Eugène SALLE

SEGRY : Son Terroir et ses Habitants au cours des Siècles

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Eugène SALLE

SEGRY : Son Terroir et ses Habitants au cours des Siècles

TABLE DES CHAPITRES

PAGES PRELIMINAIRES : SEGRY, LE PAYS 9 Coup d'œil d'ensemble. Relief et Eaux. Aptitudes agricoles, Lieux-dits (Carte). I. — SEGRY AU PLUS LOINTAIN DE SON PASSE i5 Tumulus de la Prée. Chaussée de César. Premiers châ- teaux-forts. II. — LES FONDATIONS RELIGIEUSES AU 12e SIECLE 21 L'Abbaye de la Prée. Les 2 églises paroissiales (3 planches). III. — LES SEIGNEURIES DU PAYS 3i Mareuil. La Croisette. La Prée. Chouday (Carte). IV. - LE CONTRE-COUP LOCAL DES GUERRES CIVILES.... 67 Le combat de la Prée. Misère et ruines. L'incendie de 1653. V. — TERROIRS ET HOMMES DE GLEBE (1453-1661) 55 Notes sur Faucherine, Fay, Prault, la Brosse, Brissantier, Luc, le Vergeon. La condition des terriens. VI. — SOUS L'ANCIENNE MONARCHIE 63 Curés et Syndics. Les registres paroissiaux. Les vieilles familles. Variations de population. VII. — LES IMPOTS DES PAYSANS 73 La dîme. Les redevances seigneuriales. La taille. La capi- tation. Les aides. La gabelle. VIII. — NOTRE AGRICULTURE AU 1se SIECLE 85 Les défrichements. Cultures et rendements. Prés et four- rages. L'élevage. Les bâtiments d'exploitation. Le marasme de l'agriculture. IX. — LA CONDITION PAYSANNE AU ise SIECLE 93 Domestiques de culture. Journaliers. Métayers et fermiers. X. — LA PREE ET SEGRY IL Y A 2 SIECLES io3 L'Abbaye, du 17e Siècle à la Révolution. Ségry et ses habi- tants à la même époque (1 plan, 1 carte). XI. — LE DEBUT DE LA PERIODE REVOLUTIONNAIRE .... 119 Les Cahiers de doléances. Les Municipalités. La vente des Biens Nationaux. XII. — LA GUERRE ET LES REQUISITIONS AU TEMPS DE 129 LA REVOLUTION Les volontaires. La levée en masse. La conscription, Les réquisitions de grains et de main-d'œuvre, XIII. — LA QUESTION RELIGIEUSE ET L'ETAT D'ESPRIT AU TEMPS DE LA REVOLUTION 13g XIV. — SEGRY-GOUERS AU DEBUT DU 1ge SIECLE 167 Les guerres napoléoniennes. La Restauration. La vie des terriens à cette époque. XV. — CENT ANNEES D'ACTIVITE MUNICIPALE i5y Les municipalités successives. Eglise et cimetière. Ecole. Chemins. Postes et téléphone. Electrification. Aide sociale. XVI. — L'AGRICULTURE A SEGRY DURANT LES CENT DER- NIERES ANNEES 169 Progrès à partir de 1830-1840. Années de prospérité. La crise (1875-1895). La physionomie d'une ferme entre 1880 et 1890. Révolution agricole au XXe Siècle. AVANT-PROPOS

Quant survint la débâcle de 1940, il manquait encore à cette étude, la substance de deux chapîtres : l'un sur la guerre de 1914-18 dans le cadre local ; l'autre sur le mouvement de la population com- munale et les changements de propriétés, de la Révolution à nos jours. Leur documentation eût demandé sur place de longues et patientes investigations. Ces recherches, il n'était plus possible de les entre- prendre à la libération, en raison des conditions de vie issues de il a défaite. L'âge des longs espoirs étant passé, je me décide à présenter aujourd'hui, sous une forme bien peu propice à sa diffusion, un ouvrage légèrement tronqué et dont, par surcroît, les repères de vie économique, chiffrés sur 1938, ont déjà singulièrement vieilli. Il reste du moins la partie historique : quel en est ici l'objectif ? Le cercle restreint de lecteurs qui feuillettera ce livre n'y trouvera point de récit romancé ni de généalogies seigneuriales. Nous nous sommes attaché surtout à la vérité sur documents, dans le cadre d'une histoire rurale, et parfois purement agricole. Les terriens occupent donc ici la première place : c'est leur ascension que nous suivons ; ce sont leurs peines et leurs espoirs que nous aurions voulu faire revivre. Mais à plusieurs reprises, nous nous sommes heurté au manque de renseignements directs. Ainsi, le Ségry du Moyen-Age ne nous est guère connu que par les « dénombrements » seigneuriaux du 18e siècle, et surtout, aux archives départementales, par le fonds de la Prée. Les propriétés de cette abbaye, dissérninées à l'extrême, nous ont souvent entraîné hors des limites communales. Mais la Champagne d'à côté ressemble à celle de chez nous, et il ne semble pas que ces brèves incursions nuisent à l'unité de l'exposé. Au lieu d'être présentés une seule fois et en bloc, les différents sujets d'étude tels qu'abbaye, église, administration, baux de ferme, pratiques culturales... etc, réapparaissent à plusieurs reprises, sous les aspects et avec les caractères que leur imprime successivement le cours des âges. Amenés et expliqués par les événements nationaux, ces faits locaux à leur tour particularisent et colorent l'histoire de la province et celle de la . Ainsi la vie de la petite patrie s'intègre constam- ment dans celle de la grande. C'est une attache que renouent ici de façon visible tous les débuts de chapitre. Un devoir agréable me reste à remplir, c'est de remercier tous ceux qui m'ont aidé. A Châteauroux : M. Lacour, dont la science de chartiste fut souvent mise à contribution ; Mme Daude, secrétaire aux Archives, qui me déchiffra nombre de graphies obscures ; M. Thibault, Conservateur de la Bibliothèque municipale, pour son choix averti d'ouvrages de fond. A Ségry, tous les concours m'étaient acquis. Mon frère fut pour moi l'agent de liaison rêvé et mon guide en matière d'agriculture. M. Sornin, le Maire d'alors, m'ouvrit toutes grandes la Mairie et les archives communales. Mon ami Pataut, que 25 années de dévouement professionnel incorporent au pays, éclaira tous les points obscurs de ma documentation sur place. Mme Victor Proudhon et M. de Vauzelle m'ont révélé Gouers et la Prée. Que de renseignements dois-je de même à ces compagnons de la prime jeunesse : Jean Filloux, glorieux rescapé de la Grande Guerre ; Jules Teinturier, Henri Fauveau, Mme Bret... et combien d'autres ! En réponse à tant de sympathies actives, je ne peux que formuler un souhait : c'est que la lecture du présent travail ne soit pas trop décevante, et que mes compatriotes en particulier, puissent y trouver un peu de l'attachant intérêt que j'ai pris à évoquer l'existence de nos communs ancêtres.

EUGENE SALLE.

Châteauroux, 1937-1943. CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

Ségry : le Pays

1) COUP D'ŒIL D'ENSEMBLE ET CONFIGURATION.

En marchant d' dans la direction du Sud-Est, on s'engage bientôt sur un vaste plateau qui s'étend, sans rides appréciables, dès deux côtés de la route de Lignières. Mais à partir de Prault, le soi s'abaisse faiblement vers le bourg de Ségry, pour se relever au delà et former, vers le Vignot, Rezay, Brissantier et Luc, un large glacis, dont la pente opposée descend à l'Arnon. Qu'on imagine, perpendi- culairement à la direction suivie, une transversale incurvée de Soulas aux Feuillis : cette ligne suivrait à peu près l'Arnon jusqu'à Gouers puis, gagnant l'orée du bois de Châtain et la lisière de Chœurs, borde- rait partout une zone de verdure qui coïncide, à quelques cents mètres près, avec les limites confondues de la Commune et du département. La poche, formée par Ségry dans le département du Cher, est contournée par les communes de Chezal-Benoît, Mareuil et St-Ambroix, et fermée du côté de l' par celle de St-Aubin et de Chouday. A Ségry, nous ne sommeSI loin, ni du centre géométrique de la France, ni du méridien d'origine Paris-Bourges. Même situation quasi médiane par rapport au pôle et à l'équateur. Notre bourg se situe ainsi par 0 G 28' de longitude ouest, et 52 G 10' de latitude nord. Dix kilomètres 1<3 sépare d'Issoudun, son chef-lieu de canton. Cette ville en est d'ailleurs comme la métropole, à cause de l'égal éloignement de Châteauroux et de Bourges. La commune s'étend sur 3.305 hectares. Sa population, au recen- sement de 1936, était tombée à 594 habitants, ce qui ne fait que 18 ha- bitants au kilomètre carré, alors que l'Indre en compte 36 et la France 75. Lorsqu'on examine les limites de la commune sur une carte, on se rend compte que son territoire dessine une ove irrégulière orientée N.E.-S.O., la grande dimension étant comprise entre Soulas et Fay, distants de 8 kilomètres. Il s'en détache au sud une sorte d'appendice boisé, dont la pointe est marquée par le carrefour de la Croix-Blanche, en forêt de Chœurs. 2) RELIEF ET EAUX.

Bien qu'accusant nettement le caractère d'une plaine, le territoire de Ségry, vu sa grande étendue, présente quelques différences d'alti- tude. La partie qui s'étale au S.O. de la route de Lignières conserve un niveau presque uniforme : c'est la suite du plateau qu'on traverse en venant d'Issoudun et qui, par Prault et Fay se prolonge jusqu'à la forêt de Chœurs, avec des cotes toujours voisines de 160 mètres. La partie N.E. au contraire est vallonnée par l'Arnon et ses tributaires. Si la croupe de Rezay et le centre du Bois de Luc maintiennent de ce côté le niveau d'ensemble, par contre le Praslin, ruisseau de Ségry, sort de la commune à 140 mètres, et l'Arnon la quitte à 135. Cet important cours d'eau, venu des pentes du Nord du Massif Central (Préveranges), traverse le saillant oriental de notre commune sur 4 à 5 kilomètres de longueur, et va l'ej oindre le Cher près de Vierzon. Il faisait tourner plusieurs moulins, maintenant muets ou démolis : ceux de Gouers et de la Prée, sur le territoire de Ségry, de Nouan à l'entrée dans la commune, de Soulas et d'Harpé à la sortie. Cette rivière irrigue une agréable prairie, largement étalée en face de Gouers, puis resserrée à la Prée, entre un parc magnifique et des pentes garnies de bois. Bien qu'il prenne naisance a plus de 400 mètres d'alti- tude, l'Arnon resterait assez régulier ; mais son lit, mal entretenu, rend, plus qu'autrefois, ses inondations fréquentes et dommageables aux foins, Quant au Praslin, c'est plutôt l'égout du bois de Châtain qu'un véritable ruisseau. Il coule si rarement qu'on découvrirait difficilement sa source en été. Mais à la fin d'un hiver humide, ou par redoublements chJ pluies au printemps, il apparaît aux Riaux, près du Vergeon, à quelque cent mètres du bois. Un fossé l'endigue jusqu'à Ségry, dont il couvre par extraordinaire les ponceaux en temps de crue, puis il s'adjoint, sinon les eaux, du moins le lit de la Prêle, presque toujours à sec. Quoique minuscule, cette rigole mérite d'être mentionnée, car elle marque le milieu d'une dépression, largement ouverte du bourg il la Levée de César. Mais son apport ne grossit pas sensiblement le ruisseau de Ségry, en raison des calcaires fissurés qu'il traverse aussitôt après le confluent des deux lits. Il arrive même que les résurgences de Villaubier entretiennent un filet boueux en amont du bourg, quand le Praslin est déjà tari en aval, dans les prés sécherons de la Brosse. Ce qui frappe en tout cas pour la Prêle et le Praslin, c'est la disproportion qui existe entre la faiblesse de leur débit accidentel et le très ample évasement des thalwegs. Sans doute ces dénivellations adoucies correspondent à des courants souterrains plus proches de la surface, car la profondeur des puits décroit régulièrement du plateau vers ces bas-fonds : si les captages descendent à 30 mètres à Fay, par contre, à Ségry, la nappe d'eau reste assez superficielle pour permettre h fonctionnement d'une pompe aspirante. Notons que ces faibles pentes et ces larges vallons paraissent aux géographes (1) beaucoup plus représentatifs de la Champagne que ne le seraient des plaines absolument unies, où il convient de voir plutôt la forme type du relief beauceron. D'ailleurs ce n'est pas seulement par le modelé du terrain, mais par sa composition et ses produits, que le territoire de Ségry appartient, sans conteste et dans son entier, à la Champagne berrichonne.

(1) Cf. Vacher : Le Berry (étude géographique). 3) SOL ET APTITUDES AGRICOLES.

Le sous-sol de Ségry, de nature calcaire comme celui de toute la Champagne, a été formé par les eaux marines pendant l'ère secon- daire, à la fin de l'époque jurassique. Comme il émergea en même temps que la bande de terrains d'où sort aujourd'hui la Seine, il fait partie de ce qu'on appelle l'étage séquanien. Le calcaire lithographique, qui le constitue dans notre région, est une roche de grain fin, à cassure concave ou convexe, et dont les bancs présentent des interstices plus ou moins marneux. Par endroits, les fragments de surface s'exfolient en minces plaquettes qui, retirées des cultures et amoncelées à main d'homme, constituaient autrefois les perriers de vignes. Les carrières recèlent rarement des mollusques pétrifiés ou des empreintes de végétaux, ce qui incline à penser que nous avons affaire à des formations géologiques de mers profondes Bien que calcaire dans son ensemble, la terre arable n'en présente pas moins des variantes de composition et de propriétés. Sur les pentes du Praslin inférieur, nous la trouvons d'épaisseur très réduite, avec, en surface, quantité de pierres qui l'assèchent et produisent, aux heures brûlantes d'été et par ascension de couches d'air surchauffées, l'illusion de courbes vaporeuses et tremblotantes, qui sont comme un phénomène déformé de mirage. Dans la partie Sud-Ouest de la commune, au contraire, les sols, plutôt limoneux, constituent, en maints endroits, des terres franches. La décalcification aidant, il n'est pas rare qu'on ait besoin, sinon de chauler véritablement, du moins d'alléger quelques terres trop compactes, au moyen de débris de carrière ou de démo- litions. On conçoit qu'entre ces deux extrêmes — « groailles » et « beauces » — la teneur en calcaire doive, selon les endroits, très sen- siblement varier.

A cette étendue cultivée, perméable dans l'ensemble et couvrant la majeure partie de la commune, s'oppose le sol de la forêt et celui des bords de l'Arnon. Les bois de Chœurs et de Châtain présentent un revêtement plus ou moins épais de silex ou d'argile, dont le fréquent excès d'eau rend plus humides les terres de lisière (Les Feuillis, La Pouge, Le Vergeon). La rive gauche de l'Arnon, entre la Prée et Soulas, laisse apparaître à flanc de coteau, un soubassement de calcaire lacus- tre (2), roche jaunâtre et très dure, vermiculée et non lisse comme le calcaire lithographique. Cette pente, que tranche en palier le chemin de grande communication n° 70, est recouverte d'argile, sables et gra- viers, favorables à la végétation sylvestre. La position dominante de ces alluvions anciennes, par rapport au niveau de la rivière, prouve que l'Arnon roulait à la fin de l'ère tertiaire un volume d'eau bien plus considérable qu'aujourd'hui. Quant au fond même de la vallée, ses dépôts actuels, couverts de prés où l'eau stagne souvent, paraissent se transformer assez vite en sol tourbeux.

La végétation spontanée, faite ici de graminées, de rumex, joncs et roseaux, contraste avec celle des pentes boisées de la Prée où, comme en forêt de Chœurs, foisonnent les plantes silicicoles : digitales, fou, gères, bruyères... A nouveau, la flore change complètement sur le pla-

(2) Les colonnes du portail roman de l'église de Ségry proviendraient de ce gîte. teau : les bordures de moissons se frangent de coquelicots, d'adonis et dt; pieds-d'alouette ; la vrille ou liseron verdit les guérets, que la mou- tarde sauvage fleurit de jaune, tandis qu'à côté un reste de jachère se hérisse de panicauts et de bouillons-blancs. Cette plaine révèle des aptitudes agricoles bien déterminées : c'est, dans son ensemble, la terre du blé, de l'orge et de l'avoine, ainsi que des fourrages artificiels. Il est difficile d'assigner à tel terroir une céréale ou une herbe de prédilection. On verra peut-être de plus abon- dantes récoltes : en blé, sur les hauteurs limoneuses de Rezay, en trèfle vers la forêt, en avoine sur les pentes de Brissantier. Mais on peut avancer que l'ensemble des engrais chimiques a unifié, dans une large mesure, des possibilités de culture autrefois plus localisées. Ajoutons que la perméabilité du sol, la qualité nutritive de l'herbe qui croît dans les chaumes et les terres avant labour, permettent ici, comme dans le reste de la Champagne, l'élevage en grand des ovins. Céréales, four- rages, moutons, c'est à cette triple production que travaillent les fer- miers. La tâche se poursuit en des exploitations relativement peu nom- breuses, mais étendues en conséquence : nous sommes en pays de grande propriété, et les petites tenures ou locatures ne totalisent qu'une superficie très inférieure à celle des fermes ou domaines.

4) LES LIEUX-DITS.

Les terres de la commune sont cadastrées en douze sections, chacune d'elles comprenant un nombre très variable de lieux-dits de 4 et 5 (Sections L et M : forêt de Chœurs) à 17 (section G, dite de la Gâtellerie). Il serait fastidieux de citer tous les terroirs qu'identifie leur situation : ce sont les plus nombreux. D'autres sont désignés par leur forme, comme la Pelle (G.I.) ; — par une ancienne particularité de contenu, comme le Champ du Puits (E. 9) ; — par leur aspect physique, tels les Collinettes (D. 10), et les Riaux (G. 13), à cause des ruisselets qui sourdent d'un sol tourbeux ; — par leur végétation spontanée, comme le Génévriau (A. 5), les Brosses (B. 4), dans le sens de brousse, broussaille, mauvais bois ; les Villaubiers (G. 5), à cause des saules ou « aubiers » qui signalent ici le bord du Praslin. Assez souvent aussi, l'appellation nous renseigne sur la composition du sol ; c'est le cas pour les Cailloux (D. 13) et les Sables (D. 14), noms qui spécifient la nature siliceuse d'alluvions anciennes où prospérait le vignoble de Gouers ; — ailleurs, nous trouvons les Pierraudes (G. 7) et les Prous ou Péroux (G. 12). Parfois ce sont les propriétés même du sol, ses réactions aux façons culturales, que met en relief l'appellation du lieu-dit, comme les Grosses Terres (D. 11), les Beauces (E. 11), les Bassies (K. 7). D'autres champs conservent le nom d'un ancien propriétaire : la Fosse à Bourdonnat (D. 3), le Chêne à Guillaume (B. 5), les Terres de Saint- Sulpice (I. 2), qui dépendaient d'une abbaye de Bourges placée sous ce vocable. Enfin dans cette région si nue, où le moindre bosquet semble devoir abriter une aventure sentimentale, nous trouvons près du bourg, le Buisson à l'Amoureuse (F. 7), avec auprès, la pièce du Buisson d'Amour. Mais il est, à Ségry comme partout ailleurs, bien des lieux- dits dont le sens nous échappe, parce que l'origine de leur appellation se perd dans la nuit du passé, tels l'Aubras (E. 7), les Maltraits (D. 6), les Crevantis (G. 8). Certains noms de villages et de fermes parlent à l'imagination, et l'on n'aurait guère idée de placer les Feuillis, le Vergeon, la Merlau- * derie, ailleurs qu'au voisinage des bois. Le petit domaine des Piquets est ainsi dénommé depuis qu'un nommé Jehan Piquet le cultivait au 17e siècle. Même analogie d'origine pour les Avignons (dérivé de Ami- gnon) à la limite de la commune, et sans doute aussi pour celui d'u Mardereau, ou Mardériau comme on disait autrefois. D'autres lieux habités ont changé de nom au cours des âges : par exemple Soulas s'est longtemps appelé Villesauer ; la Censive de Génevrelle (vestige dans le nom de la pièce du Genévriau) est devenue vers 1200 un domaine annexe de l'Abbaye de la Prée, une « grange » comme on disait alors', d'où l'on a fait la Grange d'Arnon, puis les Granges, nom actuel. L'appellation de Prault et de Pralay qui correspond à prairie en latin, reste bien difficile à justifier car ces lieux habités se trouvent sur un plateau perméable et sec. Il se pourrait qu'on ait autrefois rapproché d un pré l'espèce de gazon rude, ou « sarnuée », qu'y forment, lors d'une jachère prolongée, des graminées de terrain sec. Mais on doit convenir qu'avec une langue sur laquelle ont successivement agi les influences celtique, romaine puis germanique, l'origine de certains noms de lieux prête à suppositions autant qu'à déductions certaines. L'étymologie de Ségry paraît mieux assise. La plupart des noms de localités terminés en Y (3) désignent l'ancien lot de terres d'un noble gallo-romain. Il y a 1800 ans environ, alors que florissait près de Saint-Ambroix la riche bourgade d'Ernodurum, un personnage du nom de Ségérius possédait vraisemblablement les alentours du Praslin, depuis la voie romaine jusqu'aux lisières de Chœurs et de Châtain, et son domaine, s'appelait Ségériacum. Le surfixe latin iacum impliquant l'idée de propriété, Ségériacum signifiait les terres de Ségérius. Quant à la résidence du personnage, avec les habitations de serviteurs groupées autour, elle prit le nom même de Ségérius, qui se transforma succes- sivement, par les apports linguistiques des invasions, en Ségrius, puis en Ségry, nom que déjà portaient au 12e siècle notre paroisse et son chef-lieu. De par son appellation, Gouers n'accuse pas la même origine. D'ailleurs, la proximité d'une vaste prairie à l'époque pastorale, les avantages qui se tiraient aussi d'une rivière poissonneuse et accessible aux embarcations primitives, tout fait supposer que ce village est plus ancien que Ségry. Compte tenu des tumulus découverts non loin de là par le Colonel Thil, on pourrait assigner l'époque celtique à sa fondation. En tout cas, la portion de vallée dont Gouers marque le centre a formé, jusqu'au début du siècle dernier, le territoire d'une commu- nauté distincte, qui englobait les fermes et villages de la Perrière, Les Granges, Soulas et la Prée. Les douze premiers chapitres de cette étude accuseront d'ailleurs le dualisme entre Gouers et Ségry, dans l'ordre religieux, seigneurial, fiscal et administratif.

(3) Ou en ay, é, suivant les régions. Cf. Dauzat : « L'origine des noms de lieux ». PREMIÈRE PARTIE — AU TEMPS DES SEIGNEURIES

CHAPITRE I

SEGRY au plus lointain de son passé

Les plus anciens textes, mentionnant Ségry comme paroisse, datent du 12C siècle, et les premiers actes relatifs à l'église de Gouers remontent au 11, siècle. Mais le territoire environnant ces deux villages n'en fut pas moins habité bien longtemps avant cette époque. Nous en avons comme preuve les tumulus de la Prée, qui remonteraient à 2.500 ans environ, et la Chaussée de César, contemporaine du début de l'ère chrétienne. En dehors de ce dernier vestige, témoin de la civilisation gallo- romaine, aucun monument, aucun écrit jusqu'aux documents précités, plus rien, pendant 1.000 ans environ, ne porte témoignage de présences humaines sur ce coin de terre. Comme notre campagne ne resta cepen- dant pas déserte durant tout le haut-moyen-âge, nous devrons en appeler à l'histoire générale pour relier localement, et avec vraisem. blance, l'époque des voies romaines à celle des églises romanes.

1. — LA PREHISTOIRE Tumulus de La Prée. C'est sans doute aux abords de l'Arnon que vécurent surtout les plus lointains habitants de ce pays. Du moins est-ce là que le Colonel Thil a retrouvé la trace d'existences humaines en mettant à jour les ossements de trois tumulus. Situés à moins d'un kilomètre de La Prée, les tertres funéraires bosselaient le rebord sud du Bois de Bataille (Section B, n° 6, du plan cadastral de Ségry). Avant les fouilles, ils présentaient, sur une surface embroussaillée, une forme ovalaire de 12 à 15 m. de long, avec un relief de 1 à 2 m. Leur exploration, commencée en 1914 et interrompue par la guerre, fut reprise et terminée en 1920. Dans chacun des deux tumulus d'abord ouverts, M. Thil mit à jour, sous un amoncellement de pierres calcaires imbriquées à plat et. recouvertes d'humus, les débris de deux squelettes orientés Nord-Sud. Les ossements reposaient, sans excavation, au niveau du sol extérieur, sur une aire rougeâtre et comme durcie par l'action du feu. On trouva tout à côté des fragments de colliers et de bracelets de fer, ainsi qu'un fragment de boucle d'oreille en bronze. Le troisième tumulus, exploré plus tard, recélait, semblablement disposé et recouvert, un seul sque- lette avec un bracelet de fer, un ornement en forme de bouton et un éclat de poterie. Dans l'intéressant compte-rendu (1) de ses fouilles, le Colonel Thil concluait, des conditions de sépulture et de l'examen du mobilier funé- raire, que ces tumulus devaient remonter à la fin du premier âge de fer, de 600 à 500 avant J.-C. Retenons qu'il y plus de 25 siècles, notre pays était déjà habité. Sans doute ces lointains ancêtres connaissaient des conditions de vie moins précaires déjà que les hommes de l'âge de pierre : leurs artisans travaillaient le fer ; les tribus se groupaient en villages et en défri- chaient les alentours. Mais d'après ce qu'on rapporte (2) des Gaulois Bituriges, qui envahirent l'Italie à la même époque (environ 400 ans avant J.-C.), il est probable que les contemporains de ces tumulus vivaient, eux aussi, de pêche et de la viande de troupeaux demi-sau- vages, bien plus que des produits mêmes du sol.

2. — LA PERIODE GALLO-ROMAINE Chaussée de César.

Quelques siècles encore et le blé se cultivera aussi communément que le seigle et l'avoine. Procurant une vie plus douce, notre terre suscite les convoitises. Déjà implantés en Gaule, les Romains finissent par s'emparer de tout le pays (58 à 50 avant J.-C.). Alors, pour assurer leur domination, ils établissent des routes qui, de Lyon, rayonnent jusqu'aux frontières. L'une de ces voies relie la métropole au littoral Atlantique, en s'in- curvant entre Autun et Poitiers par Avaricum (Bourges), Ernodurum (St-Ambroix), Alarea (), Argantomagus (Argenton). A 4 km de Ségry, entre la ferme appelée Carroir d'Airain et le ruisseau du Praslin, on a mis à jour en 1861 les vestiges d'un camp romain, avec quantité de médailles, clefs et poteries. Du cimetière, il ne restait en apparence que des cercueils de pierre. Ce n'est qu'en 1910-12 que les stèles tombales furent découvertes à l'intersection des chemins d'Issoudun et de Chouday à St-Ambroix, où on les avait uti- lisées aux fondations d'une basilique de l'époque mérovingienne (3). Ces pierres funéraires, qui représentent les défunts avec leurs outils d'artisans, témoignent de l'importance d'Ernodurum et de l'aisance de ses habitants : le St-Ambroix d'alors tenait lieu de capitale aux villages d'alentour. On a retrouvé trace d'un autre camp romain tout près de Brives. Pour joindre les deux localités, où des ponts à arcades permettaient

(1) Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre : Tumulus de la Prée, 38' volume, p. 1. (2) Polybe : Histoire, livre II, chap. 4. — Rappelons que d'après l'historien latin Tite-Live, c'est Bellovèse, Chef des Bituriges, dont la capitale était déjà Bourges (Avaricllm), qui aurait pris la tête des expéditions transalpines. Les Bituriges dominaient à cette époque toute la Celtique (Camille jullian, « La Gaule ,, tome II). (3) Colonel Thil et M. de Coy : Les découvertes des champs de Saint-Hilaire (Mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, 1911, p. 21). tit franchir l'Arnon et la Théols, la route coupait dans leur territoire actuel le sud de Chouday et le nord de Ségry. Postés comme en senti- nelles aux deux extrémités des bois de Luc, Châtain, Chœurs et Bom- miers, les Castra de St-Ambroix et de Brives surveillaient un important front de bandière. Mais comme jamais bande rebelle ne surgit de ces couverts forestiers, les légions peu à peu diminuèrent d'importance, et. finalement quittèrent notre pays pour s'installer aux frontières de l'Empire. Alors, la Chaussée de César ne véhicula plus que les produits locaux et les fonctionnaires romains, les camps firent place aux écuries, entrepôts de marchandises et hôtelleries, inséparables des stations de relais. Comme les autres voies romaines, celle-ci présentait tous les mille pas ou enjambées (1485 m.) une colonne miliaire indiquant, avec le nom de l'empereur régnant, la distance de la borne au point initial, tandis que l'ordre des huit stades intermédiaires se marquait en lettres numérales sur des pierres moins élevées. Cartier Saint-René (4) prétend qu'une de ces bornes secondaires, gravée d'un S en double trait, gisait encore en 1875 au croisement de la Levée de César avec la route d'Is-

soudun à Lignières, et qu'elle aurait été employée dans la construction d'une grange au domaine de Prault. Nous n'avons pu vérifier l'exacti- tude de l'assertion.

Bornes miliaires et autres ont disparu ; mais dans la traversée de Ségry, où elle est aujourd'hui classée comme chemin de grande communication, la route garde le caractère distinctif des voies romai- nes. Formée de portions rectilignes, elle se présente le plus souvent en remblai, parfois relevée d'un mètre ou deux par rapport aux terrains qui la bordent. Cet exhaussement, encore accentué dans les dépressions, contribue à maintenir le réseau routier à un niveau presque uniforme. On sait que la structure des voies romaines était très variée, : ici, du béton à gros gravier ; ailleurs un lit de basé recouvert de cail- loux avec bordures de pierres sur champ. Dans les vignes de Résinières, entre St-Ambroix et Ségry, on mit à jour 1,65 m. d'empierrement où se succédaient, au-dessus du hérisson une couche de sable, une de cailloux, puis une autre de sable surmontée de pierres calcaires (5). En tout cas, l'épaisseur et le tassement des matériaux, la présence fréquente de béton ou de silex très dur dans le noyau de la chaussée, enfin la constance relative du niveau de surface, tout concourait à faciliter les charrois, et à compenser ce qu'avait de défectueux le mode de traction sans collier qu'utilisaient les Romains (6). Aussi, le voisinage de cette route, à une époque où l'on ne cir- . culait ailleurs que sur pistes et sentiers, dut certainement hâter la mise en valeur de notre coin de territoire.

Les Romains auraient alors introduit chez nous : le pêcher, le cerisier, le noyer, propagé la culture de la vigne et celle du blé, déve- loppé l'élevage du mouton. Il est regrettable, si nous en croyons d'Arbois de Jubainville (7),

(4) Cartier Saint-René : Histoire de Charost et de Mareuil, p. 367. (5) Cartier Saint-René : ouvrage cité, p. 366-367. (6) Lefebvre des Noëttes : La conquête de la force motrice animale « La Nature », 1927. (7) D'Arhois de Jubainville : Recherches sur l'origine de la propriété foncière : Chap. 1", § 2. que pour faciliter la perception de l'impôt, les conquérants aient tou- jours porté, sous le seul nom des chefs gaulois les terres cultivées en commun par les clans de villages. Ainsi la fiscalité créait officiellement une classe de colons, qui perdaient leur part de propriété collective, en même temps qu'un reste d'indépendance.

3. DE CLOVIS AUX PREMIERS CAPETIENS « Villas » et Châteaux-forts.

Le régime de très grande propriété, qui était celui des campagnes gallo-romaines, subsist-a jusqu'à la Féodalité. A défaut de vestige local, l'histoire générale permet de nous représenter le cadre où vécurent nos lointains aïeux, sous les dynasties de Clovis et de Charlemagne. Vraisemblablement alors, au petit ressaut de terrain qui sépare à peine, vers leur confluent, les sillons pluviaux de la Prêle et du Praslin, s'élève la Villa ou enclos du maître, dont les bâtiments en carré, limitant une cour fermée, font office de « maison forte ». Tout près, un pâté de huttes abrite les serfs, propriété vivante du seigneur. Quelques uns remplissent des fonctions domestiques. Mais le plus grand nombre cultive la réserve que le maître (ou son intendant) exploite en propre. D'autres sont voués au travail du fer, du bois, de la laine... fabriquant pour l'agglomération du centre et les colons d'alentour des pointes d'araires, des chars grossiers, du drap rugueux. Les be- scins sont alors si réduits, que la villa avec ses dépendances constitue une économie fermée, une collectivité se suffisant à elle-même. A l'exception de ceux qui s'emploient dans la demeure du maître et y sont nourris, les serfs artisans et laboureurs reçoivent, pour en vivre, un lopin de terre qu'ils façonnent à temps perdu. On conçoit que les abords des Villas devaient, un peu comme ceux de nos villages qui en occupent la place, présenter le damier d'une terre déjà morcelée. Par contre, la campagne environnante, exploitée pour le compte du même seigneur, offrait au regard ses étendues presques indivises, avec l'embryon des fermes actuelles, sous l'aspect d'îlots de culture circons- crivant la chétive cabane d'un colon. Il est bien possible que Gouers, le Gœris de ce temps-là, ait formé, en raison de son éloignement, soit une Villa particulière, soit une Tenure dépendant de Mareuil ou de Ségry. Quand le christianisme eut fait la conquête morale des campagnes après celle des villes, chaque petite agglomération rurale érigea son église sous forme d'un édifice de bois à charpente de grange. Mais si primitif fût-il, ce sanctuaire faisait du village, déjà noyau économique, un centre religieux pour tous les habitants du terroir. Le régime de la villa contenait en germe celui de la féodalité. On passa de l'un à l'autre au ge et 10" siècles, dans la période de troubles qui suivit la mort de Charlemagne. Aux bandes d'envahisseurs, Normands et Hongrois, la villa, por- tes closes, opposait le revers de ses bâtiments en carré et sa tour de défense en bois massifs. En ce pays plat, sans points dominants, on en vint à isoler la tour sur une butte artificielle formée de la terre qu'on retirait d'un fossé circulaire et palissadé. La motte du Plaix, à la limite de la commune, celle de Geay dans le bois de Châtain remontent à - GHATEAUROUX -

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