BERNARD TOUPET 1

HISTOIRE DE BRUYERES ET DES BRUYEROIS

Ouvrage vendu au profit de la Coopérative des Ecoles et du Bureau d'Aide Sociale de BRUYERES-ET-MONTBERAULT.

CARTE DE 1/25 000 EDITEE PAR L'INSTITUT GEOGRAPHIQUE NATIONAL COPYRIGHT IGN - PARIS 1979 AUTORISATION DE REPRODUC- TION N° 99 - 1 402 LES ANCIENS NOMS DE BRUYERES DANS LES ARCHIVES

Au llème siècle : BRUERIE

Au 12ème siècle : BRUERE - BRUERIA

Au 13ème siècle : BRUERIES-SUBTUS-LAUDUNUM BRUERIE-IN-LAUDUNESIO

Au 14ème siècle : BRUIERES-EN-LOONOIS BRUERES-EN-LAONNOIS BRUYERE BRUIEREZ BRUIEREZ-EN-LAONNOIS

Au 16ème siècle : BRUYERES-EN-LANNOYS BRUYERES-SOUBZ-LAON BRUYERRES BRUYERES-EN-VERMANDOIS BRUYERES-EN-LAONNOYS BRUIER BRUERES-EN-LAONOIS

Aux 18ème et 19ème siècles : BRUYERES-SOUS-LAON

A partir du 19ème siècle (dans les docu- ments officiels) : BRUYERES-ET-MONTBERAULT PREMIERE PARTIE

BRUYERES

CITE MEDIEVALE AVANT LA CHARTE UNE VIEILLE FIDELITE AU POUVOIR ROYAL

Au llème siècle, le pays de Bruyères qui s'étend de part et d'autre du "Mont Pigeon" et du plateau de Montbérault appartient au domaine royal ... mais le roi est loin. Les seigneurs de Parfondru, Laon, Athies, Aulnois, Nouvion, Montchâlons et Bourguignon, l ' évê- que de Laon, les religieux de Saint-Nicolas et de Sainte-Geneviève, la commanderie de Puisieux, le chapitre de Notre-Dame de Laon, les abbayes de Saint-Martin et de Saint-Vincent y détiennent des fiefs sur lesquels ils exercent en toute liberté leurs droits seigneuriaux. Les habitants sont des serfs taillables et corvéables à merci, qui ne peuvent sans le con- sentement de leur seigneur se marier à des personnes libres ou à des sujets d'autres seigneuries, dont les biens reviennent à leur seigneur s'ils meurent sans descendance reconnue. Si chacun a en principe le droit de quitter la terre de son seigneur, l'iso- lement n'est pas possible. C'est pourquoi, à la fin du llème siècle, après s'être concertés, les habitants de Bruyères, de , de Chéret et de Saint-Pierre-en-Valbon se placent de leur plein gré sous la protection de CLAREMBAUD DU MARCHE, seigneur de Clacy et Baren- ton qui prend le titre de seigneur de Bruyères. CLAREMBAUD DU MARCHE se rallie au roi Louis VI (dit Le Gros, l'Eveillé ou le Batailleur) qui impose son autorité par de petites expéditions contre les seigneurs qui refusent de reconnaître le pouvoir royal. Avec CLAREMBAUD DU MARCHE, nos anciens vont se battre : - en 1094 ' contre le seigneur de - en 1104 ' contre le Sire de Coucy et prendront les châteaux de Crécy-sur-Serre et de Nouvion- le-Comte - en 1112 : contre l'évêque de Laon - en 1115 : contre Thomas de Marie - en 1119 : au cours d'une expédition contre les Normands - en 1130 : à nouveau contre le Sire de Coucy . Une telle fidélité au pouvoir royal appel- le une récompense : c'est en 1130 qu'une charte communale va faire de BRUYERES et jusqu'à la Révo- lution de 1789 une petite république dans le royaume de . LA CHARTE DE 1130 LE TRIOMPHE DE L'AUTONOMIE COMMUNALE

Le 11 mai 1130, Louis VI Le Gros, avec l'assentiment de la reine Adelaide, son épouse, de Philippe, son fils associé au trône, de Rodolphe, comte de Vermandois, de Barthelemy, évêque de Laon, de Clarembaud, maréchal du Laonnois et seigneur de Bruyères, des barons du Pays, octroie une "charte de franchises", instituant Bruyères en "COMMUNE" à laquelle il réunit les villages de Chéret, Vorges et Saint-Pierre-en-Valbon ( 1 ) . Cette charte consacre l'émancipation politique et civile des habitants, leur permettant d'avoir une administration municipale composée d'hommes choisis par eux et parmi eux. Elle énonce des principes juridiques encore valables aujourd' hui : liberté individuelle, transmission du patri- moine, droit électoral, financement des collectivi- tés locales, droit d'usufruit ... Les droits et obligations contenus dans cette charte s'appliquent sur un territoire impor- tant composé, en gros, de l'actuel territoire de Bruyères (moins la section de Montbérault) avec en plus la plaine jusque Leuilly, Ardon et la route Laon-Reims et les actuels territoires de Chéret et de Vorges (y compris une partie de l'actuel territoire de Presles). Durant six siècles jusqu'à la Révolution de 1789, les représentants de Bruyères vont lutter pied à pied pour préserver et augmenter une situa- tion privilégiée dans le royaume, justifiant par là leur fière devise "Il n'y a chez nous de seigneur que nous-mêmes". Durant six siècles, il y aura : 1 - une centaine de confirmations de droits et franchises, soit directement par l'autorité royale, soit par ses juridic- tions (la première paraît être de 1132, la dernière est de 1758) - des abandons plus ou moins volontaires de droits seigneuriaux transférés à la commune, souvent moyennant indemnisa- tion un nombre impressionnant de procès avec les seigneurs, soit en demande, (1) - Aujourd'hui disparu. En soit le plus souvent en défense (le 1250, la reine Blanche dernier a été intenté en 1780 par le de Castille, mère de Saint- baron de la Bôve pour prendre fin le Louis, y vint en pélerinage 4 août 1789 avec l'abolition des droits boire son "eau miraculeuse" ' seigneuriaux). ANALYSE SOMMAIRE DES 27 ARTICLES DE LA CHARTE DE 1130

Article 1 : Aucun homme accusé de forfaiture, qu'il soit homme libre ou serf, ne pourra être arrêté sans la décision d'un juge. En cas d'absence du juge et jusqu'à son retour, il ne pourra être retenu que dans sa propre maison. Article 2 : Celui qui a fait tort à un clerc, à un chevalier ou à un marchand de la commune devra comparaître devant le maire et les jurés pour se justifier ou être condamné à une amende. S'il refuse de comparaître, il sera banni avec tous les siens. Il ne pourra revenir dans la commune qu'après avoir satisfait à la sanction prononcée contre lui. S'il s'installe dans les environs de la commune, dan"" une maison ou sur une vigne dépendant d'une seigneurie, le maire et les jurés pourront le poursuivre devant le seigneur. Si dans les quinze jours, ils n'ont pas obtenu justice, ils pourront l'obtenir par tous les moyens (c'est là un véritable droit de guerre contre les seigneurs). Article 3 : Le banni qui s'installe dans un lieu dépendant de i.i com- mune sera conduit hors des limites de la commune s'il affirme sous la foi du serment qu'il ignorait être sur la commune. S'il a agi en connaissance de cause, il sera arrêté et emprisonné. Article 4 : Celui, qui au cours d'une querelle, aura frappé du poing ou de la main ou proféré des injures graves, devra compa- raître dans les quatre jours devant le maire et les jurés et payer l'amende qu'ils fixeront. S'il y a blessure, celui qui a frappé devra payer les frais jusqu'à guérison. Article 5 : Celui qui est accusé d'avoir, sur le territoire de la commune, frappé ou blessé avec préméditation, sera soumis au jugement de DIEU ( 1 ) . Si l'acte a été commis hors des limites de la commune et s'il y a des témoins, le coupable paiera vie pour vie, membre pour membre. Il pourra toutefois racheter vie ou membre en acquittant une amende proportionnée. Article 6 : En cas de meurtre, le plaignant demandera justice au sei- gneur du lieu où il a été commis (ou à ses officiers). En cas de refus (de déni de justice), il s'adressera aux jurés de la commune qui la demanderont pour lui. Si le seigneur refuse encore, les jurés pourront recourir à la force (on retrouve encore le droit de guerre contre les seigneurs). Article 7 : Le voleur sera conduit devant le stigin-ui- du lieu Dit il aura été pris. Si ce seigneur ne prend pas de sanction, le voleur sera jugé par les jurés de la commune. Article 8 : Les censitaires ne paieront qu'un cens par an et les tail- lables une taille de 4 deniers à chaque échéance, au sei- gneur qui ne pourra rien exiger de plus, même par la force. Article 9 : Les hommes de la commune pourront épouser librement les femmes de leur choix (c'est l'abolition du fors-mariage). (1) Epreuve; qui consistait Toutefois, ils ne pourront les prendre, ni dans les famil- à prendreidre à mmai a i ri nue les des seigneurs de haut rang sans le consentement de un fer■ rouge ou à ceux-ci, ni dans les familles relevant des églises de plonger la main dans Laon. l'eau bouillante. Article 10 : Celui qui entend quelqu'un injurier un homme honorable * de la commune pourra lui infliger une, deux ou trois gifles, sans qu'il y ait pour cela insulte. Si le giflé se plaint d'avoir été frappé par haine, le gifleur pourra se justifier en affirmant sous serment avoir agi ainsi pour faire observer la paix et la concorde dans la commune. Article 11 : L'indépendance de Bruyères vis à vis des seigneurs qu'ils ' soient laïcs ou écclésiastiques est formellement reconnue. Article 12 : Celui qui avait doté sa fille, sa nièce ou sa cousine morte sans descendance, reprendra ou ses héritiers repren- dront , la dot . Article 13 : Les biens propres du mari décédé sans descendance retour- neront à sa famille. Toutefois le mari pourra désigner des biens dont sa femme jouira jusqu'à sa mort (c'est le droit d'usufruit). Article 14 ■ Si un époux décède sans descendance, les biens acquis pendant le mariage appartiendront au survivant. Article 15 : Si les époux n'ont pas d'héritiers habitant la commune, ils feront don d'une partie de leurs biens à l'église pour le repos de leurs âmes et le reste reviendra à leur descendance habitant en dehors de la commune. Article 16 : Si les époux n'ont pas d'héritiers, ni dans la commune, ni hors de la commune, les 2/3 de leurs biens iront à l'église pour le repos de leurs âmes, le dernier tiers sera mis à la disposition des jurés pour l'entretien des moyens de défense . Article 17 : Aucun homme payant une redevance aux églises de Laon ou à des chevaliers de Laon ne sera admis à s'installer dans la commune sans leur accord. Article 18 : Quel que soit leur nombre, ceux qui paient une redevance à une communauté religieuse seront, sans formalité, admis à s'installer sur le territoire de la commune. S'ils lais- sent au lieu qu'ils quittent des biens imposés par un seigneur, ils resteront responsables du paiement des rede- vances . Tout homme admis sur le territoire de la commune devra, dans le délai d'un an, ou y construire une maison, ou y planter ou y acheter une vigne, ou y apporter des meu- bles pour que les jurés aient une gar ant i e en cas de plainte portée contre lui.

Article 19 : Celui qui affirmera sous la foi du serment n'avoir pas entendu la cloche convoquant les hommes ne sera pas inquié- té . Article 20 : Clarembaud, seigneur de Bruyères, ne jouira des droits qu'il prétend avoir qu'après avoir apporté la preuve que ses prédécesseurs en ont eux-mêmes joui. Article 21 : Tout homme qui jouit d'une terre moyennant redevance devra participer au financement de la justice rendue dans la commune. Article 22 : Nul ne sera obligé de plaider hors de la commune. Article 23 : Le différend qui opposera le roi : - à un homme de la commune sera porté devant les jurés - à la commune sera porté devant 1'évêque de Laon

Article 24 : Si un seigneur de haut rang se rend coupable d'un forfait envers un membre de la commune, ses hommes , s'il s'en trouve sur le territoire de la commune, seront arrêtés Dépôt légal : 4 trimestre 1982 Le Directeur de la Publication :R.TOURBE

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