A. DIERKENS

L'essor du culte de S. Walhère à Onhaye fin du XIP ou fin du XV^ siècle?

Extrait de la Revue d'Histoire Ecclésiastique Vol. LXXXII (1987), N» 1)

LOUVAIN 1987 MÉLANGES

L'essor du culte de S. Walhère à Onhaye: fin du XIP ou fin du XV^ siècle?

s. Walhère (•) bénéficie, comme saint guérisseur et protecteur du bé• tail (^), d'un important culte qui, de l'église St-Martin d'Onhaye, où l'on conserve ses restes (^), s'est propagé dans toute la Wallonie (*). Les nom-

(1) Les études principales consacrées à S. Walhère sont celles de Fr. BAIX, Le nom de S. Walhère, dans Annales de la Société Archéologique de ( = A.S.A.N.), 1913, t. XXXll, p. 263­281 ; Ch.­G. ROLAND, Élude critique de la vie de S. Walhère, dans La Terre Wallonne, 1926, t. XIV, p. 233­266; R.­E. JANUS, Onhaye et S. Walhère, ­Onhaye, 1945; C. HOEX, Recherche iconographique fondée sur le culte populaire de Ste Brigide et des saints Manon et Walhère, Bruxel­ les, 2 vol, 1972, mémoire de licence en Histoire de l'Art et Archéologie (U.L.B.), inédit, dont est issu C. HOEX, S. Walhère, Culte—Vie—Iconographie, Gem­ bloux, 1974. On y trouvera citée la bibliographie antérieure ; cfr aussi é. BROU­ ETTE, Walhero, dans Bibliotheca sanctorum, t. XII, Rome, 1969, col. 1382­1383. (2) En plus des études citées ci­dessus (surtout JANUS, Onhaye et HOEX, Wal­ hère), voir notamment Th.­J. DELFORGE, />es saints populaires de Wallonie, Gem­ bloux, 1977, p. 59­61, ou C. HOEX, Médecine populaire et religion: les saints guérisseurs, dans IM médecine populaire en Wallonie. Actes du colloque organisé à l'U.L.B. le 26 octobre 1974, Bruxelles, 1978, p. 59­67 et 114. On trouvera des détails sur le culte de Walhère dans O. COLSON, La légende et le culte de S. Walhère à Onhaye, dans , 1912, t. XX, p. 316­325, ou dans Notice historique sur la vie de S. Walhère, prêtre et martyr, vulgairement dit S. Vohi ou S. Bohi, Dinant, 1867 (6' éd.. Tournai, 1909). (3) Onhaye, prov. Namur, arr. Dinant, centre de comm. fusionnée : au moyen âge, diocèse de Liège, archidiaconè de Hainaut, doyenné de . La pa­ roisse primitive et le domaine ancien d'Onhaye (env. 2600 ha.) comprenaient aussi les communes actuelles de Gérin (érigée en paroisse en 1575) et de Weillen (capella en 1685 encore). Références sur ce point dans ROLAND, Walhère, p. 245­ 246, et dans JANUS, Onhaye, p. 33­44. (4) Le catalogue des lieux de culte de Walhère est donné par HOEX, Recherche iconographique, t. I, p. 178­222, qui sous­estime pourtant l'importance de Tin­ tigny ; cfr ms. Bruxelles, Bibl. Roy., 11­4361, T 36 (lettre du curé de Tintigny, 5 avril 1869) et 37­38 (brochure de dévotion). L'ESSOR DU CULTE DE S. WALHèRE 29 breux érudits et historiens qui se sont penchés sur le dossier, au demeu• rant fort maigre, de Walhère s'accordent avec la tradition populaire et l'hagiographie pour dater le martyre du saint de l'extrême fin du xii" s. ; ils identifient le saint Walhère honoré à Onhaye avec un Walterus cité dans des documents de 1187 à 1199 et affirment que le culte de Walhère se développa sans interruption depuis la mort du saint, placée le 23 juin 1199 ('). Le seul savant qui, refusant cette identification, étaie ses argu• ments par des éléments historiques sérieux (le chanoine Ch.-G. Roland) situe l'existence de Walhère avant 1161 (^). Le propos de cette brève étude sera de montrer que l'existence réelle de S. Walhère échappe tota• lement à l'historien et que l'essor du culte développé à Onhaye n'est probablement pas antérieur à la fin du xv' s. et doit beaucoup à la ferveur intéressée d'un religieux du milieu du xvi' siècle (').

* * Pour plus de clarté, il semble utile de rappeler d'emblée le contenu du court récit hagiographique qu'en 1603 (*), le jésuite namurois Gilles Monin consacra à Walhère: imprimée en 1707 dans les Ada Sando- rum (*), cette Viia sert, depuis, de canevas à tous les récits hagiographi• ques postérieurs : S. Walhère. né à Bouvignes (•), fut élevé dans la crainte de Dieu et souhaita consacrer sa vie au service divin. Ordonné prêtre et devenu curé d'Onhaye,

(1) Par exemple JANUS, Onhaye, p. 49-59 et passim, qui déduit même de la date de 1199 la date de naissance de Walhère (entre 1128 et 1138). Ou encore BAIX, Walhère, p. 264-269 et ID., Doyens du concile de Florennes. Notes histori• ques, dans Anatectes pour servir à l'Histoire Ecclésiastique de la Belgique ( = A.H.E.B.), 1910. t. XXXVI (,3' s.. VI), p. 10.5-123, aux p. 107-109. (2) ROLAND, Walhère, p. 261-262. (3) Cette brève étude sur saint Walhère a l'ait l'objet d'une communication à la Société pour le Progrès des Études Philologiques et Hi.storiques (Bruxelles, le 12 novembre 1983); cfr Revue Belge de Philologie et d'Histoire (= R.B.P.H.), 1984, t. LXII, p. 911. (4) Sur Gilles Monin et la Vita de S. Walhère qu'il inséra dans son Historia sanctorum Namurcensium, voir N. J. AIGRET, Histoire de l'église et du chapitre de St-Aubain à Samur, Namur, 1881. p. 469-470, et ROLAND, Walhère, p. 241-243. h'Historia de Monin, inédite, semble avoir disparu aujourd'hui mais un résumé en a été édité par le chanoine Aigret en 1881 (St-Aubain, p. 639-643), sous le titre Sanctorum et sanclarum Namurcensis comitatus epitome, auctore Aegidio Monin. (5) Acta Sanctorum, Junii, t. IV (1707), p. 613-618: édition commencée par Godefroid Henschenius et achevée par Daniel Papebrochius. La Vita est citée ici d'après la troisième édition (éd. Palmé), plus accessible: AA.SS., Junii, t. V (1867), p. 523-5,32, Vita aux p. .523-.524. (6) Vita, éd. /1/l.SS., p. 523: Walherus, Boviniensi antiquo ad Mosam castello Namurcensis comitatus oriundus (...). Bouvignes, arr. Dinant, fut rattachée à la commune de Dinant en 1964. 30 A. DIERKENS

il fut peu de temps après nommé doyen du concile de Florennes. Exerçant avec zélé sa charge décanale, Walhère rendit visite au prêtre (') de l'église voisine d'Hastiére (*) et lui reprocha avec force sa mauvaise conduite ('). Un matin, alors que les deux hommes traversaient la Meuse, le prêtre frappa le doyen de sa rame et le tua. Le corps de Walhère fut retrouvé sur la rive gauche de la Meuse, à un endroit où surgit une source. Des habitants de Bouvignes revendiquèrent le corps du saint pour le ramener dans sa ville natale, mais ne purent le dépla• cer. A Onhaye, une pieuse veuve possédait deux génisses blanches qui n'a• vaient jamais été mises sous le joug ; celles-ci purent sans difficulté trans• porter le corps du saint et le conduisirent, Deo solo dudore, à la basilica St- Martin d'Onhaye, que Walhère administrait de son vivant. Il y fut enseveli et y réalisa de nombreux miracles. L'abondance des dons permit d'agrandir l'église (*) (au milieu du chœur, à l'emplacement de la tombe de Walhère, est posée une plaque sculptée de marbre noir) (*). Sous Henri Vil, lors d'un des fréquents conflits qui opposèrent le comte de

(1) Vita, éd. AA.SS., p. 523: Hasteriensis ecclesiae presbyterum, nepotem suum quem alii vicarium suum fuisse scribunt. On verra plus loin l'importance que j'accorde à ces termes. (2) Hastière (Hastière-par-delà), prov. Namur, arr. Dinant, comm. actuelle d'Hastiére; situation religieuse au moyen âge : diocèse de Liège, archidiaconé de Famenne, doyenné de Graide. L'église paroissiale St-Pierre (puis St-Nicolas) d'Hastiére était située à côté de l'église abbatiale/priorale Notre-Dame d'Has• tiére; elle fut incorporée à l'abbaye de Waulsort en 1161 (cfr G. DESPY, Les chartes de l'abbaye de Waulsort. Étude diplomatique et édition critique, t. 1: 946- 1199, Bruxelles, 1957, acte n° 34, p. 373-374). Sur la paroisse primitive d'Has• tiére, voir A. DiERKENS, Aux origines des abbayes de Waulsort et d'Hastiére: domaines anciens et paroisses primitives, dans Noies Waulsortoises, éd. A. WAYENS, t. III, Waulsort, 1984, p. 7-31. Sur le culte actuellement voué à Wal• hère dans l'église d'Hastiére (et, en particulier, sur le fameux triptyque peint en 1913 par Auguste Donnay), voir notamment JANUS, Onhaye, p. 91 et 106-109; HoEx, Recherche iconographique, t. I, p. 195 et 225; HOEX, Walhère, p. 27; Br. DESTRéE, Les panneaux décoratifs d'Auguste Donnay pour l'église d'Hastiére, dans Wallonia, 1912, t. XX, p. 303-308; A. PIROTTE, Le triptyque de S. Walhère par Auguste Donnay, Hastière, s.d. (1983). (3) Gilles Monin n'hésite pas à parler d'incoestos mores (Vita, éd. /1.<4.SS., p. 323). (4) Il serait du plus grand intérêt de procéder à un examen archéologique (archéologie monumentale et fouilles) dans cette église, dont l'essentiel n'est pas antérieur à 1860; cfr E. VAN HEURCK, Les drapelets de pèlerinage en Belgique et dans les pays voisins, Anvers, 1922, p. 348-3,53 (à la p. 352). (5) Je parlerai plus loin de ce cénotaphe (pl. I). Un relevé au trait du céno• taphe, dû à Robert Ergo, prêtre de Bouvignes, est publié dans les /lA.SS. (p. 525) et repris, notamment, dans JANUS, Onhaye, p. 64 et HOEX, Walhère, fig. 6. Le cénotaphe a été déplacé et se trouve aujourd'hui, au-dessus du reliquaire de 1675, dans le collatéral sud, contre le mur de façade (pl. II). L'ESSOR DU CULTE DE S. WALHèRE 31

Namur et le prince-évèque de Liège à propos des limites de leurs principau• tés, le cercueil {libilina sive feretrum) de Walhère fut porté, pour y être mis à l'abri, dans l'abbaye voisine de Waulsort ('). Ramenées ensuite (l'am pri- dem) à Onhaye, les reliques du saint furent déposées dans une châsse de bois décorée de panneaux sculptés relatant le martyre de Walhère Le crâne du saint, placé dans un chef-reliquaire en bronze doré, est présenté à la vénération des pèlerins Walhère mourut le 23 juin quo anno non invenitur.

Gilles Monin cite lui-même ses sources : la brève notice des Natales sandorum Belgii de Molanus (1595), qu'il suit parfois littéralement, une lettre de Jean Redu, curé d'Hastière, des renseignements fournis par le curé d'Onhaye ainsi que les monuments conservés à Onhaye — et dont Molanus ignorait l'existence—, à savoir cénotaphe de 1552, chef-reli• quaire, châsse en bois. Je reviendrai plus loin sur les sources de G. Monin et, en particulier, sur la châsse en bois et sur le cénotaphe. Quelques précisions sur ce dernier sont pourtant utiles ici. Pierre de Harroy, curé d'Onhaye de 1518 à 1561, fut aussi doyen du concile de Florennes depuis 1536 au moins (*). Avec S. Walhère, il est le seul curé d'Onhaye à avoir obtenu une charge décanale. En 1552, il fit placer sur le lieu supposé de la tombe de Walhère une pierre tombale (encore toujours conservée à On• haye)— ou plutôt un cénotaphe puisque les reliques avaient été transfé• rées dans la châsse de bois — représentant le saint nimbé, entouré de

(1) Waulsort, prov. Namur, arr. Dinant, commune actuelle d'Hastière. Sur l'histoire de l'abbaye de Waulsort au moyen âge, on trouvera ta bibliographie dans DRSPY, Waulsorl, et dans A. DIERKENS, Abbayes et chapitres entre Sambre et Meuse {vil'-xi' s.), Paris-Sigmaringen, 198,5, p. 161-196. (2) Je reviendrai plus loin sur les panneaux de cette châsse (cfr pl. III). Repro• duction, notamment, dans IIOEX, Walhère, fig. 1. (,'J) Le chef-reliquaire mentionné en 1603 est probablement celui qui se trou• vait, il y a quelques années encore, sur l'autel de la chapelle de Bonair à Onhaye (sur cette chapelle, infra, p. 38) et qui est reproduit sur une gravure ancienne (par ex. CoLSON, Walhère, p. 321 et HOEX, Walhère, fig. 7). Il fut remplacé, vers 1675, par un autre chef-reliquaire, plus léger et mieux ouvré, aujourd'hui conservé au presbytère d'Onhaye (pl. IV) ; ce second chef-reliquaire, reproduit dans une autre gravure ancienne (par ex. AA.SS., p. 324), est toujours utilisé lors des proces• sions à saint Walhère (photographie, par ex., dans HOEX, Walhère, fig. 16). La mention d'un chef-reliquaire en 1603, passée inaperçue des historiens de Walhère, permet de modifier les dates assignées habituellement aux chefs-reliquaires de Bonair et d'Onhaye, par ex. par JANUS, Onhaye, p. 9.5-96 et 155, ou HOEX, Recherche iconographique, p. 227-228 (bonne analyse reprise également dans HOEX, Walhère, p. 28). (4) BAIX, Doyens de Florennes, p. 113-114; ROLAND, Walhère, p. 237; JANUS, Onhaye, p. 136-140 et passim. 32 A. DIERKENS deux personnages, l'un brandissant une rame, l'autre agenouillé (mani• festement, le meurtrier de Walhère et le dédicataire) ; autour du relief, une inscription en vieux français : C'est la sépulture Mons. S. Vohi. mar- tur. natifz de Bouvignes. doien du concil de Florine, curé d'Onhay et de Haslir. occis illec du chaplain, inscription suivie du nom du donateur et de la date : Mess. Pierre de Harroy. 1552 (pl. I). L'historiographie de S. Walhère depuis Molanus et Monin a été re• marquablement étudiée par le chanoine Roland (') ; il ne convient donc plus de s'y arrêter. Par souci de clarté, je me limiterai à envisager successivement l'identification traditionnelle de S. Walhère avec un reli• gieux de la fin du xii'' s., la datation proposée par le chanoine Roland, les indices que l'on a cru pouvoir produire en faveur d'un culte médiéval à Walhère et ceux qui permettraient plutôt de placer le véritable essor du culte à la fin du xv'' siècle.

Saint Walhère vécut-il à la fin du XII' siècle ? Cinq actes font intervenir un personnage que l'historiographie identi• fie avec S. Walhère (*) : -1187: Albert, grand-prévôt et archidiacre de Liège, unit deux bénéfices simples de Loverval à l'abbaye de Cornillon à Liège. Parmi les témoins : de concilio Ftorinensi Walterus decanus (') ; -1190: (après juillet); Albert, grand-prévôt et archidiacre de Liège, con• firme la donation du patronat et de la dîme de l'église d'Onhaye par Mathilde d'Onhaye à l'abbaye de Waulsort. Parmi les témoins: Walterus Florinensis decanus, iamdictae ecclesiae investitus et Franco presbiter de Uniiaia {*) ; - 1196 : Hugues de Florennes renonce, en faveur de la collégiale de Dinant, aux droits auxquels il pouvait prétendre sur la dîme de Surice. A

(1) ROLAND, Wallière, p. 238-243. (2) Je néglige ici délibérément un acte de 1163 parfois allégué pour affirmer que Walhère aurait été alors co-adjuteur d'Héribrand, curé d'Onhaye (par ex. JANUS, Onliaye, p. 49, 58 et passim) ; cette interprétation tout à fait abusive «télescope» en effet deux actes de 1163 (éd. DESPY, Waulsort, actes n'" 36 et 37, p. 375-381), fait de Walterus et d'Héribrand d'Onhaye deux ecclésiastiques alors que, de toute évidence, il s'agit de membres laïcs de la famille d'Onhaye, branche collatérale des Faing. Je reviendrai ailleurs sur la famille et le domaine d'Onhaye aux xii' et xiiT siècles; voir notamment les éléments fournis par G. Despy dans les notes qui accompagnent la publication des deux actes de 1163 et l'article de M. WALRAET, La dîme d'Onhaye au xm' s., dans Namurcum, 1946, t. XXL p. 10- 13. (3) Éd. J. DARIS, Notice liislorique sur l'abbaye de Beaurepart à Lièye, dans Bulletin de l'Institut Archéologique Liégeois, 1868, t. IX, p. 303-372, à la p. 346; édition à préférer à celle d'A. MiRARus-J.-Fr. FOPPF.NS, Opéra diplomatica, t. IV, Bruxelles, 1748, p. 524. Cfr infra, p. 33, n. 6. (4) Éd. DESPY, Waulsort, acte n° 52, p. 403-404 (éd. d'après l'original). Pl. I

Cénotaphe de S. Walhère (offert par Pierre de Harroy, 1552). Onhaye église St-MarUn. Cliché A.C.L. (Bruxelles), B 60230. Pl. II

Cénotaphe de S. Walhère (1552) et châsse de S. Walhère (1675). Onhaye, église St-Martin, état actuel. Cliché A.C.L. (Bruxelles), M 229.737. Panneaux de la première châsse de S. Walhère (vers 1500), insérés dans un retable, en 1675. Onhaye, chapelle de Bonalr. Cliché A.C.L. (Bruxelles), M 229.709. Pl. IV

Chef-reliquaire de S. Walhère (c. 1675). Onhaye, presbytère. Cliché A.C.L. (Bruxelles), M 229.751. L'ESSOR DU CULTE DE S. WALHèRE 33

l'acte est notamment apposé le sigillum domini Galteri decani de Fla- vion (') ; - 1197 : Michel, doyen de , et Walterus de Florinis decanus déclarent que Jean de Berzée et ses oncles ont renoncé à leurs prétentions sur les biens de Clermont que Bastien de Gourdinne avait donnés à l'abbaye d'Aulne - 1199 : Hugues de Florennes procède à des donations en faveur de l'abbaye Saint-Jean-Baptiste de Florennes. Parmi les témoins : Galterus deca• nus de Flavion Ces cinq actes font manifestement intervenir un même personnage : Gauthier (Walterus), curé de Flavion et doyen de Florennes, décédé en 1199 (*). Probablement n'aurait-on jamais pensé à l'identifier à S. Wal• hère si l'édition de Miraeus-Foppens de l'acte de 1187 n'avait porté la mauvaise graphie (erreur de lecture ou coquille typographique,) Walae- rus pour Walterus donné par la seule copie aujourd'hui conservée de l'acte (^). A F"lavion, en effet, on n'a jamais honoré d'une quelconque façon S. Walhère. De plus, les textes faisant état du doyen du concile de Florennes Gauthier en font un curé de Flavion et non, comme l'affirme la tradition relative à Walhère, d'Onhaye (voire d'Onhaye et Hastière). L'interprétation Wa//erus/Wa/aerus/Walhère de l'acte de 1187 a même entraîné une autre erreur, puisque les historiens ont compris la formule Walterus (...) iamdidae ecclesiae investitus de l'acte de 1190 comme signi• fiant que Gauthier était inuestitus — et donc curé — d'Onhaye (ce qui impliquait que Francon, presbiter de Unhaya, devenait vicaire de Gauthier, qui aurait cumulé les fonctions de curé de Flavion et d'Onh• aye) ('). Les termes de l'acte de 1190 semblent pourtant clairs : Gauthier est investitus de Waulsort (et non d'Onhaye) en l'absence de tout repré• sentant de l'abbaye ; probablement y avait-il alors vacance du siège

(1) Éd. St. BoRMANs, Cartulaire de la commune de Dinant, t. I, Namur, 1880, acte n" 6, p. 21-23. (2) Éd. L. DEVILLRRS, Description analytique de cariulaires et ctiartriers, t. V, Mons, 1870, acte n" III, p. 4-5 (éd. d'après l'original) ou éd. BAIX, Wallière, p. 280-281. (3) Éd. U. BF.RLIéRR, Documents inédits pour servir à l'fiisloire ecclésiastique de la Belgique, t. I, Maredsous, 1894, p. 29-30, n" xx. (4) Le successeur de Walterus, Gislebert, est cité dans un acte de 1199; éd. C- G. ROLAND, Chartes namuroises inédites (2""' série), dans A.S.A.N., 1908, t. XXVII, p. 213-264, aux p. 241-242 (n" 20). Cfr BAIX, Doyens de Florennes, p. 109, et RoLANo, Wallière, p. 2,58-260. (.5) On ne .sait sur quelle pièce (original ou copie) est basée la transcription de Miraeus-Foppens. On a, en tout cas, relevé d'autres erreurs de transcription. Relevé dans ROLAND, Walliére, p. 2,59 (repris par JANUS, Onhaye, p. 49 et ,52), donnant des comparaisons systématiques avec l'édition d'après le cartulaire de Beaurepart, «recommandable par la fidélité de ses transcriptions». (6) Le chanoine Roland était tellement sùr de son interprétation qu'il tradui• sait d'office iamdidae ecclesiae investitus par de Unliaia ecclesiae investitus (RO• LAND, Walliére, p. 24.5). Francon, curé d'Onhaye, était probablement le moine 34 A. DIERKENS abbatial (') et revenait-il au doyen de représenter Waulsort lors de la donation et de la confirmation en synode archidiaconal (^). C'est donc à raison que le chanoine Roland — qui affirmait aussi que « Walherus et Walterus sont deux noms hétérogènes, qui ne peuvent donc normalement être pris l'un pour l'autre » (') — estimait en 1926 que l'on peut rejeter l'identification de S. Walhère avec Gauthier, doyen de Horennes, curé de Flavion, mort en 1199(*). Mais le chanoine Roland ne se contenta pas d'hypothèses négatives. Insistant sur l'impossibilité canonique pour un doyen du doyenné de Florennes d'intervenir, dans l'exercice de sa fonction décanale, dans un autre doyenné (en l'occurrence, Hastière au doyenné de Graide dans l'archidiaconè de Famenne), il réhabilite le texte de l'inscription de 1552. C'est en tant que curé cumulant les charges des églises d'Hastière et d'Onhaye que Walhère se rendit à Hastière ; le meurtrier était son vicaire dans cette dernière paroisse (*). Comme le cumul des cures a été interdit par le concile de Latran III de 1179 et comme l'église d'Has• tière a été incorporée à l'abbaye de Waulsort en 1161 (•), Walhère n'a pu être curé d'Hastière après cette dernière date('). homonyme dont parle la Conlinualio de VHistoria Walciodorensis monaslerii (XIII ; éd. G. WAITZ, M.G.H., SS, t. XIV, Hanovre, 1884, p. 533-542, à la p. 537). A rapprocher des Francon d'Onhaye cités dans des actes de 1085 et 1163 (éd. DESPY, Waulsort, actes n" 19 et 36, p. 346-348 et 375-379); cfr l'étude annoncée supra, p. 32, n. 2 (1) L'abbé Pierre est cité jusqu'en 1185 (éd. DESPY, Waulsorl, acte n° 47, p. 398-399) ; son successeur, Libert, n'est pas cité avant l'extrême fin du xii' s. (cfr Hisloria Walciodorensis monaslerii. Conlinualio, xi-xii; éd. WAITZ, p. 536-537). Sur les abbatiats de Pierre et Libert, voir par ex. L. LAHAYE, Élude sur l'abbaye de Waulsorl de l'ordre de S. Benotl, Liège, 1889, p. 327-328; DESPY, Waulsorl, p. 15-16 et passim ; U. BERLIèRE, Monasticon Belge, t. 1, Maredsous, 1890-1897, p. 44 et 167. (2) On remarquera aussi, en plus de l'absence de l'abbé de Waulsort qui aurait dû assister à la transaction, la place occupée par Gauthier dans la liste des témoins: en première place, avant les abbés de Brogne et de , le prêtre d'Onhaye et le prévôt de Celles, c'est-à-dire à la place qu'aurait dû prendre l'abbé de Waulsort. Si cette déduction est exacte, elle permettrait d'affiner les dates de certains actes de Waulsort (éd. DESPY, Waulsort, actes n" 49 et 50, p. 400-401) et de préciser la date de la mort de Pierre (1189? date retenue traditionnellement, mais non fondée sur les sources conservées) et de l'avènement (mouvementé, comme le signale la Conlinualio de VHistoria Walciodorensis monaslerii) de Li• bert. (3) ROLAND, Walhère, p. 259, qui tempère ainsi l'avis de Fr. BAIX, Walhère, p. 275-279, et qui reprend donc certaines des affirmations de J. FELLER, Le nom de saint Walhère, dans Wallonia, 1912, t. XX, p. 326-328. (4) ROLAND, Walhère, p. 261 et passim. (5) ROLAND, Walhère, p. 253-254 et 261-262. (6) ROLAND, Walhère, p. 254. L'acte d'incorporation a été publié, en dernier lieu, par G. Despy : cfr supra, p. 30, n. 2 (7) ROLAND, Walhère, p. 254, qui ajoute qu'en 1161, Gauthier devait être dé- L'ESSOR DU CULTE DE S. WALHèRE 35

L'argument serait recevable si l'on admet la bonne information de Pierre de Harroy, qui fit graver le cénotaphe en 1552 (et qui a effective• ment pu bénéficier de la lecture des archives paroissiales détruites en 1554) (1) ; l'explication du chanoine Roland serait même la seule qui s'accorde avec le texte de l'inscription. Or, on le verra, il y a tout lieu de douter de certains arguments fournis par Pierre de Harroy ...

Le culte de S. Walhère est-il antérieur à la fin du xv' siècle? Les mentions du culte de Walhère apparaissent à la fin du xv' s. ; elles deviennent extrêmement fréquentes dès le milieu du xvi' s. (^). Les his• toriens et les hagiographes n'ont cependant pas hésité à faire remonter la vénération de Walhère à la mort de celui-ci et à supposer une conti• nuité du culte. Deux arguments les confortaient dans cette position : une chapelle dédiée à Walhère aurait existé à Bouvignes dès 1320 et la châsse en bois du saint aurait été réalisée à l'abbaye de Waulsort vers 1320. On sait en effet qu'une léproserie de Bouvignes, située au lieu-dit Conart ou Conneau, existait en 1289 et que dès 1320 il est fait allusion à une chapelle de la léproserie ('). Par ailleurs, un acte de 1681 mentionne cédé puisqu'un autre doyen de Florennes est cité en cette année, dans l'acte d'incorporation de l'église de Gourdinne au chapitre de Fosses (éd. A.H.E.B., 1867, t. IV, p. 406-407). (1) L'église d'Onhaye fut incendiée au début juillet 1554 par les troupes du roi de France Henri II qui, lors de la même campagne, prirent et rasèrent Bou• vignes. Sur cette campagne, voir notamment J. DARIS, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège pendant le xvi" s., Liège, 1884, p. 159-162; L.-E. HALKIN, Contribution à l'histoire de Georges d'Autriclie, prince-évêque de Liège (1544-1557), dans R.B.P.H., 1936, t. XV, p. 951-980, en particulier p. 967-968 et 971-975; L.- E. HALKIN, Histoire religieuse des règnes de Corneille de Herghes et de Georges d'Autriche, princes-évéques de Liège (1538-1557), Paris-Liège, 1946; P. HARSIN, Études critiques sur l'histoire de la principauté de Liège, 1477-1795, t. 111, Liège, 1959, p. 117-135, surtout p. 128-130. Les archives provenant de la cure d'Onhaye actuellement conservées aux Archives de l'État à Namur (A.É.N., Archives Ecclé• siastiques, 2411) sont donc toutes postérieures à 1554: un document de 1566 et quelques autres datant d'après 1625. (2) Relevé dans ROLAND, Walhère, p. 235-236 et passim ; JANUS, Onhaye, p. 50- 52. (3) La léproserie de Conart («les Malades» de Bouvignes) est citée dés 1289 dans les cens et rentes du comte de Namur (éd. D. D. BROUWERS, L'administra• tion et les finances du comté de Namur, du xiii" au xv' s. Sources, t. 1 : Cens et rentes du comté de Namur au xilf s., vol. II, 2' partie [Namur, 1911], p. 328: Frères Giles des Malades de Bouvigne). La chapelle est mentionnée en 1320 ; cfr J. BoRGNET, Cartulaire de la commune de Bouvignes, t. I, Namur, 1862, p. 36, n. 6. Voir, en dernier lieu, Fr. JACQUES, L'archidiaconé d'exception de l'abbaye de Leffe et les cures à la collation de son abbé, dans Analecta Praemonstratensia, 1956, t. XXXII, p. 228-276, et 1957, t. XXXIII, p. 40-60 (aux p. 251-252), et Ph. ANSE- LIN, Histoire de Bouvignes-sw-Meuse, des origines à 1410, mémoire de licence en 36 A. DIERKENS que la maladrerie de Conart était en ruines mais que l'oratoire était préservé ; on y célébrait des offices à S. Walhère ('). Le chanoine Baix, plus prudent que ses successeurs, en déduit que « si l'on pouvait avec certitude identifier la chapelle de la léproserie de Bouvignes avec la chapelle de St-Walhère qui était bâtie sur les dépendances de la léprose• rie, on tiendrait une preuve qui remonterait au xiv'' s. de la dévotion à S. Walhère au lieu même de sa naissance » (2). En bonne critique, cette hypothèse audacieuse ne peut être retenue. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'à la fin du xvii'' s., au moment où Walhère bénéficie d'une faveur particulière (*) et où sa Vita est bien connue {*), on célèbre des offices

Histoire U.L.B., inédit, 1980, p. 171-172. Voir aussi les indications de Fr. BAIX, S. Walhère à Onhaye, dans Vers l'Avenir, 23 juin 1932, p. 1 et 2, et JANUS, Onhaye, p. 61-62. (1) J. BoRGNKT, Cartulaire de la commune de Houvignes, t. 11, Namur, 1862, p. 227, n. 2 (et suite de la n., p. 228) ; sur ce passage de l'acte de 1681, cfr en dernier lieu, JANUS, Onhaye, p. 62-63. Cette chapelle, encore préservée en 1681, ne fut pas longtemps en activité puisqu'en 1691, Lambert Krgo, prêtre de l'église déca- nale de Bouvignes, peut écrire, dans son long poème consacré à la vie de Walhère (éd. JANUS, Onhaye, p. 115-126, à la p. 126), que le «petit oratoire qui du grand Saint Vohy retenoit la mémoire» (oratoire érigé au flanc de la léproserie) est mis «à rez de terre» à cause de la guerre et qu'il «n'en demeure plus debout qu'un seul pignon, témoin du lieu sacré de son aymé patron » ; Krgo ajoute même que « la ruine en perdra la mémoire ». De fait, en 1788, M. Galliot signale qu'il y avait «anciennement lors des remparts, un hôpital pour les lépreux avec une chapelle» mais qu'il n'en reste rien (voir M. GALLIOT, Histoire générale, ecclésiastique et civile de la ville et province de Namur, t. III, [Liège, 1788], p. 27.'>-276, qui démarque partiellement J.-B. OR MARNE, Histoire du comté de Samur, Liège-Bruxelles, 1754, p. 227-228). Selon toute apparence, il ne subsiste aujourd'hui aucun élé• ment de la léproserie et de la chapelle de Conart; cfr A. LANOTTF. et M. BLAN- LAiN, Houvignes-sur-Meu.se. Vi.sages présents et à venir d'une cité médiévale, Bruxelles, 1975-1978 (= Bulletin de la Commission Royale des Monuments et des Site.i, 1978, n.s., t. VII). (2) F. BAIX, S. Walhère à Onhaye, loc. cit. (3) C'est des années 1631-1680 (Jean Auxbrebis) et 1680-1739 (Jean Porineau) que datent de nombreux miracles attribués à l'action de S. Walhère ; voir, en particulier, la publication par les bollandistes d'un recueil de miracles rédigé par Jean Auxbrebis: AA.SS., Junii, t. V, p. 529-530. Des reliques de Walhère ont été données à Dinant et à Bouvignes, respectivement en 1644 et vers 1640 (cfr JANUS, Onhaye, p. 96 et 126) ; une confrérie St-Walhère fut érigée à Onhaye en 1628 et 1634 (AA.SS., .lunii, t. V, p. ,531-,532); la visite des reliques de Walhère fut effectuée en 1675 par Mgr de drobbendonck, évèque de Namur; etc. (4) Même si la Vita de Gilles Monin (1603) ne fut publiée qu'en 1707, la vie de saint Walhère était bien connue pendant tout le xvii' s., notamment à la suite des dons de reliques mentionnés dans la note précédente. Relevé des publications du xvii' s. mentionnant S. Walhère dans ROLAND, Walhère, p. 238-243. L'ESSOR DU CULTE DE s. WALHèRE 37 particuliers en son honneur à Bouvignes. Rien ne permet d'affirmer que la chapelle était dédiée à Walhère depuis le xiv'' s. (') ; encore faudrait-il prouver, comme le remarque le chanoine Baix, que la chapelle de 1681 est bien celle de 1320 ... Le second argument, apparemment plus fort et unanimement retenu, relève de l'histoire de l'art. La Vita de Walhère rapporte, on s'en sou• viendra, que, sous Henri VII (c.-à-d. entre 1308 et 1313), le corps de Walhère avait été porté à Waulsort. Une mauvaise lecture du texte (^) a conduit les historiens et les hagiographes à affirmer que c'est à cette occasion (et à Waulsort) que fut réalisée la première châsse, en bois, de Walhère ('). Cette châsse — on le sait par des descriptions de première main et par une gravure ancienne — était composée de deux groupes de trois panneaux sculptés : le premier groupe représentait le martyre du saint (le meurtrier traversant la Meuse; le moment de l'assassinat; le transport du corps vers Onhaye) ; le second, trois allégories de la ré• demption (*). Après la confection de la nouvelle châsse en 1675 (châsse actuelle) (^), les trois panneaux relatifs à Walhère et l'un des trois pan-

(1) A ma connaissance, la première (et seule) mention de la dédicace de cette chapelle à saint Walhère est donnée par Henschenius dans son édition de la Vita (AA.SS., Junii, t. V, p. 524), donc à quelques années près en même temps que l'acte de 1681 mentionné supra, p. 36, n. 1 (note où je signale aussi qu'en tout cas, la chapelle semble avoir disparu dès 1691). Cfr cependant, infra, p. 38, n. 4 une possible mention en 1474. (2) Je n'insiste pas sur les opinions des différents historiens qui se sont penchés sur le dossier de Walhère et qui, tous, expliquent que la Vila de Walhère fait erronément allusion à un conflit entre Namurols et Liégeois sous Henri Vil (1,308-1313) et qu'il faut corriger cette affirmation: l'hagiographe veut à l'évi• dence parler des fameux événements de 1319-1322. C'est possible, mais rien ne le prouve. (3) Opinion défendue, en dernier lieu, par JANUS, Onhaye, p. 79 et 95, suivi par HoF.x, Recherche iconographique, p. 226 et Walhère, p. 27-28. Ces erreurs procè• dent des Natales sanctnrum Helgii (\595) de Molanus, dont il sera amplement question plus loin : la notice de Molanus s'achève par la mention de la translation des restes de Walhère. mis à l'abri à Waulsort, et des bienfaits que cette abbaye a retirés de ce séjour des reliques. La Vila de Monin (1603) précise bien que le corps de Walhère revint ensuite à Onhaye, ubi fereiro ligneo (...) marlyrium eius- dem incisum est (Vila; éd. Junii, t. V, p. .524). (4) La description détaillée la plus ancienne est celle de Papebrochius, dans son édition de la Vita de Walhère de 1707 (témoignage de première main), qui déve• loppe la rapide mention de Monin (Vila; éd. AA.SS., Junii, t. V, p. ,524). Les deux gravures du xvii' s., mentionnées supra p. 31, n. 3 présentent une vue, sous la nouvelle châsse de 1675 et le chef-reliquaire, d'un côté de la châsse de bois (les trois panneaux relatifs à la vie de Walhère). (5) Cette nouvelle chà.sse fut réalisée après la reconnaissance des reliques par l'évèque de Namur en 1675 (supra, p. 36. n. 3); voir, en premier lieu, AA.SS., 38 A. DIERKENS neaux de l'autre ensemble ont été insérés dans un retable placé au-des• sus de l'autel de la petite chapelle de Bonair à Onhaye, chapelle bâtie à l'endroit où, selon la légende, les génisses qui transportaient le corps du saint ont marqué un arrêt ('). Ces panneaux sont conservés et mérite• raient un examen très attentif (pl. III). On ne procédera pas ici à cet examen (^) mais, sans vouloir demander trop de précisions chronologi• ques à une sculpture « populaire » on peut affirmer que ces panneaux ne peuvent remonter au xiv'' s. : la conception de l'espace, le traitement des plis des vêtements, la disposition des scènes, les vêtements et bâti• ments représentés renvoient aux environs de 1500 ou au premier quart du xvf s. au plus tôt. Si donc rien ne prouve l'existence d'une chapelle dédiée à S. Walhère à Bouvignes avant le xvii" s., si la châsse destinée à contenir ses restes ne peut être antérieure aux environs de 1500 et si tous les éléments positifs du culte sont postérieurs à 1474 ou 1487 (*), il faut abandonner l'hypo• thèse gratuite de la continuité d'un important culte local.

Le culte de S. Walthère à la fin du XV' et au XVl" siècle. Mon propos n'est évidemment pas de faire de l'hyper-critique en niant l'existence réelle d'un Walhère enterré à Onhaye et d'une légende liée à sa tombe. Il est plutôt de suggérer que la vraie genèse du culte de S. Walhère fut plus tardive qu'on ne l'a prétendu et d'en préciser quelques étapes. En 1487 et en 1495, l'église St-Martin d'Onhaye est dite dédiée à S. Walhère, par un fréquent raccourci consistant à omettre le saint titu-

Junii, t. V, p. ^24 et, en dernier lieu, JANUS, Onhaye, p. 81 et \5^; HOEX, Recherche iconographique, p. 20f> et 227, et HOF.X, Walhère, p. 28. (1) Sur cette chapelle de Bonair, voir J4A.SS., Junii, t. V, p. 524, et les ren• seignements recueillis par JANUS, Onhaye, p. 96 et 145. (2) Je tiens ici à remercier M"" L. Hadermann et M. P. Philippot, professeurs à rU.L.B., qui ont bien voulu examiner avec moi des photographies de ces pan• neaux et qui ont, indépendamment l'un de l'autre, proposé la même datation et les mêmes arguments. (3) La méthodologie de la sculpture populaire a fait l'objet de nombreuses études d'histoire de l'art. On en trouvera un remarquable exemple dans P.-J. FOULON, IM sculpture populaire. Analyse d'un cas: le calvaire du Bois du Grand Bon Dieu à Thuin, Bruxelles et Louvain, 1972, en particulier les p. 5-34 (historio• graphie et méthodologie). (4) La date de 1474 est donnée sous réserve, d'après JANUS, Onhaye, p. 62 (la chapelle de la léproserie de Bouvignes serait citée, à cette date, comme dédiée à saint Walhère; mais Janus ne donne aucune source et je ne connais pas cette mention). La date de 1487 est sûre: dans un acte du 26 avril 1487 relatif à un rachat de cens à « l'église et fabrique de Saint-Walhier d'Onhaye », l'église d'On• haye est représentée par Jacques de Spontin (A.É.N., Archives Ecclésiastiques, 3126 (= cartulaire de Moulins), p. 428; cfr BOLAND, Walhère, p. 234). L'ESSOR DU CULTE DE S. WALHèRE 39 laire (général) au profit du saint local (particulier) ('). Dès le début du xvi'' s., on voit apparaître le prénom de Walhère parmi les habitants d'Onhaye {^). En 1531, il est fait allusion à un « patrimoine de S. Walhè• re» ('). Rien avant la fin du xv"' s. et, dès ce moment, un grand nombre de mentions. Pourquoi le culte de Walhère se manifeste-t-il soudain et avec une telle vigueur? Seule une enquête approfondie sur la vie reli• gieuse à l'abbaye de Waulsort pendant le long abbatiat mouvementé de Jean de Bouvignes entre 1461 et 1489 (*) permettrait une réponse. En tout cas, en 1487 (ou, au plus tard, en 1495), l'abbaye de Waulsort avait abandonné le patronat d'Onhaye au profit du nouveau collateur, Jac• ques de Spontin, qui figurait précisément en 1487 comme représentant de la fabrique St-Walhère de l'église d'Onhaye (5). Ces éléments chronologiques poussent à proposer l'hypothèse suivan• te. En abandonnant ses droits principaux sur l'église d'Onhaye, l'ab• baye de Waulsort a favorisé le développement d'un culte local qui exis• tait à l'état latent, centré d'abord sur la tombe de Walhère (') puis sur son reliquaire ou, plutôt, ses reliquaires : premier chef-reliquaire (') et châsse à panneaux de bois polychromes. C'est en s'appuyant sur la tradition orale en vigueur à Onhaye (et à Waulsort?) que furent sculp• tés les trois panneaux relatifs à la vie de Walhère : première Vita du saint (Vita figurée, non-écrite), qui fixe dorénavant les grands traits de son histoire. C'est cette première version, dans toute sa simplicité, qui servit de source à J. Molanus (t 1585) pour la notice de ses Natales sandorum Belgii, dont la première édition, posthume, date de 1595 (*):

(1) Dans un acte du 12 janvier 1495, relatif au cens racheté en 1487, les mam- bours de l'église «de Saint-Ouhieni d'Onhaye sont .Jacques de Spontin, Martmon d'Onhaye et Jean le Marisehal (A.É.N. Arcli. ecclésiastiques, 3126, p. 429; cfr ROLAND, Walhère, p. 234, n. 2). (2) ROLAND, Walliére, p. 236; JANUS, Onhaye, p. 50-31 (qui donnent les réfé• rences aux actes). (3) ROLAND, Walhère, p. 234-235 (d'après A.É.N., Échevinages, 338 (= Anhée, Transports, 2), f" 106; JANUS, Onhaye, p. 50-51. (4) BERLIèRE, Monaslicon Belge, t. I, p. 47 et 168 ; LAHAYE, Waulsort, p. 360- 361. (5) Actes mentionnés supra, p. 38, n. 4 et p. 39, n. 1. (6) La sépulture au milieu du chœur (cfr AA.SS., Junii, t. V, p. 523) ne peut être l'endroit premier de la tombe de Walhère ; on peut, à la rigueur, supposer que l'endroit considéré comme lieu de sépulture originel de Walhère — et sur le• quel Pierre de Harroy fera poser son cénotaphe en 1552 — correspond à un dépla• cement du cercueil de Walhère, première manifestation du culte. (7) C'est-à-dire celui qui est mentionné en 1603 et qui précède donc le chef- reliquaire actuel, de 1675; cfr supra, p. 31, n. 3. (8) J. MOLANUS, Natales sandorum Belgii et eorundem cronica recapitulatio, Louvain, 1595, p. 126. Sur cet ouvrage et la date de sa composition, voir l'intro• duction, due à P. F. X. DE RAM, à son édition des Herum Looaniensium libri 40 A. DIERKENS

Molanus précise en effet sa source unique : ex ledionibus quas ab Onha- niensi ecdesia accepiQ). On peut préciser la date à laquelle Molanus reçut ces renseignements: entre 1573 et 1585. Le terminus post quem se déduit facilement de la constatation suivante; VIndiculus sandorum Belgii — liste (que Mola• nus souhaihait exhaustive) annexée à la seconde édition par Molanus du martyrologe d'Usuard ne mentionne pas, au 23 juin, la mort de Wal- hère (^). Or, en 1595 (mais le manuscrit est antérieur à 1585), dans les Natales et dans le Calendarium belgicum qui précède ces Natales, c'est Walhère qui tient la première place, précédant, à la date du 23 juin, Marie d'Oignies, Hidulphe de Lobbes et Lietbert de Cambrai, cités tous trois en 1573 ('). Il est vraisemblable que le curé d'Onhaye a transmis à Molanus un bref texte sur Walhère après avoir constaté l'oubli de VIndi• culus de 1573. Le texte dont disposait Molanus transcrit la tradition orale en vigueur à Onhaye et glose donc les panneaux de la châsse en bois. Walhère est appelé doyen (fonction que Molanus interprète, faute de renseignements plus précis, comme archiprêtre et non comme doyen de doyenné rural) et il a été tué par le prêtre, presbyter, d'Hastière (*) ; il n'est fait aucune mention de cénotaphe de Pierre de Harroy et, surtout, le récit transmis par l'inscription de 1552 n'est pas retenu (Walhère, curé d'Onhaye et d'Hastière, aurait été tué par le chapelain d'Hastière). Il ne peut s'agir d'un simple oubli — puisque le curé d'Onhaye qui écrit à Molanus voyait tous les jours ce cénotaphe au milieu du chœur—mais d'une omission volontaire : à Onhaye, on refusait la version donnée par Pierre de Harroy.

XIV (1582) : J. MOLANUS, />e.ç quatorze livres sur l'histoire de la ville de iMoain du docteur et professeur en théologie Jean Molanus, t. I, Bruxelles, 1861, p. xxxix- XLI. (1) MOLANUS, Natales, p. 126: ces tectiones ne sont pas les leçons d'un office particulier qui aurait été en usage à Onhaye en faveur de saint Walhère (voir la démonstration de ROLAND, Walhère, p. 238-239), mais probablement une lettre du curé d'Onhaye, alors Guillaume Frerart (1,"164-1,'575) ou Jean de Malaise (1.576- 1631). Sur ces deux curés d'Onhaye, voir JANUS, Onhaye, p. 140-1,50. (2) J. MOLANUS, Indiculus sanctorum Helgii, paru en annexe à Usuardi marty- rologium, quo Romana ecdesia ac permuttae aliae utuntur, 2' édit., Louvain, 1573. (3) MOLANUS, Natales, p. 126 et Calendarium belgicum ex Helgico (...) martyrolo- gio collectum, au 23 juin. Marie d'Oignies, Hidulphe et Lietbert étaient mention• nés dans VIndiculus de 1573 (p. 104). (4) .Je fais d'emblée remarquer que l'iconographie de la châsse en bois fait de Walhère et de son meurtrier deux ecclésiastiques revêtus des mêmes vêtements sacerdotaux (soutane et surplis), assurément pour ne marquer aucune différence de statut entre les deux hommes (voir, mais avec une interprétation différente, les remarques de JANUS, Onhaye, p. 83). L'ESSOR DU CULTE DE S. WALHèRE 41

Cette double tradition, antagoniste, se retrouve dans la Vita écrite par Gilles Monin en 1603 ; le jésuite namurois, mieux renseigné que Molanus (il s'était rendu sur place, avait vu la châsse et le cénotaphe et avait bénéficié des avis des curés d'Hastière et d'Onhaye), n'hésite pas sur le sens de la fonction de decanus: concilii Florinensis decanus canonice est (Walherus) institutus {^). Sur la mort de Walhère, il retient la version d'Onhaye (2) mais cite celle d'Hastière (^). A Hastière, on tente de «ré• cupérer» Walhère, à la fois en en faisant le curé de la paroisse et en dégradant l'assassin de prêtre à vicaire d'Hastière. A Onhaye, par contre, le cumul de deux charges paroissiales, de surcroît relevant de deux doyennés et de deux archidiaconés différents, est impensable puisque le saint aurait alors enfreint les décisions conciliaires encore répétées peu auparavant A première vue, on comprend mal pourquoi Pierre de Harroy, curé d'Onhaye, défend (ou, peut-être même, crée) la version d'Hastière. La solution est pourtant évidente : Pierre de Harroy était né à Hastière et nombreux sont ses parents qui occupent des fonctions publiques dans cette localité (*). Possédant des attaches familiales à Bouvignes (^), cumulant les fonctions pastorales d'Onhaye et décanales de Florennes, Pierre de Harroy a voulu (consciemment ou non) s'identifier à Walhère : chacun des mots de l'inscription gravée sur le cénotaphe le glorifient personnellement en l'associant point par point au saint. Le chanoine Roland considérait l'inscription de 1552 comme une source supérieure à la Vita de Gilles Monin. Tout au contraire, je la crois fondamentalement intéressée et orientée. La légende de Walhère telle qu'elle était véhiculée à Onhaye est celle qui fut sculptée sur la

(1) Vita, éd. /lyl.SS., Junii, t. V, p. 523. (2) Si Monin fait de l'assassin de Walhère, le neveu du saint, c'est probable• ment dans le désir d'expliquer à quel titre Walhère se rendait à Hastière, dans un doyenné qui n'était pas de son ressort et chez un prêtre sur lequel il n'avait donc aucune autorité. L'expédient du lien de famille s'imposait d'évidence. (3) Voir le passage cité supra, p. 30, n. 1 : le scribunt, forme plurielle, fait allusion à deux des sources de Gilles Monin : le cénotaphe de 1552 et la lettre qu'il reçut du curé d'Hastière (voir p. 31). (4) Le cumul des charges paroissiales avait encore été condamné au concile de Trente (Sess. 24. chap. 17); cfr ROLAND, Waltière, p. 253. (.5) Sur la famille de Pierre de Harroy, renseignements dans ROLAND, Wathére, p. 237, n. 8-9 et .IANUS, Ontiaye, p. 136-140. Son père, Guillaume de Harroy, fut échevin d'Hastière de 1518 à 1528, tout comme le fut son frère Bertrand, de 1557 à 1.566. (6) C'est un des cousins germains de Pierre, nommé aussi Pierre de Harroy, qui fut maïeur de Bouvignes de 1540 à 1573, c'est-à-dire notamment pendant les troubles et les guerres de 1.554 ; Jacques de Harroy, fils de ce Pierre, fut d'ailleurs tué au siège de Bouvignes de 1.554. Cfr aussi BORGNRT, Carlulaire de Bouvignes, t. 1, p. 283, n. 1. 42 A. DIERKENS châsse en bois et qui fut transmise à Molanus avant 1585. En ce sens, l'incendie de 1554 qui, détruisant les archives paroissiales ('), a laissé le bénéfice du doute à la version gravée en 1552, a sans doute été providen• tiel pour Pierre de Harroy en lui permettant, sans contradiction possi• ble, de profiter d'une assimilation à Walhère. Le tableau suivant—quelque peu simplificateur, notamment parce qu'il ne tient pas compte de l'évidente évolution de la tradition orale — résume mon hypothèse :

tradition orale à Onhaye y,^

cénotaphe — tradition à de 1552—— Hastière

\ \ \ \ \ curé d'Onhaye curé d'Hastière rencontré par rencontré par Gilles Monin Gilles Monin (vers 1600) («) (vers 1600)0

Vila de saint Walhère, consignée par Gilles Monin (1603)

* * * L'examen du dossier historique et hagiographique de S. Walhère a- vant le xvii' s. autorise à rappeler trois remarques méthodologiques élémentaires et fondamentales:

(1) Aux références générales données supra, p. 35, n. 1, on ajoutera, pour Onhaye, AA.SS., Junii, t. V, p. ,524-525; ROLAND, Walhère, p. 238 (un nouvel incendie détruisit la cure d'Onhaye en 1914; ibidem, p. 243, n. 17); JANUS, Onhaye, p. 139-140. (2) Le curé était alors Jean de Malaise (1547-1637, curé de 1.576 à 1631), dont la vie est bien connue. Voir JANUS, Onhaye, p. 142-150. (3) Le curé d'Hastière était alors Jean Redu, ancien coadjuteur du curé de Givet, et mentionné à Hastière en 1603 et 1606; cfr ROLAND, Walhère, p. 242 et 251. L'ESSOR DU CULTE DE S. WALHèRE 43

— l'importance, à côté des écrits hagiographiques, de l'iconographie et des monuments figurés dans la transmission et le développement d'un culte (dans le présent cas, la châsse des environs de 1500 et le cénotaphe de 1552, antérieurs à la première Vita écrite); au même titre que les écrits hagiographiques, l'iconographie fixe un état de la tradition mais, en étant moins limitative et moins coercitive que les sources écrites, univoques, elle permet des interprétations différentes et autorise donc l'évolution (ou la récupération) du récit (') ; — l'intérêt de « l'étude systématique des désaccords au sein des concor• dances » (ici, les versions différentes de la mort de Walhère), « de ce que les hagiographes ont repris, laissé et modifié de leurs sources et de la façon dont leurs adaptateurs les ont eux-mêmes suivis, aban• donnés et transformés » (") ; — la distinction fondamentale, dans la démarche de l'historien, entre la réalité d'un personnage (ici, Walhère, dont l'existence échappe tota• lement à l'historien) (') et le contenu du récit (des récits) de la vie de celui-ci. Dans le premier cas, il est vain — et non légitime — de dé• velopper à l'envi des hypothèses indémontrables {*) ; dans le second, chacun des récits doit être expliqué tant par sa dépendance vis-à-vis des traditions antérieures que par sa place et son rôle au moment de la rédaction.

Université Libre de Bruxelles Alain DIERKENS Rue Sans Souci llOi B 1050 BRUXELLES

(1) M. CoENS, L'image comme vétiicule de l'erreur historique, dans Bulletin de ta Classe des I^ettres [de /'] Académie Royale de Belgique, 1966, 5' sér., t. LXX, p. 135- 149. L'importance de l'iconographie dans la constitution de légendes hagiogra• phiques a encore été récemment rappelée à propos de S. Sébastien ; voir le catalo• gue S. Sébastien, Paris, Musée des Arts et Traditions Populaires, 1983-1984, p. 17 et passim. Voir aussi les exemples spectaculaires cités dans Les saints et les stars. Le texte liagiographique dans la culture populaire, sous la dir. de J.-Cl. SCHMITT, Paris, 1983, en particulier l'article de S. Denefle sur S. Dilboan. (2) L. GENICOT, Discordiae concordantium. Sur l'intérêt des textes liagiographi- ques, dans Bulletin de ta Classe des Lettres [de l'[ Académie Royale de Belgique, 1965, 5' s., t. LI, p. 65-75 et p. 80. (3) Exemples similaires mis en évidence, dans un article remarquable, par M. CoENS, Geneviève de Brabant, une sainte ? Le terroir de la légende, dans Bulletin de la Classe des Lettres [de /'] Académie Royale de Belgique, 1960, 5' s., t. XLVI, p. 345-363. (4) A rapprocher, pour la méthode, des propositions de J. STENGERS, La forma• tion de la frontière linguistique en Belgique ou de la légitimité de t'hypotfièse histori• que, Bruxelles, 1959, en particulier p. 5-9 et 51-53.