Ce Monde Disparu Est… Plein De Suspense, Tortueux, Parfaite- Ment Construit Et Fourmille D’Interrogations Éthiques Autant Que De Gangsters
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
En cette année 1943, le monde est en guerre, mais aux Etats- Unis, la mafia prospère. Après avoir régné sur le trafic d’alcool en Floride pendant la prohibition, Joe Coughlin s’est officielle- ment retiré et a cédé la direction des affaires à son frère d’armes Dion Bartolo. Un jour pourtant, il apprend qu’un mystérieux commanditaire a mis sur sa tête un contrat dont l’exécution est prévue pour le Mercredi des Cendres. Il sait bien que « le temps ne nous appartient pas, on ne fait que l’emprunter ». Il a déjà trompé la mort à plusieurs reprises et ne s’est pas consolé de l’assassinat de son épouse Graciela. Mais il y a son fils Tomas ; il ne peut envisager de le laisser orphelin. Joe n’a que peu de temps pour identifier son ennemi, une tâche complexe dans un monde où les codes de l’honneur sont en train de disparaître… DENNIS LEHANE est le créateur de la série Kenzie et Gennaro et l’auteur primé de Mystic River et de Shutter Island. Quatre de ses romans ont été adaptés au cinéma par Ben Affleck, Clint Eastwood et Martin Scorsese. A l’apogée de son talent de conteur, il signe un livre mélancolique et subtil, peuplé de fantômes, qui marque la fin d’un monde. « Ce monde disparu est… plein de suspense, tortueux, parfaite- ment construit et fourmille d’interrogations éthiques autant que de gangsters. » The New York Times Du même auteur chez le même éditeur Série Kenzie et Gennaro Un dernier verre avant la guerre Ténèbres, prenez- moi la main Sacré Gone, Baby, Gone Prières pour la pluie Moonlight Mile Mystic River Shutter Island Coronado Un pays à l’aube Ils vivent la nuit Ce monde disparu Anthologie (sous la direction de Dennis Lehane) Boston noir DENNIS LEHANE Ce monde disparu Traduit de l’anglais (États- Unis) par Isabelle Maillet RIVAGES/THRILLER Collection dirigée par François Guérif RIVAGES Retrouvez l’ensemble des parutions des Éditions Payot & Rivages sur payot- rivages.fr page 9 : « Stolen Car », by Bruce Springsteen (ASCAP). Reprinted by permission International copyright secured. All rights reserved. Titre original : World Gone By William Morrow, an Imprint of HarperCollins Publishers © Dennis Lehane, 2015 © Éditions Payot & Rivages, Paris, 2015 pour la traduction française ISBN : 978-2-7436-3387-5 Pour Keeks, Aux yeux si bleus et au sourire si éclatant … I’m driving a stolen car On a pitch black night And I’m telling myself I’m gonna be alright. Bruce Springsteen , « Stolen Car » PROLOGUE Décembre 1942 Avant d’être décimés par leur petite guerre, ils se rassem- blèrent pour soutenir la grande. Un an après Pearl Harbor, ils se retrouvèrent tous dans la salle de bal Versailles du Palace Hotel, dans Bayshore Drive, à Tampa, afin de lever des fonds pour les troupes stationnées en Europe. Ce fut une réception raffinée, en smoking et nœud papillon, par une nuit douce et sans nuages. Six mois plus tard, par une soirée brumeuse au début du mois de ma i, l’un d es chroniqueurs judiciaires d u Tampa Tribune tomberait sur des photographies de l’événement. Il serait alors frappé p ar l e n ombre d e p ersonnes m entionnées r écemment dans la presse locale pour avoir tué, ou été tuées, qui avaient assisté à la collecte de fonds. Il penserait tenir un sujet ; son rédacteur en chef ne serait pas d ’accord. « Mais r egardez, b on s ang ! d irait l e j ourna- liste. R egardez ! L à, a u b ar, c ’est D ion B artolo a vec R ico DiGiacomo. I ci, j e s uis p resque s ûr q ue l e p etit ma igrichon coiffé d’un feutre, c’est Meyer Lansky lui- même. Tenez, le type qui parle à la femme enceinte ? Il a fini à la morgue en mars 11 dernier. Et là, c’est le maire et son épouse en grande conversa- tion avec Joe Coughlin. Et sur celle- là, encore Joe Coughlin, en train d’échanger une poignée de main avec ce gangster nègre, Montooth Dix. Boston Joe, qui a toujours fui l’objectif, s’est fait prendre en photo deux fois pendant la fête… ! Et ce gars, qui fume une cigarette près de la dame en blanc ? Il est mort. Pareil pour celui- ci. Quant au type sur la piste de danse, en veste de smoking blanche, il est dans un fauteuil roulant aujourd’hui. » Et de conclure : « Ils étaient tous réunis ce soir- là, patron. » Le rédacteur en chef répliquerait que, sous ses allures de ville d’une certaine importance, Tampa n’était guère plus qu’un gros village. Tout le monde s’y croisait tout le temps. La réception avait eu pour but de soutenir l’effort de guerre ; à ce titre, elle comptait parmi les causes de rigueur1 pour les riches oisifs, de celles qu’on se devait de soutenir quand on était quelqu’un. Il ferait remarquer à s on jeune reporter exalté que bien d’autres invités à c ette soirée – deux chanteurs célèbres, un joueur de base- ball, t rois c omédiens p rêtant l eur v oix a ux f euilletons radiophoniques les plus populaires de la région, le président de la First Florida Bank, le P.D.G de Gramercy Pewter et même le directeur de leur journal, P. Edson Haffe – étaient totalement étrangers au bain de sang qui, en mars, avait entaché la réputa- tion de Tampa. Le journaliste insisterait encore un peu, pour s’apercevoir que son chef était inflexible sur la question. Alors, il finirait par reprendre ses recherches sur les rumeurs qui circulaient au s ujet d’espions a llemands i nfiltrés s ur les d ocks d e Port Tampa. Un mois plus t ard, i l partirait au f ront. L es clichés resteraient dans la morgue à photos du Tampa Tribune long- temps après que tous ceux qui y figuraient seraient passés de vie à trépas. 1. En français dans le texte. 12 Le reporter, qui mourrait deux a ns plus t ard sur la plage d’Anzio, n’aurait aucun moyen de savoir que le rédacteur en chef, a ppelé à l ui s urvivre e ncore t rente a ns a vant d e s uc- comber à une crise cardiaque, avait reçu l’ordre de ne plus rien publier sur la famille du crime dirigée par Dion Bartolo, ni sur Joseph Coughlin, ni sur le maire de Tampa, un jeune homme tout à fait honorable issu d’une famille tout à fait honorable. L’image de la ville, lui avait- on dit, n’avait déjà été que trop ternie. Quoi qu’il en soit, les participants à cette soirée de décembre avaient tous été conviés – du moins l’avaient- ils compris ainsi – à u ne r encontre p urement i nnocente e ntre g ens d e b onne volonté désireux d’aider les soldats américains de l’autre côté de l’Atlantique. C’était Joseph Coughlin, l’homme d’affaires, qui avait orga- nisé l ’événement, p arce q u’un g rand n ombre d e s es a nciens employés s’étaient engagés ou avaient été enrôlés. Vincent I mbruglia, d ont d eux d es f rères é taient p artis s e battre – un dans le Pacifique et l’autre quelque part en Europe, personne ne savait où exactement –, fut le grand gagnant de la tombola. Ce fut lui qui rafla le lot le plus convoité : deux places de choix pour le concert que donnerait Sinatra au Paramount, à New York, à l a fin du mois, et voyage en première classe à bord d u Tamiami Ch ampion. Tous les i nvités avaient a cheté quantité de billets, même s’ils soupçonnaient que le tirage serait truqué pour avantager la femme du maire, une inconditionnelle de Sinatra. Le boss en personne, Dion Bartolo, fit la démonstration de ses t alents d e d anseur, q ui lui avaient valu d es p rix d ans s a jeunesse. Il donna du même coup aux mères et aux filles de cer- taines des meilleures familles de Tampa des histoires à raconter à leurs petits- enfants. (« Aucun homme capable de danser avec une telle maestria ne pourrait être aussi mauvais que certains le prétendent. ») 13 Rico D iGiacomo, l ’étoile l a p lus b rillante d e l a p ègre d e Tampa, arriva accompagné de son frère Freddy et de leur mère adorée, d éployant u n c harme r edoutable q ue s eule é clipsa l’arrivée de Montooth Dix, un géant noir arborant un haut- de- forme assorti à son smoking qui le faisait paraître encore plus grand. Si la plupart des représentants de la fine fleur de Tampa n’avaient jamais vu un nègre dans une réception sans un pla- teau à l a main, Montooth Dix, lui, évoluait parmi les Blancs avec l’aisance du maître au milieu de ses domestiques. L’un dans l’autre, la soirée offrait un vernis de respectabilité suffisant pour qu’on puisse y participer la conscience tranquille, en même temps qu’elle laissait planer une impression de danger susceptible de nourrir les conversations pendant tout le reste de la saison. Joe Coughlin avait l’art de confronter l’élite de la ville à ses démons en donnant le sentiment qu’il s’agissait d’un simple divertissement – un talent favorisé par le fait que l’homme lui- même, dont on d isait qu’il avait été autrefois u n gangster, et pas des moindres, avait manifestement renoncé au monde de la rue pour s’élever vers de plus hautes sphères.