Revue archéologique de l’Est

tome 65 | 2016 n°188

Le site des Terres Soudées à () : habitats et structures souterraines du village du Mont-Saint-PIerre entre le XIIe et le XVIIe siècle

Claire Pesenti

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rae/8816 ISSN : 1760-7264

Éditeur Société archéologique de l’Est

Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2016 ISBN : 978-2-915544-36-7 ISSN : 1266-7706

Référence électronique Claire Pesenti, « Le site des Terres Soudées à Thillois (Marne) : habitats et structures souterraines du village du Mont-Saint-PIerre entre le XIIe et le XVIIe siècle », Revue archéologique de l’Est [En ligne], tome 65 | 2016, mis en ligne le 09 octobre 2017, consulté le 10 décembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/rae/8816

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LE SITE DES TERRES SOUDÉES À THILLOIS (MARNE) : HABITATS ET STRUCTURES SOUTERRAINES DU VILLAGE DU MONT-SAINT-PIERRE ENTRE LE XIIe ET LE XVIIe SIÈCLE

Claire Pesenti*

Mots-clés Marne, Mont-Saint-Pierre, souterrain, cave, puits, habitat, Moyen Âge. Keywords Marne, Mont-Saint-Pierre, tunnel, cellar, well, settlement, middle Ages. Schlagwörter Marne, Mont-Saint-Pierre, Souterrain, Keller, Brunnen, Siedlung, Mittelalter.

Résumé En 2009, la création d’une Zone d’Aménagement Concertée au pied du versant ouest du mont Saint-Pierre a motivé la réalisation d’une fouille préventive. Elle a livré des bâtiments sur poteaux et des bâtiments matérialisés par des tranchées de récupéra- tion. La majorité d’entre eux sont associés à des caves dont certaines permettent d’accéder à des souterrains. Cette opération a permis de mettre en évidence une certaine standardisation dans les modes de construction et les aménagements. Ces habitats pourraient illustrer l’ancien village du Mont-Saint-Pierre, abandonné au cours du xvii e siècle.

Abstract In 2009, the creation of a commercial zone at the foot of the West slopes of the Mont Saint-Pierre motivated a preventive excavation, which brought to light post-holed buildings and buildings materialised by robber trenches. Most of the buildings have cellars, some of which access tunnels. The excavation has brought to prominence a certain standardisation of construction modes. The settlements could illustrate the old village of Mont-Saint-Pierre abandoned during the 17th century.

Zusammenfassung 2009 war die Schaffung einer Zone d’Aménagement Concertée (Gebiet für konzertierte Raumplanung) am Fuß des Westhangs des Mont Saint-Pierre Anlass für eine Präventivgrabung, bei der Pfostenbauten und durch Gräben mit Bauabfällen materialisierte Gebäude identifiziert wurden. Die meisten wiesen einen Bezug zu Kellern auf, von denen einige zu Souterrains führten. Durch diese Präventivgrabung konnte eine gewisse Standardisierung bei der Bauweise und der Baukonzeption nachgewiesen werden. Die Siedlungsspuren könnten von dem alten im Laufe des 17. Jh. aufgegebenen Dorf des Mont-Saint-Pierre stammen.

Dans le cadre d’une Zone d’Aménagement Concertée mont Saint-Pierre. Le nivellement de ce secteur a nécessité un (ZAC) sur la commune de Thillois (Marne), un diagnostic décaissement de 15 m de profondeur, entraînant une surveillance archéo­logique a été réalisé en 2008 par Yoann Rabasté (Inrap) sur archéologique de la part du Service régional de l’Archéologie de une superficie couvrant 335 000 m². Il a livré des vestiges, essen- Champagne-Ardenne. tiellement des fosses, datés de la période Hallstatt moyen-final. Un paléosol, des fosses et des chablis brûlés signalent la présence PRÉSENTATION GÉNÉRALE d’une d’occupation gallo-romaine (ier-iie siècles) localisée pro- bablement hors emprise. La plus importante occupation s’étend Contexte géographique, géologique e e sur environ 3200 m² du xiii au xvi siècle et est matérialisée par et topographique des maisons excavées, des fosses et des trous de poteau isolés. Ces résultats ont conduit le Service régional de l’Archéologie Le site médiéval se trouve à la limite entre les communes de à prescrire deux fouilles préventives, l’une concernant l’occu- Thillois, et Champigny, au lieu-dit Les Terres Soudées pation protohistorique et confiée à Métropole et l’autre (fig. 1). Il est implanté au pied du versant ouest du mont Saint- concernant l’occupation médiévale au bureau d’études Éveha Pierre, petite éminence de plus de 100 m d’altitude surplombant en 2009. Cette opération a permis de confirmer et de préciser la plaine rémoise. Le sous-sol de ce secteur abrite un sub­stratum la chronologie du site, son organisation spatiale et sa nature. Le crayeux pur et homogène du Crétacé présentant toutefois des projet de la ZAC a fortement impacté le sous-sol à l’ouest du cassures conchoïdales et des strates limoneuses ainsi que des

* Bureau d’études Éveha, 24 avenue des Bénédictins, 87000 Limoges. [email protected]

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Ardennes N

Aisne REIMS

Épernay Sainte- CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE Menehould

Champagne- C h a m p a g n e s è c h e Ardenne C ô t e C h a m p e n o i s e Meuse

Sézanne Vitry-le- François

Seine-et- Marne

Haute-Marne Aube

0 25 km

N

0 1 km

Fig. 1. Localisation du site des Terres Soudées à l’ouest du mont Saint-Pierre. Fond de carte IGN au 1/25 000.

­reliquats d’argiles tertiaires colluvionnées dues aux ­remaniements la charte 145 de Samson, archevêque de Reims, adressée à Alderic, ­sédimentaires naturels et anthropiques. De plus, les colluvions abbé de Saint-Thierry en 1154 (ADM, 13 H 80). Le sixième de limoneuses se sont accumulées en bas de pente au sud de l’emprise dixme du Monte Sci Petry et de Thilloye est confirmé à l’abbaye de puisque celle-ci présente un dénivelé de 3 m du nord au sud. Saint-Thierry. Le pressoir du Mont-Saint-Pierre et quelques rentes sont vendus au chapitre de Reims en 1196 (ADM, 2 G 1515 : Contexte historique et archéologique 1196-1281). En 1222, c’est l’abbaye ­d’Hautvilliers qui possède des droits sur le terroir de Thillois (ADM, H 1265). Bien que des L’historique du site du Mont-Saint-Pierre est tiré de l’étude traces du village du Mont-Saint-Pierre et de son église paroissiale documentaire réalisée en 2009 par Érica Gaugé, Éveha. datent du xiie siècle, leur origine reste à ce jour indéterminée. Les données archivistiques sur le Mont-Saint-Pierre au Un monasterium, fondé en l’honneur de saint Pierre au début Moyen Âge sont très nombreuses mais concernent essentiellement du xive siècle, est répertorié dans un pouillé du diocèse de Reims les multiples possesseurs des terres du village. Les informations daté entre 1303 et 1312, aujourd’hui disparu. Le pouillé de 1346 relatives à son occupation restent en revanche restreintes et géné- mentionne quant à lui la présence de prêtres au chapitre Clerici ralistes. La première mention du Mont-Saint-Pierre est extraite de Seculares (Varin, 1839). Entre le milieu du xve et le milieu du

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Chantraine, Kasprzyk M. (2005) Chantraine, Kasprzyk M. (2005)

Les Bonnières, Brun O. (2005) Rue Notre-Dame, Nicaise (1880-1881)

Le Savard Mortier, Dugois F. (1994) Les Marais (XXe siècle)

Le Charme (Bonnières), Dalman L. (2001) Le Mont Saint-Pierre, Gaillard D. (2005)

Voie antique Reims-Soissons Le Charme (Bonnières), Brun O. (2003) Vers Muiron Les Terres Soudées, Rabaste Y. (2008)

Vers Muiron, Bailleux G. (2001) Mont Saint-Pierre, Mack S. 1930

Mont Saint-Pierre, découverte fortuite (1905)

Le Coin de Pinson, Mont Saint-Pierre, première découverte (1820) Bailleux G. (2001) Les Terres Soudées, Pesenti C. (2009) Mont Saint-Pierre, Koehler A. (2000)

Mont Saint-Pierre, Rollet P. (2001)

La Croix Rouge, Deborde G. (2001) Mont Saint-Pierre (1967) Mont Saint-Pierre (1969) La Croix Rouge, Riquier V. (2002)

Mont Saint-Pierre, Neiss R. (1974)

Les Éguisons, Rolin D. (2000) Parc Millésime, Desbrosse V. (2002) Les Éguisons, Collet S. (1999) Parc Millésime, Desbrosse V. (2002)

Emprise de la fouille des Terres Soudées Emprise des diagnostics Axe voie antique Emprise des fouilles archéologiques Emprise des opérations négatives N 0 1 km Futures prescriptions Découvertes fortuites ou anciennes

Fig. 2. État du contexte archéologique en 2009. Fond de carte IGN au 1/25 000. Source : SRA Champagne-Ardenne, carte archéologique.

xviie siècle, l’impôt semble parfois ne plus être levé puisqu’« il n’y de nivellement et de nettoyage sont entreprises pour effacer les demeure ame » (AMR, liasse 41, n° 2). Toutefois, l’étude docu- traces des combats et remettre le sol en état (AMR, 30 W 389). mentaire a révélé que la seigneurie du Mont-Saint-Pierre appar- tenait au xvie siècle à la famille de Colbert et au xviie siècle, aux Environnement archéologique Moët de Louvergny (Laurent, 1930, p. 978-982). En réalité, il semble que le village soit déserté progressivement au cours du Depuis plus d’un siècle, de nombreuses découvertes ont été xviie siècle. La guerre de Trente Ans et la Fronde ont pu accroître faites autour du mont Saint-Pierre, qu’elles soient fortuites ou ce phénomène. En effet, l’enquête menée par le sieur de Machault issues d’opérations d’archéologie préventive (carte archéologique en 1665 révèle la pauvreté de ce terroir. La désertion est alors nationale, DRAC Champagne-Ardenne, consultée en 2009 ; définitive et entraîne la démolition de l’église par ordre de l’arche- fig. 2). vêque Charles-Maurice Le Tellier mais également le transfert du Les premiers indices d’une occupation sont signalés par culte au village de Tinqueux en 1675 (BNF, MS 273 du fonds un outillage néolithique comme des lamelles, des grattoirs, des 500 de Colbert). pointes de flèche, etc. (Mack, Méné, 1933). La période proto- Ce petit promontoire que représente le mont Saint-Pierre historique est représentée par trois sites. Le premier a été repéré en dans une région peu marquée par les reliefs est une place privi- 1967 par photographie aérienne et comprend quatre enclos circu- légiée qui joue un rôle important dans l’histoire. Il est en effet laires accompagnés de fossés. Une tombe multiple, appartenant connu aujourd’hui pour avoir été l’observatoire de Napoléon Ier à la culture Seine-Oise-Marne, a été retrouvée en 1905 au nord lors de la bataille de la Marne les 12 et 13 mars 1814. Un siècle du mont Saint-Pierre. Enfin, sous l’autoroute, une nécropole de plus tard, ce secteur est le théâtre de batailles qui se sont déroulées La Tène I, comprenant trente-deux sépultures, a été mise au jour au début et à la fin de la première Guerre mondiale : deux tran- en 1974 puis lors d’une évaluation en 1995. L’occupation gallo- chées (« Tranchée de Bougie » et « Tranchée du mont Saint-Pierre ») romaine se situerait d’une part au sud-est du mont Saint-Pierre ; et un boyau traversent l’emprise de la fouille de part en part. La elle y est matérialisée par des fosses d’extraction, des sépultures présence d’éclats d’obus, de munitions, de fragments métalliques et des structures parcellaires. D’autre part, il faut signaler que le indéterminés et de verre témoigne des impacts de l’artillerie lourde diagnostic archéologique effectué en 2008 à l’ouest du promon- et, de manière plus générale, de ce conflit. En 1932, des opérations toire a livré de rares structures de cette période qui supposent

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2012 174300 2028 BÂT B 2106 2343 2007 2064 2125 2062 2344 2005 2342 2135 2345 2149 2137 174290 2105 2136 2107 2121

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1009 174250 1008

1014 1021 1060 1013/1015 1048 1044 1063 1070 1057 BÂT A 174240 1043 1050 1054

1099

174230 1076 1036

0 10 m

Tranchée 1914-1918 Trou de poteau Niveau de sol Zone ornières Fossé Fosse d'e ondrement des souterrains Remblai Tranchée de récupération Mur Fosse Cave Silo Sondage

Fig. 3. Plan des vestiges de surface (DAO : B. Hollemaert et C. Pesenti).

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Le site des Terres Soudées à Thillois (Marne) 435 une occupation en marge de l’emprise. Le mont Saint-Pierre est LES VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES surtout connu pour sa nécropole, qui est constituée d’un groupe de sépultures du viiie siècle et d’un groupe compris entre le xiie et L’occupation médiévale du site des Terres Soudées se compose le xive siècle, contemporain de l’occupation des Terres Soudées. de bâtiments associés à des caves et à un réseau de cavités aména- Certaines tombes abritent des sarcophages en plâtre et sont ornées gées (fig. 3 et 4). Ils sont également accompagnés de rares struc- de motifs en relief. D’autres inhumations étaient marquées par tures de stockage. Des trous de poteau isolés et des fosses dont la des cercueils en bois. Un diagnostic archéologique, réalisé en 2000 fonction n’a pu être déterminée complètent ce corpus. Ces der- par F. Dugois et S. Degobertière, complète ce corpus avec des niers éléments ne seront pas abordés dans le cadre de cette étude. sépultures des viie-ixe siècles.

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Puits Tranchée de récupération Puits de creusement Cave 0 10 m Souterrain Niveau de sol

Fig. 4. Plan des vestiges souterrains et excavés (DAO : B. Hollemaert et C. Pesenti).

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Fig. 5. Vue du bâtiment 1005 et de sa cave 1110 (B. Hollemaert).

Coupe g. 5 1110

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Ouest Est

NGF 98.94 m

USC 1111

Niche USC 1116 USC 1116 US 1115 US 1113 US 1113 NGF 96.98 m US 1114 US 1114

0 2 m

Fig. 6. Profil de la cave 1110 (DAO : C. Pesenti). Fig. 7. Vue des vestiges de la voûte de la cave 1110 (B. Hollemaert).

Les unités d’habitation À cela s’ajoute une autre structure excavée de plan carré de 2,50 m de côté pour une hauteur conservée qui varie entre 1,45 m Deux types de construction se détachent : les constructions à et 1,80 m. Les parois ouest et est présentent des renfoncements tranchée de récupération et/ou avec des soubassements en pierres qui marquent l’emplacement d’une voûte partiellement conservée et les constructions sur poteaux. Elles sont installées à l’ouest du à l’ouest à plus d’1 m de hauteur (fig. 6 et 7). Réalisée en carreaux mont Saint-Pierre, alignées selon un axe nord-ouest/sud-est à de terre crue liés par un sédiment limoneux, elle est recouverte l’exception d’un bâtiment sur poteaux. d’une première couche d’accroche puis d’un enduit de chaux. Le même soin est apporté à l’ensemble des parois. L’enduit permet Les bâtiments à tranchée de récupération ainsi d’isoler, de limiter l’érosion des murs mais également de consolider et de masquer les raccords entre les différents éléments Trois entités se dégagent mais le plan de seulement deux de la construction. Sous et au centre de cette voûte est placé un d’entre elles peut être restitué. trou de poteau dont la profondeur varie entre 0,30 m et 0,60 m. Des blocs et des moellons en calcaire devaient maintenir le poteau Bâtiment 1005 et sa cave 1110 en bois. Permettait-il de soutenir la voûte qui se serait fragili- sée avec le temps ou une structure en matériaux périssables en Le bâtiment 1005 a été mis en évidence au sud de cet aligne- surface ? Trois niches sont également aménagées à l’intérieur des ment. Il est constitué d’une structure excavée de 4,50 m à 4,90 m parois sous le départ de voûte. La première, à l’ouest, présente de côté sur 0,40 m de profondeur. Une tranchée de récupération un profil triangulaire de 0,43 m sur 0,25 m de profondeur pour borde un angle nord-est, pourtant espacée de 0,30 m. Un lambeau une hauteur de 0,27 m. Les deux autres sont placées de manière de mur est néanmoins conservé sur trois assises. Sa réalisation symétrique dans la paroi opposée et présentent des dimensions rudimentaire allie petits moellons de calcaire et de meulière et similaires. Interprétées durant le post-fouille comme des étagères liant de limon et de nodules de craie mêlés. L’arasement de ce bâti- pour mettre à l’abri certaines denrées, leur fonction s’apparenterait ment n’a pas permis de conserver de niveau de sol ni de retrouver plutôt à de l’éclairage. En effet, ce dispositif est rencontré régu- la construction dans son intégralité (fig. 5). En revanche, il occupe lièrement dans les souterrains, réparti à intervalles réguliers, pour une surface inférieure à 50 m². circuler plus facilement. Ils abritent généralement des lampes-

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Le site des Terres Soudées à Thillois (Marne) 437 torches. Toutefois, les preuves ici font défaut puisqu’aucune trace de suie sur les parois, ni de tessons de céramique ne confortent cette hypothèse. L’occupation de cette cave est illustrée par un premier niveau N de circulation crayeux très induré et homogène dont la surface 2116 est gris foncé. Une recharge de craie, identique à la précédente, 2017 révèle une deuxième phase d’occupation. La troisième phase a 2046 été mise en évidence uniquement dans la partie nord-ouest de la cave. L’absence de mobilier à la surface de ces sols n’a pas permis 2016 d’avancer de datation précise.

Bâtiment 2016 et sa cave 2017

Ce bâtiment est installé au centre de l’emprise de fouille. Il présente la même orientation que la construction précédente et se développe sur 11,50 m de longueur et 9,25 m de largeur, 2224 occupant une superficie supérieure à 100 m² (fig. 8). Les tran- chées de récupération mesurent entre 0,60 m et 0,90 m de largeur 0 10 m mais sont conservées en moyenne sur 0,13 m d’épaisseur. Bien que l’angle sud-est ait disparu, le plan quadrangulaire a pu être restitué mais aussi les modes de construction. Placées sur leur Fig. 8. Plan et restitution du bâtiment 2016 et de la cave 2017 (DAO : C. Pesenti). flanc ou à plat, quelques pierres sont disposées le long de la paroi intérieure de la tranchée ouest. L’élévation et une partie des fon- dations étaient réalisées avec des carreaux de terre crue, comme du nord au sud et sur 3 m d’ouest en est. Large de 0,60 m, sa en témoignent le comblement des tranchées de récupération et la profondeur varie entre 0,10 m et 0,35 m. Par conséquent, il est couche de démolition. Les carreaux semblent directement posés impossible de proposer une restitution de plan même à partir des sur le substrat crayeux. bâtiments précédemment présentés. La question de leur contem- De nombreux fragments de tuiles courbes et à crochet ont poranéité se pose aussi puisque son orientation diffère des autres. été mis au jour sur l’ensemble du site. Ces éléments suggèrent une couverture en terres cuites architecturales. Le comblement Les bâtiments sur poteaux d’un puits de creusement, situé à l’intérieur du bâtiment, et un épandage retrouvé à proximité ont livré de rares tuiles glaçurées. Deux bâtiments sur poteaux viennent en quelque sorte déli- La toiture pouvait être couverte soit partiellement, soit intégrale- miter la zone d’habitat. ment par ce type de tuiles et ces dernières ont été alors récupérées Le premier bâtiment est installé au sud-ouest du bâtiment et réutilisées ailleurs. 1005. Trois trous de poteau matérialisent un édifice rectangulaire Un niveau de sol d’occupation était conservé dans l’angle de 2,50 m de longueur sur 1,25 m de largeur (fig. 10). Il occupe interne au nord-ouest du bâtiment. Il se traduit par une fine ainsi une petite surface supérieure à 3 m² et est orienté nord- couche charbonneuse. La présence d’un carreau de pavement ouest/sud-est. Les structures de la façade ouest présentent une en surface et encore en place ainsi que d’autres carreaux retrou- bonne conservation et des négatifs de poteau sont encore visibles. vés dans une structure en creux dans l’angle opposé, pourraient À l’inverse, le trou de poteau 1057 est très arasé et son pendant suggérer l’existence d’un sol pavé. Il faut signaler également que au sud a disparu. Ils ont un profil en V pour un diamètre variant certains présentent des traces de mortier sur le revers. Un lit de entre 0,46 m et 0,67 m et une profondeur de 0,05 m à 0,21 m. Ce mortier devait être appliqué sur le sol afin de niveler la surface type de plan de bâtiment, à la superficie très modeste, est très bien même si aucune trace n’a été mise en évidence sur ce site. Tous identifié aujourd’hui ; il est traditionnellement interprété comme ces éléments architecturaux témoignent d’un grand soin apporté un grenier aérien. Malgré l’absence de mobilier archéologique, à l’édification de ce bâtiment. En revanche, le fort arasement cet édifice a été rattaché à l’occupation médiévale du site et plus des vestiges n’invite ni à restituer des cloisons ou des étages, ni à particulièrement au bâtiment 1005 par sa proximité. reconstituer une entrée. À l’extrémité nord de la zone d’habitat, deux trous de poteau Une grande fosse polylobée occupait le centre du bâtiment circulaires sont alignés selon un axe nord-est / sud-ouest (fig. 11). et a soulevé de nombreuses interrogations et, ce dès le diagnostic. Des lignes perpendiculaires ont été tracées pour retrouver des Après plusieurs sondages, une cave quadrangulaire de 2,50 m à structures symétriques. Malheureusement, une tranchée de la 3 m de côté est apparue sous la fosse qui était le résultat des dif- première Guerre mondiale et un puits d’extraction ont peut-être férentes couches de démolition. Les parois verticales sont habil- contribué à leur disparition. Avec toute la prudence requise et si lées de murs parementés avec des carreaux de terre crue sur six ces éléments discriminants sont occultés, ces trous de poteau pour- assises. La partie centrale est surcreusée et des escaliers entaillés raient alors être les vestiges d’un autre bâtiment sur poteaux. Cette dans le substrat pour accéder à la cave et/ou au souterrain ont construction envisagée pourrait mesurer environ 4 m de longueur été envisagés. sur 2,30 m de largeur, soit une superficie de plus de 9 m². Ce bâtiment pourrait également communiquer avec la cave Bâtiment 2024 2187 au plan carré de 3 m de côté, similaire aux autres caves mises au jour sur le site. Les parois sont verticales et le fond, parfaite- Le troisième bâtiment est plus hypothétique (fig. 9). Une ment plat, conserve un niveau de circulation de craie compactée tranchée, probablement de récupération, marque un angle droit recouverte d’une couche cendreuse. Des carreaux de terre crue et d’axe nord-sud / ouest-est. Elle apparaît sur 5,50 m de longueur des pierres calcaires, retrouvés dans les différents comblements,

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Fig. 9. Tranchée matérialisant le bâtiment hypothétique 2024 au premier plan (S. Foisset).

1060 TP 1060

N N 1063

TP 1057

TP 1063 1057

1050 BÂT A TP 1050

0 50 m 0 5 m

Fig. 10. Restitution du bâtiment sur poteaux A, situé au sud de l’emprise (DAO : C. Pesenti).

TP 2012

N TP 2012 N BÂT B

TP 2028 F 2287

TP 2028

Échelle des coupes : 0 1 m

0 50 m Échelle du plan : 0 5 m

Fig. 11. Plan du bâtiment sur poteaux B surmontant la cave 2287 (DAO : C. Pesenti).

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Le site des Terres Soudées à Thillois (Marne) 439 ont probablement été utilisés pour les murs, une voûte ou des Les souterrains aménagements intérieurs. Cette cave permettait d’accéder au souterrain 2049 qui se développe à l’est en direction du mont La particularité de ce site réside dans la présence de cavités Saint-Pierre. aménagées communiquant parfois avec les caves et/ou les bâti- ments en surface. Les caves isolées Les souterrains avérés Si la majorité des caves est associée à un bâtiment en surface, deux caves sont isolées. Souterrain 2263 Au nord-est de l’emprise de fouille, la cave 2158 présente un plan quadrangulaire de 2,43 m de côté sur 1,50 m de profondeur Le premier souterrain est creusé dans la partie septentrionale (fig. 12). Des murs de carreaux de terre crue sont plaqués contre de l’emprise de fouille. Un puits de 2,48 m (au point le plus les parois verticales sur 0,30 m d’épaisseur. L’ensemble est lié par haut) à 0,50 m de largeur sur 2,63 m de profondeur participe à une argile brun-orangé. Le petit surcreusement du fond de cette la conception horizontale du souterrain. À la fin de cette opéra- cave suppose peut-être la présence d’un petit plancher. tion, le puits de creusement est généralement condamné avec des La deuxième cave isolée, 2135, est placée à l’est du possible pierres disposées verticalement sur un des côtés puis l’obturation bâtiment 2024. Elle s’étend sur plus de 3 m de côté et est conser- s’effectue par le sommet. Ici, la condamnation se caractérise par vée sur 0,50 m de profondeur. Le fond de cette structure a livré une alternance de couches constituées de limon, de blocs et de de nombreuses excavations (fig. 13). Le faible échantillonnage de cailloutis de craie résultant probablement des effondrements de mobilier céramique nous interdit de proposer une chronologie paroi. Un couloir de 0,75 m de largeur pour une hauteur sous et une organisation spatiale précises. Néanmoins, trois phases voûte de 1,85 m court vers l’est en direction du mont Saint- d’occupation ont été proposées dans le cadre de cette opération. Pierre. Sa profondeur d’enfouissement (4 m sous la terre arable) Première phase : elle correspond à la construction de la cave n’a pas permis de le suivre sur l’ensemble de son parcours. Il faut dont les parois présentent des surcreusements d’environ 0,60 m de souligner une pente ouest-est de 0,2 % sur seulement 2,70 m de diamètre. À l’est, trois trous de poteau sont installés à proximité de longueur. Un sol de circulation peu épais et très compact a été mis la paroi. Une nouvelle galerie souterraine est creusée au sud même au jour. Toutefois, l’absence de mobilier archéologique ne permet si, en l’absence d’investigations, nous ne sommes pas en mesure pas de proposer une datation pour sa construction et son occu- de savoir si elle se poursuit dans cette direction. Ces différents pation. La proximité de la cave 2158 laisse présager en revanche aménagements « pariétaux » suggèrent la présence d’un plancher. une communication entre ces deux entités bien que celle-ci n’ait Deuxième phase : cette phase reste très hypothétique avec pu être vérifiée sur le terrain. l’adjonction de nouveaux trous de poteau. Troisième phase : un mur de carreaux de terre crue de trois Souterrain 2049 assises est placé contre la paroi est et certains trous de poteau sont alors comblés. Le souterrain a pu également être condamné à ce Le sondage effectué dans la tranchée de 1914-1918 a révélé moment-là à l’aide d’adobes et de pierres calcaires agencés grossiè- la première cavité aménagée du site. On y accède par une cave rement. Le lambeau d’un niveau de craie compactée et de limon à l’extrémité ouest. Elle s’ouvre sur un couloir, toujours d’axe mêlés témoigne d’un probable sol de circulation. ouest-est, aux parois concaves dont la hauteur sous voûte varie entre 1,60 m et 2,20 m. Le fond est recouvert d’une fine couche limono-cendreuse très indurée. Le contact entre la galerie et la cave est marqué par un creusement, observé en surface et au sud, sur 0,40 m de côté et 0,34 m de profondeur. Il est accompagné de

Nord Sud MR 2163 NGF 100.71 m MR2163

US 2162

US 2161 US 2160 US 2159 NGF 99.11 m

0 2 m

Fig. 12. Profil de la cave 2158 (DAO : C. Pesenti).

Fig. 13. Vue de la cave 2135 (A.-C. Angeli).

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a b

c d

Fig. 14. Vues des différents aménagements présents dans le souterrain 2049. a : Négatifs d’une armature en bois ? b : renfoncement ; c : négatifs du système de fermeture dans la paroi ouest ; d : négatifs du système de fermeture dans la paroi est (A.-C. Angeli et N. Arandel).

a b c

Fig. 15. Vues des différentes sections du souterrain 2170. a : Rampe d’accès ; b : condamnation de la galerie avec des carreaux de terre crue ; c : salles de part et d’autre de la galerie du souterrain (S. Foisset et B. Hollemaert).

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deux autres creusements similaires sous-jacents mais moins mar- Sud-Est Nord-Ouest qués dans le substrat (fig. 14 a). Ils correspondent soit aux négatifs NGF 97.46 m d’une armature en bois soutenant une couverture, soit à l’empla- cement de planches en bois pour remonter à la surface. Un petit renfoncement de 0,70 m de profondeur sur 0,80 m de largeur est aménagé dans la paroi nord (fig. 14 b). La base de cette structure est légèrement plus haute que le niveau de circulation de la galerie. NGF 96.30 m Une bouteille en céramique commune claire a été découverte à 0 2 m l’intérieur. L’exigüité du couloir induit la difficulté d’y circuler et en particulier de se croiser. Ce renfoncement permettait peut-être Fig. 16. Relevé de la voûte de l’alvéole de favoriser les croisements. L’hypothèse d’un petit espace de stoc- du souterrain 2170 (DAO : C. Pesenti). kage ne peut être totalement écartée. À l’extrémité est, les parois nord et sud sont percées respectivement de six et quatre conduits sub-circulaires ou de feuillures de 0,22 m de hauteur sur 0,10 m nécessité cette construction. À l’extrémité sud, deux petites salles de largeur maximum (fig. 14 c et d). Leur alignement vertical et ou niches sont creusées dans les parois ouest et est du couloir leur position symétrique témoignent d’un système de fermeture (fig. 15 c). De plan semi-circulaire, elles mesurent respectivement avec les négatifs d’un chambranle de porte. Cette caractéristique 1,44 m sur 1,32 m et 1,50 m sur 1,70 m. À l’ouest, l’entrée de cet architecturale a déjà été retrouvée dans plusieurs souterrains de aménagement est flanquée d’une voûte maçonnée en plein-cintre l’ouest de la . Les portes sont généralement placées avant de 2,10 m de longueur sur une épaisseur de 0,30 m (fig. 16). La et après un virage à angle droit. Bien que le développement de maçonnerie a été conçue avec des blocs de calcaire équarris liés ce souterrain ait été observé sur une courte longueur, un plan en à la terre. L’ensemble devait être également enduit mais seule la chicane peut être envisagé ainsi qu’une communication avec la couche d’accroche était conservée. La niche est n’a conservé que structure 2006, à l’instar du souterrain présenté ci-dessous. les piédroits qui présentent la même mise en œuvre et les mêmes dimensions. Le volume des comblements était trop important Souterrain 2170 pour être retiré intégralement et les données sont par conséquent lacunaires. Par analogie avec d’autres cavités aménagées, la fonc- Trois sondages ont été nécessaires pour observer ce souterrain tion de stockage semble tout à fait probable. Le deuxième accès dans son intégralité. Il se développe du nord-ouest au sud-est se faisait par la cave 2017 bien que leur relation n’ait pu être sur 17,50 m de longueur et 0,85 m de largeur pour une hauteur observée directement. conservée qui varie entre 0,50 m et 3,30 m. Une première rampe d’accès à plan incliné est creusée à son extrémité nord-ouest afin Souterrain 1125 de descendre progressivement dans la galerie. Pour atténuer la pente, une succession de coudes est aménagée (fig. 15 a). Un À l’ouest du bâtiment 1005, un puits de creusement de niveau de circulation est une fois de plus conservé. Plus au sud, 1,25 m de diamètre est foré sur 1,85 m de profondeur. Des car- une section de galerie est totalement condamnée par un mur de reaux de terre crue sont placés principalement contre la paroi sud, 2,38 m de hauteur observée (fig. 15 b). Des carreaux de terre une fois la réalisation terminée (fig. 17). Il s’ouvre sur un couloir crue liés avec un mélange de limon et de craie, disposés sur dix coudé de plus de 6 m de longueur sur une largeur de 0,87 m. assises, ont totalement obturé la galerie. L’effondrement partiel L’intervention du SRA Champagne-Ardenne a montré que cette de la voûte, peut-être même au cours de son utilisation comme le construction a été avortée, sans doute pour des raisons de stabilité suggère le profil de la galerie marqué par une sorte de décroché, a du sol géologique.

Fig. 17. Vue du souterrain 1125 (C. Pesenti).

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Les souterrains supposés Les caves sont comblées avec des carreaux de terre crue trou- vés in situ mais également dans les bâtiments en surface. Ils sont À l’est du souterrain 2170, une structure rectiligne, d’axe associés à une alternance de couches de craie remaniée et de limon. nord-ouest / sud-est, se développe sur 8,25 m de longueur et Certains carreaux permettent aussi de sceller définitivement l’accès 0,80 m de largeur. Conservée sur 1,40 m de profondeur, elle aux caves. L’une d’entre elles a livré du mobilier céramique qui présente des parois légèrement concaves et un fond plat, profil laisse supposer un abandon à partir du xive siècle. identique aux autres cavités aménagées. La tranchée de la première Les souterrains sont intégralement comblés avec de la craie Guerre mondiale a détruit les traces de cette galerie au nord- concassée alternant avec de fins niveaux de limon. L’homogénéité ouest. Au sud-est, les limites deviennent floues. Deux hypothèses des comblements atteste un abandon rapide et volontaire. De s’offrent à nous : soit l’accès du souterrain se faisait par le possible même, la présence de limon témoigne de l’ennoiement épisodique bâtiment 2024, partiellement conservé, et il s’étendait au-delà de de la cavité. En effet, la craie est par nature une roche sédimentaire l’emprise de fouille, soit la conception de cette galerie a été avor- poreuse, perméable et friable, et des infiltrations d’eau ont sans tée, à l’instar du souterrain 1125. Par ailleurs, la communication doute eu lieu. Les comblements ont également permis de prévenir avec la cave 2135 au nord n’a pu être vérifiée et les interrogations les risques d’effondrement des galeries. Pour garantir encore plus demeurent. de sécurité, l’entrée de certains souterrains (celle de la structure Le sol de la cave 1110, associée au bâtiment 1005, est marqué 2049 et celle dans la cave 1110) a été obturée définitivement par au sud par un conduit quadrangulaire de 1,50 m sur 1,30 m de des murs en carreaux de terre crue. Le souterrain 2049 a livré de côté. Fouillé sur 1,70 m de profondeur, sa paroi nord est creusée, nombreux éléments de mobilier comme de la faune représentative ce qui indique un nouveau souterrain. De plus, au nord et à de la triade domestique et de l’alimentation carnée des popula- l’extérieur du même bâtiment, un puits de creusement est installé tions sur le site, des pichets et des pots en céramique qui situent sur 1,90 m de diamètre et sur 6 m de profondeur. Un niveau de le terminus post quem autour des xiiie-xive siècles. Des pierres à limon brun mêlé à quelques nodules de craie suggère l’amorce aiguiser et un fragment de fer à cheval complètent ce corpus. d’une voûte à 1,20 m de profondeur avec l’emploi de carreaux Selon toute vraisemblance, l’abandon des unités d’habitation de terre crue agglomérés. Une communication entre ce puits de est contemporain de celui des souterrains et il est amorcé dès creusement et le départ de souterrain paraît donc plausible. le xive siècle. Ce phénomène est relaté dans les textes à partir Les souterrains apparaissent en grand nombre dès leur décou- du xve siècle. En effet, l’impôt n’est plus levé en 1457 et 1458 verte au xixe siècle grâce aux recherches menées par les érudits et puisqu’« il n’y demeure ame » (AMR, liasse 41, n° 2). Au début les sociétés archéologiques et historiques locales. Ils ont fait l’objet du xvie siècle, le village du Mont-Saint-Pierre est à nouveau men- de recensements, de descriptions succinctes plus ou moins précises tionné dans les ordonnances de la vicomté de Reims. En 1652, et plus rarement de représentations graphiques. Ces cavités, par l’impôt n’est plus levé (AMR, C 2181) et la destruction de l’église leur technique de construction à des époques anciennes et leur en 1675 marque l’abandon définitif du village (ADM, 2 G 1519). position souterraine, ont revêtu, pendant plusieurs décennies, voire pendant plus d’un siècle, un caractère mystérieux et ont Le mobilier influé sur l’imagination de cette époque. Par ailleurs, il y a encore quelques années, le Moyen Âge était perçu comme une période La céramique sombre où se sont succédé les invasions barbares et les guerres « territoriales ». La littérature illustre encore parfois cette impres- Le corpus de la céramique est constitué de 417 restes dont sion de recul des connaissances scientifiques et techniques par seulement 30 NMI (fig. 18). Malgré la faiblesse de ce corpus, il rapport à l’Antiquité par exemple. Par conséquent, leur fonction, est caractéristique d’un marqueur chronologique soulignant que leur datation et leur origine ont déclenché un large engouement. l’ensemble est postérieur au xiiie siècle. La céramique plombifère De ces recherches sont nés de nombreux débats, polémiques représente un peu plus d’un quart des individus. De même, la et hypothèses dogmatiques très discutables aujourd’hui : culte céramique commune claire illustre une part non négligeable du païen, grotte préhistorique, édifice celtique, lieu sépulcral, etc. corpus. Trois types de vase se détachent : les pichets à lèvre épaisse, L’augmentation des découvertes de souterrains révèle aujourd’hui les pichets à lèvre fine et les pots à lèvre en bandeau. Il s’agit des structures liées principalement au stockage. majoritairement de formes ouvertes inscrites dans les répertoires régionaux des xiiie-xive siècles. Elles se rapportent à la vaisselle à L’abandon du site vocation culinaire. Cette étude a également mis en évidence des tessons rési- Le site est abandonné progressivement. duels à rattacher au Hallstatt, qui rappellent l’importance de cette Les bâtiments sont détruits et probablement arasés. Les élé- occupation aux abords du mont Saint-Pierre. Des fragments de ments de toiture et les carreaux de pavement les plus remarquables sigillée d’Argonne ont été retrouvés. Celle-ci circule couramment sont récupérés alors que les autres sont répandus à l’extérieur des dans la région entre la fin duii e et le ive siècle. La période de la habitats ou dans des fosses. Les carreaux de terre crue sont retirés première Guerre mondiale s’illustre par quelques céramiques du et ceux restés en place vont s’agglomérer au fil du temps. Le bâti- début du xxe siècle. ment 1005 est condamné par un niveau de démolition massif où sont associés limon et craie. La rareté du mobilier, qu’il s’agisse La faune aussi bien de céramique, de faune que de métal, est due d’une part à l’arasement des vestiges et d’autre part à la récupération La fouille a livré 516 restes osseux fauniques répartis essentiel- des matériaux et des objets de la vie courante au moment de la lement dans les cavités aménagées. Sur 201 parties anatomiques désertion du site. Ce constat n’est pas un fait isolé puisqu’une répertoriées, seulement 27,30 % appartiennent aux animaux fouille récente dans l’Aube a démontré une situation similaire de la triade domestique. Les suidés sont majoritaires, suivis de (Pesenti, 2014). près par les ovicaprinés puis par le bœuf. Parmi les ovicaprinés,

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Céramique issue du bâtiment 1005

1077.1 1077.4 1077.3 Pot P12 Pichet P1V Coupe P7V

Céramique issue du souterrain 2049

2044.2 Pichet P12 2044.1 Pichet P3

2044.3 0 5 cm 2044.4 Pot P1 Bouteille O3

Fig. 18. Céramique issue du bâtiment 1005 et du souterrain 2049 (dessin et étude : N. Peyne).

Iso 16 F 2049 Iso 4 Iso 14 F 2049 F 2049 0 10 cm

Fig. 19. Petit mobilier mis au jour dans le souterrain 2049 (dessin et étude : A.-A. Berthon). seul le mouton a été mis en évidence. Les ossements d’équidés Le petit mobilier représentent 15,12 % du corpus. Seul le coq révèle la présence de volaille, le pigeon pouvant être considéré comme un oiseau Les objets rattachés au petit mobilier sont peu nombreux sauvage. (dix) sur le site. Néanmoins, ils confirment l’occupation médié- Les micro-vertébrés représentent 35,82 % du corpus mis au vale (fig. 19). jour principalement dans les comblements des souterrains et d’un L’équipement des équidés est matérialisé par deux fragments silo. La micro-faune n’a vraisemblablement aucun lien avec une de fer à cheval et un clou de ferrage dont un est usité entre le xie action anthropique. et le xiiie siècle. La présence de deux pierres à aiguiser à grain fin

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est également à signaler. Leur format allongé est adapté au coffin, avec un plan quadrangulaire de 2,50 m à 3 m de côté et d’autre poche accrochée à la ceinture et destinée à accueillir les pierres part des modes de construction avec des parois habillées de murs utilisées pour affûter les lames à faux. de carreaux de terre crue, généralement recouverts d’enduits. La découverte d’adobe en contexte reste très rare. En pratique dès La SYNTHÈSE Tène finale, son utilisation se généralise durant l’Antiquité. On peut noter sa présence dans le fond d’une cave antique sur le site L’occupation médiévale du site des Terres Soudées est implan- de La Perte à (Marne). Néanmoins, la mise en œuvre tée sur un versant peu prononcé, principalement à l’ouest du suggérée diffère légèrement puisqu’un soubassement en pierres mont Saint-Pierre, et se développe sur 2 200 m² au minimum. accueillerait une élévation en adobe (Gestreau, 2009). Ou encore Elle est marquée par la création de plusieurs cavités aménagées, sur les sites « 12-14 rue Carnot », « 2 rue des Jacobins » et « Angle insoupçonnées au début de l’opération. Leur présence dans une des rues Lagrive et des Coutures » à Reims (Marne) qui attestent région connue pour ces galeries souterraines, appelées crayères, leur utilisation notamment au Haut-Empire et précède l’emploi aurait pu orienter la réflexion dans ce sens. Sous la ville de Reims de la pierre au Bas-Empire (Rollet, 2009 ; Berthelot, 2009). ont été recensées 300 crayères, creusées entre 10 m et 30 m de pro- Trois caves sur cinq sont associées aux bâtiments de surface fondeur. Elles ont permis l’extraction de blocs de craie nécessaires dont deux se distinguent par leur superficie. Malgré l’absence de à la construction. Les plus anciennes dateraient de l’Antiquité. foyer, le soin apporté à la construction (emploi de carreaux de Aujourd’hui, elles sont utilisées comme sites de stockage pour de pavement, tuiles vernissées, etc.), la présence de vaisselle usuelle grandes maisons de champagne. Pour le site des Terres Soudées, et des restes osseux de faune supposeraient des édifices destinés à la morphologie des galeries, leurs aménagements, les niveaux de l’habitat. Les bâtiments sur poteaux seraient plus des bâtiments circulation ainsi que leur relation avec les bâtiments de surface connexes de celui-ci. suggèrent la fonction de stockage. Ces structures apparaissent L’habitat apparaît dans un alignement organisé à l’est de comme des annexes de l’habitat, dont elles sont indissociables. l’emprise de fouille. Dès le départ se pose la question du statut de Les textes ne signalent à aucun moment la présence de sou- ce site. A-t-on affaire à un village ou à un simple habitat groupé ? terrains dans ce secteur. Parfois, leur construction n’était pas Certains indices invitent à privilégier la première hypothèse. En « déclarée » pour dissimuler une partie des récoltes et éviter de effet, les textes mentionnent le village du Mont-Saint-Pierre dès le s’acquitter de la totalité de l’impôt seigneurial. En Champagne- xiie siècle ainsi que son église paroissiale, bien qu’elle n’ait jamais Ardenne, ces cavités aménagées sont rapportées essentiellement été retrouvée. Les vestiges mis en évidence vont également dans dans la littérature ancienne comme à Étoges (Viré, 1932) et à ce sens. Cette fouille offre cependant une vue partielle de l’occu- Cuperly (Schmidt, 1894) dans la Marne, mais elles n’ont jamais pation. L’organisation du village reste aussi incertaine : dévelop- été retrouvées dans un contexte d’archéologie préventive. La rareté pement autour de l’édifice eligieuxr ou installation le long d’une de ce type de structures ne doit pas pour autant faire des Terres rue ? Enfin, l’accent doit être mis sur la place privilégiée qu’occupe Soudées un site exceptionnel. Les travaux dans les régions comme le mont Saint-Pierre notamment dans le monde des morts. La le Limousin, l’Auvergne, le Châtelleraudais et plus récemment présence de nécropoles gauloise, mérovingienne, carolingienne le Poitou-Charentes, qui a livré plus d’une vingtaine de souter- ainsi que de sépultures isolées pour la période antique illustre ce rains lors des travaux de la LGV, signalent plutôt une absence de constat. recherches sur cette thématique en Champagne-Ardenne. La multiplication des opérations d’archéologie préventive La majorité des galeries mises au jour sur le site commu- dans ce secteur ces dernières années, favorisée par l’augmentation nique avec des structures excavées supposées être des caves. La des projets d’aménagement, permettra sans doute une étude plus fouille a révélé une standardisation du module de construction complète de l’occupation du sol.

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