis de me concentrer sur mon frère ; comme on pouvait s’y attendre, ce fut une plongée soudaine en eaux troubles, abordant par exemple Jimmy Savile et les conséquences de ses activités pour ceux d’entre nous qui grandirent au Royaume-Uni avec « l’oncle Jimmy » comme bienfaiteur culturel. Avec du recul, je me rends compte que je n’avais fait qu’attendre l’opportunité, ou plutôt l’impulsion, pour draguer ces eaux à la recherche de cadavres, et il était inévitable que tôt ou tard j’aborderai le sujet. L’affaire Savile constitua pour moi l’intersection d’intérêts et de préoccupations qui m’animèrent toute ma vie durant : pop culture, conspirations, crime, folie, occultisme, opérations de guerre psychologique, maltraitance infantile, traumatisme, et, parce que l’influence de Savile sur ma propre psyché remonte à cette période, les souvenirs d’enfance – ou leur absence. La première chose qui ressortit à propos de l’histoire de ma famille fut la relation entretenue par mon frère avec le gangster de Glasgow, Jimmy Boyle. Mon frère rencontra Boyle au Stevenson’s College, où Boyle suivait un cours « d’Entraînement à la Liberté », travaillant deux jours par semaine au foyer municipal avant de retourner passer la nuit à la prison de Saughton. Je savais qu’il avait rencontré Boyle par l’intermédiaire de notre grand-père paternel, et c’était donc logiquement le point suivant à étudier, dans mon entreprise de recherche de la racine de la pourriture qui finit par corrompre l’arbre tout entier. Mon frère était le fils aîné du fils aîné de mon grand-père ; je décidai donc de m’orienter vers mes ancêtres paternels. J’achevai le mémoire sur le cinéma avec un sentiment d’incertitude quant à savoir si je devais inclure tous ces éléments plus sombres. Je me demandai si je prenais un risque en parlant de tout ceci. J’avais découvert l’os d’un doigt de pied enterré dans le jardin familial. Qu’allait-il se passer s’il s’agissait d’une partie d’un corps complet ? On ne trouve pas grand-chose sur internet à propos d’Alec Horsley, mais heureusement un cousin, qui était lui aussi intéressé par notre histoire familiale, m’envoya le PDF d’un court mémoire écrit par Alec en 1987, l’avant-propos d’une collection de poèmes rédigés par un prisonnier avec lequel il s’était lié d’amitié quand il avait environ soixante-dix ans (un violeur condamné par la justice, et l’un de ses poèmes aurait pour thème le viol). Le court mémoire d’Alec me fournit des noms et des dates qui me permirent de découvrir tout un écheveau d’associations. Mon grand-père naquit en 1902 et étudia au Worcester College d’Oxford, probablement en 1922. Selon ses dires, il obtint une bourse qui paya presque entièrement ses frais de scolarité. Je ne sais pas qui il y rencontra, ni quelle fut son implication, si tant est qu’il en ait eu une, dans les fameuses sociétés secrètes d’Oxford et leurs bizutages rituels. Mon impression de départ fut que, puisque mon grand-père ne faisait (apparemment) pas partie de l’aristocratie, ce fut là qu’il établit les contacts qui l’envoyèrent par la suite sur la route de « Bilderberg ». Comme il l’écrit dans son essai : « Ma famille progressa de la classe ouvrière à la classe moyenne. Quant à moi, grâce à Oxford, au sport, et à un poste dans les colonies, je fus occupé à gravir l’échelle sociale, sans être conscient de la nature de mes motivations » (c’est moi qui souligne). Il est toutefois permis de douter du récit d’Alec. Son père, George Horsley, conduisait parfois une Rolls Royce (une habitude que mon frère copia inconsciemment au début de la vingtaine), et semblait alterner entre la richesse et la pauvreté en fonction de la bonne santé de ses entreprises. Mais une Rolls Royce n’est pas un accessoire caractéristique de la « classe moyenne inférieure ». Après Oxford, Alec travailla au Nigéria de 1925 à 1932, soit en tant qu’assistant à l’officier de district, soit en tant qu’officier de district, selon la source (Alec lui-même soutenait la première hypothèse, qui est donc très probablement correcte). À son retour au Royaume- Uni, après qu’il se soit marié, qu’il ait eu des enfants, et qu’il ait fondé Northern Dairies, la Seconde Guerre Mondiale éclata et mes grands-parents firent de Talbot Lodge, à Hessle, la demeure familiale. Il écrit que : « Dès le début, nous acquîmes la réputation de tenir ‘‘maison ouverte’’ et nous encouragions et, bien entendu, appréciions les visites de nos nombreux amis. [...] Ils venaient de toute la Grande-Bretagne, et plusieurs d’entre eux arrivaient de contrées éloignées et parfois exotiques. »

Alec fut invité à visiter l’URSS au début des années cinquante, en tant que membre de la délégation britannique d’une « Conférence sur le commerce Est-Ouest ». Il rencontra Lord Boyd Orr à Moscou, qui devint le président de Northern Foods. Alec voyagea ensuite en Sibérie, en Mongolie Extérieure et en Chine, pour des motifs inconnus. Qu’a-t-il fait là- bas ? À l’époque (et même de nos jours), ce n’était pas le genre d’endroits où l’on se rendait pour des vacances, et il n’y a pas de raisons évidentes qui pourraient justifier la visite d’un dirigeant de laiterie dans des pays communistes. Je ne sais pas non plus si l’on pouvait aisément entrer dans ces pays en ce temps-là, et Alec a forcément obtenu une invitation spéciale, au moins pour visiter l’Union Soviétique. Orr est un personnage intéressant. Il est né en Écosse et étudia à l’université de Glasgow. Comme avec les assertions légèrement douteuses d’Alec concernant son parcours, Orr aurait semble-t-il gravi l’échelle sociale depuis des origines origines ouvrières jusqu’au sommet de la richesse et du pouvoir. Durant les années qui suivirent la Seconde Guerre Mondiale, Orr fut associé avec pratiquement toutes les organisations qui militaient en faveur d’un gouvernement mondial, consacrant en de nombreuses occasions ses formidables dons pour la propagande et l’administration à cette cause. Il écrit dans son autobiographie que « La question la plus importante est désormais de savoir si un homme a acquis la sagesse suffisante pour mettre en phase les anciens systèmes avec les nouvelles perspectives offertes par la science, et pour réaliser que nous sommes à présent un seul monde dans lequel toutes les nations finiront par partager le même destin. »3

Peu après les divers voyages d’Alec, au tout début de la crise de Suez, Lord Piercy et John Kinross de l’Industrial & Commercial Finance Corporation (fondée par la Banque d’Angleterre) approuvèrent l’introduction en bourse de Northern Dairies. Puis, en 1954, mon grand-père fut « approché par l’Église Orthodoxe de Russie pour organiser la visite de leurs églises en URSS par un groupe d’hommes d’église britanniques, sans aucune contrainte. La visite s’avéra très utile » (il rédigea un livret à ce sujet).

Je note en passant que Lord Piercy fut étudiant en premier cycle à la London School of Economics, une création fabienne, en 1910. Il travailla pour l’administration fiscale durant la Première Guerre Mondiale, et fut un des directeurs du ministère de l’alimentation. Durant la Seconde Guerre Mondiale, il dirigea la mission de British Petroleum à Washington, fut l’assistant principal au ministère de l’équipement et au ministère de la production aéronautique, et assistant personnel du Premier ministre adjoint, Clement Attlee. De 1945 à 1964, il fut le président du conseil d’administration de l’Industrial & Commercial Finance Corporation, un organisme créé pour fournir des moyens aux petites entreprises. Il fut également l’un des directeurs de la Banque d’Angleterre de 1946 à 1956. Au total, ce sont deux directeurs de la Banque d’Angleterre (qui aida au financement du parti national-socialiste allemand dans les années trente) que mon grand-père choisit de distinguer dans son essai de quelques pages.

3. http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace/laureates/1949/orr-bio.html?print=1 Au cours de cette même période (la deuxième moitié des années cinquante), Northern Dairies fut affilié avec les compagnies chocolatières Mackintosh (Quality Streets) et Terry’s. Mon grand-père mentionne par ailleurs un voyage à Dublin – l’Irlande du Nord ayant été le premier endroit hors de Grande-Bretagne où Alec étendit les activités de son entreprise : « Les irlandais me permirent [...] de mieux comprendre les hommes d’histoire et de conviction qui se battent jusqu’au bout mais qui ne réussissent que peu de choses. Ces hommes sont le plus souvent bien meilleurs pour ce qui est de mourir que pour ce qui est de vivre. Ils n’envisageront même pas qu’il est possible d’être bon dans les deux domaines. » En 1962, l’année de naissance de mon frère, Alec reçut une lettre d’Errol Barrow, le Premier ministre de la Barbade, qui l’invitait à y importer le commerce des produits laitiers. Il se trouve que Barrow étudia lui aussi à la London School of Economics. Plusieurs décennies plus tard, mon père passa les dernières années de sa vie à la Barbade, ayant déménagé sur l’île après avoir quitté Northern Foods. Il dirigea une affaire de vente de glaces pendant ses années de retraite. C’était pour lui un retour aux sources, son premier succès majeur en tant que directeur de Northern Dairies ayant été d’acquérir une part dans la compagnie de glaces Mr. Whippy, puis de la vendre avec un important bénéfice deux années plus tard. Dans les années quatre-vingt, tandis que mon père volait de succès en succès au poste de président de Northern Foods, mon grand-père, âgé de près de quatre-vingts ans, entra dans « un travail très actif de volontariat à la fois avec la prison de haute sécurité de Hull et avec Age Concern » (Age Concern était le nom générique utilisé par de nombreuses organisations caritatives spécialisées dans l’aide aux personnes âgées et basées principalement dans les quatre pays du Royaume-Uni). Ce fut probablement la première activité citée qui amena Alec à s’impliquer avec Jimmy Boyle. Je ne sais pas grand-chose sur son travail avec Age Concern, mais je sais qu’il fut impliqué dans une sorte de scandale à la fin de sa vie, à propos d’une entreprise de vélos grâce à laquelle Alec aurait détourné de l’argent en volant les pensions des personnes âgées. Je sais aussi que mon père n’a jamais aimé Alec. Même après la mort d’Alec, il semblait éprouver de l’aversion à son endroit. Il n’a jamais explicité les raisons de cette aversion.

Partie 2 : une brève histoire du fabianisme

Ce serait faire injure à la vérité que d'oublier de mentionner l'influence des fabiens dans la gestion scientifique de l'école et de la société, mais la nature du fabianisme est si complexe qu'elle soulève des questions auxquelles cet essai ne peut répondre. Évoquer brièvement les fabiens, comme je suis sur le point de le faire, revient nécessairement à user de simplifications pour comprendre un peu comment ce charmant groupe d'érudits, d'écrivains, d'héritiers, d'héritières, de scientifiques, de philosophes, de bébés nés dans la bombazine, amateurs de belvédères et de fonds fiduciaires, et d'hommes et de femmes d'affaires à succès, est devenu la force la plus puissante dans la création de l'état- providence moderne, les propagateurs de sa version caractéristique de l'enseignement nivelé par le bas. ~ John Taylor Gatto, Underground History of American Education La première chose qui me fit comprendre que quelque chose manquait dans l’histoire « officielle » de ma famille fut le lien avec la société fabienne. Durant tout le temps que j’ai passé avec ma famille, je ne me souviens pas avoir jamais entendu mentionner la société fabienne. Je découvris bientôt, ou on me rappela, que les fabiens sont utilisés comme épouvantails conspirationnistes par la droite. Ceci présenta un problème pour ce qui était de trouver des sources fiables se rapportant à eux, parce qu’une bonne part de l’histoire non officielle de la société fabienne semble confinée à des sites internet ayant leur propre agenda. Ce que je recherchai tout d’abord fut en réalité une sorte de preuve concrète d’abus sexuel dans l’histoire de ma famille, puisque tous les signes semblent pointer dans cette voie. La connexion Boyle/Kray paraissait clairement pointer dans cette direction d’ensemble, et je commençai donc à me demander si la pieuvre fabienne pouvait peut- être avoir une tentacule en commun avec celle du crime organisé et de la pédophilie. La société fabienne est née d’une scission au sein de la Fellowship of the New Life, qui fut dissoute en 1898, suite à quoi la société fabienne gagna en importance pour devenir l’une des plus importantes sociétés du monde universitaire britannique. Ensuite, de nombreux fabiens participèrent à la formation du parti travailliste anglais en 1900. La constitution du parti, rédigée par Sidney Webb, était très largement inspirée des documents fondateurs de la société fabienne. Lors de la conférence de création du parti travailliste en 1900, la société fabienne revendiqua 861 membres et envoya un délégué. Durant les années trente, la société fabienne s’étendit à travers de nombreux pays sous domination britannique, et de nombreux dirigeants de ces pays furent influencés par les fabiens au cours de leurs luttes pour l’indépendance vis à vis de l’empire britannique. On trouvait parmi ces dirigeants le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru, Obafemi Awolowo, qui devint par la suite le Premier ministre de la défunte région Ouest du Nigéria, et l’homme qui fonda le Pakistan, Barrister Muhammad Ali Jinnah. La philosophie politique de Lee Kuan Yew, le premier Premier ministre de Singapour, était fortement influencée par la société fabienne. Au XXIème siècle, l’influence de la société fabienne se fait ressentir au travers de dirigeants du parti travailliste et d’anciens Premiers ministres de la Grande-Bretagne tels que Tony Blair et Gordon Brown. Le terme « fabien » fut semble-t-il suggéré par le spirite Frank Podmore, en hommage au brillant général romain du IIIème siècle avant notre ère, Quintus Fabius (Maximus Verrucosus, 275-203). Fabius fut nommé dictateur en 221 puis en 217, et, grâce à une ingéniosité militaire supérieure et à une tactique de harcèlement, parvint à défendre Rome contre la puissante armée carthaginoise menée par Hannibal. La stratégie de Fabius était fondée sur le « gradualisme » et sur le « terrorisme », des tactiques dilatoires qui étaient fortement désapprouvées par ses soldats ainsi que par les civils, et qui lui valurent le surnom de « Temporisateur ». Cependant, après le triomphe de sa stratégie, ses qualités d’habileté et de sagesse furent hautement considérées. En quittant Wikipedia et l’histoire plus ou moins acceptée du fabianisme, je trouvai une description convaincante, et accablante, du plan fabien comme étant une pièce centrale de la Conspiration (avec un C majuscule) millénaire du Nouvel Ordre Mondial, sur un site internet peut-être pas totalement fiable. Une prémisse de l’information qui y est présentée est que la société fabienne se trouve en arrière-plan des divers mouvements britanniques en lien avec le parti travailliste, et qu’elle dissimule des intérêts élitistes et même capitalistes ; ce que je peux confirmer par expérience directe, ayant grandi au sein d’une riche famille socialiste (nous étions surnommés les « socialistes champagne ») qui était avant tout composée d’hommes d’affaires, mais qui s’impliquait aussi activement dans la politique locale (et, ainsi que je le découvris peu à peu, dans la politique globale), et dans des mouvements en apparence réformistes et liés à la Nouvelle Gauche tels que le parti CND, qui avaient tous des liens plus ou moins évidents avec la société fabienne. D’après une autre source en ligne, la société fabienne compte 7000 membres, dont 80 % (5600) sont membres du parti travailliste, pour un total de 3 % de l’ensemble des membres du parti travailliste (190 000 en 2010). Le pourcentage de fabiens augmente fortement aux plus hauts échelons du parti travailliste.4 George Bernard Shaw a déclaré que l’objectif de la réforme fabienne de l’éducation était la création d’un ministère de l’éducation, qui aurait « un contrôle sur l’ensemble du système éducatif, de l’école primaire à l’université, et sur l’intégralité de son financement » (Shaw, Educational Reform, 1889). Ce qui fut à l’origine de la création d’un vaste ensemble d’organisations, sociétés et mouvements, tous interconnectés entre eux : dans l’éducation, des conseils comme le London City Council, des sociétés universitaires et des écoles comme la London School of Economics, l’Imperial College, et la London University ; dans la culture, le mouvement New Age (Annie Besant était un membre fondateur de la société fabienne), la Central School of Arts and Crafts, le Leeds Arts Club, le Fabian Arts Group et la Stage Society ; en économie, la London School of Economics, la Royal Economic Society, le National Institute of Economic and Social Research (NIESR) ; en droit, la Haldane Society (qui doit son nom à Lord Haldane, membre de la société fabienne) ; en médecine, la Socialist Medical League ; en religion, le Labor (par la suite Socialist) Church movement, la Christian Socialist Crusade, la Christian Socialist League, le Christian Socialist Movement. Et ainsi de suite. Shaw exprima son souhait de faire des fabiens « les jésuites du socialisme », tandis que H. G. Wells (numéro quatre sur la liste des dirigeants de la société fabienne, après Webb, Pease, et Shaw) proposa dans sa nouvelle Une utopie moderne, de transformer la société en un ordre dirigeant semblable à l’ordre des « samouraïs ». « Que les fabiens aient consciemment recherché la compagnie, la collaboration et le soutien des riches et des puissants ressort clairement d’écrits fabiens tels que Our Partnership, par Beatrice Webb, qui regorge d’expressions telles que ‘‘attraper des millionnaires’’, ‘‘tirer les ficelles’’, ‘‘mettre en jeu toutes les forces sur lesquelles nous exerçons un contrôle’’, tout en prenant soin dans le même temps ‘‘d’apparaître désintéressés’’ et de prétendre être ‘‘des gens humbles que personne ne soupçonnerait d’être puissants’’ » (Webb, 1948).

4. « Dès le début, les candidats du parti travailliste visant un siège au parlement étaient pour une bonne part des membres de la société fabienne, et la société est toujours fortement représentée parmi les candidats du parti travailliste – environ 50 % – depuis les années quarante. En 1943, 393 candidats travaillistes furent élus au parlement ; 229 d’entre eux étaient membres de la société fabienne. En 1997, 418 candidats travaillistes furent élus ; 200 d’entre eux étaient membres de la société fabienne. Plus on se rapproche de la direction du parti travailliste, plus la proportion de fabiens se rapproche des 100 %. http://www.freebritainnow.org/0/fabiansociety.htm Le crédible John Taylor Gatto souligne ceci dans Underground History of American Education : Au fur et à mesure du développement du mouvement, les fabiens devinrent les amis aristocratiques d’autres mouvements à l’avant-garde de l’efficacité sociale comme le taylorisme, ou les alliés des chrétiens progressistes issus de la mouvance méthodiste de l’évangile social, dont l’activité consistait à remplacer la foi par le travail au cours d’un des retournements religieux les plus marquants de l’histoire. Ils devinrent en particulier les amis et les conseillers d’industriels ou de financiers avec lesquels ils partageaient la même vision du monde. Ces collaborations survenaient naturellement, non pas pour de basses raisons matérielles, mais parce que l’évolution, selon la vision fabienne, était plus avancée dans les classes des milieux d’affaires et bancaires ! [...] Les praticiens du fabianisme développèrent des principes hégéliens qu’ils enseignèrent aux côtés de banquiers de Morgan et d’autres importants alliés issus du monde de la finance.

Gatto surenchérit, et au final infirme les assertions d’une importante sous-culture de théoriciens du complot et d’auteurs de droite opposés au socialisme, en soulignant que : Un principe hégélien appliqué judicieusement fut de considérer que pour promouvoir efficacement des idées, il était tout d’abord nécessaire de coopter à la fois la gauche et la droite du spectre politique. Jouer le jeu de l’opposition politicienne était voué à l’échec. Ils parvinrent à accomplir cette prouesse étonnante en infiltrant l’ensemble des principaux médias, grâce à une propagande de basse intensité permanente, par des changements radicaux opérés dans la mentalité des groupes (accomplis grâce aux principes développés dans les bureaux de l’armée spécialisés dans la guerre psychologique), et par la capacité à produire une succession de crises en utilisant des agents des services de renseignement gouvernementaux et des contacts dans la presse.

D’autres faits significatifs : Hubert Bland, un ancien employé de banque devenu journaliste et cofondateur de la société fabienne, travaillait pour le Sunday Chronicle de Londres, un journal détenu par le magnat de la presse Edward Hulton. Bland aurait recruté son ami et confrère journaliste George Bernard Shaw dans la société fabienne. Le fils de Hulton, Edward G. Hulton, était le propriétaire du Picture Post et, d’après le magazine Lobster,5 « presque certainement un agent loyal de la section D du MI6 ».[Ndt : la section D du MI6 menait des opérations politiques et paramilitaires clandestines dans l’entre-deux guerres] Il fonda également le 1941 Committee, un groupe de réflexion qui recruta les écrivains « vedette » J. B. Priestley et Tom Wintringham, et qui incluait aussi David Astor (sur lequel nous reviendrons), Sir Richard Acland, et mon grand-père. Alec mentionne Acland dans son court mémoire, en référence au parti politique Common Wealth d’Acland et Priestley, dans lequel Alec « prit une part très active ». Comme Alec, Acland était un quaker. Sidney Webb, l’ami de G. B. Shaw et le chef de la société fabienne, épousa Beatrice, la fille de Richard Potter, un riche financier avec des connexions dans le monde entier qui fut le président des compagnies ferroviaires Great Western Railway et Grand Trunk Railway en Angleterre et au Canada. Beatrice était aussi une amie proche de l’associé de Rothschild et Premier ministre Arthur Balfour. Rothschild et Balfour étaient membres

5. In a Common Cause: the Anti-Communist Crusade in Britain 1945-60, par Stephen Dorril et Robin Ramsay. « En 1939 [Hulton] aida à la création de la fausse agence de presse Britanova, et se servit du Picture Post en 1941 comme d’un paravent pour une autre création des services de renseignement, l’Arab News Agency (ANA). Les deux agences de presse furent ramenées à la vie après la guerre par l’IRD. [Ndt : Information Research Department, département de recherche d’informations du ministère des affaires étrangères britannique] Tom Clarke, qui était le directeur-adjoint aux nouvelles du ministère de l’information, devint le représentant de Hulton en Amérique Latine et le chef d’une autre fausse agence de presse. Christopher Mayhew était aussi membre du Comité, et travaillait pour l’organisme de contrôle de l’ANA, le Special Operations Executive. ‘‘Teddy [...] a pour manie’’, écrivait Mayhew à cette époque, ‘‘de rassembler des acteurs-clés et de démarrer un nouveau mouvement politique au plan national.’’ » http://www.lobster- magazine.co.uk/issue19.php fondateurs de la Round Table, dont la rumeur disait que mon grand-père était l’un des deux soutiens financier dans les années trente, quarante et cinquante.6

Arthur Balfour et sa fameuse « déclaration »

David Astor, cité ci-dessus, l’agent supposé du MI6 et rédacteur en chef du journal britannique , était le petit-fils de William Waldorf (premier du nom). Il mena campagne, en compagnie de Lord Longford, en faveur de la libération de Myra Hindley dans les années soixante-dix. Mon grand-père rendit visite à Hindley en prison, et mon frère lui écrivit des lettres. Astor était également affilié avec le Round Table Group. D’après l’auteur Stephen Dorril, Astor créa le Europe Study Group pour étudier les problèmes de l’Europe et les perspectives pour une Allemagne non-nationaliste. Le cœur du groupe était constitué de plusieurs émigrés allemands destinés à jouer un rôle dans l’European Mouvement, comme le futur écrivain en chef [sic] de l’Observer, Richard « Rix » Lowenthal. Interviewé par le MI6 en vue d’un recrutement, Astor ne fut pas retenu pour un poste à temps plein mais fut ensuite utilisé par l’officier du MI6 Lionel Loewe pour établir des contacts avec l’opposition allemande. Employé en tant qu’officier de presse au Combined Operations Headquarters de Lord Mountbatten à Londres, Astor continua ses activités avec son groupe, qui s’inspirait des idées du Round Table Group mis en place par Cecil Rhodes et sur sa croyance que « l’empire britannique devait fédérer ».7

Ceci place directement mon grand-père dans les cercles du Round Table Group et, par extension inévitable, du MI6. Leurs intérêts communs faisaient d’eux des partenaires évidents. Pourtant, ces intérêts semblent n’avoir que peu de choses en commun avec le socialisme, du moins tel que je le comprends. Par ailleurs, le fondateur de la Round Table, Lord Rothschild, « fut personnellement impliqué, avec Sidney Webb, dans la restructuration de l’université de Londres, dans laquelle fut incorporée la London School of Economics (LSE) en 1898 (fondée par les premiers fabiens Sidney et Beatrice Webb, Graham Wallas, et George Bernard Shaw ; Annie Besant et Bertrand Russel participèrent aux débuts de la société). Rothschild fournit également des fonds pour la LSE et en fut le troisième président, à la suite de son parent Lord Rosebery. »8 La LSE est connectée, non seulement aux divers groupes fabiens, mais aussi au mouvement Gay Liberation et au PIE, le Paedophile Information Exchange, une

6. « Le président de Booker Brothers, et Alec Horsley, président de Northern Dairies, étaient les principaux soutiens britanniques de la Round Table. » Archie Potts, Zilliacus: A Life for Peace and Socialism, Merlin, 2002, p. 178. 7. MI6: Inside the Covert World of Her Majesty’s Secret Intelligence Service, par Stephen Dorril, Touchstone, 2002, p. 456.

8. Beatrice Webb, Our Partnership, Drake, B. and Cole, M. eds., London, 1948, p. 182, 214. faction à l’intérieur du gouvernement travailliste dans les années soixante-dix sur laquelle nous reviendrons.9 Une autre connexion entre la société fabienne et les intérêts des industriels semble se trouver avec le fabricant de chocolats Rowntree’s, qui finança nombre de leurs projets. En raison de l’alliance entre Northern Dairies et Rowntree Mackintosh, notre maison (jusqu’à la séparation de nos parents) était toujours pleine de produits chocolatiers. Nous avons même visité l’usine de chocolats Rowntree Mackintosh lorsque nous étions enfants. L’un des livres qui m’a accompagné durant mon enfance fut Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl (avec lequel j’entretins, enfant, une brève correspondance, même si je ne pense pas l’avoir jamais rencontré ; Dahl fit de la propagande pour le renseignement britannique pendant la Seconde Guerre Mondiale10). Willy Wonka est décrit dans le livre puis représenté dans les adaptations cinématographiques comme portant un haut-de-forme et une veste pourpre, comme le célèbre kidnappeur d’enfants de Chitty Chitty Bang Bang (et comme mon frère vers la fin de sa vie, bien qu’il préférât le rouge au pourpre). Chitty Chitty Bang Bang était inspiré du livre de Ian Fleming, l’agent du MI5, et ce fut probablement le film qui me laissa la plus forte impression durant mon enfance. Plus récemment, le kidnappeur d’enfants du film a bien entendu été comparé à Jimmy Savile. Les activités prédatrices de Savile ont été reliées à celles d’un fabricant et vendeur de glaces, Peter Jaconelli, originaire de Scarborough dans le Yorkshire (une ville que j’ai visitée étant enfant). Northern Dairies produisait ses propres glaces et fournissait aussi du lait à d’autres compagnies. Lorsque j’étais adolescent, nous habitions en face d’une célèbre boutique de glaces, du nom de Burgesses. Le lien entre les glaces, le chocolat, et les réseaux pédophiles prédateurs semble ne pas se limiter aux œuvres de fiction populaires (pour enfants).

9. L’économiste John Maynard Keynes était une des principales figures de la LSE. On trouve parmi les anciens élèves le copain de mon grand-père, John Saville, Harold Laski (cofondateur de la New School), Nicholas Humphrey, Edwina Currie, David Rockefeller, Mick Jagger, Zecharia Sitchin, Naomi Klein, et Whitley Strieber. 10. « Durant l’hiver désespéré de 1940, alors que la menace de l’invasion germanique planait au-dessus de l’Angleterre, le gouvernement britannique monta une énorme campagne de propagande secrète pour affaiblir le sentiment isolationniste américain, et pour manipuler le pays pour qu’il entre en guerre pour le compte de l’Angleterre. Sous le commandement du désormais légendaire INTREPID [ndt : le nom de code de William Stephenson, un agent des services de renseignement britanniques d’origine canadienne], les britanniques diffusèrent de la propagande dans les journaux américains, influencèrent clandestinement les radios et les agences de presse, et complotèrent contre les entreprises américaines en affaires avec le Troisième Reich. Ils incitèrent également le président Roosevelt à créer une agence de renseignement clandestine similaire aux États-Unis [ndt : l’OSS], et jouèrent un rôle dans la nomination de William Donovan à sa tête. Pour la première fois, Jennet Conant révèle, en s’appuyant sur de nombreuses recherches et des rapports, que l’auteur bien-aimé Roald Dahl faisait partie de la tristement célèbre ‘‘équipe des coups fourrés’’ de Churchill, et raconte l’histoire de son recrutement en vue d’espionner les américains durant la Seconde Guerre Mondiale. » Description de The Irregulars: Roald Dahl and the British Spy Ring in Wartime Washington, par Jennet Conant. Poursuivons. La société fabienne fut aussi, semble-t-il, particulièrement proche des Rockefeller – la thèse de fin d’études à Harvard de David Rockefeller eut pour thème le socialisme fabien (« Destitution Through Fabian Eyes », 1936), et il étudia l’économie de gauche à la LSE. Les Rockefeller ont financé de nombreux projets fabiens, y compris la LSE, qui « reçut des millions de dollars des fondations Rockefeller et Laura Spelman à la fin des années vingt et dans les années trente, et devint connue sous le surnom de ‘‘bébé des Rockefeller’’. » Le Fonds Monétaire International (FMI), créé en 1944 en même temps que la banque mondiale, était également connu comme étant un projet des Rockefeller, et accorda plusieurs prêts à des gouvernements travaillistes en 1947, 1969, et 1976. Un autre prêt important de 4,34 milliards de dollars fut négocié en 1946 par l’économiste fabien John Maynard Keynes et facilité par son collaborateur et ami Harry Dexter White, qui travaillait à la fois au Trésor américain et au FMI. Tous ces prêts furent organisés sous les chanceliers de l’échiquier fabiens successifs : Hugh Dalton, Roy Jenkins et Denis Healey. (Source)

4,34 milliards de dollars représentaient une somme astronomique en 1946, donc si ces faits sont exacts, on imagine aisément à quel point l’influence fabienne a pu s’étendre via des organisations et des projets financés par ces sommes d’argent. John Maynard Keynes est lié directement à deux proches associés de mon grand-père, dont John Boyd Orr, que mon grand-père avait rencontré en URSS dans les années cinquante. Boyd Orr fut le premier directeur-général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et le cofondateur et vice-président (de 1960 à 1971) de la World Academy of Art and Science. Il donna une allocution devant la société fabienne sur la « politique alimentaire » en 1940, trois ans après que mon grand-père ait fondé sa propre compagnie.11 Il devint président de Northern Dairies dans les années cinquante.

11. Hugh Dalton est mentionné dans The Dust Has Never Settled par Robin Bryans (un exposé très indirect sur la corruption gouvernementale, les sociétés secrètes occultes, et la maltraitance infantile), où il est désigné sous le titre de « ministre de la guerre économique », comme étant un fournisseur possible d’enfants pour qu’ils soient utilisés comme objets sexuels (ce qui est toutefois difficile à déterminer en raison du langage nébuleux de Bryans). Roy Jenkins est plus facile à démasquer, mais j’y reviendrai plus tard. « Si les gens devaient choisir entre la liberté et les sandwiches, ils choisiraient les sandwiches. » ~ John Boyd Orr. Une citation curieuse, puisque Northern Foods a « inventé » le sandwich emballé.

Ce qui est amusant à propos de toute cette recherche, c’est que je n’ai jamais éprouvé d’intérêt pour l’histoire durant mon enfance et mon adolescence passées en école privée. Je détestais farouchement l’école et ressentais ses règlements rigides comme oppressants et suffocants. Chaque cours était une épreuve à subir, et mon ambition se limitait à éviter autant que possible d’être formé, influencé ou à entrer dans le moule façonné par les « maîtres » et leurs règles de vie, auxquelles nous étions contraints de nous soumettre. En matière de faits historiques, je n’ai presque rien retenu (juste une anecdote sur Mussolini qui parvenait à faire arriver les trains à l’heure). Donc rédiger à présent un essai historique rempli de noms, de dates et d’événements qui, j’en ai bien peur, risque de sembler ennuyeux au lecteur, tout en constatant que j’y trouve moi-même un vif intérêt, pourrait sembler ironique. Ceci dit, une large part de l’ennui que j’éprouvais à l’école provenait du fait que j’avais la vive impression que l’on ne nous enseignait pas la vérité. Une autre raison encore plus profonde était que les méthodes d’enseignement – qui, comme nous allons le voir, sont directement liées aux méthodes fabiennes d’ingénierie sociale – avaient concrètement pour objectif de détruire nos âmes et de broyer nos esprits. Seulement, je n’ai pas pu, ou pas voulu, m’y soumettre. Pour en revenir au tract anti-fabien (après avoir accordé au lecteur un répit momentané), il décrit comment la société fabienne « développa une obsession pour l’économie » dès ses débuts et « ses membres se réunissaient régulièrement pour étudier Karl Marx et débattre sur ses théories économiques. »12 Ce sont littéralement des dizaines d’organisations qui sortirent de terre au cours des décennies qui amenèrent aux années soixante, comme le Social Science Research Council, dont certains textes sont conservés à la bibliothèque de la London School of Economics, avec des titres tels que Outline proposals for development of Albany Trust, 1967-1978 [ndt : Aperçu des propositions pour le développement de l’Albany Trust] et Study of Human Sexuality in Britain: proposals for establishing an institute of social behaviour [ndt : Étude de la sexualité humaine en Grande-Bretagne : propositions pour la mise en place d’un institut du comportement social]. L’Albany Trust fut fondé l’année où fut légalisée l’homosexualité, dans l’appartement d’un des associés proches (ou qui semblait l’être) de mon grand-père, J. B. Priestley, le président du 1941 Committee pré-cité, et avec lequel mon grand-père créa le parti CND. L’Albany Trust est en général associé avec le mouvement pour les libertés

12. Ce qui amena la création d’institutions telles que la British Economic Association (devenue par la suite la Royal Economic Society) et la LSE. Les théories économiques étaient considérées comme des validations « scientifiques » de l’idéologie socialiste, ainsi que Marx les avait déjà utilisées auparavant. Les institutions éducatives enseignant l’économie fabienne permettaient de « créer toute une génération d’économistes professionnels – une nouvelle classe dirigeante – qui, employés comme fonctionnaires ou au sein du gouvernement, mettraient en œuvre les politiques fabiennes. » (M. Cole, p. 88) D’après cette dernière source, l’Economic and Social Research Council (ESRC) fut fondé en 1965 sous la direction de l’ancien président de la société fabienne, Harold Wilson. L’un des principaux dirigeants de l’ESRC était un fabien du nom Michael Young (qui fut anobli par la suite), qui aurait « été responsable de la création de plus d’une soixantaine d’organisations ayant le même état d’esprit ». L’ESRC était connu à l’origine sous le nom de Social Science Research Council (SSRC), et était bien entendu une branche de l’organisation américaine du même nom. civiles et les droits des homosexuels, et est donc perçu comme étant orienté à gauche. Il existe pourtant des indications qu’il pourrait avoir aussi financé la droite, comme le montre son implication avec le Conservative Group for Homosexual Equality (CGHE).

J. B. Priestley

Lettre du président de l'Albany Trust, qui se défend d'utiliser des fonds publics pour promouvoir la pédophilie, tout en réclamant le droit à un « débat public » sur ces questions.

Le blog de recherches sur la maltraitance The Needle suggère que le CGHE était impliqué dans la promotion de l’Elm Guest House, le désormais célèbre bordel pour mineurs de Barnes, dans la banlieue de Londres. Le CGHE fut créé en 1975 par le professeur Peter Campbell de l’université de Reading, qui en fut le président puis le vice-président durant la majeure partie des années Thatcher. Campbell fut également le rédacteur de la lettre d’information du groupe, et a été cité comme étant un visiteur de l’Elm Guest House. D’après The Needle, « Les minutes de la réunion de création du groupe montrent clairement que, bien qu’elle ait été étiquetée comme une organisation qui faisait la promotion de l’égalité pour les homosexuels, elle était dès sa création une organisation pro-pédophile. » Au cours de mon enfance, l’homosexualité était ouvertement défendue, et même promue, par mon père et mes grands-parents libéraux. J’étais pleinement conscient du fait que certains de nos invités étaient des homosexuels actifs. Il m’est même arrivé de passer la nuit chez un couple homosexuel qui travaillait à Northern Foods. L’adoption du style de vie homosexuel, ainsi que la tolérance raciale et le pacifisme, était un élément central du système de valeurs progressistes dans lequel j’ai été élevé. Je ne me rappelle pas de discussions équivalentes concernant la pédophilie, bien qu’il arrivait qu’on plaisante à ce sujet. Partie 3 : Havelock Ellis, Lolita, et L’enfant sexuel

Encore une fois, vous devez vous rappeler que nous ne cherchons pas de conspiration, mais que nous suivons une idée à la trace, un peu comme si nous placions un émetteur sur une anguille pour voir dans quel trou elle se réfugie au cas où nous souhaiterions l'attrapper par la suite. ~ John Taylor Gatto, Underground History of American Education

Le lien entre la société fabienne et le Paedophile Information Exchange, bien qu’immanquable, s’est aussi avéré peu concluant. Il était nécessaire de revenir plus loin en arrière, aux fondateurs de la société fabienne, pour mieux comprendre la philosophie à laquelle adhéra mon grand-père. D’après mes recherches, la société fabienne (nommée originellement The Fellowship of New Life) débuta avec le sexologue Henry Havelock Ellis (certains comptes-rendus désignent Frank Podomore comme ayant été son créateur). Né à Croydon en 1859 et fils d’un capitaine de marine, Ellis voyagea en Australie et en Amérique du Sud avant d’étudier la médecine à l’hôpital St. Thomas de Londres. En 1883, il intégra un groupe de réflexion socialiste créé par Edith Nesbit et Hubert Bland, et le groupe devint connu en 1884 sous le nom de société fabienne. C’est à ces réunions qu’Ellis rencontra Annie Besant, Graham Wallas, George Bernard Shaw, Edward Carpenter, Walter Crane, H. G. Wells, et Sidney et Beatrice Webb. On attribue à Havelock Ellis la création du terme « homosexuel », et il fut l’une des premières personnes de l’histoire à s’intéresser à la pédophilie d’un point de vue académique (le terme « pédophilie » ne commença à être largement utilisé qu’à partir des années cinquante).13 Ce n’est pas très surprenant, car Ellis compila un ouvrage en six volumes intitulé Studies in the Psychology of Sex entre 1897 et 1928. Ellis était connu pour ses expérimentations dans le domaine sexuel, ainsi que pour avoir été un consommateur de drogue, et il aurait même mélangé les deux (les hallucinogènes et des sessions privées de sexe en groupe). Les écrits d’Ellis firent partie des textes clés qui formèrent la base de l’éducation sexuelle dans les universités britanniques, puis, plus tard, dans les écoles. Ellis est parfois décrit de nos jours comme « le père de la psychologie

13. « Richard von Krafft-Ebbing inventa le terme paedophilia erotica dans son ouvrage de 1886, Psychopathia Sexualis, bien qu’il la considérait comme extrêmement rare. Sur les centaines d’études de cas qu’il évoque dans son ouvrage, seule une traitait d’un cas de pédophilie. D’autres pionniers de la sexologie comme Havelock Hellis et Magnus Hirschfeld ont brièvement abordé la pédophilie, mais le terme n’apparaissait que rarement dans la littérature médicale avant les années cinquante. » « What is a pedophile ? » sociale ». Tiré de Science in the Bedroom: A History of Sexual Research, [ndt : La science dans la chambre à coucher : une histoire de la sexologie] par Vern L. Bullough (Basic Books, 1995, p. 76) : Le travail d’Ellis était essentiellement un plaidoyer en faveur de la tolérance et de l’acceptation de l’idée que les déviations par rapport à la norme étaient sans danger et pouvaient même parfois avoir une certaine valeur. Tout comme Hirshfield, il fut un réformateur qui incita la société à reconnaître et à accepter les manifestations sexuelles chez les nourrissons et à réaliser que l’expérimentation sexuelle faisait partie de l’adolescence. Ellis soutenait qu’il était important de lever les interdictions sur la contraception ainsi que les lois prohibant les activités sexuelles menées en privé entre parties consentantes.

Tout ceci semble relativement raisonnable, et est entièrement en accord avec le système de valeurs dans lequel je fus élevé, et auquel j’adhère encore dans une certaine mesure. Cependant, dans le contexte d’autres thèmes de discussions sur « l’exploration sexuelle » abordés moins ouvertement, et qui semblaient tous être issus de la matrice fabienne (comme le PIE), on peut aussi lire ces lignes comme l’annonciation d’un désastre à venir. L’un des adeptes les plus célèbres d’Ellis semble avoir été John Maynard Keynes, le fameux économiste. Le lecteur attentif se souviendra peut-être que Keynes avait soutenu l’ami de mon grand-père et futur membre du Bilderberg, Eric Roll, pour occuper le poste de professeur à l’université de Hull. Un autre associé d’Alec fut le psychologue Nick Humphrey, le petit-neveu de Keynes. Keynes est connu pour avoir été un pédéraste et probablement aussi un pédophile. Malheureusement, la source la plus explicite quant aux inclinations sexuelles de Keynes, son adhésion aux enseignements d’Ellis, et à ses associations fabiennes, Keynes at Harvard: Economic Deception as a Political Credo, a été écrite par Zygmund Dobbs, et je suppose que Dobbs est un chrétien de droite, puisque son essai peut se résumer à une diatribe hystérique et moralisatrice contre tout ce qui a trait à la société fabienne, généreusement agrémentée de mots tels que « dépravation » ou « pervers ». Ceci jette un doute sur toutes les informations qu’il nous donne, et même si l’essai est entièrement documenté et semble souscrire strictement aux normes académiques, je ne le cite qu’avec précaution. D’après Dobbs, cependant, « les pervers de la société fabienne se rendaient dans les régions mentionnées par Ellis [dans son Studies in the Psychology of Sex] pratiquement comme avec un guide touristique. Keynes visita toutes les régions méditerranéennes mentionnées, le plus souvent en compagnie d’un autre homosexuel anglais. (Tunis, Algérie, Constantinople, Sicile, Capri, Le Caire, Grèce and Salerne.) [Des régions] où des petits garçons étaient vendus par leurs parents à des maisons closes qui satisfaisaient les appétits des homosexuels. John Maynard Keynes (à droite)

Cependant, l’influence d’Ellis s’étendait au-delà du cercle des autres membres de la société fabienne, et allait jusqu’à Freud, et plus tard, à Vladimir Nabokov. Pour Nabokov, Havelock Ellis était le seul psychiatre tolérable.14 Dans Dear Bunny, Dear Volodya: The Nabokov-Wilson Letters, 1940-1971, un recueil de lettres entre le romancier et le critique social Edmund Wilson publié par Simon Karlinsky, ce dernier souligne que les recherches d’Ellis furent une source d’inspiration directe pour Lolita. En 1948, Wilson envoya à Nabokov une copie de ce qu’il appela « le chef-d’œuvre de Havelock Ellis sur la sexualité russe » [ndt : une confession rédigée par un russe anonyme sur sa vie sexuelle, et insérée par Ellis dans son « Études de psychologie sexuelle »], et neuf jours plus tard, Nabokov lui répondit en écrivant : « J’ai énormément apprécié la vie amoureuse russe. C’est merveilleusement amusant. » Dans les notes de bas de page, Karlinsky décrit le « chef-d’œuvre sur la sexualité » de 106 pages comme étant le récit d’un jeune homme, initié sexuellement à l’âge de douze ans, qui commence à rechercher les faveurs d’enfants prostitués (dès l’âge de onze ans) en Ukraine. Karlinsky cite l’autobiographie de Nabokov, Autres rivages : Notre innocence me semble presque monstrueuse à la lumière des diverses confessions qui remontent à ces mêmes années, et citées par Havelock Ellis, qui parlent de petits bambins de tous les sexes imaginables, qui pratiquent chaque péché gréco-romain, constamment et partout, des centres industriels anglo-saxons à l’Ukraine (d’où provient un compte-rendu particulièrement lascif d’un propriétaire terrien). (Karlinsky, University of California Press, 2001, p. 229.)

Il convient de noter à propos du Lolita de Nabokov, lorsqu’on le place dans le contexte d’Ellis, du PIE, et de la propagation continue de l’idée selon laquelle les enfants sont des êtres sexuels, que Lolita était l’agresseur sexuel dans le cadre de sa relation avec Humbert Humbert, et que ce dernier, pour aussi déplaisant qu’il soit, était plus la victime malheureuse de ses manœuvres de séduction qu’un véritable prédateur.

14. « Le seul psychiatre que Nabokov pouvait tolérer était Havelock Ellis, pour qui ‘’l’individualité de chaque cas est respectée et cataloguée de la même manière que les papillons sont catalogués’’, ainsi que l’a expliqué l’un des biographes de Nabokov (Nabokov était un célèbre lépidoptériste). À l’inverse, Nabokov détestait « le vaudou freudien », comme il disait, parce qu’il voyait en Freud une tentative de la psychiatrie de s’accaparer la vie intérieure des individus et de la soumettre à des principes généraux. Et soumettre la vie intérieure d’une personne – ce qui rend sa personnalité unique, la camera obscura du magasin de souvenirs d’un individu – à un ensemble d’explications déterministes était considéré comme une indignité par Nabokov, à mettre au même niveau que les expropriations pratiquées par les bolchéviques. » Tiré de Lolita at 50: Is Nabokov’s masterpiece still shocking?, par Stephen Metcalf. Pour vous donner une idée de l’ampleur de l’influence exercée par Ellis – qui fut aussi marquée dans la littérature – voici la description du programme intitulé « L’enfant sexuel », donné à l’université de Cornell dans les années quatre-vingt-dix : En ce qui concerne les enfants, l’imagination américaine actuelle est définie par ce que l’on pourrait appeler le gothique pédophile. L’enfant sexuel, en tant qu’emblème volatile du traumatisme, s’est retrouvé au centre de mouvements de panique morale originaires de toutes les parties du spectre politique – la panique à propos de phénomènes culturels aussi divers que la pornographie, la psychothérapie, les garderies, la parentalité, les mouvements féministes, la prêtrise de l’Église catholique romaine, l’accès à internet, et l’intégralité des cursus scolaires. Mais que croyons-nous qu’est, ou devrait être, un enfant ? Que signifie aimer ou désirer un enfant ? Qui fait la promotion de la sexualité infantile, et pourquoi ? Comment s’est-elle construite autour de la théorie, de la littérature et de l’imagerie visuelle ? Comment la psychanalyse, la théorie du genre, et d’autres approches théoriques renforcent-elles ou remettent-elles en question le paradigme dominant sur le traumatisme ? Ceci est un cours interdisciplinaire sur les études américaines et la théorie du genre, au cours duquel nous mènerons une étude politique, historique et rhétorique du langage gothique du traumatisme qui s’est développé autour de l’enfant sexuel, particulièrement aux États-Unis durant le siècle dernier. Les lectures théoriques pour ce cours incluront des études littéraires, psychologiques et anthropologiques sur la sexualité infantile, l’abus sexuel des enfants, le traumatisme, la panique morale, et le débat autour des « souvenirs refoulés » (Sigmund Freud, Bruno Bettelheim, Gilbert Herdt, Gayle Rubin, James Kincaid, Eve Kosofsky Sedgwick, Lee Edelman, et Judith Lewis Herman, entre autres) ; nous étudierons aussi attentivement des œuvres de fiction d’Edgar Allan Poe, Henry James, et Vladimir Nabokov, entre autres, ainsi que des films, pièces de théâtre et photographies sujets à la controverse. (lien)

Bien qu’il ne soit pas mentionné ici, Havelock Ellis fut intégré au programme. Certains cours avaient des intitulés tels que « L’enfant en tant qu’objet sexuel et l’objet sexuel », « Les grands méchants loups », « Aimer les enfants » et « Avoir des enfants » (pour lequel une des lectures était le Lolita de Nabokov). Le professeur d’anglais Ellis Hanson, directeur du programme, défendit le contenu des cours en déclarant : « La fascination érotique pour les enfants est omniprésente. On peut difficilement lire un journal ou allumer une télévision sans se sentir obligé de l’accepter, de l’étudier, et de la célébrer. » Selon ses propres termes, le cours a été créé dans le but de « réfuter des notions préconçues sur la nature de l’enfant, de la sexualité, et ce que signifie aimer ou désirer un enfant. » (lien) La transsexuelle et bisexuelle Pat Califia a elle aussi contribué à ce cours. Dans un article inclus dans le cours, Califia écrivait : La schizophrénie induite culturellement autorise les parents à tenir des discours sentimentaux sur l’innocence passagère de l’enfance et sur le bonheur des années épargnées par le désir charnel – et à s’épuiser à contrôler la vie sexuelle de leurs enfants. Les enfants sont chastes parce que les parents les empêchent de jouer avec d’autres petits enfants ou avec des adultes. [...] Ils ne sont pas innocents ; ils sont ignorants, et cette ignorance est délibérément créée et maintenue par les parents. [...] Des sexologues de premier plan ont eu beau documenter l’existence d’un potentiel sexuel chez les enfants (par exemple, Kinsey a vérifié l’existence de l’orgasme chez des garçons et des filles âgés de moins de six mois), notre société est fanatiquement déterminée à l’ignorer.

Comme je vais le montrer par la suite, les « recherches » de Kinsey n’ont rien vérifié du tout parce qu’il se servait de pédocriminels pour obtenir ses données ; inconscients ou insensibles à la souffrance des enfants, ils l’interprétaient presque certainement à tort comme étant du plaisir. L’article de Califia cite comment « très souvent, ces enfants sont des partenaires consentants dans le cadre de l’activité sexuelle, et initient même l’activité sexuelle avec des propositions directes ou un comportement séducteur. » Il/elle soutient que « l’assertion selon laquelle avoir une relation sexuelle avec un des parents est plus dommageable que d’être battu [est] ridicule » – mais sans préciser pourquoi. Pour ce qui est de l’exploitation sexuelle des enfants pour en tirer un profit financier, Califia écrit : « Mettre un terme à cette industrie sans proposer des emplois alternatifs reviendrait à condamner de jeunes gens à la frustration, à la maltraitance, ou au suicide dans de petites prisons douillettes de banlieue. » Califia était d’une certaine façon en avance sur son temps avec de tels arguments ; ou peut-être, considérant qu’ils constituaient le cœur du cours de l’université de Cornell dans les années quatre-vingt-dix, il/elle contribua (tout comme mon frère) à la normalisation de la , infantile ou autre ? En mars 2015, le Daily Telegraph publia un article qui décrivait comment les étudiants britanniques bouclaient leurs fins de mois grâce à l’industrie du sexe. L’article ressemble presque à une publicité : Des chercheurs ont mené une enquête sur 6750 étudiants, parmi lesquels 5 % ont déclaré qu’ils avaient travaillé dans l’industrie du sexe. Presque un quart ont admis l’avoir envisagé. Les raisons qu’ils ont avancées étaient le désir de financer leur mode de vie, payer pour des frais de subsistance basiques, réduire les dettes à la fin du cycle universitaire, le plaisir sexuel et la curiosité. Un sur 20 paraît un chiffre élevé, qui a provoqué un choc lors de la publication de ces résultats. Mais franchement, devant la facilité du travail dans l’industrie du sexe – et le fait qu’elle est si lucrative – je suis surpris que plus d’entre eux n’aient pas tenté le coup. [...] Il y a, bien entendu, des éléments peu ragoûtants dans le travail sexuel. Mais n’est-ce pas le cas pour pour tous les emplois ? [...] Les étudiants travailleurs du sexe ne sont pas des victimes ; ils font un choix. Et après tout, ils dirigent une entreprise ; ils tiennent des comptes, mettent en avant leur marque, s’occupent du marketing et des ventes. Combien d’autres étudiants peuvent en dire autant ?

Mon frère fut lui aussi, pendant un temps, un travailleur du sexe, et dans Dandy in the Underworld (pp. 197-9) il qualifie les prostituées de « créatures les plus ouvertes et honnêtes sous le ciel de Dieu ». « Baiser avec une pute », écrivait-il « est la forme de baise la plus pure ». Et je suis certain qu’il aurait applaudi les vues du Telegraph sur l’auto- exploitation sexuelle considérée comme une libération sociale, bien qu’il aurait pu être perturbé et déçu en constatant que ses propres opinions étaient finalement bien moins subversives qu’il ne l’imaginait.