Revue des langues romanes

Tome CXX N°2 | 2016 Leon Còrdas/Léon Cordes. Canti per los qu'an perdu la cançon

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rlr/393 DOI : 10.4000/rlr.393 ISSN : 2391-114X

Éditeur Presses universitaires de la Méditerranée

Édition imprimée Date de publication : 1 juillet 2016 ISSN : 0223-3711

Référence électronique Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016, « Leon Còrdas/Léon Cordes. Canti per los qu'an perdu la cançon » [En ligne], mis en ligne le 01 février 2018, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rlr/393 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rlr.393

Ce document a été généré automatiquement le 23 septembre 2020.

La Revue des langues romanes est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modifcation 4.0 International. 1

SOMMAIRE

Leon Còrdas / Léon Cordes, « Canti per los qu'an perdu la cançon »

Avant-propos Léon Cordes, le chant au-dessus du chant Marie-Jeanne Verny

Troubadours aujourd’hui / trobadors al segle XX, le poète Léon Cordes et sa « translation » Roy Rosenstein

Léon Cordes : entre cri et silence, premiers essais poétiques Philippe Gardy

La cosmogonia dins La Respelida de Centelhasde Leon Còrdas Miquèl Decòr

Leon Còrdas, òme de teatre Joan-Claudi Forêt

Leon Còrdas, « romancièr testimòni » Claire Torreilles

Léon Cordes, passeur de langue et de culture Marie-Jeanne Verny

My beautiful laundrette : Léon Cordes et le projet de laverie automatique de l’IEO (1951-1953) Yan Lespoux

Bibliografia generala de Leon Còrdas Françoise Bancarel et Marie-Jeanne Verny

Varia

Nuno Fernandez Torneol et Johan Zorro.Correspondances intertextuelles Miguel Ángel Pousada Cruz

L’autrier trobei tras un fogier (P.-C. 162, 3) : lecture d’un sirventès de Garin d’Apchier Jean-Pierre Chambon

Traces musulmanes dans le théâtre médiéval européen Francesc Massip et Raül Sanchis Francés

« Un félibre autrichien » : quelques remarques sur Hugo Schuchardt et le pays d’oc, accompagnées d’une nouvelle édition de sa correspondance avec Fréderic Mistral Luca Melchior et Verena Schwägerl-Melchior

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 2

Critique

Jean-François COUROUAU, Et non autrement. Marginalisation et résistance des langues de France (XVIe-XVIIe siècle) « Cahiers d’Humanisme et Renaissance », vol. 108, Droz, Genève, 2012, 291 p. Jean Lacroix

Vers une poétique du discours dramatique au Moyen Âge. Actes du colloque organisé au Palais Neptune de Toulon les 13 et 14 novembre 2008 Textes réunis par Xavier Leroux, Paris, H. Champion, 2011, 340 p. Jean Lacroix

Nicolas Saboly, Recueil des Noëls Provençaux. Lou Reviro-meinage Présentation, traductions, notes par Henri Moucadel, Montfaucon, A l’asard Bautezar !, 2014, 448 p. Jean-François Courouau

Revues et ouvrages reçus par la Revue des langues romanes

Revues et ouvrages reçus par la Revue des Langues Romanes

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 3

Marie-Jeanne Verny (dir.) Leon Còrdas / Léon Cordes, « Canti per los qu'an perdu la cançon »

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 4

Avant-propos Léon Cordes, le chant au-dessus du chant

Marie-Jeanne Verny

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 5

Felip Gardy, Dins un cèu talhant de blau, Tolosa, Letras d’Oc, 2010

Droit et tordu Drech e torçut Jamais Jamai Léon Leon jamais jamai nous ne le vivrons comme toi lo viurem pas coma tu le poème lo poèma jamais nous ne connaîtrons jamai coneisserem pas prisonniers de nos nuits presoniers de nòstrei nuechs d’angoissa d’angoisse la paraula estransinada la parole exténuée que de la garganta en nos de soca millenària qui de la gorge en nœud de souche millénaire electriza lo còs entier électrise le corps tout entier e lo fai mots e vèrbs et le fait devenir mots et verbes e cant en dessús dau cant et chant au-dessus du chant jamai coma aquela fin de jorn jamais comme en cette fin de journée qu’intraviam ja dins l’escur negre où nous entrions déjà dans l’obscure noirceur de la primiera naissença de la première naissance quand tu quand toi drech e torçut droit et tordu au pè dei torres au pied des tours – luenh dins lo vèspre – au loin dans le soir lo riu Aude passant sota lo pònt vièlh – le fleuve Aude passait sous le pont vieux – seguissiás tu suivais testut coma de generacions d’ases negres têtu comme des générations d’ânes noirs ton boier mitic ton mythique bouvier e tant fasiás de manadets d’imatges et tu faisais surgir une pluie d’images de la terra qu’a ton entorn de la terre qui autour de toi pas mai que d’aur lusent toute luisante d’or regisclava jaillissait que se’n cresiam au point qu’un instant un moment nous croyions d’èstre venguts lei reis en être devenus les rois coronats de sa glòria couronnés de sa gloire

Ce poème fait partie d’une courte série où sont évoqués quelques écrivains que j’ai eu l’occasion de rencontrer dans des circonstances dont j’ai gardé le souvenir : des images toujours vivaces, peut-être (sans doute…) embellies ou déformées par le travail infni de la mémoire. Donc encore plus vraies !

J’ai souvent vu Léon Cordes sur scène (il était presque toujours sur scène dans la vie de tous les jours). Mais je n’ai jamais oublié cette soirée, au cours des années 1960-70, pendant laquelle, à Carcassonne, dans le théâtre de plein air de la Cité, qui porte aujourd’hui le nom de Jean Deschamps, il interpréta, devant une assistance nombreuse, son poème Lo Boièr. Nous étions en été, la nuit était déjà tombée. Soudain Léon apparut, se dirigea vers le centre de la scène, et commença de réciter. Ou plutôt, de vivre son poème, et de le faire vivre au public rassemblé, comme l’aurait fait un créateur de mythes, brassant les mots et les faisant vibrer jusqu’au ciel pour les inscrire, désormais hors du temps, au beau milieu des étoiles. Philippe Gardy.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 6

Une redécouverte récente

1 L’année 1913 vit naître plusieurs grands poètes d’oc dont l’œuvre mérite d’être relue : Charles Galtier (mort en 2004), Pierre Millet (mort en 1998), Jean-Calendal Vianès (mort en 1990).

2 L’œuvre poétique de Léon Cordes connaît depuis peu un regain d’intérêt auprès d’un nouveau public. Les participants à la journée d’études organisée le 20 novembre 2013, à l’occasion du centenaire de la naissance du poète, ont eu le privilège d’assister à l’interprétation a capella de textes de l’auteur par de tout jeunes chanteurs. Ceux-ci sont actuellement engagés, avec d’autres, dans l’entreprise du collectif d’artistes Còp-sec. Ce ne sont pas moins de onze formations de musiciens dont certains très jeunes, qui ont entrepris de mettre en musique l’œuvre du poète, à partir de l’édition de l’Òbra poëtica par Jean-Marie Petit (CIDO 1997). Réalisé en partenariat avec le CIRDOC qui l’accompagne notamment d’une exposition, le projet a pour but l’édition d’un disque. 3 Philippe Gardy nous apprend dans sa communication qu’au tout début des années 1940 Cordes écrivit en direction d’un public populaire des paroles de « chansons à danser » avec la complicité musicale d’Irénée Delmas. Cet homme de tréteaux aurait certaine- ment été heureux que sa poésie exigeante dans son apparente simplicité s’échappe ainsi des pages des recueils poétiques… Il aurait aimé assister à une des phases de ce projet réalisée en avril 2015 « La Barrutla – Périple chanté en pays Minervois avec Lo Barrut », ainsi présentée sur le site du collectif1 : « Le groupe Lo Barrut de Montpellier organise une ballade chantée en plusieurs étapes à la découverte du Minervois. Programme de ceux qui les ont suivis dans l’aventure : marches, rencontres avec les vignerons, dégustations de vin et concerts, chansons sur les traces des poètes occitans et notamment Léon Cordes. » 4 La journée de novembre 2013 devait être l’occasion de revenir sur l’itinéraire de l’homme, de l’écrivain, de l’artiste, du militant. Les interventions ont montré la précocité de ces engagements, mais aussi leur diversité. Elles ont aussi, espérons-le, ouvert le chantier de la re-connaissance d’un homme omniprésent de son vivant et pourtant insuffisamment lu.

Une œuvre riche et multiforme

5 Plusieurs contributions ici réunies analysent les différents aspects de l’œuvre littéraire de l’homme de Minerve : Philippe Gardy et Michel Decor pour la poésie, Claire Torreilles pour la prose et Jean-Claude Forêt pour l’œuvre théâtrale.

6 Mais Cordes ne s’est pas limité à l’écriture littéraire. Il s’est engagé très tôt auprès des jeunes animateurs fédéralistes des revues Occitània, puis Terra d’òc et L’Ase Negre qui lui succédèrent, respectivement à partir de 1941, puis 1946. Chargé de la propagande paysanne, dès 1934, il écrit des articles intitulés « Tocas paisanas » dans les numéros 1, 2, 3 et 6 d’Occitania. Il se spécialise ensuite dans les chroniques théâtrales. 7 Dans les années 1970, il se livre à l’autoédition et publie des ouvrages de vulgarisation culturelle et linguistique dont il assure inlassablement la distribution à travers une grande partie de l’espace d’oc.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 7

8 Les articles rassemblés montrent l’articulation constante qu’il a su établir entre les mots et la pratique. Ainsi Jean-Claude Forêt analyse-t-il le rapport de Cordes avec le théâtre : « Son escritura teatrala se fonda sus una experiéncia concreta de la scèna, coma meteire en scèna e coma comedian, amb tot l’engatjament fisic qu’aquò supausa »2. 9 Forêt explique ainsi par cette pratique totale du théâtre – écriture, mise en scène, organisation des tournées, recherche des acteurs, jeu, analyse critique de l’écriture au jeu en passant par la mise en scène – la forme même des pièces de Cordes, pour lequel le théâtre était un moyen d’aller vers le public. Ainsi en décembre 1946, dans le n° 46 de L’Ase negre, écrit-il une chronique intitulée « Lo taulier enfadat » [Le tréteau enchanté] dans laquelle, par le biais d’anecdotes relatant des tournées théâtrales, il s’émerveille de la rencontre, par le théâtre, de la langue et du peuple. La chronique débutait ainsi : « L’avem fait craïnar pertot ont nos an sonats e ont i avià de pople per compréner e per escotar, lo taulier occitan : aquelis modestes mas ufanoses « tretaux » montats sovent per l’occasion aici sus una plaça, enlà dins una sala de café, pus luenh dins una paura remesa mas ont totjorn lo pople s’es sarrat amb un afogament qu’es una bela causa dins la realitat viva de la lenga e de son teatre. Nos aviàn ben entantinats que lo monde comprendrián pas, que los païsans eran d’ases, que lo « patoes » era condamnat a dire de colhonadas e pas mai. Avèm levat las espatlas e caminat dins l’aleia fervorosa d’aplaudiments qu’eran pas una vana manifestacion d’estetas mas lo mercis de tot un pople envotat »3 10 À l’instar de tous les écrivains débutants, Cordes s’essaya d’abord à la poésie, avant de s’adonner à l’écriture théâtrale, et de passer plus tard à la prose (romans et nouvelles) : ses premiers essais datent des années 1940, alors que la première publication en volume dut attendre 1974. Claire Torreilles lit dans l’œuvre de prose le besoin de « portar testimòni » [porter témoignage] et elle cite Cordes qui écrit dans son roman La batalha dels teules : « Lo deure de l’escrivan es de portar testimòni sus son temps, per son temps4 » 11 Elle souligne la cohérence de cette posture avec les objectifs affirmés dès les années 1940 dans la revue Terra d’òc : se saisir de la langue du peuple pour aller vers ce peuple. Cette posture, Cordes ne s’en départit jamais tout au long de sa vie : ses spectacles où il faisait alterner des textes de haut niveau litté-aire et des contes plus légers, ses ouvrages de vulgarisation, tout était fait pour que la langue occitane rencontre le public.

12 Cordes écrivain avait certainement trouvé la voix qui devait lui permettre cette rencontre, dans le roman comme dans le théâtre ou la poésie. 13 C’est justement de poésie que parlent ici les communications de Philippe Gardy et de Michel Decor. Cordes, montre Gardy, est engagé dans l’écriture poétique dès l’adolescence, « entre imitation et reprise de thèmes obligés et quête d’une voix plus originale ». Cette voix originale qui rappelle, dit encore Gardy, Verlaine, Pons, Lorca et Max Rouquette. La lecture de la Respelida de Centelhas par Michel Decor met ainsi en lumière cet accord profond du poète et d’un paysage qui concentre en son sein l’épaisseur de la destinée humaine, bien au-delà de la destination première de la chapelle dont la restauration fut le prétexte à l’écriture du poème. 14 Mais Cordes fait aussi œuvre de vulgarisateur, au sens le plus noble du terme, dans ce souci de toute une vie d’aller vers le peuple, sans condescendance, lui qui était, profondément, existentiellement, du peuple. Ainsi Roy Rosenstein montre-t-il comment il met à la disposition du lecteur une anthologie des troubadours transcrits en

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 8

occitan moderne. Et j’ai essayé, pour ma part, de montrer les divers aspects de cette fonction de passeur de langue et de culture.

Écriture et engagement précoces et multiples – Recherche du consensus… et pourtant isolement

15 C’est donc très jeune que Cordes entre en contact avec les acteurs de la renaissance d’oc et d’abord par le biais des concours littéraires organisés par l’Académie toulousaine des Jeux floraux. L’article de Philippe Gardy montre comment, à partir de ces premiers textes s’ébauchent peu à peu les paysages poétiques de Cordes, paysages réels et paysages redessinés dans l’épaisseur des mythes fondateurs. Il montre aussi comment se construit très tôt une voix originale, entre le silence et le cri. Gardy relève minu- tieusement toutes les publications – félibréennes ou occitanistes, mais aussi revues françaises admettant des textes occitans – qui éditent les textes de Cordes, dans une zone géographique relativement étendue, du Rouergue à Narbonne et de Toulouse à Montpellier, un pivot étant cependant constitué par le collège d’Occitanie animé par Salvat à Toulouse. C’est là que Cordes, comme bien d’autres, se forma à l’écriture de l’occitan dans la graphie codifiée par Perbosc et Estieu. C’est aussi dans ce cadre qu’il participe à des concours littéraires. Mais Cordes est aussi publié par La Campano de Rodez, éphémère revue créée par Paul Gayraud et Henri Mouly, avec le soutien de l’imprimeur et éditeur ruthénois Subervie ou par les félibres de La Cigalo narbouneso.

16 Sans rompre brutalement avec le Félibrige, Cordes se rapproche peu à peu de l’occitanisme naissant autour de la SEO puis de l’IEO. Son activité se déploie dans des lieux multiples auprès des publics les plus variés et par des canaux divers : publications littéraires, articles d’idées, critique théâtrale, pratique du théâtre, du conte et de la récitation de textes littéraires. 17 Cordes n’a jamais voulu choisir entre les divers courants de l’engagement pour la langue d’oc qui avaient chacun leurs publications, la question graphique n’étant qu’une des questions concernées. On chercherait vainement une prise de position de sa part dans les querelles qui divisèrent l’IEO des années 50 aux années 80. 18 Le retour sur l’itinéraire de Cordes met cependant en lumière un paradoxe entre l’omniprésence de l’homme, du militant, de l’écrivain, de l’homme de scène au cœur de la renaissance d’oc du XXe siècle et la singularité, voire l’isolement de sa position. Par pragmatisme, mais aussi par une profonde volonté unitaire, Cordes, pourtant très souvent au cœur de la mêlée, voulait se situer en dehors des chapelles, avec une conséquence, hélas prévisible : une reconnaissance limitée de ses multiples talents, et ce dès le début de son itinéraire d’écrivain. Ainsi les publications dans Lo gai saber ne sont-elles pas reconnues du côté de la SEO ; Gardy note le délai important entre les premières publications de Cordes et leur compte rendu dans la revue Òc et Cordes, dit- il, « en passant de l’une à l’autre [publication], sans nécessairement renier ses engagements antérieurs, apparaît, avec quelques autres, comme un lien entre ces diverses publications et les groupes qui les administrent. » 19 Un lien ? Voire… Dans un bel article publié en 1986 dans le n° 72 de la revue Connaissance du pays d’oc, Yves Rouquette le qualifie d’« écrivain incontestable et

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 9

incontesté » et pourtant « largement marginalisé. Non sans doute écrivain maudit mais peu s’en faut. ».

20 Claire Torreilles, elle aussi, souligne le délai important entre l’écriture et la publication du roman Sèt pans : « Còrdas o ditz tre la primièra linha del prefaci de Sèt pans : es « un roman que pareis mai de 25 ans après èsser estat escrit »5 et elle cite encore Yves Rouquette dans sa chronique de La Depêche 6 du 14 mai 1974 « un de nos écrivains importants et injustement oubliés ». 21 Il conviendrait sans doute de revenir sur les engagements idéologiques de Cordes et son activité militante, elle aussi continue tout au long d’une vie, et en marge des principaux mouvements. Yan Lespoux relate l’épisode malheureux de la blanchisserie montpelliéraine qui lui fut confiée en gérance, dans les années 1950, par les responsables de l’IEO. Ce devait être un des moyens de renflouer l’Institut ; l’épisode en appa-rence anecdotique en dit long sur le décalage entre le dévoue-ment sans faille de Cordes et la marginalité où il se tint – où il fut tenu – par rapport aux engagements du mouvement : 22 S’il sera de tous les combats occitanistes, celui qui a fondé l’Ase Negre – Occitania et fut un des militants les plus actifs de l’IEO naissant restera désormais à la marge de l’organisme, se consacrant plutôt à son art. Sans doute cette hasardeuse aventure a-t- elle finalement privé l’IEO de bien plus que les subsides espérés. 23 Alors, Cordes 2016 ? Les travaux ici rassemblés ont montré l’urgence de relire l’écrivain. Ceux qui l’ont entendu déclamer ses textes y retrouveront cette voix que Philippe Gardy fait renaître dans le beau texte que nous avons cité en exergue.

NOTES

1. http://www.codetik.org/index.php/21-lezards-d-u/lo-barrut/26-la-barrutla-periple-chante- en-pays-minervois-avec-lo-barrut-avril-2015. 2. « Son écriture théâtrale se fonde sur une expérience concrète de la scène, comme metteur en scène et comme comédien, avec tout l’engagement physique que cela suppose ». 3. Les tréteaux occitans, nous les avons fait craquer partout où on nous a appelés et où il y avait des gens pour nous écouter : ces « tréteaux » modestes et magni-fiques à la fois, souvent montés pour l’occasion ici sur une place, là dans une salle de café, plus loin dans une pauvre remise, mais dans des lieux où toujours le peuple s’est approché au son de nos voix, qu’il a communié avec cette ferveur qui est une belle chose dans la réalité vivante de la langue et de son théâtre. On nous avait bien chanté la rengaine des paysans qui seraient des ânes, du « patois » qui était condamné à ne dire que des couillonades. Nous avons haussé les épaules et marché dans l’allée fervente d’applaudissements qui n’étaient pas une vaine manifestation d’esthètes, mais les mercis de tout un peuple envouté. 4. Le devoir de l’écrivain est de témoigner de son époque, pour son époque. 5. …c’est un roman qui paraît plus de 25 ans après avoir été écrit.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 10

6. Réédition des chroniques littéraires publiées par Yves Rouquette dans La Dépêche de 1974 à 1982, En occitan, une histoire buissonnière de la littérature d’oc, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2013.

AUTEUR

MARIE-JEANNE VERNY

Université Paul-Valéry (Montpellier III)

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 11

Troubadours aujourd’hui / trobadors al segle XX, le poète Léon Cordes et sa « translation »

Roy Rosenstein

1 Les présentes remarques sur les Troubadours aujourd’hui de Léon Cordes remontent à une première série de notes de lecture commencées en 1977, puis complétées, comme il se doit, par une relecture plus récente et surtout mieux informée. Dans des publications de 1988 et de 1995 sur la traduction des troubadours depuis le XIIIe siècle, j’avais déjà signalé le grand intérêt de la tentative de Cordes de tourner ou « translater » (terme français du XIIe siècle, devenu péjoratif au XVIIIe) « librement » (c’est son mot aussi) les chansons des troubadours en occitan moderne. Robert Lafont a commenté sa propre expérience d’autotraduction, fréquente depuis Mistral, Aubanel et autres, celle d’un auteur devenu lui-même traducteur en français moderne de son œuvre écrite en occitan moderne (Lafont 1992). Que dire alors d’une traduction d’un état, ancien, d’une langue dans un autre, contem-porain, en somme d’une langue qui se traduit lorsque la langue de départ devient également la langue d’arrivée ? Il s’agit là de ce que Philippe Gardy appelle la traduction interne (Gardy 1992) et qui peut être, dirons-nous, soit synchronique soit diachronique, comme dans le cas présent. Quand Cordes-Còrdas a entrepris de s’y essayer, en 1975, il n’avait été précédé dans la voie de la modernisation occitane, trois ans auparavant, que par Lafont lui-même dans son Trobar, son unique concurrent (je passe sur quelques versions isolées et oubliées des troubadours parues dans l’Armana). À ma connaissance, seul Bernard Bonnarel a suivi Cordes dans cette voie, en 1981, avec des versions modernes des 194 chansons dialoguées des troubadours (Bonnarel 1981). Une première manière d’aborder le recueil de Cordes se fera donc dans cette optique de comparatiste, qui est d’ailleurs toujours la mienne.

2 Dans l’argumentaire du livre, Cordes affirme avoir « actualisé » les troubadours « pour la première fois » en occitan moderne. Pouvait-il ignorer le travail de Lafont, encore récent, et dont il était l’ami, dixit Lafont lui-même (Petit 1985, 42) ? Du tout, puisque

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 12

Cordes cite Lafont (Cordes 1975, 64). Non, il s’agit d’autre chose, d’un autre plan de travail. Lafont modernise et normalise la langue pour des besoins pédagogiques (il s’agit d’une publi-cation du Centre d’Estudis Occitans). Cordes vise un autre but, même si le lecteur éventuel pourrait être le même. Cordes ne traduit pas, il translate, il retouche, il prend son bonheur là où il le trouve. Robert Lafont, poète à son heure aussi, est plutôt un universitaire montpelliérain dans son Trobar, puis dans les quatre volumes publiés en 2005 chez Atlantica. Cordes, vigneron du Minervois dont la scolarisation s’est arrêtée à seize ans, montpel-liérain d’adoption lui aussi dès les années 1950 (Petit 1985, 8), reste pour sa part résolument poète pratiquant dans son travail et même, c’est le cas de le dire, dramaturge, car il s’occupe beaucoup plus de la mise en scène, si l’on peut dire, des textes de troubadours qu’il représente. C’est sans surprise qu’au départ Cordes avait préparé un certain nombre de ces versions justement pour être montées sur scène. 3 Quelle était sa démarche alors, par rapport à la méthode de Lafont, plus universitaire, plus fidèle aussi, qui en bon philologue retouchait le moins possible les chansons de troubadours ? Cordes s’en était expliqué dans « Quelques notes sur une translation de troubadours », contribution modeste, dans les deux sens et donc trop souvent oubliée, aux premiers Mélanges Camproux, car les deux occitanistes étaient liés d’amitié. Dans sa petite étude autocritique, qui n’en est pas moins une apologie et un plaidoyer, Cordes revendique une fidélité de poète, plus à l’esprit qu’à la lettre : « fidélité à la pensée et l’esprit », dit-il. En effet, plus poète que linguiste, peut-être à l’inverse de Lafont qui était néanmoins les deux à la fois, Cordes est du parti des belles infidèles. Il n’hésite pas à retoucher les poèmes qu’il fait siens, auxquels il rajoute une note personnelle, alors que Lafont, comme tout bon bédiériste, profondément conservateur, intervient le moins possible. Tout est permis au pur poète qu’est Cordes. Le mot à mot n’est plus tolérable pour lui. Il ne conserve pas, il restitue, mais dans sa langue moderne, personnelle, savoureuse. S’il rend la parole aux troubadours, ce sera par sa propre voix, alors que Robert Lafont cherche à taire la sienne devant la parole originelle et donc définitive du troubadour, surtout du manuscrit hypercorrect C. 4 Comme dans toute anthologie, Cordes fait un tri, « un choix » dit-il, mais qui est en réalité triple, car il opte d’abord pour quarante poètes seulement (sans oublier les anonymes qu’il met sagement en tête de son recueil et non pas à la fin ou pire encore en appendice), puis il sélectionne des poèmes de son Académie occitane des quarante, enfin il choisit des passages seulement parmi ces textes. Car, comme un scribe médiéval, ce translateur se permet non seulement de retoucher les textes vers par vers, mais de déplacer et même de supprimer des strophes entières. Il n’y a pas d’interdit pour le poète qui ne se donne pas pour spécialiste dans le domaine comme l’était Lafont. 5 Grosso modo, l’anthologie de Lafont est donc un travail de savant, alors que celle de Cordes est celui d’un poète. Trobar est une œuvre de transmission, mais Trobadors fait œuvre de transposition. Lafont s’efface devant les troubadours ; Cordes s’affirme, s’affiche, s’épanouit. Le lecteur qui connaît déjà les poètes occitans du Moyen Âge dans le texte n’a pas besoin de Cordes « pour lire les troubadours », titre d’un premier article important de Robert Lafont (Lafont 1983). Mais, naturellement surtout, le fin connaisseur aurait envie de lire un poète moderne unique comme Cordes qui renouvelle le contact avec ces illustres prédécesseurs qui l’inspirent, qui lui transmettent leur souffle.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 13

6 Prenons un exemple de sa « translation » :

Quand los jorns s’alongan en Mai Lanquan li jorn son lonc en mai m’es bèl doç cant d’aucèl de luènh, m’es bels doutz chans d’auzels de lonh. e quand ieu soi partit delai E quan me sui partitz de lai, me remembra un amor de luènh. remembra∙m d’un amor de lonh: E me’n vau sornarut, cap clin, vau de talan embroncs e clis, sens que cant ni flor d’albespin si que chans ni flors d’albespis m’agrade mai qu’ivèrn gelat. no∙m platz plus que l’iverns gelatz. (Cordes 1975, 44) (Rosenstein/Leclair 2011, 56)

7 Cette chanson exemplaire de Jaufre Rudel avait été traduite en français dès le XIIIe siècle : une glose peu habile que nous devons au romancier Jean Renart qui, dans son mot à mot français, n’a probablement pas toujours compris l’original (Rosenstein 1995). Celle en occitan moderne par Léon Cordes est sans prétention mais plus efficace. Cordes n’est pas Pierre Ménard qui, dans la nouvelle éponyme de Borges, avait traduit Don Quichotte dans l’espagnol de Cervantès, dans le sens où l’espagnol du premier dix- septième siècle peut et doit être compris autrement de nos jours.

8 On constate d’emblée combien Cordes tente ici une mise à jour alibertine de la graphie flottante médiévale. En 1975, il prend comme base les textes de Jeanroy, tout comme Lafont en 1972. La version moderne de Cordes demeure fidèle à la langue comme à l’esprit du texte de départ. Contrairement à la notation « Vau de talant embroncs et cli(n)s » de Lafont, Cordes innove avec « E me’n vau sornarut, cap clin ». En revoyant seulement l’orthographe dans son édition destinée au Centre d’études occitanes à Montpellier, Lafont a rectifié la graphie comme faire se doit pour un péda-gogue et linguiste militant. Cordes n’a ni recopié l’original comme Pierre Ménard, ni revu seulement la graphie comme Lafont. Non, en tant que poète, il a « translaté » l’original dans son propre idiolecte moderne. Plus qu’un Pierre Ménard imaginatif, plus qu’un Jean Renart médiéval, plus que Robert Lafont notre contemporain, Cordes en tant que poète moderne reconnaît d’emblée qu’une glose sous forme de mot à mot, même quand la chose demeure possible, ne sera pas entièrement satisfaisante en tant que poésie. 9 Il est curieux de noter que Cordes donne également un résumé en prose française ; ce résumé n’est pas très heureux, voire fort inexact. Il banalise le propos de manière assez gauche et ne fait justice ni à l’original de Jaufre ni à sa propre inspiration : « Quand les jours s’allongent en Mai [sic] me souvenant de mon amour lointain je ressents [sic] l’hiver parmi les fleurs » (Cordes 1975, 45). Comme dans le cas du traducteur médiéval Jean Renart, on ne peut s’attendre à ce que Cordes place les deux langues sur un pied d’égalité : il favorise son occitan première langue comme Jean Renart naturellement son ancien français. Mais contraire-ment à Jean Renart, qui propose « Vois de ça embruns et enclins » dans son adaptation (Rosenstein 1995, 337), Cordes reste sensible dans sa langue bien à lui à l’appel de la poésie. Avec « sornarut », il opte pour un mot moins courant sans doute et qui n’a pas d’équivalent parfait en français, où il se rapprocherait un peu de « sombre » et surtout d’« assombri ». Avec « cap clin », il innove par rapport à « cap bas » moderne, peut-être plus fréquent, en conservant le « clis » de Jaufre Rudel (cf. Fourvières 1902, sournaru, cap ; cf. Mistral sournaru) tout comme Robert Lafont, « Vau de talant embroncs e cli(n)s » (Lafont 1972, 78 ; 2005, 54). À

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 14

noter que Lafont a trouvé le même équivalent en italien avec « a capo chino », « Vau de talan embroncx e clis / Vado imbron-ciato, a capo chino » (Lafont 1992, 64-65). Ici, pour une fois, les deux auteurs se rejoignent, mais pour le reste, Lafont colle à son original alors que Cordes laisse jouer la poésie, sa poésie, dans une version créatrice qui fuit les calques faciles. 10 Ainsi, dans ce passage comme dans l’ensemble de son anthologie, Cordes a accompli bien plus qu’une adaptation de la langue ancienne dans la langue moderne comme l’avait fait Lafont. Il a insufflé de la vie dans cette « translation », la vie d’un poète personnel, bien en chair et en os. Comme on l’a souvent fait remarquer, on ne devrait confier la traduction de la poésie qu’à des poètes. La version de Cordes sonne juste dans un sens plus profond, fidèle à l’art de la traduction et à l’inspiration de la vie. Une comparaison des versions du même passage par-delà les étapes de transformation historique et linguistique nous permet de mesurer l’étendue du changement, mais dans la continuité et l’unité de la poésie d’une même culture malgré les siècles qui séparent nos deux poètes occitans, de Blaye et de Minerve. De plus, Cordes ne donne en français qu’un résumé très sommaire : en occitan, il reprend seulement cinq strophes avec la tornade, alors que l’original comporte sept strophes et demie. Encore une fois, Cordes présente peut-être moins les chansons que ses impressions. 11 Naturellement, tous les spécialistes des troubadours, bien que partisans de la poésie, ne verront pas les versions parfois impres-sionnistes de Cordes du même œil, en tout cas pas forcément avec la même bienveillance. Ils contesteront le travail d’un non- spécialiste, jaseront sur ses défauts bibliographiques, lui reprocheront ses erreurs de lecture ou d’interprétation – car on sait que toute traduction est interprétation, depuis Aristote, et donc susceptible de critique. Mais, dans l’exemple que nous venons de voir, Cordes, fin connaisseur de la langue comme de l’esprit du poète, n’a pas fait les erreurs élémentaires d’un poète français comme Georges Ribemont-Dessaignes dans son antho- logie, qui comme un autre poète contemporain a imaginé dans le sol de « si cum far sol » de Jaufre Rudel un « soleil » et non pas une forme correspondant au latin solet du verbe solere « avoir l’habitude », comme espagnol suele ou ancien et moyen français souloit. 12 Certes, il y a des passages où l’on aurait maille à partir avec le poète, notamment quand il se trompe d’éditeur ou de poète (c’est Topsfield, un Anglais, et non Shepard, un Américain, qui a édité Miraval avant Nelli) ou même de titre ou d’incipit (« Kalenda maia » et non pas « Kalenda gaia »). Mais ce sont là de petits détails. Il y a eu bien plus grave. Fontenelle au XVIIIe siècle se demande, « Qui n’a pas connu le grand troubadour Jaufre Budel ? » Au début du XXe siècle, le célèbre critique littéraire Émile Faguet nous parle d’un important troubadour de Mantoue nommé Bordello (lire : Sordello). On pardonnera gracieusement les petites erreurs honnêtes de Léon Cordes ou de son éditeur. Peu nombreux seront ceux qui les remarquent. 13 Je ne suis pas de ceux qui qualifieraient cette anthologie de « référence », tel le site web du groupe de polyphonies féminines « La mal coiffée », une des nombreuses formations musicales qui ont entrepris la mise en musique de l'œuvre du poète (http:// musicalsol.fr/wp-content/uploads/2016/01/Dossier-de-presse-LEMBELINAIRE- FR-1.pdf), ou qui réclameraient une réédition. Mais rendons toujours hommage à Cordes pour avoir réalisé un travail portant sur l’occitan médiéval destiné au commun des mortels, une œuvre surtout sincère, absolument passionnée et suffisamment

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 15

compétente, qui, si elle est entachée de quelques bévues de l’amateur, n’en est pas moins émaillée de nombreuses trouvailles d’un vrai poète. 14 Voilà le travail entrepris par Cordes dans son anthologie, tâche délicate s’il en fut, mais qu’il a accomplie de manière enthousiaste, et je souhaite souligner l’hommage qu’il a rendu pendant la deuxième moitié du XXe siècle à ses prédécesseurs et confrères, occitans et poètes comme lui, aux XIIe et XIIIe siècles. 15 Quid plura ? Lo demai ? On sait qu’Yves Rouquette a donné des articles sur Cordes dans les colonnes de La Dépêche du Midi, dont un qui est reproduit dans le livre de Jean-Marie Petit sur notre poète et dramaturge (Petit 1985, 70). Mais on ignore ou on oublie qu’un compte rendu de Troubadours aujourd’hui signé par le même critique et signalé dans sa recension de Dire son si en 1976 avait également vu le jour, également dans La Dépêche, un an auparavant. Pour finir, je laisserai la parole à Rouquette, traducteur lui-même en occitan à ses heures, qui, dans son compte rendu de 1975, saluait la parution de l’anthologie de Cordes dans des termes élogieux mais aussi attentifs, j’ai failli dire craintifs, devant les propos à venir, qu’il attendait plus chahuteurs, des universitaires. Mais jusqu’ici l’académie a été très discrète sur les défauts d’une adaptation qui aurait pu s’attirer les foudres des savants. En accueillant l’anthologie de Cordes dès sa sortie, Rouquette avait salué non seulement un travail de « vulgarisation », et donc sujet aux critiques des sorbonicoles, mais le fruit du « savoir-faire » d’un maître et de la « sensibilité » d’un poète « véritable ». Quant aux savants universitaires en fonction, poursuit Rouquette, « Laissons-les à leurs jeux d’aveugles et de paralytiques ». Quant à moi, je dirais (et que l’on me pardonne le barbarisme) : SURSUM CORDAs !

BIBLIOGRAPHIE

BONNAREL, Bernard. 1981. Las 194 cançons dialogadas dels troba-dors. Les 194 Chansons dialoguées des troubadours. Paris, chez l’auteur.

CORDES, Léon. 1975. Troubadours aujourd’hui. Trobadors al segle XX. Raphèle-les-, Éditions C.P.M.

CORDES, Léon. 1978. « Quelques notes sur une translation des troubadours », Mélanges Charles Camproux. Montpellier, CEO, t. 1, 71-74.

FOURVIÈRES, Xavier de. 1902. Lo pichot tresor. , Aubanel.

GARDY, Philippe. 1992. « En guise d’ouverture : les Occitans et la traduction ». Surre-Garcia, 15-18.

JEANROY, Alfred. 1915. Les chansons de Jaufre Rudel. Paris, Champion.

LAFONT, Robert. 1972, Trobar, XII-XIIIe siècles. Montpellier, CEO, 1972.

LAFONT, Robert. 1963. « Pour lire les troubadours », Cahiers du Sud 372, 163-179.

LAFONT, Robert. 1992. « L’Autotraduction ». Surre-Garcia, 34-39.

LAFONT, Robert. 1992. Jaufré Rudel : Liriche. Firenze, Le Lettere.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 16

LAFONT, Robert. 2005, 2006, 2007, Trobar, Biarritz, Atlantica, 4 volumes.

PETIT, Jean-Marie. 1985. Leon Còrdas. Léon Cordes. Notice biographique, bibliographique, iconographique, témoignages, critiques, études, textes. Béziers, CIDO.

RIBEMONT-DESSAIGNES, Georges. 1946. Les troubadours. Fribourg, Egloff.

ROQUETA, Ives. 1975. « Trobadors al sègle vint. Troubadours aujourd’hui, présentés par Léon Cordes », La Dépêche du Midi, 23 décembre 1975, repris dans « Yves Rouquette en occitan. Une histoire buissonnière de la littérature d’oc », La Dépêche du Midi. Vent Terral, 2013, 99.

ROSENSTEIN, Roy. 1983. Avec George Wolf. The Poetry of Cercamon and Jaufre Rudel. New York, Garland.

ROSENSTEIN, Roy. 1988. « Translating the Trobadors ». Yearbook of Comparative and General Literature 37, 69-78.

ROSENSTEIN, Roy. 1995. « Translation ». F.R.P. Akehurst et Judith M. Davis, Handbook of the Troubadours. Berkeley, University of California, 334-348.

ROSENSTEIN, Roy. 2011. Avec Yves Leclair. Chansons pour un amour lointain : Jaufre Rudel. La Gardonne, Fédérop.

SURRE-GARCIA, Alem. 1992. Flor enversa. Toulouse, Conservatoire occitan.

AUTEUR

ROY ROSENSTEIN

The American University of Paris

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 17

Léon Cordes : entre cri et silence, premiers essais poétiques

Philippe Gardy

Tous mes remerciements vont à Guy Barral (Montpellier), Jean-Marie Petit, François Pic (Toulouse), Claire Torreilles et au CIRDOC (Benjamin Assié, Françoise Bancarel, Aurélien Bertrand), sans lesquels cet article n’aurait pas pu exister. La graphie des textes cités en occitan est toujours celle des publications mentionnées en référence. Les traductions françaises sont entre guillemets quand elles sont des auteurs eux-mêmes ; celles sans guillemets sont de mon fait. « Canti per los qu’an perdut la cançon » (Branca tòrta) 1 Comme l’a rappelé Jean-Marie Petit, son ami, voisin en terre minervoise et biographe, Léon Cordes fut en quelque sorte un écrivain né, dont les premières œuvres virent le jour au sortir de l’adolescence. Tour à tour poète, dramaturge et prosateur, Cordes a beaucoup exploré, au contact aussi bien de ses lectures, nom-breuses et toujours pertinentes, que de ce « public populaire », encore largement baigné d’occitan, vers lequel, sans doute parce qu’il en était issu et qu’il lui resta toujours fidèle, il n’a jamais cessé de se tourner.

2 Cordes poète, c’est toute une aventure, à la fois unique, cohé-rente, et pourtant marquée par la diversité des formes et des registres qu’il cultiva avec passion, toujours à la recherche du chant le plus juste, de la voix qui s’accorderait le mieux avec son désir d’écrire et, plus encore, d’être entendu et repris.

Bref retour sur un itinéraire poétique

3 Pour les lecteurs au long cours de Cordes (et aussi pour ceux qui ont pris connaissance de son œuvre poétique de façon globale, par l’unique volume de son Òbra poetica, réuni en 1997 par Jean-Marie Petit à l’enseigne du Centre international de documentation occitane, CIDO), ce sont six recueils, d’ampleur et sans doute de statuts différents. Soit :

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 18

4 1. Aquarèla, 1946 (IEO, « Messatges »). 2. Respelida de Centelhas, 1960 (« Amis de Centeilles »). 3. Branca tòrta, 1964 (IEO, « Messatges »). 4. Dire son si, 1975 (Comptador generau dau libre occitan). 5. Se conti que conte, 1980 (L’auteur). 6. Fial de fum (posthume). 5 Parmi ces six recueils, deux peuvent être comptabilisés à part : Respelida de Centelhas a dû rester ignoré des lecteurs de Cordes jusqu’à la publication de l’Òbra poëtica en 1997. Peu nombreux en effet sont ceux qui ont pu avoir accès à sa première publication, très imparfaite, en 1960, à l’occasion d’une soirée « Son et Lumière » organisée à Siran par l’association des « Amis de Centeilles » sous l’impulsion de nombreuses personnalités et institutions languedociennes, le 6 septembre 19601. Selon le récit qui en fut alors imprimé, un des « points culminants » de cette soirée, qui eut pour cadre l’oratoire de Notre-Dame de Centeilles, entre Siran et Minerve, fut la récitation, par le poète, de cette pièce mémorielle. 6 Le dernier recueil, posthume, Fial de fum, sous-titré par Petit « darnièrs poèmas », a été réuni par ce dernier et a trouvé son titre dans celui de l’ultime pièce (ultime au sens fort) de ce bref ensemble marqué par la proximité de la mort. Comme si, avec le poète, c’était son écriture qui partait de la sorte en fumée… 7 Le premier de ces six recueils est devenu très vite une sorte de livre culte, de collector. Quand j’ai fait l’achat, en 1964, l’année de sa parution, de Branca tòrta, j’ai cherché vainement Aquarèla, recueil auquel seule la publication de poèmes séparés dans les anthologies permettait d’accéder commodément, mais donc partiellement. Déception d’autant plus grande que lui faisait écho celle exprimée dans la recension qu’en publia Jean Larzac dans le numéro 4 de l’éphémère revue Letras d’Òc, en 19652, où il reprochait au poète d’être par trop à la traîne de Lorca ou de Pons, et, quand il choisissait enfin de « far de Còrdas », « d’oblidar la leiçon dels autres ». « Mas la frasa pòrta mal, e lo “cant solidari” parla a un public de sendicats que legiràn pas jamai son poëma3 ». Le seul titre de ce deuxième ensemble poétique publié dans la même collection Messatges annonçait, il est vrai, un revirement, une douleur, une sorte d’envers de ce que le substantif unique, sans article, faisant office d’intitulé en 1946, avait exprimé avec simplicité et non sans force : la douceur rêveuse et entraînante que suggérait le mot aquarèla, riche de couleurs apaisantes et de contours à peine esquissés. Sous les espèces de la torsion et de l’arbre réduit à une seule branche (dénudée ?), c’était tout un paysage, et tout un pays au-delà, qui souffrait et de cette souffrance le poème adoptait la forme, et le mouvement spasmodique4. 8 Les deux recueils suivants, Dire son si et Se conti que conte, me semblent adopter, en gros, le chemin tracé dans Branca tòrta : celui d’un registre combatif, faisant alterner une écriture de l’instant heureux et tout de plénitude, et une autre, clairement déceptive, tournée vers la revendication et la joute verbale. Yves Rouquette, rendant compte dans La Dépêche de Dire son si, reprenait à son compte en les accentuant les remarques critiques formulées par Jean Larzac dix ans plus tôt, en particulier quand, après avoir souligné la belle virtuosité du poète Cordes5, il relevait, prenant pour cible « les anciennes recettes de la chanson “carrée” ou du poème de circonstance à tendance politique » : « L’ennemi de cette poésie, ce n’est pas la rime, ni le mètre. C’est la théâtralité ». On retrouverait ces mêmes critiques sous sa plume lors de la parution de Se conti, mais fortement atténuées cette fois, Rouquette préférant insister sur la chaîne

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 19

amicale formée par les dédicataires de la plupart des poèmes alors rassemblés, et caractérisant fort pertinemment l’univers premier et fondamental du poète comme « cordial », « où tout se tient : ciel et terre, végétal et minéral, histoire et éternité, cœur et corps, humour et tendresse6 ». 9 Jean-Marie Petit a montré quel rôle éminent avait joué, dans l’évolution poétique de Léon Cordes, la rencontre avec Lorca « avant 36 au plus tard en 1936 » (2009, 186), alors même que Georges Vieux imprimait à Olonzac sa pièce La Novia. Il a insisté sur la fonction d’éclaireur qu’avait alors jouée à son égard Charles Camproux, professeur au lycée de Narbonne, par l’intermédiaire d’un de ses amis, Élie Mathieu, agrégé d’espagnol, et proche du poète du Cante Jondo aussi bien que de Salvador Dali. Et nul doute, en effet, que cette série de découvertes, alors que Cordes venait tout juste d’avoir vingt ans, fut décisive pour expliquer la métamorphose qui se serait alors opérée dans son écriture du poème. Je cite encore Petit : « De 1940 date son premier recueil de poèmes : Al mirar d’aquesta riba. Certains poèmes de cet ensemble paraîtront en revue, mais le recueil ne verra pas le jour7. Il faudra attendre 1946 avec Aquarèla que Cordes ait médité les leçons d’un Lorca décanté d’un certain lyrisme, repris en compte la musique des mots pour que s’affirme sa voix, une voix profondément originale et qui fera honneur à la nouvelle collection Messatges » (Petit 1985, 6). 10 On pourrait sans doute aussi souligner, à cet égard, à côté de la lecture du poète andalou, celle de Max Rouquette, dont Cordes fait la connaissance en 1934, au moment de son temps de service militaire à Montpellier, et dont il pourra lire quelques années plus tard les deux premiers recueils, marqués par l’influence du Catalan Josep Sebastià Pons, Somnis dau matin (1937) et Los somnis de la nuoch (1942), ce second recueil publié dans la même collection Messatges qui devait accueillir Aquarèla quatre années plus tard. En dehors de sa fille Bernadette (née en 1941), deux seuls autres dédicataires apparaissent dans ce recueil qui a marqué durablement les esprits des amateurs de poésie : le Marseillais Jòrgi Reboul (un ami de Camproux), et Max Rouquette, à qui est adressé, dans la seconde partie d’Aquarèla (De luna et de vents), le très beau poème « Lunas » (Cordes 1997, 50-51). Un poème où se rejoignent deux inspirations devenues frater-nelles : celle de Max Rouquette et celle de Federico García Lorca.

11 Avant Aquarèla, Petit note l’existence de deux recueils demeurés largement inédits. Al mirar d’aquesta riba, déjà mentionné, et, plus mystérieux, Flors de Santa Estèla (sous le pseudonyme de Prudòm de la luna), qui n’est pas daté. Petit parle à son sujet de « recueil de poèmes burlesques […] raillant félibres et félibrées. Ce recueil circulera sous le manteau » (Petit 1985, 11). On y ajoutera, bel et bien imprimé celui-là, et vendu au prix de deux francs, Sieis pouèmos a dire, imprimé comme La Novia, et avant celle-ci (donc avant 1936), par Georges Vieu à Olonzac. Poème écrits, comme le souligne Petit, pour être déclamés en marge des représentations données par la troupe de théâtre d’Ernest Vieu, Lous cigalous narbouneses (créée en 1928), dont Cordes fit très vite partie. Ne lit-on par sur la première page de couverture de ce mince recueil : « Dins las noços, lous repaisses de familho, las taulejados, amics lengadoucians, disetz lous countes galois, las istorios poulidos ou risoulieros, qu’avem pousat a la grando sourgo poupulàrio, empruntat à l’èime tradiciounal del pople nostre8 ». 12 Ainsi, dans l’ordre, « La Janeto » (Jeannette) raconte en chanson la nuit de noces tempétueuse de cette jeune femme groumando, « mai groumando que jamai ! » ; « Evangeli » (Évangile) rapporte comment Jésus, en un épisode mal connu d’avant sa vie publique, transforma miraculeusement une belle jeune fille en une rose solitaire à l’intention

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 20

d’un garçon qui passait par là ; « La ripalho » (La ripaille), dédié à un compagnon « grand safranier » du Nouveau Languedoc 9, évoque à grand renfort d’éloquence rabelaisienne comment le Comte Belbec de Castel-Mascarat lança, lors d’un repas pantagruélique, un défi au chevalier Cluscat Flambalamico, sénher de la Chapulho10 e de Veire-Rasier et… en mourut, non sans avoir auparavant rédigé sa propre épitaphe ; « Lo veire en man » (Le verre à la main) détaille, le lendemain de leurs libations, les souhaits amoureux de six amis fêtards ; « Dintratz dedins » (Entrez dedans) est un récit burlesque mettant en scène un monsieur costumé et chapeauté soudain pris d’un besoin pressant trop longtemps retenu (« Mounsur, dintratz dedins e pissaretz deforo… » est, si l’on veut, la morale de cette histoire) ; « Canto-coucut », enfin, est une variation en chanson sur le thème traditionnel du coucou dont le chant dénonce les cocus du voisinage.

13 On pourrait aussi ajouter à cette liste les chansons dont Léon Cordes écrivait les paroles avec la complicité musicale d’Irénée Delmas au tout début des années 1940. Cinq de celles-ci ont été imprimées sous forme de partitions, par les soins de Delmas, qui en assurait l’édition depuis La Redorte (Aude) : « Nostre bounur tout nòu : Fox-trot ; Pouemo d’amour : Tango ; Tralalalà : Valso ; Lou boun encountre : Marcho-step ; La cansoun de filhol : Marcho ». On aurait ainsi, schématiquement, à ses débuts un Léon Cordes félibre, puis occitaniste, s’essayant à des genres à la fois imper-sonnels et populaires : le récit à dire et la chanson à danser, genres capables de toucher, en occitan, un large public à l’occasion des fêtes et réjouissances familiales ou des bals de village.

Entre 1930 et 1940 : autour du Collège d’Occitanie

14 Les années 1930-1940, années de formation et d’expérimen-tation poétiques, ne nous sont cependant pas totalement incon-nues. Deux sources accessibles restent en effet à notre disposition : les publications de poèmes dans des revues, d’abord ; ensuite les archives de ces mêmes revues, qui ont parfois été partiellement conservées. On sait que l’activisme occitaniste de Léon Cordes fut riche et varié pendant cette période. Vers 1935, il parachève sa formation d’usager écrit et littéraire de l’occitan auprès du Collège d’Occitanie de Toulouse, que dirige l’abbé Joseph Salvat. Annonçant, cette année-là, dans la revue Lo Gai Saber, liée au Collège et à L’Escòla occitana, groupement lui-même rattaché au Félibrige, la parution de la nouvelle publication Occitania, organ mesadier de la joventut occitanista11, Salvat signalait que nombre d’entre eux (Charles Camproux, Marcel Carrières, etc.) « an après, un pauc, à manejar la lenga d’Oc en seguisent les litsons del Colètge d’Occitania12 ». Léon Cordes fait partie de cette liste. Et, pour lui comme pour les autres personnes nommées, cette mention n’est pas de pure forme : Cordes allait très vite prendre part aux concours de poésie occitane organisés à côté des concours destinés au français par l’Académie des Jeux floraux toulou-saine13, dont Salvat était membre. Ainsi, en 1936, Lo Gai Saber annonçait (n° 138, abrilh 1936, 77) que le poète de Siran avait obtenu une fleur (une Églantine d’argent) au concours qui venait de se dérouler pour un ensemble poétique intitulé Fulhs al azart (Feuillets au hasard). Ces feuillets, outre le quasi obligé salut à la fondatrice légendaire des Jeux, Clémence Isaure, comportent trois courts poèmes, « Sus la riba » (« Sur la plage »), « Cansoneta » (« Chansonnette ») et « Sardana ». Quelques semaines plus tard, Cordes était présent à la séance solennelle de remise des prix, à l’Hôtel d’Assézat, où, nous apprend Lo Gai Saber (n° 140, junh 1936, 126), il déclama son œuvre et fut longuement applaudi à côté des autres lauréats de la section occitane et catalane du concours. Dans le numéro spécial

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 21

de cette même année 1936, Lo Gai Saber publiait les pièces primées. Celles de Léon Cordes y occupent les pages 207-212. En 1937, Lo Gai Saber 14 publiait, sans version française, un autre bref poème, en vers libres, couronné par l’Académie des Jeux floraux la même année, « Los forcelons » (Les guêpes) : « Aquel razim de penda ros coma d’òr t’a fait bel-bel ; n’a acampat un assanel mas sulcòp as gisclat coma se te sannavan. Ai, Bon Diu ! i aviá ‘n eisam de forcelons jos una felha, e ton det s’es coflat coma un gran d’aramon15 »… 15 En 1938, Léon Cordes obtenait une nouvelle distinction, une Primevère, pour le poème occitan qu’il avait soumis au jury, La riba doça (Doux rivage dans la version française). Ce texte bénéficia d’une présentation détaillée et élogieuse du rapporteur du concours de langue d’oc, le mainteneur et majoral du Félibrige Joseph Rozès de Brousse16, qui mentionne la sortie de Sieis pouèmos à dire ainsi que le recueil encore à paraître de trois comédies, Tres per un. La riba doça est une longue pièce composée d’alexandrins en terze rime, dans laquelle le poète chante un amour qui est à la fois celui d’une filha bruna, des paysages des bords de la Méditerranée et de sa langue « chucada amb lo lait mairal » (« sucée avec le lait maternel »). Léon Cordes se soumit au moins une nouvelle fois au jugement de l’Académie toulousaine : il obtint en 1940 une mention honorable, assortie d’un prix de 800 francs, « pour ses comédies en vers et en prose », alors qu’il était, précise le palmarès de cette année-là, « caporal aux Armées17 ». Un dépouillement exhaustif du Gai Saber permettrait sans aucun doute de préciser encore le profil poétique de Léon Cordes pendant ces années. Il apporterait aussi, par l’examen des fréquentes mentions faites de son nom et de ses activités, en particulier dans la rubrique très fournie intitulée « Bolegadisa occitana », des renseignements précieux, au- delà de la poésie elle-même, sur son rôle de conférencier, d’animateur, d’homme de théâtre.

16 Sans doute grâce à l’abbé Salvat, Léon Cordes, parallèlement, publia des poèmes à la même époque dans une jeune mais éphé-mère revue toulousaine, L’Effort, « revue mensuelle de littérature et de critique ». Cette revue, qui n’eut que sept livraisons, entre janvier et septembre 1937, prenait la suite, par-dessus les années écoulées, de deux publications qui avaient vu jour à la fin du XIXe siècle à Toulouse, autour notamment d’Emmanuel Delbousquet et de Maurice Magre : Essais de jeune, puis L’Effort 18. Dès son numéro 3, figure à son sommaire une « Chronique occitane », inaugurée par Joseph Salvat19, avec le texte d’une causerie en prose consacrée au romaniste et écrivain d’oc à ses heures Joseph Anglade. Léon Cordes faisait son apparition avec le numéro 6, daté de juin 1937, pour un poème dont le rythme est proche de celui d’une chanson : « Una pichona que ris20 ». On le retrouve au numéro 7, hélas le dernier, comme auteur de deux autres compositions poétiques, plus brèves : « Los faucils21 » et « Alenada ». 17 Si L’Effort appartient peu ou prou, sur un autre versant, au même monde que Lo Gai Saber, en publiant des textes en occitan la revue leur donnait une sorte de brevet de qualité, à égalité avec une production française toulousaine ou plus large dont l’édito- rialiste du premier numéro, Jules Marsan, doyen de la Faculté des Lettres et spécialiste de la littérature romantique, souhaitait qu’elle « éclaire les générations successives et […] prépare les belles moissons ». Ce voisinage et la présence d’auteurs occitans reconnus ou prometteurs rejaillissaient ainsi sur les premiers essais poétiques de Léon

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 22

Cordes, qui s’en trouvaient valorisés. Ce qui n’empêchait pas le jeune poète de Siran de collaborer en même temps à des publications occitanes plus traditionnelles, parmi lesquelles celle du Félibrige narbonnais, La Cigalo narbouneso, qui entamait sa dix- neuvième année d’existence, en 1935, quand Cordes, simple exemple, y publiait une très réussie « Pastourèlo », d’inspiration à la fois popularisante et trouba-douresque, où Jacounel dialogue avec une bergère, jusqu’à l’arrivée inopinée du galant de la jeune fille22 : « … Passejabo lou Jacounel, en fiulant uno ritournèlo, l’autre jour, lou loung d’un pradèl, quand vejèt uno pastourèlo que fasio paisse soun troupèl23 »… 18 Il faut aussi noter la collaboration de Léon Cordes à une autre revue d’inspiration félibréenne, La Campano. Cette revue vit le jour en juin 1937, à l’initiative des écrivains rouergats Paul Gayraud et Henri Mouly, avec le soutien de l’imprimeur et éditeur ruthénois Subervie. Elle disparut dans les premiers mois de l’année suivante, et n’eut que dix numéros au total. Cordes, comme le signale Salvat dans Lo Gai Saber24, y collabora une seule fois (n° 7 daté de décembre 1937, p. 41-42), avec un diptyque intitulé « Vendèmias ». Ce bref ensemble, de 12 puis 11 vers « libres », est placé sous le patronage de Mistral : « Vau mai vendemi qu’academi 25 ». On retrouve la première pièce dans le recueil inédit dont il sera question un peu plus loin, Libret de las doas cents rimas, intégrée dans un plus large ensemble intitulé lui aussi « Vendémias » ; quant à la seconde, il s’agit, mais sans son titre, de la pièce « Los forcelons », publiée en octobre de la même année dans Lo Gai Saber. Ici, ces deux poèmes sont accompagnés d’une version française, dans laquelle certains mots ou formules sont commentés par le poète entre parenthèses26.

19 Les archives du Collège d’Occitanie et de la revue Lo Gai Saber, méthodiquement conservées et classées par Joseph Salvat et ses successeurs, nous aident à préciser la silhouette du poète au cours de ces années27. Les textes ou regroupements de textes conservés de Léon Cordes dans ces archives sont au nombre de 1828. Parmi ceux-ci, trois seulement ne sont pas des poèmes : une lettre à Joseph Salvat, les statuts de l’école félibréenne de Minerve, et un discours dans lequel Léon Cordes apporte, lors d’un banquet de l’Escòla occitana, le salut de la « jove Escole de Menèrba29 ». Ces manuscrits (ou tapuscrits) ne sont que rarement datés, mais un des plus anciens est très probablement de 1931 : il s’agit d’un poème écrit à l’occasion du 11 novembre, « La vots de las campanas30 », où sont évoqués les soldats de la Première Guerre. Un autre, intitulé « Al vi novèl31 », porte la date de 193332. L’un des plus récents est probablement la lettre à l’abbé Salvat, envoyée d’Alsace, où Cordes était certainement soldat. Cette lettre évoque la mort de Prosper Estieu, qui était dans les années 1930 le président (capiscòl) de l’Escòla occitana, mort survenue à Pamiers le 11 décembre 193933. On retrouve dans ce fonds, sans doute incomplet, la version manuscrite de quelques-uns des poèmes auxquels il a été fait allusion plus haut (par exemple « Los Forcelons », pièce XII, primée et publiée en 1937, à deux reprises à quelque semaines d’intervalle). Les autres poèmes ne paraissent pas, sous bénéfice d’inventaires plus fouillés, avoir connu l’impression, mais constituent des témoignages intéressants sur les thèmes traités par le poète. 20 Il s’agit d’abord de compositions patriotiques occitanes, destinées à réveiller, pour reprendre une formulation mistralienne bien connue, l’âme du pays : un « Sirvente », sans doute présenté aux concours des Jeux floraux toulousains34 ; un autre poème de

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 23

même facture, intitulé de façon plus occitane « Sirventesc », dont on trouve deux versions, la seconde n’étant manifestement pas de la main du poète35 ; il est accompagné d’une version française ; « Al pòple d’Oc, Salut ! », est de la même veine, avec une évocation du temps des « vielhs trobadors », dont le poète et ses semblables se proclament les héritiers (« Sem los trobadorets36 »). 21 D’une veine comparable, mais que l’on peut qualifier déjà de plus personnelle, malgré son indéniable enracinement mistralien et félibréen, sont des pièces consacrées à deux thèmes majeurs de l’imaginaire du poète : la cité de Minerve, et la vigne et le vin. « A tu Menèrba » est une ode au pays des origines (« Menèrba, mon païs, lo pus bèl dels terraires37 » ). « Al vi novèl » développe un thème également présent dans deux autres poèmes : « Un vespre a la pressa » et « Las vendèmias !38 ». 22 On peut classer à part une chanson, d’inspiration comparable à celles que Cordes publiait alors avec le musicien Irénée Delmas, « Los braconiers d’amor, canson39 ». 23 On ajoutera à ces textes une longue variation sur le thème de la chanson emblématique des pays d’oc « Dejós ma finestra / i a un ametlier » : « L’amelier florit40 » (ce poème porte au crayon à papier, d’une autre main, la date de 1941). Cette variation nous ramène à l’inspiration patriotique occitane, mais on peut aussi y voir une volonté de s’émanciper de ce que cette inspiration peut avoir de répétitif et d’attendu. C’est cette volonté que l’on devine encore dans deux autres pièces, « Lo poeme de l’estela » et « L’estiu s’en va 41 » (poème copié avec celui des « Forcelons »). 24 Ce dossier conservé dans le fonds du Collège d’Occitanie comporte également un véritable recueil, peut-être le premier conçu comme tel par Léon Cordes. Il s’agit d’un ensemble dactylographié dont seul subsiste ici un double réalisé au papier carbone. Ce mince ensemble s’intitule Libret de las doas cents rimas (Cahier de deux cents rimes dans la version française donnée à la suite des poèmes en occitan). On lit en exergue une phrase de Clardeluno (nom de plume de Jeanne Barthès42) : « Qu’es la voues del jouglar, bels senhes ; un ressoun. Mas lou ressoun es agradiu quand seguet claro la cansoun » (Qu’est-ce que la voix du jongleur, beaux seigneurs ; un écho. Mais l’écho est agréable quand fut claire la chanson). Après une sorte d’invocation à la poésie, on y trouve les pièces suivantes, dont certaines, nous l’avons vu, firent l’objet de publications séparées : « Una pichona que ris » ; « Los faucils » ; « Alenada » ; « L’estiu s’en va » ; « Vendémias » (en fait un regroupement de poèmes, qui reprend les deux compositions sur ce thème relevées plus haut, et en ajoute un certain nombre d’autres) ; et pour finir une adresse au lecteur lui demandant indulgence et empathie. Il s’agit ici encore d’un ensemble destiné à être présenté au concours des Jeux floraux toulousains, comme ces Fulhs al azart primés et publiés en 1936 : cette suite poétique obtint un prix spécial de 500 francs en 1937. Nous avons affaire avec ce Libret à un essai d’organisation, dans lequel semblent avoir été avant tout retenus par le poète des textes moins marqués que d’autres par une thématique obligée, des textes dans lesquels, comme le suggère la citation initiale empruntée à Clardeluno, domine la « chanson claire » et l’écho qu’elle est capable de susciter.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 24

La conquête d’un rythme accordé à la présence d’un paysage

25 Quelques remarques à propos de ces premiers essais poéti-ques, et de ce premier recueil. Comme on pouvait s’y attendre, ils témoignent d’une écriture en recherche, entre imitation et reprise de thèmes obligés et quête d’une voix plus originale. Le contexte même qui les a vu naître pesait sans doute de tout son poids de contraintes, librement acceptées il est vrai : la poésie florale toulousaine, comme le contexte félibréen de l’Escòla occitana et de l’Escòla de Menèrba, que Cordes avait fondée à son image, dictaient les mots clés, les principales inflexions et jusqu’aux formes, classiques, d’une écriture à ses débuts43. Mais ces exercices qu’on qualifiera, au sens large, de scolaires (beaucoup de choses sont affaire d’école ici !), sont aussi le lieu où commence d’émerger, outre un évident désir d’expression poétique, un certain ton, et des motifs déjà personnels.

26 Cordes, non sans assurance, cherche un chemin. Il écrit dans la plupart des publications qui s’offrent à lui, félibréennes au sens strict (La Cigalo narbouneso), félibréennes croisées d’occitanisme (Lo Gai Saber et le concours occitan des Jeux floraux de Toulouse, sous l’influence de Perbosc, Estieu et Salvat ; L’Effort), occitanistes (Terra d’oc). Cet éclectisme de bon aloi révèle une volonté d’avan-cer, pour lui-même, mais aussi pour la langue qu’il a choisie et les idées qu’il défend avec elle. De là sans doute, dans ces années, une grande souplesse graphique, selon les revues, les publics, le contexte44. 27 L’attachement à Minerve et à son histoire, comme celui aux paysages du Minervois et des rives de la Méditerranée, paysages de vignes et d’oliviers notamment, et jusqu’au hameau de Mayrane, berceau de sa famille45, s’inscrit dans un contexte qui est encore celui de la poésie post-mistralienne en ce qu’elle peut souvent avoir de répétitif, voire de ressassé. Mais cet attachement débouche sur des échappées autrement novatrices. Cordes poète, en quelque sorte, se laisse entraîner… par lui-même, loin déjà des modèles imposés. Ce sont ces paysages, à la fois paysages de convention, mais un peu, déjà, paysages de l’imaginaire vécu et retravaillé, qui prennent forme et musique dans les poèmes épars des années 1930-1940. Si Lorca, Max Rouquette ou encore Pons ont été à cet égard pour lui, très probablement, des « alliés substantiels » importants, Cordes le premier, se frottant à l’académisme toulousain, a su s’extraire des contraintes environ- nantes pour trouver comment chanter, en harmonie avec lui-même, non pas seulement son « pays », sa « terre », mais surtout les images que ceux-ci faisaient naître en lui. 28 J’ai noté plus haut comment dans des poèmes tels que « Lo poeme de l’estela » et « L’estiu s’en va » (ce dernier copié avec celui des « Forcelons ») se faisait jour une volonté d’émancipation. Dans l’un et l’autre (comme d’ailleurs dans « Los forcelons »), le poète fait son apparition avec sa voix spécifique, capable d’ordonner les mots et leur chant sans nécessairement se plier aux rythmes et aux énonciations convenus. Deux tendances s’épaulent alors et se renforcent mutuellement. D’un côté, le choix de formats resserrés, sans éloquence (influence de Paul Verlaine, l’un des poètes aimés de Cordes ?), au plus près des images et des sons. On songe à de courtes évocations comme « Alenada », ou « Los faucils », que publie L’Effort en 1937 : « D’autris faucils, amont, an, al vespre tranquille contuniat de virar, mon raive de jovent aviá d’alas tant grandas qu’a pas pus pogut s’envolar46. »

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 25

29 D’un autre, un goût pour la chanson, déjà constaté, mais cette fois plus épuré, plus économe d’effets et de reprises : la musique du poème, parce qu’originale, sûre d’elle- même sans ostentation inutile, frôle le silence, sans s’y abîmer, et en devient ainsi plus perceptible au lecteur. La pièce « Una pichona que ris », également publiée dans L’Effort, correspond à cette recherche d’une certaine légèreté, qui n’exclut pas la profondeur : « Una dansa que fenis una pichona que ris una cigarreta sortida, una flamba que lusis47 »… 30 Verlaine une fois encore ? La plupart de ces textes prometteurs se retrouvent dans le Libret de las doas cents rimas. On serait tenté de considérer, toutes distances prises, ce petit cahier comme la mise en œuvre d’une liberté nouvelle, très consciente d’elle- même, et déjà prête à renouveler et approfondir ses promesses.

31 Plus largement, on peut voir dans ce que les revues des années 1930 ont publié de Léon Cordes poète, comme dans ce que les archives de cette époque en ont conservé, l’expression de deux grandes directions d’écriture, qui nous incitent à nuancer l’idée voulant que l’on serait passé sans crier gare d’une poésie soumise aux slogans félibréens à une parole dégagée de ces influences. Cela est vrai, certes, mais dissimule un peu le fait que Cordes, très tôt, a oscillé entre une veine combative, pétrie d’éloquence, et, d’un autre côté, une quête de la simplicité, du chant le plus en accord avec la lumière de ses paysages d’enfance et de jeunesse. Or cette oscillation première semble caractéristique, par-dessus les évolutions et les apprentissages, d’une hésitation majeure, dont les autres recueils sont empreints. Il s’agit là selon moi d’une pulsation fondatrice, que les critiques adressées à Branca tòrta, recueil volontiers opposé en cela à Aquarèla, avaient bien mise en évidence sans cependant peut-être en dégager toute la signifi-cation. Yves Rouquette, plus tard, à propos de Dire son si, l’avait remarqué : il y a deux Léon Cordes en poésie, qui n’en ont jamais fini de se mesurer et de faire entendre leur différence. Une différence qui, à son tour, nous ramène à l’unité profonde du poète de Siran : cette dualité où l’on frôle tour à tour le silence et la tempête, ce déchirement perpétuel que le poème se propose de coudre et de découdre, au fil des années et des circonstances. 32 Il convient aussi de replacer ce moment dans un contexte plus large. Ces années-là sont marquées par des interrogations, chez les poètes français, au sens large, sur les origines du chant, c’est-à-dire de cette impulsion qui insuffle au poème sa musique intérieure, son élan, sa force d’émotion aussi. Léon Cordes, entre Félibrige et occitanisme, se pose lui aussi alors cette question, ce que nombre de ceux qu’il peut côtoyer ne font guère. Il se la pose pratiquement, en cherchant comment s’élever, si je puis dire, au-dessus de lui-même et de la langue dans laquelle il a décidé d’être poète. Aquarèla célèbre la joie que lui inspira pareille découverte, dans plusieurs poèmes, et surtout dans ce bijou de méditation en actes de poésie qu’est la pièce intitulée « Rossinhòl es pastorèl ». Le jeune provençal Max-Philippe Delavouët, l’un des rares alors avec Henri Espieux (celui-ci dans ÒC) à publier une recension du recueil, avait repéré avec intelligence et sensibilité, au-delà des oppositions idéologiques (et graphiques…), ce qu’apportait la poésie de cet « authentique paysan » du Minervois. Après avoir affirmé que le poème « Quand coneiràs que la paraula… » constituait à coup sûr « la perle du recueil », Delavouët poursuivait en affir-mant à propos de son confrère de Siran, paysan comme lui, qu’« … il met à sa juste place la fonction du chant, si décriée naguère48 ».

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 26

33 Plus tard Léon Cordes s’interrogea, en retour, sur la perte du chant, aussi bien chez autrui que dans son propre cas. C’est ce que nous dit l’un des premiers poèmes de Branca tòrta, dont le vers initial proclame : « Canti per los qu’an perdut la cançon » (Je chante pour ceux qui ont perdu le chant) 34 Je crois que cette suite d’interrogations a poursuivi Léon Cordes, poète à la fois rare et opiniâtre, tout au long de son existence. Et que ses « premiers poèmes », comme on a coutume de dire, témoignaient déjà de cette sorte d’hésitation, de cette angoisse créatrice, entre le silence et le cri.

BIBLIOGRAPHIE

CORDES, Léon, Òbra poetica, traduction française en regard, préface de Jean-Marie Petit, s.l., Centre international de documentation occitane, 1997.

DELAVOUËT, Max-Philippe, [compte rendu d’Aquarèla], Marsyas, n° 251, janvier-février 1947, 1303-1304.

GARDY, Philippe, « Léon Cordes, ou le “mythe de Minerve” », in Marie-Jeanne Verny (dir.), Les troubadours dans le texte occitan du XXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2015, 221-229.

GARDY, Philippe, « Léon Cordes, entre le réel et le mythe », in Paysages du poème. Six poètes d’oc entre XXe et XXIe siècle, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2014.

ESPIEUX, Henri, [compte rendu d’Aquarèla], OC, n° 173, 1949, 36-37.

LARZAC, Jean, [compte rendu de Branca tòrta], Letras d’Oc, n° 4, 1965, 16.

PETIT, Jean-Marie (éditeur), Leon Còrdas. Léon Cordes, Notice biogra-phique, bibliographie, iconographie, témoignages, critiques, études, textes, Béziers, Centre international de documentation occitane ; Montpellier, Association Occitania, 1985.

PETIT, Jean-Marie, « Quand coneiràs que la paraula te conven… Les premiers chemins de Léon Cordes », in Philippe GARDY et Marie-Jeanne VERNY (éditeurs), Max Rouquette et le renouveau de la poésie occitane. La poésie d’oc dans le concert des écritures européennes (1930-1960), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2009, 183-188.

ROUQUETTE, Yves, [compte rendu de Branca tòrta], Viure, n° 2, estiu 1965, n.p.

ROUQUETTE, Yves, En occitan. Une histoire buissonnière de la littérature d’oc, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2013.

ZYTNICKI, Colette, « Entre l’ambition provinciale et la nécessité parisienne : deux revues poétiques toulousaines, Essais de jeunes et L’Effort (1892-1898) », Annales du Midi, n° 196, octobre- décembre 1991, 461-482.

*

Récapitulatif des recueils (en gras) et des publications en revue mentionnés :

1. Recueils, inédits ou édités

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 27

Al mirar d’aquesta riba 1940 (Jean-Marie Petit)

Flors de Santa Estèla (sous le pseudonyme de Prudòm de la luna) (Jean-Marie Petit)

Sieis pouèmos a dire (avant 1936) :

« La Janeto » ; « Evangeli » ; « La ripalho » ; « Lo veire en man » ; « Dintratz dedins » ; « Canto-coucut »

Chansons, avec Irénée Delmas, La Redorte (tout début des années 1940) : « Nostre bounur tout nòu : Fox-trot » ; « Pouemo d’amour : Tango » ; « Tralalalà : Valso » ; « Lou boun encountre : Marcho-step » ; « La cansoun de filhol : Marcho »

« Los braconiers d’amor, canson » (inédit ?)

Libret de las doas cents rimas (Cahier de deux cents rimes)

1. Aquarèla, 1946 (« Messatges ») 2. Respelida de Centelhas, 1960 (« Amis de Centeilles ») 3. Branca tòrta, 1964 (« Messatges ») 4. Dire son si, 1975 (Comptador generau dau libre occitan) 5. Se conti que conte, 1980. 6. Fial de fum, posthume.

2. Léon Cordes poète dans quelques revues

Lo Gai Saber, revue animée par l’abbé Joseph Salvat, liée au Collège d’Occitanie (Colètge d’Occitania) et à L’Escòla occitana (Toulouse)

Occitania, organ mesadier de la joventut occitanista

Académie des Jeux floraux (Toulouse)

1936 Fulhs al azart (Feuillets au hasard), Églantine d’argent

1937 « Los forcelons »

1938 La riba doça (Doux rivage), Primevère.

L’Effort (Toulouse, janvier-septembre 1937 ; nos 6 et 7)

La Cigalo narbouneso : « Pastourèlo » (n° 206, abril 1935)

La Campano (Rodez, juin 1937-février 1938)

NOTES

1. Dans sa première version, ce texte est daté du 4 septembre 1960, et suivi de la mention « L’Hortalana, Lattes (Hérault) ». 2. Voir aussi, de Jean Larzac toujours, son compte rendu publié dans le numéro 2 de la revue Viure. 3. Faire du Cordes […] Oublier la leçon des autres. Mais la phrase porte mal, et le « chant solidaire » parle à un public de syndiqués qui ne lira jamais son poème. 4. La recension signée Yves Rouquette de Branca tòrta, dans le numéro 2 de la nouvelle revue Viure (été 1965, n.p.) allait dans le même sens que celle de Jean Larzac. Mais elle revêtait des aspects nettement plus positifs, dans l’empathie : « Cal saber escriure e legir los poëmas de crisi, los tèxtes de passatge. Son pas lo mai de bon escriure ni los mai aisits d’aimar. Mas l’aderéncia a la vida demòra la sola causa, amb la volontat de fermesa, que devem exigir, los uns e los autres. E deman es deman » (Il faut savoir écrire et lire les poèmes de crise, les textes de passage. Ce ne

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 28

sont pas les plus agréables à écrire, ni les plus faciles à aimer. Mais l’adhésion à la vie reste la seule chose, avec la volonté de fermeté, que nous devons exiger, les uns et les autres. Et demain est demain). 5. « Le seul écrivain occitan d’aujourd’hui dont la voix et le rêve se coulent sans mal, à l’aise justement, dans le moule de la versification traditionnelle » (Rouquette 2013, 131-132. Cette chronique publiée en janvier 1976 dans La Dépêche du Midi, s’intitulait significativement « Leon Còrdas, Dire son si : précieuse soit la parole, contenu le cri »). 6. Rouquette 2013, 394. 7. Petit n’en dit pas davantage, ni sur les dimensions du recueil, ni sur son contenu ou ses choix thématiques, et ne nous renseigne pas sur les revues dans lesquelles certains des poèmes qui le composent furent publiés. 8. Au cours des repas de noces, des repas de famille, des banquets, amis Languedociens, dites les contes joyeux, les belles histoires ou celles pour rire que nous nous avons puisées à la grande source populaire, en les empruntant à l’esprit traditionnel de notre peuple. 9. Le Nouveau Languedoc était l’association qui réunissait dans les années 1930 les étudiants occitanistes de Montpellier et publiait une revue sous forme d’Annales. Le dédicataire s’appelait Andriu Francés (André François ?), choisi sans aucun doute pour ses éminentes qualités de « grand coquin ». 10. Les patronymes des deux héros se situent dans la lignée des personnages des livres de Rabelais : Bon-Bec de Château Noirci ; Flambe-la-mie, seigneur de la Goinfrerie et du Verre-plein- à-ras-bord… 11. Cordes fut un collaborateur assidu d’Occitania entre 1936 et 1940, comme il le fut ensuite de Terra d’oc. Mais dans ces deux publications, davantage tournées vers l’intervention publique et l’analyse politique que vers la littérature proprement dite, il donna essentiellement des textes « d’action », y compris théâtrale. Sur sa collaboration à ces deux revues, on se reportera à Petit 1985, 17-18. Dans sa précieuse bibliographie de Léon Cordes, Jean-Marie Petit a laissé de côté des revues telles que Lo Gai Saber, L’Effort ou La Cigalo narbouneso, plus clairement littéraires, et donc utiles pour mieux suivre son itinéraire poétique. La bibliographie présente dans ce dossier vise à compléter les références données par Petit. 12. Ont appris, un peu, à manier la langue d’oc en suivant les leçons du Collège d’Occitanie. 13. Dès 1933, comme on le verra plus loin à propos de la pièce « Al vi novèl ». 14. Lo Gai Saber, n° 156, octòbre 1937, 293. On notera que c’est dans ce même numéro que commence la publication, sous le titre « Teatre de lenga d’Oc », d’un « ensaj de catalògue pratic, indicant lo nom de l’autor, lo dialecte, lo genre, lo nombre, e la qualitat dels personatges, l’editor, lo pretz »… sous la signature d’Ernest Vieu, fondateur-directeur de la troupe Lous Cigalous narbouneses. 15. « Ce raisin de “pende”/ Rond comme de l’or t’a fait envie,/ Tu en as cueilli un grappillon/ Mais immédiatement tu as poussé des cris comme si l’on t’égorgeait./ Ah ! Mon Dieu ! il y avait un essaim/ De guêpes sous une feuille/ Et ton doigt s’est gonflé comme un grain d’aramon »… Une note entre parenthèses précise dans la version française de La Campano (voir plus loin), à pende : « variété de raisin à grains très gros et que l’on pend ». 16. Lo Gai Saber, n° 164, junh 1938, 160-161 ; le poème est donné dans son intégralité aux pages 185-189 de la revue. Avocat et journaliste, Rozès de Brousse (Toulouse, 1876-1960) avait été en 1894 l’un des fondateurs de la revue Essais de jeunes. Il avait également été l’un des fondateurs de l’Escòla Occitana. 17. Lo Gai Saber, n° 184, febrièr 1940, 30. 18. Zytnicki 1991. Dès le premier numéro de ce nouvel Effort, Armand Praviel consacrait une sorte de feuilleton à l’École toulousaine et à ceux qui avaient fondé et animé ces deux revues à la fin du siècle précédent. On sait qu’Emmanuel Delbousquet (1874-1909), poète et romancier en français, vers la fin de sa vie, avait entrepris d’écrire des poèmes en occitan, recueillis dans un livre

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 29

posthume préfacé par Antonin Perbosc, Capbat la lana (« À travers la lande », Samatan, Éditorial occitan, 1924). 19. Les autres collaborateurs occitans, pour des proses littéraires, des poésies ou de courts essais, furent : André-Jacques Boussac, Charles Camproux, Marcel Carrières, Charles Mouly, Jules Palmade (plus un certain Jan de la Tanco). En français, L’Effort publia de nombreux auteurs, parmi lesquels on relève, outre celui de Maurice Magre, les noms d’Henri Pourrat, Henry de Montherlant, Marcel Achard ou de Germaine Emmanuel-Delbousquet, la fille d’Emmanuel. 20. « Une jeune fille qui rit ». Notons que les textes en occitan publiés dans L’Effort le sont sans traduction française. Je traduis les titres en empruntant aux versions françaises fournies ailleurs par Léon Cordes. 21. « Les martinets » ; « Zéphir ». 22. La Cigalo narbouneso, n° 206, abril 1935, 53-56. En janvier 1936, la revue des félibres narbonnais se réorganise. C’est Léon Cordes qui signe alors (en graphie mistralienne) l’éditorial de cette nouvelle formule de « la Cigalo reviudado » (La Cigale ressuscitée), sous le titre connoté de « Respelido ». 23. Jacounel se promenait/ En sifflotant une ritournelle/ L’autre jour, le long d’une prairie,/ Quand il vit une bergère/ Qui faisait paître son troupeau. 24. « La Campano (10 numeros, del mes de jun 1937 al mes de febrièr 1938) es morta, ailàs ! » (Lo Gai Saber, n° 130, agost 1935, 122-123). 25. « Mieux vaut vendanges qu’académie ». 26. Si La Campano (La Cloche), et d’abord ses deux promoteurs, Gayraud et Mouly, emploient surtout la graphie félibréenne, les deux poèmes de Léon Cordes sont donnés en graphie alibertine « occitane ». 27. Après avoir de longues années durant été conservées à Toulouse dans les locaux occupés par le Collège rue de la Fonderie, ces archives sont aujourd’hui accessibles (Fonds « Collège d’Occitanie ») au CIRDOC (Béziers), sous la cote CQ006/12-1 à 18. 28. On peut imaginer que Cordes n’avait pas envoyé une seule et unique lettre à l’abbé Salvat. Les autres ont sans doute disparu, pour des raisons qui nous échappent. Les poèmes, en revanche, s’accordent bien avec tout ce que j’ai pu retrouver de lui dans les revues de cette époque : de ce côté-là, les archives du Collège toulousain sont probablement assez complètes. 29. Ce texte, qui accompagne le « Sirventesc » dont il sera question un peu plus loin, est daté du 5 mai 1936. Il se termine par un toast (brinde) porté « a la Patria Occitana ». Léon Cordes était le président (capiscòl) de la nouvelle école félibréenne, à laquelle était rattachée une troupe de théâtre d’oc, dont Lo Gai Saber rendait compte avec constance des activités. 30. La voix des cloches. 31. Au vin nouveau. Cordes avait envoyé cette pièce au jury toulousain cette même année. Elle ne fut pas primée, mais bénéficia d’une mention du rapporteur, Jacques Rozès de Brousse. 32. L’écriture de ce poème (ou de cet ensemble : deux textes successifs portent le même titre), introduit par une citation d’Antonin Perbosc sur le thème du vin et du got, le verre, est-elle celle de Léon Cordes, ou s’agit-il d’une copie ? De nombreuses annotations en marge, d’une autre écriture (celle de l’abbé Salvat sans doute), proposent des corrections ou commentent le poème. La seconde pièce de cet ensemble est en particulier accompagnée de la remarque suivante : « Cordes ne mérite pas encore l’insertion. Il faut qu’il travaille davantage la langue et la prosodie ». 33. Lo Gai Saber, n° 182, decembre 1939, 325. La première page de cette dernière livraison annuelle de la revue se présente sous la forme d’un avis de décès, bordé de noir. Elle évoque les obsèques d’Estieu à Fendeilles (Aude), son village natal, le 13 décembre. On peut donc dater la lettre de Léon Cordes de ce mois de décembre.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 30

34. Une consultation des archives de l’Académie toulousaine permettrait d’en savoir davantage, à propos de ce poème comme, plus largement, de la participation de Cordes aux concours de poésie. 35. Une note marginale précise que ce poème est tiré de Lo diable es en campanha, une fantaisie radiophonique créée le 1er avril 1936 à Radio-Midi, donc peu de temps avant qu’ait été prononcé le discours en forme de salut dont il a été fait mention un peu plus haut. Le texte de cette fantaisie radiophonique avait pris place en 1938 dans le recueil de trois courtes pièces publié à Olonzac par Jordi Vieu, Tres per un. On trouve effectivement ce poème revendicatif en conclusion de la fantaisie en question, aux pages 33-35 de l’ouvrage. 36. On notera au passage, outre la référence aux troubadours, constante chez Cordes depuis ses premières années de dévouement à la « cause occitane », l’usage du diminutif, qui marque un désir de filiation teinté de modestie. 37. Minerve, mon pays, le plus beau des terroirs. 38. Un soir au pressoir ; Les vendanges. 39. Les notes en marge de ce texte semblent montrer que, comme d’autres (« Sirvente »), il avait été soumis au concours des Jeux floraux toulousains. Une même devise accompagne ces deux textes : « Per derrebelhar nòstris fraires/ Cal benlèu pas qu’un refrin » (Pour réveiller nos frères, / Il suffit peut-être d’un refrain). 40. Sous ma fenêtre, il y a un amandier ; L’amandier fleuri. 41. Le poème de l’étoile ; L’été s’en va. 42. Clardeluno (1898-1972) est surtout connue comme l’auteur de la pièce de théâtre La neit d’estiu, drame païsan en dous actes en proso (Béziers, 1936), dont la première représentation, le 16 avril 1936 sur la scène du théâtre municipal de Béziers, ne se passa pas sans péripéties : « Los actors se son planguts de la dificultat qu’an aguda, ambe los rires del public qu’espelissian als moments los mai tragics, al punt qu’es estat necessari de copar unas replicas un pauc trop crusas », écrivait Marcel Carrières dans le compte rendu de cette représentation publié dans L’Effort (n° 7, 361-364). Carrières rappelle que Léon Cordes interprétait l’un des rôles principaux de la pièce ce soir-là : « Léon Cordes, lo jove poeta jà mant’un cop laurejat pels Jocs Florals de Tolosa e que los legeires de L’Effort coneisson, dins lo rolle de Pèire : sa votz manca benlèu de clartat, mas son joc fousquèt dels mai polits ». (Les acteurs se sont plaints de la difficulté qu’ils ont éprouvée à cause des rires du public, qui éclataient aux moments les plus tragiques, si bien qu’il fut nécessaire de couper quelques répliques un peu trop crues […] Léon Cordes, le jeune poète déjà couronné plusieurs fois par les Jeux floraux de Toulouse, et que les lecteurs de L’Effort connaissent, dans le rôle de Pèire : sa voix manque peut-être de clarté, mais son jeu fut des plus réussis). 43. Il ne faudrait cependant pas minorer l’apport des concours toulousains dans la formation poétique de Cordes. En 1938, par exemple, sont lauréats à ses côtés des poètes d’oc tels que Adrien Dupin, Frédéric Cayrou, Jeanne Séguret, Paul Eyssavel ou Louisa Paulin ; et, côté catalan (les deux langues ont droit de cité), Gumersind Gomila, Paul Bergue, Simone Gay, Edmond Brazès ou Jean Narach. 44. On notera que la revue ÒC, dont Léon Cordes devint un des collaborateurs à partir de l’été 1943 (il y publia sa « Cançon de l’espera », qui devait prendre place en 1946 dans Aquarèla), ne mentionna pas ses activités pourtant nombreuses avant février 1940 (annonce de la publication de sa pièce La L.C.P.). ÒC ignore de la même façon des revues comme La Cigalo narbouneso (une seule mention en… 1926) ou L’Effort. Lo Gai Saber n’y est pas beaucoup mieux traité. Cordes, en passant de l’une à l’autre, sans nécessairement renier ses engagements antérieurs, apparaît, avec quelques autres, comme un lien entre ces diverses publications et les groupes qui les administrent. 45. La pièce « Un vespre a la presso », reprise, sans titre, dans le Libret de las doas cents rimas, est située à Mayrane, dont le nom est présent dès le premier vers. Dans Aquarèla, un poème s’intitule

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 31

justement « Mairana ». Un poème quasiment sans verbes, dépouillé à l’extrême, et par cela même riche de résonances infinies. Une aquarelle, précisément, le mot s’y trouve d’ailleurs, associé, à la rime, avec l’hirondelle. Verlaine, plus Pons, plus Max Rouquette, plus Lorca = Léon Cordes ? 46. « D’autres oiseaux là-haut ont, au soir calme,/ Continué leur ronde, / Mon rêve de jeune homme avait de si grandes ailes/ Qu’il n’a plus pu s’envoler ». 47. « Une danse qui s’achève/ Une jeune fille qui rit,/ Une cigarette tirée,/ Une lueur qui paraît »… 48. Dans la revue Marsyas (n° 251, janvier-février 1947, 1303-1304) de l’intransigeant Sully-André Peyre, qui avait lui-même salué avec élégance et sagacité, en novembre 1938, dans la même publication, les Somnis dau matin du jeune Max Rouquette.

AUTEUR

PHILIPPE GARDY

LAHIC-IIAC (CNRS-EHESS), Université Paul-Valéry, Montpellier

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 32

La cosmogonia dins La Respelida de Centelhas1 de Leon Còrdas

Miquèl Decòr

Nòstra Dama de Centelhas, luòc d’inspiracion poetica

1 Nòstra Dama de Centelhas, coma o disiá Leon Còrdas, s’amaga entre las vinhas e las auzinas, a 3 quilometres de Siran, canton d’Olonzac, a l’oest del despartamant d’Erau e en limita d’Aude e a qualquas voladas d’aucèl de la ciutat martira de Menèrba. Cunhada aquí al cap de la plana entre causse grand del naut Menerbés e Montanha negra, se balha pas que secretament. La capela d’ara foguèt bastida al segle XIII en luòc e plaça d’una anciana capela visigotica que seriá estada a son torn bastida sus un cementèri neolitic. A l’Edat Mejana, l’endreit servissiá de recampament per las fièiras del 25 e 26 de març que son totjorn las fièiras del vilatge. A la Revolucion, foguèt venduda e venguèt una jaça per las fedas e una remesa per lo material agricòl.

2 En 1953, Leon Còrdas vend la pichòta proprietat viticòla de Siran en causa d’una secada granda e s’en va cap a Latas, del costat de Montpelhièr, ont se fa ortalhièr. Òme de la tèrra, militant païsan, òme de letras, òme del dire, escriu e publica en 1960 Respelida de Centelhas. Aquel poèma long de 141 verses es una mena de retorn al brèç, un encaminament cap al seu païs mitic, sas rasigas, las de « l’òme ancian ». 3 Lo reviscòl d’aquela capela romana es l’escasença per Còrdas, segon l’expression e lo titol d’un de sos recuèlhs de poesia de Dire son si2 e de far portar per la geografia fisica (causses, bauces, recs, caumas, garriga, camins, vinhas) la seuna geografia intima de poèta occitan dins lo seu còdi linguistic que ne devendriá aquí criptogram ? 4 Es en 1958, gràcias a de presents de la populacion, que l’Abat Giry, conservator de las antiquitats religiosas e fondator del musèu arqueologic de Nissan de las Enserunas, pòt comprar la capèla de Centelhas sus lo territòri de Siran en Menerbés, aquí ont es nascut Leon Còrdas, un mes de març de 1913. La populacion tota del vilatge, ajudada per la familha Metge, lo servici dels monuments istorics, l’entrepresa Clarens de Tolosa e la comuna de Siran, entreprenguèron una operacion de salvagarda excep-cionala d’aquela

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 33

òbra medievala qu’èra tornada jaça ; son environa foguèt netejada. De pinturas del sègle XIII un pauc rosegadas per las emanacions del fem de fedas apareisson : crucifixion, mesa al tombèl, apocalipsi, aubre de Jessé, David en jogaire de arpa, sant Brunò e sant Miquèl. Dempuèi 1961 la capèla de Centelhas es proprietat de l’associacion diocesana e es tornada al culte, a las manifestacions culturalas, als romenatges e a las fèstas del 15 d’Agost. 5 Centelhas es d’en primièr un « luòc mitic » e Còrdas n’escriguèt lo primièr la legenda, entre totas aquelas legendas e aquelis racontes cosmogonics qu’apartenon a la categoria dels mites fondators. Còrdas a segurament sentit dins lo reviscòl d’aquel luòc cultual e cultural lo besonh immudable de descriure e benlèu de justificar las transformacions radicalas del monde observable, de la tèrra e de la societat umana : cossí l’òme occitan d’ara que se sentís pòt ben s’inscriure dins aquel encastre, dins aquel ambient, dins aquel èime ? De la Cauna d’Aldèna (dicha tanben « Cauna de la Cauquilha ») dins l’estrech del riu Sésser a Fausan, fins al planet de Centelhas, es l’òme de las originas que davala cap a las tèrras verges de la plana ; de Siran al Causse e a la Montanha Negra, es l’òme novèl que puja la garriga e agença l’espaci. 300 000 ans abans la nòstra èra, la Cauna d’Aldèna nos porgissiá en tròces de silex talhats. Cap a 15 000 ans abans Jèsus, l’òme dit de Cromanhon daissava sas pesadas dins l’argèla del sòl : entòrchas calcinadas o gravaduras sus las parets. Entre 1888 e 1937, una societat locala expleitèt los fosfatas de calç que venián de la descomposicion de la carn e dels òsses d’animals sebelits dempuèi 400 000 ans, sus una espessor de 11 mètres… de que ja alimentar l’imaginari ! Los primièrs pòbles de pastres davalan sul Causse qu’es traucat de fonts – per exemple, lo rèc tartuguièr, aquel pichòt rèc que davala cap a Siran e ont se pòdon trapar de clòscas fossilizadas de tartugas – e qu’es un luòc de pastura ; los camps d’asfodèlas que vesèm uèi son lo testimòni d’un pastenc intensiu. Es cap a 3 000 ans abans Jèsus, al neolitic, que los primièrs òmes se sedentarizèron per l’agricultura e comencèron de dreiçar o bastir de monuments funeraris : un vintenat de megalits son semenats sul Causse, fins al mai important d’Occitania tota qu’es lo Dolmen de las Fadas, sus la comuna de Pepieux, mas fòrça pròche de Centelhas. E mai òm se demanda se Centelhas seriá pas bastida sus un d’aqueles nombroses dolmens… Sabèm que dins totas las tradicions, la Pèira (traucada, perforada, pertusa, tremblaira) senhala una preséncia divina. O exprimís fòrt plan Serge Wilfart : « Trouver la pierre dans ce milieu tellurique c’est partir en quête de l’Omphalos ; dans toutes les traditions, la Pierre signale un centre habité par la présence divine. »3 6 Lo planet de Centelhas e son baus gigantèsc, aquela lausa grandarassa pausada sus una falha telurica ont raja un corrent d’aiga josterrana, ven un luòc propici als recampaments… En fach, Centelhas existissiá non pas coma un edifici religiós crestian, mas coma un monument d’una religiositat pagana, centre de ceremonias, puèi luòc de fièiras e d’escambis, respectat benlèu per paur de represalhas, puèi que s’i descobriguèt un cròs emplenat de pigassas votivas… Sería tanben estat remplaçat per un oratòri a Nòstra Dama ; una verge negra i siaguèt trobada enterrada : La Vièrge negra un còp èra enterrada, La simpla Nòstra Dama d’autris-còps. (p. 65, v. 111-112) 7 Los pòbles primitius consacravan volontièr a tala o tala divinitat d’endreits o d’objèctes qu’èran per eles portaires d’aquela preséncia coma los crosaments de camins, las fonts, los objectes naturals, las pèiras plantadas o traucadas, los ròcs qu’avián una forma umana ; Còrdas se rementa aqueles luòcs que trepejèt e que trepejan ara dins son eime :

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 34

D’aver trobat lo pas de la Roviòla La branca copada, lo ròc escartat… (p. 61, v. 37-38) Lo morrèl sacrat que li dison las Fadas Sa taula de pèira, son ròc coronèl… (p. 61, v. 45-46) 8 Quora los sistèmas simbolics collectius e las icònas son pas mai qu’allegoricas o ideologicas, cadun es condemnat a tornar fargar son pròpri sistèma simbolic. Es en aqueste moment que los creators retròban d’un biais espontanèu los mites fondators de la cultura nòstra. Per Còrdas, en particulièr, son los temps fòrts de la nòstra istòria, coma la Crosada e lo lenhièr de Menèrba. Per aquò far, Còrdas seguissèt « lo camin », lo que monta e que davala, lo que travèrsa lo país d’Est en Oèst, del Levant al Colcant, coma o faguèt l’Òst Granda de Simon de Montfòrt : …la flamba de l’autodafé… lenhièr dels faidits… remembre de fòc al cèl de Menèrba… (p. 63, v. 63-65) …cent aveusadas per las tèrras saquejadas paguèron una crosada… (p. 67, v. 116-118) o coma lo romieu sus lo camin de Sant-Jaume o lo poèta barrutlaire : sul camin romieu e dels trobadors… (p. 63, v. 74) 9 Lo caminar e l’encaminament son aqueles besonhs fondamen-tals, per l’èstre uman, de retrobar son èsser essencial. Lo « Dire son si » encara un còp4… Aquel camin de l’anma es possible de lo rendre mai fòrt en apasturant l’enrasigament individual per de senhals collectius, siá geografic, que celebra l’èime d’un luòc ; siá cultural, qu’evòca l’istòria e las legendas restacadas a l’èime del luòc ; siá esperitual, que pren en compte los corrents esperituals restacats a l’èime del luòc. Aquel camin es tanben lo camin del messatgièr ; dins lo domèni religiós, entre cèl e tèrra, o dins los racontes grands, lo romieu es a l’encòp passaire e menaire : se passa (passeja) un còs, se mena un èime5. Es encara mai per Còrdas, lo camin del « passaire » de lenga e de cultura entre los òmes d’aicí-bas, qu’an enregat la tèrra verge : …aqui’n claus de vinha, aqui’n claus d’olius, E tot lo lausum de las muralhetas Qu’a bastit al torn un pòble acampiu… (p. 59, v. 6-8) 10 De las Caunas d’Aldèna al planet de Centelhas l’òme originèl es davalat per lo camin dels Causses ; de Siran a la Montanha Negra, l’òme novèl torna prene lo camin invèrs en quista de memòria per balhar sens a son deman : Preniá lo camin qu’escarra la còsta ? (p. 59, v. 3) de l’òme tornant cap a son passat ? (p. 61, v. 42) l’òme dels camins traversuts e tòrts, (p. 63, v. 58) sul camin romieu e dels trobador, (p. 63, v. 74) lo camin vièlh que nos liga al terraire ; (p. 65, v. 95) E cossí faire pas allusion a l’un dels darnièrs poèmas de Còrdas, « Lengatge », del recuelh Fial de Fum : Se lo camin fasiá pas lo torn de la tèrra d’ont podriá venir lo camin ? Al canhard d’aqueste Lengatge L’èime me bufa : « ten-t’a l’èrba ! » E lo vent que tot es vesin, dralhas de cèl, de mar, d’istòria,

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 35

Que tot se pòt endevenir pel camin.6 o cossí encara pensar pas al Neruda de « Las alturas de Macchu Picchu » ? Entonces en la escala de la tierra he subido… hasta ti, Macchu Picchu7 o a Machado : Caminante, son tus huellas El camino y nada más ; Caminante, no hay camino Se hace camino al andar.8 11 E mai pròche de nautres, Sèrgi Pey, poèta e universitari tolosenc, sul camin de la tomba de Don Antònio : Parfois Nous enlevons Les souliers pour perdre La route Parfois Nous marchons Vers un soulier qui garde un autre soulier Parfois Nous marchons sans nos pieds. » (Inédit) 12 Còrdas a legit Neruda e Machado, segur, e sap tornar emplegar aquela matèria universala que travèrsa la consciéncia umana. Una lectura « messianica » auriá poscuda èsser faita de La Respelida de Centelhas… Aquel poema, sería pas benlèu bastit a l’encòp sus una tematica biblica : après un prològ elegiac, una primièra partida pròcha del Testament Vièlh, e la segonda, que precedís sa demanda e benlèu sa quista vertadièra estent ela la mai pròcha dels Evangèlis. Nos mena dins aquel país que se ditz Santa Tèrra, d’olius e de cipressièrs, aquela Palestina que vegèt Crist partejar pan e vin avans de morir e de reviscolar : mas lo cipressièr i mòstra lo cèl, prega e signal d’aquela Palestina. (p. 59, v. 20-21) e que son lo pan e que son lo vin que son lo còs de tota respelidan, (p. 65, v. 106-107) 13 Mas, se cal pas enganar… demoram plan a Siran e dins un vejaire laïc de l’environa e de l’ambient. Avèm représ, dins la fonsor del temps, lo camin vièlh que nos liga al terraire ; (p. 65, v. 94-95) los que creson a Dieu, los que creson a l’òme… (p. 65, v. 101) 14 Clinhet de l’uèlh, aquí, al poèma « La Rose et le Réséda »9 de Loís Aragon… Es benlèu per aquelas rasons que Còrdas escarta la « verge negra qu’un còp èra enterrada » (coma las pigassas votivas) per portar melhor el meteis la sèuna paraula de revendicacion : Daissa-me ieu, ò ! vièrge mascarada portar la prèga de la tèrra sus mos pòts (p. 65, v. 113-114) 15 Còrdas crida, sona, apostròfa ; es son ròtle melhor. Apostròfa son semblant : « L’òme, vira-te al mièg de la còsta » (p. 61, v. 43). Apostròfa la Verge : « Nòstra Dama l’enterrada » (p. 67, v. 115), « Nòstra Dama mascarada » (p. 67, v. 130), « Nòstra Dama de Centelhas… » (p. 67, v. 130) coma per i raubar la primièra plaça… e dins un darnièr mandadís-pregària, i rauba sos poders e es el que i recomanda « garda lo trabalhador dins la patz del terrador » (p. 67, v. 141). Crida dins aquela lenga d’òc que, coma o disiá

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 36

Renat Nelli, « est inséparable du climat de sensibilité populaire où elle plonge ses racines. »10

16 La Respelida de Centelhas es l’inscripcion dins l’Espaci e l’inscripcion dins lo Temps. Son, dins aquel encaminament menerbés, los rapòrts secrets del poèta e de la natura salvatja, la de la « Pachamama », puèi la d’una natura agençada per « l’òme trabalhador ». Es, dins la seuna fresca istorica l’òme del fons del Temps : « veniá de luènh, veniá del fons del temps » (p. 59, v. 2) ; es tanben (dins lo fial de l’istòria) lo faidit de Menèrba, coma o semblan bramar aquelas veusas de la Crosada, e las allusions a « … l’autodafé… Lenhièr dels faidits, » (p. 63, v. 64) : …escota un resson : cent veusas en plors. Cent veusas en dòl que de las roïnas an tirat sa glèisa… (p. 63, v. 76-78) Es l’òme d’ara : li sèm estats, òmes d’aqueste temps, los de totjorn a l’aise sus la sèrra. (p. 65, v. 96-97) 17 Per delà son mandadís, Leon Còrdas es e demòra doncas l’umanista ja ecologista e totjorn pacifista que crida sa fe en l’òme e dins una renaissença culturala. Ne serà estat un dels actors màgers e segurament lo mai infatigable.

BIBLIOGRAPHIE

Leon CÒRDAS, Òbra Poëtica, Besièrs, CIDO, mai 1994.

Paul CARMIGNANI (dir.), Figures du passeur, Coll. « Études », Presses universitaires de Perpignan, 2002.

René GIRARD, La Violence et le sacré, Grasset, 1972, et Le Bouc émissaire, Grasset, 1982.

Antonio MACHADO, Poesias completas, ediciòn de Manuel Alvar, « Austral », julio de 2010.

Bertrand WESPHAL, Le Monde plausible : espace-lieu-carte, Éditions de Minuit, 2011.

Serge WILFART, Le Chant de l’être, Coll. « Espaces Libres », Albin Michel, 1994.

NOTES

1. Primièra publicacion 1962, Représ dins Òbra poetica, Béziers, CIDO, 1997, p. 58-67, bilingue. 2. Dire son si, Comptador Generau dau libre occitan, Vedène (84270), 1975. Représ dins Òbra poetica, Béziers, CIDO, 1997, p. 111-155. 3. Serge Wilfart, Le Chant de l’être, Coll. « Espaces Libres », Paris, Albin Michel, 1994, p. 8. 4. Cf. nòta 2. 5. Paul Carmignani (dir.), Figures du Passeur, coll. « Études », Presses universitaires de Perpignan, 2002. 6. Òbra poëtica, p. 189, v. 1-10.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 37

7. Hauteurs de Machu Pichu, édition bilingue, coll. « Poésie d’abord », Seghers, février 2003, strophes IX et X. 8. Poesias completas, edición de Manuel Alvar, « Austral », julio de 2010, p. 232, v. 1-4. 9. « La Rose et le Réséda », poème de résistance d’Aragon, extrait de La Diane française, Seghers, 1944 (d’abord paru en revue en 1943). 10. René Nelli, prefaci per Le petit livre de Minerve / Lo pichòt libre de Menèrba, auto-edicion de Leon Còrdas, p. 7.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 38

Leon Còrdas, òme de teatre

Joan-Claudi Forêt

1 1932-1984 : 52 ans d’escritura e de creacion teatrala. Lo teatre es per Leon Còrdas una de las passions de sa vida, una passion vitala que se confond amb son existéncia.

2 Leon Còrdas es pas solament un autor dramatic, un dramaturg, mas tanben un òme de teatre ni cort ni costièr. Son escritura teatrala se fonda sus una experiéncia concréta de la scèna, coma meteire en scèna e coma comedian, amb tot l’engatjament fisic qu’aquò supausa. Es per aquò qu’un dels caractèrs de son teatre es l’abséncia de replicas inutilas, de fiorituras literàrias. L’escrivan s’imagina jogar son tèxt dins lo temps que l’escriu. Es plan conscient de totas las contrenchas dramaturgicas que s’impausan a el.

Lo teatre de Còrdas : teoria e practica

3 L’escritura e la practica dramaticas de Leon Còrdas respon-don a una teoria que s’es formada per l’experiéncia, al fil dels ans. Es pas solament una teoria teatrala, es tanben una concepcion de la literatura e una certana idèa d’Occitània. Leon Còrdas formulèt aquelas idèas dins una conferéncia que donèt en 1963 a La Ciutat a l’ocasion del XXen estagi pedagogic de l’IEO, conferéncia intitolada Théâtre et littérature populaires d’Oc1.

4 Lo mèstre mot d’aquela teoria, tala coma Còrdas la formula, es « pòble ». Es inserit dins lo quite títol : Théâtre et littérature populaires d’Oc. Còrdas quita pas de repetir de longa dins son article que pòt pas existir de teatre occitan que popular. 5 Lo mot « pòble » se tròba qu’es ambigú dins las lengas romanicas. A lo sens de « nacion etnica » (populus) e lo sens de jaça sociala, de plèba (plebs). Còrdas entend lo mot « popular » dins los dos senses, etnic e social. Lo teatre occitan es l’afortiment d’una identitat collectiva. Mas cossí definir aquela identitat ? Una plan bèla frasa de son article es esclairanta : « [Le peuple d’Oc] Replié sur lui-même, son esprit intact, insaisissable, s’est perpétué par des voies imprévisibles mais sûres. On le chasse des cours, il se fait paysan et le reste pendant des siècles sans déchoir. À telle enseigne qu’il fait de sa condition populaire un postulat culturel, à tel point que toute une littérature en porte la marque comme un titre de noblesse et que cette littérature ne peut se

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 39

perpétuer qu’en exaltant son origine sociale et en la parant poétiquement d’une vie de nature d’une précision minutieuse et d’une extraordinaire richesse. » (p. 9) 6 Aquela confusion dels dos senses del mot « pòble » es lo pròpri de l’identitat occitana e benlèu de tota cultura minorizada, relegada dins la classa bassa de la societat. Lo pòble occitan es lo pòble bas. La nacion etnica s’es recaptada dins una classa sociala.

7 Teatre e literatura occitans pòdon pas èsser que populars, parlar del pòble bas, lo metre en scèna, lo far parlar. Aquela idèa es la de tota una tradicion d’escritura occitana que podèm far remontar al sègle XVI e qu’inspirèt las renaissenças felibrenca coma occitanista. La podèm dire « populisme », sens donar al mot una connotacion pejorativa. Es pas tanpauc exprimida per Còrdas jos una tala forma clarament dicotomica, mas es l’idèa mai importanta de sa conferéncia. 8 Ressortís d’aquò que tot acte teatral es l’afortiment identitari del pòble, dins los dos senses del tèrme. Es a l’encòp un acte sacrat perque etnic e un acte subversiu perque social. La performància teatrala remet en causa l’òrdre social establit, que repausa sus la dominacion d’una lenga sus l’autra. D’aquí l’idèa fòrça nauta que Leon Còrdas se fa del teatre occitan, dins la pus mendre, la pus umila de sas manifestacions : « [Les comédiens occitans] Ils sont sur les tréteaux, à la fois comme les officiants d’une magie vernaculaire et des insurgés sur une barricade, leur acte a quelque chose de sacré et de révolutionnaire à la fois et ne saurait être un acte gratuit. » (p. 4) 9 Dos autors dramatics representan mai que mai aquela concepcion del teatre occitan e serviràn de modèl a Leon Còrdas : Teodòr Aubanèl e Emili Barta. Leon Còrdas lor deu, a çò que ditz, sa vocacion teatrala : « Je ne peux pour ma part renier Aubanel pas plus qu’Émile Barthe qui furent à part égale à l’origine de ma vocation théâtrale occitane. » (10) 10 Las rasons d’aquela preferéncia son mai que mai nacionalistas, patrioticas o identitàrias, coma òm voldrà. Los occitanistas an doas rasons d’aimar Aubanèl, segon Còrdas : « le refus de s’inscrire en dehors d’une entité populaire » et « un tempérament exceptionnel, un débordement qui atteint d’emblée à l’universel ». Trobam a cò d’Aubanèl mai que de degun « l’expression d’une humanité occitane vierge de toute colonisation ». (p. 10)

11 Leon Còrdas dreiça puèi la tièra dels autors occitans que respondon a l’exigéncia d’un teatre popular. Comença pels dos ancians : l’abat Fabre de Montpelhièr e Aquiles Mir, l’autor del Sermon del curat de Cucunhan, e contunha per Francés Deseuse, autre Clapassenc, e lo doctor Albarel de Narbona. Puèi de citar totes los autors dramatics que marquèron la transicion entre felibritge e occitanisme, dins l’ensem del domeni occitan : en Lemosin, Chèze e Benoît ; en Peiregòrd, Renat Farnier ; en Gasconha, Simin Palay, Camelat, Abadie, Sarrieu, los abats Dambielle e Daugé ; en Lengadòc, Rouquier, Gaston Vinàs, Ernest Vieu : en Roergue, lo parelh Calelhon/Seguret, Enric Molin et Vesinhet ; en Cevenas, Joan Castanha. 12 Mas son autor de referéncia, son modèl demòra lo Besierenc Emili Barta (1874-1939), qu’escriguèt una quarantena de pèças, totas jogadas e rejogadas per de desenas de tropas, « ce qui représente la plus vaste audience qu’ait connue auteur d’Oc jusqu’à ce jour ». (D’unas d’aquelas pèças foguèron represas recentament pel Teatre de la Rampa, per exemple Las palmas de Banadòr e Sopa de morres dins son espectacle L’Estanquet.) 13 Aquela admiracion buta Leon Còrdas a escriure un pichòt estudi sus son mèstre en teatre : L’œuvre théâtrale d’Émile Barthe (Castèlnòu d’Ari, 1949), çò que l’empacha pas de

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 40

demorar critic : admet que se li pòt reprochar « une technique trop prudente, un fanatisme félibréen et un simplisme psychologique » (p. 16). Lo fach es que nos podèm tot còp estonar de la distància entre la nauta e ambiciosa vision de Còrdas sul teatre e lo nivèl d’unas pèças dels autors censats segon el encarnar aquela vision. 14 Amb la generacion occitanista, la sieuna, Leon Còrdas es tanben critic : « Elle a d’autre part abandonné de façon à peu près absolue la grande tradition populaire d’Achille Mir et de l’abbé Fabre. Cet abandon fut une erreur. » (p. 17), mas jutja pasmens qu’es demorada fidèla a l’esperit popular, que sens el lo teatre d’òc seriá per Còrdas impensable, fidelitat que se tradutz, per exemple, per son interès pel folclòr e los contes populars. Çò que la definís es « le refus des poncifs félibréens et la recherche de techniques modernes », amb l’ambicion « de porter le théâtre d’Oc au niveau d’évolution du théâtre contemporain » (p. 17). 15 La vocacion occitanista e la vocacion teatrala semblan espelir a cò de Leon Còrdas, a pauc de temps d’escart. Pren consciéncia de « l’occitanité qui était en moi comme la sève est dans l’arbre » (p. 17) a l’Institut Agricòla de Limós, ont demòra entre 1924 e 1929. Legís las revistas felibrencas regionalas (La Cigalo Narboneso, L’Almanac Narbounés) e seguís per correspondéncia, a partir de 1929, los corses del Collègi d’Occitania. A la debuta de las annadas trenta, un còp tornat a Siran, descobrís la Societat d’Estudis Occitans, gràcias a son amic Marcel Carrières, que li fa far coneissença amb Carles Camprós, alara jove professor a Narbona, e Ernest Vieu (1894-1971), « qui dirigeait depuis des années une des troupes les plus actives du Languedoc, los Cigalons Narboneses, et venait de réaliser une création mémorable, celle de La Gitana d’Émile Barthe » (p. 17). 16 Aquel decenni de las annadas 30 compta sèt pèças, tant coma lo decenni seguent de las annadas 40, ont sèt autras pèças foguèron escrichas per Còrdas, lo ritme s’alentissent puèi. Aquò’s pel teatre que Còrdas dintra en escritura, dins un periòde de bolison creatritz dins lo domeni teatral. « En ce qui concerne le théâtre un climat rebelle se faisait jour. Des hommes actifs et avertis se rencontraient et s’insurgeaient contre ce que nous appelions alors comme déjà dit ‘‘las colhonadas felibrencas’’. Autour d’Occitania [revista fondada per Camprós], nous nous trouvâmes ainsi, comme dit la chanson, ‘‘quatre qui voulaient se battre’’. Ces quatre étaient Andriu-J. Boussac, Ernest Vieu, Max Rouquette et moi-même. 17 Cette équipe allait être pendant quinze ans le noyau d’une action initerrompue en faveur d’un renouvellement de notre théâtre. Les journeaux Occitania, Tèrra d’Òc, L’Ase Negre, Occitania seconde version, lui serviront tour à tour de porte-parole. « Dès le n° 2 d’Occitania, avril 1934, Vieu lançait un appel. La maintenance du Languedoc, sous la présidence du majoral Pèire Azéma, donnait, sans restriction, son appui aux nouvelles conceptions théâtrales. Patronné par Azéma, rédigé par Boussac, un véritable manifeste paraissait sur Occitania de décembre 1934. » (p. 17-18) 18 Aquò’s dins aquel ambient que se debanèt un eveniment memorable : « La bataille d’Hernani du nouveau théâtre d’Oc eut lieu "lo bèu jorn de Sant Estèla" 1937 au Thâtre Municipal de Béziers avec la création de La Nuèit d’estiu de Clardelune. » (p. 18) Leon Còrdas, qu’aviá alara 24 ans, joguèt un dels personatges de la pèça e foguèt al còr d’aquela batalha dels ancians e dels modèrnes (representats pels occitanistas e pels felibres de la mantenéncia de Lengadòc).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 41

« L’Office du Théâtre d’Oc fut créé peu après. Il est sans doute l’essai le plus rationnel qui ait été fait dans ce domaine. Notons qu’il était intellectuel dans ses principes et populaire dans ses objectifs… Le programme de l’OTO était de faire l’inventaire des œuvres théâtrales existantes d’un part, et d’autre part la critique objective des pièces nouvelles au fur et à mesure de leur parution… » (p. 19) Fasent lo bilanç d’aquela epòca, Còrdas remarca amb fiertat : « En quinze ans tout de même les quatre protagonistes du nouveau théâtre d’Oc, auquel il faut joindre Pèire Azéma, ont écrit dans Occitania et ses successeurs une centaine d’articles, analysé près de soixante-dix pièces, œuvres de trente auteurs différents. » (p. 19-20) 19 Avèm pogut comptar pas mens de 26 articles de Leon Còrdas sul teatre, entre 1936 e 1952, dins Occitania, Tèrra d’Òc, L’Ase Negre e ÒC.

20 La Font de Bonas Gràcias, escricha en 1944, jogada pendent qualques annadas e publicada en 1955 per Aubanèl marca una cima de son òbra teatrala : empòrta lo prèmi Teodòr Aubanèl en 1954, que corona aital son ambicion capitada d’escritura. Mas aprèp ela, un autre cicle comença. Leon Còrdas escriurà encara 8 pèças, que solament una serà jogada (Menèrba 1210) e doas publicadas (Menèrba 1210 e la minuscula peçòta L’Anèl). A partir de sos 40 ans, lo teatre es pas pus d’ara enlà son activitat literària màger : reconversion professionala, creacion de l’Ortolana, performàncias poeticas, autras dralhas d’escritura, dificultat de se far jogar en l’abséncia de tropa capabla de portar sos tèxtes ? Coneguèt dins la segonda part de sa vida la dificultat que Max Roqueta rescontrèt dins tota la sieuna. En l’abséncia d’un tropa fidèla e seguida, l’experiéncia mòstra qu’es quasi impossible de far jogar sas pròprias pèças. 21 Lo teatre es donc per Leon Còrdas l’expression publica pus nauta del pòble occitan. Es un acte sacrat e revolucionari, mas tanben una activitat pedagogica destinada tant al public coma als comedians per se metre la lenga dins l’aurelha o dins la boca. Demòra d’estudiar qualques pèças a la lusor d’aquela art teatrala que venèm de definir.

Qualques pèças de Leon Còrdas

La Nòvia (1936)

22 La primièra pèça jogada de Leon Còrdas se debana sus una terrassa de cafè del vilatge de Traucasac, pendent una nòça. Repausa sus un quiproquo. Lo montanhòl vengut a Traucasac per afar a escaissat sa muòla « la Nòvia ». Quand crida « La Nòvia s’es escapada ! », la nòça n’es tota destorbada, mas tot finís que torna dins l’òrdre… Còrdas nos liura aicí lo tablèu d’un vilatge lengadocian, amb los abituats del cafè, lo borgés, la mameta, lo conse.

Tres per un (1938)

23 Jos aqueste títol, son recampadas tres fantasiás radiofonicas adaptadas a la scèna. • Lo diable es en campanha foguèt creat lo 1èr d’abril 1936 al micro de Ràdio-Miègjorn. En sièis « estapetas », lo Diable, qu’es un brave diable, recompensa los umils (un mendicant, un païsan), castiga los grands (lo borgés en Bardòt) e se trufa dels felibres en los parodiant. Sièis minusuculas scènas instantanèas, plena de vivacitat. • La LCP. Jogat pel primièr còp a Siran dins la granda sala del Cafè de la Patz lo 15 de genièr 1938, en intermèdi per la vesprada dançanta al profièch del timbre antituberculós. Lo

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 42

subjècte es de circonstància. Mario, « estudiant en medecina en vacanças cò de sa promesa » Zeta fòrabandís tot poton entre eles per de rason profilacticas. Per aquesta rason es a mand de la rompedura e se repren al darrièr moment per o tot adobar. • Barrabàs. Dedicada « A l’amic Roqueta que me comuniquèt aquela crana galejada », la comèdia se debana entre l’ostal de l’ivronha Barrabàs e lo Cafè dels Quatre Camins. La Junia de Barrabàs, lassa de las ganarras de son òme, se liga amb de companhas d’infortuna, la Marcelina de Piporra e la Pinsarda, per butar lo brigadièr Tripeta assistit del gendarma Laimablòt a barrar lo cafè que despassa l’ora de barradura legala. Mas los gendarmas intrats per verbalizar lo cafetièr ne ressortisson tan bandats coma los tres ivronhas.

Quand se parla d’amor (1944)

24 Aquela pèça escricha en collaboracion amb lo païsan lemosin Antòni Dubernart se jòga amb tres personatges : Joan-Francés Dardalhon, ric proprietari lengadocian de vinhas, Bertran Dardalhon, son nebot lemosin, Magalí-Maria Donat, filhòla del primièr.

25 Jan dau Malhau, dins l’edicion del teatre complèt de Debernart que donèt en 2004 dins las edicions del Chamin de Sent Jaume, formula sus la pèça un jutjament sevèr, mas just e pertinent : « Il y a cette pièce dont l’intérêt principal tient à son bidialec-talisme languedocien- limousin et non à sa volonté affichée de modernisme qui précipite nos deux auteurs en rupture de ruralité passéiste dans l’air du temps où ils vont se diluer, ayant troqué la grande table de la salle commune contre le guéridon du salon, les mots pesés pesants s’édulcorant, se délayant en badinage. Ils ne sont pas chez eux, et si la fantaisie est bien menée en son insouciante légèreté, elle n’aura pas de lendemain et vieillira avec son sujet et ses personnages, démodée avant que d’être. » (p. 266)

La banda negra (1945-1961)

26 Dins aquesta comèdia de quatre personatges, Marcial Lapalú, borgés de la cinquantena, se crei espinchat e perseguit per una misteriosa « banda negra » de malfachors. Obten qu’un agent de polícia garde son ostal. Mas lo fals brave Lapalú, victima de sas paurs imaginàrias, capitarà pas qu’a far intrar dins son ostal, dins la persona del policièr de garda, un amant potencial per sa jove femna Roseta.

L’Anèl (1968)

27 Sostítol : « Un acte per nòstris dròlles ». Aquesta minuscula peçòta es escricha per doas dròllas e quatre dròlles de 8 a 12 ans e un adulte. Tòni tròba per azard un anèl perdut. Se tròba qu’es lo de la femna del Bertalàs. Danisa l’ainada lo convenç de lo tonar a sa proprietària per la patz de la familha Bertalàs. Polida evocacion de jòcs e mots d’enfants, que rapèla La Cabra de Robèrt Lafont, escricha dins la meteissa intencion.

La Font de Bonas Gràcias

28 Escricha en 1944-1951, publicada en 1955, aquela pèça, que recebèt lo prèmi Teodòr Aubanèl en 1955, es saique (amb Menèrba 1210) la mai ambiciosa de Leon Còrdas qu’avèra aicí « la branca deis aucèus » per sa dimension tragica.

29 6 personatges, tres actes e quatre quadres.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 43

Acte 1. Una cosina de mas lengadocian, annada 42-43

30 La vièlha Moreta, mestressa del domeni de Romanigòl, es a charrar amb sa neboda Adelina qu’es en visita, situacion ideala per una scèna d’exposicion. Aprenèm que son filh Miquèl es un presonièr escapat d’Alemanha e tornat a son ostal. Pendent son abséncia, sa femna Julieta l’a enganat amb d’autres òmes. Un jorn qu’èra a calinhar amb un amant prèp de la Font de Bonas Gràcias, a daissat lor dròlle de dos ans sens susvelhança. Lo dròlle s’es negat dins lo pesquièr. Julieta a quitat l’ostal pauc de temps aprèp. A son retorn, Miquèl a pas pus retrobat que sa maire, la femna essent partida e lo dròlle mòrt. De l’emocion, a virat canturla e despuèi desparla. Lo vesèm un moment dins la cosina, que delira. Coma la Moreta se planh de pas bastar al trabalh, Adelina li promet de li mandar coma serviciala la jove Maria, vint ans, la filha d’un ancian ramonet de Romanigòl.

Acte 2. La font de Bonas Gràcias, quatre meses aprèp

31 Maria e Miquèl charran a costat de la font. Miquèl parla totjorn de Garramacha que lo secuta, mas tanben d’una votz femenina que lo sona la nuèch e qu’el assaja de seguir, de badas. Arriba la Moreta que merceja Maria per tot lo ben qu’a fach al mas e a son filh despuèi sa venguda. Li suggerís de prene la plaça de femna de Miquèl e de venir la mestressa de l’ostal. Del temps que Maria rejonh Miquèl a l’òrt, rintra Joanbernat, ric proprietari vesin, enriquesit dins lo mercat negre. Coma lo defunt òme de la Moreta li manlevèt trenta mila francs per remplaçar lo caval partit a la requisicion e que Miquèl lo baug sap pas pus ont a escondut l’argent de las vendémias, Joanbernat propausa de prene per se pagar la tèrra de la Chanuda. Refús categoric de la Moreta que se’n va. Aparicion de Julieta, la femna infidèla de Miquèl, que fa pache amb Joanbernat per complir cadun lor ambicion : el de s’apoderar de la Chanuda, ela de se far faire un enfant per Miquèl per remplaçar l’ainat mòrt e tornar mestressa de Romanigòl. Es ela que trèva la nuèch jos la fenèstra de Miquèl. Aprèp lor despart, retorn de Maria e Miquèl. Maria li declara l’amor qu’espròva per el despuèi qu’es pichòta e li fa beure, amb pro pena, d’aiga de la font de Bonas Gràcias per lo garir de sa foliá.

Acte 3, quadre 1. Cosina del mas, lo subrendeman

32 Maria e Joanbernat charran dins la cosina. Joanbernat assaja d’alunhar la joventa de Romanigòl en li propausant una plaça a cò del notari de Vilamaja, per metre Julieta a sa plaça. Maria, e mai interessada, flaira la rusa e remanda sa responsa. La Moreta rintra per sortir aitanlèu, que deu davalar al vilatge del Mas, mas a pres lo temps de refusar un còp de mai l’ofèrta enganadoira de Joanbernat. Lo met en preséncia de Miquèl, que parlen d’afars entre òmes. Joanbernat assaja de convéncer Miquèl de reprene Julieta a l’ostal, mas es copat per Maria que torna. Demorada sola amb Miquèl, Maria gelosa assaja de saber se Joanbernat li a parlat de Julieta. Aprenèm que la jove serviciala s’es donada a Miquèl pel primièr còp la nuèch precedenta. Miquèl monta per sa prangièra. Irrupcion de Julieta e duèl verbal de las doas femnas. Julieta es estada testimòni de lors amors e se trufa de la joventa. Miquèl davala de sa cambra, Julieta li declara que desira mai que tot un novèl enfant d’el, mas ne pòt pas tirar que de paraulas poeticas e incoerentas sul dròlle negat dins lo pesquièr e s’enfugís de terror en l’ausissent.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 44

Acte 3, quadre 2. Davant la jaça del mas, lo meteis jorn

33 Jos las exortacions de Maria, Miquèl cèrca dins la jaça l’argent escondut e finís que lo tròba. La Moreta que los a rejonches a pas gaire lo temps de se regaudir de la fin de lor misèria, que Maria li anóncia qu’a decidit de partir a Vilamaja e que Joanbernat arriba desvariat : ven de trobar Julieta negada dins lo pesquièr de Bonas Gràcias. La Moreta lo seguís. Maria crida sa terror a Miquèl. Li repròcha tanben d’aver butada Julieta al suicidi. Miquèl es estat lo sol òme tendre dins sa vida rufa de filha d’ivronha, mas es resolguda a quitar aquel ostal trevat pel baujum.

34 Curiosament aquela pèça presenta los meteisses ingredients que lo Woyzek de Georg Büchner (1836), pèça « culta » venguda un classic en Alemanha e dins lo mond entièr, gràcias en parti-cular a Bertold Brecht. Soldat secutat (o que se crei secutat) per sa ierarquia, que se tua al trabalh, que sa femna l’engana e que finís que ven baug, Woyzek encarna lo pus fons de la misèria umana : descasença fisica deguda al trabalh, gelosiá e sentiment d’umi-liacion, solesa, amor non partejat e foliá per finir. Miquèl a l’astre d’aver prèp d’el doas femnas aimantas, sa maire e la jove Maria. Garramacha, que lo perseguís e lo borrèla, es una fantauma interiora que l’empacha de se tornar construire. La misèria de Woyzek a de causas objectivas, la de Miquèl es la resulta de sos pròpris demònis. Dins los dos cases, se tracha d’una exploracion dels territòris del malastre, es a dire de tragic a l’estat pur. L’armada e la guèrra son las doas caras principalas d’un destin aclapaire, mas ne son pas las solas. L’òbra de Còrdas remanda a nòstras fantaumas intimas, coma per exemple Las Trèvas d’Ibsen. Maria arpateja amb son enfança de paura filha privada de tendresa, batuda per un paire ivronha. Lo Garramacha de Miquèl es la figura de son pròpri malastre e de son impoténcia a viure. 35 Quant als personatges, se Joanbernat encarna sens nuància lo profechaire de guèrra sens escrupuls, mercat negre e maquinho-natge, e la Moreta la maire malurosa e la gardiana vigilanta, los autres personatges son mai complèxes. Miquèl es l’ombra d’el meteis, entre un present pietadós e un passat de santat e de jòia de viure qu’avèm de mal a imaginar, malgrat las allusions de sa maire e de Maria. Maria assaja de s’agantar al sovenir urós de son enfança, se dona a Miquèl, mas sa benvolença resistís pas a son esglasi. Compren que lo bonur que cresiá trobar a Romanigòl es endacòm mai. Julieta es la mai susprenenta. De « creatura » leugièra e facila, infanticida per negligéncia, qu’abandona lo fogal, ven puèi una femna nafrada e sola, en manca d’enfant, que torna a son unic fogal. La rebufada de Miquèl la remanda a sa culpabilitat e a sa solesa. Copabla, sens espèr de retorn ni de bonur, cor se negar. La femna fatala que la Moreta descriu a la debuta ven puèi victima de la fatalitat : de la frustracion a l’adultèri e a l’impru-déncia copabla. Notem qu’es la sola que morís dins lo temps de la pèça. 36 En 1944, del temps que Còrdas començava sa pèça, lo Peire-gordin Marcèl Fornièr escriviá La Crotz Erbosa, que presenta a la debuta una situacion dramaturgica semblabla. Òme prisonièr, nòra e maire demoradas solas a la bòria. Mas la nòra es sens enfant e un obrièr trabalha a la bòria, un òme san e vigorós, sol capable de fecondar la tèrra del domeni. La sògra va tot far per lo reténer, fins a butar sa nòra dins son lièch. L’amor mairal passa aprèp l’amor de la tèrra. Lo ponch comun entre los dos dramas es lo doble tèma de la guèrra e de la tèrra.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 45

Menèrba 1210 (1985)

37 Menèrba 1210 repren de tèmas ja tractats dins los poèmas : • dins Aquarèla, los poèmas « Mairana » e « Lo Boièr », aqueste essent mai prèp de l’Arada d’Antonin Perbòsc que de la cançon « catara », • dins Dire son si, lo poèma « Menèrba » :

Que vos sètz venguts pèrdre al desèrt, companhons ? Es mòrta la comtessa e Miraval es mòrt e Menèrba « fo presa » al voler de Montfòrt.

Castèlboc (1984)

38 9 personatges. Lo castèl de Castèlboc, al sègle XII.

39 Totes los òmes del castèl e del vilatge que l’enròda son partits a la Crosada. Sols demòran las femnas, los vièlhs e los enfants, e tanben los prèires. Es dire la frustracion del sèxe femenin. Al castèl lo senhor passa son temps a manjar, beure e dormir, bon òme al fons, endecat de naissença d’una camba e d’un braç que l’an dispensat de crosada. Amb el demòra son nebodet, 14 ans e madòna Alienòr (la madòna vièlha), mena de governanta d’atge canonic, mas sens enfusca morala. I cal apondre dos prèires : lo capelan del castèl, jove religiós fanatic, e lo prior del vilatge, vièlh tolerant, plen d’indulgéncia per las flaquesas umanas. Lo primièr vòl cremar l’Escudièra que sopçona de mascariá alara qu’ela se contenta de se far cobrir per son boc, fauta d’òmes valids. Lo senhor de Castèlboc decidís « d’acordar audiéncia » a las femnas del vilatge, caduna son torn, qu’es pas endecat de totes los membres. I passan donc l’Escudièra, la Patraca, la dòna de Tornamira, femnas d’una bèla vitalitat, sens parlar de las autras nombrosas. Aquel regim a rason del paure sénher de Castèlboc que finís per morir, victima de son devoament sexual. 40 La pèça exprimís una exaltacion naturalista del desir femenin e una satira de la rigiditat morala, en particular sexuala. Coma dins Menèrba 1210, de cançons del joglar servisson de contraponch.

BIBLIOGRAPHIE

1932 : La Matalena (3 actes en vèrs), inedita e non creada.

1936 : La Nòvia (1 acte), Estampariá Jòrdi Vieu, Olonzac, creada.

1937 : Prudòm de la luna (3 actes), inedita mas creada.

1938 : Tres per un (recuèlh de tres pèças creadas), Estampariá Jòrdi Vieu, Olonzac :

– Lo diable es en campanha (6 estapetas)

– La LCP (1 acte)

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 46

– Barrabàs (4 estapetas)

1938 : Cantarana (3 actes e 4 quadres), inedita mas creada.

1940 : L’enfant de la Bona Novèla (pastorala en 1 acte), inedita mas creada.

1941 : Remembrança (2 actes e 1 prològ), inedita mas creada.

1943 : Lo camin nòu (4 actes), inedita e non creada.

1944 : Quand se parla d’amor (2 actes, amb Antòni Debernard) Lo Chamin de Sent Jaume, 2004, creada.

1945 : La banda negra (1 acte), IEO, 1961, creada.

1947 : Lo miralh (1 acte), Aubanel, 1948, creada.

1944-51 :

La Font de Bonas Gràcias (3 actes e 4 quadres), Aubanel, 1955, creada.

La Font de Bones Gràcies (version catalane de Xavier Fabregas), Occitania-Barcelona, 1967, editada e creada en catalan.

1965 : Lo monument (1 acte), inedita e non creada.

1966 : Lo mistèri Frocan (8 quadres), inedita e non creada.

1968 : L’Anèl (1 acte), Quasèrns pedagogics de l’IEO, non creada.

1969 : L’Òme de Menèrba, inedita e non creada.

1970 : Lo còp del lapin (1 acte), inedita e non creada.

1983 : Menèrba 1210 (1 prològ e 9 tiradas), IEO, creada.

1983 : Cabucèlas e Picapol (1 acte), inedita e non creada.

1984 : Castèlboc (comèdia de 6 tiradas), inedita e non creada.

22 pèças : 13 jogadas, 10 publicadas

Leon Còrdas joguèt dins las 3 pèças seguentas :

Nino, d’Emili Barta. Ne parlem pas mai, de Gaston Vinàs. La nuèit d’estiu, de Clardeluna (1937).

Joguèt e metèt en scèna 8 de sas pèças :

La nòvia. Prudòm de la luna. Lo diable es en campanha. La LCP. Cantarana. L’enfant de la Bona Novèla. Remembrança. Quand se parla d’amor.

7 tropas de teatre joguèron de pèças de Leon Còrdas :

Los Cigalons Narboneses. Les gais vaudevillistes (Argelièrs d’Aude). Tropa de Montolièrs (Erau). Centre d’Essais (Radio-Montpellier, Madeleine Attal). Grop IEO (H. Pignet). Estudiants de Montpelhièr. Grup Teatre Estudi de Barcelona.

Per replaçar l’òbra dramatica de Leon Còrdas dins la perspectiva del teatre occitan del sègle vinten, se legirà amb interès la tèsi de Claudi Alranq : Théâtre d’oc contemporain. Les arts de jouer du midi de la France (Université Paul-Valéry de Montpellier), publicada jos forma condensada per las éditions Domens, Pézenas, 1995.

Veire en particular las paginas que pervòcan directament Leon Còrdas : p. 28-30 (sus la « batalha » de la Nuèit d’estiu), p. 51 (sus La Font de Bonas Gràcias, que Claudi Alranq religa al tèma « L’absent, la femme, le mas » fòrça espandit dins lo teatre occitan pendent e après la Segonda

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 47

Guèrra Mondiala) e p. 69-70 (sus Quand se parla d’amor, que plaça dins la categoria de çò qu’apèla « théâtre rétro-moderne »).

NOTES

1. Théâtre et littérature populaires d'Oc (conferéncia donada al XX en estagi pedagogic de l'IEO, la Ciutat, 01-09-1963), IEO, 1964, 25 paginas.

AUTEUR

JOAN-CLAUDI FORÊT

Universitat Paul-Valéry (Montpellier III)

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 48

Leon Còrdas, « romancièr testimòni »

Claire Torreilles

Mercegi fòrça per lor ajuda bibliografica Aurelian Bertrand, responsable dels archius al CIRDOC, e Maria-Joana Verny.

1 Coma poèta e coma òme de teatre Leon Còrdas se fa conéisser jove dins lo mond de la cultura d’òc. Coma prosator, publica mai tard e dins una pontannada de uèch ans, de 1974 a 1982, dos romans e dos recuèlhs de novèlas, siá : • Los Macarèls I, 1974, Toulouse, IEO, coll. A Tots. • Sèt pans, 1977, Toulouse, IEO, coll. A Tots. • La batalha dels teules, 1979, Montpellier, Les presses du Languedoc, coll. Espandi occitan. • Los Macarèls II, (La Beguda de Joannes), 1982, Toulouse, IEO, coll. A Tots.

2 La cronologia de la publicacion seguís pas la de l’escritura. Còrdas o ditz tre la primièra linha del prefaci de Sèt pans : es « un roman que pareis mai de 25 ans après èsser estat escrit ».

3 Remarcam que tres dels quatre libres son publicats dins la colleccion A Tots de l’IEO, çò que sembla normal estent l’òbra ja publicada e l’implicacion activa de Leon Còrdas dins l’institut. Mai qu’aquò, dins aquelas annadas 1970, fa partida dels « caps de colleccion ». En 1974, A Tots, bailejat per Joan Larzac, a pas qu’un an de vida. Ives Roqueta dins sa cronica de La Depêche1 de 14 de mai 19742 parla de l’òbra de prosator de Còrdas, « un de nos écrivains importants et injustement oubliés ». Ditz qu’a legit d’el en manuscrit dos romans, l’un sus 19073, l’autre sus la mecanizacion, e que son d’òbras fòrtas que se doblidan pas aisidament. E un mes aprèp, 15 juin 1974, lança una soscripcion per sosténer A Tots e anóncia los titols novèls : La Quimèra de Bodon, Tu culpa de Lafont, Bogres d’ases de Serre et Los Macarèls de Còrdas. Polida plega mas Los Macarèls es pas un dels romans evocats per Ives Roqueta, es un recuèlh de sèt novèlas. Del títol provocaire e que serà reïterat, Còrdas dona l’explica dins la primièra novèla : « Letra per F.-Peter Kirsch ». L’agach exterior del jove estudiant austrian vengut en cò sieu lo fa s’interrogar sus se e sus son mond. Aprèp l’escambi intellectual, la galejada filosofica : « Sètz de paganasses vosautres, macarèls de mediterranencs. Mas Jèsus-Crist èra pas del Nòrd ! ». A Leon,

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 49

la paraula li conven per dire los sieus, los Occitans, los pacans, lo papeta Còrdas, lo Joan de Còrdas, lo Jepet que se pengèt a la figuièra, lo CRS despatriat, e totas las figuras que farà viure dins sas pròsas. 4 Òm pòt pensar que lo succès dels Macarèls4 endralhèt la publi-cacion tres ans aprèp del roman « sus la mecanizacion », Sèt pans, escrich a la debuta de las annadas cinquanta qu’Ives Roqueta n’aviá legit lo manuscrit e que prenguèt reng en 1977 dins la colleccion A Tots, entre Pèire Bec (Contes de l’Unic) e Joan Larzac (Descolonisar l’istòria occitana).

Portar testimòni

5 Cossí Leon Còrdas qu’es un autor e un actor dels mai conscients de l’occitanisme se plaça dins lo desvolopament de la pròsa occitana de la segonda part del sègle XX ? Manca pas de s’exprimir sus la situacion de l’escrivan e sus sa responsabilitat particulara dins la formacion de la consciéncia occitana. Dins La batalha dels teules, escriu : « Lo deure de l’escrivan es de portar testimòni sus son temps, per son temps5 » (p. 73). Es una posicion presa dempuèi longtemps. Dins Tèrra d’òc 6, tre 1940, la question de relacion de la lenga al pòble es pausada de contunh : prendre la lenga al pòble e la li tornar de tal biais que la conesca sieuna. Tant Andriu-J. Boussac coma Max Roqueta, coma Ernest Vieu o Leon Còrdas tenon de cronicas que trachan d’aquò : lo biais de far un teatre popular e de lo far viure7, d’escriure una pròsa de qualitat posada « dins la boca del pòble8 », de l’editar, vulgarizar e difusir per anar « a la conquista del public9 ». Se, dins Tèrra d’òc, los modèls del roman son Enric Mouly, A.-J. Boussac 10 e Batisto Bonnet11, lo trabalh de la pròsa se cultiva tanben dins l’exercici de la traduccion12, de la novèla dins lo biais de Galtier13, Camproux14 o Roqueta. Còrdas publica sa primièra novèla, Fangas e fum15, dins lo numèro 10 ont la redaccion aficha sa volontat d’encoratjar la recèrca « d’una dralha nòva » per las « obras d’imaginacion16 ». Çò novèl es benlèu aquí un biais familiar, un ton de convèrsa qu’es ja la marca de l’estil de Còrdas, per dire la vida vidanta d’un jove soldat, Pèire Mamet, un « rapelat, coma los autres » cantonat dins un vilatge evacuat d’Alsàcia ont sa companhiá pren sos quartièrs d’ivèrn. Lo sol eveniment es la recepcion d’una letra de rompedura que lo nafra tant que se met tot en un còp a fumar e a escriure : « se botèt a escriure d’una man nervilhosa, al craion, sus un fulh arrancat a un cadern raubat dins una escòla ont avián cantonat. Quand siaguèt temps de s’anar jaire dins la palha trepejada, escriviá totjorn17. » 6 Amb lo detalh verista del « megot atudat e marrit, empegat a sos pots… », es la postura de l’escrivan !

7 Una autra novèla, Respelida 18, es publicada dins lo numèro seguent de Tèrra d’òc. I tornam trobar lo personatge de Pèire Mamet, liberat, tornat a sas vinhas, apasimat de la « patria retrobada, de sa tèrra, son solelh, una lenga tindaira eiretatge de personalitat, de cultura, d’umanitat, de libertat e de franquisa19.» 8 Novèlas ineditas de l’an quaranta, nascudas de l’ànsia de l’exili e de l’esper del retorn.

9 Lo desir de modernizacion de la pròsa afichat per Tèrra d’Oc es tanben la tòca de las revistas seguentas editadas aprèp la guèrra, L’Ase Negre que Còrdas n’es co-fondator amb Elena Cabanes e Robèrt Lafont, puèi Occitania en genièr 1948. Lo director Robèrt Lafont signa un apèl a « aparar e ajudar l’espelida d’una vertadièra pròsa occitana originala e mai digna d’èsser comparada a las autras pròsas modèrnas20 ». La revista presenta una causida bèla de pròsas de Camproux21, Roqueta22, Eyssavel23 e de novèls venguts coma

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 50

Pèire Lagarda24, Robèrt Lafont25, Jaume Vidal26, Francés Rei-Belenc27… Còrdas dona en genièr de 1948 una novèla de tonalitat tragica, « La corrida28 », que ditz inspirada d’un « fait divers » e que presenta coma « una scèna de vida lengadociana, amb son gost brutal, sas colors que se trucan e son sang que rebolís29. » Es l’istòria de Pascal Belaiga, un gavach « roge, fort, pansut, las gautas li amagant lis uelhs tant era conflat de grais » que, fortuna facha, s’installa borgesament dins un vilatge de la plana ont senhoreja. Amator de corrida de buòus a l’espanhòla, se mòstra entreprenent amb la femna de Pepe, un « Espanhòl d’aquí30 » que va metre en scèna una venjança tauromaquica. 10 Es la « realitat sociala », la realitat « fangosa e rocassièra » del « pòble de las vinhas31 » que Còrdes vòl retraire dins aquelas annadas 1947-48, tant al teatre coma dins la cèrca d’una pròsa eficaça o encara dins l’expression cinematografica que lo succès de Farrebique32 de Jòrdi Rouquier ven de revelar. Còrdas rescontra lo realisator a Paris, coma o ditz dins una letra a Jean Sagnes33, dins lo temps qu’es a escriure Sèt pans, e aquò li dona l’idèa d’un film « totòc », bastit coma Farrebique e « ont dintrarià lo cicle d’una vendémia a l’autra, d’un an de cultura de la vinha » que lo roman ne seriá coma lo scenari. Parallèlament, escriu lo scenari de La Route des gueux, un film suls eveniments de 1907 que n’aguèt de testimonis pròches dins sa tropa e dins sa familha34, mas que capitarà pas de far realizar, per de rasons financièras mai que mai. Lo scenari se muda en roman, escrich « del meme moment dins la mema encra vèrda que Sèt pans » mas en francés, cossí que siá, per dire d’ajudar eventualament lo film e tocar un public mai larg, seguissent los conselhs de sos sostens politics de l’epòca e d’en primièr de Philippe Lamour35. Malgrat la causida de lenga, la publicacion d’aquel roman se faguèt pas dins l’encastre de l’edicion francesa de las annadas 195036 que per Leon corres-pondon als auvaris de la « vida vidanta materiala e del crèba-còr que se’n seguís37 ». En 1985, una temptativa novèla per editar lo manuscrit als Éditeurs français réunis capitèt pas nimai38. 11 En abril 1951, Còrdas publiquèt dins Òc una novèla titolada La Vespa 39 qu’èra, amb qualques modificacions de detalh, lo primièr capítol de Sèt Pans40. 12 En octòbre de 1949, intervenguèt dins lo debat menat dins Òc sus la pròsa d’òc 41, en coeréncia amb sas cronicas de Tèrra d’oc pendent la guèrra, per explicar que la dificultat mai granda de la pròsa èra de trobar son public, un public que devián formar a la lectura de sa lenga. E es dins aquesta amira que Còrdas publicarà una iniciacion a l’occitan fondamental42. L’escrivan d’òc, çò ditz en 1949, « es la consciéncia del pòble. Ten d’el lo melhor de son eime, n’es emprenhat e inspirat43 ». Son de paraulas que legissèm dins de formas gaire diferentas dins Oc de la debuta de las annadas 1950, jos las plumas de Castan, Roqueta, Allier o Lafont. Per Còrdas, la fidelitat al pòble permet tanben de pausar la question dels contenguts del roman. Lo public vòl una pròsa ont se sentisca viure : « Una pròsa ont tinda son rire e amargan sos plors, ont se miralhan sa vida vidanta, son eime e son astrada, tot çò que lo peltira o lo sarpotís, lo maca o li dona joïna44 … » 13 Es aquò per el la dimension d’universalitat, perqué es tot simplament l’uman.

14 Sèt pans se situa dins aquela perspectiva de cultura populara reïvindicada. E se sent la marca, l’influéncia de l’escrivan que foguèt per el lo mèstre en matèria de cultura populara d’oc, lo felibre besierenc e autor de teatre famós45, Emili Barthe. I a de semblanças entre Sèt pans e lo roman que Barthe escriguèt en 1938, La Nissanenco 46. La plaça del vilatge viticòl, ostals sarrats e vinhas a l’entorn, la figura centrala feminina de

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 51

femna valenta : Floureto e Manuèla, las scènas de vendémias amb caponadas, abelhas, sèrps e amors clandestinas. Mas Còrdas cèrca d’escafar lo patòs e la bonomia convenguda que marcan lo roman terradorenc de Barta – e que ne trobam encara de ressons dins una pròsa coma Respelida – en afustant un estil mai realista de pintura de la societat rurala en crisi, un biais qu’Ives Roqueta qualifica de « neo-realisme » en referéncia al cinèma italian47. Verai que lo ton es, coma dins las darrièras pèças de Barthe d’alhors, negre, pesuc. Lo títol de Sèt Pans ven de la mena de parabòla que conta un dels personatges per explicar al gròs vinhairon e al jove curat çò que significa « lo pan de cada jorn » : son paire arroïnat per la filloxèra derrabèt sas vinhas e se loguèt en cò d’un patron. Cada jorn en tornant portava lo pan a la familha e lo dissabte ne portava dos en disent : « Cal sèt pans per passar la setmana, un per cada jorn, e lo darrièr es lo que mai còsta de pagar48. » Aquí es pas mai la filloxèra, es la secaresa puèi la granissa qu’o venon tot arroïnar, e mai los que se revòltan e cèrcan lo mejan de se’n tirar, coma lo jove Marcon que s’es crompat un tractor, primièr del vilatge, mas que se crèba al trabalh. Leon Còrdas sap de qué parla, es son istòria. Aquela crisi l’a viscuda e justament ne pòt testimoniar. Sens dolorisme, mas revoltat per l’injustícia sociala : la crisi a, coma disiá Barthe, sos « profitaires49 » que son los rics proprietaris. 15 Joan-Maria Auzias qu’analisa la collection A Tots dins un article bèl d’Europe de 198550 fa una plaça particulara a Sèt Pans. « Un ouvrage clé […] et qui fut édité trop tard pour apparaître comme l’annonce d’un renouvellement de la sensibilité sociale et littéraire occitanes. Cela préfigurait les tendances actuelles de l’IEO, une sorte de radicalisme chrétien jamais explicité, mais réagissant dès qu’on pose les problèmes en termes de politique et de lutte des classes. A Tots continue surtout la tradition des écrivains populaires comme, en France, Émile Guillaumin51 ». 16 E, dins la vena ruralista, a costat del roman païsan de Còrdas, Auzias cita la Margalida del bearnés Gastellut-Sabatot que legís amb tant de plaser, çò ditz, coma las òbras del provençal Charles Galtier.

17 Còrdas, militant occitan en primièra linha, a degut sentir la discordança entre son roman païsan, malgrat l’inspiracion libertària, e l’actualitat del moviment occitan de la fin de las annadas 1970. Segon Ives Roqueta, que ne parla a l’irreal del passat, aquel roman manquèt sa vocacion per èsser vengut tròp tard sul mercat de la literatura occitana. « Édité à son heure, Sèt Pans aurait sans doute changé toute la donne de la prose en langue d’oc. Il l’aurait libérée à la fois d’un intellectualisme de référence et de la magie quelque peu morbide du poème en prose. Il lui aurait surtout ouvert les voies de la réalité, celle des machines et des conflits sociaux. Par la vigueur de son scénario, la sûreté du découpage dramatique, le recours constant à une psychologie du comportement et à un imaginaire concret, absolument contemporain, ce roman du jeune homme au tracteur aurait été, sans aucune espèce de doute, l’œuvre de référence de toute une génération, celle qui précéda la venue à l’écriture de Joan Bodon52. » 18 Qué que foguèsse lo retard – e benlèu perque l’ensenhament es totjorn un pauc en retard sus la creacion – pòdi testimoniar qu’aquel roman foguèt plan presat dels ensenhaires e escolans d’occitan en Lengadòc, a un moment, dins las annadas 1970, ont l’ensenhament coneguèt una pojada espectaclosa. La qualitat de la lenga, l’interès dramatic, l’encastre vilatgés amb un reire-plan de viticultura en crisi èran los elements d’un best-seller pedagogic (de longa vida !). E me sembla que La batalha dels teules venguèt coma una represa en forma d’actualizacion de Sèt pans 53. Avèm lo vilatge, tot

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 52

parièr, quilhat sus son sèrre al mitan de las vinhas54, e sa micro-societat. Lo nom càmbia, de tot biais es un nom fictiu, Vilapinha. Lo tèma se desplaça : se tracha de la segondarizacion dels ostals en seguida de la despopulacion rurala e dels cambia-ments que se fan dins las mentalitats. A costat del vilatge vièlh, i a lo vilatge nòu, dins la plana, e un camping. L’istòria es la dels teules d’una jaça mai o mens raubats per de mond que ne vòlon cobrir sa residéncia secondària. Los joves menan l’accion, coma dins Sèt pans, mas amb l’audàcia de 6855, a l’entorn d’un personatge « testimòni » se poiriá dire, un vièlh occitanofòn monolingue vengut de la montanha e que s’apèla Ranquet. Personatge un pauc folclorizat coma lo « 19 sòus » de Sèt pans, mas coma el, finalament, eròi « positiu »56. Çò novèl es que lo roman se dobrís a doas causas : las allusions (nombrosas) a la creacion occitana e las (tan nombrosas) intervencions del narrator, segon una mena de libertat que ven saique de l’escritura de las novèlas, o mai largament de l’esperit del temps ! Libertat d’inserir de citacions de poètas e cantaires contemporanèus e amics, coma Miquèl Decòr, Ives Roqueta, Patric, Mans de Breish… Libertat d’inserir de comentaris e de dissertacions en forma de digressions assumidas57 suls tèmas de l’occitanisme ambient : d’un costat la reconquista de la lenga, l’eslogan de Volèm viure al país bombardat dins la nuèch (p. 20), « la granda perspectiva populara del 29 d’abril de 1976 » (p. 72), e d’un autre costat la denóncia de la « toristificacion » del país, de l’alienacion culturala, del « racisme » franchimand incarnat per Taine (p. 97). Libertat enfin de metre al centre de la diegèsi una representacion del Teatre de la Carrièra : sus la plaça del vilatge ont avián ja jogat Mòrt e resureccion de Monsur Occitania i venon tornarmai, en fin de vendémias, per jogar Bogre de Carnaval. Aquí que lo teatre se tròba al centre geografic e simbolic del roman, e que « l’autor de la vièlha gene-racion » un còp de mai pren la paraula a la primièra persona per dire son si sus un teatre qu’es pas sieu e que « del primièr còp d’uèlh es infòrm, destrantalhat58 » mas que lo conois plan e ne passa en revista e lo repertòri e las tecnicas e l’engatjament vertadièr (p. 78).

19 Còrdas se maina plan que son roman de còps regiscla de subjectivitat e se n’excusa : Cossi podriás, tu, èsser objectiu ? Quand t’avisas qu’a travers una presa de consciéncia que t’aparten pas sol, la mendre anecdòta revèrta lo roman d’un pòble, d’un païs59.

Roman d’un pòble, paraula d’un païs

20 Sèt pans èra mai que mai lo roman del pòble, La batalha dels teules es puslèu lo roman d’un pòble. Lo resquilhament del sens social al sens etnic èra ja contengut dins la soscadissa de l’article d’Oc de 1949. Joan-Ives Casanova lo vei tanben dins Los Macarèls II (1982) que ne fa una recension puslèu polemica60 dins Jorn61 : « Finalament de qu’es question dins Los Macarèls II ? Lo primier capitol nos l’indica […] : lo païs, eternament lo païs, amb sa lenga e sa civilizacion que morís…62 » 21 Sul plan estetic tocam, çò ditz, los limits del genre del testimo-niatge romanesc, entre « etnotext-testimòni » e creacion literària : « Los Macarels es bastit sus un mite. Sus lo mite de literatura occitana, una certa literatura que si vòu paraula per son païs, que si vòu l’aparar, lo protegir63 ». 22 Lo roman occitanista seriá en dangièr de passar de mòda plan mai que lo roman païsan. Mas es plan malaisit de categorizar una escritura que fugís volontàriament la categorizacion, que se chala de passar d’un narrator a un autre, d’un temps a l’autre e d’un genre a l’autre, segon la vida de la paraula :

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 53

« Car mos racontes son faits d’abòrd de vida comuna. Lo païs comença pel vesinat… I siás testimòni ambe tas mans tanplan coma per la paraula : paraula, lenha, fogal, los mots de la lenga i son presents coma los bastets a las mans64. » 23 Los dos libres dels Macarèls utilizan la forma brèva de la novèla per testimoniar divèrsament de la diversitat de las situa-cions e dels tipes umans dins la societat actuala. Los personatges son ancorats dins la modernitat, o tot al mens l’urbanitat, coma dins « La manifestacion »65 que mòstra una manifestacion de viticultors a Montpelhièr del punt de vista d’un CRS vengut de París que se soven que foguèt jove trabalhador de la vinha, o coma dins « L’acordeon »66 centrat sus la personalitat estrifada d’un obrièr acordeonista que sa vida s’embarra dins l’ambicion pichòta-borgesa de sa femna (al revèrs de mai d’una situacion de l’univèrs de Còrdas ont es la femna que pòrta l’òme). La conclusion d’aqueles racontes del cotidian amar es que repre-sentan « la vida suportada, debanada coma un conte crudèl »67. Tota istòria viscuda tròba paradoxalament son expression dins la veritat prigonda del conte.

24 Aital la màger part de las istòrias relèva del repertòri popular que Còrdas contaire ne mestreja totes los còdis e registres :« Metempsicòsi »68, « Nadal dels quatre camins »69, « L’arpentaire »70, « L’ombra de la figuièra »71 e tanben « La beguda de Johannes »72 (la beguda, luòc de contaralhas sens fin). Còrdas non solament amaga pas aquela sorsa del folclòr mas al contrari la cita coma son inspiracion tant intima coma collectiva, coma lo ressòrt primièr de son escritura. 25 Per exemple, dins « Metempsicòsi », cresenças popularas e fablas literàrias se crosan sul tèma de L’ase d’aur. I a tres nivèls. Lo primièr qu’es plan conegut del contaire de vilatge73 es lo del conte faceciós de l’ase raubat a un paure òme que los raubaires li fan creire qu’èra un evesque mudat en ase e al cap de sèt ans desliurat de sa preson de carn. Lo second es l’istòria fantastica de Cabassut, un vilatgés que sap que lo caval de son vesin es un evesque e que li parla coma se deu a un pecador… fins a la reguitnada mortala. Enfin i a lo nivèl literari de çò que presenta coma lo reviscòl dels estudis catars : « D’especialistas furgavan, butavan la cèrca, e los poètas i fasián resson74 » en donant en seguida la citacion sens referéncia d’un passatge sus la metempsicòsi d’ Encaminament catar de Denis Saurat75. La novèla, facha de l’imbricacion coma improvisada del tres nivèls desparièrs e de qualques digressions politico-filosoficas de las voses crosadas, laissa una impression de desordenat e d’inacabat que retipa una convèrsa de fial en cordura. 26 Lo narrator se pintra sovent en situacion de contaire o d’esco-taire, coma fa dins « Joan de Còrdas »76 que retrai un vailet estacat a la familha dels Còrdas, un « pauc parla » mas qu’amb lo narrator contava e contava que siá d’Aquilles Mir, de Daudet o de Rabelais o del jornal del jorn, sens arrestar, que tot çò que legissiá o sabiá de tèsta, per lo quite plaser de dire, de contar : « La paraula èra nòstre espaci, nos pastava las maissas, nos donava l’alen, fasiá nauta coma de Pirenèus, al cap de las vinhas, al cap del vent, la barra orizontala de la Sèrra d’Opià77. » 27 Del mestièr de contaire, l’escritura tira son ritme e son expressivitat e del mestièr teatral son sens del dialòg. Còrdas sap, coma Max Roqueta que lo coneguèt e legiguèt d’ora78, lo poder de las paraulas. Dins « L’arpentaire » dos rivals se cèrcan, s’insolentan : « Tot d’una getava son capèl al sòl. Davant sos pès : “Se sautas aquel capèl siás un òme mòrt !” E se reculèt d’un pas. Pacha d’òme ! Sautar pas lo capèl ? Tè ! sautat èra…

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 54

La lama se plantèt dins son ventre de bas en cima. Coma una relha bauja dobriguèt una laurada sagnosa79. » 28 Dins « Pro per un rafi »80, Còrdas se ten dins un equilibri sabent entre conte e novèla, entre la tipizacion e l’individua-lizacion del retrach que fa d’un vesin sieu, Bertrand. Aquel Bertrand es un pauc coma lo Ranquet de La batalha dels teules, brave, silentós – sovent per necessitat perqué lo francés li es lenga mòrta e mai siá vendeire de lach a Montpelhièr. Li fa contar sa vida, per un còp qu’es realista qu’un personatge narrator parlèsse occitan : « Ma vida, aviá agut dit, se’n fariá un roman81… »..E lo raconte se debana, amb lo buf e las pausas necessàris, sul tèma de la misèria dels paures, dels umiliats e ofensats de la societat païsana tradicionala : « Gara l’aquí deslargat darrièr las fedas per causses e morrèls. Lo primièr jorn, abans de partir, li donèron una manada de castanhas. Pensatz se las aguèt lèu engolidas aquelas castanhas82… » 29 E mai, dins las « istòrias de brigand » que conta Bertrand, i a la de Caserio « lo qu’escotelèt lo President Sadi Carnòt a Lion lo 24 de junh de 189483 ! ». Aquel Caserio que Bertrand l’auriá agut coma companh de còla per las sègas representa una mena d’eròi arnarquista. Lo passatge fa pensar a l’elògi que ne fa Charles-Louis Philippe dins sas Chroniques du canard sauvage84. Dins la novèla de Còrdes, las figuras de Bertrand e de Caserio se superpausan coma de figuras emblematicas de la revòlta proletariana85.

30 Çò que pòt raprochar Còrdes dels melhors autors del roman rural coma Léon Cladel, Baptiste Bonnet, Eugène Le Roy, Émile Guillaumin o d’autors de literatura proletariana coma Charles-Louis Philippe, Henri Poulaille o Louis Guilloux, es un biais de parlar del pòble, pròche e juste, sens emfasi ni aproximacion. Per dire la misèria, per dire lo patiment, los gèstes e las paraulas del trabalh. Lo podaire, lo vendemiaire, lo sulfataire, sovent en còlas, en qualques linhas son presents, mas tanben lo lauraire, l’arpentaire (e mai fals !), lo pastre, lo maçon, lo faure. Mas per èsser tecnica, amb los mots que cal coma cal, la descripcion es jamai seca, se carga de tendresa o de sentiment de fraternitat o de colèra partejada. De còps, se fa vision a la Giono, coma dins La Batalha dels teules, quand « los del mestièr » tòrnan cobrir lo teulat de la jaça del Ranquet : « Atal coma se deu, pausadas dins d’abòrd las quatre primièras rengas de teules, de reculons, en començant al ran de la paret e cap amont. Puèi tornar autras quatre. Un autre òme entendut aladonc prenguèt la seguida tanlèu aquela sisa avançada, puèi un autre, puèi un autre pariu, tal coma se seguisson de segaires dins un camp, de dalhaires dins un prat, de reng en reng, alinhats en galís que camina d’arreu. La teulada, a son anar, tornava renguejar a bèlas presas coma sègas, coma prat dalhat, coma tèrra laurada sas regas plan afustadas que s’alinhan sul talh86. » 31 Quand ditz que l’escrivan deu portar testimòni de son temps, Còrdas o pren al sens mai larg : de tot son temps, memòria e actualitat, vida populara e vida literària ensemble amb sos actors, sos escambis, sas perspectivas. Testimònia dins sas pròsas, coma dins totes los domènis d’escritura que s’i engatgèt parallèlament, de l’univèrs que foguèt sieu, de la plaça que tenguèt dins las letras d’òc dins las annadas 1940 a 1980 : consciéncia viva e pluma agusada.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 55

BIBLIOGRAPHIE

1. Obratges de Leon Còrdas • Los Macarèls I, Toulouse, IEO, coll. A Tots, 1974. • Sèt pans, Toulouse, IEO, coll. A Tots, 1977. • La batalha dels teules, Montpellier, Les presses du Languedoc, coll. Espandi occitan, 1979. • Los Macarèls II, (La Beguda de Joannes), Toulouse, IEO, coll. A Tots, 1982. • L’occitan fondamental, Apreni lèu-lèu l’occitan, IEO, Toulouse, 1974. 2. Revistas

Tèrra d’òc

CORDES, Léon, « A la conquista d’un public », n° 6-7-8, setembre 1940.

CAMPROUX, Charles, « Lo barrullaire », n° 10, oct 1940.

BOUSSAC, Andriu-J., « L’ironda perduda », n° 11, nov. 1940.

CORDES, Léon, « Respelida », n° 11, nov. 1940.

CORDES, Léon, « Fangas e fum, novèla de L.C. », n° 3, març 1940.

BOUSSAC, Andriu-Joan, « Lo Perón », n° 10, octobre 1940.

EYSSAVEL, Paul, « Dafnis e Cloe », Oc, genier, març 1941, supp. au n° 41.

MOUZAT, « Retorn en Lemosi », Oc, julhet, agost, setembre 1941, supp. au n° 42.

BOUSSAC, Andriu-J., « La Fabrica », supp. au n° 24. octobre-novembre-decembre 1941.

GALTIER, Carle, « La cançoun perdudo, counte», n° 45, setembre 1943.

LOUBET, Jóusé, « Batisto Bounet », n° 52, abril 1944.

ROUQUETTE, Max, « Dins la boca del pòble d’òc », nos 21, 31, 35, 41, 51, 56, 61 de 1942 a 1945.

L’Ase Negre

LAGARDE, Pèire, « Jorns d’automne », L’ase negre, n° 13, nov. 1947.

LAFONT, Robèrt, « La votz », L’ase negre, n° 11, julhet-agost 1947 ; « Joan Larsinhac » ; Occitania, n° 6, julhet 1948.

ALLIER, Max, « Lenga d’oc, lenga dau poble », L’ase negre, n° 11, julhet-agost 1947.

VIdal, Jaume, « Lo banh », L’ase negre, n° 14, dec. 1947.

Occitania

CÒRDAS, Leon, « La corrida », Occitania, n° 1, genier de 1948.

LAGARDE, Pèire, « A s’amagar », Occitania, n° 3, julhet 1948.

EYSSAVEL, Paul, « Lo cavau », Occitania, n° 2, fev.-març 1948 ; « Trimareu », Occitania, n° 5, julhet de 1948.

ROQUETA, Max, « Font del Fabre », « Catarina », Occitania, n° 7, oc-nov. 1948.

LAFONT, Robèrt, « Per una pròsa d’oc », Occitania, n° 7, nov. 1948.

CAMPROUX, Charles, « Una anja », Occitania, n° 9, fev. març 1949.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 56

REI-BELENC, Francés, « L’Auriòl », Occitania n° 5, julhet de 1948.

3. Obratges e articles citats

GUILLAUMIN, Émile, La vie d’un simple, 1904.

BARTHE, Émile, Los profitaires, Béziers, impr. du Midi, 1922.Rééd. Paris, coll. des Amis de la langue d’oc, 1969.

BARTHE, Émile, Teatre poupulari, Béziers, J.-B. Clareton, Pages d’oc, 1922-1927, 2 vol.

BARTHE, Émile, La Nissanenco, rouman de la Terro d’Oc, Béziers, J.-B. Clareton, Pages d’oc, 1938.

PHILIPPE, Charles-Louis, Chroniques du canard sauvage, Paris, Gallimard, 1923.

LAFONT, Robèrt, « Per una pròsa occitana », Oc, n° 170, octòbre de 1948, p. 30-32.

SAURAT, Denis, Encaminament catar, Toulouse, IEO, Messatges, 1955.

RAGON, Michel, Histoire de la littérature prolétarienne en France, Paris, Albin Michel, 1974.

ALLIER, Max, recension de Los Macarèls I, Oc, n° 25, automne 1975, p. 83-84.

NEGRE, Ernest, recension de La batalha dels teules, Gai Saber n° 382, avril 1976, p. 35.

DURAND, Jacques, recension de La batalha dels teules, Connaissance du pays d’oc n° 38, juillet-août 1979, p. 64.

CASANOVA, Jean-Yves, recension deLos Macarèls II, La beguda de Joannes, Jorn n° 11,1984.

AUZIAS, Jean-Marie, « Une vitrine de l’occitan : la collection ‘A tots’ de l’Institut d’Études Occitanes », Revue Europe, « Littérature occitane », janvier-février 1985, p. 39-48.

PETIT, Jean-Marie, Leon Còrdas, Notice biographique, bibliographie, iconographie, témoignages, critiques, études, textes, Béziers, CIDO, juillet 1985, 73 p.

ROUQUETTE, Yves et CAMBEROQUE, Charles, « Léon Cordes, homme de parole et d’action », Connaissance du Pays d’Oc, n° 72, 1986, p. 52-57.

ROUQUETTE, Yves, Chroniques de La Dépêche de 1974 à 1982, En occitan, une histoire buissonnière de la littérature d’oc, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2013.

ANNEXES

Annèxe I Fangas e fum Novela de Leon Cordes Peire Mamet era un rapelat coma los autris. Coma los autris aquela ficuda mobilización l’aviá agantat, arrancat a ço seu, emportat cap a una caserna ont l’avián, un cop de mai, vestit de farda pesuga, uniforma e mal engalhada. De seguit, aviá carrejat suls camins, long dels jorns ardents o de las neits jaladas ont tant-plan la plueja vos rajenta coma de tirons, son sac e tota sa fortuna de fantassin, cagarau mostrós butat al mitàn d’un tropel lanternier cap a d’orisons malvolents. Pro ben grand, un bricón linje, son corps s’era un pauc mai plegat e son agach fisançós era embrumat d’aquel vel de lassiera barrant ara los uelhs d’una generación malastrada. Pariu a totis encara, sabiá rire ça

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 57

que la quand n’era lo moment, badinar de sa marrana, e contar, estirat sus la palha del cantonament, d’istòrias galhardas per tuar lo temps. Aquí quora cadun delata de sa situacion civila e se daissa anar a iniciar complasentament lo vesinatge curiós de l’anar de sas amors, li avián ausit dire qu’el tanbén aviá la seuna e que, sens aquelis eveniments del diables, seriá ja maridat e urós que non sai. D’alhors, a l’ora de las letras, receviá pro sovent son envelopa blua ont, d’una escritura nauta e irreguliera, s’era aplicada a pausar son adressa. Enfin, Peire Mamet, lo jorn que sa companha abastet, per i prene los quartiers d’ivern, dins un vilatjot evacuat d’Alsaça, era aquel soldat anonim per la guerra raubat al païs nadalenc, perdut dins un endreit de plueja e de fangasses ont somniava son solelh, lo teulat pairal e sas amors de gojat de vint e cinc ans. I aviá que per una causa que Peire era pas coma totom : jamai l’avián pas vist la cigareta als pots. Aquò estonava tot cop sos colegas, totis fumaires coma de grapauds. Del cop, cadun cercava son amistat per resquilhar, quora se toca lo prest, son degut de tabac. El l’escampilhava ambe jòia, brabe qu’era de natura e de bon afaire coma pas un. Un ser, apres la sopa, en esperant las letras, eran aquí set o ueit que rambalhavan e se picanhavan coma de mainatjasses. Lo darrier prest era passat dempuei de temps e lo vesin de Peire, un Tolosàn mensonat Pons, a sec dempuei qualquis jorns, cercava una pipa a se faire ofrir. Nostre Mamet ajet lo malur de sortir per el un paquet a pro pena entemenat que siaguet leu mai qu’a mitat devalisat. Ara, Pons cercava de foc : – Alari, un pauc de ta brasa ! Mas l’autre fasiá del marrit. – Non, manhac, n’auràs pas ; cada cop que te’n doni me fas perir la cigareta. Cal pauc de causa per amusar de soldats ; ni Jordi, ni Vidalón, ni Delcasal volgueron pas servir lo Tolosàn que totara fasiá mina de se fachar. Enfin, Mamet trobet l’estec : – Ten ! des qu’es atal, ne vau alucar una : serà ben lo primier cop ; Vidalón, te prendrai de foc e lo passarai a Pons ; atal tot lo monde serà content. – Te’n donarai ambe plaser se la fumas en entier. – Ba ! Se faguet coma s’era dit ; lo joc aviá canviat e la colha jaurela s’amusava que mai. A la primiera pipada, Peire tossiguet, estofeguet, reneguet com un perdut. Lo rire e los fissons gisclavan de pertot. Mas per pica, lançat qu’era de faire veire que l’acabariá ça que la, tornet metre son brasàs als pots e, conscienciosament, faguet montar una bruma de fum. – A las letras ! L’ora benesida, l’ora sacrada de la jornada era arribada. Dins lo silenci d’una espera un bricón esmoguda, lo portaire de novelas rampelet son monde : – Peire Mamet ! Era la meteissa envolopa color d’azur, la meteissa escritura longa e babarda. Aqueste cop s’era faita brabament desirar. El la prenguet, l’obriguet rabentament, e, sens faire d’alonguis, se metet a la legir. Ço que i aviá sus aquela babilharda, jamai degun o sapiet pas. Peire, blanc coma la muralha, la repasset dos, tres cops, en tirant furiosament sus

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 58

sa cigareta, coma se la fasiá responsabla del pus grand malur que poguesse encara davalhar sus el dins la misera d’aquel temps. Era traït, aquò sol ressontissiá a travers l’estil embulhat de la catin a qual aviá cregut. Demoret un moment abrasucat, mas lo cap plen de projets venjatius… L’aire benleu li auriá fait ben ; volguet pas sortir. Beure, tant-plan li auriá levat l’amaressa qu’emportava sa boca ; se faguet una jòia crudela de daissar pas anar lo megot atudat e marrit, empegat a sos pots… Pei, indiferent a tot ço que virava a son entorn, se botet a escriure d’una man nervilhosa, al craión, sus un fulh arrancat a un cadern raubat dins una escola ont avián cantonat. Quora siaguet temps de s’anar jaire dins la palha trepejada, escriviá totjorn. Es atal que demoret fins a totas las oras, prep del lum ateunhit d’una d’aquelas calelhas inimaginablas que fan partida de l’aquipament d’una escoada… Quora se vejet sol, creguet un moment qu’anava plorar… Es, alavetz, que penset a sortir una autra cigareta e, tira que tiraràs, acabet l’orre prefait impausat per sas amors perdudas. Quatre o cinc cops la daisset atudar, quatre o cinc cops l’aluquet tornamai. E lo fum gris e folhàs se mesclava per a mesura a la negra brumassa de la candela consumida, dont la flamba morissiá doçament. *** – Mamet fuma com un pompier ! Mamet a mes de vici ! Mamet, semblas la chiminiera de l’usina de Salsinha ! Desempuei, cada jorn, sos companhs fan la farça del fumaire ier improvisat que uei fa coma los autris, amai piri que cap. – Mamet, quand aniràs en perma, sentiràs talament lo tabac que la pichona se voldrà pas laissar potonejar… Mas el, indiferent en defora, sortís una cigareta de mai, l’adraca a sa boca torsida per un risolet marrit, e, sens respondre, l’aluca pacientament al megot encara brosent que li ven d’escapar. Pei… parla de quicon mai, mentre que son uelh seguís per abituda lo revolum de fum blu ont pantaissa la tristor de son ama escarnida. Tèrra d’òc, n° 3, nov. 1940. Tèxt donat dins la grafia originala de la revista. Annèxe II Respelida Peire Mamet era montat a sa Glorieta. A sos pes, la garriga davalhava doçamenet, penjal de vinhas e d’ermasses ont l’aspic, totara, florissiá. D’aquí entre aquí, s’arrapavan qualquis olius, figuiers, ametliers, un pin o un rampanier fasiá una taca d’ombra, e, de luenh en luenh, s’arborava la flamba d’un cipressier. Pus enlà, la plana s’espandissiá, verda, que sangnava jol solelh de la rama estivenca. S’estirava cap a l’orisón acostumat, e Mamet s’aviset amb plaser que, entre las serras violetas, aquela linha blua era la mar. Per arrivar a la Glorieta, aviá fait lo torn per la Font, lo Peiral, la Vinha-Granda, Sant- Miquel, l’Oliveta e los Escarlipets. D’aquí estant, podiá, servit per una granda abituda e sa perfecta coneissença de l’endreit, las situar totas, emai ne distinguir d’unas, tot en mesurant lo camin qu’aviá fait. Aquel fraisse que s’arborava enlà, al mitàn de la plana, era la Font ; l’Olivet era pas de mal reconéisser per l’encausa de la barraqueta que son

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 59

grand i aviá bastida, e i aviá de qué se sentir fier en vejent consí la Vinha-Granda era verda al mitàn de las autras ! Peire Mamet alenet amb força l’aire caud. Es qu’era vertat, es qu’era possible, que siaguesse aquí, al cor d’aquela natura qu’aviá pas pensat de tornar veire, de sentir per sos pes, aquela terra laurada de benedicción, sofla, manhaga, amigassa de tot temps, la terra de sas vinhas ? Per parlar franc, li semblava que viviá un raive meravilhós. Perseguissent son idea ajet un gest coma per faire fugir de davant sos uelhs una mala visión que tot d’un cop lo repreniá, l’assecutava. Sovenir de patiments, de sofrenças, de freg, de danger, d’orror, d’espavent ! De tot aquò se n’era tirat, apres aver fait ço que deviá : aviá agut la bona astrada de tornar liure e senze al vilatge nadalenc. Es vertat que i aviá que qualquis jorns qu’era aquí, talament qu’encara sas ideas eran foscas, a belis moments, e qu’un vòmit li montava als pots, coma un renec, quand pensava à aquò… Aquò ? la guerra engana ! traitisa ! maledicción, assassinat ! Un temps li aviá semblat que sa testa, son cor, sa carn, serián incapables, d’aquí a l’en davant, de sentir, de trapar que que siá bel e bon, de creire… E aquí que totara se retrobava, se sentissiá viure, polsar tornamai, per aquesta fin de matinada daurada, al contacte d’aquesta terra d’amor, a la vista d’aquesta natura apasimaira. Li semblet qu’entre son esperit e lo campestre seu un vielh ligam se tornava nosar, coma qui revei, amb emoción, un amor de joventut dont aviá pas jamai desesperat al fons de son cor. Una força secretosa revolumava dins son vanc : besonh de conquistar e besonh d’arrapar que li veniá d’autris cops, al pensament del trabalh, de la susor qu’aviá enmerçat per Ela, la maire noiriça dels freules umans. Dins la debaruta de l’ora, Peire Mamet sosquet amb fiertat que demorava, el, païsan, emanación de sa terra fegonda. Quora tot s’escrancava e cridava assistença, se sentissiá ça que la solide dins ço seu. Totis los que ier los avián mespretzats, renegats, ignorats, los paisanasses – que disián – uei los lausavan, los pregavan, los benesissián, e aquò lo faguet rire dolçament amb la siauda assegurança dels omes del defora. Oc, era plan aquò la Patria retrobada, sa terra, son solelh, una lenga tindaira, eiretatge de personalitat, de cultura, d’umanitat, de libertat e de franquisa (car te rememoret alavets, mon car Mamet, qu’en un moment de solàs, pendent aquela revolumada dont sortissem tot just, a l’asart d’un cantonament, aviam parlat ensemble de Mistral), una tradición onesta, una civilisación sanitosa, ont la foliá dels omes de guerra aviá pas ni presa ni poder. Un còp de mai, Peire mesuret l’orisón d’una larga mirada… Pei se viret tornamai vers sa Glorieta, sa vinha manhaga, e, d’un pas segur, a travers la laurada, remontet cap al camin. De temps enlà s’arrestava per agachar un grefe, derrabar una caussida, assolidar un paissel, palpar los rasims, e, d’un gest amorós, pesar devotament los espers de la vendémia. Léon Cordes, Tèrra d’òc, n° 4, dec. 1940. Tèxt donat dins la grafia originala de la revista.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 60

NOTES

1. Réédition des chroniques littéraires publiées par Yves Rouquette dans La Dépêche de 1974 à 1982, En occitan, une histoire buissonnière de la littérature d’oc, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2013. 2. « ‘A tots’, dix ouvrages en prose, un pari déjà gagné, une aventure à soutenir de toute force », op. cit., p. 37-38. 3. Sul roman « La Route des Gueux », veire infra. Robèrt Lafont ditz, dins l’ome-natge que li fa en 1985, que Leon Còrdas, del temps de L’Ase Negre, noirissiá « de son sentit de la fraternitat dels explotats, sa fidelitat a 1907, qu’èra a n’escriure l’istòria. », Leon Còrdas, Jean-Marie Petit, Béziers, CIDO, juillet 1985, p. 43. 4. Dins Oc, n° 251, automne 1975, Max Allier saluda Leon Còrdas comme un vertadièr « òme d’òc » e non pas un intellectual qu’auriá apresa la lenga : « Sa lenga ten la sabor d’un parlar viu, lo qu’espelissiá sus las bocas de sos paires e d’aquel pòble dau Menerbés que n’es filh. Un parlar ruste que s’i rescòntra pas res de farlabicat, ruste tant coma lo sòu de son terraire e son mestièr de vinhairon. » (Sa langue a la saveur d’un parler vivant, celui qui fleurissait dans la bouche de ses pères et de ce peuple du Minervois dont il est le fils. Un parler rugueux où l’on ne rencontre rien d’artificiel, rugueux comme le sol de son terroir et son métier de vigneron.) 5. « Le devoir de l’écrivain est de témoigner de son époque, pour son époque. » 6. Tèrra d’òc, la revista de la Sociétat d’Éstudis Occitans dirigida per A.-J. Boussac e publicada de genièr 1940 a agost 1945. 7. Còrdas ten la rubrica « Cronica del teatre d’òc » de Tèrra d’òc. 8. « Dins la boca del pòble d’òc » es lo títol de la rubrica tenguda per Max Roqueta dins Tèrra d’òc (7 articles de 1942 a 1945) : causas vistas e ausidas per lo jove metge dins la societat rurala que frequenta a l’entorn d’Aniana en Lengadòc. L’òbra avenidoira se i legís en filigrana. 9. Leon Còrdas : « Ja avem d’escrivans que comptan, avem qualques romans, avem de poetas qu’an trobat d’accents moderns e de crits joves, avem un teatre que val çò que val, e tot aquò florís un pauc mai cada jorn, mas l’exaltacion de la literatura populara a fait que, gaireben de partit pres, la produccion literària occitana es demorada dins sa mejana en reire de sas vesinas, en reire de las concepcions modèrnas que semblan de nos faire paur. » (Nous avons déjà des écrivains qui comptent, nous avons quelques romans, nous avons des poètes qui ont trouvé des accents modernes et de jeunes cris, nous avons un théâtre qui vaut ce qu’il vaut, et tout cela fleurit un peu plus chaque jour, mais l’exaltation de la littérature populaire a fait que, presque de parti pris, la production littéraire occitane est restée dans l’ensemble en arrière de ses voisines, en deça des conceptions modernes qui, dirait-on, nous font peur.) « A la conquista d’un public », Tèrra d’òc, n° 6-7-8, setembre 1940. 10. A.-J. Boussac. Bonas paginas de La Fabrica in Òc, oct., nov. dec. 1941, supplément à Tèrra d’òc, n° 43. « L’ironda perduda », conte, Tèrra d’òc, n° 12, dec. 1940 ; « Lo Perón », novèla, n° 10, octobre 1940. 11. Tèrra d’òc, n° 52, abril 1944, estudi sus Batisto Bonnet de Jóusé Loubet. 12. Paul Eyssavel revira Longus (Dafnis e Cloe) Oc, genier, febrier març 1941, supplément au numéro 41 de Tèrra d’òc, Jean Mouzat Giraudoux (Siegfried et le Limousin), Oc, julhet, agost, setembre 1941, supplément au numéro 42 de Tèrra d’òc. 13. Tèrra d’òc, n° 45, setembre 1943, La cançoun perdudo, counte per Charle Galtier. 14. « Lo barrullaire », Tèrra d’òc, n° 10, oct 1940. 15. « Fangas e fum », novèla de Leon Còrdas, Tèrra d’òc, n° 3, març de 1940. Lo tèxt es citat en annèxe I. 16. Un « capèl » de la redaccion en naut de pagina ditz : « Amb aqueste numèro començàm la publicación d’obras d’imaginación (o de troces) ineditas. Voldriàm que nostres co-lauradors s’eforcesson de cercar una dralha nova alloc de trepejar sempre los caminols batuts e rebatuts. Presentam pas aquesta primiera, nimai las que seguirán coma lo model de ço que voldriam véser

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 61

espelir dins la literatura occitana. Metem que i aje aquí qu’un ensag de recerca cap a de formulas o de procedits mens coneguts de ço nostre e mai liures. D’alhors pregam nostres legeires de n’èsser los jutges… » (Avec ce numéro nous commençons la publication d’œuvres d’imagination (ou d’extraits) inédites. Nous voudrions que nos collaborateurs s’efforcent de chercher une nouvelle voie au lieu de toujours fouler les sentiers battus et rebattus. Nous ne présentons pas cette première nouvelle, ni celles qui vont suivre, comme le modèle de ce que nous voudrions voir naître dans la littérature occitane. Mettons qu’il n’y ait là qu’un essai de recherche de formules ou de procédés moins connus chez nous et plus libres. D’ailleurs nous prions nos lecteurs d’en être juges…) 17. « Il se mit à écrire d’une main nerveuse, au crayon, sur une feuille arrachée à un cahier volé dans une école où ils avaient établi leur cantonnement. Quand il fut temps d’aller se coucher dans la paille souillée, il écrivait toujours. » 18. « Respelida », Tèrra d’òc, n° 4, dec. 1940. Lo tèxt es citat en annèxe II. 19. « apaisé par la patrie retrouvée, par sa terre, son soleil, par une langue sonore héritage de personnalité, de culture, d’humanité, de liberté et de franchise… » 20. Robèrt Lafont, « Per una pròsa d’oc », Occitania, n° 7, novembre de 1948. « Pour préparer et aider l’apparition d’une véritable prose occitane originale et digne d’être comparée aux autres proses modernes. » 21. Charles Camproux, « Una anja », Occitania, n° 9, fev. març 1949. 22. Max Roqueta, « Font del Fabre », « Catarina », Occitania, n° 7, oc-nov. 1948. 23. Paul Eyssavel, « Lo cavau », Occitania, n° 2, fev.-març 1948 ; « Trimareu», Occitania, n° 5, julhet de 1948. 24. Pèire Lagarde, « Jorns d’automne », L’ase negre, n° 13, nov. 1947 ; « A s’amagar » Occitania, n° 3, julhet de 1948. 25. Robèrt Lafont, « La votz », L’ase negre, n° 11, julh. agost. 1947 ; « Joan Larsinhac », Occitania, n° 6, julh 1948. 26. Jaume Vidal, « Lo banh », L’ase negre, n° 14, dec. 1947. 27. Francés Rei-Belenc, « L’Auriòl », dedicat « al Mèstre Loís Alibert », Occitania, n° 5, julhet de 1948. 28. Leon Còrdas, « La corrida », Occitania, n° 1, genier de 1948. 29. « Une scène de vie languedocienne, avec sa brutalité, ses couleurs tranchantes et son sang bouillant. » 30. « Espanhòl d’aquí » es una pèça de Michel Cordes, filh de Leon, que tracha de la vida d’una familha d’Espanhòls venguts en Lengadòc coma obrièrs agricòls (La Rampa-TIO, 2006, 2015). 31. Aquelas expressions son trachas del prefaci de Sèt pans. (1977) 32. Dins L’Ase Negre del 8 d’abrial de 1947, Enric Espieux signa un article bèl sus « Farrebique, primièr film occitan ». « Farrebique, çò ditz, aquò’s la vida, la vida fonsa de nòstre terraire. Lo ritme suau e movedís dei sasons, l’envam dei trabalhs de totei lei jorns i regolan plan-plan lòng deis oras cantarelas. Es l’istòria d’una familha occitana coma totei lei familhas, la vòstra, la mieu. Lei gèsts, pausadís e segurs, s’alargan fins qu’a l’infinit. » 33. Entre novembre 1984 e genièr 1985, un escambi de letras entre Leon Còrdas e Jean Sagnes trachan de la possibilitat d’editar (als EFR, Éditeurs français réunis) lo manuscrit de La Route des Gueux servat al CIDO. Còrdas pensa qu’es un obratge de vulgarizacion que podriá marchar, estent que la question viticòla en Lengadòc es totjorn d’actualitat e que d’un autre costat sa pèça Menèrba 1210, mesa en scèna per Claudi Alranq, s’anóncia plan per julhet 1985. La letra del 23 de novembre 1984 es acompanhada d’un memorandum de doas paginas en occitan que fa l’istoric del manuscrit : « Perqué e cossí foguèt escrita La Route des Gueux. » Mercejam amistosament Jean Sagnes de nos aver comunicat e permés de citar aqueles documents de primièra man. 34. « Maridat, e ma femna foguent de Montolièrs, a 3 km d’Argelièrs, que son papeta èra estat dels « 87 d’Argeliers », foguèri, d’aquel moment, ligat al vilatge de Marcelin Albert en faguent pacha amb la tropa « Les gais vaudevillistes » (sic) fondada per Marcelin Albert e que de paire en fils, aviá contunhat d’existir. Amb aquela tropa e son director A. Raisseguier (ex cantaire de jazz

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 62

professional) montèrem e joguèrem dins la region, après Argelièrs, doas peças meunas : Cantarana, 3 actes, 4 tablèls e Remembrança, un prològ e dos actes. Aquí èri, doncas, en relacion d’amistat, e puèi per una documentacion a la sorga dirècta dels qu’avián viscut e tanplan « fait » 1907 : en primièr Cathala (son pichòt filh jogava dins la tropa) e Loïs Blanc, l’ancian farmacian que foguèt president del Comitat n° 2 e redactor del Tocsin. » 23 de nov. 1984. A J. S. 35. « Aquò’s atal que dintrèri, cap a 1947, en relacion dirècta amb Philippe Lamour. Lamour, èra an aquela epòca, un personatge al còp oficial e promotor d’idèas nòvas ! Atal vesiái maumens lo Secretari general de la dinamica CGA (Confederacion generala de l’Agricultura). Lamour èra l’òme de las « grandas idèas »… S’apassionèt sul còp, e i portèt son patronatge de pes, per la granda idèa d’un film sus 1907. A sa caucion – qu’avià ja per avança la de Loïs Blanc e de Carles Caffort, deputat d’Erau, President-Fondator del Sindicat « Minervois », amic personal e de ma familha – s’ajustèt la del president de la CGVM qu’aviái rescontrat a Narbona per li expausar lo projècte. La firma « Ciné-France » (en acòrdi amb lo servici tecnic cinema de la CGA) faguèt un projècte – es aquela firma qu’aviá sortit lo cort-metratge sus Le Minervois. La CGVM s’engagèt a trobar un finançament de basa de 10 millions- de 1947-1948. » 23 de nov. 1984. A J. S. 36. Lo deputat comunista Raol Calàs aviá legit « amb grand gaug » lo manuscrit per los EFR, e propausava de tornar trabalhar lo manuscrit per publicacion, mas Còrdas explica que las circonstàncias li permetèron pas de se i consacrar. 37. « Mas d’aquel moment me batiái, ieu, après aver quitat lo Menerbés – vengut jardinièr a Lattes – amb d’imperatius de sobrevida terribles, las inondacions ( !), a còp de jornadas interminablas, secutat de totas las misèrias ! E aquò prenguèt lo dessús, lo temps passèt sens trobar lo de se trachar d’aquel manuscrit, e l’espèr de realisacion cinematografica se perdent dins aquela vida vidanta materiala e lo crèba-còs que s’en seguìs… Lo manuscrit finiguèt dins un canton e ai pas cap enveja de lo publicar ». 23 de nov. 1984. A J. S. 38. La Route des Gueux es per paréisser (Christian Salès, groupe Oc). 39. Òc, abril 1951, La Vespa, p. 15-20. 40. Ives Roqueta rapòrta aquela paraula de Leon Còrdas : « En 1946, quand je travaillais à Sèt Pans que j’appelais encore Lo pan de cada jorn, j’avais en tête la guerre d’Espagne, le front populaire, la guerre de 14 où mon père que je n’avais pas connu était mort. J’avais davantage comme référence au monde de la terre, nature et hommes, le Steinbeck des Souris et des hommes et des Raisins de la colère que Mistral que je savais par cœur pourtant et que d’Arbaud ou que Mouly. » « Léon Cordes, homme de parole et d’action », Connaissance du Pays d’Oc, n° 72, 1986. 41. Oc, n° 170, octòbre de 1948, Robèrt Lafont, « Per una pròsa occitana », p. 30-32. 42. L’occitan fondamental, Apreni lèu-lèu l’occitan, IEO, nd. 48 p. 43. Oc, n° 174, octòbre de 1949, « Condicions de la pròsa d’òc » « Est la conscience du peuple. Il tient de lui le meilleur de son esprit, il en est engrossé et inspiré ». 44. « Une prose où éclatent son rire et ses pleurs amers, où se reflètent sa vie quotidienne, son esprit et son destin, tout ce qui le déchire ou le secoue, le blesse ou lui donne du plaisir… » 45. Emili Barthe (1874-1939), nascut a Nissa (Nissan-lez-Ensérune), visquèt a Besièrs e escriguèt sens relambi per lo teatre lengadocian e d’en primièr per sa tropa, « Lo brès besierenc », de nombrosas carnavaladas, pèças en un acte o en tres actes. Teatre poupulari, J.-B. Clareton, Pages d’oc, 1922-1927, 2 vol. 46. La Nissanenco, rouman de la Terro d’Oc, Béziers, Ediciu de las pajos d’Oc, 1938, 310 p. La Nissanenco es lo sol roman que Barthe escriguèt en fin de vida, levat un roman inacabat sus 1907 (autra semblança amb Còrdas) que lo manuscrit ne sembla perdut. 47. « Sèt Pans de Léon Còrdas, Néo-réalisme pas mort. Lettre suit ». « Je ne souhaite qu’une chose de tout cœur ; c’est que la télévision le donne vite à voir et à entendre partout. Je viens de le lire exactement comme j’aurais dû le voir sur un écran. Comme quand j’avais seize ans j’avais vu au ciné Riz amer ou Deux sous d’espoirs… » Op. cit., p. 221.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 63

48. « Il faut sept pains pour passer la semaine, un chaque jour, et c’est le dernier qui est le plus dur à payer. » (p. 196) 49. Émile Barthe, Los profitaires, Béziers, impr. du Midi, 1922. 50. Jean-Marie Auzias, « Une vitrine de l’occitan : la collection ‘A tots’ de l’Institut d’Études Occitanes », Europe, janvier-février 1985, Littérature occitane. p. 39-48. 51. Europe, p. 44. Emile Guillaumin, 1873-1951, Ygrande (Allier), es un escrivan-pagés, sindicalista agricòl de la primièra ora. Es mai que mai l’autor de La vie d’un simple (1904). 52. Connaissance du pays d’oc, op. cit., 1986, p. 53. 53. E mai diguèsse, a prepaus de las secadas e de las geladas de l’après-guèrra que lo vilatge ne patiguèt : « Ne reprendrai pas mos Sèt pans, si que non per prefaciar la seguida » (Je ne reprendrai pas mon Sèt Pans, sinon pour préfacer la suite). La batalha dels teules, op. cit., p. 35. 54. Lo vilatge quilhat es de segur Menèrba, evocat tre la primièra novèla : « Menèrba, lòc naut e nau de ròc getada entre capvals ! » (Minerve, haut lieu et nef de rocher jetée entre deux vallées) (p. 13), luòc omnipresent dins la pròsa tant coma dins la poesia de Còrdas. « L’arpentaire » comença : « Lo vilatge es quilhat sul puèg coma un gròs cagaraul » (Le village est perché sur la colline comme un gros escargot). Los Macarèls I, p. 39. 55. « Daniel […] èra un dròlle de 68. De la revelacion de 68 : coma un aigat que fa petar totas las restancas, remet en question las idèas impausadas, las messòrgas oficializadas, falsas moralas e falsas dignitats. 68 que revelèt Occitania a sa joventut amb la paraula d’òc alargada davant l’opinion. E tot aquò èra bon, arribe que plante ! » (Daniel était un jeune de 68. De la révélation de 68 : comme une inondation qui démolit tous les barrages, remet en question les idées imposées, les mensonges officiels, les fausses morales et les fausses dignités. 68 qui révéla l’Occitanie à sa jeunesse, avec la parole d’oc largement diffusée dans l’opinion). La batalha dels teules, p. 40. 56. Dins Gai Saber n° 382 d’abril 1976, p. 35, Ernest Negre saluda, dins sa recension de l’obratge, la generositat de l’engatjament : « la reire-conquista del païs, de la dignitat, de l’anma occitana » e mai que mai « la lenga poderosa e fòrta de color. » Dins Connaissance du pays d’oc de julhet-agost 1979, Jacques Durand escriu : « Œuvre engagée dans la lutte pour la langue d’oc, La batalha dels teules répond au même souci de combat, mais sans oublier que la littérature n’est pas une accumulation de slogans. Ce roman est un vrai roman. ». 57. « S’aquò vos enfècta, podètz passar un capitol enlà ! » (Si ça vous ennuie, vous pouvez passer au chapitre suivant !) (p. 70). 58. « au premier coup d’œil est informe, ne tient pas debout. » 59. « Comment pourrais-tu, toi, être objectif ? Quand tu te rends compte qu’à travers une prise de conscience qui ne t’appartient pas en propre, la moindre anecdote est l’image du roman d’un peuple, d’un pays ? » (p. 16). 60. La polemica visa pas Còrdas personalament mas la politica editoriala de l’IEO de las annadas 80 : « La colleccion A Tots, dempuei quauquei temps, sembla s’especializar dins de libres que son, ben maugrat élei, a la frontiera de la literatura, de l’etnotèxt-testimòni, dau regret passeista, planh e tristesa d’una tèrra, d’una lenga, d’un païs que moris. » (La collection A Tots, depuis quelque temps, semble se spécialiser dans des livres qui sont, bien malgré eux, à la frontière de la littérature, de l’ethnotexte-témoignage, du regret passéiste, nostalgie et tristesse d’une terre, d’une langue, d’un pays qui meurt.). 61. Jorn n° 11, 1984, p. 75-76. 62. « Finalement de quoi est-il question dans Los Macarèls II ? Le premier chapitre nous l’indique : le pays, éternellement le pays, la mort de sa langue et de sa civilisation… ». 63. « Los Macarèls est bâti sur un mythe. Sur le mythe de la littérature occitane, une certaine littérature qui se veut parole pour son pays, qui veut le défendre, le protéger… ». 64. « Car mes récits sont d’abord faits de vie commune. Le pays commence par le voisinage… On y est témoin avec les mains comme avec la parole : parole, bois, foyer, les mots de la langue y sont présents comme les cals dans les mains… » Los Macarèls (ara direm : L. M.) II, p. 26.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 64

65. L. M. I, p. 91-112. 66. L. M. II, p. 75-93. 67. « La vie que l’on supporte et qui se déroule comme un conte cruel. » L. M. II, p. 93. 68. L. M. II, p. 57-74. 69. L. M. II, p. 49-56. 70. L. M. I, p. 39-46. 71. L. M. I, p. 47-52. 72. L. M. II, p. 101-130. 73. Lo primièr, lo tornèri dire tot còp a l’anar de mas corridas de contaire […] Atal lo dirai un còp de mai. Disi plan dire-contar, coma s’èrem acampats per aquò far. » (Le premier, je l’ai dit et redit au hasard de mes tournées de conteur […] Ainsi je vais le dire une fois de plus. Je dis bien dire-conter, comme si nous étions réunis pour ce faire.) L. M. II, p. 61. 74. « Des spécialistes travaillaient, faisaient des recherches, et les poètes s’en faisaient l’écho. » Los Macarèls II, p. 60. 75. Còrdas cita sens ne donar ni l’autor ni lo títol qualques vèrses del poèma de Saurat paregut en 1955 (IEO Messatges), plan legit e comentat dins la premsa occitana, en fasent qualques modificacions de tèxt (escriu : sabes per sabètz/ fondamenta per fondament / mai pour mes). « Sabètz pas que lo còs es pas qu’una bastissa / ont viu l’arma/ que cada pecic de carn que podètz tocar / es que lo fondament d’una car mes subtila / que s’estend al delà de çò que l’uelh pòt veire / o la man tocar… » (Vous ne savez pas que le corps n’est rien qu’une bâtisse / où vit l’âme / que chaque morceau de chair que vous pouvez toucher / n’est que le fondement d’une chair plus subtile / qui s’étend au-delà de ce que l’œil peut voir / et la main toucher…) (Traduction d’Henri Espieux, p. 99). 76. L. M. I, p. 19-38. 77. « La parole était notre espace, elle nous gonflait la bouche, nous donnait le souffle, faisait monter comme les Pyrénées, au bout des vignes, au bout du vent, la barre horizontale de la Serre d’Oupia ». 78. « M’èri afrairat amb los estudiants del Novèl Lengadòc. Ligant amb Max Roqueta lo sòmi d’un matin de poesia e d’amistat, aviá descobèrt amb Camprós […] totas las esperanças de l’occitanisme. » (J’avais fraternisé avec les étudiants du Nouveau Languedoc. Liant avec Max Rouquette le songe d’un matin de poésie et d’amitié, j’avais découvert avec Camproux […] tous les espoirs de l’occitanisme.) Los Macarèls I, p. 33. 79.« Tout à coup il jetait son chapeau à terre. À ses pieds :“Si tu sautes par-dessus ce chapeau, tu es un homme mort !” Et il recula d’un pas. Un défi ? Ne pas sauter le chapeau ? Tiens ! C’est chose faite… La lame se planta dans son ventre de bas en haut. Comme un soc rageur ouvre un sillon sanglant. » 80. L. M. II, p. 25-47. 81. « Pro per un rafi », « Ma vie, avait-il dit, on en ferait un roman… » L. M. II, p. 30. 82. « Et le voilà perdu derrière ses brebis par monts et par vaux. Le premier jour, avant de partir, ils lui donnèrent une poignée de châtaignes. Pensez s’il eut vite fait de les avaler ces châtaignes ! » L. M. II, p. 31. 83. « Celui qui assassina le président Sadi Carnot à Lyon le 24 juin 1894 ! » L. M. II, p. 38. 84. Charles-Louis Philippe, Chroniques du canard sauvage, Paris, Gallimard, 1923. Citat per Michel Ragon, Histoire de la littérature prolétarienne en France, Paris, Albin Michel, 1974. 85. La longa nòta de Còrdas sus Caserio (L. M. II, p. 40-42) punta la veritat istorica del personatge e s’acaba per una citacion de L’Homme révolté de Camus. 86. « Ainsi, comme il se doit, on posa d’abord les quatre premières rangées de tuile, à reculons, en commençant contre le mur et en montant. Puis à nouveau quatre autres rangées. Un autre homme habile prit alors la suite aussitôt ce rang formé, puis un autre, puis un autre de même, comme des moissonneurs qui se suivent dans un champ, des faucheurs dans un pré, à la file, alignés en biais et marchant ensemble. La toiture, suivant leur mouvement, se couvrait par belles rangées, comme des moissons, comme un pré fauché, comme une terre labourée avec les sillons bien ajustés qui s’alignent sur le fil. » (p. 105-106)

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 65

AUTEUR

CLAIRE TORREILLES

Université Paul-Valéry (Montpellier III)

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 66

Léon Cordes, passeur de langue et de culture

Marie-Jeanne Verny

1 En juillet 1985, deux ans avant la mort de Léon Cordes, Jean-Marie Petit publiait au CIDO de Béziers un utile petit ouvrage intitulé Leon Còrdas / Léon Cordes, ainsi présenté sur la page de garde : « Notice biographique, bibliographie, iconographie, témoignages, critiques, études, textes… ». La biographie établie par Petit s’achevait par ces lignes : « En janvier dernier, nous avons vu Léon Cordes se battre farouchement avec la mort sur un lit d’hôpital […] Nous l’avons vu gagner une nouvelle fois contre toute désespérance… « Luchar », lutter au-delà des forces communes. Nous le voyons à nouveau hilare et plein de projets, à n’en plus finir de nous montrer contre vents et marées un clair visage d’homme. » (26 mai 1985) 2 Pour qui a connu Léon Cordes, ces propos apparaissent comme un bel hommage à l’écrivain et à l’homme de terrain que nous allons essayer de présenter. Le terme de « passeur » est celui qui nous a paru le plus opportun pour définir au mieux toute une vie consacrée à la transmission de la langue occitane et de la culture qu’elle porte. Passeur de langue et de culture, Léon Cordes l’a été, physiquement, corporellement, comme le suggère le poème de Philippe Gardy que nous avons voulu publier en exergue de ce dossier. Homme de théâtre, conteur, mais aussi inlassable parcoureur d’espaces dans sa voiture-camionnette de maraîcher qui lui servait à aller de ville en ville avec des caisses de livres qu’il déposait dans toutes les librairies du Languedoc et au-delà.

3 Léon Cordes fut d’abord le passeur de l’héritage que lui avait légué son ascendance familiale, le « papeta Bauron », « poète d’oc à ses heures », dit Petit, mort en 1906, dont le souvenir, dit encore Petit, est demeuré vivant dans la maison de famille où demeurait aussi le grand-oncle, le Quenque, que Cordes présente ainsi : L’oncle Cathala, toujours nommé par les miens Lo Quenque (synonyme d’oncle), était un grand conteur. Conteur selon la tradition directe d’une culture populaire. J’avais une dizaine d’années à sa mort. Je l’avais écouté avant de comprendre, tout le pays l’avait écouté sans se lasser de l’entendre.1

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 67

4 Passeur aussi d’un légendaire populaire, justement incarné par ce Quenque, mais enrichi par tous les contes et légendes recueillis de la tradition orale, pour la plus grande part centrés sur le Minervois.

5 Passeur enfin de la « grande » littérature, celle des troubadours essentiellement dont il édita une anthologie de textes transcrits en occitan moderne. En effet, Cordes était de ces nombreux écrivains d’oc qui, à l’instar de Nelli, Max Rouquette ou Boudou, tentèrent et réussirent un syncrétisme entre la culture de transmission orale et la culture écrite. 6 Cette communication s’appuiera notamment sur quelques ouvrages publiés par Léon Cordes, souvent à compte d’auteur, à la fabrication matérielle desquels il a parfois pris une part active en fournissant calligraphies et illustrations.

Un engagement précoce et ininterrompu

7 Les éléments biographiques rassemblés par Jean-Marie Petit, que vient ici compléter la contribution de Philippe Gardy, mettent en lumière la précocité de l’engagement occitaniste de Léon Cordes. Lecteur des publications félibréennes régionales, il s’inscrivit en 1929 (à l’âge de 16 ans) aux cours par corres-pondance du Collègi d’Occitania de Toulouse. Grâce à Marcel Carrière, il connut l’existence de la Societat d’Estudis Occitans et le travail de Louis Alibert. Passionné par le théâtre, il jouait notamment le célèbre Sermon del curat de Cucunhan d’Aquiles Mir. Il avait quinze ans quand il écrivit ses premiers textes, en occitan et en français. Dans un article de 1986, Yves Rouquette note : Poète, il fut un des rares poètes d’oc dont un nombre impressionnant de poèmes hantent littéralement les mémoires d’autres écrivains et celle d’un public considérable. Il faut avoir entendu Lo Boièr, Quand coneiràs que la paraula, Òu ! Los òmes !, L’Annada de las 13 lunas ou tel texte pris à Aquarèla ou à Dire son si récités par Robert Lafont, Jean-Marie Petit, Félix Castan, René Nelli ou Jean Larzac […] pour se rendre compte à quel point Cordes de son vivant, dès sa jeunesse, aura été comme Verlaine, Baudelaire, Lorca ou Mistral, un classique.2 8 Jean-Marie Petit insiste sur la découverte de Verlaine par Léon Cordes, et conjointement de celle du Catalan Josep-Sebastian Pons. Ces deux voix à la commune limpidité influencèrent durablement la poésie de Cordes.

9 L’occasion du service militaire en Languedoc le mit en contact avec les jeunes militants du Novèl Lengadòc (Max Rouquette, Roger Barthe, Raymond Combarnoux, Jean Lesaffre, Pierre Azéma). Cordes se retrouve membre du Parti Occitaniste fondé par Camproux en 1935, où il est « délégué à la propagande paysanne » et bien sûr, il collabore à la revue Occitània, « Organ de la joventut occitanista » où se retrouvent tous ces jeunes militants. Pendant la guerre, la revue Occitània devient Terra d’òc, à laquelle Cordes collabore toujours, de même qu’il joue le rôle plus décisif de « rédacteur » dans L’Ase negre, qui prend la place de Terra d’òc après la guerre. Le titre d’Occitània sera repris à partir de 1948, mais la revue aura alors un contenu plus strictement économico-politique laissant les contenus littéraires à d’autres organes (ÒC notamment). 10 L’essai de recensement bibliographique que nous avons effectué dans ce dossier donne 51 contributions entre 1934 et 1948, l’essentiel réparti entre articles sur le monde paysan (au début de ses contributions notamment : 6 chroniques de 1934 à 1937) et

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 68

chroniques théâtrales (assurées aussi par son complice Ernest Vieu), auxquels s’ajoutent quelques textes de création. 11 Dans sa monographie, Petit a rassemblé quelques écrits de l’auteur, notamment une chronique d’Occitania3 de 1935, alors qu’il était âgé de 22 ans, intitulée « La defensa païsana », sous-titrée « Als joves païsans Miechjornals » et signée « Léon Cordes, delegat a la propaganda païsana ». Cordes s’y réfère aux événements de 1907, qu’il aura toujours en mémoire et sur lesquels il devait écrire plus tard un scénario de film, La route des gueux. 1907, demeuré manuscrit … jusqu’en 2016. On ne sera pas étonné de le voir caresser un rêve interclassiste d’autonomie méridionale dans le cadre d’une France fédérale. Cordes est bien là dans la ligne majoritaire d’Occitania, comme en témoignent des allusions voilées aux grèves qui « amalisson la populacion, arrestan la vida e los affaires del païs, congrion de situacions dramaticas e d’asiransas que l’endreit ne sofrirà e ne serà malaut forsa temps. »4 12 Cordes ajoute, en désignant un laconique « amont » [là-haut], complice de « l’estat centralisaire » comme responsable des malheurs de la communauté qu’il désigne par l’emploi de la première personne du pluriel : « D’amont nos fan trucar entre fraires, nos arroïnan, dins aquel tems fan los affaires e l’estat centralisaire a pas de milhor defensor, car es elis que lo menon. »5 13 Le théâtre apparaît ainsi, dès ces années de jeunesse, comme une des préoccupations majeures de Cordes. Dans une conférence donnée au XIIe stage pédagogique de l’Institut d’Estudis Occitans (La Ciotat, 1er septembre 1964), intitulée « Théâtre et littérature populaires d’oc »6, il devait revenir sur ces années pionnières où le débat a été porté au cœur même des instances félibréennes. Il s’agit d’aller vers le peuple tout en refusant les facilités du populisme : « En ce qui concernait le théâtre un climat rebelle se faisait jour. Des hommes actifs et avertis se rencontraient et s’insurgeaient contre ce que nous appelions alors, comme déjà dit « las colhonadas felibrencas ». Autour d’Occitania, nous nous trouvâmes ainsi, comme dit la chanson « quatre qui voulaient se battre ». Ces quatre étaient Andrieu-J. Boussac, Ernest Vieu, Max Rouquette et moi-même. « Cette équipe allait être pendant quinze ans le noyau d’une action ininterrompue en faveur d’un renouvellement de notre théâtre. Les journaux Occitania, Terra d’Òc, L’Ase Negre, Occitania seconde version, lui servant tour à tour de porte-parole. « Dès le numéro 2 d’Occitania, avril 1934, Vieu lançait un appel. La Maintenance du Languedoc, sous la présidence du majoral Pèire Azéma, donnait, sans restriction, son appui aux nouvelles conceptions théâtrales. Patronné par Azéma, rédigé par Boussac, un véritable manifeste paraissait sur Occitania de décembre 1934 ». (p. 17-18) 14 Après l’appel de Boussac à une organisation du théâtre occitan passant par une professionnalisation (Boussac insiste notamment sur l’importance de la fonction de metteur en scène), des chroni-ques théâtrales paraissent dans Occitania intitulées « Cronicas del teatre d’òc » à partir du numéro 37. Nous en avons recensé une trentaine, entre 1937 et 1945, mais lorsque Cordes revient sur l’expérience, et sur le caractère collectif de celle-ci, il dénombre une centaine d’articles écrits par « les quatre protagonistes du nouveau théâtre d’oc auxquels il faut joindre Pèire Azéma ». Une des premières chroniques écrites par Cordes, dans le n° 397, contient déjà tous les éléments de réflexion qu’il développa plus tard. Cette chronique présente deux pièces de Clardeluno (Jeanne Barthès) en contrepoint : louange de La Neit d’estiu

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 69

Drame tarrible, mas d’una grandor e d’una sinceritat d’accent que vos pivelan. Personatges simples e vertadiers emportats, per son orra destinada, qu’engrana en una neit d’estiu emmascada e ardenta los umans qu’an pecat per un amor sense e leial.8 et éreintement de la pièce Las Loufos frejos [Les vesses froides] qu’il qualifie de « farcejado demodada e sens beutat ». Il en conclut ainsi la présentation : Ne prengue qual voldra per sas nasicas. Aquela istoria de quiol e de loufos nos interessa pas9. 15 La chronique présente ensuite une comédie du Rouergat Henry Mouly, Lou Ministèri a cabussat, et parle plus longuement, à l’occasion de l’évocation de sa comédie Lou tambour de Barro, du travail d’Émile Barthe, ainsi salué : Barthe a realisat un teatre, a esmogut un public, a trabalhat amb eficacitat e devem a-n-aquo, en Lengadoc, la majo part de nostras possibilitats actualas.10 16 Cependant, la critique que fait Cordes de la pièce de Barthe est sans concession. Cette comédie lui apparaît moins réussie que d’autres œuvres du même auteur. Et surtout, à l’occasion, Cordes se livre à une réflexion de type sociolinguistique qui préfigure le débat mené dans les années 70 à propos du théâtre bilingue11. Sans bien sûr utiliser le terme de « diglossie », il regrette l’enfer-mement de Barthe dans une distribution inégalitaire des langues en présence : le « monsur » (pourtant languedocien) parlant français, et le personnage humble lui répondant en occitan : « Es pas amb aquel procedat, juge sévèrement Cordes, que se tornarà al pople la fiertat de sa lenga »12.

17 Cette chronique, dans sa concision, est révélatrice d’une réflexion exigeante sur le théâtre d’oc et elle porte aussi en germe ce que sera la pensée et l’engagement de Cordes : s’adresser au peuple, c’est aussi bien refuser la vulgarité que revendiquer pour la langue un plein usage social, ce qui passe par un théâtre monolingue. Quant aux considérations précises sur le théâtre de Clardeluno, les analyses à propos de La Neit d’estiu suggèrent l’intérêt qu’il y aurait à mener un travail de comparaison entre cette pièce et l’œuvre théâtrale de Cordes, La Font de Bonas-Gràcias13 notamment. 18 Dans sa conférence de 1963, Cordes revient sur « la bataille d’Hernani » orchestrée autour de la représentation de La Neit d’estiu, alors que lui-même jouait l’un des rôles, aux côtés de l’actrice Juliette Dissel, dont les interprétations des textes occitans étaient renommées. L’événement eu lieu à Béziers, « lo bèu jorn de la Santa-Estela » 1937, dans une salle partagée entre félibres traditionnalistes hurlant leur désapprobation et jeunes partisans de ce nouveau théâtre, essentiellement issus de la « particulière-ment bruyante » Maintenance du Languedoc, applaudissant des quatre coins de la salle où ils s’étaient opportunément placés. 19 Parallèlement donc à ses activités militantes, Cordes poursuit son travail théâtral dans le cadre de la compagnie d’Ernest Vieu et continue de bâtir son œuvre littéraire : poésie, théâtre, roman ; en 1947, il écrit le scénario du film La route des gueux. 1907. En 1982, c’est lui qui occupe le rôle principal du film L’Orsalhièr, de Jean Fléchet, dont il écrit la version occitane. 20 À la fin des années 60, il retrouve le désir et l’occasion de monter sur scène, avec des montages de textes, des soirées de contes. En 1974, avec Gisèle Pierra et Fulbert Cant, il monte le spectacle « Escotatz », chansons, textes, contes. Le spectacle est présenté de nombreuses fois devant les publics les plus divers. Léon Cordes en a conçu l’affiche, où les silhouettes des trois interprètes sont accompagnées de la mention : « "Escotatz !"

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 70

Leon Còrdas, Gisèla Pierra, Fulbert Cant. "Écoutez !" L’Occitanie des troubadours à ses poètes les plus actuels. Récital commenté ». 21 Cordes écrit aussi la pièce dont il rêvait, Menèrba 121014, qui sera représentée en juillet 1985, pendant une semaine entière, en décors réels, devant un total de 10 000 spectateurs, dans une mise en scène de Michel Cordes, le fils de l’écrivain. Roland Pécout présente ainsi le spectacle : « Ici, le 12 juillet 1210, 180 Parfaits sont morts dans les flammes pour la foi cathare et l’indépendance occitane ». C’est ce que rappelle une plaque ornée de flammes rouges et jaunes, sur la place de l’église. Là où était le bûcher. Cette plaque de tôle peinte, comme un ex-voto qu’un peuple aurait mis à ses martyrs, résume l’action de Menèrba 1210 : le siège de la ville par l’armée croisée, l’intolérance primitive des seigneurs français et des gens d’église face à une civilisation brillante et communautaire, le choc entre deux conceptions spirituelles, le courage, la truculence et l’an-goisse, les souffrances et les simples gestes du quotidien. Une fille qui trahit par amour et donne le secret du puits, le bombardement par la Malavesina15, la soif et la douleur, l’entrevue qui met Guilhem de Minerve et les siens face aux chefs de la Croisade, le bûcher des Parfaits cathares et la mort de la liberté pour le peuple de Minerve. À partir de là, les acteurs ont fini leur rôle. La Résis-tance sort de l’Histoire et du théâtre pour faire partie de ce pays, comme les rochers, comme le ciel, et comme le vent. La pièce de Léon Cordes est une entrée dans la longue durée où se jouent les destins.16 22 La suite de l’article insiste sur l’impact de la représentation sur un public de jour en jour plus nombreux. Peu de temps avant sa mort, Léon Cordes eut ainsi le bonheur de voir ce public rencontrer la culture qu’il portait avec opiniâtreté depuis ses jeunes années.

Léon Cordes passeur de langue – L’occitan fondamental17

23 Un petit livre porte témoignage de l’investissement de Cordes dans la transmission de la langue. Il s’agit de L’Occitan fondamental qui servit de manuel d’apprentissage basique dans nombre de cours publics, alors même qu’il avait été conçu pour aider les comédiens occitans dans leur appropriation de la langue18. Cette minuscule brochure (48 pages 14 x 15 cm) contient cependant une méthode d’apprentissage très riche, dont la conception suppose une réelle réflexion linguistique et pédagogique.

24 La couverture foisonnante, où dominent le rouge et jaune, est déjà tout un programme, puisqu’elle contient les indications suivantes, en caractères de tailles différentes : • sur bandeau jaune : « Apreni lèu-lèu l’Occitan / Initiation / Animation de Léon Cordes / – segon parlar lengadocian – I.E.O. Espandiment • sur bandeau rouge en bas de page : « Ne dites plus : l’occitan qu’es aquò ? / ouvrez ceci→ / comme il se doit / vous serez très vite instruit ou informé ».

25 La quatrième de couverture montre une carte intitulée « Les pays d’Oc et quelques repères ». La première de couverture et la page de garde se complètent par un dessin de la main de Léon Cordes, comme les lettres manuscrites qui composent « Apreni lèu-lèu l’Occitan ». Sur le dessin, de dos, un homme coiffé d’un béret, assis sur une souche (d’olivier ?) de la base de laquelle jaillit un rejet, porte sur ses genoux deux enfants, un garçon et une fille, qui glissent le bras derrière son dos. Image naïve et idéalisée de l’opération de transmission intergénérationnelle de la langue.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 71

26 Le contenu du livret, rédigé en français, est concis et cependant précis : • Quelques adresses pour se procurer des livres et une petite bibliographie. • Une introduction intitulée « L’occitan fondamental : initiation », qui s’ouvre ainsi : « N’être plus un étranger face à la langue et à la culture de son Pays… ». Le public ciblé est défini, c’est d’abord les autochtones, dont, pour beaucoup, le savoir effectif sur la langue a besoin d’être organisé, élargi et mis en perspective. Pour d’autres, il s’agit de s’approprier un savoir qu’ils n’ont pas. Les jeunes sont un autre public-cible, comme les « étrangers » auxquels Cordes dit : « Que cet essai leur soit fraternel ». Ainsi la brochure se présente-t-elle comme facteur d’ouverture et non d’enfermement identitaire. L’ouvrage définit ensuite « l’ensemble occitano-roman », au niveau géographique, comme sur le plan sociolinguistique : les notions d’occitan et de « patois » étant définies l’une par rapport à l’autre. Cordes n’oublie pas de faire allusion aux mille ans d’existence de la littérature occitane. • Le livre est ensuite organisé en chapitres : 1. « La graphie classique » est expliquée et mise en relation avec la prononciation. 2. « La diction occitane ». La lecture des préconisations de Cordes laisse préfigurer l’usage qui pouvait être fait de sa méthode par les praticiens du théâtre auxquels elle était destinée. Cette insistance sur l’oral, dont l’origine est bien évidemment la longue pratique de cet art par l’auteur, mérite d’être notée, en un temps où les cours d’occitan étaient souvent calqués sur des cours de latin, avec insistance sur le thème et la version, accompagnés éventuellement de quelques considérations littéraires sur les textes d’appui. 3. L’expression : le verbe. Cette partie contient les principaux éléments de syntaxe et de morphologie verbale, complétés par une liste de 147 verbes. 4. Le vocabulaire : petit lexique thématique. 5. Les mots grammaticaux. Cordes appelle ainsi les articles, pronoms, prépositions, conjonctions, adverbes et locutions adverbiales. Il ajoute quelques comparatifs particuliers, quelques interjections, les nombres et les jours de la semaine. À la fin de cette section, il indique : « Nous voici en possession d’environ 500 mots » et propose au lecteur de passer à la pratique avec quelques suggestions d’exercices d’expression, y compris avec des jeux qui témoignent de la destination initiale de l’ouvrage et où se lit sa longue pratique de l’expression théâtrale. 6. Compléments. Ce chapitre contient des remarques annexes qui semblent s’être imposées à l’auteur une fois achevée la base de l’ouvrage que nous venons de décrire : des formes verbales moins fréquentes – conditionnel, impératif, subjonctif –, des verbes irréguliers, des commentaires sur la méthode audio-visuelle Lafont / Baylon19, le fameux texte de la parabole de l’enfant prodigue, avec des exercices pratiques, des conseils de lecture et de recours à la pratique orale, la Vida de Jaufre Rudèl et la chanson de Claude Marti « Lo país que vòl viure » comme exemples de « contact culturel ».

27 La place faite ici à ce livret se justifie par son caractère exemplaire d’une culture, d’une pensée et d’une action. Culture éclectique, de la littérature classique des troubadours à la nouvelle chanson occitane. Cordes, qui n’était pas enseignant et donc n’avait pas eu de formation pédagogique, avait cependant un instinct très sûr quant aux conditions de réussite d’un appren-tissage de la langue sur le système de laquelle il avait toute une réflexion. À travers une modeste méthode pédagogique, sont condensés tous les savoir-

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 72

faire de cet homme-orchestre qui, dans une vie presque entièrement consacrée à son métier de paysan20, voua une part importante de son temps à l’occitanisme.

28 Mais l’opuscule est aussi une mise en pratique d’une conviction, celle qu’il n’y a pas d’« Occitanie » sans langue occitane. Les échanges rapportés par Yves Rouquette dans l’article de Connaissance du Pays d’oc cité sont révélateurs : Y.R. : Que vient faire la langue d’oc, dans tout ça ? L.C. : Rien, sinon que c’est notre langue. Celle dont l’existence nous a révélés à nous- mêmes. La choisir comme langue de notre créa-tion, c’était le seul moyen de nous situer hors de tout provincialisme. D’une certaine façon, dès qu’on écrit en langue d’oc, on cesse d’avoir le centre pour référence, pour juge et pour point de mire. Ça ne donne pas du talent ou du génie, mais ça vous met à égalité avec quiconque sur la terre se bat, lui aussi avec les mots pour en faire sortir de la beauté. Y.R. : La langue, donc, comme absolu ! L.C. Non. Il n’y a pas d’absolu. Ce qui vaut pour toi vaut aussi pour l’autre. Ta langue vaut la mienne. Faisons chacun de la nôtre un instrument de libération. Y.R. Quand coneiràs que la paraula te conven / qu’a retardat d’una beluga / la nuèit crentosa al ras del jorn. L.C. Si on veut. Pour prendre un autre exemple, j’estime que si une collectivité, mettons la Région, est assez consciente de la mission qu’elle a de mettre une partie de son argent à aider l’effort de création dans notre langue, j’estime que la langue doit être le premier critère.21

Léon Cordes et le fil du temps – Lo pichòt libre de Menèrba, 1974

29 Philippe Gardy a bien montré, dans un article récent sur le « mythe de Minerve »22, la place occupée par la cité dans la construction de l’imaginaire de Cordes. Deux ouvrages en témoignent notamment : la pièce Menèrba 1210, déjà évoquée ici, et Lo pichòt libre de Menèrba, préfacé par René Nelli, et autoédité par Cordes comme l’est L’occitan fondamental, ou comme le joli recueil poétique illustré Se conti que conte.

30 Lo Pichòt libre de Menèrba, d’abord écrit en occitan, fut publié seulement dans sa version française, mais Cordes y glissa quantité de termes occitans explicités. Ce livre est véritablement un miroir du rapport de l’auteur à la culture, entre tradition orale et lectures abondantes. À première vue, l’ouvrage paraît composite. Après la préface de Nelli, qui loue les qualités d’« ethnographe spontané et passionné » de Cordes, le texte commence par un avant-propos de celui-ci qui justifie l’emploi du français dans son livre : L’original de cet essai est rédigé en occitan. Pour des raisons faciles à comprendre pour qui connaît les conditions dégradantes faites à notre langue et à notre culture au mépris des droits essentiels, il m’a été demandé une version française. 31 Cordes le têtu ajoute cependant qu’il a mis de l’occitan chaque fois que cela lui a été possible et que, souvent, plutôt que de tout traduire, il a préféré expliciter les textes édités, une fois transcrits en graphie classique dont il donne, au préalable, les principales règles d’emploi. Et il présente ainsi son livre, d’abord en occitan : Ai un pichòt libre a faire sus Menèrba qu’es un libre de mon còr. Un libre d’amator, car dins « amator » i a aimar çò primier mas tanben una familiaretat exclusiva e desinteresada [sic]. Lo libre grand de Menèrba demòra l’acte de 1210 : la resisténcia a la Crosada e lo martiri. Istòria vièlha e totjorn presenta amb sa logica que desfisa lo temps. L’òme de

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 73

Menèrba demòra l’òme d’aquela consciéncia afortida dins lo sanc, lo fòc e la letra. Soi un òme de Menèrba, son passat n’es coma mon enfança, sas legendas foguèron ma revelacion. Lo libre grand l’ai illustrat a mon torn. L’ai mes en acte de teatre sens saupre solament se jamai se jogariá per una autra nuèit d’estiu, clara e tragica, tirant sa flamba dins lo cèl. Aquela illustracion la portavi dins ieu. Mas l’escriguèri en òc per aqueste temps. Car es pas per còp d’azard se lo renom de Menèrba s’endevén amb la presa de consciéncia occitana. D’aquela renaissença, lo retorn a l’actualitat dels lòcs- nauts istorics n’es a l’encòp lo signe e una consequéncia. Tot çò qu’es autentic aicí parla oc, dins sa modernitat e tota farlabica s’i truca contra lo ròc.23 32 Suit un hommage aux conteurs qui ont contribué à bâtir le légendaire de Minerve. Cordes se présente comme l’un d’entre eux, héritier d’une histoire entendue sur les genoux de son grand-oncle, et chercheur, à son tour, de l’héritage commun, entre appel à la mémoire et reportage. Chercheur et passeur, parce que tout ce légendaire commun, selon lui, est en train de se disperser et de disparaître.

33 Le premier chapitre, « La ciutat sul ròc » [La cité sur le rocher], présente une ville bouleversée, à partir du XIXe siècle, par « l’invasion touristique ». La description de la cité et de sa situation dans son environnement est reliée à l’évocation de l’Histoire, et porte aussi la marque d’un engagement militant, qui se lit par exemple dans cette proclamation : Mais, garde-toi ! Ciutat sul Ròc, aujourd’hui Simon de Montfort s’est fait promoteur. Les pillards du temps de la Croisade on les voyait avancer, faisant étinceler l’acier de leurs lances et de leurs épées ; à notre époque, l’assaut est plus subtil, la résistance plus patiente. Les défenses de notre temps sont dans la conscience de l’homme sur sa terre. 34 Curieusement, le chapitre 2, bien que plus long que le premier, s’intitule « Notes et commentaires ». Plus que de simples notes, il s’agit en réalité d’un chapitre bien écrit, où Cordes confronte ses connaissances de première main avec des sources érudites. Il en appelle pour cela à des linguistes ou à des historiens. Mais il cite aussi des textes écrits, de la Cançon de la Crozada 24 à des textes de son aïeul, « lo papeta Bauron ». Il présente, successivement, des réflexions sur l’étymologie du mot « Menèrba »25, une localisation et une histoire de la cité et de ses environs et une description des portes de Minerve, une présentation des rues de la ville, de ses ponts, grottes et passages souterrains. Enfin, un plan cadastral de Minerve, récemment disparu de la mairie, dit- il, est commenté. L’ensemble est illustré d’anecdotes, de rappels de moments d’histoire, du temps de la Croisade à l’époque récente. À noter que le livre, en grande partie illustré par Léon Cordes lui-même, contient un plan de la main de l’auteur présenté comme « Relevé du Plan Cadastral ».

35 Si les « notes et commentaires » contenaient déjà de nom-breuses anecdotes à caractère historique, le troisième chapitre, intitulé « Faits et légendes historiques », est aussi composé de récits et le genre narratif s’y complète d’explications. Anecdotes et contes à propos de Minerve, autour du puits de Saint-Rustique ou du champ des « Cremats » [brûlés], pratiques populaires comme celle qui consiste à brûler des poupées sur un bûcher, inter-prétation de la chanson du « Boièr » comme éventuelle chanson cathare… l’ensemble est précédé d’un bref rappel historique à propos de la Croisade, notamment de l’épisode du siège de Minerve. Il convient de noter que Cordes est d’une grande prudence méthodologique : lorsqu’il évoque par exemple le chant du « Boièr » dans une partie intitulée « Lo cant dels cremats (le chant des brûlés au bûcher) », il sait bien que

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 74

son interprétation peut être discutée comme elle l’a été par Nelli et il assume, en toute conscience, le caractère mythologique de sa lecture : Malgré que [sic] mon ami Nelli ait, avec les réserves d’usage, classé plutôt ce chant parmi les chansons du métier et le pense postérieur à la Croisade, un certain mystère l’enveloppe qui semble se moquer de toute classification. Par-dessus tout, il y a ce fait général, traditionnel, incontesté : malgré des paroles burlesques il se chante toujours comme un chant sacré. […] On sait, en ce qui concerne les paroles plus ou moins burles-ques (il y eut de nombreux ajouts) que les hérétiques maquillaient ainsi leurs chants sacrés sous les coups de l’inquisition ou de persécutions diverses. Les initiés savaient sous cet aspect grossier recueillir le message, les croyants se reconnaissaient entre eux en le fredonnant. Nous ne sommes plus initiés… Mais une tradition grave s’est perpétuée, instinctive… Réinvention, tradition formelle ou message mystérieux… Qui sait ? 36 Suivent, aux chapitres 4, 5 et 6, trois cycles de contes, « Le cycle “del Quenque” », « Le cycle Poumayrac », « le cycle Menèrba ». Les deux premiers reprennent des contes entendus de deux personnages que Cordes fait d’abord revivre pour nous. Le dernier contient les contes dont il se souvient, restes d’un corpus de textes appartenant au genre facétieux, corpus pour une grande part disparu, faute d’avoir été noté par Cordes lui-même ou par un autre.

37 Le chapitre 7 est consacré au « papeta Bauron », poète et sculp-teur sur buis26. Celui-ci était à la fois un collectionneur d’objets d’art populaire et un homme instruit dont la maison était fréquentée par quantité de chercheurs et d’érudits. À son propos, Cordes nous livre une anecdote : Un trait suffira à montrer ce culte traditionnel du savoir allié à un sentiment d’éducation libératrice. Son fils aimait raconter que le jour où avait été affichée la loi décrétant l’instruction gratuite et obligatoire, le père Baurou l’avait amené devant la Mairie lire ce texte capital et lui avait ensuite solennellement déclaré : « Sovèn-te d’aquel jorn ». 38 Ce grand-père éclairé avait choisi d’écrire en occitan. Dans le genre épique, il avait rédigé une pièce en vers intitulée Lo Sèti [Le Siège], en grande partie perdue, déplore Cordes, qui devait contenir à peu près 200 vers, nous dit-il.

39 Le chapitre 8, intitulé « La plus haute tradition culturelle : Ramon de Mireval », est plus qu’une présentation du troubadour. Bien sûr, elle en contient la vida et en reprend une chanson dans une version modernisée, mais Raimon de Mireval apparaît là comme un de ces représentants de la « plus haute tradition culturelle »27 qui marque Minerve et ses environs, comme le site de Cabaret. Léon Cordes relie le chapitre à son ouvrage Trobadors al sègle vint, que Roy Rosenstein présente ici ; il évoque d’autres troubadours comme Pèire Vidal, et présente Minerve comme un point d’observation symptomatique en raison des courants divers qui s’y heurtent ou s’y imbriquent à l’improviste, en un brassage assez inattendu, autour du souvenir historique qui l’habite jusqu’à l’obsession. 40 Il appelle de ses vœux une autre forme de tourisme qui permettrait aux visiteurs de découvrir à Minerve « une authen-ticité qui les touche, à travers laquelle ils se sentiront humaine-ment concernés. » Il plaide pour une vraie décentralisation « capable d’une confrontation enrichissante […] qui, en toute justice, donnera à cette identité occitane […] les moyens de s’exprimer. » Et il nous livre avec enthousiasme une anecdote sur la visite à Minerve d’une quarantaine d’étudiants allemands, curieux de

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 75

culture occitane, qui repartirent en chantant le « Se canta », une bouteille à la main, affirmant par là sa conviction que progresse la connaissance universelle du fait occitan.

41 Ainsi s’achèvent les propos de l’auteur, juste avant la repro-duction de la Vida et de la cançon de Mireval, transcrites en occitan moderne : Seigneurs et citoyens catholiques de Béziers, Minerve, Lavaur et de bien d’autres cités qui se firent tuer plutôt que de livrer leurs frères cathares, restent l’expression naturelle d’une conception suprême de libre arbitre devant laquelle les hommes de notre temps n’ont pas fini de méditer, de s’interroger au pied de Minerve ou de Montségur. 42 Passeur de langue et de culture… oui, le Pichòt libre de Menèrba est emblématique de cette volonté têtue, comme il est exemplaire de la conjugaison, chez Cordes, de sa connaissance de la culture orale et de son appropriation personnelle de la « grande » littérature. Ce n’est pas par hasard que le livre fut salué par Nelli… Ce n’est pas non plus par hasard que Max Rouquette dédicaça ainsi à Cordes son poème « La lenga s’es perduda » : Per lo vièlh Lion de la Legenda Occitana dels sègles en omenatge coral dau Mas-Vièlh28 43 Transmettre la légende occitane des siècles, c’est bien ce à quoi visait le Pichòt libre de Menèrba, de la geste médiévale à la vie de la cité contemporaine.

Léon Cordes, homme-orchestre

44 Nous avons évoqué la passion précoce de Léon Cordes pour le théâtre, écriture de pièces, jeu d’acteur, et travail de mise en scène. Nous avons parlé de son travail de jeune rédacteur dans les revues occitanes entre 1934 et 1950, ainsi que de ses essais d’écriture cinématographique. Nous pourrions parler aussi de son travail d’acteur de cinéma, dans L’Orsalhièr. Ceux qui l’ont connu se souviennent de son leitmotiv, dans les réunions publiques : « Lo jorn qu’aurem la television en occitan ! »29. Il ne devait hélas, connaître que les prémices des émissions occitanes de la chaîne publique nées après 1981…

45 Nous aimerions aussi parler de son travail de calligraphe et d’illustrateur utilisé, entre autres, dans la conception d’affiches ou l’illustration de ses propres ouvrages. Les livres que nous avons rapidement présentés en témoignent, que ce soit le dessin naïf mais très évocateur de la couverture de L’occitan fondamental ou encore le plan de Minerve reproduit dans le livre qu’il consacra à la cité. Le recueil Dire son si, édité en 1975 à Vedène par le Comptador General dau libre occitan dirigé par le poète Robert Allan, est également orné de dessins de Cordes, et il y a fort à parier qu’il en a conçu la maquette de couverture, caractérisée par la bichromie rouge et noir qu’il affectionne, couverture d’une conception différente des autres publications du Comptador. 46 Nous voudrions dire quelques mots de cet autre livre de poèmes entièrement calligraphié et illustré de la main de Cordes et autoédité : Se conti que conte. La première de couverture que nous reproduisons ici, qui utilise également la bichromie rouge et noir, témoigne du souci didactique de Cordes ainsi que de ses talents d’imagier. Elle joue sur la taille des caractères et sur des polices variées, entre calligraphie (pour l’occitan) et caractères d’imprimerie (pour le français) ; le rapport entre les langues n’est pas simple traduction.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 76

47 La quatrième de couverture est un véritable manifeste bilingue, le texte occitan calligraphié étant suivi d’une version française en caractères d’imprimerie :

Me disiá l’amic – siás lo que dessenha coma o auriá poscut faire dins sas balmas preïstoricas, amb l’uelh del primitiu. Qualquis principis de mai o de mens despuèi que las tecnicas estipulan çò qu’èra dins l’uèlh, tanplan benlèu… Dessenhar per s’exprimir ne pòdi avoar la panta e la pratica de totjorn. Res de professional, panta vòl dire instinct e parlar en images es un voler qu’a sas desencusas a las sorgas de l’art. Coma lo conte, expression primièra, eiretatge comun d’umanitat qu’avèm fnit per ne faire un roman… E saique la poesia es pas qu’un conte qu’a raubat de colors e d’alas als aucèls. Atal-atal, sabi pas pus s’ai tot mesclat o pas sauput destriar los genres o la jòia d’èsser – la coneissença – demest los meus, Occitans cap e tot qu’aicí sèm, pas coma primitius mas coma òmes sencèrs, la tèrra e lo sègle nòstres pariu. E tan melhor, sus tot pacte, se d’aquel fadejar nos-n podiam regalar.30

48 Ce beau texte apparaît comme une sorte de bilan de vie, « Je ne sais plus si j’ai confondu les genres », dit Cordes, parfaitement conscient de l’éclectisme de son œuvre où le conte devient roman, où la poésie est un conte « qui aurait dérobé couleurs et ailes aux oiseaux »… Belle façon de décrire le caractère composite, voire hybride, du recueil, entre conte et poésie.

49 Le message occitaniste délivré se veut universel : « Occitans en tant que peuple tels que nous sommes, non comme primitifs cette fois mais hommes, sur cette terre et en ce siècle, à part entière. » Et toujours les termes de « joie », de « plaisir », d’être parmi les siens. 50 Le livre fait la part belle aux dessins de Cordes, dans des genres variés : croquis de paysages, portraits, voire caricatures, comme celle, très réussie, de Jean Ferniot, une des personnalités médiatiques du temps (journaliste et éditorialiste à France Soir, RTL et L’Express, concepteur et présentateur de plusieurs émissions télévisées). Livre composite, comme le laissait préfigurer la couverture, les textes sont écrits sur des feuillets pliés en deux, la version occitane calligraphiée et ornée d’un dessin, la version française en – banals – caractères d’imprimerie. La première page du premier feuillet

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 77

reproduit un autoportrait de l’auteur, une main levée, dans la posture choisie pour les affiches du spectacle « Escotatz » avec l’indication « manlevat d’una aficha » et la légende « faire viure al Païs nòstra maire la lenga ARA COMA IÈR ». Plusieurs textes sont dédicacés à des chanteurs (Fulbèrt Cant, La Sause, ou Jaumelina), à d’autres écrivains (Nelli, Galtier, Reboul, Petit), à des journalistes (Pierre Bosc, Pierre Serre), des militants occitanistes (Jean et Raymonde Tricoire), des proches (sa fille Bernadette, ses petits-enfants Estelle et Jaufré). 51 Nous ne nous attarderons pas ici sur les textes qui composent le recueil. L’ensemble n’a peut-être pas la belle tenue poétique d’Aquarèla ou de Branca tòrta. La cause en est peut- être le caractère composite, plus adapté aux soirées publiques que donnait Cordes, qui se devaient d’être variées, qu’à la cohérence d’un recueil poétique. Quelques belles réussites, cependant, comme dans le feuillet 3-4, la fin du poème « Per Ela » : Mas l’alen de la nuèit fasiá quilhar las correjòlas, l’escur vengut a negre pas, estirats a tocar que nos i vesiam pas, lo nòstre espandi de rajòlas s’alargava a las tèrras dins la mòrt dels morrèls. Solaç copat de contes vièlhs reviscolats de nuèits coma las correjòlas, e la paraula que tremòla tot rasimant los dits dels jorns en parabòlas.31 Autre réussite, cette évocation du « papeta » dans le poème « Fogals » (feuillet 7), Butava un pauc lo soc de biais mas a copets, l’ascla èra bèla e las fòrças i èran pas pus… Las cendres las sarrava a mesura. Aviam d’ausina – qualques socas entrans per far durar lo temps davant un fòc que dura.32 à la figure évanescente duquel se superpose celle du poète lui-même : « me retròbi pelgrís, pausant un bròc », alors que le dessin montre, de dos, la silhouette de Cordes, cheveux coiffés en arrière, assez longs sur la nuque, juste à côté d’un autre vieil homme vu de face. 52 Le fil du temps… Papeta Bauron ? Lo Quenque ? dont Cordes vieillissant se sent soudain si proche.

53 Le fil des paysages aussi, avec quelques rapides évocations : Minerve, bien sûr, Montady, Montségur, et même, pour ouvrir le recueil une évocation d’immeubles qui ne sont pas sans rappeler le dernier logis de Cordes à Celleneuve, au Nord de Montpellier, alors que le poème « Per Jòrgi Rebol » évoque L’Ortolana, cette petite propriété au sud de Montpellier où Cordes exerça une activité de maraîcher avant de prendre sa retraite. 54 Leon Còrdas passaire, Léon Cordes passeur… Toute une vie à transmettre une langue, un légendaire populaire et une littérature de prestige, sans oublier la construction d’une œuvre littéraire exigeante, encore trop peu étudiée. 55 Ce qui frappe quand on se penche sur ce destin et sur cette œuvre, c’est cet éclectisme que nous pensons conscient, cette volonté de tout embrasser, de tout donner à voir, à lire et à entendre. Obstiné, parfois lassé, jamais désespéré, tel apparaît Léon Cordes à travers ses actes, ses engagements et ses écrits.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 78

56 Nous espérons avoir ici, à travers ce retour sur un itinéraire de créateur et de militant, et dans le cadre de cet ensemble de communications, ouvert une porte vers la connaissance de cette œuvre dans sa multiplicité et sa richesse.

BIBLIOGRAPHIE

De Léon Cordes

1935 : « La defensa païsana. Als joves païsans Miechjornals », Occitània n° 20, 7 octobre 1935.

[1937] : « Cronica del teatre d’òc », Occitania n° 39.

1955 : La Font de Bonas-Gràcias, pèça en tres actes e quatre quadres / avec traduction française en regard, Audoard Aubanèl, editor, Avinhon, 1955.

1964 : Théâtre et littérature populaires d’oc, Marseille, IEO, brochure ronéotée, Imprimerie SOCEDIM, 21, cours d’Estienne d’Orves.

1974 : Le petit livre de Minerve / Lo pichòt libre de Menèrba, préface de René Nelli, Illustrations de Jean-Luc Séverac [et de Léon Cordes lui-même], 1974, s.l.

[1975] : L’occitan fondamental, « Apreni lèu-lèu l’occitan », Animation de Léon Cordes, IEO Espandiment, s.l., s.d.

1975 : Dire son si, Vedène (84), Comptador General dau libre occitan.

1980 : Se conti que conte, chez l’auteur.

1983 : Menèrba 1210, drame historique, IEO, 1983.

Sur Léon Cordes

Philippe GARDY : « Léon Cordes ou le “mythe de Minerve” », in Marie-Jeanne Verny, Les Troubadours dans le texte occitan du XXe siècle, 2015, Garnier, Études et textes occitans, 1.

Roland PÉCOUT, « Le Minervois se met en scène », Connaissance du Pays d’oc, n° 71, Montpellier, novembre -décembre 1985, p. 40-45.

Jean-Marie PETIT, Leon Còrdas / Léon Cordes. Notice biographique, bibliographie, iconographie, témoignages, critiques, études, textes…, Béziers, CIDO, 1985.

Yves ROUQUETTE, « Léon Cordes, homme de parole et d’action », photos Charles Camberoque, Montpellier, Connaissance du Pays d’oc, n° 72, janvier-février 1986, p. 52-57.

NOTES

1. Léon Cordes, Le petit livre de Minerve / Lo pichòt libre de Menèrba, préface de René Nelli, illustrations de Jean-Luc Séverac [et de Léon Cordes lui-même], 1974, s.l. 2. Yves Rouquette, « Léon Cordes, homme de parole et d’action », photos Charles Camberoques, Montpellier, Connaissance du Pays d’oc, n° 72, janvier-février 1986, p. 52-57.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 79

3. « La defensa païsana », sous-titrée « Als joves païsans Miechjornals », signée « Léon Cordes, delegat a la propaganda païsana ». Occitània n° 20, 7 octobre 1935. 4. « […] irritent la population, arrêtent la vie et les affaires du pays, génèrent des situations dramatiques et des haines dont l’endroit souffrira et dont il sera malade très longtemps. » 5. « De là-haut, ils nous font nous affronter entre frères, ils nous ruinent, pendant qu’ils font leurs affaires et l’état centralisateur n’a pas de meilleur défenseur, car ce sont eux qui le dirigent ». 6. Publiée en 1964 par l’IEO, dans une brochure ronéotée, Imprimerie SOCEDIM, 21, cours d’Estienne-d’Orves, Marseille. 7. Il n’y a aucune date sur le n° 39, le 38 est de décembre 1937, le n° 40 n’est pas daté non plus et le 41 est de juin 1938. 8. « Drame terrible, mais d’une grandeur et d’une sincérité d’accent qui vous fascinent. Personnages simples et vrais emportés, par leur horrible destinée, qui détruit en une nuit d’été ensorcelée et ardente les humains qui ont péché par un amour sincère et loyal ». 9. « En prenne qui voudra dans ses narines. Cette histoire de culs et de vesses ne nous intéresse pas ». Max Rouquette ira beaucoup plus loin à ce propos. Il répond à une critique positive de la pièce parue dans la revue Trencavèl : « Paure amiguet ! L’amor es avugle e deu agure lo nas tapat. Es pas d’una femna a refaire Rabelès ; o es pas una femna mes recorda puleu una cavala. Vostra luna… Aquela luna la crese pas plan nauta perdeque m’avise que vostra lenga, ela ié gandis. Aquela luna que per rais nos manda de Loufos frejos. Vos planhissem de prene per un lum lo clar d’aquela luna. Per nautres es au cagador que s’estampa Trencavel. Vos vese acampar piosamen los fiols mascarats per vostre luna, o bel amoros de papier de seda.» [Pauvre petit ami ! L’amour est aveugle et doit avoir le nez bouché. Ce n’est pas à une femme à imiter Rabelais ; ou ce n’est pas une femme mais elle rappelle plutôt une cavale. Votre lune… Cette lune je ne la crois pas bien haute parce que je m’aperçois que votre langue, elle, peut l’atteindre. Cette lune qui, par rayons, nous envoie des Vesses froides. Nous vous plaignons de prendre pour une lumière la clarté de cette lune. Pour nous c’est aux latrines que s’imprime Trencavel. Je vous vois rassembler pieusement les feuillets barbouillés par votre lune, ô bel amoureux de papier de soie.] 10. « Barthe a réalisé un théâtre, ému un public, travaillé avec efficacité et nous devons à cela, en Languedoc, la majorité de nos possibilités actuelles ». 11. D’aucuns, comme Robert Lafont ou Max Rouquette par exemple, se montrant critiques sur le choix du bilinguisme par le Teatre de la Carrièra, qui aboutissait en réalité à une distribution diglossique de l’usage des langues par les divers personnages. 12. « Ce n’est pas avec ce procédé qu’on rendra au peuple la fierté de sa langue ». 13. La Font de Bonas-Gràcias, pèça en tres actes e quatre quadres / avec traduction française en regard, Audoard Aubanèl, editor, Avinhon, 1955. 14. Menèrba 1210, drame historique, IEO, 1983. 15. Nom donné à la catapulte des assaillants. Littéralement : « mauvaise voisine ». 16. Roland Pécout, « Le Minervois se met en scène », Connaissance du Pays d’oc, n° 71, Montpellier, novembre-décembre 1985, p. 40-45. 17. L’occitan fondamental, « Apreni lèu-lèu l’occitan », Animation de Léon Cordes, IEO Espandiment, s.l., s.d. Petit donne la date de 1975. 18. L’occitan fondamental, dit Jean-Marie Petit, « petit manuel pour l’apprentissage rapide de la langue destiné aux troupes de théâtre », op. cit., p. 8. 19. Robert Lafont et Christian Baylon, Metòde per aprene l’occitan parlat, Montpellier, 1970, Centre d’Études Occitanes (Université Paul-Valéry), avec disques ou bandes magnétiques. 20. En dehors de la parenthèse de la laverie montpelliéraine présentée ici par Yan Lespoux.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 80

21. Yves Rouquette, « Léon Cordes, Connaissance du Pays d’oc, n° 72, janvier-février 1986, p. 55. 22. « Léon Cordes ou le “mythe de Minerve” », in Marie-Jeanne Verny, Les Troubadours dans le texte occitan du XXe siècle, 2015, Garnier, Études et textes occitans, 1. 23. J’ai un petit livre à faire sur Minerve qui est un livre de mon cœur. Un livre d’amateur, car dans « amateur » il y a d’abord aimer mais aussi une familiarité exclusive et désintéressée. Le grand livre de Minerve demeure l’événement de 1210 : la résistance à la Croisade et le martyre. Histoire ancienne et toujours présente avec sa logique qui défie le temps. L’homme de Minerve demeure l’homme de cette conscience affirmée dans le sang, le feu et la lettre. Je suis un homme de Minerve, son passé est pour moi comme mon enfance, ses légendes furent ma révélation. Le grand livre, je l’ai illustré à mon tour. Je l’ai mis en acte de théâtre sans savoir seulement s’il se jouerait par une autre nuit d’été, claire et tragique, élevant sa flamme dans le ciel. Cette illustration je la portais en moi. Mais je l’ai écrite en oc pour notre temps. Car ce n’est pas par hasard si le renom de Minerve s’accorde avec la prise de conscience occitane. De cette renaissance, le retour à l’actualité des hauts-lieux historiques est à la fois le signe et une conséquence. Tout ce qui est authentique ici parle oc, dans sa modernité et tout ce qui est frelaté s’y heurte contre le rocher ». 24. Il signale qu’il a utilisé l’édition Martin-Chabot. 25. Cordes remet en cause la traduction française du terme : « la racine Minerva est improbable », note-t-il. 26. Mort en 1906, selon la biographie de Petit. Le livre contient des photographies reproduisant plusieurs de ces objets. 27. Comme le dit le sous-titre du chapitre. 28. « Pour le vieux Lion / de la Légende Occitane des Siècles / En hommage cordial du Mas- Vièlh ». Notons que le Mas-Vièlh de Gardies est un des hauts lieux de l’œuvre rouquettienne. Mais il y a peut-être un jeu de mots, comme celui sur Lion / Leon, « Max » se prononçant « Mas » en occitan ; les deux écrivains étant à peu de choses près contemporains (Rouquette né en 1908, Cordes en 1913), il est probable que Max Rouquette s’amuse. La dédicace précède le texte de Rouquette dans la monographie composée par Jean-Marie Petit (p. 37). Elle n’a pas été reprise lorsque le poème a été édité dans le volume Lo Maucòr de l’Unicòrn / Le tourment de la licorne, 1 ère édition 1988 : Marseille, Sud (p. 32). 2e édition Pézenas, Éditions Domens, 2000 (p. 34). 29. « Le jour où nous aurons la télévision en occitan ». 30. « Cet ami me disait – Tu es celui qui dessine comme il aurait pu le faire dans les casernes préhistoriques, avec le regard du primitif. Quelques principes en plus ou en moins, depuis que les techniques ordonnent ce que concentrait le regard, pourquoi pas… S’exprimer par le dessin est un besoin que j’avoue ressentir et pratiquer depuis toujours. Rien de professionnel. Il s’agit d’instinct et parler en images a son excuse aux sources de l’art. Comme d’ailleurs le conte, expression originelle, héritage commun d’humanité dont nous avons fini par faire un roman… Et la poésie n’est-elle pas un conte qui aurait dérobé couleurs et ailes aux oiseaux ? Ainsi, je ne sais plus si j’ai confondu les genres, dans la joie de s’exprimer parmi les miens – la connaissance infuse que je leur dois. Occitans en tant que peuple tels que nous sommes, non comme primitifs cette fois mais hommes, sur cette terre et en ce siècle, à part entière. Et tant mieux si, tout simplement, nous y avons pris plaisir ». (Version française de l’auteur) 31. « Mais la fraîcheur du soir faisait dresser les liserons, / notre domaine – allongés dans le noir / côte à côte sans nous voir – / s’étendait dans l’ombre jusqu’à l’orée des monts. / Moment propice aux contes anciens, / ranimés par la nuit comme les liserons, / et la parole hésitante / grappillant nos pensers familiers en paraboles ».

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 81

32. « Il poussait la souche / à petits coups mesurés, le tronc était énorme / et ses forces affaiblies. / Nous avions du bois d’yeuse – quelque souches encore / ainsi dure le temps devant un feu qui dure ». NB : nous traduisons le vers 3, oublié dans cette version française : « les cendres, il les rassemblait au fur et à mesure ».

AUTEUR

MARIE-JEANNE VERNY

Université Paul-Valéry (Montpellier III)

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 82

My beautiful laundrette : Léon Cordes et le projet de laverie automatique de l’IEO (1951-1953)

Yan Lespoux

1 De prime abord l’Institut d’Études Occitanes des débuts, de 1945 à la crise interne de 1964, est avant tout un énorme bouillonnement intellectuel autour d’un projet renaissantiste ambitieux. Les preuves en sont les revues publiées à cette époque, Annales de l’IEO, ÒC, Bulletin Pédagogique de l’IEO (qui devient Cahiers Pédagogiques de l’IEO en 1956), les livres édités, l’organisa-tion de stages… Pour autant, et malgré une reconnaissance d’utilité publique bienvenue en 1949, l’Institut d’Études Occitanes ne peut vivre que de débats intellectuels, de projets et d’eau fraîche. De fait, ces années sont aussi, pour le bureau directeur de l’IEO et tout particulièrement pour Ismaël Girard, éminence grise mais aussi en grande partie financier de l’Institut, celles de la recherche de subsides destinés à faire vivre l’association et à la promouvoir afin de toucher un public le plus large possible, comme cela était le cas pour la revue OC que Girard finançait déjà en partie de manière originale ainsi que le rappelle Jean-Frédéric Brun : « […] Girard s’intéressait au "vaccin de Friedman", thérapeutique alternative consistant en une injection de bacille para tuberculeux vivant de tortue marine. […] Girard tira ses revenus de cette "médecine parallèle", et celle-ci lui permit aussi de faire paraître OC et de faire vivre l’occitanisme. Max Rouquette nous dit, un peu railleur : "La revue Oc flotta, longtemps, sur un océan : fait de sérum de tortue". »1 2 Et s’il en est un qui sait combien il est dur de ne vivre que d’amour et d’eau fraîche – ou de vin en l’occurrence – c’est bien l’auteur-viticulteur qu’est Léon Cordes qui écrit à Robert Lafont le 6 mars 1950 : « Me demandas ço que fau : me bati coma un malurós contra la besonha que m’assuca, la misera que m’escana e per una reüssita que sabi pas se la ganharai a la perfin mas que, se l’emporti, l’aurai plan ganhada ! »2 et qui, en février 1951, renchérit : « M’an ofert de me butar per una fort bela situacion e soi en trin d’ensatjar de capitar – serai pr’aquò probable a Montpelhier divendres – mas me cal tornar

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 83

trabalhar de causas que m’ensucan : comptabilitat, vinificacion, electricitat, quimia etc… tot ço qu’aïssi de bon cor ! De que va devenir dins aquela mescla mon trabalh intellectual e que los somis son pauc de causas quand son trop bels ! »3 3 C’est dans ce contexte qu’apparaît à la fin de l’année 1951 un projet de laverie automatique qui serait détenue par l’Institut d’Études Occitanes et permettrait de faire rentrer de l’argent dans les caisses. En l’état actuel de nos recherches, il est difficile de comprendre comment le projet a éclos dans le courant de l’année 1951. À en croire Robert Lafont, cependant, Ismaël Girard avait lui-même en ce début des années 1950 des intérêts dans une laverie à Toulouse et aurait pu souffler cette idée au bureau directeur de l’IEO : « Sa vida personala demorava un mistèri per aqueles que trabalhavan amb el al pus prèp. Los recebiá d’aquel temps dins son gabinet medical minuscul, plaça Roais, en dessús de la lavariá automatica que li aparteniá. »4 4 Le projet prend apparemment forme en l’espace de quelques semaines lorsque l’opportunité de trouver un local à louer à un prix abordable apparaît. Tout se lance entre la fin du mois d’octobre et le début du mois de novembre, un petit groupe étant rapidement mis à contribution : Ismaël Girard, Robert Lafont, Jean Segonds, Charles Camproux, Jean Roche, Pierre Rouquette et, donc, Léon Cordes qui semble prendre les choses en main sur le terrain pendant que Lafont et Girard tentent de réunir des fonds pour démarrer le projet. L’idée de Lafont est de réunir la somme la plus élevée possible pour acheter le fonds de commerce, louer le local, l’aménager, l’équiper et assurer un fonds suffisant pour tenir les premiers mois. Girard s’est occupé de faire faire des devis, et l’on se préoccupe de trouver des investisseurs au sein du mouvement de promotion de la langue d’oc tout en essayant de rester discret, ce qui laisse à penser que le projet n’est pas vraiment passé par les instances officielles de l’IEO.

5 Ainsi Lafont écrit-il à Girard : « À propos des laveries automatiques : j’en ai dit un mot à P. Rouquette en lui recommandant le silence. Si nous sommes près de réussir, et qu’il ne manque qu’une certaine somme, en dernière analyse nous pourrons demander un effort à Carbon qui a, en ce moment, de très grosses disponibilités. Mais il faudra lui faire comprendre qu’il n’y a aucun bénéfice à prévoir, sinon le rentage de l’argent. » 6 Et, dans le même courrier, « Laveries : peut-être Jean Roche ? Je verrai »5.

7 Charles Camproux, lui-même porteur quelques années aupar-avant d’un projet de maison d’édition est contacté : « J’amorce la discussion. Prudemment, sans lui dire ce dont il s’agit exactement. Si sa réaction est favorable, j’irai le voir avec des chiffres. On peut compter sur le dévouement de Camproux. »6 puis d’autres encore, en particulier Segonds, qui semble alors en capacité de porter une contribution importante tandis que Cordes annonce pouvoir réunir 200 000 francs prêtés par son oncle paternel, Pierre Cordes. 8 C’est d’ailleurs Léon Cordes qui fait s’emballer l’affaire lorsqu’il trouve un local rue de l’Aiguillerie à Montpellier, bousculant un Lafont intéressé mais plus réservé et qui, en tout cas, espérait avoir plus de temps pour gérer cela aussi sereinement que possible. Ce qui, incontestablement, l’emporte chez Cordes, c’est l’enthousiasme. Ce projet a pour lui l’avantage double de lui permettre de trouver une nouvelle situation professionnelle et de continuer à porter sa pierre à l’édifice de l’IEO. Totalement impliqué, Cordes ne ménage pas sa peine et, conscient de l’importance pour ses amis investisseurs et l’IEO de la bonne marche de l’affaire, il s’astreint à des comptes rendus

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 84

détaillés. Ainsi voit-on défiler dans ses lettres à Ismaël Girard et Robert Lafont les demandes de conseils, de déblocage de fonds et les considérations techniques sur l’aménagement du local des panières à la lessive, en passant par les machines elles- mêmes et les évacuations d’eau. À quelques jours de l’ouverture de la laverie, le 18 avril 1952, Léon Cordes écrit à Girard à propos de la lessive : « Compti dobrir diluns 21, sens essoreuse, mas coma i a de mond qu’esperan, vau dobrir e m’arrengarai. A aquel prepaus ai tres entresanhas d’urgéncia a vos demandar : 1°-Es que Mme Mons met totjorn de carbonata de soda amb lo Trepol e lo Robur 17, e quana quantitat se oc ? 2°-Quand fasiá amb de « lessive Cotelle-Lacroix » ordinaria, quana quantitat de carbonata de soda metiá per kg ? 3°-S’òm vòl ensajar lo savon en palhetas quana quantitat se pòt metre. Es que lo savon en palheta se pòt barrejar amb lo demai : Trepol e Robur 17 o « lessiva ordinaria » e dins quanas proporcions ? »7 9 Mais « l’estrambòrd » de Léon Cordes n’est pas partagé par tout le monde et met même Girard et Lafont mal à l’aise au début de l’aventure, ainsi que s’en ouvre durement Robert Lafont au Toulousain : « Cordes ? Ah ! oui, il faut craindre l’estrambòrd pour lui. Je ne vous ai pas averti d’un excès de bavardage commis par Cordes à Montpellier, parce que c’était vraiment insignifiant. Vous avez pu pourtant en découvrir l’existence à travers mes lettres. Il est évident que Cordes était précisément celui qu’il ne fallait pas. Mais étant donné sa situation actuelle, il ne pouvait être fait appel à quelqu’un d’autre. La camaraderie chez nous doit exister ! […] Cordes a toutes les qualités requises pour une œuvre sérieuse. Il ne pêche que par excès, cet excès dangereux, cette verve qui décourage autrui, ce rêve qui prolonge le présent. »8 C’est que le projet est entouré d’un certain secret : « Que le nom de l’IEO soit prononcé le moins possible en cette affaire ! Cela vaut mieux – pour le fisc, pour notre public, et pour nos ennemis félibres. »9 10 Lafont écrit en suivant une lettre qu’il qualifie lui-même de « dure » à Cordes, qui en pense la même chose et donne une réponse qui nous éclaire sur sa situation et son état d’esprit d’alors : « Mon car amic, Ta letra, per tant que dobte pas de l’amistat que l’inspirèt – es dura per ieu. Un còp èra, benlèu n’auriá sautat, ara ai l’esquina lassa de tant de causas pus grevas… cal èsser jove, car amic, per talhar coma fas dins las consciéncias ! Vertat es, que la « reserva » es pas una atitud qu’òm se dona mas un vertud que s’aqueris amb l’experiéncia… o las espròvas. Sens me far mai psicològ que non soi, aviá ja devinhat que pensavas çò que me dises sus aquel sicut a de detalhs qu’enganan pas. Sabes pro d’autre biais que soi pas totjorn – e despuès qualquis ans mai que mai – mèstre de mos nèrvis. Ai una desen- cusa pro bèla, per tant que me pògues dire que val res que per ieu. Après vint ans de trabalh de galerian, de jorns enfebrats de besonhas multiplas e de nueits sens pausa ma recompensa fins a uèi es un « echèc » total. La roina e la mediocritat. D’autris aurian abandonat e n’aguèri mai d’un còp l’agra tentacion… Baste ! Compti puslèu sus lo canviament de vida totara esperat per repréner gost a las causas e retrobar mon equilibre – e mai un pauc de sòm s’aquò èra Dieu possible ! – Se vostra fisança me permet d’o far, que me sentissi pas lo coratge de trabalhar s’ai pas l’esperit liure – es çò sol que me demòre uèi franc d’ipotècas, aladonc i teni. »10

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 85

11 Ce projet de laverie apparaît donc alors comme une sorte de nouvelle chance pour Cordes en même temps qu’un espoir de développement pour l’IEO et pour Girard qui compte sur l’argent qu’elle pourrait rapporter pour financer la propagande de l’Institut… ce qui n’empêche ni Lafont ni Girard de rêver : « Ces sommes ne peuvent servir qu’à atteindre un public. […] Elles doivent nous permettre de tirer à 5 000 ou 10 000, le temps qu’il faudra, pour arriver à 2 000 abonnés. […] Il est évident que pour la première fois la question du public sera posée pour nous. Et que notre littérature elle-même va se trouver transformée. »11. 12 C’est que si Camproux, Pierre Rouquette et Max Rouquette (qui n’investiront pas dans l’affaire) semblent peu enthousiastes, ni Lafont, ni Girard, ni même Félix Castan ne semblent envisager un possible échec de l’affaire. Castan s’inquiétant avant tout d’un afflux soudain d’argent puisse semer la discorde et expliquant que « une telle conjoncture exige donc si c’est possible d’une manière encore plus impérative la discrimination des voies réelles de l’occitanisme, la fixation des objectifs qui ne peut se réaliser que par le canal d’une organisation plus étroite, plus contraignante. Il faut que soit mise sur pied une organisation inébranlable »12 tandis que Lafont estime que l’IEO est arrivé à un point critique, à un moment-clé où cet afflux est devenu à la fois nécessaire et gérable car l’occitanisme militant arrive à maturité : « Je suis persuadé que ce projet arrive exactement à son heure. Nous avons libéré du foisonnement empirique destructeur des forces importantes. Or nous en sommes à ne pas pouvoir donner à ces forces un champ d’action suffisant. Seule l’arrivée de moyens matériels inespérés peut ouvrir ce champ. » 13 Les faits vont toutefois faire mentir cet optimisme. La laverie met longtemps à démarrer à cause de machines arrivant en retard et Cordes perd plus d’argent qu’il n’en gagne en attendant l’ouverture. Celle-ci arrivée, si la clientèle semble présente, elle suffit d’autant moins à rentabiliser la laverie que Girard a sensiblement sous-estimé les sommes dues au fisc. Un an après l’ouverture, Cordes demande à être libéré de la gérance pour pouvoir se lancer dans un projet de jardin maraîcher à Lattes après avoir vendu sa propriété de Siran et enjoint même l’IEO à revendre l’affaire afin d’essayer de faire en sorte que les inves-tisseurs puissent récupérer leurs mises. Mais la conjoncture ne s’y prête pas, une laverie ouvre sur le boulevard à 300 mètres du « Savon Lavoir » de l’IEO, aucun acheteur ne se présente et, en juin 1954, le commerce n’est toujours pas vendu.

14 Cette liquidation d’un projet dans lequel l’Institut et Cordes lui-même avaient placé beaucoup d’espoirs se fait dans la douleur et Léon Cordes pointe clairement du doigt Girard qu’il accuse de l’avoir envoyé dans le mur après s’être servi de lui en utilisant Lafont. Ce qui donne une lettre particulièrement âpre de Cordes à Lafont en décembre 1953 après que, par ailleurs, des inondations ont ravagé son jardin maraîcher : « Ei patit mai que tu e financierament tanben de que : ai trabalhat sièis meses sens tocar un sòu – ensatja amb sièis personas a far manjar veiràs s’es aisit ! – Per téner lo còp me soi endeutat per una soma tant fòrta que ton apòrt financièr total (amb la catastròfa que me ven d’arribar aquelis deutes peson gravament sus ma situacion actuala) 2°- Es tu, e me plai que sia mes per escrit, qu’en tres còps as faunhat l’amistat e desvalorizat l’estima vertadièra ont te teniá : - En m’escrivent en novembre 51 una letra inspirada – dejà ! – per Girard, insultanta per ieu, vergonhosa per tu, - En renegant ta paraula solemnament donada e en te fasent lo complici del raubar conscient e organizat a mon prejudici dont aviás amb los autres montat lo scenariò.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 86

(Se l’aviás pas montat tu, aprovat o non, l’executavas e es son que ta complicitat o ta lachetat que ne permetian l’execucion) - En espaçant, despuèi lo moment ont travalhères amb los autres a me raubar la paga de mon trabalh – tant penosament ganhada ! ! ! – nòstras relacions. »13 15 Il ne s’agit pas ici de juger qui de Cordes ou Lafont a tort ou raison mais de voir la rancœur qu’entraîne cette affaire dans un IEO où les tensions se font de plus en plus fortes entre Robert Lafont, Max Rouquette (devenu président en 1952) ou encore Félix Castan.

16 Profondément blessé, Léon Cordes pâtit là du sort réservé par Ismaël Girard à ceux dont il estime qu’ils ne servent plus le projet occitaniste. « Girard n’était pas le moins du monde un Machiavel dépourvu de cœur, mais il étouffait en lui toute sensiblerie lorsqu’il s’agissait de faire des choix pour ce mouvement qu’il portait à bout de bras » rappelle Jean-Frédéric Brun14, et Léon Cordes est la victime de cet échec collectif dans lequel il s’est investi avec l’espoir de trouver par ailleurs une vie meilleure. 17 Symbole de la crise de croissance d’un IEO qui commence à s’ouvrir notamment par le biais des centres régionaux mais dont la tête évolue peu et, pire, est secouée par les conflits, l’affaire de la laverie apparaît aussi pour Léon Cordes comme une épreuve d’autant plus difficile qu’elle ne concerne pas que sa situation financière mais vient aussi polluer ses relations amicales avec ses camarades occitanistes, l’isolant sensiblement. S’il sera de tous les combats occitanistes, celui qui a fondé l’Ase Negre – Occitania et fut un des militants les plus actifs de l’IEO naissant restera désormais à la marge de l’organisme, se consacrant plutôt à son art. Sans doute cette hasardeuse aventure a-t-elle finalement privé l’IEO de bien plus que les subsides espérés.

NOTES

1. Jean-Frédéric Brun, « Ismaël Girard à travers sa correspondance avec Max Rouquette (II) », Montpellier, Les cahiers Max Rouquette, n° 5, mai 2011, p. 30. 2. Fonds Robert Lafont, « Léon Cordes 1949-1954 », Béziers, CIRDOC. [Tu me demandes ce que je fais : je me bats comme un malheureux contre la besogne qui me harasse, la misère qui m’étrangle et pour une réussite dont je ne sais pas si je la gagnerai à la fin mais que, si je l’emporte, j’aurai bien gagnée !]. 3. Ibid. [On m’a offert de m’aider pour une fort bonne situation et je suis en train d’essayer de réussir – je serai pour cela probablement à Montpellier vendredi – mais il me faut retravailler des choses qui me fatiguent : comptabilité, vinification, électricité, chimie etc… tout ce que je hais de bon cœur ! Que va devenir dans ce fatras mon travail intellectuel et que les rêves sont peu de choses quand ils sont trop grands !]. 4. Robert Lafont, Pecics de mièg-sègle, Fédérop, 1999, p. 79. [Sa vie personnelle demeurait un mystère pour ceux qui travaillaient avec lui au plus près. Il les recevait en ce temps-là dans son minuscule cabinet médical, place Rouaix, au-dessus de la laverie automatique qui lui appartenait]. 5. Fonds Ismaël Girard, Collège d’Occitanie, lettre d’octobre ou novembre 1951.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 87

6. Fonds Ismaël Girard, Collège d’Occitanie, lettre de Robert Lafont à Ismaël Girard, 28 octobre 1951. 7. Fonds Ismaël Girard, Collège d’Occitanie, lettre de Léon Cordes à Ismaël Girard, 18 avril 1952. [Je compte ouvrir lundi 21, sans essoreuse, mais comme il y a du monde qui attend, je vais ouvrir et je m’arrangerai. À ce propos, j’ai trois renseignements urgents à vous demander : 1° - Est-ce que Mme Mons met toujours du carbonate de soude avec le Trepol et le Robur 17, et si oui, en quelle quantité ? 2° - Quand elle faisait avec de la « lessive Cotelle-Lacroix » ordinaire, quelle quantité de carbonate de soude mettait-elle par kg ? 3° - Si l’on veut essayer le savon en paillettes, quelle quantité peut-on mettre. Est-ce que le savon en paillette peut se mélanger avec le reste : Trepol et Robur 17 ou « lessive ordinaire » et dans quelles proportions ?]. 8. Fonds Ismaël Girard, Collège d’Occitanie, lettre de Robert Lafont à Ismaël Girard, 10 novembre 1951. 9. Ibid. 10. Fonds Robert Lafont, CIRDOC, lettre de Léon Cordes à Robert Lafont, 13 novembre 1951. [Mon cher ami, Ta lettre, même si je ne doute pas de l’amitié qui l’a inspirée – est dure pour moi. Autrefois, j’en aurais bondi, maintenant j’ai les épaules fatiguées de [porter] tant de choses plus graves… il faut être jeune, cher ami, pour tailler comme tu le fais dans les consciences ! Il vrai que la « réserve » n’est pas une attitude que l’on se donne mais une vertu qui s’acquiert avec l’expérience… ou les épreuves. Sans me faire plus psychologue que je ne le suis, j’avais déjà deviné que tu pensais ce que tu me dis à ce sujet à des détails qui ne trompent pas. Tu sais bien par ailleurs que je ne suis pas toujours – et de plus en plus depuis quelques années – maître de mes nerfs. J’ai une bonne excuse, même si, pour autant que tu puisses me dire, elle ne vaut que pour moi. Après vingt ans de travail de galérien, de jours enfiévrés par de multiples besognes et de nuits sans répit, ma récompense jusqu’à aujourd’hui est un « échec » total. La ruine et la médiocrité. D’autres auraient abandonné et j’en ai eu plus d’une fois l’aigre tentation… Baste ! Je compte plutôt sur le changement de vie tant espéré pour reprendre goût aux choses et retrouver mon équilibre – et aussi un peu de sommeil si cela était Dieu possible – Si votre confiance me permet de le faire, car je ne me sens pas le courage de travailler si je n’ai pas l’esprit libre – c’est tout ce qui me reste aujourd’hui à part des hypothèques, et donc j’y tiens.] 11. Fonds Ismaël Girard, Collège d’Occitanie, lettre de Robert Lafont à Ismaël Girard, 10 novembre 1951. 12. Fonds Ismaël Girard, Collège d’Occitanie, lettre de Félix Castan à Ismaël Girard, 10 novembre 1951. 13. Fonds Robert Lafont, CIRDOC, lettre de Léon Cordes à Robert Lafont, 30 novembre 1953. [J’ai souffert plus que toi et financièrement aussi car : j’ai travaillé six mois sans toucher un sou – essaie avec six personnes à nourrir et tu verras si c’est facile ! – Pour tenir le coup je me suis endetté pour une somme aussi importante que ton apport financier total (avec la catastrophe qui vient de m’arriver ces dettes pèsent durement sur ma situation actuelle). 2° - C’est toi, et il me plaît que cela soit porté à l’écrit, qui à trois reprises a foulé au pied l’amitié et dévalorisé l’estime véritable en laquelle je te tenais : - en m’écrivant en novembre 51 une lettre inspirée – déjà ! – par Girard, insultante pour moi, honteuse pour toi, En reniant ta parole solennellement donnée et en te faisant le complice du vol conscient et organisé à mon préjudice dont tu avais avec les autres monté le scénario. (Si ce n’est toi qui l’avais monté, approuvé ou pas, tu l’exécutais et c’est seulement ta complicité ou ta lâcheté qui en permettaient l’exécution) – En espaçant, depuis le moment où tu as travaillé avec les autres à me voler la paye de mon travail – si durement gagnée !!! – nos relations.] 14. Op. cit. p. 35.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 88

AUTEUR

YAN LESPOUX

Université Paul-Valéry Montpellier III

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 89

Bibliografia generala de Leon Còrdas

Françoise Bancarel et Marie-Jeanne Verny

Òbras de Leon Còrdas

Cronicas, articles, obratges pedagogics, divèrses

Revistas

Occitania

1 1934 : « Tocas païsanas. Temps passat amb temps d’ara », n° 1, 7 mars 1934, p. [3]

2 1934 : « Tocas païsanas », n° 2, 7 avril 1934, p. [2-3]

3 1934 : « Tocas païsanas. Una politica occitana », n° 3, 7 de mai 1934, p. [3]

4 1934 : « Tocas païsanas. Una cultura occitana », n° 6, 7 d’agost 1934, p. [3]. (signé « Léon Mairane ») 5 1935 : « Responsa d’un païsan occitan... », n° 19, 7 de setembre 1935, p. [3]

6 1935 : « La defensa païsana. Als joves païsans Miechjornals », n° 20, 7 octobre 1935

7 1936 : « Pachas comercialas », n° 24, 7 de febrer 1936, p. [1]. (signé « L. Mairana »)

8 1936 : « Sus un match de rugby, al jogaire R. Raynal », n° 24, 7 de febrer 1936, p. [2]

9 1936 : « Respelido », n° 26, 7 d’avril 1936, p. [3]

10 1936 : « Lo nòstre regionalisme es occitanisme », n° 29, 7 de julhet 1936, p. [1]

11 1937 : « Cronica dou theatre d’òc », n° 37, 7 d’octobre 1937, p. [2]

12 [1938] : « Cronica del theatre d’òc », n° 39, p. [4]

13 [1938] : « Emili Barthe », n° [40], p. [3]

14 1938 : « Una cansoneta nova », n° 41, jun 1938, p. [1]

15 1938 : « Cronica del teatre d’òc », n° 42, agost 1938, p. [3]

16 1938 : « Cronica del teatre d’òc », n° 43, outobre 1938, p. [3]

17 1939 : « Cronica del teatre d’òc », n° 45, janvier 1939, p. [3]

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 90

18 1939 : « Occitania viva : Beziers », n° 46, febrier 1939, p. [1-3]

19 1939 : « Ausiguèri una menina », n° 46, febrier 1939, p. [2]. (signé G. de Menèrba)

20 1939 : « Theatre d’òc », n° 48, abrilh-mai 1939, p. [3]

21 1939 : « Cronica del teatre d’òc », n° 45, junh 1939, p. [2]

22 1939 : « Lo teatre occitan », n° 50, junh 1939, p. [2]

Terra d’òc

23 1940 : « Intercomprehensión », n° 2, febrier 1940, p. [1]

24 1940 : « A la conquista d’un public », n° 6-7-8-9-10-13, 1940

25 1941 : « Nostre teatre », suppl. au n° de mars 1941

26 1941 : « Cronica del teatre d’Oc », n° 17, mai 1941

27 1941 : « Cronica del teatre d’Oc », n° 19, julh 1941

28 1941 : « Cronica del teatre d’Oc », n° 21, setembre 1941

29 1941 : « Cronica del teatre d’Oc », n° 22, octobre 1941

30 1941 : « Cronica del teatre d’Oc », n° 23, novembre 1941

31 1943 : « Teatre d’Oc, cronica », n° 41, mai 1943

32 1943 : « Teatre d’Oc, cronica », n° 43, julh 1943

33 1943 : « Cronica del teatre d’Oc », n° 45, setembre 1943

34 1943 : « Cronica del teatre d’Oc. E los joves ? », n° 47, novembre 1943

35 1944 : « Cronica del teatre d’Oc », n° 52, abrilh 1944

36 1944 : « Cronica del teatre d’Oc », n° 55, julh 1944

L’Ase negre

37 1946 : « L’actualitat teatrala », n° 3, octobre 1946

38 1946 : « Lo taulier enfadat », n° 5, decembre 1946

39 1947 : « L’actualitat de 1907 », n° 6, janvier 1947

40 1947 : « Cronica de teatre d’Oc », n° 6, janvier 1947

41 1947 : « Cronica de teatre d’Oc », n° 6, janvier 1947

42 1947 : « L’actualitat teatrala », n° 8, abrilh 1947

43 1947 : « Tendéncias economicas e socialas occitanas », n° 12, setembre-octobre 1947

Occitania

44 1948 : « À la rencontre de l’esprit nazi », n° 2, febrier-març 1948

45 1948 : « Conversa amb Jòrdi Rouquier », n° 3, abrilh-mai 1948

46 1948 : « Lo nostre teatre. Autors novels, peças novelas », n° 4, junh 1948

47 1949 : « Lo teatre. Un ser de 43 d’E. Vieu », n° 9, febrier-març 1949

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 91

Lo Gai Saber

48 1936 : [brinde de Léon Cordes] « La XVIIe Fête de l’Escòla Occitana, 5 mai 1936 », Lo Gai Saber, n° 140, p. 131

49 1940 : Hommage à Prosper Estieu, n° 185-188, p. 140-141

50 1949 : « L’œuvre théâtrale d’Émile Barthe », n° 232, p. 540-544

ÒC

51 1949 : « Condicions de la prosa d’oc », n° 174, p. 22-26

52 1951 : « Cinema » cronicas, n° 182, p. 40-42

53 1952 : « Cinema » cronicas, n° 184, p. 45-47

54 1952 : « Teatre » cronicas, n° 185, p. 45-47

Autres

55 1964 : Théâtre et littérature populaires d’oc, Marseille, IEO, brochure ronéotée, Imprimerie SOCEDIM, 21, cours d’Estienne d’Orves

56 1974 : Le petit livre de Minerve / Lo pichòt libre de Menèrba , préface de René Nelli, illustrations de Jean-Luc Séverac [et de Léon Cordes lui-même], 1974, s.l. 57 [1975] : L’occitan fondamental, « Apreni lèu-lèu l’occitan », Animation de Léon Cordes, IEO Espandiment, s.l., s.d. 58 1975 : Troubadours aujourd’hui. Trobadors al segle XX. Raphèle-les-Arles, Éditions C.P.M.

59 1978 : « Quelques notes sur une translation des troubadours », Mélanges Charles Camproux. Montpellier, Centre d’études occitanes, t. 1, p. 71-74

Teatre

60 1932 : La Matalena (3 actes en vèrs), inedita e non creada

61 1936 : La Nòvia (1 acte), Estampariá Jòrdi Vieu, Olonzac, creada

62 1937 : Prudòm de la luna (3 actes), inedita mas creada

63 1938 : Tres per un (recuèlh de tres pèças creadas), Estampariá Jòrdi Vieu, Olonzac :

64 Lo diable es en campanha (6 estapetas)

65 La LCP (1 acte) publiée dans ÒC, n° 3, 1940

66 Barrabàs (4 estapetas)

67 1938 : Cantarana (3 actes e 4 quadres), inedita mas creada

68 1940 : L’enfant de la Bona Novèla (pastorala en 1 acte), inedita mas creada

69 1941 : Remembrança (2 actes e 1 prològ), inedita mas creada

70 1943 : Lo camin nòu (4 actes), inedita e non creada.

71 1944 : Quand se parla d’amor (2 actes, amb Antòni Debernard), Lo Chamin de Sent Jaume, 2004, creada 72 1945 : La banda negra (1 acte), IEO, 1961, creada

73 1947 : Lo miralh (1 acte), Aubanel, 1948, creada

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 92

74 1944-51 :

75 La Font de Bonas Gràcias (3 actes e 4 quadres), Aubanel, 1955, creada

76 La Font de Bones Gràcies (version catalane de Xavier Fabregas), Occitania-Barcelona, 1967, editada e creada en catalan 77 1965 : Lo monument (1 acte), inedita e non creada

78 1966 : Lo mistèri Frocan (8 quadres), inedita e non creada

79 1968 : L’Anèl (1 acte), Quasèrns pedagogics de l’IEO, non creada

80 1969 : L’Òme de Menèrba, inedita e non creada

81 1970 : Lo còp del lapin (1 acte), inedita e non creada

82 1983 : Menèrba 1210 (1 prològ e 9 tiradas), IEO, creada

83 1983 : Cabucèlas e Picapol (1 acte), inedita e non creada

84 1984 : Castèlboc (comèdia de 6 tiradas), inedita e non creada

Pròsa

Recuèlhs

• Los Macarèls I, Toulouse, IEO, coll. A Tots, 1974 • Sèt pans, Toulouse, IEO, coll. A Tots, 1977 • La batalha dels teules, Montpellier, Les presses du Languedoc, coll. Espandi occitan, 1979 • Los Macarèls II, (La Beguda de Joannes), Toulouse, IEO, coll. A Tots, 1982 • La Route des gueux, préface Rémy Pech, Argelliers, Groupe OC, Cs Prod, 2016, cf. http:// www.groupe-oc.com/fr/16-la-route-des-gueux-leon-cordes-roman.html#.V7qkY6JGRkU

Revistas

Tèrra d’òc

• « Respelida », n° 11, nov. 1940 • « Fangas e fum, novèla de L.C. », n° 3, març 1940 • « L’extraordinària e polida aventura de Borra-Micas e Remena-Michau », n° 36, decembre 1942 ; n° 38, febrier 1943

Occitania

85 « La corrida », n° 1, genier de 1948

ÒC

86 « La vespa », n° 180, avril 1951, p. 15-20

Òbra poetica

Recuèlhs, inedits o editats

87 Al mirar d’aquesta riba 1940 [Informacion Jean-Marie Petit]

88 Flors de Santa Estèla (sous le pseudonyme de Prudòm de la luna) [Informacion Jean-Marie Petit]

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 93

89 Sieis pouèmos a dire (avant 1936) : « La Janeto » ; « Evangeli » ; « La ripalho ; « Lo veire en man » ; « Dintratz dedins » ; « Canto-coucut », est[amparia] J. Vieu, [193. ?] 90 Cançons, amb Irénée Delmas, La Redorte (debuta de las annadas 1940) : « Nostre bounur tout nòu : Fox-trot , « Pouemo d’amour : Tango », « Tralalalà : Valso », « Lou boun encountre : Marcho-step », « La cansoun de filhol : Marcho, « Los braconiers d’amor, canson » (inédit ?) 91 « La cansoun de filhol : Marcho » supl. a Terra d’òc, n° 5, 1940

92 Libret de las doas cents rimas (Cahier de deux cents rimes) 1. Aquarèla, 1946 (« Messatges) 2. Respelida de Centelhas, 1960 (« Amis de Centeilles ») 3. Branca tòrta, 1964 (« Messatges ») 4. Dire son si, 1975 (Comptador generau dau libre occitan) 5. Se conti que conte, 1980. 6. Fial de fum, dans : Òbra poetica (CIDO) posthume 1997

Revistas

Lo Gai saber

• « Fulhs al azart » (Feuillets au hasard), supplément au n° 140 du Gai Saber, juin 1936, p. 207-211, Églantine d’argent aux Jeux floraux de l’Académie de Toulouse 1937 • « Los forcelons », n° 156, octòbre 1937, 293, primé aux Jeux floraux de l’Académie de Toulouse 1937 • « La riba doça », n° 164, junh 1938, p. 160-161 ; le poème est donné dans son intégralité aux pages 185-189 de la revue. Primevère aux Jeux floraux de l’Académie de Toulouse 1938

L’Effort (Toulouse)

93 N° 6, juin 1937, « Una pichona que ris »

94 N° 7, septembre 1937, « Los faucils » et « Alenada »

La Cigalo narbouneso

95 N° 206, abril 1935, « Pastourèlo », p. 53-56

96 N° 215, janvier 1936, la revue des félibres narbonnais se réorganise. C’est Léon Cordes qui signe alors (en graphie mistralienne) l’éditorial de cette nouvelle formule de « la Cigalo reviudado » (La Cigale ressuscitée), sous le titre connoté de « Respelido »

La Campano (Rodez, juin 1937-février 1938)

97 N° 7, décembre 1937, p. 41-42, diptyque « Vendemias », p. 41-42

L’Ase negre

98 « Segas », n° 10, junh 1947

ÒC

• n° 163, 1943, « Cançon de l’espera », p. 9, reprise dans Aquarèla • n° 165, 1943, « Lunas », p. 7

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 94

• n° 166, 1944, « Partença », p. 6 • n° 168, 1945, « Penelopa », p. 22 • n° 169, 1946-1947-1948, « Joia, la meuna joia » « Lanlera ! », p. 101-102 • n° 175, 1950, « L’ora » « Lo somni », p. 12-13 • n° 187, 1953, « Sega », p. 23

Entretiens sur les Lettres et les Arts

99 « Conversa / Dialogue », n° 5, printemps 1956, p. 24-25 (texte occitan avec trad. française de l’auteur et Frédéric-Jacques Temple)

Marche romane

100 Maquet, Albert (trad.), « I ploût des steûles », n° 2-3, 1952, p. 123 (traduction en wallon d’après Plóu d’èstelas, poème languedocien extrait de Aquarela)

Òbras sus Leon Còrdas

Articles e obratges

101 Allier, Max, recension de Los Macarèls I, ÒC, n° 25, automne 1975, p. 83-84

102 Casanova, Jean-Yves, recension de Los Macarèls II, La beguda de Joannes, Jorn n° 11, 1984

103 Delavouët Max-Philippe, [compte rendu d’Aquarèla], Marsyas, n° 251, janvier-février 1947, 1303-1304 104 Durand, Jacques, recension de La batalha dels teules, Connaissance du pays d’oc n° 38, Montpellier, juillet-août 1979, p. 64 105 Espieux Henri, compte rendu d’Aquarèla, OC, n° 173, 1949, p. 36-37

106 Gardy Philippe : « Léon Cordes ou le “mythe de Minerve” », in Marie-Jeanne Verny, Les Troubadours dans le texte occitan du XXe siècle, 2015, Garnier, études et textes occitans, 1 107 Gardy Philippe, « Léon Cordes ou le “mythe de Minerve” », in Marie-Jeanne Verny, éd., Les Troubadours dans le texte occitan du XXe siècle, 2015, Garnier, Études et textes occitans, 1, p. 221-229 108 Gardy Philippe, « Léon Cordes, entre le réel et le mythe », in Paysages du poème. Six poètes d’oc entre XXe et XXIe siècle, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2014 109 Larzac Jean, compte rendu de Branca tòrta, Letras d’Oc, n° 4, 1965, 16.

110 Larzac Jean [compte rendu de Branca tòrta], Viure, n° 2, estiu 1965, n.p.

111 Longevilles, Pascal des, « Conversation avec Léon Cordes, poète et vigneron », Terroir, revue bimestrielle de pensée et d’action rurales, n° 17, janvier-février 1947, p. 13-17 112 Negre, Ernest, recension de La batalha dels teules, Gai Saber n° 382, avril 1976, p. 35

113 Pécout Roland, « Le Minervois se met en scène », Connaissance du Pays d’oc, n° 71, Montpellier, novembre-décembre 1985, p. 40-45 114 Petit Jean-Marie, Leon Còrdas / Léon Cordes. Notice biographique, bibliographie, iconographie, témoignages, critiques, études, textes… 115 Petit Jean-Marie, « Quand coneiràs que la paraula te conven… Les premiers chemins de Léon Cordes », in Philippe Gardy et Marie-Jeanne Verny (éds), Max Rouquette et le

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 95

renouveau de la poésie occitane. La poésie d’oc dans le concert des écritures européennes (1930-1960), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2009, p. 183-188 116 Rouquette Yves, « Léon Cordes, homme de parole et d’action », photos Charles Camberoque, Montpellier, Connaissance du Pays d’oc, n° 72, janvier-février 1986, p. 52-57 117 Rouquette Yves, compte rendu de Branca tòrta, Viure, n° 2, estiu 1965, n.p.

118 Rouquette, Yves, « Léon Cordes, la vie devant soi », Déclics, magazine de la vie associative, culturelle et artistique de l’Hérault, n° 5, janvier 1988, p. 16-17. Photos Charles Camberoque 119 Rouquette, Yves, « Le vers est bon et naturel » [suivi de] Textes de Leon Còrdas estrachs de Branca tòrta e Dire son si, Entailles, n° 4, mai-juin 1976, p. 12-30 120 Rouquette Yves, En occitan. Une histoire buissonnière de la littérature d’oc, Valence d’Albigeois, La Dépêche / Vent Terral, 2013 : 121 « Leon Còrdas : avec humilité, l’œuvre indispensable », 4 mai 1974, p. 29

122 « Leon Còrdas : Los Macarèls, pour refuser l’inadmissible, 16 novembre 1974, p. 55

123 « Troubadours aujourd’hui, présentés par Léon Cordes », 1er août 1975, p. 99

124 « Trobadors al sègle XX : Léon Cordes ose adapter à la langue d’oc du XXe siècle les poèmes des troubadours », 23 décembre 1975, p. 129 125 « Leon Còrdas, Dire son si : précieuse soit la parole, contenu le cri »), 6 janvier 1976, p. 131 126 « Sèt pas de Léon Cordas. Néo-réalisme pas mort. Lettre suit », 22 novembre 1977, p. 221

127 « Des tuiles et des hommes » [sur La Batalha dels teules], 4 décembre 1979, p. 363

128 « Léon Cordes : Se conti », 9 décembre 1980, p. 393

Ressorças numericas e discografia

Ressorças numericas

• Jornada d’estudis e d’omenatge a Leon Còrdas del 22 de novembre de 2013, organizada per la còla de recercas LLACS, RedÒc, captacion sonòra en linha : http ://occitanica.eu/omeka/ items/show/3418 • Videoguide Léon Cordes, poète paysan [imatges animats] : http ://occitanica.eu/omeka/items/ show/5281 ?lang =oc ( version occitana) e http ://occitanica.eu/omeka/items/show/5281 ? lang =fr (version francesa) • fichas de présentation en ligne : http ://biblimulti.locirdoc.fr/items/show/266 – Ficha « Vidas » : http ://vidas.occitanica.eu/items/show/2062 • Sul sit UOH : « 1000 ans de littérature d’oc. Des textes. Des auteurs » (J.-C. Forêt e M.-J. Verny) : presentacion de Leon Còrdas : http://uoh.univ-montp3.fr/1000ans/?p=886 • Sul sit del collectiu Còp-Sec : http://collectiu-copsec.com/index.php/collectiu-cop-sec/ lezards-d-u/lo-barrut

Discographie

129 2016 : Lo son d’aquela votz, Léon Cordes - poèta païsan : poèmas meses en musica interpretats per un collectiu d’artistas, produsit per lo collectiu Còp-sec, acompanhat d’un libret amb los tèxtes : • « Cançon de l’ametlièr » (La mal coiffée)

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 96

• « Los taxis de Barcelona » (Grail’òli) • « Plòu d’estelas » (Magali Cordes) • « Mas mans » (Asuèlh) • « Lo darrièr crostet (Urban balèti) • « Maquinas de vendemiar » (Laurent Cavalié) • « Romanin » (Mauresca) • « Jòia la mieuna jòia » (Michel Decor) • « Mairana » (Marianne Evezard) • « Los lops » (Du Bartas) • « Lo Boièr » (Jean-Marie Petit) • « Fial de fum » (Touristar) • « Veiràs, te menarai » (Michel Decor) • « Lo sòmi » (Hum) • « E tango, tango » (Lo barrut)

130 2009 : « Punta d’alba », Laurent Cavalié, Sòli solet. CD, Sirventés, Aurillac

131 2009 : « Canti per los », La Mal coiffée, A l’agacha. CD, Sirventés, Aurillac, AD1444C

132 2004 : Michel Mulleras chante... Léon Cordes et Max Rouquette, Béziers, Euphonia Productions 133 1988 : Menèrba 1210, Phonothèque de l’ODAC

134 1984 : « La vielha fada », Tolosa tango : Hommage à Carlos Gardel, Toulouse, Revolum

135 1980 : « Cançon de l’ipí », Jacmelina, Cerrièras del temps, Toulouse, Revolum

136 1978 : « Menèrba », Claudia Galibert, A Peire, Francés, Maria e los autres... Ventadorn, 33t. VTD 323 137 1978 : « Occitania », Eric Fraj, Subrevida. Private Press, CC 78.006

138 1977 : « La cançon de l’ametlier », Claudia Galibert, Escota mon grand. Ventadorn, 33t. VS3L26 139 1974 : « Canti per los... », Gérard Franco, Papeta calhau, 45t., Béziers, Ventadorn

140 1970 : « La cançon de Marcabrun », Claude Martí, Occitania !, Béziers, Ventadorn ‎– VM 3 L 4

AUTEURS

FRANÇOISE BANCAREL

(CIRDOC)

MARIE-JEANNE VERNY

Université Paul-Valéry, Montpellier III (REDOC/LLACS)

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 97

Varia

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 98

Nuno Fernandez Torneol et Johan Zorro.Correspondances intertextuelles

Miguel Ángel Pousada Cruz

NOTE DE L'AUTEUR

Ce travail s’inscrit dans les projets de I+D+i Lírica profana galego-portuguesa et La expresión de las emociones en la lírica románica medieval (FFI2012-37355), coordonnés tous deux par la professeure Mercedes Brea et respectivement financés par la Secretaría Xeral de Política Lingüística (Xunta de Galicia) et par le Ministère de Science et Compétitivité. Le groupe GI-1350 Románicas (Filoloxía, Literatura medieval) de l’USC, dont fait partie l’autor, coordonne, en outre, le Rede de Estudos Medievais Interdisciplinares (R2014/012), financé par la Xunta de Galicia et cofinancé par le Fondo Europeo de Desarrollo Regional (FEDER). Adresse électronique : [email protected]. Je remercie Gérard Gouiran de sa révision détaillée.

1 Si nous analysons en détail les corpora poétiques attribués à Nuno Fernandez Torneol et à Johan Zorro, nous pouvons établir entre quelques-uns de leurs poèmes une série de corrélations qui pourraient être le fruit du hasard, mais qui attirent l’attention de toute personne qui s’y intéresse à cause de leur caractère particulier et isolé dans l’ensemble de la lyrique galicienne-portugaise. La relation entre ces éléments est suggestive, car ces coïncidences ne se limitent pas à l’emploi de « traits popula-risants » partagés avec d’autres agents lyriques, mais vont jusqu’à l’utilisation d’expressions poétiques déterminées que l’on ne trouve que dans les compositions de ces deux auteurs.

2 Si nous examinons la bibliographie critique de référence portant sur l’étude des “traits popularisants” qui se trouvent dans les cantigas des trovadores galiciens-portugais (Filgueira 1992 [1985] ; Brea 2003), nous rencontrerons un ensemble d’éléments formels communs à ces compositions : l’emploi du refrain ; la préférence pour les strophes composées de distiques monorimes avec prédominance du schéma rimique aaB ; la

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 99

présence du parallélisme (verbal, structural ou sémantique) ; l’utilisation du leixapren ; l’emploi d’assonances ; l’apparition d’irrégularités métriques ; le recours à des solutions phonétiques archaïsantes ; l’introduction directe du dialogue ; l’alternance de synonymes poétiques. On trouve aussi des éléments thématiques caractéris-tiques, comme la présence de motifs (dont certains de caractère symbolique) qui se réfèrent directement à la nature, à des parties du corps féminin et des vêtements, ou qui, sans utiliser les termes qui s’y réfèrent, expriment des actions en relation avec ces motifs ; la présence de la mère dans ses différents rôles actanciels – obstacle, confidente / complice, etc.– (Sodré 2008) ; l’importance de la nature comme cadre de l’action poétique ; et l’image prota-goniste qui reflète une jeune femme qui déplore l’absence de l’amoureux, aspire à l’instant de leur rencontre, exprime sa joie, etc. (Brea 2003 : 449-463). 3 Ces éléments communs « popularisants » permettent de mettre en relation la production poétique de Torneol avec celle de Zorro. Néanmoins, étant donné qu’ils sont communs à un nombre plus important d’auteurs1 de la lyrique des trobadores, ils ne suffisent pas à démontrer une connexion entre ces deux-là. Pour cette raison, nous procéderons à une analyse détaillée des coïncidences qui lient les chansonniers de Zorro et de Torneol et qui, en dernière analyse, nous frappent dans la mesure où ces éléments ne sont employés que dans leurs compositions2.

Le terme ler

4 Dans les études consacrées au lexique littéraire de la lyrique galicienne-portugaise, les débats académiques sur le substantif ler occupent une place importante et concernent différentes strates philologiques et littéraires des compositions dans lesquelles il figure. Entre autres questions, le débat a porté sur l’étymologie et la signification de ce mot, ainsi que, compte tenu des différentes leçons transmises par les manuscrits colocciens, sur la façon dont il devrait être édité. Les lectiones variae conservées dans la branche italienne de la tradition manuscrite présentent pour ce terme de possibles erreurs dérivées du processus de copie et, étant donné qu’il se trouve à la rime, une correction consciente a pu affecter la structure rimique des compositions où il figure. Cela a été le point de départ d’un débat auquel ont participé diverses autorités académiques, depuis Varnhagen (1870) jusqu’à Tavani (1958), en passant par Michaëlis de Vasconcelos (1904), Nunes (1926-1928), Rodrigues Lapa (1929) ou Paxeco Machado (1947 et 1949).

5 Ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est de constater que les apographes de la Renaissance n’ont transmis que deux cantigas où est attestée la forme ler : il s’agit des cantigas 83,43 et 106,22 qui sont attribuées l’une à Johan Zorro et l’autre à Nuno Fernandez Torneol4 :

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 100

6 On peut constater que la poésie de Torneol comprend deux strophes de plus que celle de Zorro, ainsi qu’une fiinda, mais toutes deux correspondent à la typologie qui combine les distiques monorimes accompagnés de refrain (aaB) avec le recours au parallélisme et au leixaprén 5. De plus, elles emploient les mêmes rimes (qui comptent parmi les plus fréquentes) en alter-nance : -ar et -er (mais pas dans le refrain, où Torneol choisit une rime masculine en -or et Zorro préfère la féminine -ida). 7 Ces coïncidences sont particulièrement frappantes si l’on tient compte du fait que la pièce composée par Johan Zorro n’est pas une cantiga de amigo, mais d’amour (la voix poétique s’identifie avec le trovador et non avec l’amie)6, mais elles ne sont pas suffisamment significatives – quoiqu’elles permettent de relier ces trobadores avec un groupe d’auteurs assez bien délimité –, ce qui rend nécessaire de prêter attention à des aspects qui peuvent avoir plus d’importance, comme le fait que « mar » ne figure à la rime que dans un total de onze pièces7, parmi lesquelles ces deux-là ; et, plus encore, à la faible présence des « barcas » dans la tradition galicienne-portugaise, où, en dépit du fait qu’on parle de l’existence de barcarolas et/ou mariñas 8, elles ne sont attestées que chez les deux auteurs dont nous parlons et Juião Bolseiro9 ; cette donnée peut bien présenter un plus grand intérêt que les précé-dentes, parce qu’elle restreint considérablement la fréquence d’emploi d’un terme qui appartient au lexique quotidien. 8 Quoi qu’il en soit, aucune de ces affinités n’est comparable à l’emploi exclusif d’une forme aussi particulière que le substantif ler, considéré comme un archaïsme10 (Vasconcelos 1904, II : 926 ; Rodriguez Lapa 1929 : 177-181) et pour lequel on a proposé divers étymons (en particulier – en admettant la variante lez des manuscrits –, LATUS : Paxeco Machado, 1947 : 56-58 et 1949 : 29 ; Machado 1990[1952], III : s.v. Lez / LICET ou un étymon arabe : Cunha 1949 : 80) et significations, depuis celle de « chantier naval / estaleiro » – (Varnhagen 1870 : 145 et 146)11, « plage » (Nunes 1928, III : 634),

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 101

« quai / ancoradouro, cais » (Cunha 1949 : 80) à celle de « mar » ou « beiramar » (Vasconcelos 1904, II : 926). 9 Leandro Carré Alvarellos défend l’émendation en ler et opte pour mettre le terme en rapport avec le gaélique leoir (« assez, rassasiement » ou « assouvi »), l’ancien breton lirou (« eau de mer »), le gallois moderne llyr (« mer ») et l’irlandais ler (« mer ou océan »), puis déduit de la quatrième strophe de la poésie de Nuno Fernandez Torneol que si « foi-las atender » (esperar, aguardar en gallego antiguo) a las barcas que están « eno ler », es que las barcas no están en la playa sino en algún lugar de donde vienen : que llegan de fuera ¿ De donde ? En gaélico existe una palabra Leoir (pron. Liôér) que puede traducirse por : bastante, lleno, hartazgo (enchente, en gallego), y esto nos ha inducido a creer que ler muy bien pudiera ser la marea, el alto mar, lo que daría pleno sentido a la estrofa (Carré 1949 : 342). [si « foi-las atender » (attendre en ancien galicien) les bateaux qui se trouvent « eno ler », c’est que les bateaux ne se trouvent pas sur la plage mais dans un lieu d’où ils viennent : qu’ils arrivent de l’extérieur. D’où ? En gaélique, il existe un mot Leoir (pron. Liôér) qu’on peut traduire par : assez, plein, satiété (enchente, en galicien), et cela nous a incité à penser que ler pourrait bien être la marée, la haute mer, ce qui donnerait tout son sens à la strophe] 10 Carré étaie son argumentation en disant que, dans les cantigas de amigo avec parallélisme qui utilisent la technique du leixapren, on rencontre souvent à la rime la répétition de concepts par l’intermédiaire de mots distincts mais synonymes (cf. les doublets bien connus amigo~amado, fazer~lavrar ou encore aguardar~atender qui figurent dans nos poèmes) ; en conséquence, « fácil es conjeturar que ler equivale a mar » (1949 : 343)12.

11 C’est Giuseppe Tavani qui a mené à bien l’étude la plus complète du terme dans un article approfondi qui, selon nous, a conclu la polémique ; non seulement il réexamine en détail la bibliographie suscitée par cette discussion scientifique, mais encore il analyse la structure métrique et les rimes des deux poésies (ainsi que d’autres cantigas de amigo attribuées à leurs auteurs) pour justifier ses arguments, ce qui est insolite dans le cas que nous traitons. Il part de l’hypothèse qu’admettre la leçon lez dans ces deux poèmes, en prenant pour argument le fait que dans les deux compositions alternent des rimes et des assonances, est difficile à justifier si « se ha perdido de vista la estructura complexiva de las cantigas » (1958 : 49) ; et il réfute les arguments avancés par Elza Paxeco (1947 et 1949) pour expliquer sa lecture, car, quand bien même il existerait en ancien portugais une forme lez (< LATUS, par un emprunt à l’a. fr. lez) avec le sens de « côté », l’extension sémantique de « côté, bande » à « marge » serait totalement injustifiée. Il conclut que la forme lez dans les deux poèmes ne pourrait être acceptée que si son étymon était l’ancien français led/let/leez, au sens de « largeur, large », en prenant le terme au sens de « vaste, étendu » avec une signification semblable à celle de l’adjectif alto, dans les contextes trouba-douresques, de alto mar ou alto rio 13 où, selon lui, il signifie « profond ».14 Il considère, en revanche, que l’hypothèse de Carré qui établit un lien entre ler et les formes qui existent dans différentes langues celtes serait étayée, en outre, par une série d’éléments rythmiques, structurels et sémantiques dont il fait lui-même l’analyse dans ce travail comme nous l’avons signalé15. De même, Tavani se demande par quel chemin ce terme a pu parvenir en Galice ; il passe sous silence la possibilité qu’il s’agisse d’un substrat linguistique celte, car il serait peu probable que, dans un pays où la mer est si importante, le mot n’ait été conservé que dans deux

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 102

documents ; aussi opte-t-il pour reconnaître en ler « un elemento de parastrato de penetración relativamente reciente respecto de la fecha de su única documentación » (1958 : 57) et provenant des relations – déjà existantes dès avant le Haut-Moyen Âge – entre le nord-ouest de la péninsule et les régions nordiques : les trobadores auraient recueilli la forme ler, « aun cuando estuviera ya reducido a un fósil lingüístico », pour l’intégrer dans les poèmes à cause des exigences liées à la rime et aux structures et des correspondances en parallèle de ce type de cantigas de amigo (1958 : 59). 12 L’absence de données et d’hypothèses nouvelles ne nous permet pas d’établir d’étymon indiscutable pour ler, mot qui, comme on peut le vérifier dans le DDGM et dans le TMILG, ne connaît pas d’autre occurrence en galicien-portugais. De même, nous n’avons pas pu la répertorier non plus dans la lyrique occitane, si bien que son origine est toujours un mystère si nous n’acceptons pas les hypothèses avancées jusqu’à ce jour. Ce qui est indubitable, c’est que le mot se rapporte à la mar, puisqu’il fonctionne comme synonyme de ce terme. Mais c’est précisément cette étrangeté qui donne une plus grande importance au fait qu’il ne soit employé que par Torneol et Zorro dans deux cantigas qui montrent tant de concomitances de traits rarement présents dans le corpus profane galicien-portugais et qui s’avèrent corroborées par le caractère exclusif de ce ler qu’elles partagent.

Les noisetiers en fleur

13 Une autre coïncidence notable des chansonniers de Nuno Fernandez Torneol et Johan Zorro est la mention des noisetiers dans les poésies 83,1 (Zorro) et 106,18 (Torneol). Cet arbre est rarement présent dans notre lyrique profane : il n’est justement attesté (et sous différentes formes) qu’à ces deux reprises et deux autres qui leur sont fortement associées : outre le avelãal (106,18) 16 de Torneol et les avelaneyras (83,1) de Zorro, c’est Airas Nunez qui, en reprenant leurs cantigas, mentionne avelanal et avelanedo dans la cantiga 14,9, et avelaneiras et avelanas dans la 14,517.

14 Le réseau des relations qui se tisse dans ce cas fournit des données qui peuvent présenter un grand intérêt, car, à la différence de ce qui se passait précédemment, il n’existe pas de similarités nettes entre les cantigas 106,18 et 83,1, si bien que la seule connexion qu’on peut établir entre elles réside dans l’impor-tance accordée à la localisation de l’amie sous cet arbre (de plus, Torneol le souligne particulièrement en construisant le refrain avec cette référence au lieu), mais non seulement cette indication ne semble pas fortuite, mais encore le troisième des auteurs qui mentionne le noisetier, Airas Nunez, le fait précisément à partir de Torneol et Zorro en reprenant ceux-ci (au moyen d’une citation pour l’un et d’une recomposition pour l’autre) dans les deux cantigas. 15 Ainsi, son originale « pastorela » (14,9)18, qui répond à une typologie connue comme avec refrains, reproduit à la troisième strophe, avec de petites altérations, la première strophe de la cantiga de Torneol19 ; et l’invitation au bal20 des jeunes sous le noisetier (14,5) sigue (« suit ») directement la cantiga de Zorro (en lui ajoutant une troisième strophe).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 103

16 Les connexions entre les cantigas 83,1 et 14,5 sont évidentes (Tavani 1992[1963]), tant du point de vue de la forme que de celui du sujet ; il n’en va pas de même cependant entre 106,18 et 14,9, où la relation est d’un autre type : la pièce d’Airas Nunez s’édifie en reproduisant « à la manière de refrain » ce qui semble être des strophes (probablement, initiales) ou le vers refrain de poèmes d’autres trobadores qu’il devait bien connaître. Des quatre citations, la troisième reproduit avec de légères modifications la première

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 104

de Torneol, de la même façon que la quatrième a de fortes similarités avec la cantiga 83,8 de Johan Zorro et que la seconde s’achève avec un vers identique au refrain de l’ escarnio de amor 147,7 de Roi Paez de Ribela21. On ne remarque pas non plus, au-delà de la construction avec le parallélisme, de ressemblances entre les cantigas de Torneol et de Zorro, raison qui donne encore plus d’importance au choix qu’ils font tous deux d’un arbre qui ne semble avoir intéressé aucun autre trobador22. 17 Dans sa monographie sur la chanson de femme dans la lyrique médiévale, Pilar Lorenzo (1990 : 235) souligne que les poèmes qu’on peut classer sous cette étiquette ont coutume de renoncer à la topique de l’exorde printanier. Néanmoins, dans certains textes, on remarque un ou plusieurs indicateurs d’un paysage idéal (locus amoenus) qui sert de décor aux protagonistes. Parfois ce rôle est attribué aux arbres et c’est le noisetier qu’on emploie souvent pour désigner le « lugar del amor » (1990 : 242). Dans les cantigas de amigo, nous rencontrons, de même que dans les chansons de femme du reste des traditions romanes, un symbolisme hétérogène qui dérive de la confluence de différents matériaux provenant de sources diverses (Lorenzo 1990 : 230). Cependant, il faut souligner, comme le rappellent Brea et Lorenzo (1998 : 116), que « os textos que se decantan por esta alternativa estilística son unha minoría dentro do cancioneiro de amigo ». En effet, 22 compositions seulement, soit 5 % du total, appartenant à onze auteurs23, dotent la nature d’une fonction spécifique (symbolique ou non) qui met en évidence les diverses facettes de la relation amoureuse24. Les noisetiers représentent une certaine importance dans la conception médiévale du monde : en effet, comme ils font partie des premiers arbres à fleurir à l’arrivée du printemps, ils ont souvent fonctionné comme signum de cette saison. Pilar Lorenzo signale également qu’on associe des propriétés fertilisantes au noisetier et à son fruit. Cet arbre, auquel on attribue dès l’Antiquité un caractère magique (les druides et les poètes en ont fait un grand usage) a également été employé comme symbole de la patience et de la constance, « ya que, a pesar de florecer pronto, es necesario esperar sus frutos durante largo tiempo » (Lorenzo 1990 : 242). Cela lui permet de signaler que, même si elle est triste et coitada, peut-être la jeune femme de la cantiga de Nuno Fernandez Torneol espère que le noisetier « traiga un cambio de situación, que le permita estar con el amigo y obtener el lezer ~ vagar que desea » (1990 : 243). 18 Dans les cas qui nous concernent, nous rencontrons diverses émotions et situations amoureuses dont fait toujours l’expérience l’amiga et où tous les éléments présents sur la scène semblent nous placer à un moment proche du printemps : avelaneiras frolidas, avelaneiras granadas, guirlanda de flores, ramo d’estas avelanas, ramo frolido, ramo verd’ e frolido, etc. C’est ainsi que la cantiga de Nuno Fernandez Torneol décrit les souffrances qu’éprouve une jeune fille incapable de veer, falar, dizer et mostrar la coita à son amoureux. Dans les deux « bailadas », la voix poétique de la jeune fille s’adresse à ses amies pour les exhorter à danser velidas, loadas, louçanas… sous le noisetier en fleur. Dans le cas de la pastourelle d’Airas Nunez, le je lyrique raconte la rencontre sur une berge avec une bergère qui pleure mui de coraçon parce qu’elle a le mal de amores, une jeune fille qui soupire et se plaint (comme celle de Torneol), tandis qu’elle chante ce que nous supposons avoir été des cantigas connues qui mentionnent le noisetier et les rameaux verts et fleuris, et qu’elle tresse des guirlandas de flores ; dans ce dernier cas, à cause des exigences qui viennent du sous-genre lyrique même, la bergère est la protagoniste de l’action que décrit un je lyrique qui l’observe de loin en silence, à la différence de ce qui se passe dans d’autres traditions lyriques romanes.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 105

19 Quoi qu’il en soit, ce qui importe maintenant est de mettre en évidence que les oeuvres de Torneol et de Zorro étaient connues d’Airas Nunez (ce qui montre que leurs poésies étaient anté-rieures aux siennes – ou pour le moins leur étaient contempo-raines – et connaissaient une certaine diffusion ; c’est aussi de mettre en lumière la relation qui permet d’établir indirectement entre eux en empruntant à chacun dans deux cantigas différentes25 cette référence (nous insistons sur le fait qu’ils étaient les seuls à la partager jusqu’à ce qu’Airas Nunez la reprenne) au noisetier en tant qu’arbre qui abrite l’amie (ou la danse d’un groupe de jeunes filles).

Amar amigo

20 Dans le petit groupe de cantigas que nous venons de commenter, on est également frappé par l’emploi de l’expression figée amar amigo ou amigo amar26 :

21 (a) Nuno Fernandez Torneol, 106,18 [éd. Pousada] : por amar amigu’ e non o veer (v. 2) ; por amar amigu’ e non lhi falar (v. 5) ; Por amar amigu’ e o non veer (v. 7) ; Por amar amigu’ e non lhi falar (v. 10). 22 (b) Airas Nunez, 14,9 [éd. Tavani] : amar amigu’ e non ousar veer ! (v. 23).

23 (c) Johan Zorro, 83,1 [éd. Cunha] : s’ amig’ amar (vv. 4 et 10, refrain intercalaire).

24 (d) Airas Nunez, 14,5 [éd. Tavani] : se amigo amar (vv. 4, 10 et 16, refrain intercalaire).

25 Bien que ne soient pas rares dans le corpus lyrique profane galicien-portugais les expressions figées qui fonctionnent à la façon de stylèmes, l’expression amar amigo, ou sa variante amigo amar, n’est pas souvent utilisée par les trobadores. Ce syntagme s’avère très intéressant parce qu’il réunit dans un même syntagme et dans la même pièce une des principales formes actantielles des cantigas, l’amigo, avec l’action fondamentale que recherche l’autre actant, l’amiga, c’est-à-dire aimer. Néanmoins, chaque texte utilise diverses nuances qui sont en relation avec des émotions différentes27. 26 La cantiga de amigo de Nuno Fernandez Torneol se focalise, nous l’avons vu, sur la grande coita que souffre la protagoniste féminine. Dans cette poésie, l’émotion qui transparaît se compose de tristitia et de timor, au point d’en devenir étouffante : la jeune femme demeure immobile et craintive devant son amoureux : elle n’ose ni le regarder, ni lui parler, ni lui manifester les souffrances qu’elle éprouve. Cependant, elle se montre cupida amandi et réitère jusqu’à quatre fois cette idée par le biais de l’expression por amar amigo. On notera que la cantiga 14,9 de Airas Nunez cite dans les vers du refrain de la troisième cobra, avec des variations qui lui sont propres, les vers initiaux de ce même poème de Torneol, de sorte que, dans cette cantiga « métalyrique », l’atmosphère triste qui se reflète dans le cantar cadre parfaitement avec la tristesse de la pastor qui, tout en tressant des guirlandas de flores, sanglote et se plaint, pleure et chante une triste cantiga qui reflète fidèlement l’état d’âme qu’elle-même éprouve. Le génie poétique d’Airas Nunez lui permet de mettre en relation ce qu’il y a d’innovateur dans le sous-genre de la pastorela avec d’autres poésies de l’école galicienne-portugaise qui ont probablement été connues au point d’être citées et actualisées sous sa plume. 27 La cantiga 14,5 de Airas Nunez, toujours en relation avec la cantiga 83,1 de Johan Zorro qu’elle semble contrafazer, situe l’action lyrique au début de la saison printanière. Dans le cas présent, comme le rappelle Lorenzo Gradín (1990 : 243), les jeunes protagonistes emploient la condition se amigo amar dans le but de souligner la condition indispensable

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 106

pour faire partie de la danse sous le noisetier fleuri, qui n’est autre que d’aimer l’amigo, car « el arbol florido indica que se está en tiempo de amor ».

En guise de conclusion

28 L’analyse des œuvres de Nuno Fernandez Torneol et de Johan Zorro ne permet pas de tirer des conclusions définitives sur les coïncidences évoquées, et il est clair que la plus grande partie d’entre elles se produit entre 83,4 et 106,22, mais dans une tradition telle que celle des trobadores, il est bien rare que de telles coïncidences ne soient que le fruit du hasard : au contraire, elles indiquent en général soit la reconnaissance de la maestria (auctoritas) d’un trobador de la part d’un autre, soit une contrafacture parodique.

29 Si nous procédons à une vérification de la disposition des cantigas (et de leurs auteurs) dans les manuscrits, nous voyons que les œuvres attribuées à Zorro ont été transmises dans l’ensemble correspondant à ce qu’on appelle convention-nellement, à la suite d’Oliveira (1994 : 199-205), « cancioneiro de jograis galegos », alors que Torneol a été intégré à la tradition dans une phase antérieure, étant donné que ses compositions respectent la division tripartite en genres28 et que ses cantigas de amor ont été recueillies dans le Cancioneiro da Ajuda ; Airas Nunez, pour sa part, est intégré à ce qu’on appelle le « cancioneiro de clérigos »29. On connaît fort peu de choses sur les biographies de chacun d’eux, même si l’on admet habituellement que le clerc de Compostelle a mené ses activités dans un temps postérieur (entre la fin du règne d’Alphonse X et le début de celui de Sancho IV) à celui des deux autres, qui ont pu fréquenter une cour poétique vers la moitié du XIIIe siècle. 30 Si l’on combine les deux types de données (tradition manuscrite + références biographiques), il faut supposer que Nuno Fernandez Torneol est le plus ancien et, par conséquent, celui qu’a imité Johan Zorro (et, naturellement, Airas Nunez). En outre, peut-être est-il possible d’établir un lien entre Torneol et une famille proche des milieux de Saint-Jacques de Compostelle (Souto 2012 ; Pousada 2016), région où en général on localise aussi Airas Nunez (Tavani 1992[1963]). Zorro reste une énigme : en principe, on l’a déjà dit, il fait partie du « cancioneiro de jograis galegos », mais, par ailleurs, ses allusions à Lisbonne et au roi du Portugal semblent le situer à la cour portugaise. 31 Quoi qu’il en soit, étant donné que nous ne disposons d’aucune certitude sur les lieux et les dates où s’effectuèrent les diverses compilations de lyrique galicienne-portugaise, et bien moins encore sur la diffusion des poèmes qu’elles contiennent, il semble que les œuvres de Nuno Fernández Torneol ont été connues et imitées par Johan Zorro, et celles de tous les deux par Airas Nunez qui les cite explicitement. Il n’est pas possible d’interpréter l’emploi de ler comme une coïncidence fortuite, compte tenu des spécificités du terme et de sa présence exclusive dans la cantiga de amigo (106,22) de Torneol et dans la cantiga de amor (83,4) de Zorro, dans tout l’ensemble de la tradition galicienne-portugaise. Les deux poèmes appartiennent à un groupe de textes qui font référence à la mer30 et celle-ci y joue un rôle important ; comme le signalent Brea et Lorenzo (1998 : 262), la mer est un élément significatif chez les trobadores galiciens, si bien qu’elle a constitué pour la critique un sous-groupe thématique que nous connaissons comme mariñas ou barcarolas31 et que l’on a habituellement associé au type de cantigas de amigo 32 caractérisé par l’emploi du refrain, le parallélisme et les traits

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 107

popularisants. Quoi qu’il en soit, cette coïncidence textuelle entre les deux cantigas évoque cette attraction inspiratrice des peuples portugais et galiciens pour la mer évoquée par Nunes dans l’étude introductive de son édition, qui les poussait à comparer « o espectáculo diário das suas águas, ora tranqüilas e romansosas, ora agitadas e bravias » avec leur cœur qui « do mesmo modo umas vezes pulsava sossegadamente, outras se agitava sob o influxo de fortes paixões » (Nunes 1973 : 24-25) ; ainsi, cette étendue d’eau agit comme une cause de séparation ou de rencon-tre pour les amoureux (Alvar 1993 : 78-79 ; Brea 1998b : 312-313 ; Brea-Lorenzo Gradín 1998 : 262-265), en se liant ainsi à la fois avec les émotions de la tristitia (parfois jointe à la timor) et de la laetitia. 32 Sur un deuxième plan, la mention du noisetier en fleur comme lieu en relation avec l’amour représente un autre point de rencontre des chansonniers de Nuno Fernandez Torneol et de Johan Zorro, et cette nouvelle coïncidence introduit sur l’échiquier du jeu un autre actant important : le trobador Airas Nunez. L’habileté avec laquelle celui-ci cite dans la cantiga 14,9 les vers initiaux des cantigas 106,18 de Nuno Fernandez Torneol et 83,8 de Johan Zorro est plus que connue des critiques qui se consacrent à l’étude de la lyrique des trobadores de la péninsule, car la pièce constitue un exemple parfait de chanson avec refrains, une technique poétique peu usuelle dans la tradition ibérique33. Ainsi que l’indique Xosé Xabier Ron (1996 : 492), dans cette pastorela, « Airas se adhiere a la técnica de seguir con acierto, ya que los refranes, identificados como citas, se encuentran contextualizados no sólo por el marco que les confiere cada estrofa, sino también por la función que desempeñan con respecto a las estrofas y a la semantización global de la cantiga ». Le corpus poétique du clerc trobador a également été pris en compte par la composition 14,5 où, à part le vers de l’incipit, Airas Nunez reprend la première strophe de la cantiga 83,1 de Johan Zorro, pour créer ensuite les deux autres cobras en utilisant quelques variations thématiques (Tavani 1992 : 45). Pour certains critiques, comme Tavani (1992 : 145), cette composition serait également un exemple de contrafactum34, car « a analoxía non poderá ser máis có resultado dunha reelaboración, por parte dun dos poetas, do poema do outro : e o refacedor será con toda seguridade Airas Nunez, pois do seu gusto pola reelaboración de textos allegos temos recollido xa varias probas ». Il faut noter que les poèmes signalés auparavant (à savoir les cantigas 106,18 de Nuno Fernandez Torneol, 83,1 de Johan Zorro et les compositions 14,5 et 14,9 de Airas Nunez) utilisent également l’expression fixée amar amigo~amigo amar, et cette nouvelle coïncidence textuelle permet aussi d’établir des ponts entre les œuvres de Torneol, Zorro et, en fin de compte, Nunez. 33 Tout ce qui vient d’être exposé nous fait considérer que les coïncidences textuelles signalées entre les œuvres de Nuno Fernandez Torneol et Johan Zorro font pour le moins la preuve de quelques traits singuliers à l’intérieur des normes imposées par les canons de l’école. L’emploi du terme ler, la référence aux noisetiers en fleur35, l’utilisation du syntagme amar amigo sont de petits échantillons du grand génie poétique dont témoignent leurs textes. Ces registres exclusifs, ou très rares, pourraient avoir été, en fin de compte, le principal motif qui aurait poussé le clerc Airas Nunez à réutiliser des fragments de cantigas de ces auteurs. Cette réélaboration significative opérée par Airas Nunez permet en outre de comprendre la conscience d’école qu’avaient les trobadores et les jongleurs de la dernière période à l’égard de ces poèmes élaborés par les générations précédentes, cette conscience, ainsi que le rappelle Tavani (1992[1963] : 51) dans le cas du clerc, « non se limita a transcribir textos alleos, senón

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 108

que os modifica adaptándoos ás súas propias esixencias poéticas », c’est-à-dire, en améliorant ses modèles du point de vue conceptuel, métrique et de rime.

BIBLIOGRAPHIE

ALVAR, Carlos, s. v. « Barcarola (ou marinha) », dans Giulia LANCIANI et Giuseppe TAVANI (coords.), Dicionário da Literatura Medieval Galega e Portuguesa, Lisboa, Caminho, 1993, 78-79.

ASENSIO, Eugenio, Poética y realidad en el cancionero peninsular de la Edad Media, Madrid, Gredos, 1970.

BELL, Aubrey F. G., « Algumas observações sobre as Cantigas de Amigo », dans José ANTUNES RIBEIRO (éd.), Da poesia medieval portuguesa, Lisboa, Cultarte Editora, 2004[1929], 7-24.

BREA, Mercedes, « Pai Gomez Charinho y el mar », dans Carlos ALVAR et José Manuel LUCÍA MEGÍAS (éds.), La literatura en la época de Sancho IV (Actas del congreso internacional, Alcalá de Henares, 21-24 de febrero de 1994), Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá, 1996, 141-152.

BREA, Mercedes, « Andamos fazendo dança, cantando nossas bailadas ! (157,35) », Museo de Pontevedra, 52 (1998a), 387-407.

BREA, Mercedes, « ¿ Mariñas ou barcarolas ? », dans O mar das cantigas. Actas do congreso, Santiago de Compostela, Xunta de Galicia, 1998b, 301-316.

BREA, Mercedes, « Mariñas e romarias na ría de Vigo », Revista Galega do Ensino, 19 (1998c), 13-36.

BREA, Mercedes, « Elementos popularizantes en las cantigas de amigo », dans Carmen ALEMANY BAY, Beatriz ARACIL VARÓN, Remedios MATAIX AZUAR, Pedro MENDIOLA OÑATE, Eva VALERO JUAN et Abel VILLAVERDE PÉREZ (éds.), Con Alonso Zamora Vicente (Actas del Congreso Internacional « La lengua, la Academia, lo popular, los clásicos, los contemporáneos… »), Alacant, Publicaciones de la Universidad de Alicante, 2003, 449-463.

BREA, Mercedes (éd.), La expresión de las emociones en la lírica románica medieval, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2015.

BREA, Mercedes et Pilar LORENZO, A cantiga de amigo, Vigo, Xerais, 1998.

CARRÉ ALVARELLOS, Leandro, « Galaico-port. LER, m. s., y su significado », Boletim de Filologia, X (1949), 341-343.

CUNHA, Celso Ferreira da, O cancioneiro de Joan Zorro, Rio de Janeiro, Departamento de Imprensa Nacional, 1949.

FERREIRO, Manuel, « Edición e historia da lingua : Sobre a representación da nasalidade no trobadorismo profano galego-portugués e as formas “ irmana ” e “ afins ” », dans Manuel FERREIRO, Carlos Paulo MARTÍNEZ PEREIRO et Laura TATO FONTAÍÑA (éds.), Normas de edición para a poesía trobadoresca galego-portuguesa medieval, A Coruña, Universidade da Coruña), 2008, 77-96.

FERREIRO, Manuel, Carlos Paulo MARTÍNEZ PEREIRO et Laura TATO FONTAÍÑA (éds.), Normas de edición para a poesía trobadoresca galego-portuguesa medieval, A Coruña, Universidade da Coruña, 2008.

LANG, Henry R., Das liederbuch des Königs Denis von Portugal, Halle a. S., Max Niemeyer, 1894.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 109

LAPA, Manuel Rodrigues, Das origens da poesia lírica em Portugal na Idade-Média, Lisboa, Seara Nova, 1929.

LORENZO, Pilar, « La pastorela gallego-portuguesa : entre tradición y adaptación », Romanica Vulgaria Quaderni, 13/14 (1989), 117-146.

LORENZO, Pilar, La canción de mujer en la lírica medieval, Santiago de Compostela, Universidade de Santiago de Compostela, 1990.

LORENZO, Pilar, « A pastorela peninsular cronoloxía e tradición manuscrita », dans Mercedes BREA et Francisco FERNÁNDEZ REI (coords.), Homenaxe ó Profesor Constantino García, Santiago de Compostela, Universidade de Santiago de Compostela, 1991, vol. II, 351-359.

LORENZO, Pilar, s. v. « Pastorela », dans Giulia LANCIANI et Giuseppe TAVANI (coords.), Dicionário de literatura medieval galega e portuguesa, Lisboa, Editorial Caminho), 1993, 513-514.

LORENZO, Pilar, « Gomez Garcia, abade de Valadolide », dans Carlos ALVAR et José Manuel LUCÍA MEGÍAS (éds.), La literatura en la época de Sancho IV (Actas del congreso internacional, Alcalá de Henares, 21-24 de febrero de 1994), Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá, 1996, 213-226.

MACHADO, José Pedro, Dicionário etimológico da língua portuguesa com a mais antiga documentação escrita e conhecida de muitos dos vocábulos estudados, Lisboa, Livros Horizonte, 1990[1952].

MAGÁN ABELLEIRA, Fernando, « Sobre os sintagmas mar levado, mar salido, alto mar e mar maior », O mar das cantigas. Actas do Congreso, Santiago de Compostela, Xunta de Galicia, 1998, 141-153.

MONACI, Ernesto, Canti antichi portoghesi tratti dal Codice Vaticano 4803, Imola, Tipografia d’Ignazio Galeati e F., 1873.

MONACI, Ernesto, Il Canzoniere portoghese della Biblioteca Vaticana, Halle a. S., Max Niemeyer, 1875.

NUNES, José Joaquim, Cantigas d’amigo dos trovadores galego-portugueses, Lisboa, Centro do Livro Brasileiro, 1973[1926-1928].

OLIVEIRA, A. Resende de, « Do Cancioneiro da Ajuda ao “ Livro das Cantigas ” do Conde D. Pedro. Análise do acrescemento à secção das cantigas de amigo de ω », Revista de História das Ideias, 10 (1988), 691-751.

OLIVEIRA, António Resende de, Depois do espectáculo trovadoresco. A estrutura dos cancioneiros peninsulares e as recolhas dos séculos XIII e XIV, Lisboa, Edições Colibri, 1994.

PAXECO MACHADO, Elza, « ‘Arte de trovar’ portuguesa », Revista da Faculdade de Letras da Universidade de Lisboa, 13 (1947), 53-60.

PAXECO MACHADO, Elza, « À margem do ‘Dicionário Manual Etimológico’« , Boletim de Filologia, 10 (1949), 25-30.

POUSADA CRUZ, Miguel Ángel, « A tradición manuscrita das cantigas de Sancho Sanchez, clérigo », dans Pilar LORENZO et Simone MARCENARO (éds.), El texto medieval : de la edición a la interpretación, Santiago de Compostela, Universidade de Santiago de Compostela, Verba. Anuario Galego de Filoloxía, Anexos, vol. 68, 2012, 225-247.

POUSADA CRUZ, Miguel Ángel, El cancionero de Nuno Fernandez Torneol, 2016 [sous presse].

RON FERNÁNDEZ, Xosé Xabier, « Citar es crear. El arte de la cita en Airas Nunez », dans Carlos ALVAR et José Manuel LUCÍA MEGÍAS (éds.), La literatura en la época de Sancho IV (Actas del congreso internacional, Alcalá de Henares, 21-24 de febrero de 1994, Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá), 1996, 487-500.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 110

SEGRE, Cesare, « Gl’inserti popolareschi nella lirica e nel romanzo (sec. XIII) e la preistoria delle cantigas d’amigo », dans O Cantar dos Trobadores. Actas do Congreso celebrado en Santiago de Compostela entre os días 26 e 29 de abril de 1993, Santiago de Compostela, Xunta de Galicia, 1993, 315-328.

SODRÉ, Paulo Roberto, Cantigas de madre galego-portuguesas, Santiago de Compostela, Centro Ramón Piñeiro para a Investigación en Humanidades, Xunta de Galicia, 2008.

SOUTO CABO, José António, « En Santiago, seend’ albergado en mia pousada. Nótulas trovadorescas compostelanas », Verba. Anuario Galego de Filoloxía, 39 (2012), 273-298.

STEGAGNO PICCHIO, L., Martin Moya. Le poesie, Roma, Edizioni dell’Ateneo, 1968.

TAVANI, Giuseppe, « ‘Ler’. Por una corrección conjetural a las cantigas de amigo CV 246 = CB 645 y CV 954 = CB 1151-1152 », Boletín da Real Academia Galega, 327-332 (1958), 42-59.

TAVANI, Giuseppe, Repertorio metrico della lirica galego-portoghese, Roma, Edizione dell’Ateneo, 1967.

TAVANI, Giuseppe, Poesia del Duecento nella Penisola Iberica. Problemi della lirica galego-portoghese, Roma, Edizioni dell’Ateneo, 1969[1962].

TAVANI, Giuseppe, « A tradição manuscrita da lírica medieval », dans Giuseppe TAVANI, Ensaios portugueses. Filologia e Linguística, Lisboa, Imprensa Nacional, Casa da Moeda, 1988, 53-178.

TAVANI, Giuseppe, A poesía lírica galego-portuguesa, Vigo, Galaxia, 1991[1986].

TAVANI, Giuseppe, A poesía de Airas Nunez, trad. Rosario Álvarez Blanco, Vigo, Galaxia, 1992[1963].

TAVANI, Giuseppe, Trovadores e jograis, Lisboa, Caminho, 2002.

VARNHAGEN, Francisco A. de, Cancioneirinho de Trovas Antigas colligidas de um grande cancioneiro da Biblioteca do Vaticano, Vienna, Typographia I e R. do E. e da Corte, 1870.

VASCONCELOS, Carolina Michaëlis de, « Zum Liederbuch des Königs Denis von Portugal », Zeitschrift für Romanische Philologie, 19 (1895), 513-541 et 578-615.

VASCONCELOS, Carolina Michaëlis de, Cancioneiro da Ajuda, Halle a. S., Max Niemeyer, 1904.

Ressources numériques

Cancioneiro da Biblioteca Nacional, Biblioteca Nacional Digital, Lisboa, Biblioteca Nacional de Portugal, [édition numérisée].

Cancioneiro da Biblioteca Vaticana, Biblioteca Digitale Vaticana, Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, < http://digi.vatlib.it/view/MSS_Vat.lat.4803> [édition numérisée].

DDGM = SEOANE, Ernesto, Dicionarios de Dicionarios do Galego Medieval, Santiado de Compostela, Universidade de Santiago de Compostela, Verba. Anuario Galego de Filoloxía. Anexos, vol. 57, 2003.

MedDB2 = Base de datos da Lírica Profana Galego-Portuguesa, v. 2.3.3, Santiago de Compostela, Centro Ramón Piñeiro para a Investigación en Humanidades, , 2012.

TMILG = VARELA BARREIRO, Xavier (dir.), Tesouro Medieval Informatizado da Lingua Galega, Santiago de Compostela, Instituto da Lingua Galega, , 2004.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 111

NOTES

1. C’est ainsi qu’on notera qu’il y a près de quatre vingts cantigas de amigo qui suivent le schéma rimique aaB, soit presque 16 % du total des poésies de ce genre. 2. On peut en relever en outre (et cela représente une donnée importante, comme on tentera de le demontrer), dans l’oeuvre du clerc Airas Nunez qui entre en relation dialectique avec les premiers, par l’intermédiaire, entre autres techniques, de l’emploi du contrafactum. 3. Les références numériques des poésies ont été empruntées à la base de données MedDB2 du Centro Ramón Piñeiro para a Investigación en Humanidades, consultable en ligne . Sauf indication contraire, tout au long du travail, on indique la référence numérique (empruntée à Tavani 1967) de chaque composition telle qu’elle y figure. Les éditions que nous suivons reproduisent donc, sauf expresse indication, les travaux de Cunha (1949) pour les textes de Johan Zorro, de Pousada (2016) pour les cantigas de Nuno Fernandez Torneol, de Tavani (1963) pour les poésies d’Airas Nunez et de Nunes (1926-1928) pour les textes de Juião Bolseiro. L’emploi du gras et du souligné dans les textes est nôtre ; l’italique indique le refrain. 4. La présentation critique de ces deux cantigas a été réalisée par nous à partir de la reproduction digitale des chansonniers de Colocci, accessibles en ligne depuis la base de données citée, ainsi que dans les pages web de la Biblioteca Nacional de Lisboa et de la Biblioteca Vaticana. Nous nous sommes conformé aux normes éditoriales sur lesquelles on s’est accordé au congrès de l’Île de San Simón (Ferreiro et alii 2008). 5. Selon nos données, tirées de MedDB2 et les informations données par le répertoire métrique de Tavani (1967), près de quarante compositions répondent à la caractéristique combinatoire du dístico monorrimo, avec paralelismo et leixaprén, soit moins de 10 % des compositions de ce genre. 6. C’est sûrement ce fait qui a conduit Nunes à voir dans le poème de Johan Zorro une cantiga de amigo (cf. le texte nº CCCLXXXIII de son édition). 7. Il s’agit des compositions 60,13 de Gonçal’Eanes do Vinhal, 65,1, 65,3 de Johan de Cangas, 85,19 de Juião Bolseiro, 98,1 de Mendinho, 106,22 de Nuno Fernandez Torneol, 110,4 de Nuno Treez, 114,7 de Pai Gomez Charinho, 134,9 de Pero Meogo et des cantigas de amor, 83,4 de Johan Zorro et 114,17 de Pai Gomez Charinho. On notera que nous n’incluons pas dans ce calcul les pièces qu’on pourrait regrouper sous les étiquettes cantigas de escarnho e maldizer, cantigas encomiásticas, prantos ou cantigas morales, dont les occurrences ne se monterait guère qu’à neuf. 8. Voir sur ce point Brea (1998b, 1998c) et Brea-Lorenzo (1998 : 262-265). 9. En effet, le terme barcas ne figure que dans la production lyrique attribuée à ces trois auteurs (83,3, 83,4, 83,6 et 83,8 de Johan Zorro ; 106,22 de Nuno Fernandez Torneol ; et 85,14 et 85,19 de Juião Bolseiro). Outre la présence des barcas et la référence à mar (dans 83,6 et 83,8 on mentionne cependant le rio forte et la ribeira do rio), ces pièces présentent une série d’actions transversales qui permettent d’établir d’autres ponts entre les chansonniers individuels de ces auteurs. Ainsi, si nous laissons de côté la pièce 83,8, où la dona-virgo chante l’amour auprès de la ribeyra do rio et dit dans le refrain : “Venhan nas barcas polo rio / a sabor”, le reste des cantigas associent dans leur discours poétique la présence des barcas à l’idée du départ (présent ou futur) de l’ami ou de son retour imminent (83,6 ; 83,3 ; 85,14 ; 85,19 ; 106,22). De même, certains de ces textes se réfèrent également à la construction d’embarcations (novas) (83,3 ; 83,4 ; 85,19). 10. L’idée de l’existence d’archaïsmes dans les poésies a été émise, entre autres, par Monaci (1873 : IX-X), qui soutient que, dans le chansonnier galicien-portugais coexistent des poésies imitant les troubadours occitans et d’autres de caractère plus popularisant, où les archaïsmes représentent la confirmation de l’existence de ce second type, plus ancien. Cependant, il a fallu attendre H. Lang (1894 : XCIV et XCVII) pour que ces archaïsmes linguistiques qui figurent dans les cantigas de amigo (treyde, treydes, velida), en particulier dans celles qui comportent des

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 112

parallélismes, soient signalés. Le mot ler a été incorporé aux archaïsmes par Michaëlis (Vasconcelos 1895 : 600). 11. Cinq ans plus tard, dans son édition diplomatique du chansonnier de Colocci, Monaci a inclus une note se référant à cette émendation : « 246 Canc. n. XV. 5 C. en o ler. 11 C. ler » (Monaci 1875 : f432). 12. En 1949 également, Celso Ferreiro da Cunha (qui opte pour la forme qui s’achève par -z dans son édition de Johan Zorro) indique dans le glossaire le sens de « costa (do mar), beira-mar » (Cunha 1949 : 80). 13. Sur ces synonymes poétiques de mar, v. Magán (1998). 14. Il s’oppose également aux hypothèses étymologiques avancées par Cunha, car il lui paraît difficile d’établir un lien sémantique entre « costa (do mar), beira-mar » et une forme latine LICET, le galicien-portugais lezer ou l’arabe leziria. Aussi, à son avis, la leçon lez, présente dans les manuscrits, « no se presta a una plausible justificación etimológica y semántica de un supuesto lez ‘costa, ribera, orilla’, documentado únicamente en la expresión de lés a lés, en la cual, por otra parte, hay un lejano significado de una sugestión marina » (Tavani 1958 : 48-49). 15. De cette façon, una fois examinée la structure des rimes des deux textes, Tavani conclut que les auteurs n’emploient l’assonance que “en condiciones justificadas por la estructura paralelística o cuando menos en una serie orgánica de versos asonantados alternando o no con una serie asimismo orgánica de versos rimados. […] y que la única corrección posible es la de los lez y lex en ler (1958 : 54)”. 16. Même si la conservation du -n- dans ces mots a été mise en relation avec les archaïsmes (Ferreiro 2008), nous choisissons d’interpréter, dans le cas présent, par avelãal la forme qui figure dans les mss. 17. Dans le corpus d’Airas Nunez, le terme figure à trois reprises, qu’on peut probablement toutes expliquer par la technique du contrafactum, même si nous ne savons pas quelle a pu être la source du refrain de la strophe II de la cantiga 14,9. 18. Comme l’indique Lorenzo Gradín (1991 : 351), des neuf textes qu’on pourrait regrouper sous l’étiquette pastorela (75,3 de Johan Perez d’Aboim, 88,16 de Lourenço, jongleur, 116,29 de Pedr’Amigo de Sevilha, 63,58 de Johan Airas, bourgeois de Santiago, 25,129, 25,128 et 25,135 de Don Denis, 83,11 de Johan Zorro et 14,9 de Airas Nunez), seuls 63,58, 116,29 et 25,135 obéissent aux normes conventionnelles du genre. Le reste des textes, parmi lesquels figure la cantiga 14,9 de Airas Nunez, seraient des compositions de caractère hybride qui montrent que “non só era coñecido o xénero, senón que tamén tivo unha certa aceptación na Península Ibérica, polo menos dende mediados do século XIII, cando xa alcanzara nas tradicións galorrománicos un desenvolmento e un éxito importantes” (Brea-Lorenzo Gradín : 217-222). Pour plus d’ informations sur la question, v. également Lorenzo Gradín (1989), Lorenzo Gradín (1993) et Tavani (2002 : 283-290). 19. On peut supposer, vu le mode de composition employé (v., entre autres, Tavani (1969[1962] : 256-260 et Segre 1993 : 320-322), que ces vers qui servent de couronnement à chaque strophe reproduisent le début ou le refrain de cantigas de divers troubadours, mais pour les vers du refrain de la strophe I et pour les deux vers initiaux du refrain de la II (on notera que le vers e d’amores ei mal aurait pu être emprunté à la cantiga 147,7 de Roi Paez de Ribela), il n’est pas possible de trouver une référence claire, ce qui est très regrettable car, dans le refrain de la strophe II, on cite aussi un avelanedo, qui ne figure pas dans l’escarnho de amor de Roi Paez de Ribela (147,7). 20. Pour le thème de la danse dans les cantigas, v. Brea (1998a) qui analyse en détail cette question et passe en revue la bibliographie antérieure. 21. Il faut noter que, dans le refrain de la première strophe de 14,9, Airas Nunez met dans la bouche de la bergère une chanson dont nous supposons qu’elle fait référence à une cantiga inconnue dans laquelle l’ami se marie solo ramo verd’ e frolido [sous le rameau vert et fleuri], et la

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 113

jeune femme pleure donc son amour perdu. Le rameau vert et fleuri figure également dans deux poèmes de Don Denis (25,2 et 25,4), de sorte que soit les deux auteurs (Airas Nunez et Don Denis) l’ont emprunté à un troisième troubadour antérieur au clerc ou son contemporain, soit le roi portugais utilise comme point de départ l’œuvre de Airas Nunez. L’attention est également attirée par le fait que la référence aux rameaux figure aussi dans le refrain des cantigas 83,11 (Johan Zorro) et 128,3 (Pero Goncalves de Portocarreiro). Dans cette dernière poésie, nous rencontrons une jeune femme qui, en sanglotant se lamente, comme l’indique le vers du refrain (chor’eu bela), d’avoir perdu l’anneau de son ami so lo verde pino / ramo. Cette image nous ramène de nouveau au refrain de la strophe I de la pièce 14,9, où la bergère chante une chanson où elle pleure aussi solo ramo verd’ e frolido parce que, dans ce cas, son ami a perdu son célibat. 22. Il est clair que Airas Nunez l’inclut dans les textes où il suit l’un et l’autre. 23. « Nuno Fernandez Torneol, Johan Soarez Coelho, Martin Codax, Mendinho, Pero Meogo, Fernand’Esquio, Johan Zorro, Don Denis, Pai Gomez Charinho, Airas Nunez e Estevan Coelho son os trobadores que recorren á natureza para ilustrar un significado paradigmático que desvela os aenigma amoris’ (Brea-Lorenzo Gradín 1998 : 116). 24. Ces éléments naturels représentent pour Brea (2003 : 459) un des traits popularisants caractéristiques des pièces qui peuvent être rattachées au genre des cantigas de amigo. 25. Rappelons que, même si les références au noisetier (avec leurs renvois à Torneol et Zorro) figurent dans deux chansons différentes d’Airas Nunez, celui-ci réunit également ces deux troubadours quand il introduit des citations de tous deux dans les strophes III et IV de la cantiga 14,9. 26. Bien que l’expression amar amigo se trouve également dans l’incipit de 91,7 de Martin Codax (Quantas sabedes amar amigo), nous n’en parlerons pas ici, parce que cela nous éloignerait des objectifs du présent travail. 27. On peut consulter dans Brea (2015) de récentes études sur l’expression des émotions dans la lyrique romane médiévale, y compris l’école galicienne-portugaise. 28. Resende de Oliveira (Oliveira 1994 : 31) indique qu’il y a, dans les apographes italiens, plusieurs indices d’une organisation initiale qui ordonnait les trois genres poétiques canoniques ; parmi ces indices, il souligne les rubriques qui indiquent le début des sections qui correspondent aux cantigas de amigo (avant la cantiga B 626-V 227) et aux cantigas de escarnho et maldizer (avant la pièce B 1330bis-V 937). 29. V. Stegagno (1968 : 57-60 [58]). Tavani (1969[1962] : 174-175), lorsqu’il commente les différents Liedersammlungen que l’on peut détecter dans la tradition manuscrite de la lyrique profance galicienne-portugaise, remarque que, si l’on admet que Roy Fernandez de Santiago et Roi Fernandiz clerigo sont une seule et même personne, “ci troveremmo in presenza di una serie di chierici-trovatori riuniti assieme nella stessa sezioni del canzoniere, con poesie appartenenti ai generi più disparati : e in questa serie si potrebbe individuare la traccia di una preesistente raccolta antologica di poeti di estrazione clericale, messa assieme forse da uno di loro o da un estimatore particolarmente interessato alle attività poetiche dei chierici, e più tardi confluita nella tradizione canzonieresca dove tuttavia si è inserita conservando quasi intatta la propria individualità primitiva. La presenza all’interno della serie clericale di alcuni testi attribuiti a poeti che chierici non sono (Pero Goterrez, Estevan Perez Froyan e Per’Eanes Marinho) è facilmente spiegabile supponendo che questi ultimi siano stati inseriti nel canzoniere in un secondo tempo, nel corso di una successiva trascrizione ovvero sfruttando spazi inutilizzati dal copista precedente alla fine di due quaderni consecutivi”. Pour plus d’information sur ce liedersammlung, cf. Tavani (1991[1986] : 75-77 ; 1988 : 120 ; et 2002 : 115-116), Oliveira (1988 : 701-702, 715, 717-718 ; et 1994 : 196-197, 237-238, 240-241, 245-246), Lorenzo Gradín (1996 : 220-222) et Pousada (2012 : 225-230). 30. Brea (1998b) dresse une liste des cantigas de amigo qui font référence à la mer, aux bateaux et aux ondes. Cet ouvrage rassemble aussi les pièces qui appartiennent aux genres d’amor et d’

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 114

escarnho e maldizer dans lesquels se mentionnent également ces éléments. Voir aussi Brea (1996 : 143-145). 31. Eugenio Asensio (1970 : 40-55) analyse les « cantigas marineras » dans son étude spécifique sur les cantigas de amigo. 32. Carlos Alvar définit ces pièces comme « uma variedade de cantigas de amigo em que o mar, e por extensão um rio (synonyme combinatoire fréquent de mar), constituem o elemento essencial, pois são a causa da separação e o meio para o encontro dos apaixonados : a presença de ondas, ou de barcos que chegam, é só mais uma achega ao conjunto » (Alvar : 1993 : 78). 33. Au contraire de ce qui se produit au-delà des Pyrénées, où la « técnica de reutilización de textos líricos precedentes […] contaba cunha sólida tradición nas literaturas de oc e de oïl, onde se viu aproveitada con funcións e significados diversos, destacando o seu emprego na quinta parte do célebre Breviari d’amor de Matfre Ermengau e na nova de Raimon Vidal So fo el temps c’om era jais. Este peculiar recurso chegará ata Petrarca, que o introducirá na famosa canción Lasso me, ch’i’non so in qual parte pieghi » (Brea-Lorenzo 1998 : 181-182). 34. Cependant, Ron (1996 : 491) est d’avis que, dans 14,5 de Airas Nunez, « el modo de operar ha cambiado en su funcionalidad discursiva. La cita no da pie a un diálogo intertextual o interdiscursivo », si bien qu’il ne lui paraît pas exact de dire que le clerc agit, comme le dit Tavani (1992[1963] : 50), comme un « refacedor ». 35. Il serait intéressant de connaître l’origine de la cantiga citée dans la seconde strophe, car elle contient une autre référence au noisetier, encore anonyme jusqu’ici.

AUTEUR

MIGUEL ÁNGEL POUSADA CRUZ

Universidade de Santiago de Compostela

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 115

L’autrier trobei tras un fogier (P.-C. 162, 3) : lecture d’un sirventès de Garin d’Apchier

Jean-Pierre Chambon

Nos remerciements s’adressent à Geneviève Brunel-Lobrichon, France Lagueunière, Marjolaine Raguin, Gérard Gouiran et Yan Greub pour les indications dont ils ont bien voulu nous faire part.

1 L’autrier trobei tras un fogier appartient au cycle de pièces polé-miques et insultantes échangées vers le troisième quart du 12e siècle par les troubadours gévaudanais Garin d’Apcher et Torcafol1. Ce sirventès, qui ne compte que trois strophes, a été transmis par Da et, pour la première strophe seulement, par D. Dans les pages qui suivent, nous tenterons de contribuer à une meilleure compréhension d’un texte que Witthoeft (1891, 27) jugea « ganz besonders dunkel », ce qui est aussi l’opinion de Latella (1994, 83) : « si presenta ardua una piena comprensione ». Nous nous appuierons sur les éditions et les commentaires d’Appel (1890, 25-26), Witthoeft (1891, 63-64, 27), Latella (1994, VIII, 220-230) et Franchi (2006, 90-93)2.

Strophe I, vers 1

Appel (Da) « 1L’autrier trobei lonc un fogier ». Appel (D) « 1L’autrier trobei tras un fogier ». Latella « 1L’autrier trobei tras un fogier ».

Un incipit de pastourelle aussitôt démenti

2 Comme Latella (1994, 222) l’a indiqué avec beaucoup de justesse, « l’incipit trae, a tutta prima, in inganno sul genere cui è da ascrivere il componimento, giacché riunisce due elementi – l’indefinita allusione temporale (l’autrier) e il rinvenimento di qualcosa di inaspettato (trobei) – caratteristici e propi della pasto-rella, ma lo svolgimento distende le prime battute dell’esordio ». L’éditrice poursuit : « Lo scarto rispetto alla restante testura è probabilmente voluto e ricercato per creare un effetto quasi comico (tale

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 116

funzione pare avere l’improvvisa introduzione di un efas e di una noirissa là dove ci si aspetterebbe una pastora o comunque una descrizione bucolica) e per stimolare l’attenzione de l’uditorio sul messagio polemico che si voleva trasmettere »3. Parmi les pastourelles conservées que Garin d’Apchier a pu connaître, L’autrier trobei tras un fogier détourne clairement, comme l’a montré Vatteroni (2004, 258-259), un début de Marcabru (P.-C. 293, 30) : « L’autrier jost’ una sebissa / trobei tozeta mestissa » (éd. Gaunt et al. 2000, 378, v. 1-2)4.

Le sens de fogier

3 Le genre que la pièce commence par s’assigner induit l’auditeur/lecteur à anticiper un cadre champêtre : après la préposition tras, il s’attend à trouver, un syntagme nominal participant d’une « descrizione bucolica ». Pourtant, l’objet encore inconnu que l’énonciateur va découvrir n’est pas situé, comme on s’y attendrait, en pleine nature, mais au contraire « tras un fogier » (D) ou « lonc un fogier » (Da), c’est-à-dire, selon le savoir encyclo-pédique partagé, à l’intérieur d’une habitation. La rupture brutale de l’amorce de pastourelle, l’incongruité du cadre suggéré, l’effet de surprise que produit le faux aiguillage générique, tout cela concourt au plaisir du texte.

4 1.2.1. Toutes choses égales par ailleurs, il n’y a pas de raison en effet de donner au substantif fogier une autre valeur que son sens nucléaire en occitan médiéval : “lieu où l’on fait du feu, le plus souvent espace aménagé à l’intérieur d’un édifice, âtre d’une cheminée, foyer”5. Witthoeft (1891, 27) comprenait « an der Seite eines Ofens ». De toute manière, au point où en est l’audi-teur/décodeur à la fin du premier vers, il ne peut qu’assigner à fogier, au moins en première instance, son sens de base. 5 1.2.2. Le sens métonymique “casa, casolare” choisi par Latella au glossaire (Latella 1994, 268) et dans sa traduction (“casolare”, p. 221) n’est attesté ni par la lexicographie de l’ancien occitan, ni par le FEW6. Il conviendrait donc de démontrer en quoi le sens nucléaire ne convient pas et en quoi un sens métonymique s’impose ou du moins est préférable. En effet, selon l’axiome de Möhren, « tout sens nouveau est un sens faux » (sauf argumen-tation spécifique convaincante), la charge de la preuve revenant à l’inventeur d’un sens nouveau7. Attendons.

Tras ou lonc ?

6 Latella (1994, 220) édite « tras un fogier » en suivant D, tandis que D a porte « lonc un fogier ». Le choix de la préposition et la question de la portée sémantique de ce choix ne se posent guère à l’éditrice, dans la mesure où elle donne à fogier (à tort, selon nous, voir ci-dessus § 1.2.) le sens de “casa, casolare”. Dans cette hypothèse de lecture, tras prép. “(pour exprimer la postériorité spatiale), de l’autre côté de, derrière”8 convient mieux, en effet, que lonc “à une faible distance de, proche de, à côté de”9.

7 La leçon « long » (sic) est préférée par Witthoeft (1891, 64), qui traduit, nous l’avons dit, « an der Seite eines Ofens » (p. 27). Avec fogier au sens d’“âtre d’une cheminée, foyer” comme régime de la préposition, lonc “à une faible distance de, proche de, à côté de” paraît plus satisfaisant à première vue : on place un enfant au berceau (v. 2, voir ci- dessous § 2.2.2.) devant le foyer afin qu’il bénéficie de la chaleur, et le chat (v. 4) a l’habitude de se coucher près de l’âtre pour se chauffer. Toutefois, pour cette raison même et dans un texte qui démarre à contre-pied, « lonc un fogier » est, au plan

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 117

sémantique, une interprétation facilior. La leçon de D « tras un fogier » comporte une aspérité sémantico-référentielle qui doit justement la rendre préférable (comme le montrera, pensons-nous, l’analyse du reste de la strophe I et de la strophe II) : dans le monde ordinaire, un âtre suppose une cheminée (foyer + conduit) qui s’adosse à un mur, de telle sorte qu’on ne peut normalement rien apercevoir ‘derrière un foyer’. Cette aspérité doit aiguillonner et aiguiller le lecteur dans sa construction du référent : c’est un interprétant riffaterrien. Le texte pose l’existence d’un foyer, mais il n’y a pas de mur qui ferait obstacle au regard du poète.

Bilan

8 Selon Latella (citation ci-dessus § 1.1.), la rupture avec l’hypotexte des incipit de pastourelles ne se produirait qu’avec « on era us efas mes » (v. 2) et la suite (« improvvisa introduzione di un efas e di una noirissa »). Selon nous, cette rupture intervient plus tôt et plus brutalement sur « tras un fogier »10. Dès le premier vers, le poète construit l’horizon d’attente de l’auditeur/décodeur et le dément immédiatement. La fracture à l’intérieur du premier vers se fait sur un interprétant (« tras un fogier ») qui vise à stimuler l’interprétation et implique un programme de lecture : si l’encodeur entend prendre l’auditeur/décodeur à contre-pied, l’auditeur/ décodeur doit, pour l’entendre, prendre à son tour le texte à contre-courant et ne pas suivre la pente de la facilité. Contre-pied et inversion sont la règle de construction et la règle de lecture du texte.

Strophe I, vers 2

Appel (Da) « 2un crol’, onn era us efas mes » [ms. un]11. Appel (D) « 2un croille ab dos enfanz mes ». Latella « 2Un broill, on era us efas mes ».

La correction « broill »

9 Le texte de Latella se fonde sur Da, tout en introduisant un lexème restauré « broill ». « Al v. 2, écrit l’éditrice (p. 222), non si è creduto d’accogliere la lezione tràdita dai due testimoni disponibili (croille D, crol D a) dal momento che di crol non si rinviene, al di là della laconica e non altrimenti documentata attestazione del LR (II, 520, “berceau”), alcuna altra occorrenza nella letterature in lingua d’oc pervenuta ; anche nella prospettiva dianzi accennata è sembrato ammissibile il fraintendimento nell’ascendente dei due codici relatori della lettera iniziale dell’originario reperto broill, lessema veicolo di catatteristiche e caratterizzanti immagini e suggestioni così usitato negli esordi delle pastorelle provenzali da poter essere definito topico e quasi immancabile in questo genere di componimenti (e quindi nelle loro contraffazioni parodiche) ». La correction est admise par Franchi (2006, 92).

Défense de « crol’« /« croille »

10 L’argument qui consiste à justifier broill par l’idée que ce mot est « topico e quasi immancabile in questo genere di componi-menti (e quindi nelle loro contraffazioni parodiche) » ne nous semble pas facilement recevable. L’éditrice introduit une lectio

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 118

facilior (cf., dans ce sens, Gresti 1997, 373-374). Or, il ne faut surtout pas banaliser un texte dont la règle est le contre-pied.

11 2.2.1. D’ailleurs, au plan stylistique, l’emploi de broill n’aurait rien de réellement parodique, c’est-à-dire de caricatural : il ne s’agirait que d’une banale soumission aux clichés du genre pastoral. En outre, on n’a pas véritablement affaire, selon nous, à une « contraffazione parodica », mais à un vrai début de pastourelle immédiatement cassé. L’effet de surprise, voire de choc, obtenu dès le premier vers grâce à « tras un fogier », serait atténué de manière peu heureuse par « broill » et risquerait d’être anéanti par la réintroduction d’un cliché pastoral. Le texte ne saurait revenir en arrière. On ne peut songer, d’autre part, à corriger afin de mieux les comprendre tous les hapax qui peuvent se présenter en ancien occitan. Il vaut mieux se soumettre au texte transmis. 12 2.2.2. Du reste, le texte de Da « Un crolon nera un efasmes » = « un crol’, onn era us efas mes » (Appel 1890, 25) est intelligible et peut être défendu12. 13 Appel ne commente pas crol’, mais, puisqu’il connaissait à coup sûr l’article croille de Rn (2, 520) et le sens de “berceau” attribué à ce mot par ce lexicographe, ce sens allait de soi pour lui en tant que sens reçu, et ce d’autant plus évidemment qu’il est bien étayé par les éléments du cotexte onn, era […] mes et us efas. Witthoeft (1891, 27) comprenait de même « eine Wiege, worin ein Kind lag »13. 14 Or, si le substantif masculin crol’/croille n’est pas attesté ailleurs dans ce sens, ce n’en est pas moins un mot possible et bien formé en ancien occitan. Il se rattache en effet, pour le signifiant et le signifié, au groupe d’aocc. crotlar/crol(l)ar v. intr. “branler, trembler” et tr. “remuer, branler”14. Au plan formationnel, il s’agit du déverbal en -e15, attesté dans une autre valeur (nomen actionis) par alang. crotle s. m. “tremblement de terre” (PThalMontp)16. On peut également faire état de deux synonymes formés sur le même modèle déverbatif : aocc. bres s. m. “berceau” ¨ aocc. bresar v. tr. “bercer” (FEW 1, 336b, 337a) et auv. cros “berceau” ¨ aocc. crossar v. tr. “branler, secouer” (FEW 2, 1366a, *CROTTIARE). Pour le sens de “berceau” que nous attribuons à crol’, à la suite de Rn (2, 520), Appel, Witthoeft et Gresti (1997, 374)17, on peut comparer, avec Gresti, frm. (probablement rég.) crouler/crosler v. tr. “bercer (un enfant)” (Stœr 1625), flanqué de quelques données dialectales d’oïl (saint. aun. Côte-d’Or) dans FEW 2, 1229b (où l’on ajoutera mfr. rég. croler dans PassAuv, éd. Runnals 1982, 196 et n., v. 2572) 18. Quant à la forme « croille » de D (hapax dans Rn 2, 520 ; attestation non reprise par LvP et FEW), elle peut représenter le traitement [‑ʎ‑] du groupe ‑T’L‑, tandis que le traitement de crol’ serait celui des mots de la deuxième couche : voir Ronjat (1930-1941, 2, 239-240), qui donne des exemples de double traitement au sein d’une même famille lexicale. 15 Le cotexte (à savoir la suite du vers 2) permet de préciser la signification que le substantif efas assume en discours : “enfant qui ne marche pas encore, enfant au berceau, enfantelet”19. En langue, le sens est “jeune être humain (mâle), du stade embryonnaire à la 20e année” (Chambon/Vialle 1998, 375-376).

Le texte de D

16 D paraît en perdition devant un passage qu’il n’a pas compris, faute d’avoir saisi le sens de croille, comme le montrera la leçon « en un leit » au vers suivant (voir ci-dessous § 3.4.). Les mots « ab dos » dans « ab dos enfanz » semblent être des éléments de récupération tirés du vers 3 « ab dos cures ». Il convient donc, comme l’a fait Latella, sauf pour « crol’«, de suivre Da.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 119

Bilan

17 Au total, la correction « broill » est loin de s’imposer. Le vers 2 confirme la rupture qui s’est produite au premier vers avec le modèle de la pastourelle, et il l’accentue20. Alors que Marcabru (P.-C. 293, 30) trouvait dès le deuxième vers une très jeune fille (« una tozeta »), c’est un enfant au berceau que découvre le je du texte. Il y a assez clairement surenchère intertextuelle doublée d’une piquante inversion des genres, au moins au plan gram-matical ; Franchi (2006, 90) commente avec à-propos : « Non viene infatti incontrata una pastora, anzi non viene incontrata neanche una donna, bensì un neonato, in fasce, sorvegliato da un gatto nero, in un rapporto quasi antitetico con la pastorella usuale che invece prevede che si incontri non chi è custodito ma chi custodisce ». Chez l’auditeur/décodeur, l’impression d’incon-gruité déjà ressentie (voir ci-dessus § 1.2., 1.3., 1.4.) se confirme. Les ingrédients inattendus sont là, comme l’écrit Latella (1994, 222), pour « stimolare l’attenzione dell’uditorio » : le texte se construit progressivement comme une énigme21.

Strophe I, vers 3

Appel (Da) « 3e la olet’ e dos conres »22. Appel (D) « 3en un leit ab dos cures ». Latella « 3En un rolet ab dos conres ».

La correction « rolet »

18 Comme au vers 2, le texte de Latella se fonde sur D a tout en introduisant un lexème restauré : « rolet ».

19 3.1.1. L’éditrice justifie en ces termes la correction qu’elle opère : « La lettura somministrata per il v. 3 da D : e la olet e dos cures e da D a : en un leit ab dos conres si configura irrecepibile sia per motivi d’ordine logico (in special modo avulsa dal contesto la deposizione di D) che formale (impone subito cautela e sospetto l’ipometria di Da). Non si è forse troppo lontani dal vero postu-lando una diffrazione in absentia immediatamente dopo la seconda sillaba, là dove i due codici porgono rispettivamente olet et leit (la lezione di D a, pur concettualmente acettabile, appare lectio facilior), e assumendo una primitiva voce rolet, portatrice nel dominio linguistico gallo-romanzo, tra l’altro, del senso di “rotolo di tessuto”, “drappo arrotolato”, “tela leggera”, “striscia di battista riavvolta”, “lenzuolo avvolticchiato” (cf. God., VII, 229 ; SW, VII, 371 ; Mistral, II, 799 ; FEW, X, 511-17) » (Latella 1994, 222-223). Au glossaire, rolet est défini par “tela leggera” (Latella 1994, 279), tandis que la traduction donne, assez différemment, “len- zuolo” (« in un lenzuolo con due coperte », p. 221). La correction n’a pas manqué d’approbateurs : Gresti (1997, 374 « al v. 3, al contrario, sembra buona la ricostruzione rolet »), Franchi (2006, 92 “fascia”), Spetia (2011, 543 “fascia”)23. 20 3.1.2. À vrai dire, le lexème restauré rolet ne bénéficie en lui-même que d’un faible soutien en occitan : FEW (10, 513b, ROTULUS) ne mentionne qu’alim. rollet “sorte de drap” (1463)24, à côté de mfr. roulet “drap de couverture” (1453–1464). Mistral (2, 799 : seulement rol de drap “rouleau de tissu”), invoqué par Latella, ne fournit pas d’appui convaincant, et pas davantage à l’article roulet (2, 808).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 120

21 3.1.3. On ne peut écrire avec Latella (1994, 222), d’autre part, qu’au plan formel « impone subito cautela e sospetto l’ipometria di Da ». Dans Da, le vers 2 est en effet parfaitement 8-syllabique. Il n’est hypométrique que dans la note de l’éditrice, où sont hybridées, par inadvertance sans doute, les leçons des deux manuscrits :« D : e la olet e dos cures e [...] Da : en un leit ab dos conres », alors qu’on a en réalité D « En un leit ab dos cures » (-1) et D a « Ela olet edos conres ». L’apparat de Latella (1994, 220) décrit d’ailleurs correctement la situation. C’est donc D qui se dénonce comme inférieur par son hypométrie.

Défense de « olet’«

22 À notre sens, le texte de Da tel que Appel (1890, 25) l’édite (« e la olet’ e dos conres ») ne doit pas être abandonné ; il est intel-ligible et peut être défendu.

23 Appel (1890, 25, 26) a interprété « olet’« et a commenté ce mot de manière laconique, mais pertinente : « oleta n’est pas dans Rayn. Le mot sera un diminutif de ola ». Cette analyse donne satis-faction : oleta est certes un hapax en ancien occitan (ce que confirme la consultation de la COM2), mais c’est un mot possible et bien formé. Le simple ola est largement attesté 25 et le diminutif du type oleta “petite marmite ; petit pot, pot de moyenne gran-deur” est connu de divers parlers d’oc contemporains (mdauph. daupha. Isola, Ariège, Limagne dans FEW 7, 350a, OLLA) et aussi en Lozère (Escolo Gabalo 1992, 358 : ougeto, ‑leto “petite marmite”). Si Lv (5, 470) présente un article oleta sans séman-tisation, basé seulement sur les vers 1-4 de la pièce qui nous intéresse, avec un probe commentaire (« Die Stelle ist unklar »), cet auteur a néanmoins admis oleta “petite marmite” dans LvP (266), certainement sur la base du même passage de Garin. 24 Comme il a été question d’un âtre (v. 1), la mention d’une marmite est naturelle : le regard procède de proche en proche. Le passage de l’article indéfini dans un fogier (v. 1) et un efas (v. 2) à l’article défini dans la olet’ resserre et rapproche la description, et fait de olet’ un objet typique et familier dans l’univers que construit le texte (cf. Latella 1994, 223).

Le sens de conrés

25 Plusieurs interprétations de conrés ont été proposées.

26 3.3.1. Appel (1890, 26 n. au v. 3) renvoyait pour « conres, cures » à sa note au vers 2 de la pièce de Garin d’Apchier « Veillz Cumunal plaides » (éd. Latella 1994, 202, VI, v. 2), note où il est question de « corres, corretz “courroie” » (Appel 1890, 24 n. 2). Ce savant pensait probablement que le référent était des sangles maintenant le nourrisson emmailloté (Da) ou sur le lit (D). 27 Cette interprétation est sémantiquement cohérente. Néanmoins, au plan de l’expression, il y a trop loin de *[korˈretʃ] > *[-ˈets] > *[-ˈes], phonies certaines du métaplasme issu de CORRIGIA, à la graphie conres, pour qu’on identifie volontiers cette dernière forme à la même unité lexicale que correg/correi “courroie” 26. En outre, dans Da, « conres » est séparé de « un crol’, onn era us efas mes » (v. 2) par « e la olet’«, si bien que la suite des idées se perdrait. Dans D, qui n’a pas compris le passage et tente de

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 121

restaurer le sens (voir ci-dessus § 2.3. et ci-dessous § 3.3.), cures pourrait être, en revanche, un écho approximatif de corretz (voir ici n. 26). 28 3.3.2. Selon le glossaire de Latella (1994, 262), conré signifie “corredo, coperta”, mais en fait “coperta” comme le montrent la traduction (p. 221) et la note (p. 223) : « Il rimanente conres ha in ant. prov. (così come in ant. fr.) generalmente al singolare il significato lato di “corredo, equipaggiamento, panno di rivesti-mento” da cui non mi pare arduo ipotetizzare una restrizione e specializzazione semantica sfociante nel valore di “coperta”, del tutto pertinente e appropriato al contesto ». Le mot est donc compris comme un déverbal du verbe issu de *CONREDĀRE ; cette identification formelle ne peut être qu’approuvée. Franchi (2006, 93) et Spetia (2011, 543, 549) traduisent conrés par “panni”. 29 Toutefois, si le sens de “coperta” est « del tutto pertinente e appropriato al contesto », c’est pour la bonne raison qu’il est entièrement tiré du contexte, et d’un contexte reconstruit grâce à la correction « rolet » à laquelle le sens de “lenzuolo” a été précé- demment prêté par Latella (voir ci-dessus § 3.1.1.). Cependant, le sens de “coperta” n’est attesté nulle part pour conré, sauf erreur de notre part. Il s’agit donc probablement d’un « sens faux »27. 30 3.3.3. Quant à nous, nous proposons de donner à conré (déver-bal de *CONREDĀRE) le sens de “chacun des aliments qui entrent dans l’ordonnance d’un repas, mets”. D’une part, ce sens est attesté dans CroisAlb28 et chez PCard29. Ce sens est, d’autre part, compatible avec le cotexte : après l’évocation d’un foyer (v. 1) puis de la marmite (v. 3), le texte passe du contenant au contenu. L’emploi de l’adjectif numéral dos pourrait conduire à envisager chez Garin d’Apchier, à partir du sens en langue “mets”, une valeur de discours synecdochique et comptable : “partie d’un mets destinée à une personne, portion”. En tous les cas, il y a dans le pot commun de quoi faire le repas de deux personnes. Et de deux seules.

Le texte de D

31 Dans D, « leit » fait visiblement doublon avec « croille » (v. 2), mot dont le sens n’a pas été compris. Le vers de D apparaît donc comme une tentative pour récupérer, vaille que vaille, le sens du passage (voir ci-dessus § 3.3.1.) au détriment de la métrique (voir ci- dessus § 3.1.3.).

Bilan

32 Après la mention d’un enfant au berceau (v. 2), celle de la pitance qui mijote dans « la » petite marmite (ou a déjà été répartie entre deux contenants individuels tenus au chaud près de l’âtre), permet probablement au poète de faire allusion par métonymie aux géniteurs qui occupent les lieux, mais en sont absents à l’arrivée de l’énonciateur. On peut même être tenté par une interprétation plus radicale : l’homme faisant, seul, son apparition aux vers 5 et 7, le repas ne comportant que deux portions (celles de l’homme et celle de l’enfant ? voir ci-dessus § 3.3.3.), la famille aura été réduite à un veuf et à son enfant. Quoi qu’il en soit, la modestie de l’équipement domestique que dénote le diminutif au singulier oleta, le fait que les habitants n’ont pas de domestiques ni de convives à nourrir, le fait encore que leur ordinaire semble constitué d’un plat unique, tout cela concourt à imposer l’idée de leurs modestes conditions de vie. On a,

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 122

avant la lettre, un tableau de la vie des humbles, à la Coppée. (Dans un tel contexte l’absence criante de la mère est presque obligatoire : « Il n’est donc point de mère à ces petits enfants [...] ? », s’écriera Rimbaud dans Les Étrennes des orphelins, un pastiche de Coppée.)

Strophe I, vers 4

Appel (Da) « 4e la noirissa en un gat nier. » Appel (D) « 4e·l nuirissa, un chat nier. » Latella « 4E la noirissa : un gat nier. »

Le sens de noirissa

33 Latella (1994, 223) adopte une excellente méthode en accordant à noirissa « il significato primario “nutrice” » – le seul connu en ancien occitan30 – et en repoussant du même coup celui de “pupillo, allievo”, pourtant « ben attestato nel lat. med. » et celui de “cucciolo d’animale” que possède seul le substantif masculin noiritz (Lv 5, 406 = LvP), un masculin qui, du reste, étant typiquement gascon (voir FEW 7, 249b, NUTRICIUM), cadrerait mal avec la patrie de l’auteur : le Gévaudan. Comme l’a indiqué Vatteroni (2004, 258) l’emploi de noirissa est certainement une allusion intertextuelle au vers 12 de L’autrier jost’ una sebissa de Marcabru (P.-C. 293, 30) : « merce Diu e ma noirissa » (éd. Gaunt et al. 2000, 378)31.

Un chat noir

34 Selon Latella (1994, 223), le chat noir serait un attribut carac-téristique de la nourrice32 : « l’allusione al gatto nero potrebbe essere intesa come una rappresentazione caratterizzante, per similitude, il personaggio della nutrice, probabilmente ben noto al circolo degli uditori »33.

35 À notre avis, il n’y a pas lieu de parler du personnage d’une nourrice, qui aurait été plus ou moins notoire dans le milieu de Garin. Le passage doit être lu à contre-pied : le poète n’évoque la nourrice que pour faire comprendre qu’il n’y en a pas. Un chat se trouvant près du berceau, car il recherche égoïstement la chaleur du foyer, en fait office. Nous comprenons donc comme Witthoeft (1891, 27), mais sans point d’interrogation : « einen schwarzen Kater als Amme ( ?) ». Franchi (2006, 90) semble du même avis, puisqu’il parle d’« un neonato [...] sorvegliato da un gatto nero ». La modeste condition des occupants (ci-dessus § 3.5.) se voit confirmée. L’enfantelet a été laissé seul dans son berceau. Cet indice confirme indirectement l’absence de la mère, sans doute pour toujours34. 36 Le chat noir35, « sorcier, diabolique et dangereux »36, apporte indiscutablement à la scène une touche maléfique.

Gat ou chat ?

37 Quant à la forme « gat » que Latella (1994, 220) a choisi d’éditer, il s’agit de la leçon de Da, tandis que D porte « chat » ; seul gat est admis au glossaire (p. 269). Du point de vue géo-linguistique, cette solution présente l’inconvénient de risquer de perturber la

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 123

distribution géographique de gat, si un linguiste pressé attribuait cette forme à l’auteur, c’est-à-dire au Gévaudan ; voir FEW (2, 515a, CATTUS) et ALF 250 : le type gat n’apparaît que dans le domaine gascon et sur ses marges languedociennes ainsi que dans une partie des Bouches-du-Rhône et du Var. Dans la mesure où il est assuré que la forme à initiale chuintante sourde chat était celle du parler de l’auteur (cf. aussi ALLo 1345 et ALMC 567), la préférence devrait être donnée, nous semble-t-il, à la leçon « chat » de D (cf. Latella 1994, 91, pour son choix de certaines graphies).

Bilan

38 La « “scena” via via costruita » (Latella 994, 223) a de quoi éveiller l’attention de l’auditeur/décodeur. Après un incipit d’orientation narrative et au lieu des topoi que « L’autrier trobei » devrait déclencher, le texte prend un tour descriptif. Il énumère, au moyen de syntagmes nominaux, des éléments qui surprennent (et qui ont parfois désarçonné les copistes) sans dénommer pour autant l’entier du référent décrit. L’inventaire proposé n’en a pas moins sa cohérence. Ses éléments tissent une isotopie domesti-que : près d’un foyer, un enfant au berceau, « la » petite marmite, deux portions d’un même mets, pour toute nourrice un chat noir (et sans doute une mère absente). Sur la lancée des deux premiers mots, l’auditeur/décodeur s’attendait à une scène de nature. Or, il est au contraire aiguillé vers une scène d’intérieur. Pourtant, rien n’est venu lui signaler que la scène se passe à l’intérieur d’une demeure ; il a trouvé, au contraire, l’indication indirecte d’un mur qui pourrait manquer (ci-dessus § 1.3.). Le texte pose donc délibérément une question : comment concevoir, dans la réalité mondaine ordinaire, un intérieur en pleine nature ? S’il était vrai qu’au sens fort « un testo, qualsiasi testo, chiude in sé un problema interpretativo » (Varvaro 2012, 144), nous dirions que cette question est la question du texte.

Strophe I, vers 5-6

Appel (Da) « 5aquest ostals fon d’un parier, / 6Comunal, qu’i veich dechaier »37. Appel (D) « 5aqest ostals fo d’un parier, / 6Cumunal, qu’i vei deschazer ». Latella « 5Aquest ostals fon d’un parier, / 6Comunal, qui veich dechazer ».

Vers la solution de l’énigme : l’ostal ruiné (v. 5)

39 Un premier élément de réponse à ce début volontairement énigmatique et déroutant est fourni au vers 5 par « Aquest ostals ». On a affaire à une vigoureuse reprise résomptive, où le syntagme nominal est employé en anaphore indirecte associative au sens de Kleiber (le référent du SN n’a pas été posé explici-tement dans le cotexte précédent, son identification se fonde sur une synecdoque PARTIES - TOUT), avec une nuance quasi exclamative. Paraphrasons : mais oui, ce qui a été mis sous vos yeux aux vers 1-4 est bel et bien un ostal, c’est-à-dire un bâtiment d’habitation, une maison38 ! Si l’on avait donné avec Latella le sens de “casa, casolare” à fogier (voir ci-dessus § 1.2.1.), ostal serait tautologique et ne ferait pas progresser le sens : l’effet de reprise serait perdu.

40 L’existence d’un bâtiment d’habitation étant posée par prédication intrinsèque du syntagme substantival, le décodeur est mis en demeure, pour inférer un référent adéquat, de rassembler les éléments qui lui ont été précédemment communiqués sur l’

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 124

ostal du texte et de les confronter au sens codé de ce mot. Or, si l’ostal du texte est bien une maison, celle-ci est dépourvue de certains de ses éléments les plus caractéristiques : il y a certes un foyer, mais pas de murs, pas de toit, pas de porte, pas de pièces, pas de femme au foyer ou de mère près du berceau (pas même une nourrice). D’où la conclusion qui découle quant à ce qui a été évoqué aux vers 1-4 : il s’agit des restes d’une maison complète-ment détruite et de la vie précaire menée par des occupants qui campent dans les ruines, près du foyer. Il se confirme ainsi que le chat noir (ci-dessus § 4.2.) est un chat de malheur. 41 Le début du poème est donc bien une anti-pastourelle39 : au lieu de prairies printanières, d’un ruisseau, du chant d’allégresse des oiseaux et de ceux d’un berger et d’une jeune bergère trouvée en fin de compte sous un hêtre ombreux (Marcabru, P.-C. 293, 29, v. 1-7, éd. Gaunt et al. 2000, 370), c’est un spectacle de désolation que livrent les quatre premiers vers. Si l’enfant et la nourrice ont une fonction quasi comique, comme le pense (Latella 1994, 222), il conviendrait de parler d’un comique de la cruauté.

Vers la solution de l’énigme : la déchéance d’un parier (v. 5-6)

42 5.2.1. Latella (1994, 223-224) commente opportunément le mot parier. Ce substantif, qui signifie “copropriétaire, copartageant, coseigneur” et paraît diatopiquement marqué, est attesté dans des documents du Nimois et du Vivarais40 ; son calque en latin médiéval. parierius/parerius/pariarius/pararius, en Provence (« assez rare »), en Languedoc et en Gévaudan (1069-1307, Débax 2012, 55-56, 407, 427, 429 ; Boullier de Branche 1938-1949, 2/2, 46, 50). Sur la seigneurie collective méridionale, on verra maintenant Laffont (2000) et Débax (2012).

43 5.2.2. Pris en lui-même, le mot a de fortes chances de connoter la condition médiocre de la personne qu’il désigne, en impliquant que celle-ci n’est que coseigneur (pour cette situation en Vivarais et dans ses abords, cf. Laffont 2000, 101), mais on n’est pas pour autant en droit de traduire le mot par “piccolo proprietario” (Franchi 2006, 93). 44 5.2.3. L’énonciateur ne manque pas de faire le constat de la déchéance du parier. Il en est le témoin de visu (« veich », v. 6) et il feint de rapporter le fait en observateur détaché et objectif. Comme on a compris que l’ostal du parier est complètement ruiné, dechazer est une forte litote qui ne peut être qu’une cruelle raillerie. Le prétérit fon (v. 5) peut laisser entendre non seulement que la demeure du parier est détruite, mais que celui-ci, dépossédé en réalité de son bien, n’est plus réellement un parier. 45 5.2.4. Il convient de souligner que, bien qu’il ait, en principe, découvert la maison détruite sans l’avoir cherchée (trobei, v. 1), l’énonciateur est très remarquablement au fait de la situation, les vers 5-6 étant porteurs d’une orientation nettement explicative. Dans la mesure où, d’autre part, parier pose une relation juridique et sociale établie avec (au moins) un autre parier, on peut supposer, en l’absence d’indication explicite, que le vers 6 insinue que le second parier (ou l’un des compariers) n’est autre que « l’io lirico », étant entendu que la séparation entre celui-ci et l’« io storico » est des plus minces, voire s’abolit dans les compositions de Garin d’Apchier et de Torcafol (Latella 1994, 71).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 125

Dechazer (v. 6) : verbe ou substantif ?

46 Appel (1890, 25) édite « qu’i » dans Da et dans D. Sans faire la critique d’Appel, Latella (1994, 220) fait imprimer au contraire « qui », ce qui l’oblige à faire de ce mot une forme d’oblique peu usuelle (Latella 1994, 224, 278) qu’elle assigne à une innovation de l’ascendant de D et D a. Nous sommes enclin à adopter l’interprétation de Appel : i est l’adverbe relatif (cf. Jensen 1994, § 332), son antécédent est ostals et deschazer/dechaier doit par conséquent être considéré comme un infinitif substantivé (un exemple chez PVidal dans Rn 2, 346). Nous comprenons donc : “(cette maison) où je vois Déchéance”. Le supplément d’abstrac-tion inhérent à la substantivation de l’infinitif s’accorde avec le ton détaché et ironique du passage (cf. ci-dessus § 5.2.3.).

Dechazer ou deschazer (v. 6) ?

47 La forme « dechazer » est conjecturée par Witthoeft (1891, 64) et Latella (1994, 220, 263) à partir de D « deschazer » et de D a « dechaier ». Si l’on suit D, il n’est pas nécessaire d’adopter pour autant le préfixe de Da : en ancien occitan, de- et des- peuvent en effet « be substitued for each other » (Adams 1913, 426) ; cf. Ronjat (1930-1941, 3, 443) : « beaucoup de composés lat. en dē‑ sont refaits avec le continuateur de dis‑ : descaire [...], lat. dēcadere ». Rn (2, 346) donne deux exemples de desc(h)azer (PonsChapt et PVidal) ; dans son glossaire de PCard, Vatteroni (2013, 2, 961, 862) accepte à juste titre desc(h)azer à côté de dec(h)azer.

Le senhal Comunal (v. 5)

48 Mis en apostrophe, Comunal est le pseudonyme réciproque caractéristique des échanges poétiques entre Garin d’Apchier et Torcafol (Latella 1994, 40-41).

49 5.5.1. Latella (1994, 108) donne à ce senhal « quel valore di “amico, compagno, collega, confratello” attestato tanto in lingua d’oc che in lingua d’oïl ». Il paraît toutefois difficile d’attester ce signifié en langue d’oc41. 50 5.5.2. L’éditrice insiste à juste titre sur le rapport « di natura dialogica [...], condotto sulle linee di uno scambio tra individui di pari grado sociale » (Latella 1994, 41) qu’implique l’emploi de Comunal. Dans la même direction, nous ajouterons que, si les senhals partagés ne sont pas rares dans la lyrique occitane42, Comunal se singularise par le fait que ce pseudonyme ou, plus exactement, le lexème sur lequel il est basé exprime par lui-même l’idée d’appartenance ou de propriété partagée. Ce senhal n’entend-il pas indiquer que ce que les deux porteurs ont en commun (réciprocité du senhal) consiste justement dans la possession en commun de quelque chose (valeur lexicale du senhal) ? Dans la mesure où l’adjectif comunal peut signifier “dont la propriété est partagée (d’un château, d’une maison, d’un terrain)”43, Comunal pourrait être basé sur la valeur ad hoc *“(personne) qui possède une propriété en commun avec ego, parier” par métonymie de la chose possédée au possesseur, et être objectivement motivé par la relation de partage et d’obligation réciproque unissant Garin d’Apchier et Torcafol dans le cadre d’une coseigneurie. 51 Dans le Gévaudan féodal, « le système très original de la co-seigneurie, issu de l’indivision successorale », s’était développé « à grande échelle » (Darnas/Duthu 2002, 121). Les cartes de Darnas/Duthu (2002, 104-105) indiquent qu’en 1307 les castra de

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 126

Châteauneuf-de-Randon, Allenc, Peyre, Marvejols, Montrodat, Cénaret, Muret, Moriès, Saint-Pierre-de-Nogaret et Saint-Chély-du-Tarn étaient des coseigneuries. Le cas de la Garde-Guérin est fameux quant au grand nombre des pariers de ce château. 52 Le cycle Garin/Torcafol pourrait être ainsi placé tout entier, par l’emploi récurrent du senhal Comunal, sous le signe de la coseigneurie et apparaîtrait, selon les mots d’Aurell (1989, 90) à propos de la tenso, comme « l’expression culturellement élaborée du conflit d’intérêts » (cf. ci-dessus § 5.2. et ci-dessous § 7.2.). Il y a d’ailleurs dans ce cycle une autre allusion très probable à un conflit né dans le cadre d’une coseigneurie spatiale : au début de la strophe IV de Comtor d’Apchier rebuzat (P.-C. 443, 1), Torcafol évoque en effet les déboires de Garin d’Apchier en tant que parier chassé par ses copartageants (voir Chambon 2014, 502-503 et n. 11)44. 53 5.5.3. Dans le vers que nous commentons, l’apostrophe Comunal ouvre un épisode d’orientation dialogale qui fait de Torcafol le témoin du malheureux sort du parier. Si notre interprétation du senhal était exacte, l’énonciateur laisserait ainsi planer une menace voilée : voyez comment je sais traiter mes copartageants (sous-entendu : c’est là le sort qui attend peut-être Comunal-Torcafol). 54 5.6. Bilan

55 Les vers 5-6 résolvent l’énigme posée par les quatre premiers vers et font découvrir le spectacle de la maison détruite d’un parier dont l’énonciateur, prenant Torcafol à témoin, constate la déchéance.

Strophe I, vers 7-8

Appel (Da « 7e qant lui vi, cuidei vezer / 8Ruqet, un viel ioglar lanier. » Appel (D) « 6e quant lui vi, cuidei vezer / 8tu, lait veill iuglar lainier. » [ms. lais]. Latella « 6E qant lui vi, cuidei vezer / 8Ruqet, un viel joglar lanier. » 56 Avec le retour au prétérit (vi, cuidei), les vers 7-8 reprennent le fil narratif.

Le jongleur Ruqet (v. 8)

57 Latella (1994, 225) rapporte l’opinion de Paden proposant « di intendere Ruquet come “little caterpillar” ». L’éditrice estime que « molte altre interpretazioni potrebbero ottenere pari titoli di validità dal momento che la radice da cui discende la denominazione ora incontrata ha un semantismo molto ampio » (une opinion qui, pour nous, n’est pas une évidence).

58 6.1.1. Étant donné que, d’une part, aocc. (e)ruca s. f. “chenille” ne paraît pas avoir été productif dans l’anthroponymie occitane médiévale (Ø Fexer 1978) et que, d’autre part, la vicomté de Gévaudan était, du temps de Garin d’Apchier et depuis 1112, entre les mains du comte de Barcelone et relevait depuis 1166 de la couronne d’Aragon, on peut proposer une interprétation alternative. Le sobriquet Ruqet pourrait être en effet (emprunté au) catalan (moins probablement à l’aragonais)45. Il s’agirait de l’anthroponymisation de cat. ruquet s. m. “ruc petit” (depuis 1421) 46, diminutif de ruc “ase jove ; ase adult ; (fig.) persona rude, grossera d’entenement” (depuis 1371)47 (moins probablement, du diminutif d’arag. [Ribagorza] ruc “âne”)48. Il est en effet plus courant de tirer des surnoms des noms de l’âne que de ceux du caterpillar. Ainsi analysé Ruqet serait en outre motivationnellement bien adapté comme surnom péjoratif, réel ou

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 127

fictif, d’un jongleur : cf. aocc. Cabra, Cailla ou Sabata49. Reina Bastardas nous fait connaître l’existence d’un Sabestia Ruquet en 1555, à Montornès del Vallès, près de Barcelone (Iglésies 1979, 1, 363). En France, vers 1900, le nom de famille Ruquet avait probablement l’Aude comme épicentre et Toulouse comme épicentre secondaire (Fordant 1999, 794). 59 6.1.2. Quoi qu’il en soit, la comparaison du parier avec un vil jongleur (pour l’adjectif lanier, voir Latella 1994, 225-226), peut-être animalisé par son surnom, indique à quel point de déchéance le premier est réduit. Cette comparaison invite à inférer pour le parier une condition sociale antérieure bien plus relevée et quelques affinités avec le trobar. On pourrait par conséquent entrevoir un discret parallélisme avec Torcafol (cf. ci-dessus § 5.5.3.), dans la mesure où celui-ci ne craignait pas d’être aussi interprète et s’attirait de ce fait les railleries de Garin (« Car cantas ab vilania », éd. Latella III, 144, v. 13).

Le texte de D (v. 8)

60 Si « la lezione concorrente tràdita da D è con tutta evidenza deteriore » (Latella 1994, 225), le texte – « e quant lui vi, cuidei vezer / tu, lait veill iuglar lainier » – ne fait pas moins sens. Tout semble se passer comme si D avait compris la menace latente que nous avons cru percevoir dans le vers 6 (ci-dessus § 5.5.3.), et, embarrassé sans doute par « Ruqet », avait poursuivi dans cette veine de manière explicite en impliquant clairement Comunal comme jongleur dans la comparaison avec le parier. Dans D, le sort du parier déchu préfigure de manière non voilée celui qui attend Comunal-Torcafol, troubadour déchu.

Bilan

61 L’apparition d’un joglar, même avec la seule fonction de terme comparant, est assez inattendue pour constituer une indication métacritique. Jointe aux éléments qui paraissaient déjà impliquer Torcafol dans le texte (§ 5.5.3. ; cf. § 6.2.), elle conduit à admettre que le passage possède une dimension autoréférentielle et méta-littéraire. Ruine complète et réduction au statut de joglar peuvent être lus non pas seulement au sens propre, mais aussi métaphori-quement, comme les résultats de la joute poétique qui oppose l’auteur à Torcafol, une joute qui aboutit ou aboutira à l’abaisse-ment de l’opposant par l’écriture. Cette signification latente incite à repousser, si on était tenté par elle, une lecture réaliste et événementielle de la première strophe. La situation décrite est fictive et non effective. L’auteur évoque des méfaits imaginaires.

Strophe II, v. 9-10

Appel (Da) « 9Cel, s’es paubres, mal no l’en mier, / 10q’ieu no·ill tulc ren mas las pares ». Latella (Da) « 9Cel, s’es paubres, mal no m’en mier, / 10Q’ieu no·ill tulc ren mas las pares ». 7.1. Solution de l’énigme : l’aveu 62 Tout comme les vers 5-6, les vers 9-10 possèdent une orien-tation explicative (cf. Latella 1994, 227) : ils fournissent la solution définitive de l’énigme.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 128

63 7.1.1. Le parier pauvre est, selon Débax (2012, 145), un topos « que véhiculent de nombreux textes et les sources littéraires surtout »50. En l’occurrence, la cause de la situation du parier ne doit pas être recherchée ailleurs que dans l’action délibérée de l’énonciateur. Celui-ci commence certes par se défausser, au vers 9, en affirmant qu’il n’y est pour rien, le parier ne devant s’en prendre qu’à lui-même, car il est la cause de sa propre misère. Mais l’énonciateur passe aux aveux au vers 1051, tout en conti-nuant à minimiser comiquement son rôle : il n’a fait que retirer les murs de la maison. À si petite cause grands effets : privée de ses murs, la maison s’est écroulée, et l’action violente et destructrice de l’énonciateur explique la scène de désolation parmi les ruines (v. 1-4), la déchéance du parier (v. 5-8) et la pauvreté qui s’ensuivent (v. 9). Il est difficile de parler ici, avec Latella (1994, 226-227), de « discorso autodefensivo » : l’autodéfense est ironi-que (« mal no m’en mier », v. 9)52 et ne fait qu’introduire une auto-accusation (v. 10) dont le tour euphémique souligne le cynisme. 64 7.1.3. Alors que Latella (1994, 275) donne, au glossaire, son sens exact et nucléaire à [paret] s. f. “parete, muro” (FEW 7, 652a et b, PARIES ; DAOA 877), la traduction fortement métonymique par “casa” qu’elle propose (p. 221) est moins satisfaisante. Il importe en effet de s’en tenir dans la traduction également au sens nucléaire : le comique naît précisément du fait que, selon le savoir encyclopédique partagé, si l’on se contente d’enlever (« ren mas », v. 10) les murs d’une maison, celle-ci s’écroule. Du reste, le sens de “maison” ne paraît pas attesté pour paret, ni même pour le pluriel pare(t)s. Franchi (2006, 93) traduit par “pareti”.

Conflits coseigneuriaux

65 Les soupçons nés à la lecture des vers 5-6 (ci-dessus § 5.2.4.) trouvent confirmation : aucun doute ne peut à présent subsister sur le fait que l’énonciateur a rasé la maison de celui qui était probablement son comparier.

66 7.2.1. On sait que « le conflit est sans cesse présent au cœur du phénomène [de la coseigneurie] » (Débax 2012, 256)53. « L’événement le plus fréquent entre coseigneurs », écrit Débax (2012, 257 et n. 49, 50), était celui-ci : « l’un d’entre eux chasse un autre de la coseigneurie du château tenu en commun ». L’historienne mentionne deux exemples de tels conflits surgis en Gévaudan au milieu du 13e siècle54. 67 7.2.2. Dans le cadre d’un conflit entre pariers, l’emploi du mot ostal (v. 5 et ci-dessus § 5.1.) ne doit pas surprendre. Il peut renvoyer à une situation connue quand il s’agit de coseigneuries spatiales. En ce qui concerne le Gévaudan, Darnas/Duthu (2002, 121) écrivent que « chaque seigneur a alors une demeure particulière dans un même castrum ». À Salles-la-Source et à Mouret (en Rouergue) ou encore à Merle (en Limousin), « le castrum est [...] une accumulation d’hôtels nobilaires » plus ou moins fortifiés, mais sans défense commune (Débax 2012, 198-201, 204-207). Les maisons des coseigneurs peuvent aussi être construites dans un bourg castral (Laffont 2000, 109). 68 7.2.3. Enfin, force est de constater – sans être nécessairement amateur d’hypogrammes – que le mot thème parier est de nouveau inscrit en sous-jacence, au vers 10, sous la forme du pluriel pares ; cf. plaides, forme fléchie en -s de plaidier, à la rime (éd. Latella 1994, 144, III, v. 1 et 202, VI, v. 1).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 129

Strophe II, vers 11-12

Appel (Da) « 11e·l moli don rendia ses / 12al paire d’en Poisson Gaifier ; ». Latella (Da) « 11E·l moli don rendia ses / 12Al paire d’en Ponson Gaifier ; ». 69 Appel (1890, 26) se demandait : « Corr. del moli ? ». Il ne le faut pas : les pares mentionnées au vers précédent sont les murs de la demeure détruite du parier et non celles du moulin. L’énonciateur a soustrait le moulin au parier (et il n’entend probablement pas continuer à s’acquitter du cens) : c’est là un forfait supplémentaire de sa part. On peut présumer que ce moulin était une source de revenus importants pour les personnages dépossédés. Sur la base des vers 11-12, Witthoeft (1891, 23-24) écrivait : « Ebenso hatte er [Torcafol] eine Mülhe, das Eigentum des ungenannten Vaters des Herren Poisson Gaifier, gepachtet ». Il n’y a cependant aucun élément dans le texte qui permette d’attribuer aussi franchement le moulin à Torcafol.

Strophe II, vers 13-16

Appel (Da) « 13qe·n dis un tal enuich l’autrier, / 14don men, qe no·m dis point de ver ; / 15mas no s po de mal dir tener, / 16a·n vos los maiors colps q’el fier ! ». Latella (Da) « 13Qe·n dis un tal enuich l’autrier, / 14Don men, qe no·m dis point de ver ; / 15Mas no·s po de mal dir tener : / 16A·n vos los majors colps q’el fier ! »55. 70 Ces vers complètent l’explication drolatique entreprise aux vers 9-12.

Où est le sujet ?

71 Dépourvu d’expression lexicale, le sujet du verbe (dis) de la proposition introduite par qe (v. 13) doit être recherché dans le pronom cel, fortement mis en relief en tête de la strophe (v. 9). C’est bien ce qu’a compris, nous semble-t-il, Latella (1994, 221), puisqu’elle introduit e dans sa traduction du vers 13 : « e ne disse tanto male l’altro giorno » (cf. de même Franchi 2006, 93).

Le mécanisme explicatif

72 Au début du vers 13, qe est placé en parallèle syntaxique et sémantique avec q’ du début de 10. Les deux emplois de la conjonction de subordination (ou de coordination, selon Jensen 1994, § 746, 757)56 introduisent deux propositions à valeur explicative qui dépendent toutes les deux de la principale mal no m’en mier (v. 9) et s’enchaînent du point de vue du sens : l’expli-cation d’abord (v. 10-12), puis l’explication de l’explication (v. 13-15). C’est pourquoi au point-virgule placé à la fin du vers 12 par Appel, Latella et Franchi, nous préférons la virgule de Witthoeft (1890, 54)57, laquelle ne risque pas de rompre l’enchaînement des idées.

73 Le texte se plaît à remonter des effets, constatés au début du texte, vers les causes et jusqu’à la cause dernière. Au vers 12 [lo] paire d’(en Ponson Gaifier), illustre inconnu – cela va presque sans dire –, rallonge comiquement la chaîne explicative des conséquences et des causes.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 130

Le sens des vers 13-14

74 Nous comprenons ainsi les vers 13-14 : “(au père de Ponson Gaifier), sur lequel il [ = le parier] a tenu l’autre jour un propos si contrariant – et par conséquent il ment – qu’il ne m’a rien dit de vrai”58. Latella (1994, 211) comprend au contraire : « e che ne disse tanto male l’altro giorno, mentendo, che non disse nei miei riguardi nulla di vero ». Avec « nei miei riguardi », on perdrait, nous semble-t-il, la logique consécutive de la construction corrélative tal... qe 59 et l’idée essentielle que le propos du parier a été adressé à l’énonciateur (·m dis, v. 14). D’autre part, don (v. 14) a ici un sens causal : « Si c’est tout le contexte qui lui sert d’antécédent, don assume le rôle d’une particule causale au sens de ‘et pour cette raison, et par conséquent’« (Jensen 1994, 140). Les traductions de Latella et de Franchi (“mentendo”) ne rendent pas compte, nous semble- t-il, de la valeur du tour.

75 Selon notre interprétation, le propos fâcheux60 tenu par le parier au sujet du père de Ponson Gaifier a été jugé si contrariant par l’énonciateur que celui-ci n’a pu conclure qu’à un contenu mensonger, sans s’inquiéter de contrôler la véracité du dire, mais au terme d’un raisonnement purement formel et volontairement montré comme hasardeux (télescopage logique dans « Don men, qe no·m dis point de ver », v. 14). 76 C’est ce propos malheureux sur le seigneur du moulin qui a fourni le prétexte de son mauvais coup à un énonciateur qui préméditait déjà son raid. Car, en homme d’honneur, celui-ci ne pouvait laisser passer une telle offense : le médisant méritait un châtiment. La drôlerie du passage tient au fait que l’énonciateur se pose à la place du fils en vengeur d’un père outragé, paraît-il, pour expliquer qu’il se soit emparé de vive force d’un moulin… relevant justement du dominium de l’offensé.

Torcafol impliqué (v. 15-16)

77 Au vers 15, l’énonciateur se donne les gants d’accorder au parier une circonstance atténuante trouvée dans un trait de son caractère : ce dernier ne peut s’empêcher de dire du mal d’autrui (« Mas no·s po de mal dir tener »). Il y a là, en sous-main, une allusion à Torcafol et aux reproches insultants qu’il a adressés à Garin dans ses sirventès (cf. Latella 1994, 67). Menace voilée, à nouveau (cf. ci-dessus § 6.3.) : le sort du parier médisant pourrait être bientôt, littérairement parlant, celui de Torcafol.

78 Le vers 16 est une pointe strophique. Si le parier a parlé de manière mensongère du père de Ponson Gaifier, il a verbalement porté des coups plus nombreux et plus rudes à Torcafol (représenté dans le texte par le pronom vos). Ce dernier se trouve ainsi placé dans la position de l’insulteur insulté par un autre médisant. Garin se dispense ainsi de s’en prendre lui-même à Torcafol et il se donne le beau rôle en feignant de se placer au- dessus de la mêlée : comble d’adresse dans l’art de la polémique. Il sous-entend même qu’il a aussi vengé Torcafol.

L’autrier (v. 13)

79 L’écho que trouve au vers 13 le gimmick de la pastourelle, la locution adverbiale l’autrier (déjà v. 1), ne peut être le fait du hasard. La médisance du parier (v. 13-16), cause ultime de tout ce qui a été rapporté dans la première strophe et dans le début de la deuxième (v. 1-12), est ainsi située dans le même bref laps de temps que la découverte

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 131

prétendument fortuite du désastre. Les événements se sont donc enchaînés rapidement : dans la même journée, le parier a médit, l’énonciateur a détruit sa maison en représailles, lui a enlevé le moulin qu’il exploitait, puis est revenu sur les lieux de son crime constater le résultat de ses méfaits. La promptitude dans l’exécution ne fait que souligner la violence furieuse et préméditée dont a fait preuve l’énonciateur.

Bilan

80 La seconde partie de la deuxième strophe développe et complète la première. Au terme de la strophe, on a compris pourquoi le pauvre parier ne doit s’en prendre qu’à lui- même : il a eu un mot de trop et c’est sa médisance qui, en fin de compte, l’a perdu. L’énonciateur atteint ainsi le comble du cynisme.

81 En définitive, les deux premières strophes forment une sorte de fable immorale et comique contre la médisance, qui reprend, déplace et renverse la thématique traditionnelle du trobar contre les lauzengiers. Le comique réside aussi dans le raffinement de l’écriture : l’auteur déroule à rebours la chaîne des causes et des conséquences, en laissant au décodeur le soin de construire progressivement, à partir de deux scènes (les ruines, le propos du parier) et contre le fil du texte, l’enchaînement réel des événements d’une histoire sans narration.

Strophe III, vers 17-24

Appel (Da) « 17Eu no m’apel ges Olivier / 18ni Rothlan, qe q’el se·n dises ; 19mas valer los cre maintas ves, / 20quant cossir de leis q’eu enquer ; / 21e non sai el mon cavalier / 22q’eu adoncs no·l crezes valer ; / 23e volria tal fieu aver / 24a partir regisme o enpier. » Latella (Da) « 17Eu no m’apel ges Olivier / 18Ni Rothlan, qe q’el se·n dises ; / 19Mas valer lor cre maintas ves / 20Quant cossir de leis q’eu enquier ; / 21E non sai el mon cavalier / 22Q’eu adoncs no·l crezes valer ; / 23E volria tal fieu aver / 24A partir regisme o enpier. » 82 En prenant implicitement appui sur le rapport des hauts faits de l’énonciateur, la troisième strophe conclut le poème dans l’autodérision.

Un miles gloriosus

83 L’énonciateur se campe en miles gloriosus qui, tout en concédant qu’il sait bien que l’opinion fait de lui l’égal d’Olivier et Roland (v. 18)61, refuse, dans sa grande modestie, d’être assimilé à ces modèles de parfaits chevaliers (v. 17-18), en faisant toutefois entendre qu’en ce qui concerne le service des dames, il croit bien souvent valoir ou dépasser ces héros (v. 19-20)62. C’est alors (adoncs, v. 22)63, quand la pensée de sa dame l’occupe (cossir, v. 20), qu’il assure, dans une expression dont la maladresse semble concertée, ne connaître aucun chevalier au monde qu’il ne pense équivaloir (v. 21-22).

Après la pastourelle, la canso

84 Le vers 20 est une claire allusion à l’amant-troubadour et constitue un pastiche-éclair de la canso. Garin d’Apchier y montre certes qu’il a assimilé « i termini-chiave del vocabolario amoroso cortese » (Latella 1994, 230)64, mais la dérision n’épargne

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 132

nullement la forme d’expression par excellence de l’amour courtois, « l’œuvre maîtresse, la seule qui mérite l’effort de l’artiste » (Jeanroy 1934, 2, 62), placée, selon l’« opinion courante » (op. cit., 2, 63), bien au-dessus du sirventès. Parce qu’il est mis dans la bouche d’un soudard adepte de la force brutale et parfaitement anti-courtois dans son comportement et ses pensées, le pastiche devient parodie (Latella 1994, 229).

La forme « regieme » (v. 24)

85 Latella (1994, 230) écrit : « Imputabile a scorso di penna, errore d’ignoranza o di lettura, l’attestato ms. regieme, dal momento che esito complicato (cfr. Jensen, From Vulgar Latin, p. 72) del latino REGIMEN è in occitanico regisme ». Appel corrigeait déjà (tacite-ment) en « regisme ». Lv (7, 176-177 ; 6, 191) et le FEW livrent pourtant une palette d’issues héréditaires de REGIMEN en ancien occitan parmi lesquelles on note regeime (CroisAlb ; GuillBarre ; doc. Toulouse s. d.) et rexeyme (GuillBarre) ; la COM2 n’apporte rien de neuf. Il nous semble qu’il est dès lors plus économique de corriger « regieme » en « regeime » plutôt qu’en « regisme ».

Entre Regeime et Enpier

86 Les mots regeime et enpier s’appliquent ici respectivement au royaume de France et au Saint Empire en tant que territoires. Il s’agit, selon nous, de noms propres de lieux désignant des entités géopolitiques particulières, à éditer avec des majuscules initiales : « Regeime » et « Enpier ».

87 Le binôme que forment ces deux noms ne peut manquer de faire penser à celui que connaissait l’occitan régional du 19e siècle (avec un matériel linguistique renouvelé) : « Les mariniers du Rhône se servent encore du mot empèri, empèire ou pèri, pour désigner la rive gauche du Rhône, c’est-à-dire le côté de la Provence, et du mot reiaume (royaume) pour désigner la rive droite, côté de la France » (Mistral 1, 878)65. Il nous semble donc très vraisemblable, si l’on se place du point de vue de Garin d’Apchier, possessionné en Gévaudan (baronnies de Châteauneuf-Randon et Apcher), mais avec un fort tropisme familial vers le Vivarais66, que Regeime et Enpier s’appliquent respectivement à la rive occidentale du Rhône, relevant du royaume de France, et à la rive orientale du Rhône, relevant du Saint Empire67.

Bilan : la digne récompense d’un preux

88 Dans la dernière strophe, l’énonciateur, presque sans égal dans le service des armes comme dans le service amoureux, atteint le sommet de la vantardise balourde. Les vers 23-24 décrivent la récompense qu’un preux de son envergure mériterait de recevoir, à son humble avis : un fief taillé de telle manière qu’il serve de limite au Royaume ou à l’Empire, c’est-à-dire en réalité, nous semble-t-il, à chacune de ces entités géopolitiques. Le verbe partir “séparer” est à prendre dans son acception de “former la limite de (un bien foncier, un royaume)”68. L’énonciateur s’imagine à la tête d’une principauté autonome correspondant à ses mérites et s’insérant, dans la vallée du Rhône, entre le royaume de France et le Saint Empire romain-germanique : un État- tampon, en somme, qui marquerait la nouvelle frontière entre les deux grandes puissances69.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 133

89 Gérard Gouiran nous fait part d’une interprétation alter-native : il conviendrait de donner au verbe partir (v. 24) le sens de “partager” ; on serait ramené ainsi à la question du parier, et le comique naîtrait du fait que l’énonciateur se souhaiterait d’avoir à partager son fief avec un roi ou un empereur plutôt qu’avec Torcafol, vir obscurus. 90 En tout cas, le vers 24 est suffisamment hénaurme et suffisam-ment drôle pour fournir une clausule satisfaisante. Malgré l’avis de Franchi (2006, 90), selon lequel le texte est « molto probabilmente mutilo di alcune strofe », on peut admettre, nous semble-t-il, que le poème ne comportait que trois strophes.

Conclusion : un sirventès immoral

91 Le sirventès de Garin d’Apchier met en scène un abominable fier-à-bras qui se vante, à la première personne du singulier, non pas de prouesses chevaleresques imaginaires, mais de réels méfaits anti-chevaleresques. Détournant la pastourelle pour en briser le modèle (v. 1) et s’en prenant au passage à la canso (v. 20), ce sirventès immoral inverse les valeurs du genre : au lieu de blâmer le méchant, il lui donne la parole pour que soit exaltée, avec une naïveté délibérément cynique, la raison du plus fort et la force brutale. Il s’agit à tous égards d’un « corrosivo controtesto » (Guida 2011, 249) qui convient à l’inventeur présumé du descort70 ou « anti-canso »71.

92 On se trouve bien, selon l’heureuse expression de Guida (2011), sur l’« autre face du trobar », un versant aussi peu séparable du premier que l’envers et l’avers d’une pièce de monnaie. Peu de temps après Guillaume de Poitiers et Marcabru, au fort du Gévaudan, « en l’absence de grande cour laïque aussi bien que de centre d’études ecclésiastiques » (Brunel 1916, 6 ; cf. Latella 1994, 47), les codes de l’écriture littéraire en langue vulgaire étaient suffisamment maîtrisés et assimilés par un miles litteratus 72 passablement obscurus pour être détournés et retournés par lui, et pour que la littérature fasse l’expérience de son essence ludique73, réflexive et auto-subversive. Voir, dans le même sens, notre analyse d’une cobla du même auteur, Membria·us del jornal (P.-C. 443, 3 ; Chambon, à paraître, b). On ne saurait dire, en tout cas, de ce sirventès qu’« une composante de référence extra-textuelle [y] domine sur [le] statut de poème » (Léglu 1998, 269). La littérarité atteint au contraire son comble : le texte n’est que jeu sur la littérature. 93 Le principe d’inversion régit aussi la destination du message. Contrairement à ce que voudrait la loi du genre en matière de sirventès personnel, l’auteur ne s’adresse pas à son oppositeur pour lui porter des coups diffamatoires (si ce n’est de manière latérale et indirecte), mais place Torcafol en position d’inter-locuteur neutre devant lequel il expose sa propre conduite inqualifiable en se prenant pour cible de son propre discours. Il y a dans ce détournement des règles du jeu poétique de quoi désarçonner l’adversaire : comment celui-ci pourra-t-il répliquer à une attaque qui n’en est pas une (mais qui lui promet néanmoins, en sous-main, une défaite cuisante)74 ? On a l’impression qu’au plan littéraire, une nouvelle étape est ici franchie dans l’affrontement des deux Gévaudanais75. En inversant les rôles établis, en désamorçant toute critique à venir par la surenchère autocritique et en produisant devant Torcafol un modèle probablement hors de portée des capacités d’écriture de celui-ci, Garin met les rieurs de son côté et s’affirme comme un redoutable maître dans l’art de la guerre verbale76.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 134

BIBLIOGRAPHIE

Adams, Edward L., 1913. Word-Formation in Provençal, New York/Londres, The MacMillan Company.

ALAL = Potte, Jean-Claude, 1975-. Atlas linguistique et ethnographique de l’Auvergne et du Limousin, 3 vol., Paris, CNRS.

AlcM = Alcover, Antoni Ma / Moll, Francesc de B., 1926-1968. Diccionari català-valencià-balear, 10 vol., Palma de Majorque, Editorial Moll.

ALDC = Veny, Joan / Pons i Griera, Lídia, Atles lingüístic del domini catalan, 6 vol., Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 2001-.

ALF = Gilliéron, Jules / Edmont, Edmond, 1902-1910. Atlas linguistique de la France, 10 vol., Paris, Champion.

ALLo = Hallig, Rudolf, Atlas linguistique de la Lozère et des cantons limitrophes du Gard et de l’Ardèche (manuscrit en possession du Centre du FEW, ATILF-CNRS, Nancy).

ALMC = Nauton, Pierre, 1957-1963. Atlas linguistique et ethnographique du Massif Central, 4 vol., Paris, CNRS.

André, Ferdinand, 1885. « Le budget municipal de la commune de Mende en l’an 1472-3 », in : Documents antérieurs à 1790 publiés par la Société d’agriculture ... de la Lozère, 3e partie, t. I, 23-43.

Appel, Carl, 1890. « Poésies provençales inédites tirées des manuscrits d’Italie », Revue des langues romanes 34, 5-35.

Appel, Carl, 1902. Provenzalische Chrestomathie mit Abriss der Formenlehre und Glossar, 2e éd., Leipzig, Reisland.

Audiau, Jean, 1922. Les Poésies des quatre troubadours d’Ussel publiées d’après les manuscrits, Paris, Delagrave.

Aurell, Martin, 1989. La Vielle et l’épée. Troubadours et politique en Provence au XIIIe siècle, Paris, Aubier.

BaldEtym= Baldinger, Kurt, 1988-2003. Etymologien. Untersuchungen zu FEW 21-23, 3 vol., Tübingen, Niemeyer.

Boullier de Branche, Henri, 1938-1949. Feuda Gabalorum, 2 vol. en 3 t., Nîmes, Imprimerie Chastanier Frères et Alméras.

Boutière, Jean / Schutz, Alexander Herman, 1973. Biographies des troubadours. Textes provençaux des XIIIe et XIVe siècles, 2e édition, refondue et augmentée, avec la collaboration d’Irénée-Marcel Cluzel, Paris, Nizet.

Brunel, Clovis, 1916. « Documents linguistiques du Gévaudan », Bibliothèque de l’École des Chartes, 77, 5-57, 241-285.

Brunel, Clovis, 1926. Les Plus Anciennes Chartes en langue provençale publiées avec une étude morphologique. Recueil des pièces originales antérieures au XIIIe siècle, Paris, Picard.

Brunel, Clovis, 1952. Les Plus Anciennes Chartes en langue provençale. Recueil des pièces originales antérieures au XIIIe siècle. Supplément, Paris, Picard.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 135

Brunel-Lobrichon, Geneviève / Duhamel-Amado, Claudie, 1997. Au temps des troubadours. XIIe-XIIIe siècles, Paris, Hachette.

Chambers, Frank M., 1971. Proper Names in the Lyrics of the Troubadours, Chapel Hill, The University of North Carolina Press.

Chambon, Jean-Pierre, 2014. « Régionalismes et jeu de mots onomastique dans un sirventès de Torcafol : Comtor d’Apchier rebuzat (P.-C. 443, 1) », Revue de linguistique romane 78, 499-510.

Chambon, Jean-Pierre, à paraître, a. « Présence onomastique aragonaise et catalane à Millau et alentour à la fin du XIIe siècle, d’après les Plus Anciennes Chartes en langue provençale ».

Chambon, Jean-Pierre, à paraître, b. « Encore sur “l’altra faccia del trobar” : lecture d’une cobla de Garin d’Apchier (Membria·us del jornal, P.-C. 443, 3) », Zeitschrift für romanische Philologie.

Chambon, Jean-Pierre / Vialle, Colette, 1998. « Note sur la structure chronologique de Guillaume de la Barre », Revue des langues romanes 102, 373-386.

COM2= Ricketts, Peter T. / Reed, Alan (dir.), 2004. Concordance de l’occitan médiéval. COM2. Les troubadours. Les textes narratifs en vers, Turnhout, Brepols.

Crescini, Vincenzo, 1926. Manuale per l’avviamento agli studi provenzali. Introduzione grammaticale, crestomazia e glossario, Milan, Hoepli, 3e éd.

Cropp, Glynnis M., 1975. Le Vocabulaire courtois des troubadours de l’époque classique, Genève, Droz.

DAO = Baldinger, Kurt, 1975-2007. Dictionnaire onomasiologique de l’ancien occitan, Tübingen, Niemeyer.

DAOA = Olivier, Philippe, 2009. Dictionnaire d’ancien occitan auvergnat. Mauriacois et Sanflorain (1340-1540), Tübingen, Niemeyer.

Darnas, Isabelle / Duthu, Hélène, 2002. « Le Moyen Âge : l’affirma-tion du Gévaudan », in : Chabrol, Jean-Paul (dir.), La Lozère de la préhistoire à nos jours, Saint-Jean-d’Angély, Éditions J.-M. Bordessoules, 91-149.

Débax, Hélène, 2012. La Seigneurie collective. Pairs, pariers, paratge : les coseigneurs du XIe au XIIIe siècle , Rennes, Presses universitaires de Rennes.

DELCat = Coromines, Joan, 1980-1991. Diccionari etimològic i complementari de la llengua catalana, 9 vol., Barcelone, Curial, La Caixa.

Delort, Robert, 1984. Les Animaux ont une histoire, Paris, Éditions du Seuil.

DMF = Martin, Robert, 2012. Dictionnaire du moyen français (1330-1500) [ouvrage électronique consultable sur le site de l’ATILF-CNRS].

DOM = Stempel, Wolf-Dieter (dir.), 1996-. Dictionnaire de l’occitan médiéval (DOM), Tübingen, Niemeyer.

Doniol, Henry, 1864. Cartulaire de Sauxillanges, Clermont-Ferrand/Paris, Thibaud/Dumoulin.

Durdilly, Paulette, 1975. Documents linguistiques du Lyonnais (1225-1425), Paris, CNRS.

Escolo Gabalo (L’), 1992. Dictionnaire occitan-français. Dialecte gévaudanais, Millau, Maury/L’Escolo Gabalo.

FEW= Wartburg, Walther von, 1922-2002. Französisches Etymologisches Wörterbuch. Eine darstellung des galloromanischen sprachschatzes, 25 vol., Leipzig/Bonn/Bâle, Klopp/Teubner/Zbinden.

Fexer, Georg, 1978. Die ältesten okzitanischen und mittellateinischen Personenbeinamen nach südfranzösischen Urkunden des XI., XII. und XIII. Jahrhunderts, Inaugural-Dissertation zur Erlangung

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 136

der Doktorwürde des Philosophischen Fachbereichs II der Julius-Maximilians-Universität zu Würzburg.

Fordant, Laurent, 1999. Tous les noms de famille de France et leur localisation en 1900, Paris, Archives & culture.

Franchi, Claudio, 2006. Pastorelle occitane, Alessandria, Edizioni dell’Orso.

Gaunt, Simon / Harvey, Ruth / Paterson, Linda, 2000. Marcabru. A Critical Edition, Cambridge, D. S. Brewer.

Giannini, Gabriele / Gasperoni, Marianne, 2006. Vangeli occitani dell’infanzia di Gesù. Edizione critica delle versioni I e II, Bologne, Pàtron, 2006

Gouiran, Gérard, 1985. L’Amour et la Guerre. L’Œuvre de Bertran de Born (édition critique, traduction et notes), 2 vol., Aix-en-Provence/Marseille, Université de Provence.

Gresti, Paolo, 1997. Compte rendu de Latella 1994 ; Vox Romanica 56, 371-374.

Guida, Saverio, 2011. « L’altra faccia del trobar nei sirventesi di Garin d’Apchier e di Torcafol », La France latine. Revue d’études d’oc 152, 215‑257.

Iglésies, Josep, 1979. El fogatge de 1553, Barcelone, Fundació Salvador Vives i Casajuana.

Jeanroy, Alfred, 1934. La Poésie lyrique des troubadours. I-II, 2 vol., Paris/Toulouse (réimpression en un vol., Genève, Slatkine Reprints, 1998).

Jensen, Frede, 1994. Syntaxe de l’ancien occitan, Tübingen, Niemeyer.

Kolsen, Adolf, 1925. Trobadorgedichte. Dreissig Stücke altprovenzalischer Lyrik zum ersten Male kritisch bearbeitet, Halle, Niemeyer.

Laffont, Pierre-Yves, 2000. « Contribution à l’histoire de la coseigneurie dans le Midi aux XIe, XIIe et XIIIe siècles. L’exemple du Vivarais et de ses abords », in : Bleton-Ruget, Annie / Pacaut, Marcel / Rubellin, Michel (dir.), Regards croisés sur l’œuvre de Georges Duby. Femmes et féodalité, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 99-113.

Laffont, Pierre-Yves, 2009. Châteaux du Vivarais. Pouvoir et peuplement en France méridionale du haut Moyen Âge au XIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Latella, Fortunata, 1994. I sirventesi di Garin d’Apchier e di Torcafol, Modène, Mucchi.

Léglu, Catherine, 1996. « A Reading of Troubadour Insult Song: the Comunals Cycle », Reading Medieval Studies 22, 63-84.

Léglu, Catherine, 1998. « La diffamation dans la poésie satirique des troubadours », in : Gourc, Jacques / Pic, François (éd.), Toulouse à la croisée des cultures. Actes du Ve Congrès international de l’Association internationale d’études occitanes, Toulouse, 19-24 août 1996, Pau, Association internationale d’études occitanes, t. I, 269-274.

LespyR = Lespy, Vastin / Raymond, Paul, 1998. Dictionnaire béarnais ancien et moderne, nouvelle édition revue et corrigée, Pau, Marrimpouey.

Linskill, Joseph, 1964. The Poems of the Troubadour Raimbaut de Vaqueiras, La Haye, Mouton.

Lv = Levy, Emil, 1894-1924. Provenzalisches Supplement-Wörterbuch, 8 vol., Leipzig, Reisland.

LvP = Levy, Emil, 1909. Petit Dictionnaire provençal-français, Heidelberg, Carl Winter.

Mistral = Mistral, Frédéric, 1878. Lou Tresor dóu Felibrige, 2 vol., Aix-en-Provence, Ve Remondet- Aubin (réimpression, s. l., Ramoun Berenguié, 1968).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 137

Manetti, Roberta, 2008. Flamenca. Romanzo occitano del XIII secolo, Modène, Mucchi.

Martin-Chabot (Eugène), 1931-1961. La Chanson de la croisade albigeoise éditée et traduite du provençal, 3 vol., Paris.

Méjean, Suzanne, 1971. « Contribution à l’étude du Sirventes Joglaresc », in : Cluzel, Irénée / Pirot, François (éd.), Mélanges de philologie romane dédiés à la mémoire de Jean Boutière (1899-1967), Liège, Éditions Soledi, t. I, 377-395.

P.-C. = Pillet, Alfred / Carstens, Henry, 1933. Bibliographie der Troubadours, Halle, Niemeyer.

Pans = Pansier, Paul, 1924-1932. Histoire de la langue provençale à Avignon du XIIe au XIXe siècle, 5 vol., Avignon (réimpression, Genève/ Marseille, Slatkine Reprint/Laffitte Reprints).

Pasero, Niccolò, 1973. Guglielmo IX d’Aquitania. Poesie, Modène, Mucchi.

Rawls, Diane Nelson, 1983. An Etymological Glossary for La Chanson de la Croisade albigeoise, Albuquerque, The University of New Mexico.

Rieger, Ditmar, 1976. Gattung und Gattungsbezeichnungen der Trobador-lyrik. Untersuchungen zum altprovenzalischen Sirventes, Tübingen, Niemeyer.

Riffaterre, Michaël, 1979. La Production du texte, Paris, Le Seuil.

Rn = Raynouard, François-Just, 1844. Lexique roman ou Dictionnaire de la langue des troubadours, 6 vol., Paris, Silvestre.

Rohlfs, Gerhard, 1970. Le gascon. Étude de philologie pyrénéenne, 2e éd., Tübingen/Pau, Max Niemeyer/Marrimpouey Jeune.

Ronjat, Jules. 1930-1941. Grammaire istorique des parlers provençaux modernes, 4 vol., Montpellier, Société des langues romanes.

Rossiaud, Jacques, 2002, Dictionnaire du Rhône médiéval. Identités et langages, savoirs et techniques des hommes du fleuve (1300-1550), 2 vol., Grenoble, Centre alpin et rhodanien d’ethnologie.

Routledge, Michael J., 1977. Les Poésies du moine de Montaudon. Édition critique, Montpellier, Centre d’études occitanes de l’Université Paul Valéry.

Runnalls, Graham A., 1982. La Passion d’Auvergne. Une édition du manuscrit nouvelle acquisition française 462 de la Bibliothèque Nationale de Paris, Genève, Droz.

Spetia, Lucilla, 2011. « Gatti rossi e gatti neri : un mistero felino alle origini della pastorella ? », in : Rieger, Angelica (éd.), L’Occitanie invitée de l’Euregio. Liège 1981 - Aix-la-Chapelle 2008 : Bilan et perspectives. Actes du neuvième Congrès international de l’Association internationale d’études occitanes, Aix-la-Chapelle, 24-31 août 2008, Aix-la-Chapelle, Shaker Verlag, t. I, 543-555.

Stimm, Helmut, 1984. Compte rendu de Runnalls 1982 ; Zeitschrift für französische Sprache un Literatur 94, 193-197.

Stroński, Stanislaw, 1910. Le troubadour Folquet de Marseille. Édition critique, Cracovie (réimpression, Genève, Slatkine Reprints, 1968).

Stroński, Stanislaw, 1913. « Les pseudonymes réciproques », Annales du Midi 25, 288-297.

TLF = Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (1789-1960), 16 vol., Paris, Gallimard, 1971-1994.

Vatteroni, Sergio, 2011. « La fortuna di L’autr’ier jost’una sebissa e Raimon Escrivan : considerazioni sui generi della pastorella e della tenzone fittizia », in : Ferrari, Anna / Romualdi,

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 138

Stefania (éd.), « Ab nou cor et ab nou talen ». Nouvelles tendances de la recherche médiévale occitane. Actes du Colloque AIEO (L’Aquila, 5-7 juillet 2001), Modène, Mucchi, 243-261.

Varvaro, Alberto, 2012. Prima lezione du filologia, Rome-Bari, Laterza.

Vatteroni, Sergio, 2013. Il trovatore Peire Cardenal, 2 vol., Modène, Mucchi.

Walter, Virginie, Valérie, 2007. Contribution à l’étude de l’évolution historique du chat : ses relations avec l’homme de l’Antiquité à nos jours, thèse pour obtenir le grade de docteur vétérinaire, Toulouse, École nationale vétérinaire.

Witthoeft, Friedrich, 1891. “Sirventes joglaresc”. Ein Blick auf das altfranzösiche Spielmannleben, Marburg, N. G. Elwert’sche Verlagsbuch-handlung.

NOTES

1. Sur ce cycle, voir Latella (1994, en particulier 61-87), Léglu (1996), Méjean (1971, 395) et Guida (2011). 2. Ces lignes étaient écrites quand nous avons pris connaissance d’un article de Saverio Guida qui commente longuement les premiers vers du texte qui nous intéresse (Guida 2011, 238-250). Nous indiquons dans les notes les points de convergence et de divergence entre les analyses du provençaliste italien et les nôtres. 3. Voir aussi Franchi (2006, 90) et Guida (2011, 239-240). 4. La première pastourelle selon Jeanroy (1934, 2, 338). 5. Cf. aocc. foguier (MongeMont, Rn 3, 345 = Appel 1902, 256 = éd. Routledge 1977, 93, v. 18), fuguier (ÉvEnf, Rn 3, 345-346= RF 22, 988 [= éd. Huber] dans FEW 2, 649a= éd. Giannini/Gasperoni 2006, 235, v. 1555), fogier (doc. St-Flour 1431), fogié (doc. St-Flour 1461, tous les deux DAOA 590) ; cf. LvP (192) et FEW (2, 649a, FOCARIUS). Aussi “(par synecd.) focolare, fuoco” (foger, SFoi, Crescini 1926, 396). 6. Le sens de “casa, casolare” est admis par Franchi (2006, 93 “casa”) et par Guida (2011, 240, 241, 245 “casolare”), qui note à plus juste titre le caractère « impoetico » du mot. — D’une manière générale, les innovations de Latella en matière de sémantisation des unités lexicales et les corrections qu’elle propose (voir ci-dessous passim) nous apparaissent comme des manifestations de la « résistance naturelle du lecteur au texte », résistance qui se manifeste par des rationalisations ramenant « ce qu’on trouve étrange dans le texte au connu » (Riffaterre 1979, 8), quitte à tomber de Charybde en Scylla. Nous nous efforcerons au contraire de respecter « ce qui devrait être la règle cardinale de l’explication » : la docilité au texte (Riffaterre 1979, 12). 7. On peut observer en outre qu’en français, où foyer “âtre de la cheminée” est attesté depuis ca 1135, le sens métonymique “lieu où habite une famille” n’est documenté que depuis 1572 (Ronsard, TLF). 8. FEW (13/2, 197b, TRANS), DAOA (1240) et Latella (1994, 282). Notons que [tras] signifiait “à côté de” au 20e siècle dans le parler de Mende (ALLo 2178 dans FEW, loc. cit.), sens confirmé par Escolo Gabalo (1992, 498) : tras prép. et adv. “auprès, à côté, contre”. 9. Lv (4, 432, qui corrige Rn 4, 94), Appel (1902, 268) et FEW (5, 407b, LONGUS). Ajouter doc. Rouergue ca 1191 (Brunel 1926, n° 262, 7) et doc. Rouergue 1174, lunc (Brunel 1952, n° 410, 16), ainsi que PCard (Vatteroni 2013, 997). 10. Dans le même sens, voir déjà Guida (2011, 240-241) : « l’adesione ai modelli si rivela subito solo fittizia » ; l’« alterità rispetto ai patterns standardizzati » apparaît dès l’emploi de fogier (pris par l’exégète au sens de “casolare”), mot qui se présente « come un elemento dissonante, inadeguato alla struttura formale e tematica abbozzata ». Mieux encore si l’on conserve son sens à ce mot.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 139

11. Matériellement, le vers 2 se lit ainsi dans D a « Un cro-[2]-lon nera un efasmes » (source :

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 140

l’article masculin. Cette intervention est essentiellement motivée par l’hypothèse selon laquelle olhet indiquerait « quell’orifizio femminile che ancor oggi viene definito “il terzo occhio” » (art. cit., 245). Nous ne sommes pas convaincu par cette interprétation. 24. = Lv (7, 371) = LvP (329). 25. FEW (7, 349b, OLLA), DAOA (838) et ALMC (787). Aj. doc. Mende 1472-1473 (André 1885, 37). 26. Mot attesté par Rn (2, 527) “courroie” (corretz pl., GuillPoit, mais voir 6, 167 ; correy, BBorn [discussion dans Lv 1, 378 ; cf. éd. Gouiran 1985, 2, 896 “ceinture” (éliminer du glossaire la forme fictive correg] ; correg, RaimbAur) et Lv (1, 378), qui ajoute correi dans un passage peu clair de GirBorn. Voir aussi Lv (1, 380) pour corretz chez GuillPoit ( = éd. Pasero 1973, 130, v. 81, trad. “ammennicoli”, car interprété, de manière peu crédible, comme une forme de conrei), considéré par Lv comme contenant une « dialektalische Abweichung von g », et pour corretz dans CroisAlb 5352 ( = éd. Martin-Chabot 1931-1961, 2, 230, v. 8) compris “courroie” = Rawls (1983, 48 : “strap, belt”) = LvP (97 : correg, -ei “courroie ; ceinture”) = FEW (2, 1221b, 1223a, CORRIGIA : correg “id.”). 27. Selon Guida (2011, 245), conrés serait porteur de « l’idea degli organi maschili che comunemente vengono denominati “palle, testicoli” ». Hypothèse non nécessaire, à notre avis. 28. « De cela aiga prestiron e meiren els conres », Lv (1, 332 : “Speise”) = LvP (91 : “mets”) = éd. Martin-Chabot (1931-1961, 1, 138, v. 10: “aliments”)= Rawls (1983, 47: “food”)= FEW (16, 697a, *REÞS: “mets”). 29. « [Un mauvais riche] manjava ad esple / .../ E non donava son conre » : Rn (2, 459) “nourriture” = Lv (1, 332), qui exprime son scepticisme ; mais voir Vatteroni (2013, 959) “vivande, viveri”. 30. Rn (4, 352), LvP (260) et FEW (7, 247b, NUTRICIA). 31. La noirissa inspire au médiéviste bien informé les commentaires suivants : « Spesso tale donna di casa, giovane e fisicamente ben impostata, serviva, oltre che per i suoi compiti primari, per soddisfare senza troppe resistenze le voglie libidinose del suo datore di lavoro o di chi era disposto a ripagarla generosa-mente. La reputazione della nutrice non era ordinariamente molto elevata e la sua figura era a volte equiparata a quella della meretrice o della cortigiana di facili costumi » (Guida 2011, 246). 32. Il en va de même pour Guida (2011, 248), mais dans un sens érotique : « Segno distintivo della nutrice, emblema della sua sessualità, era per Garin il suo gattone nero, elemento conclusivo e dirimente sul piano traslativo di una sequela di immagini e metafore ruotanti tutte, in maniera equivoca, attorno all’idea ossessiva, per quanto giocosa, delle differenze somatiche tra uomo e donna del pene dentro la vagina ». À notre sens, c’est précisément la pauvreté désespérément obsessive et platement graveleuse des signifiés qui seraient cryptés aux vers 3-5 qui conduit à ne pas faire usage de la « chiave di lettura » offerte par le philologue italien. 33. Voir aussi Spetia (2011, notamment 548-549), dont les considérations apportent peu de chose, nous semble-t-il, à la compréhension du texte de Garin d’Apchier. 34. La leçon de Da « e la noirissa en un gat nier » nous paraît faire sens : “et la nourrice dans un chat noir”, c’est-à-dire “et la nourrice (est représentée) dans/par un chat noir”, “et la nourrice (ne consiste que) dans un chat noir”. 35. Aucune autre occurrence du syntagme dans le corpus de la COM2. 36. Delort (1984, 431-435) avec des exemples des 12e et 13e siècles. Sur le chat noir au Moyen Âge, voir aussi Walter (2007, 61-65) et Guida (2011, 247), d’après Sainéan. 37. Dans son apparat, Latella (1994, 220) donne « son ». Comme Appel, nous lisons « fon » (source :

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 141

1985, 1, 92, 944), RaimbVaq (emploi fig., éd. Linskill 1964, 200, v. 46), MongeMont (éd. Routledge 1977, 94, 203 [à corriger]), GuiUis (éd. Audiau 1922, 71, v. 43), CroisAlb (éd. Martin-Chabot 1931-1961, 2, 126 v. 41 : “coseigneur” = Rawls 1983, 120 par erreur “equal, ally”), GuirRiq (f. parieira, Narbonne ca 1180 = Lv 6, 81 corrigeant Rn 4, 414) et la razo de P.-C. 406, 4, 27, 38 et 364, 21 (Rn 4, 414 = éd. Boutière/Schutz 1973, 385, 387 var.). 41. Ø Rn, Lv, Appel (1902), LvP, Pans, Brunel (1926), Brunel (1952), FEW et DAOA. 42. Voir Stroński (1910, 31*-40* ; 1913) et Jeanroy (1934, 1, 319-320). 43. Razo de P.-C. 80, 20 et 82 dans Rn (4, 289) = Boutière/Schutz (1973, 91) = éd. Gouiran (1985, 1, 343) ; doc. St-Flour 1380 (DAOA 286). 44. « Et an vos claus lo cortil / Sil que·us son deus lo capil, / E tornat de brau humil / E tout chan e alegransa » (éd. Latella 1994, 185, V, v. 25-28). Nous avons proposé de lire « d’eus » et de comprendre ainsi le vers 26 : “ceux qui sont sous le même toit que vous” = “vos compariers”. — Bertran de Born évoque aussi un conflit coseigneurial dans la strophe suivante : « Seigner sia eu de castel parsonier / Et en la tor siam catre parier / E ja l’us l’autre non poscam amar, / Anz m’aion ops totz temps arbalestrier, / Metge e sirven e gaitas e portier, / S’eu anc aic cor d’autre dompna amar » (éd. Gouiran 1985, 1, 92, v. 25-30 et 102-104 n., cité par Laffont 2000, 110 et Débax 2012, 137). Cf. encore, du même Bertran : « Mos parsoniers es tant gainartz / Qu’el vol la terra mos enfans » (éd. Gouiran 1985, 1, 354, v. 41-42, cité par Débax 2012, 257). 45. Pour quelques échos anthroponymiques de la présence catalano-aragonaise à Millau, voir Chambon (à paraître, a). 46. AlcM s. v. (consulté sur le site de l’IEC) et ALDC (6, 1382). 47. DELCat (7, 506 sqq.), avec d’autres exemples du 14e et du 15e siècle, depuis 1604 au sens figuré appliqué à un humain ; AlcM s. v. (consulté sur le site de l’IEC) et ALDC 6, 1377, 1382. Rohlfs (1970, § 174), DELCat (7, 508) et FEW (22/1, 271a) attestent (ar)ruc “ânon” en gascon pyrénéen et le diminutif ruquét en Bigorre. 48. Rohlfs (1970, § 174). 49. Chambers (1971, 87, 236) et Boutière/Schutz (1973, 438). Voir un échantillon de surnoms de jongleurs dans Witthoeft (1891, 9). 50. Cf. la vida de Raimon de Miraval présentant celui-ci comme « uns paubres cavalliers de Carcasés, que non avia mas que la quarta part del castel de Miraval » (Boutière/Schutz 1973, 375 et n. 2). 51. La valeur de q’ au vers 10 est bien explicitée au glossaire par Latella (1994, 278) : « cong. [...] [con valore] esplicativo». 52. La correction de Latella (« mal no m’en mier ») est justifiée, car elle s’avère indispensable au fonctionnement ironique et à l’effet de comique produit par les vers 9-10 (Latella 1994, 226-227). — On remarquera que le verbe merir ne signifie pas à lui seul “essere colpevole” (Latella 1994, 273). C’est la locution verbale mal merir qui exprime ce contenu : cf. Rn (4, 213 malmerir = mal merir) ; Lv (5, 237) “schuldig sein, Schuld haben, sündigen”, avec de nombreux exemples, y compris en emploi réfléchi et construit avec en/ne (CroisAlb ; Flamenca) ; FEW (6/2, 29a, MERERE). 53. Cf. Latella (1994, 227). 54. Le premier au sujet du « castrum in Arisitonito pago quod vocatur li Gardi » (passage des Miracles de saint Privat cité également par Latella 1994, 227), conflit dans lequel l’évêque de Mende dut intervenir ; le second au sujet du château de Chirac. 55. Witthoeft (1891, 64) « pot » (v. 15). 56. La traduction de Latella (1994, 221 : « e ne disse tanto male l’altro giorno ») supprime la valeur explicative. Au glossaire qe (v. 13) est catégorisé comme « cong. [...] con valore [...] copulativo » (Latella 1994, 278), tandis que q’ (v. 10) est donné comme explicatif. 57. En revanche, c’est par erreur que Witthoeft édite « que·m » (correction tacite ?) : le ms. porte clairement « Qen » (source :

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 142

58. Cf. Franchi (2006, 93) : “e l’altro giorno ne disse una tale offesa, mentendo, perché non mi disse niente di vero”. 59. On ne voit pas en quoi dire beaucoup de mal de quelqu’un (le père de Ponson Gaifier) impliquerait qu’on ne dise rien de vrai de quelqu’un d’autre (l’énonciateur). 60. Pour la valeur de enuich comme COD du verbe dire, à savoir “propos qui cause de la contrariété” (cf. Latella 1994, 266 : “cosa sgradevole” ; Franchi 2006, 93 : “offesa”), on comparera Er no ditz mas enois (Lo Vesques de Clarmont, « Peire de Maensac, ges lo reis no seria », P.-C. 95, 2, éd. Kolsen 1925, 14, v. 17). 61. Voir Latella (1994, 229-230). 62. Au vers 19, la locution adverbiale maintas ves (v. 19) est placée de telle sorte qu’elle peut incider sur cre (avec une valeur fréquentative = “souvent” ; Lv 8, 716) comme sur valer (exprimant un rapport, avec une valeur comparative = “beaucoup plus”). Latella (1994, 221 : “credo di valer diverse volte loro”) et Franchi (2006, 93 : “credo di valerli molte volte”) paraissent incliner vers la seconde valeur. Il nous semble qu’il ne faut pas réduire l’ambivalence. 63. Cet adverbe ne semble être rendu ni dans la traduction de Latella (1994, 221, mais voir le glossaire, p. 257 : “allora”), ni dans celle de Franchi (2006, 93). Dans ce passage, adoncs rappelle la subordonnée temporelle précédente (v. 20) Quant cossir de leis q’eu enquier (voir DOM 192a, 1.j.). 64. Pour cossirar, voir Cropp (1975, 301-304, 306-307). Pour enquerre, exprimant la requête d’amour, voir Cropp (1975, 204, 207-208, 209-210). 65. Cf. aussi verdch. riaume “rive droite [de la Saône]” (FEW 10, 209b et n. 3, REGIMEN) et verdch. pire “rive gauche de la Saône”, Mâcon id., empi, mdauph. bdauph. [ɛ̃ˈpɛri] “rive gauche du Rhône” (FEW 4, 587b, IMPERIUM). 66. Pour l’expansion des Châteauneuf « dans tout le quart sud-est du Vivarais », voir Laffont (2009, 212-213). Pour une allusion chez Torcafol, voir Chambon (2014, 505-506). 67. On a là, à notre connaissance, les premières attestations de ce binôme lexical. Cf., appliqué aux quartiers de Lyon, alyonn. Empiro (1387, Durdilly 1975, 282, 295) et Re(y)a(l)mo / Reaume (1342-1387, op. cit., 252, 277, 289, 293, 316). Voir encore Rossiaud (2002, 2, 120) : à Lyon, « pendant tout le XVe s. », distinction « dans les documents officiels entre les quartiers d’Empire et ceux de Royaume » (sans précision sur la langue) ; à Valence, « jusqu’à la fin du XVe s. », « adjudications [...] à la part du Royaume et à la part de l’Empire » ; mfr. Rég. la part de l’empire “babord” (Pont-Saint- Esprit 1473). 68. Doc. Toulousain ca 1173 (Brunel 1926, n° 138, 7) ; Flamenca v. 6715 (éd. Manetti 2008, 410, 559) en référence à la limite rhodanienne du royaume de France (face à l’Empire). — Pour a introduisant une proposition infinitive de sens final (ici avec la nuance “dans l’espoir de”), voir DOM (1b), DAOA (1) et aauv. al pont bastir (1195, Brunel 1926, n° 282, 21), ad molen emplir / al molin emplir (12e s., Doniol 1864, n° 979). 69. L’ambition du rodomont, déjà assez remarquable, ne va pas cependant, à notre avis, jusqu’à réclamer pour lui un fief dépassant ou surpassant le royaume de France ou l’Empire, comme semble le penser Latella (1994, 221, 276) quand elle donne à partir le sens de “sopravanzare” (sens qui ne paraît d’ailleurs pas attesté). Franchi (2006, 93) traduit plus justement par “dividere”. 70. « Et fetz lo premier descort », déclare la vida de Garin d’Apchier (Latella 1994, 96, 98-100) ; Guida (2011, 250). 71. Brunel-Lobrichon/Duhamel-Amado (1997, 265). 72. Expression appliquée à Garin par Guida (2011, 239). 73. Cf. Latella (1994, 76-77) et Guida (2011, 216). 74. Voir ci-dessus § 5.5.3, 6.2., 6.3., 9.4. 75. Cf. Garin d’Apchier : « Tan faitz malvatz sirventes / Que del respondre soi las », « Anc un bo mot no fezes / No·n i agues dos malvatz » (éd. Latella 1994, 144, III, v. 3-4, 9-10) ; « E·ill malvaz serventes / Que vos auch far e dir, / Me tornon en azir » (op. cit., 202, VI, v. 3-5) ; Torcafol :

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 143

« Cominal, en rima clausa, / On ja no·m respondres, so cug, / Farai sirventes aora » (op. cit., 164, IV, v. 1-3) ; voir Rieger (1976, 153 n. 123 et 171). 76. Sur l’art de Garin, voir Latella (1994, 63-87) et Guida (2011, 248-250).

AUTEUR

JEAN-PIERRE CHAMBON

Université de Paris-Sorbonne

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 144

Traces musulmanes dans le théâtre médiéval européen

Francesc Massip et Raül Sanchis Francés

NOTE DE L'AUTEUR

Travail réalisé dans le cadre du projet LAiREM (Literatura, Art i Represen-tació a la llarga Edat Mitjana), Groupe de Recherche Consolidé 2014 SGR 984 de l’AGAUR (Generalitat de Catalunya). Traduction française de Caroline Moreau.

1 Les profondes racines arabo-judaïques de la culture ibérique ont été délibérément cachées par l’invention d’une idée d’Europe « fondée sur l’occultation et la négation des traits arabes », formulée à la Renaissance, qui représenta une rupture profonde et consciente « avec le monde philosophique et culturel musul-man ». Goytisolo exhorte l’Europe du nouveau millénaire à réincorporer ce patrimoine culturel divisé pendant tout le Moyen Âge, « comme expression d’une occidentalité diverse, représentée par al- Andalus dans le domaine de l’architecture, de la philo-sophie, de la science et de la littérature » (Juan Goytisolo, Cogitus interruptus 1999 : 149), s’accommodant d’une présence sémite de presque mille ans dans la Péninsule Ibérique, interrompue par des expulsions et des déportations traumatisantes ou même d’une extermination pure et simple. L’une des nombreuses consé-quences du « mémoricide » perpétré par l’enseignement courant de l’Espagne d’esprit « impérial » pendant les trois derniers siècles, est la méconnaissance absolue de l’extraordinaire culture d’al-Andalus et de l’influence profonde que celle-ci exerça en particulier sur la pratique théâtrale occidentale. Il est grand temps de mettre au jour cet apport culturel considérable. Nous nous pro-posons aujourd’hui d’ouvrir quelques pistes pour reconnaître la présence de la culture arabe en filigrane dans le théâtre européen.

2 On connaît l’histoire de Jorge Luis Borges (« La quête d’Averroès», L’Aleph 1949) dans laquelle le voyageur musulman Albucassim Al-Asharí explique au philosophe de Cordoue et à ses amis une expérience singulière qu’il a eue à la cité commerciale de Sin Kalán (Guangzhou ou Canton, Chine) : dans un lieu, il y a réuni beaucoup du monde mis

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 145

en rangées et il y a quelques personnes situées sur une terrasse qui jouaient du tambour et du luth, pendant qu’une vingtaine de personnes avec des masques priaient, chantaient et dialoguaient : « Ils souffraient de la prison, et personne ne voyait la prison ; ils chevauchaient, mais l’on ne voyait pas de chevaux ; ils combattaient, mais les épées étaient des cannes ; ils mouraient et après ils étaient debout… Ils étaient les figurants d’une histoire ». Face à la stupeur de ceux qui l’écoutaient, le voyageur tente de l’expliquer avec des gestes : « – Imaginons que quelqu’un nous montre une histoire au lieu de la rapporter… c’est quelque chose comme ça que nous montraient les personnes de la terrasse. – Est-ce que ces personnes-là parlaient ?, interrogea Farach. – Bien sûr qu’elles parlaient, dit Albucásim… Elles parlaient, chantaient et péroraient ! – Dans ce cas, dit Farach, il ne fallait pas vingt personnes. Un seul narrateur peut raconter n’importe quoi, quelle qu’en soit la complexité ». (Borges 1947) 3 Borges présentait ainsi une culture islamique ignorant la repré-sentation théâtrale et pratiquant uniquement la tradition du conte oral (kissagu), encore très vivante dans le monde arabe. Tout cela serait corroboré par Averroès lui-même, qui dans ses commen- taires de la Poétique d’Aristote notait, comme écrit Borges : « Aristote dénomme tragédies les panégyriques et comédies les satires et anathèmes. D’admirables tragédies et comédies abon-dent dans les pages du Coran et dans les mu’allakas du sanctuaire » ; et Borges conclut qu’Averroès ne pouvait pas « ima-giner ce qu’est un drame sans soupçonner ce qu’est un théâtre », aspect qui pourrait confirmer que le monde arabe ne connaissait pas du tout le théâtre.

4 Mais Borges se trompait : avec ce commentaire, Averroès essayait seulement d’appliquer à la poétique arabe la métho-dologie aristotélicienne, mais il n’ignorait pas la terminologie spécifique des arts théâtraux (Moreh 1992 : 117). Par ailleurs, il est évident que le monde musulman n’avait pas la même conception du théâtre que celle de l’Antiquité, qui l’étayait sur une activité structurée et une institution organisée. Le problème, c’est que l’Europe chrétienne médiévale ne partageait pas non plus l’idée forte que s’en faisait l’Antiquité. Les religions du Livre (juive, chrétienne et arabe) condamnaient le théâtre. C’est ainsi que, tout au long du Moyen Âge, se développe en Occident une production théâtrale qui a peu à voir avec celle qu’avait théorisée Aristote, et qu’on pourrait supposer plus proche de la culture musulmane.

Les combats de fiction

Origine des chevaux-jupons dans le monde islamique

5 Face à l’hostilité manifestée contre l’expression dramatique, il faudra chercher des indices de théâtralité dans les survivances et transformations d’anciens rituels célébrés pendant les fêtes agri-coles saisonnières qui commémoraient la mort et la résurrection de la végétation et de la vie.

6 Mahomet pensait que « toutes les distractions ou loisirs n’avaient aucune utilité et étaient futiles, sauf à utiliser l’arc, dresser les chevaux et caresser l’épouse ». Cette affirmation justi-fierait l’existence de combats de fiction, les li’b al-Habasha, où on simulait des affrontements avec épées et boucliers interprétés par des acteurs (la’ib) montés sur des chevaux postiches, les kurraj. Ce jeu remonte à certains rituels chamaniques de fertilité usuels dans l’ancienne Perse et l’Asie centrale. À l’époque omeyyade, dans l’actuel Irak, les kurraj portaient des courroies ornementées et des

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 146

grelots, décoration de harnais qui aura un bel avenir, tandis qu’à l’époque abbaside, à Bagdad, le kurraj est accompagné de musi-ciens, danseurs, chanteurs et acteurs. 7 D’après Ibn Khaldun (XIVe siècle), le kurraj est un élément traditionnel des processions et des cortèges, utilisé pour la danse et le jeu : c’est une carcasse creuse en bois, figurant un cheval sellé, revêtu de longs jupons, dans laquelle se glissent danseurs ou danseuses qui donnent l’impression de monter des chevaux-jupons et lancent leurs attaques avec agilité, en dansant sur des poèmes mis en musique et accompagnés de tambours et de flûtes (Gaudefroiy-Demombynes 1950 : 157). La forme ne change pas : une tête de cheval en bois, que le médecin andalousien Maimonide (1135-1204) appelle faras al’ud (‘bâton avec tête de cheval’) et une structure de claie, dûment couverte de jupons larges pour cacher le bas du corps du chevalier placé à l’intérieur.

Fig. 1 : (a) Fragments d’une miniature dans laquelle on voit divers spectacles pyrotechniques pendant les fêtes organisées pour célébrer la naissance d’un des fils de Mourad III (1546-1595), (b) détail d’un kurraj

Châteaux et fantoches de feux d’artifce, combats d’animaux et jeux de chevaux jupon (kurraj) avec des pétards Musée du Palais de Topkapi, Istamboul, XVIe siècle

8 D’après Metin And, les éléments du combat sont une survi-vance des rituels de fertilité dans lesquels les antagonistes livrent symboliquement une bataille entre les forces de la vie et de la mort, de l’été et de l’hiver, de la lumière et du noir, de l’ancien roi et du nouveau, du père et du fils, de l’ancienne et de la nouvelle année (And 1987 : 89).

9 Dans al-Andalus, la présence des kurraj dans les palais des califes et des notables est signalée par Al-Shaqundi († 1229) et Maïmonide met en rapport les chevaux-jupons avec la représen-tation du jeu du khayal, dans lequel intervenaient joueurs de flûtes et acteurs. La qualité d’interprétation des danseurs qui montaient les chevalets nous porte à croire que quelques-unes de ces représentations de kurraj incluaient un certain dialogue et une certaine action dramatique.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 147

Les chevaux-jupons dans l’Europe chrétienne

10 La documentation ne laisse pas de doute sur l’origine islami-que du jeu, et le jeu des chevaux-jupons s’étend dans l’Europe chrétienne déjà à la fin du XIIIe siècle, où on retrouve la trace de la danse du cheval dans le diocèse catalan d’Elna (Schmitt 1976 : 154), et surtout depuis le XIVe siècle, quand il apparaît dans la Procession du Corpus Christi, création nouvelle d’un cortège coloré qui accueille et conserve des formes de théâtralité de provenances diverses, païennes et préchrétiennes, qui adoptent l’adoration de l’ostensoir et réussissent à survivre dans cette chris-tianisation. Les chevalets intégrés dans la fastueuse suite de la Fête-Dieu portaient des grelots et dansaient au son du tambour, comme les kurraj islamiques du VIIIe siècle. Leur carcasse était constituée d’une tête de cheval peinte et d’une ossature en bois ou claie, garnie de bourre et de coton, et recouverte de cuir et de jupons qui cachaient les jambes du porteur. Le jeu consistait en une bataille fictive entre chrétiens et musulmans, à une époque où culminait l’Empire ottoman. À Barcelone, dans la réprésentation du martyre de saint Sébastien, il y avait huit chevaux de bois, pour-vus de tout le harnois (cottes d’armes, brides, corselets, avaloires, grelots ou sonnettes et couvertures qui cachaient la carcasse), et leurs chevaliers équipés d’armets, gorgerins, lances, épées de bois teintes en rouge et boucliers ; il y avait, d’autre part, le Grand Turc et sa troupe de vingt-quatre hommes, tous barbus et armés pour livrer « la bataille contre les dits chevaux », qui défilaient au son d’un grand tambour. Cette danse a pu se transformer, dans quelques lieux, en représentation dialoguée (Harris 1997 : 227-228).

11 Le chroniqueur Antonio Beccadelli il Panormita rapporte qu’au cours de l’entrée triomphale du roi Alphonse le Magnanime à Naples en 1443, fut donnée une représentation de bataille comme il n’en avait jamais vue, préparée par les catalans, opposant des Turcs et des jeunes gens alertes montés sur des chevaux-jupons couverts de robes jusqu’au sol, qui semblaient bien vivants dans leurs mouvements et ruées caractéristiques de l’exercice chevaleresque. Les chevaliers, pourvus d’un bouclier aux armes du roi et d’une épée dégainée, affrontaient un grand escadron de Turcs à pied, armés, comme en Perse et en Syrie, « de sortes d’alfanges et d’armatures de têtes » d’aspect terrifiant. Les uns et les autres évoluaient en dansant au son d’une musique dont le rythme s’accélérait jusqu’à ce qu’éclate la bataille entre « mores et chrétiens ». Cette description nous fait penser à une des plus authentiques survivances de la Procession de la Fête-Dieu, la Patum de Berga (Barcelone), qui n’a conservé que des manifes-tations profanes du cortège (bal de diables, bal de dragons, de géants et nains, etc.), parmi lesquelles il y a le Ball dels Turcs i els Cavallets qui évoluent en deux cercles concentriques tournant en sens contraire, les chevaliers chrétiens sur leurs chevaux- jupons frappant de leurs boucliers les épées courbées des Turcs à pied. 12 On trouve encore les chevaux-jupons dans nombre de festi-vités hispaniques et européennes : des Cavallets et Cotonines de toute la Catalogne, Îles Baléares et Valencia, jusqu’aux zaldicos et zamalzain basques, le Poulain de Pézenas (Languedoc), les chevaux- jupons de Cassel (Picardie) ou Douai, le Brieler Rössle de Rottweil (Allemagne) ou les Chin- chins du Lumeçon de Mons (Belgique).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 148

Fig. 2 : (a) Ball de turcs i cavallets (Danse de turcs et chevaux jupon), (b) Ball de cavallets (danse de chevaux jupon)

(a) Patum de Berga, 2014 [photo : Margarida Pont] ; (b) Corpus de València, 2011 [photo : Raül Sanchis]

Les professionnels de l’amusement : danseurs, jongleurs, bouffons, mimes et acteurs

13 Dans le monde arabe, ainsi que dans l’Europe chrétienne médiévale, circulait une pléiade de professionnels du divertis-sement, d’activités diverses et aux dénominations variées. Par exemple, du IXe au XIe siècle en Irak et en Égypte dans le royaume des abbassides, les samaja, acteurs pourvus de masques de démons comiques et répugnants, jouaient pendant les célébra-tions du Nayruz : ils dansaient en balançant le corps ou en se tenant par la main ou en rangs, comme on peut le voir dans l’iconographie de l’époque.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 149

Fig. 3 : (a) Danseuses et bouffons accompagnés par un groupe de musiciens jouant des zurnas, (b) Acteurs dansant (mukhayilun) et acteurs masqués (samajat)

(a) Tambourins et tambours en présence du sultan Ahmed III (1673-1736) pendant les fastes qui ont commémoré la cérémonie de circoncision d’un de ses fls (a) Ilustrations de Levni, Musée du Palais de Topkapi, Istamboul, 1720] ; (b) L.A. Mayer Memorial Institute for Islamic Art, Jerusalem, ca. 1590 ; apud Moreh (1992 : 55)

14 Bien que le terme samaja disparaisse après le XIe siècle, les acteurs masqués perdurent, mais on n’en connaît pas le nom avant le XIXe siècle quand ils réapparaissent sous l’appellation de muharrijun. Aujourd’hui, à Damas, le muharrij est une espèce d’arlequin ou personnage comique qui fait rire les gens. C’est un des deux termes du théâtre arabe, avec maskhara, qui soient passés dans une langue européenne. De muharrij, porté par les Omey-yades dans al-Andalus, provient l’hispanique moharrache qui se transforme curieusement en espagnol, par métathèse d’approximation, en homarrache (homme), synonyme de masque ou, mieux, de bouffon masqué ; sous l’influence de « momo » (le mimus ancien), le substantif évoluera en momarrache, pour aboutir à mamarracho. Le premier document littéraire castillan où apparaît le mot est un poème de Juan de Mena († 1456), dans lequel il semble indiqué que, comme le samaja d’Ibn al- Mu’tazz, les bouffons moharraches avaient l’aspect du diable : « Toma, toma, este diablo / mételo allá en el establo, / de aquel que vi en un retablo / pintado por moharrache » (« Prends, prends ce diable, mets-le là dans l’étable, celui que j’ai vu dans le retable, peint en bouffon moharrache »).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 150

Fig. 4 : (a) Procession (simat) avec des figures d’animaux (tamathil) et de bouffons (samaja) avec des vessies gonflées comme celles qu’utilisent encore plusieurs personnages qui incarnent le fou masqué dans les fêtes populaires européennes ; (b) Défilé corporatif en carrosse, offrandes, musiciens, bouffons, géants et danseuses

Illustrations de Levni, Musée du Palais de Topkapi, Istamboul, 1720

15 Mais, plus d’un siècle avant que le mot apparaisse dans le Libro de las confesiones de Martín Pérez (1313) parmi les métiers de jongleurs que les moralistes réprouvaient – « Les histrions et moharraches transforment leur apparence, avec des visages ou des vêtements de diables et de bêtes, se dépouillant ou se noircissant, faisant des gestes maladroits, très maladroits et de grossières jongleries » –, Pedro de Alcalá (Vocabulista arávigo en letra castel-lana, Granada 1505) dit que moharrache vient de waj mu’ar (littéralement « faux visage », c’est-à-dire « masque »).

16 Le deuxième terme venant de l’arabe est masque, de maskhara (c’est-à-dire « bouffon »). Le même Pérez atteste d’autres termes espagnols liés au monde du spectacle, qui sont d’origine arabe, comme zaharrón ou albardán, avec le sens de « bouffon » ou « fou » : « C’est ainsi qu’arrivent ceux qui font les bouffons çaharrones dans les villes et les marchés, ils interpellent les hommes vaniteux et n’ont pas d’autres tâches que celle- ci ». Le mot, qui vient de l’arabe sahhar et qui veut dire « déguisement comique », désigne encore aujourd’hui une figure du folklore rural castillan, gallicien et asturo- léonien : el zaharrón, zafarrón, zangarrón, zamarrón, tafarrón, mazarrón o cigarrón. La particularité des çaharrones est de porter un masque d’animal ou de diable (avec des cornes), d’avoir des vêtements bigarrés, et des clochettes à la taille ; en général, au cours des fêtes d’hiver, ils fouettent les gens avec des fouets mous ou des vessies de cochons. Ces personnages de fête agraire avaient une grande capacité de transgression puisqu’ils jouaient à des moments d’inversion rituelle et de permission (licences hivernales et de mardi gras) ; leur fonction rituelle leur permettait de présager de l’avenir et d’obtenir une bonne année de récoltes, ce qui ne plaisait pas à Pérez : « Mais il y a une autre chose qui est bien pire : certains sont tellement aveuglés dans leur âme qu’ils disent que c’est parce qu’ils utilisent leurs arcs, leurs balles et les bouffonneries des çaharrones que les bonnes récoltes et les bonnes pluies arrivent ». 17 Pérez parle aussi des « albardanes », de mauvaise réputation, bouffons de profession qualifiés de « singeurs et médisants », troubadours du mal qui vont dans les maisons

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 151

des rois ou des seigneurs, font des plaisanteries et des bêtises, et utilisent de faux poèmes pour répandre leur mauvaise parole. Pérez se réfère concrètement aux « passefroids qui circulent dans les villes et les marchés en proférant des mensonges », qui interrompent les hommes dans leur activité et leur font perdre leur temps, faute impardonnable pour les moralistes de l’époque. L’« albardán » est sans doute un mot d’origine arabe, al-bardan, « le fou qui dit des bêtises », et désigne un jongleur qui, sous prétexte de trans-gression, médit et nargue, ce que signifie l’espagnol « cazurro » (autre mot d’origine arabe qui veut dire « insociable »). Si le « zaharrón » était condamnable par son accoutrement, l’« albardán » l’était par son discours dangereux, sans scrupule, obscène ; Covarrubias dit de ses paroles « caçurras » « qu’on ne peut pas [les] prononcer sans éprouver de la honte pour celui qui les dit et pour celui qui les entend », par exemple quand il parle avec vulgarité du membre viril ou d’autres réalités de ce genre (Tesoro de la Lengua castellana, 1611).

Défilés spectaculaires

18 Les véhicules qui étaient utilisés pour les représentations dans les villes européennes médiévales à l’occasion de visites royales ou de la procession de la Fête-Dieu, comme on peut le voir encore à Valence, semblent inspirés des véhicules qui défilaient à l’occasion d’anciennes célébrations islamiques. Nous savons qu’à l’occasion de la naissance du fils de Al-Muqtadi (1087), il y a eu un défilé auquel participaient des marins avec des barques sur roues, des meuniers actionnant des meules de moulins ; ailleurs, à la même époque, un cortège, ouvert par des tambours et des trompettes, comprenait trois carrosses représentant les ateliers d’un forgeron, d’un tisserand et d’un pâtissier ; ailleurs encore, des hommes portaient des personnages en sucre (tamathil), comme ceux qu’a décrits l’historien égyptien Al-Musabbini († 1029), lors de défilés qui conduisaient des musulmans et des coptes jusqu’à la prison de Joseph, où participent samahat (acteurs avec masque) et les danseurs des chevalets.

Genres narratifs arabes comportant des marques de spectacle : hikaya, maqama, risala, khayal

19 Hikaya veut dire imitation ou usurpation d’identité, mais aussi récit, conte, histoire. Parfois l’hikaya était une authentique représentation scénique, basée sur des textes écrits, où l’acteur, à la manière de la commedia dell’arte, se livrait à l’improvisation sur une trame générale connue d’avance.

20 Les risala, comme les hikaya, utilisaient abondamment le dialogue et nécessitaient parfois une mise en scène. Abu Amir Ibn Shuhayd al-Andalusí (992-1035), auteur d’un risala (Shajarat al-Fukaha), se moquait de son camarade Abu’l-Qasim Ibn’al-Iflili (Cordoue 963-1050), parce qu’il ne trouvait pas assez d’acteurs pour jouer sa pièce La représentation du Juif (« La’bat al-Yahudi ») ; on se demande si cette pièce était faite pour être récitée ou interprétée sur scène. Ibn Shuhayd, qui était vizir et ami des califes de Cordoue Abd-al Rahman V (1023-24) et Hisham III (1027-31), comptait sur de jeunes acteurs pour mémoriser ses textes ; en revanche, al-Iflili devait officier tout seul. Dans cette pièce cependant, al-Iflili jouait le rôle de protagoniste et, d’après le témoignage d’Ibn Shuhayd, « il avançait un peu en claudiquant, puis il revenait en arrière, un bâton

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 152

à la main et un sac au dos. Il était le meilleur interprète de la pièce » (ikhraj l’bat al- yahudi) : on en conclut qu’il jouait un rôle et qu’il n’était pas seul. 21 Al-Shaqundi († 1229), dans sa Risala fi Fadl al-Andaluswa-Ahliha, énumère divers types de divertissements dramatiques donnés dans al-Andalus : « les plus célèbres sont à Ubeda [localité située aux alentours de Cordoue], où il y a plusieurs sortes de musiciens et de danseurs réputés pour l’excellence de leur talent et de leur art. En effet, les danseuses sont les créatures de Dieu les plus habiles dans le jeu d’épées, la jonglerie, la mise en scène animée de la représentation du Paysan, jeux de mains et de masques (ikhraj al- qarawi wa-’l-murabit wa-’l-mutawajjih) ». D’autre part, Ibn Bassam Al-Shantarini († 1147) écrit, à propos d’une danseuse et chanteuse chrétienne que Ibn al-Kinani, un médecin de Cordoue qui éduquait de jeunes esclaves chrétiennes au chant, à la musique et à la danse, vendit à Hudail Ibn Razin, prince de la Sahla, pour trois mille dinars : « Nul ne vit à son époque femme d’allure plus gracieuse, de mouvements plus vifs, de silhouette plus fine, de voix plus douce, sachant mieux chanter […] Elle excellait à manier des armes (tiqâf), à faire de la voltige en tenant des boucliers de cuir, à jongler avec des sabres, des lances et des poignards effilés ; elle n’avait en cela ni son pareil, ni son égal, ni son équivalent ». 22 L’andalousien Ibn-Hazm (994-1064) est le premier à utiliser l’expression khayal al-zill (théâtre d’ombres). Mais auparavant khayal avait le sens de « représentation ». Abu’l- Hakam al-Andalusi († 1154) composait et jouait des khayal. 23 Par conséquent, dans al-Andalus, certaines techniques théâ-trales étaient connues et pratiquées. Dans son Dictionnaire, Pedro de Alcalá recense des termes de théâtre qui étaient vivants pendant toute l’époque de l’Espagne musulmane. Il n’y a aucun doute donc qu’il y ait eu du théâtre dans al-Andalus. 24 Le zèjel nº 12 d’Ibn Quzman (1078-1160) nous donne une idée de distribution d’interprètes dans al-Andalus. Le poème semble dit par un mime, directeur de la troupe, qui commence par remercier les spectateurs puis donne l’ordre aux musiciens de se préparer (le luth et son plectre, le tambour, les castagnettes, le tambourin et les flûtes). Il demande à Qurra o Qurro, une danseuse (ou danseur) de se parer de son voile et de ses amulettes. Puis il s’adresse au groupe, parle à l’acteur qui doit faire le paysan, qarawikum waqif/ al-mala’ib huzzu (« son [acteur dans le rôle du] paysan attend pour animer la scène »). Tout de suite après, il sollicite Zuhra, Maryam et Aysha, probablement trois actrices ou danseuses. 25 On trouve aussi des références au monde hébraïque, par exemple à Joseph et ses frères dans une pièce biblique sans doute d’influence chrétienne, sorte de représentation de variétés où alternent des scènes de théâtre avec de la danse, des jongleries et des jeux d’illusion sur accompagnement musical. Et les cours chrétiennes avaient des danseuses et des chanteuses musulmanes célèbres.

Technologie et spectacle

26 La culture d’al-Andalus eut, à notre avis, une autre influence dans le développement du spectacle médiéval européen, parce que le lien qu’elle a fait avec le savoir techno- logique gréco-byzantin, a été vraiment décisif dans le progrès de la scénographie à partir du XIIIe siècle, quand on a com-mencé à faire une place aux mécanismes et engrenages destinés à créer l’illusion scénique.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 153

27 Héron d’Alexandrie, ingénieur et mathématicien du 1er siècle, avait conçu des dispositifs automatiques qui sont à l’origine du théâtre mécanique, miniature où l’on pouvait, par exemple, donner une tragédie de courte durée sur le mythe de Nauplie. Cet héritage hellénistique, combiné avec l’importante tradition orientale (indienne et chinoise), fut recueilli par des savants arabes comme les frères Banu-Musa (ca 850), éduqués à Bagdad, auteurs du Livre des mécanismes ingénieux (Kotab-al-Hiyal), où ils proposent des solutions tech-niques qui seront reprises en Europe, huit siècles après, par Léonard de Vinci, lequel a probablement eu connaissance aussi des deux clepsydres monumentales que l’astronome andalousien al-Zarqali avait construites vers 1080 à Tolède sur les eaux du Tage. 28 Les engins décrits et dessinés par al-Jazari datent du XIIIe siècle (Libre du savoir sur les engins mécaniques, 1206) : grâce à l’énergie de la vapeur d’eau ou de l’air comprimé, ils action-naient soupapes, robinets, roues dentées et pistons qui mettaient en mouvement des structures ludiques et festives. Al-Andalus connaissait tous ces travaux. Au XIe siècle, al-Muradi a décrit, dans un traité, des mécanismes et des auto-mates complexes, les trains d’engrenage transmettant les mouvements de la machine hydraulique à l’automate. Parmi ses descriptions, il y a celle de la clepsydre des gazelles qui, au moyen de mercure et d’eau, permettait d’animer une saynète où participaient huit filles, quatre gazelles, trois serpents et un noir. Cette technologie de luxe andalousienne a influencé de manière décisive le développement de l’horlo-gerie en Europe : l’horloge mécanique est la machine la plus importante inventée au Moyen Âge, en raison du grand nombre de ses mécanismes, mais surtout parce qu’elle a contribué à contrôler la force de la gravité. La transmission des découvertes de l’Islam à l’Europe chrétienne s’est faite par la bibliothèque du monastère de Ripoll (Catalogne), spécialisée en mathématique et en astronomie, qui possédait des livres provenant du Califat de Cordoue. C’est à Ripoll qu’on trouve les premiers traités sur l’astrolabe et la première description européenne d’une clepsydre ou horloge à eau. Nous savons que l’occitan Gerbert d’Orlhac (devenu pape sous le nom de Silvestre II), constructeur d’un des automates les plus célèbres du Moyen Âge et diffuseur de l’astrolabe, a approfondi son savoir au monastère catalan de Ripoll à la fin du Xe siècle (Massip 1997 : 14). 29 Ces progrès techniques expliquent l’extension de la machinerie scénique dans l’Europe médiévale, et l’Espagne a conservé quelques-uns de ces anciens mécanismes de théâtre, très élaborés, notamment la magnifique machinerie aérienne du Misteri d’Elx (Massip 1994). 30 Tout aussi impressionnante fut l’invention d’Abbas Ibn Firnas (ca 800-887), poète et ingénieur d’Abd al’Rahman II (822-852) et Muhammad I (852-886), qui, dans une salle de sa maison, avait construit un « ciel » où figuraient des étoiles et des nuages, comme dans les planétariums modernes, avec des effets sonores et visuels qui simulaient tonnerre et éclairs, à la manière du brónteion et du keraunoskópeion du théâtre grec pour la foudre. Son invention d’ailes mobiles en bois, qui lui ont permis de s’élancer du haut d’un précipice au-dessus de la Rusafa de Cordoue (Terés 1960 et 1964), a eu moins de succès. 31 Il nous faut, enfin, parler des descriptions géographico-littéraires que nous pouvons trouver sur les ruines du théâtre romain de la ville valencienne de Sagunt (Murbitar, dont dériverait l’ancien toponyme Morverdre). Al Minyari (s. XIII-XIV), Safwan Ibn Idris (1165-1202), Ibn Sa’id Al-Magribi (1208/9-1274), Yaqut Al-Hamawi (1179-1229) ou Al-Azwini (1203-1283) donnent de manière plus ou moins succinte des renseignements

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 154

sur l’emplacement et la structure de l’édifice, la distribution des places des spectateurs selon leur statut social, l’abandon progressif du théâtre et l’état de ruine dans lequel il était. À ce sujet, Safwan Ibn Idris dit à un des voyageurs que « le théâtre (al-mal’ab) était quelque chose d’extraordinaire et […] qu’en effet, il l’était, mais que mainte-nant il est livré en permanence aux chevaux du vent et à la pluie » (Franco 1998 : 178-182). Sa’id Al-Magribi décrit le théâtre de Sagunt comme une sorte de cône, en raison de la pente des gradins, alors même qu’il ignore tout du fonction-nement de l’édifice ancien, et c’est pour cela qu’il établit une hiérarchie dans l’emplacement du public qui est à l’opposé de ce qui se faisait à l’époque romaine. « La alcatifa. Du “Mushib” : Murviedro (Murbaytar) est une des plus célèbres villes romaines d’al-Andalus. Elle possède de grandes ruines, la plus importante étant le théâtre en face de son palais. Il a une forme conique et il s’élève de gradin en gradin, remarquablement construits, jusqu’au plus haut où seuls peuvent s’installer le roi et son entourage. Ensuite, à mesure que l’on descend, les gradins sont de plus en plus grands, selon les différentes catégories sociales des spectateurs, jusqu’à ce qu’on arrive aux derniers gradins, réservés aux spectateurs qui ne sont pas des notables. » (Franco 1998 : 180) 32 Les infrastructures romaines du théâtre n’étaient pas, par conséquent, utilisées par les spectateurs selon l’organisation originelle ; de fait, le théâtre médiéval arabe se déroulait dans une ambiance urbaine festive ou dans des salles du palais et dans les jardins des classes riches comme nous le verrons.

Les jongleurs musulmans dans la couronne d’Aragon

33 Le nombre de jongleurs cités au Moyen Âge dans les registres de la chancellerie royale de la couronne d’Aragon est relativement abondant. Plusieurs monarques ont fait appel au service de mimes, musiciens, histrions, danseurs pour leurs seuls amuse-ment et distraction. Les prestations des jongleurs sont fréquentes tant dans les fêtes de palais que dans des célébrations publiques d’envergure, comme des couronnements ou des entrées royales. Les récompenses sont généreuses, argent, concessions, privilèges, habits, et, dans certaines occasions, même des propriétés. La plupart de ces jongleurs viennent du royaume de Valence et surtout de la ville de Xàtiva, sans doute l’un des centres musulmans les plus importants de l’arc méditerranéen occidental pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles. De fait, la tradition des jongleurs et des troubadours de cette ville et de la couronne d’Aragon en général remonte aux périodes successives qui vont du XIe au XIIIe siècle (Taifas, Almoravides et Almohades), avec des auteurs du Sharq-al- Andalus aussi célèbres que Ibn Jafaya (Alzira, 1058-1139), Ibn Yannaq (Xàtiva, 1089-1152), Idris al-Yabisi (Eivissa, ?-1077) ou al-Russafi (Russafa, 1141-Málaga, 1177) (Piera 1983 ; Sobh 2009). Les métaphores suggestives de leurs composi-tions évoquent un univers d’images qui font sans cesse référence à la nature, aux figures plus ou moins idéalisées de la femme et du jeune amant, mais aussi à des arts scéniques comme la danse et la musique. En définitive, une sorte de poésie plus ou moins représentative qui pouvait être chantée ou récitée avec accompa-gnement musical, ce qui égayait les longs moments de détente des classes riches andalousiennes, où le vin coulait davantage que ne le l’autorisaient les préceptes coraniques. Le bassin monumental de Xàtiva du XIe siècle (Museu de l’Almodí) est l’illustration parfaite de certaines de ces scènes d’ambiance princière (Sanchis 2015).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 155

34 Pour revenir aux occupations des jongleurs qui nous intéressent, nous pouvons mettre en relation plusieurs exemples qui montrent l’intense activité musicale, chorégraphique et dra-matique qu’avaient ces jongleurs sarrasins d’extraction sociale plus ou moins basse au service des hauts personnages de la couronne. C’est de cette façon qu’en 1269, à l’occasion de l’entrée dans Tolède de l’infant Pere d’Aragon, fils de Jaume Ier le Conquérant, on paie 50 maravédis aux joueurs de trompette arabes et aux jongleurs sarrasins qui doivent participer au défilé. 35 Par ailleurs, le « ioculatore » (jongleur) de Xàtiva, Mealuchç Alhani, est cité dans une transaction économique dictée par Alfons II le Libéral en 1289. Halé Ziqua, Açach y Çahat Mascum sont trois musiciens, également de Xàtiva, joueurs de ‘rebec’ (al-rababa, sorte de viole à cordes frottées probablement d’origine perse) et d’‘exabeba’ (al- shabbaba, flûte d’origine orientale), mentionnés à diverses occasions pendant l’année 1338. Mohammad del Parcel, mentionné à Xelsa en 1373, et Alí Mahoma et Çahit Lapello, mentionnés à Saragosse en 1381, sont d’autres jongleurs arabes cités au XIVe siècle dans les sources de la chancellerie. 36 À Tortosa, où l’empereur Charles allait fonder un collège pour l’éducation des convertis et des maures (1544) – collège qui les protégea justement de l’expulsion de 1609 –, des musiciens sarrasins, payés par la ville, participaient même à la procession du Corpus Christi : par exemple, en 1481, Brafim Farapo de la ville d’Ascó qui jouait du pipeau et son fils qui jouait du tambour, ou Abrafim Xateni qui jouait de la trompette (Massip 1992 : 61). 37 Mais, s’il y a un jongleur particulièrement remarquable dans ce contexte, c’est Abdalà Fuleny, le fondateur d’une saga familiale de musiciens, d’acteurs et de danseurs des deux sexes, qui aura une longue activité et dont on a retrouvé la trace de 1367 à 1424. Dans les transcriptions notariales, son nom varie, Fuleny ou Fuley, Alfiley, Afillay ou Afullay, le plus courant étant Alfuley. L’origine et la signification du terme sont difficiles à définir à cause de l’absence de trace dans les répertoires et les diction- naires ; on pourrait cependant l’associer au toponyme Alfuley qui fait référence à un petit village de l’ancien Gouvernorat de Xàtiva (Garcia et Ventura 2007 : 157) ou à l’attribut ethnique de mulâtre relevé par Escolano (1611 : VI, cap. 24). Dans la documentation médiévale, on trouve le nom de plusieurs membres de la famille, comme celui déjà cité d’Abdalà et de ses enfants Maçot et Maffumet. La femme de Maçot Alfuley, appelée Mutreyn, ainsi que sa mère et d’autres jongleresses arabes sont aussi sollicitées par la maison royale pour divertir Joan Ier et sa cour, avec leurs instruments et leurs prestations scéniques en 1389. Ce même roi a engagé Cat Fuley, Xamari Mariem, sa femme, et bien d’autres jongleurs et jongleresses arabes non identifiés.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 156

Fig. 5 : Détails du bassin aux ablutions arabe de Xàtiva : (a) Offrandes processionnelles ; (b) Scène princière jouée de gauche à droite par un serveur de vin

(b) un personnage cueillant des fruits à un arbre (de la vie), deux nobles couchés qui mangent et boivent et deux musiciens jongleurs Museu de l’Almodí, Xàtiva, XIe siècle ; photos : Raül Sanchis

38 Sous le règne de Martí Ier l’Humain, apparaissent explicite-ment trois “maures qui dansent”, Asant, Marian et Essuley (sur-nommé Marcit), dont le fils doit payer une amende parce qu’il a été retrouvé dans un bordel barcelonais avec une chrétienne en 1404. Fotoix, une femme publique, originaire de Benaguasil mais de passage à Xàtiva, est conviée à danser pour le roi en 1406.

39 Pour comprendre les pratiques théâtrales des jongleurs et danseurs valenciens, il est encore plus intéressant de voir la demande royale envoyée en 1409 au Batlle general (fonctionnaire chargé des biens du roi) pour réclamer la présence d’une danseuse et de son mari qui devra savoir « voltiger » (exercices acrobatiques), réaliser la danse du « cheval-jupon » (kurraj) et maîtriser un énigmatique « camadase » (ce qui en catalan signifie littéralement ‘jambe d’âne’) : « Batlle general, manam-vos que, vista la present, nos trametats e·ns façats venir n’Esma [la] balladora, e son marit e un altre moro qui sàpia voltejar, e al cavallet e camadase, los quals nós havem aquí mester. E si cas serà per què per grat no volguessen venir, manam-vos que·ls façats venir per força. E pagats-lus tot ço que hauran necessari tro açí. E en açò per res no haja falla ne hi metats dilació o excusació alcuna. Sobre açò havem informat lo feel cambrer nostre Pere Miró al qual vos manam que donets fe e creença. Dada en Barchelona sots nostre segell secret a XXVI dies de març de l’any mil CCCCVIIII. Rex Martinus » (Arxiu de la Corona d’Aragó, Cancelleria, reg. 2252, f. 61r ; transcription de Stefano Maria Cingolani). 40 Ce jeu de la cama d’ase pourrait avoir un rapport avec une représentation comique qu’illusttre l’iconographie turco-ottomane. Le jongleur était attaché par une corde à un

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 157

âne pour faire rire les spectateurs. L’âne est une figure ancestrale dans le système festif populaire, surtout dans la fête médiévale chrétienne : le montre, par exemple, l’existence d’œuvres comme l’Officium Assinorum ou Messe de l’âne, pendant laquelle un âne revêtu d’une chape de cérémonie entrait dans l’église et était conduit à l’autel lors la fête des sous-diacres, accompagné d’un cortège qui se livrait à toutes sortes de pitreries, ceci remontant au IXe siècle (Massip 2008 : 134-135). Il en est de même dans l’ Ordo Prophetarum de la cathédrale de Rouen (XII e siècle) où apparaissent, comme plus tard dans la cathédrale de Laon (XIIIe siècle), Balaam et son âne qu’un garçon caché sous la bête faisait parler, et c’est pour cela que la cérémonie s’appelait Ordo processionis asinorum secundum Rothomagensem usum. À Rouen, l’ânesse se plaignait, « pourquoi me blesses-tu, pauvre de moi, avec tes éperons ? », alors que l’âne de Laon s’adressait à l’ange qui arrêtait Balaam en lui demandant de cesser ces mauvais traitements parce que « j’ai peur de mourir » (Massip 2016 : 188). C’est même un élément comique intimement lié au carnaval de tradition arabe comme on en trouve en Égypte mamelouke (Shafik 2014 : 191-192).

Fig. 6 : (a) Jongleur jouant avec un âne ; (b) Roi éphémère à dos d’âne avec un groupe de bouffons parodiant la cour du sultan

Illustrations de Levni, Musée du Palais de Topkapi, Istamboul, 1720

41 En suivant la même ligne descriptive, nous trouvons une autre longue entrée aux archives de la chancellerie, qui nous renvoie aux célébrations du couronnement de Ferdinand Ier d’Aragon. Parmi les rémunérations versées pour les vêtements des jongleurs et danseuses venues de Xàtiva, Eslida, Mislata, Gandia et València, nous trouvons la somme de 7 florins destinée à l’achat des tissus nécessaires pour garnir un cheval-jupon de maures « alfuleys ». Il y a aussi des rémunérations pour les batteurs d’or fabriquant des oripeaux, des financements pour le transport de caisses remplies de plumages, d’ailes, de masques d’anges empruntés aux représentations du Corpus de València, 18 paons et deux caisses avec les « banastells dels juglars moros », c’est-à-dire les marionnettes qui devaient servir à la mise en scène de contes et histoires.

42 Comme nous l’avons déjà constaté, ces jeux qui utilisent les chevaux-jupons n’apparaissent pas seulement dans des contextes de spectacles élitistes, mais aussi dans des fêtes populaires et célébrations chrétiennes. C’est de cette façon qu’au XVe siècle

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 158

des fêtes dédiées à sainte Lucie et jouées par un « cheval mauresque » seront célébrées à Elx. La célébration était conduite par un homme vêtu en roi maure qui montait un cheval en bois et poursuivait le public (Hinojosa 2002 : 223). 43 C’est finalement avec Alfons IV le Magnanime que fleurira toute une troupe de musiciens et danseurs venant de Xàtiva, València et Gandia et qui seront appelés à la cour assez fréquem-ment. C’est ainsi que se distingueront des danseurs de la grande famille des Alfuleys comme Moratxo, le fils, et leurs épouses respectives. Encore plus célèbres furent des danseuses d’origine arabe comme Nutza et na Caterina, surnommée la Comare (sage-femme), qui fut protégée face à l’inquisition par le roi Alfons en personne, dans un procès qui atteste la persistance de l’utilisation de vêtements mauresques. 44 La danse et la musique comme arts de la scène ont une importance notable dans le monde arabo-andalousien. J’en veux pour preuve les deux cents entrées au moins répertoriées par Fray Pedro de Alcalá que nous avons déjà cité pour son Vocabulario (Zayas 1995), ou bien la grande quantité de danses et de fêtes que la société de Grenade et donc une grande partie de la société andalousienne d’autres territoires de la péninsule ont exhibée du XIe au XVe siècles (Cortés 2007). Par exemple, le mot leebit, traduit par Alcalá comme « dança assí », se référait à une danse particulière qui impliquait le fait de jouer ou d’avoir un rôle (Zayas 1995 : 74). Le terme xath pouvait être utilisé pour parler de danse en terme générique (de même que naxtah ou axtah) ou pour une danse représentant plusieurs personnages (Zayas 1995 : 92-93). Tabiq était utilisé pour désigner les danses en solitaire et dançat a xiguit pour faire référence aux bien connues danses d’épées (Zayas 1995 : 47, 53). 45 Avec le temps, la célébrité des jongleurs et des danseurs d’ori-gine musulmane s’est éteinte. Pendant le XVIe siècle, l’expulsion des « moriscos » se prépare et elle se parachèvera au XVIIe avec l’inquisition et le gouvernement de la maison d’Autriche. Les danses et représentations jadis louées sont à présent rejetées à mesure que la persécution des maures progresse. Jaume Bleda, dominicain et inquisiteur valencien, est à mettre au nombre de ces persécuteurs. Dans sa longue Corónica de los moros de España, il décrit l’expulsion des maures et fait un commentaire critique de leurs coutumes : « ils aimaient beaucoup les moqueries, les contes et les romans, et surtout ils adoraient les danses, les ballets comiques, les promenades dans les champs ou près des fontaines et tous ces amusements stupides s’accompagnaient de grands cris dans les rues. Ils avaient en général des cornemuses, des pipeaux, des luths, des tambourins et des tambours. Ils étaient fiers de leurs danseurs, de leurs courses de taureaux et autres faits dignes des paysans les plus rustres. »1

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 159

Fig. 7 : Vicent Mestre, Embarquement mauresque au port de Dénia, 1613

Collection de peinture de la Fundació Bancaixa, València

Conclusion

46 Pendant tout le Moyen Âge, la Péninsule ibérique a connu une activité d’ordre théâtral, d’abord dans al-Andalus, puis dans divers royaumes chrétiens. Si l’on ne peut pas parler de théâtre dans le sens moderne du terme, puisque son idée même avait disparu d’Europe jusqu’à la Renaissance, il y a une « théâtralité diffuse »2 omniprésente dans toutes sortes de célébrations et de festivités de type civil ou religieux. La civilisation arabe a laissé des traces de théâtralité dans plusieurs domaines. Dans le domaine musical d’abord, surtout pendant les XIVe et XV e siècles, la majorité des joueurs d’instruments employés par les cités médi-terranéennes pour célébrer la procession du Corpus Christi portent des noms arabes, les Morisques, restés sur leurs terres, bien que sous domination chrétienne, conservant l’exercice de leurs métiers et de leurs compétences. Encore aujourd’hui, à Majorque, Tortosa (Catalogne) et Valence qui ont une forte tradition moresque, on chante des chansons campagnardes, qui accompagnent les travaux agricoles (labourer, semer, moissonner, battre, etc.) ; ce sont des chants indiscutablement arabes : les Morisques ont été les ouvriers agricoles du pays, et l’on sait que leur expulsion (1609) a entraîné la ruine de la campagne hispa- nique. Ensuite, dans les festivités urbaines célébrées autour du roi et dans les fêtes mêmes des couronnements royaux, il ne manque jamais de danseurs musulmans et juifs : les danses de rubans, les moresques, les bals d’épées, de bâtons, de cerceaux, la danse des chevaux-jupons, les jeux de cannes, etc., qui ont survécu dans plusieurs fêtes traditionnelles hispaniques (Corpus Christi, fêtes patronales, etc.) sont peut-être un héritage des cultures sémites dans al-Andalus. Enfin, à notre avis, la machinerie médiévale et son héritière baroque qu’utilisait la scène, doivent leur création et leur développement aux inventions technologiques musulmanes et aux systèmes complexes de contrepoids et de roues dentées des mécanismes d’horlogerie.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 160

47 En ce qui concerne les thèmes et les personnages, outre les fréquentes batailles entre « Maures et chrétiens », il faudrait étu-dier l’influence de la culture arabe dans la production chrétienne : je pense par exemple au marchand de parfums, accompagné de l’apothicaire ou fabricant d’épices, sa famille, ses serviteurs et ses esclaves, qui s’infiltre de manière surprenante dans un drame sacré mettant en scène la Résurrection du Christ, à partir du XIe siècle et précisément dans le domaine catalano-occitan, deux cultures sœurs bien connectées avec le monde musulman. Le marchand d’onguent, avec ses tirades où il vante l’excellence de ses parfums, nous rappelle les commerçants du souk arabe. 48 Il est aussi significatif que, dans le Royaume confédéral de Catalogne-Aragon, la première mention de l’existence d’un théâtre profane soit le sauf-conduit livré par le roi Pere III en 1338 à « Petrum Çahat, magistrum ludi amoris, et societatem vestram » :3 Pere Çahat, prénom christianisé et nom arabe, dirigeait une troupe spécialisée dans les pièces dont le sujet était l’amour ou l’érotisme, par ailleurs fréquent chez les kissagu (conteurs). Il faudrait exa-miner de près l’influence que le nakkal (l’art du conteur avec accompagnement musical et gestuel) a pu avoir sur certains aspects de l’art de l’acteur européen qui faisait son éclat avec la commedia dell’arte. 49 Ce sont des suggestions que seul un approfondissement dans l’échange interculturel peut éclaircir et préciser.

BIBLIOGRAPHIE

ALCALÁ, Pedro de : Vocabulista arávigo en letra castellana (Granada 1505), éd. Elena Pezzi, Almería, Ed. Cajal, 1989.

ALLEGRI, Luigi : Teatro e spettacolo nel Medioevo, Roma-Bari, Laterza, 1988.

AND, Metin : Culture, Performance and Comunication in Turkey, Tokyo, Institute for the Study of Languages and Cultures of Asia and Africa, 1987.

BLEDA, Jaume : Corónica de los moros de España, València, Patricio Mey, 1618.

BORGES, Jorge Luis : « La quête d’Averroès » (1947), dans L’Aleph, Œuvres complètes, éd. Jean-Pierre Bernès, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. I, 615-623.

CORTÉS GARCÍA, Manuela : « Poesía, música y danza en la Granada musulmana y morisca », Cuadernos de Arte de la Universidad de Granada, 38 (2007), 9-41.

ESCOLANO, Gaspar : Segunda parte de la década primera de la historia de la insigne y coronada ciudad y Reyno de Valencia, València, Patricio Mey, 1611.

FRANCO SÁNCHEZ, Francisco : « Geopolítica, toponimia y espacios urbanos de Sagunto/Murbitar en el período islámico », Braçal, 17-18 (1998), 171-196.

GARCÍA EDO, Vicent et Ventura Rius, Albert : El primer mapa del Reino de Valencia (1568-1584), Castelló de la Plana, Universitat Jaume I, 2007.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 161

GARCÍA GÓMEZ, Emilio : Todo Ben Quzman (3 vols.), Madrid, Gredos, 1972.

GÓMEZ MORENO, Ángel : El teatro medieval castellano en su marco románico, Madrid, Taurus, 1991.

GOYTISOLO, Juan : Cogitus interruptus, Barcelona, Seix Barral, 1999.

HARRIS, Max, « A Catalan Corpus Christi Play : The Martyrdom of St.Sebastian with the Hobby Horses and the Turks », Comparative Drama, 31 (1997), 224-247.

HILL, Donald R. : « Tecnología andalusí », in El legado científico Andalusí (Catalogue d’exposition), Madrid, Museo Arqueológico Nacional, 1992, 157-172 et 309.

HINOJOSA, José : Diccionario de historia medieval del Reino de Valencia, t. II), València, Biblioteca Valenciana, 2002.

LIBERA, Alain de : Penser le Moyen Age (IV. L’héritage oublié, 98-142), Ed. Seuil 1991.

MASSIP, Francesc : « Elements teatrals de la Processó del Corpus de Tortosa (segles XIV-XVII) », Miscel·lània Jordi Carbonell, 3, 43-80. Barcelona, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1992.

MASSIP, Francesc : « The Cloud : A Medieval Aerial Device », The Early Drama, Art, and Music Review, 16/2 (Western Michigan University 1994), 65-77.

MASSIP, Francesc : La ilusión de Ícaro. Un desafío a los dioses, Madrid, CEYAC, 1997.

MASSIP, Francesc : « Rei d’innocents, bisbe de burles : rialla i transgressió en temps de Nadal », in J. Ll. Sirera (ed.), Estudios sobre teatro medieval (Actes del XIè Col·loqui de la SITM Elx 2004), València, Publicacions de la Universitat de València, 2008, 131-146.

MASSIP, Francesc : « Jesters in the Temple, Boy Bishops in the Street : Laughter and Transgression from Advent to Ash Wednesday », European Medieval Drama 11 (2007) ; 1-35.

MASSIP, Francesc : « La Sibil·la, un cant oracular de la Mediterrània », in Pradilla, M.À. (ed.), Sapientiae liberi, libertati sapientes. Miscel·lània d’homenatge a Joan Martí i Castell, Tarragona, Publicacions URV, 2016, vol. II, 187-194.

MOREH, Shmuel : Live Theatre and Dramatic Literature in the Medieval Arabic World, Edinburg, University Press, 1992.

PÉRÉS, Henri : Esplendor de al-Andalus (1937), Madrid, Hiperión, 1983.

PIERA, Josep : Els poetes aràbigo-valencians, València, Alfons el Magnànim, 1983.

SANCHIS, Raül : La dansa petrificada. De la pila de Xàtiva a les roques del Corpus de València. Alfuleys, mores balladores i danses gremials", in Licia Buttà, Francesc Massip et Rebeca Sanmartín (dirs.), Dansa, escriptura i teatralitat en la baixa edat mitjana i la primera edat moderna (Tarragona, 26-27 Novembre 2015), sous presse dans Revista de Poética Medieval.

SCHMITT, Jean-Claude « Jeunes et danse des chevaux de bois. Le folklore méridional dans la littérature des exempla (XIIIe-XVIe siècles) », Cahiers de Fanjeaux, 11 (1976), 127-158.

SHAFIK, Ahmad : « Fiesta y carnaval en el Egipto mameluco (647/1250-922/1517) », Miscelánea de estudios árabes y hebraicos. Sección Árabe-Islam, 63 (2014), 185-204.

SOBH, Mahmud : Trovadores árabes de la Comunidad Valenciana y las Islas Baleares, Altea, Aitana, 2009.

TERÉS, Elías : « “Abbas ibnFirnas”, Al-Andalus, XXV (1960) : 239-49.

TERÉS, Elías : « Sobre el “vuelo” de ‘Abbas ibnFirnas », Al-Andalus, XXIX (1964) : 365-69.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 162

ZAYAS, Rodrigo de : La música en el Vocabulista granadino de Fray Pedro de Alcalá, 1492-1505, Sevilla, Fundación el Monte, 1995.

NOTES

1. « eran muy amigos de burlerías, cuentos y novelas ; y sobre todo, amicísimos de bayles, danças, solaces, cantarzillos, alvadas, paseos de huertas y fuentes y de todos los entretenimientos bestiales, en que con descompuesto bullicio y gritería suelen yr los moços villanos vozinglando por las calles. Tenían comúnmente gaytas y dulçaynas, laudes, sonajas, adufes. Vanagloriávanse de baylones, corredores de toros y de otros hechos semejantes de gañanes. » (Bleda 1618 : 1024) 2. Selon la terminologie de Luigi Allegri (1988 : 34 et ss.). 3. Arxiu de la Corona d’Aragó, Cancelleria, reg. 863, f. 187r ; transcription de Stefano M. Cingolani.

AUTEURS

FRANCESC MASSIP

Universitat Rovira i Virgili, Tarragona

RAÜL SANCHIS FRANCÉS

Universitat Rovira i Virgili, Tarragona

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 163

« Un félibre autrichien » : quelques remarques sur Hugo Schuchardt et le pays d’oc, accompagnées d’une nouvelle édition de sa correspondance avec Fréderic Mistral

Luca Melchior et Verena Schwägerl-Melchior

Nous remercions Elsa Bergegère pour la correction linguistique de l’article.

1 Dans le numéro 5 du journal Modern Language Notes de l’année 1887, on lit la note suivante : Professor Hugo Schuchardt (University of Graz, Austria) has received permission from the Government to discontinue his lectures for the present term and has gone to South France (Provence) and to the Basque Provinces of North Spain for the purpose of making special researches into the languages of these districts. (Modern Language Notes, May 1887, n° 5, 237) 2 Ce qui, à nos yeux, peut sembler une information surprenante dans une revue scientifique1, a de l’intérêt pour le travail de Schuchardt mais aussi pour la linguistique de la deuxième moitié du 19e siècle. Cette petite note témoigne d’un des voyages les plus importants dans la carrière de Hugo Schuchardt (1842-1927), linguiste allemand qui travaillait à ce moment-là depuis onze ans à Graz en Autriche. Ce qu’on néglige souvent à propos de ce voyage est le fait que Schuchardt ne se dirigea pas seulement vers les provinces basques, mais qu’en chemin, il séjourna quelque temps dans le Midi. Cet article propose quelques informations et réflexions sur le séjour de Schuchardt en pays d’oc et sur son réseau de contacts relatifs à la langue d’oc et à ses variantes, et, à la fin, il offre une édition intégrale de la correspondance entre Hugo Schuchardt et Frédéric Mistral qui firent connaissance à l’occasion du passage de Schuchardt à Maillane au printemps 18872.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 164

Constitution d’un réseau déterminant pour l’étude de la linguistique du 19e siècle

3 Il est bien connu que, dès le 18e siècle, mais surtout à partir de la deuxième moitié du 19e siècle, les échanges épistolaires entre intellectuels ont joué un rôle très important dans la création, la discussion, l’élaboration et la diffusion d’informations, d’idées, de théories, en un mot, du savoir (cf. p. ex. Hurch 2009a, 2009b)3. Les savants de l’époque, comme d’ailleurs leurs successeurs jusqu’à nos jours, ont été amenés à se positionner d’une façon ou d’une autre dans un « scientific network » ou d’en établir un. Ce réseau reposait sur deux piliers de communication – d’un côté un pilier « public » (publications, comptes rendus, etc.), de l’autre un pilier « privé » (correspondances – même si celles-ci pouvaient souvent déborder dans le domaine public –, entretiens personnels, etc.). De nombreux projets visant à analyser la correspondance des savants ont montré la valeur épistémique de ces productions pour l’histoire de la science4.

4 La reconstruction d’un de ces réseaux scientifiques fondés sur le contact épistolaire est un des buts principaux du projet de recherche ‘Network of knowledge’5, qui, à partir des archives de Hugo Schuchardt, vise à reconstituer un des exemples les plus caractéristiques du phénomène de « réseautage » dans le cadre de la philologie romane (et de la linguistique tout court) de la deuxième moitié du 19e siècle6. 5 Au sein de la Bibliothèque universitaire de Graz sont conser-vées plus de 13 000 lettres adressées à Schuchardt. Mais pour avoir une idée des vraies dimensions de sa correspondance et de son importance dans l’acquisition de savoir, il faudrait éventuellement tenir compte des pièces postales que Schuchardt a envoyées à ses destinataires (environ 2 000) dont il recevait – plus ou moins fréquemment et régulièrement – lettres, cartes postales, manus-crits, portraits, publications, extraits de journaux ou revues, etc. 6 Hugo Schuchardt savait comme peu d’autres chercher le contact avec des personnes qui pourraient lui fournir des infor-mations sur les sujets scientifiques qui l’intéressaient. En ne limitant point ses contacts aux seuls philologues et linguistes, il a fait preuve d’un grand discernement dans le choix des gens auxquels il s’adressait selon les divers champs de son enquête : agronomes, anthropologues, ethnographes et ethnologues, professeurs, géologues, géographes, bibliothécaires, biologistes, botanistes, historiens, juristes, artistes, médecins, écrivains, directeurs de musées ou de revues et plus d’un fonctionnaire pour ne citer que quelques-unes des catégories professionnelles aux-quelles appartiennent ses correspondants. Au-delà des communi- cations de caractère presque exclusivement privé, plus rares, l’échange épistolaire était essentiel pour l’œuvre de Schuchardt, indispensable et fondamental pour obtenir, évaluer, mettre en discussion et diffuser le savoir7. 7 Puisqu’il explorait de nouveaux champs, comme celui de la créolistique, et s’intéressait aux « petites » langues, voire à des langues parlées par un nombre limité de locuteurs comme le basque et le kymrique, les trois variétés classifiées comme rhéto-romanes8 et l’occitan – matière dont s’étaient déjà occupés d’un point de vue diachronique Diez à

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 165

Bonn et Ritschl, maître de Schuchardt, à Iéna (cf. Karl 1933, 51) –, il élargit continuellement son réseau à des personnes qui pouvaient a. lui servir d’informateurs, locuteurs des idiomes en question, souvent en même temps philologues, au moins « en amateurs » ; b. lui donner des informations générales, par exemple des références bibliographiques sur le sujet et/ou l’aider et conseiller autrement, même si ces personnes ne faisaient peut-être pas partie de la communauté linguistique en question (et écrivaient peut-être d’un lieu très éloigné du territoire où l’idiome se parlait – ou, dans plusieurs cas, ne se parlait plus, certains des idiomes décrits ayant déjà disparu).

8 Pourtant, avant d’esquisser le « réseau occitan » de Schuchardt, il faut souligner que nous sommes bien conscients du fait qu’il n’y a pas toujours un lien direct entre la provenance des correspondants, leurs lettres et le(s) sujet(s) et les langues dont ils traitent. Des aspects liés à un idiome et/ou à un territoire linguistique peuvent être discutés dans des correspondances avec des scientifiques et d’autres personnes d’origines géographiques très hétérogènes, comme des correspondances écrites depuis un territoire linguistiquement circonscrit peuvent traiter d’arguments très variés qui ne doivent pas nécessairement être liés avec la réalité linguistique des alentours. Un exemple : il est évident que les informations sur un des objets les plus classiques de la philologie romane comme l’ancien provençal dans le contexte des études médiévales, ne proviennent pas exclusivement des érudits provençaux qui s’en occupent. D’autre part, on est loin de soup-çonner que toutes les lettres qui proviennent du pays occitan aient pour objets des questions liées à la langue provençale, et encore moins à la langue des troubadours. La reconstruction des « traces occitanes » dans les écrits et les correspondances de Hugo Schuchardt va constituer le « contexte général » pour mieux encadrer sa correspondance avec Frédéric Mistral.

Le réseau occitan

9 Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, Hugo Schuchardt portait un intérêt tout particulier aux langues mineures. Au-delà des aspects plus strictement linguistiques, il éprouvait de la sympathie pour les mouvements de décentralisation, comme il l’affirme lui-même dans sa lettre à Mistral datée du 13 mai 1887 : « Le félibrige a acquis toutes mes sympathies. En général, je suis partout partisan de la décentralisation – bien que je ne puisse m’associer aux tendances slaves, qui combattent la langue alle-mande même comme langue officielle de l’Autriche […] ».

10 Cette sympathie et cet intérêt ne se reflètent, dans le cas de l’occitan, que marginalement dans l’œuvre de Schuchardt : en fait, comme l’observait déjà Karl (1933 : 53), « il ne semble avoir consacré aucune étude à part à la langue et à la poésie des Félibres »9. Il publia pourtant une poésie en provençal, qu’il avait écrite en réponse à un salut en occitan d’Albert Arnavielle pendant son séjour dans le Midi10, et naturellement la langue et la culture occitane étaient prises en considération dans ses travaux étymologiques11 et dans ses recherches dans le domaine qui devrait être connu sous le terme de « Wörter und Sachen », qui est en étroite connexion avec la naissance de la géographie linguistique12. 11 Passons alors à la partie « occitane » du réseau de correspondance de Schuchardt : par rapport à d’autres champs de recherches du philologue de Graz, le nombre et l’intensité des contacts épistolaires qu’il a établis avec le pays d’oc semblent assez limités.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 166

Toutefois, l’héritage de Schuchardt conservé à la biblio-thèque universitaire de Graz contient des lettres de plusieurs correspondants du Midi. 12 La plupart des correspondances « occitanes » débutent en 1887. Durant l’année de son voyage au Pays basque (cf. Wolf 1993, XVII, Richter 1928, 240, Swiggers 2010, 225 note 11), au cours duquel il traversa le pays occitan, Schuchardt entra en fait en contact avec un nombre remarquable de personnages importants qui demeu-raient dans le Midi et dont il fit la connaissance avant ou pendant son séjour ; parmi eux, de nombreux occitanistes et – souvent à la fois – représentants d’associations culturelles, littéraires et linguis-tiques comme le Félibrige et la Société pour l’étude des langues romanes 13 : il faut nommer entre autres Paul-Jules Itier14, Albert Arnavielle15, Camille Chabaneau16, Joseph Roumanille17, Antoine Thomas18, Louis Roumieux19, Émile Cartailhac20, Jean-Baptiste Brissaud21, Gaston Caraigy22, Charles Joret23, et, naturellement, Frédéric Mistral, dont les lettres feront l’objet de la fin de notre article24. 13 Du séjour de Schuchardt dans le Midi et des connaissances qu’il y fit, témoigne l’article Un félibre autrichien25, publié le 21 mai 1887 dans Les Tablettes d’Alais – qui comporte par ailleurs une poésie de Schuchardt –, de la manière suivante : M. le docteur Hugo Schuchardt, professeur à l’Université de Gratz (Autriche), membre de l’Académie impériale de Vienne, un linguiste dont la renommée est européenne, parcourt en ce moment le midi de la France pour étudier les mœurs et les dialectes de cette région. […] Le savant professeur de Gratz a déjà visité la Provence où il a vu, naturellement, dans son petit village de Maillane, le grand poète Frédéric Mistral. Il s’est arrêté, au commencement de mai, à Montpellier. Sa première visite a été pour son éminent confrère, M. C. Chabaneau, professeur à la Faculté des lettres de Montpellier, secrétaire de la Société pour l’étude des langues romanes. Les félibres Louis Roumieux, A. Roque-Ferrier, Albert Arnavielle, J. Fournel etc., ont également eu l’honneur de le recevoir […]. 14 Il est bien intéressant qu’à la visite à Montpellier de Schuchardt, « hôte remarquable » (Schuchardt 1887), les intel-lectuels méridionaux et la Société pour l’étude des langues romanes aient attribué une telle importance que celle-ci tint « une séance extraordinaire, à laquelle les félibres avaient été invités » (Schuchardt 1887)26. Le lien avec la Société pour l’étude des langues romanes n’était pas nouveau à ce moment-là et Schuchardt s’était abonné à la Revue des Langues Romanes bien avant (cf. la lettre de Boucherie 01280, datée du 23 mai 1882)27. Ce qui est remarquable dans la participation de Schuchardt à la séance de la Société pour l’étude des langues romanes est le fait qu’il n’y ait pas parlé seulement en français mais aussi en occitan : À l’issue de cette séance, M. le docteur Schuchardt a éloquemment exprimé, dans le meilleur français, la joie qu’il éprouvait de l’accueil qui lui était fait. Puis, à la surprise générale, l’orateur a continué son allocution dans le provençal le plus littéraire pour manifester ses chaleu-reuses sympathies aux félibres méridionaux et pour glorifier leur langue populaire, cette langue (nous traduisons ses termes mêmes) si brillante, si riche et si poétique. Cette déclaration a soulevé les applaudissements unanimes de l’auditoire. On a constaté avec quelle facilité le noble étranger a su s’assimiler, en si peu de jours, la langue de notre pays. (Les Tablettes d’Alais 21 mai 1887) 15 Quelques-unes des correspondances qui débutent en 1887 ne sont constituées que d’un élément (lettre ou carte postale), d’autres seront plus durables. Dans le tableau suivant on donne une brève synopsis des correspondants qui composaient le « réseau occitan » de Hugo Schuchardt et avec lesquels le contact débuta en 1887.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 167

Les correspondances ‘occitanes’ qui commencent avec le voyage au Midi en 1887

nombre de pièces Début de la Fin de la postales Nom corres- corres- Lieux Lieu en 1887 dans les pondance pondance Archives Schuchardt

Brissaud, 1887 1887 Toulouse Toulouse 1 J.B.

Caraigy, G. 1887 1887 ? ? 1

Cartailhac, 1887 1887 Toulouse Toulouse 1 E.

Itier, P.-J. 1887 1887 Montpellier Montpellier 2

Aix-en- Joret, C. 1887 1887 Aix-en-Provence 1 Provence

Roumanille, 1887 1887 Avignon Avignon 4 J.

Roumieux, 1887 1887 Montpellier Montpellier 1 L.

Chabaneau, 1887 1892 Montpellier Montpellier 4 C.

Mistral, F. 1887 1905 Maillane Maillane 4

Toulouse, Paris, Saint- Thomas, A. 1887 1925 Yrieix-la-Montagne, Toulouse 11 Bourg la Reine

16 Ce ne sont pourtant ni les premiers ni les derniers contacts avec le Midi dont témoignent les archives de Schuchardt. Ainsi, la seule lettre conservée d’Auguste Brachet28 à Schuchardt, en référence à la thèse de doctorat de Schuchardt, a été écrite à Cannes le 10 novembre 1866. Les deux premières lettres d‘Anatole Boucherie de Montpellier datent de 1867, une autre de 1877 et la dernière – qu’il écrit en tant que secrétaire de la Société pour l’étude des langues romanes – de 1882.

17 L’intérêt pour l’occitan n’est pas non plus nouveau à ce moment-là et ne s’illustre pas seulement dans les correspondances du Midi : en 1875, Paul Meyer lui adresse de Bruxelles – en raison de l’intérêt qu’avait manifesté Schuchardt – une lettre écrite en grande partie en provençal et lui indique des poètes provençaux importants et quelques-unes de leurs œuvres (lettre 07202, cf. Karl 1933 : 53). Ce n’est qu’une des douze lettres écrites par le directeur de la Romania, qui connaît le provençal depuis son séjour comme archiviste à Tarascon, au linguiste de Graz, mais la seule dans laquelle il

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 168

écrit sur le (et en) provençal29. Les deux lettres inventoriées dans les archives de Schuchardt sous le nom de « Roque, A. », dont la première, datée du 14 décembre 1876, est une réponse à une probable requête administrative que Schuchardt avait adressée à la Société pour l’étude des langues romanes, et l’autre, datée du 7 avril 1882, donne des informations sur la lingua franca, sont écrites de la main de Louis-Alphonse Roque- Ferrier, à l’époque secrétaire de la Société pour l’étude des langues romanes (cf. Petit 1985 : 102-103)30 et ont été envoyées de Montpellier31. L’échange épistolaire avec Paul Heyse32, l’expert allemand en provençal, commence l’année précédente, dans l’été 1886. Comme une des lettres de Roque-Ferrier, la lettre de Victor Lieutaud, écrite à Marseille le 12 avril 1882, portant l’en-tête de la Cancelarié dóu Felibrige, donne, elle aussi, des informations sur la lingua franca33. Dans la correspondance avec Gaston Paris, qui avait commencé déjà en 1869, on trouve aussi quelques allusions aux thèmes liés à la littérature, à la culture et au pays occitans, mais surtout, entre 1886 et 1887, au voyage de Schuchardt dans celui-ci (cf. Bähler/Hurch en préparation). 18 En 1878, Schuchardt reçut du président du Comité des Fêtes latines34, Charles de Tourtoulon, une invitation à participer à un de ces événements qui devait se dérouler du 22 au 26 mai 1878. Mais Schuchardt attendra encore neuf ans avant de faire personnel-lement la connaissance des savants du Midi, parmi lesquels il trouvera plus d’un nouveau correspondant, comme on l’a vu ci-dessus. 19 Après son séjour aussi, Schuchardt sut établir de nouveaux contacts « occitans ». L’année 1892 enregistre la première des quatre lettres d’August Bertuch, traducteur des œuvres de Mistral en allemand35. C’est de la même année que datent les remerciements de Mondry Beaudouin, helléniste de Bordeaux, pour l’envoi de publications relatives au basque36. Dès 1900, Schuchardt échange des lettres avec Maurice Grammont37, basé à Montpellier, dans un premier temps, en relation avec leurs intérêts scientifiques pour discuter plus tard (1904) des raisons qui ont décidé Schuchardt à renoncer au statut de membre de la Société pour l’étude des langues romanes. Entre 1904 et 1909, Schuchardt reçoit trois lettres de Bernard d’Armagnac de Castanet, dans lesquelles celui-ci traite de questions ethnographiques ; enfin les lettres du collaborateur fidèle de Mistral en matière d’ethnographie, Émile Marignan, sont datées de 1906 – le fait que Schuchardt le remercie dans son hommage à Adolf Mussafia38 laisse pourtant penser que les deux hommes se connaissaient déjà avant cette date ; de même, c’est aussi en 1906 que Schuchardt reçoit les premières lettres du romaniste Édouard Bourciez de Bordeaux, les lettres d’Albert Cuny traitant du basque ont envoyées elles aussi de Bordeaux entre 1912 et 1913 ; les lettres de Jules Ronjat (cf. Thomas 2011) de Vienne (Isère) qui sont, à l’excep-tion de la première, elles aussi, d’un intérêt limité pour ce qui concerne le provençal, arrivèrent également à Graz au début de la Première Guerre mondiale entre 1914 et 1915. 20 Michel Bréal écrit enfin de Paris le 10 mai 1890 (lettre 01326) à Schuchardt en lui demandant s’il viendra aux fêtes de Montpellier, événement auquel avait aussi fait allusion G. I. Ascoli dans sa lettre du 9 avril de la même année (lettre 0028439).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 169

La correspondance entre Hugo Schuchardt et Frédéric Mistral

Aspects relatifs au contenu

21 Schuchardt avait l’habitude de préparer ses voyages « par écrit » en profitant de son réseau de correspondants et de ses connaissances pour obtenir des contacts qui auraient pu lui être utiles pendant ses voyages et séjours prolongés à l’étranger (cf. Weiss 1985, 294 sq.).40 Dans ce contexte, il est très intéressant de noter que le séjour de Schuchardt en pays d’oc a été annoncé à Frédéric Mistral par Gaston Paris41 : Mon cher Ami, Je n’ai certainement pas besoin de vous dire que M. Hugo Schuchardt, professeur à Graz, en Autriche, qui vous remettra ce mot, est un des premiers savants de l’Allemagne ; qu’il a écrit un livre sur le latin vulgaire, qui est, avec la grammaire de Diez, le second ouvrage fondamental sur la philologie romane ; peut-être, ne lisant pas l’allemand, savez-vous moins que Schuchardt est un excellent écrivain et un homme d’esprit et qu’il a étudié plus intimement et plus délicatement que personne la poésie populaire d’Italie et d’Espagne ; mais ce que je tiens surtout à vous dire, c’est que c’est mon ami, un fort aimable et galant homme et qu’en vous le présentant, je vous demande pour lui votre accueil le plus cordial. Il veut connaître la Provence vivante, après avoir étudié la Provence morte, et il va droit à vous, comme il est juste et naturel […]. (Gaston Paris à Frédéric Mistral, 1887, cité d’après Boutière 1978, 198 sq.) 22 Paris évoque dans sa lettre un aspect intéressant : tandis que la connaissance du provençal des Troubadours entrait dans le canon classique des études des langues romanes, l’intérêt pour la situation linguistique contemporaine de l’occitan manifesté par Schuchardt à l’époque tenait encore de l’extraordinaire et de l’exceptionnel.

23 La lettre du 30 mars 1887 de Paul Sébillot (avec qui Schuchardt était en contact depuis 1882) semble aussi être significative pour le « réseautage » : Sébillot y adjoint des cartes de recommandation et des adresses de plusieurs intellectuels du Midi, parmi lesquels Frédéric Mistral. La rencontre entre le fondateur du Félibrige et le linguiste de Graz était alors bien préparée. La correspondance dont on présente l’édition fait suite à leur première rencontre à Maillane au printemps 1887. 24 Dans les papiers du Schuchardt-Nachlass sont conservées trois lettres et une carte postale de Mistral à Schuchardt42, tandis que, au Musée Frédéric Mistral de Maillane, sont conservées deux lettres de Schuchardt au poète occitan43, écrites entre 1887 et 1905. Entre les deux intellectuels ne se développe pas un discours scientifique ou littéraire, mais la correspondance témoigne quand même de leurs rapports amicaux. En outre, le fait que Schuchardt ait soutenu la candidature de Mistral pour le prix Nobel de la littérature dès 1901 (cf. http://www.nobelprize.org/nomination/archive/show.php? id=3880 [26.04.2016]) témoigne de l’estime que « le félibre autrichien » portait au poète occitan. Même si, comme on l’a déjà vu, Schuchardt, à la différence de la plupart des philologues de ce temps, ne se préoccupa que marginalement de questions litté-raires, privilégiant des intérêts purement linguistiques, il « fut aussi un très bon connaisseur des littératures romanes. Parmi celles-ci, la littérature occitane, médiévale et moderne, fut un de ses champs de prédilection, et Schuchardt suivait de près le mouvement félibre » (Swiggers 2010, 217). De cet intérêt témoigne la première lettre de Schuchardt – la plus longue de toute la correspondance –, datée du 13 mai 1887. Schuchardt est en train de quitter la Provence pour se rendre dans les territoires basco-

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 170

phones, et écrit à Mistral pour le remercier de l’accueil qu’il lui a réservé, en lui envoyant la première partie de ses Lettres celtiques, traduites en français par Joseph Léon Firmery et publiées dans les Annales de Bretagne II (1886/87, 299-345), avec un avant-propos de Joseph Loth. Schuchardt se montre intéressé par les affaires du Félibrige et du provençal moderne : il suggère la création d’un théâtre populaire occitan pour concurrencer les cafés-chantants en vogue. Il propose aussi l’idée d’une grande fête latine dont il avait déjà discuté avec le philologue occitan Camille Chabaneau et pour laquelle il veut contacter Gaston Paris44, même s’il craint que les tensions entre Français et Italiens puissent y constituer un obstacle45. La lettre réserve aussi une petite curiosité, la première épreuve de la pièce de circonstance que Schuchardt publiera dans Les Tablettes d’Alais (Schuchardt 1887) en réponse au salut en langue occitane prononcé par Albert Arnavielle pendant une séance de la Société pour l’étude des langues romanes46. Schuchardt profite de l’occasion pour faire remarquer à Mistral la nécessité « d’une phraséologie provençale et d’un dictionnaire français- provençal » (lettre 204,94 du 13 mai 1887). En réalité, il s’agit d’un compliment masqué adressé à Mistral, qui avait déjà publié en 1878 le premier tome de son monumental Tresor dóu felibrige, dont le deuxième et dernier tome parut précisément en 1887 (cf. Mistral 1878-1887)47. Schuchardt termine sa longue lettre en souhaitant qu’on traduise en français les Troubadournovellen de Paul Heyse et il suggère que M me Dumas – grande amie de Mistral – puisse se charger de la traduction48. 25 Mistral répond deux jours plus tard, le 15 mai 1887. Il souligne les efforts que le mouvement du Félibrige est en train de faire pour mettre en contact le peuple avec les poètes (en regrettant que Schuchardt n’ait pas eu la possibilité d’assister à une des fêtes où cela se passait) et il remarque que l’idée d’un théâtre populaire est déjà dans les programmes du mouvement, « mais cela ne se fait pas en un jour » (lettre 07934 du 15 mai 1887). Il confirme aussi qu’il existe des dissensions au sein de la diplomatie italienne et parmi les Français, ce qui pourrait être un obstacle à l’intéressante idée d’une fête latine. Il remercie Schuchardt pour ses vers occitans, dont il corrige quelques petites fautes en soulignant en même temps qu’il croit « que depuis Frédéric Barberousse aucun fils de Germanie ne rima si gentiment en langue provençale ». Finalement, il l’invite à envoyer les nouvelles de Heyse à Mme Dumas. 26 À ce premier contact fait suite quelques jours plus tard (20 mai) une brève lettre de Mistral (n. 07395) dans laquelle il remercie Schuchardt pour le « charmant voyage au pays de Galles ». Il se réfère probablement à la traduction française des Keltische Briefe (Schuchardt 1886/87) dont Schuchardt avait annoncé l’envoi dans sa lettre du 13 mai (cf. infra) et dans lesquelles Schuchardt expose les impressions de son voyage au Pays de Galles en 1875 (cf. Richter 1928, 240, Wolf 1993, XVII)49. Dans ce texte, il décrit les qualités et la valeur des Gallois, mais il raconte aussi les Eistedd-fode, les grandes fêtes nationales de poésie et musique valaisannes, dans lesquelles vit la langue kymrique. Mistral reconnaît dans le texte la sympathie de Schuchardt pour le mouvement kymrique, qui est pourtant accompagnée d’une bienveillante ironie. Mais il voit surtout confirmé dans la description de Schuchardt « que le Félibrige est universellement humain, comme le sentiment reli-gieux ». Après ce bref échange de lettres, la correspondance entre les deux s’interrompt pendant plus de onze ans. Ce n’est qu’en 1898 que Schuchardt s’adresse à Mistral pour lui demander des informations liées à un champ de recherche qui l’occupe pendant les dernières années du 19e siècle et ouvre la voie au courant « Wörter und Sachen ». Entre outre, ce sont surtout deux genres d’objets – et naturellement leur désignation linguistique – qui intéressent le savant de

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 171

Graz : tous les outils utilisés pour filer la laine et les instruments de pêche50. Dans sa lettre du 29 octobre 1898, Schuchardt – qui travaille à ses « Romanische Etymologieen II » (Schuchardt 1899) – déplore le fait que le Tresor dóu Felibrige, qu’il affirme utiliser très souvent, ne contienne pas d’illustrations ; pour cette raison, il est contraint de demander à l’auteur du Trésor, connaisseur des traditions populaires provençales, des explica-tions sur un terme (et les objets que ceux-ci désignent) du champ notionnel des fuseaux, le thie51 ou mouscoulo52, et sur deux termes de pêche, le treboulaire53/ bourjadouiro54. Mistral 55 répond assez brièvement, mais il fournit des dessins et des informations lexico-graphiques pour les deux objets en question et conclut sa lettre en remerciant Schuchardt des bonnes nouvelles qu’il lui avait données d’August Bertuch à la fin de sa lettre ; celui-ci est, selon Schuchardt, son « prophète » en Allemagne. 27 La dernière lettre de Mistral à Schuchardt fait suite à l’envoi du travail « An Adolf Mussafia »56 qui peut être considéré comme l’un des travaux les plus significatifs et les plus importants de Schuchardt dans le champ de recherche de la « Sachwort- forschung » et où l’on voit réunis les fruits de recherches très approfondies et diversifiées au cours desquelles Schuchardt s’est servi – comme maintes autres fois – de manière exhaustive de son réseau de contacts57. Dans la lettre de Mistral, nous pouvons constater que le savant de Maillane semble être la victime d’un malentendu, peut-être dû à la mauvaise connaissance de l’alle-mand à laquelle faisait allusion la remarque de Gaston Paris citée avant : en fait, il félicite « Mm. Hugo Schuchardt et Ad. Mussafia pour leur magnifique travail sur le Debanaire », bien que l’étude ait été offerte par le seul Schuchardt à Mussafia58. 28 Même si, d’un point de vue strictement linguistique ou litté-raire, dans la correspondance entre Mistral et Hugo Schuchardt ne se développe aucun discours cohérent et organiquement organisé, son analyse nous permet de reconstruire un court jalon d’histoire de la philologie romane et d’une époque historique, culturelle et politique importante59.

BIBLIOGRAPHIE

Bähler, Ursula/Hurch, Bernhard (en prép) : La correspondance entre Gaston Paris und Hugo Schuchardt (titre provisoire).

Barthe, Roger (21962) : L’idée latine. Toulouse : Institut d’Études Occitanes.

Berjoan, Nicolas (2011) : « L’idée latine du Félibrige : Enjeux, boires et déboires d’une politique étrangère régionaliste (1870-1890) », Revue d’histoire du XIXe siècle 42, 121-136.

Boutière, Jean (1978) : Correspondance de Frédéric Mistral avec Paul Meyer et Gaston Paris. Paris : Didier.

De Caluwé, Jacques (1974) : Le moyen âge littéraire occitan dans l’œuvre de Frédéric Mistral. Utilisation éthique et esthétique. Paris : éditions A.-G. Nizet.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 172

Frýba-Reber, Anne-Marguerite/Chambon, Jean-Pierre (1995-1996) : « Lettres et fragments inédits de Jules Ronjat adressés à Charles Bally (1912-1918) », Cahiers Ferdinand de Saussure 49, 9-63.

Gache, Paul (1958) : L’idée latine de Roger Barthe. Rodez : éditions Subervie.

Guiter, Henri (1995) : « La chaire des Langues et Littératures Romanes (1878-1978) », dans L’Université de Montpellier, ses maîtres et ses étudiants depuis sept siècles. 1289-1989. Actes du 61e congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon. Colloque historique tenu à la Faculté de Médecine de Montpellier les 23 et 24 Octobre 1989, 263–270. Montpellier : Fédération Historique du Languedoc Méditerranéen et du Roussillon.

Habermas, Jürgen (21990 [1962]) : Strukturwandel der Öffentlichkeit. Untersuchungen zu einer Kategorie der bürgerlichen Gesellschaft. Mit einem Vorwort zur Neuauflage 1990. Frankfurt a.M.: Suhrkamp.

Haussmann, Frank-Rutger (2016) : « Die Korrespondenz swischen Paul Heyse und Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd. 2007-) Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http://schuchardt.uni- graz.at/korrespon denz/briefe/korrespondenzpartner/782[16/09/2016].

Heyse, Paul (1882) : Troubadour-Novellen. Berlin : Hertz.

Hurch, Bernhard (2009a) : « Ein Netzwerk des Wissens : Einige Voraussetzungen zur Profilierung der Philologie », dans C. König (éd.), Das Potential europäischer Philologien. Geschichte – Leistung – Funktion, p. 292–308. Göttingen : Wallstein Verlag.

Hurch, Bernhard (2009b) : « Einleitung : Prolegomena zum Brief-projekt », Grazer Linguistische Studien 72, 5-17, en ligne : http://schuchardt.uni-graz.at/files/Teil_1_Einfuehrung.pdf [28/04/2016].

Karl, Ludwig (1933) : « Correspondance de Frédéri Mistral avec Hugo Schuchardt », Revue des langues romanes 67 (7), 51-58.

Lamorte, André (1931) : Le christianisme de Mistral. Montauban : Imprimerie Coopérative.

Lehner, Johannes (1980) : Die Geschichte der Romanistik an der Universität Graz. Hausarbeit an der Geisteswissenschaftlichen Fakultät der Karl-Franzens-Universität Graz, Graz.

Lichem, Klaus/Würdinger, Wolfgang (2013) : « Die Korrespondenz zwischen Graziado Isaia Ascoli und Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd.) (2007-), Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http:// schuchardt.uni-graz.at/korrespondenz/briefe/korrespondenzpartner/254 [28/04/2016].

Martel, Pierre (1988) : « Revue des Langues Romanes », Romanische Forschungen 100, 246-257.

Martel, Pierre (1992) : « Le Félibrige », dans P. Nora (éd.), Les lieux de mémoire. III. Les France, 2. Traditions, 567-611. Paris : Gallimard.

Mauron, Claude (1993) : Frédéric Mistral. [Paris] : Fayard.

Melchior, Luca (2014a) : « Deux lettres d’Albert Arnavielle à Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd.) (2007-), Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http://schuchardt.uni-graz.at/korrespondenz/ briefe/korres pondenzpartner/bearbeitete/1629 [28/04/2016].

Melchior, Luca (2014b) : « ‹ Die Friauler sind linguistisch genommen, keine Italiener (auch die Sardinier sind in diesem Sinne keine), sondern Ladiner ›. Alcuni appunti su Hugo Schuchardt e il Friuli », Ce fastu ? 90, 5-67.

Melchior, Luca/Schwägerl-Melchior, Verena (à par.) : « Networks come categoria descrittiva nella storia della disciplina : esempi e prospettive », dans : C. Bernardasci et al. (éds.), Net(work)s : Entre

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 173

structure et métaphore/Tra struttura e metafora/Entre estructura y metáfora, « Beihefte zu Philologie im Netz ».

Milza, Pierre (1981) : Français et Italiens à la fin du XIXe siècle. Rome : École française de Rome.

Mistral, Frédéric (1878-1887). Lou tresor dóu felibrige ou dictionnaire Provençal-Français embrassant les divers dialectes de la langue d’Oc moderne, 2 vol.. Aix-en-Provence : Veuve Remondet-Aubin.

Petit, Jean-Marie (1985) : « Trois figures de la période montpel-liéraine de la renaissance occitane du XIXe siècle : Charles de Tourtoulon, Louis-Alphonse Roque-Ferrier, Camille Chabaneau », Revue des langues romanes 89, 93-121.

Richter, Elise (1928) : « Hugo Schuchardt. 1842-1927 », Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen 83 (154 n.s. 54), 224-258.

Ridoux, Charles (2001) : Évolution des études médiévales en France de 1860 à 1914. Paris : Honoré Champion.

Schuchardt, Hugo (1870) : Ueber einige Fälle bedingten Lautwandels im Churwälschen. Gotha : Perthes’ Buchdruckerei [HSA 005].

Schuchardt, Hugo (1876) : « Keltische Briefe I. II », Beilage zur Allgemeinen Zeitung, 179-180; 250-252 [HSA 080].

Schuchardt, Hugo (1878) : « Keltische Briefe III-V », Beilage zur Allgemeinen Zeitung, 2305-2306 ; 2322-2324 ; 2433-2435 ; 2537-2539; 2554-2556 ; 2562-2563 [HSA 108].

Schuchardt, Hugo (1886) : Romanisches und Keltisches. Gesammelte Aufsätze. Berlin : Oppenheim [HSA 185].

Schuchardt, Hugo (1886-1887) : « Lettres Celtiques », Annales de Bretagne, II, 299-345 ; 602-647.

Schuchardt, Hugo (1887) : « Au félibre Albert Arnavielle, en responso à sa graciouso pouësío», Les Tablettes d’Alais 21 mai 1887, [2] [HSA 198].

Schuchardt, Hugo (1892a) : « Altprov. sais», Zeitschrift für romanische Philologie 16, 522–523 [HSA 257].

Schuchardt, Hugo (1892b) : « Fr. ribon-ribaine », Zeitschrift für Romanische Philologie 16, 523 [HSA 258].

Schuchardt, Hugo (1899) : « Romanische Etymologieen II », Sitzungsberichte Der Kaiserlichen Akademie Der Wissenschaften in Wien. Philosophisch-Historische Classe 141, 1–222 [HSA 335].

Schuchardt, Hugo (1900) : « Franz. thie (zu Rom. XIX, 200f. 208) », Zeitschrift für romanische Philologie 24, 572 [HSA 370].

Schuchardt, Hugo (1905) : An Adolf Mussafia. Graz : Leuschner und Lubensky [HSA 480].

Schwägerl-Melchior, Verena (2014a) : « Die Korrespondenz zwischen Emile Cartailhac und Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd.) (2007-), Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http:// schuchardt.uni-graz.at/korrespondenz/briefe/korrespondenzpartner/1241 [28/04/2016].

Schwägerl-Melchior, Verena (2014b) : « Die Korrespondenz zwischen Gaston Caraigy und Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd.) (2007-), Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http:// schuchardt.uni-graz.at/korrespondenz/briefe/korrespondenzpartner/1012 [28/04/2016].

Schwägerl-Melchior, Verena(2014c) : « Die Korrespondenz zwischen Jean B. Brissaud und Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd.) (2007-), Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http:// schuchardt.uni-graz.at/korres pondenz/briefe/korrespondenzpartner/1309 [28/04/2016].

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 174

Schwägerl-Melchior, Verena (2014d) : « Die Korrespondenz zwischen Louis-Alphonse Roque- Ferrier und Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd.) (2007-), Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http://schuchardt.uni-graz.at/korrespondenz/briefe/korrespondenz partner/581 [28/04/2016].

Schwägerl-Melchior, Verena (2014e) : « Die Korrespondenz zwischen Mondry Beaudouin und Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd.) (2007-), Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http:// schuchardt.uni-graz.at/korrespondenz/briefe/korrespondenzpartner/2023 [28/04/2016].

Schwägerl-Melchior, Verena (2014f) : « Die Korrespondenz zwischen Paul-Jules Itier und Hugo Schuchardt », dans B. Hurch (éd.) (2007-), Hugo Schuchardt Archiv, en ligne : http:// schuchardt.uni-graz.at/korrespondenz/briefe/korrespondenzpartner/1114 [28/04/2016].

Stuber, Martin/Hächler, Stefan/Lienhard, Luc (éds.) (2005) : Hallers Netz. Ein europäischer Gelehrtenbriefwechsel zur Zeit der Auf-klärung. Basel : Schwabe Verlag.

Stuber, Martin/Hächler, Stefan/Steinke, Hubert (2005) : « Albrecht von Hallers Korrespondenznetz. Eine Gesamtanalyse », dans M. Stuber/S. Hächler/L. Lienhard (éds.), Hallers Netz. Ein euro-päischer Gelehrtenbriefwechsel zur Zeit der Aufklärung (1-216). Basel : Schwabe Verlag.

Swiggers, Pierre (1991) : « Forme et sens et étymologie : Antoine Thomas et Hugo Schuchardt », Orientalia Lovaniensa Analecta 45, 285-294.

Swiggers, Pierre (2010) : « Affinités entre romanistes : lettres de Camille Chabaneau à Hugo Schuchardt », Revue des langues romanes 114, 217-228.

Swiggers, Pierre/Desmet, Piet (1995) : « Brachet, Schuchardt et l’étude du latin vulgaire », Orbis. Bulletin international de documentation linguistique 38, 179-188.

Teissier, Léon (1954) : Mistral chrétien. Avignon : J. Roumanille.

Thomas, Antoine (1900) : « Étymologies françaises », Romania 29, 161–208.

Thomas, Jean (2011) : « Édition de cinq lettres de Jules Ronjat à Hugo Schuchardt », Revue de linguistique romane 75, 191-201.

Wolf, Michaela (1993) : Hugo Schuchardt Nachlaß. Schlüssel zum Nachlaß des Linguisten und Romanisten Hugo Schuchardt (1842-1927). Graz : Leykam.

Zantedeschi, Francesca (2009) : « Una ‹nazione mancata› : la questione linguistica occitana nella seconda metà del XIX secolo », Cercles. Revista d’història cultural 12, 141–158, en ligne : http:// www.raco.cat/index.php/Cercles/article/viewFile/196517/263637 [28/04/2016].

Zantedeschi, Francesca (2012) : « La dialectologie avant sa disciplinarisation : la société pour l’étude des langues romanes, et le statut de la langue d’oc », dans J.-L. Chiss et al. (éds.), La disciplina-risation des savoirs linguistiques. Histoire et épistémologie, en ligne : http://htl.linguist.univ- paris-diderot.fr/num5/articles/ZANTEDESCHI _2012.pdf [28/04/2016].

Zantedeschi, Francesca (2014) : « Romanistique et ‹ panlatinisme › en France dans la deuxième moitié du XIXe siècle », dans S. Moussa (éd.), Le XIXe siècle et ses langues. Lyon : Société des études romanti-ques et dix-neuviémistes (SERD), en ligne : http://etudes-romantiques.ish-lyon.cnrs.fr/ wa_files/Langues-Zantedeschi.pdf [28/04/2016].

Sites en ligne

Darwin Correspondence Project, http://www.darwinproject.ac.uk/ [28/04/2016].

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 175

ANNEXES

Notes d’édition

Nous respectons la graphie originale, sans corriger d’éven-tuelles erreurs que nous ne signalons même pas par des « [sic] ». Le changement de page est indiqué par un numéro entre |n.| (par exemple « |2| » pour la seconde page). Les passages soulignés par les auteurs sont indiqués en italique.

Édition des Lettres

Lettre n° 1 Signe de bibliothèque (Maillane) : 204,94 Type de document : Lettre Auteur : Hugo Schuchardt Lieu : Toulouse Date : 13 mai 1887 Schucart60 Toulouse, 13 mai 1887. Cher Monsieur et illustre maître, Avant de quitter le territoire où vous dominez par la grâce divine de la poésie, pour me rendre chez les Basques, je veux vous remercier encore du bienveillant et aimable accueil que vous m’avez fait. Quoiqu’il soit bien hardi de la part d’un étranger de dire un mot sur les affaires du félibrige, vous me permettrez de croire que vous devriez saisir le taureau par ses deux cornes, et ce sont Toulouse et Marseille. Il serait une chose très-méritoire, aussi au point de vue de la morale, que opposer au Café-chantant français un théâtre vraiment populaire61. |2| Le félibrige a acquis toutes mes sympathies. En général, je suis partout partisan de la décentralisation – bien que je ne puisse m’associer aux tendances slaves, qui combattent la langue allemande même comme langue officielle de l’Autriche62 – et pour preuve je vous prie d’accepter la traduction française de la première partie de mes Lettres celtiques qu’on vient de publier. J’ai parlé avec M. Chabaneau de Montpellier d’une grande fête latine qu’on organiserait pour les littérateurs autant que pour les savants ; il est entré avec plaisir dans mes idées et il croit que l’an 1889 comme celui de l’anniversaire de l’Université de Montpellier se qualifierait très bien pour cela. Je voudrais bien savoir votre opinion là-dessus avant de demander aide de mon |3| ami, M. Gaston Paris. Je vois qu’il y a un peu de froideur entre les Français du Midi et les Italiens ; est-ce que cela ne serait pas un petit obstacle ? Vous direz que je m’ingère dans des affaires qui ne me regardent pas – et vous aurez bien raison. On m’a toujours enseigné qu’on ne doive pas dire du mal de quelqu’un à son insu ; aussi ne veux je pas avoir fait de mauvais vers provençaux dans lesquels j’ai mis votre nom, sans que vous le sachiez. C’est la réponse à une poésie que M. Arnavielle m’a dédiée “en

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 176

gramecis de moun salut en lengo provençalo que dounère as felibres lou 6 de mai” (dans une séance de la Société pour l’étude des langues romanes.)63 Lis erso fier qu’au souffle dóu Mistrau se soun au ped dis Aupiho aubourado, S’escampon aro en siavis ondulado En-jusqu’au bout dis Aup orïentau, Mount èi moun Graz. Ardent desir m’a pres |4| De saboura lis auro de Prouvenço ; O, m’an rendu l’avarido jouvenço, E me parèis qu’èis eicito moun bres. Un esprit sant subr’iéu calé-ti alor Que bretonnère is amì moun arengo ? Belèu la bouco oublido vosto lengo, Rèsto, pamèns, grabado au founs dóu cor. Vous voyez à quel point les félibres étrangers ont besoin d’une phraséo-logie provençale et d’un dictionnaire français-provençal. M. Paul Heyse64 m’écrit que ses nouvelles provençales n’ont pas été traduites en français. Ah, si Mme Dumas qui sait si bien l’allemand, en voulait traduire une ou deux en français pour que vous puissiez les mettre en provençal ! Je vous demande pardon de mon sans-gêne, de mon mauvais français, et de mon provençal encore pire et je vous prie de présenter mes respects à Mme Mistral. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mon admiration profonde et de ma sincère sympathie Hugo Schuchardt Bayonne, poste restante Lettre n° 2 Signe de bibliothèque (Graz) : 07394 Type de document : Lettre Auteur : Frédéric Mistral Lieu : Maillane Maillane : 15 mai 1887 Maillane (Bouches-du-Rhône)65 15 mai 1887 Mon cher Monsieur, je66 suis heureux de voir que vous n’emportez pas un trop mauvais souvenir des Provençaux et des Félibres. je regrette que vous n’ayez pu assister à une de ces fêtes67 où les poètes de la langue d’Oc se mettent en communication directe avec le peuple. votre desideratum d’un théatre68 populaire est dans notre programme. nous tâchons de créer des éléments. mais cela ne se fait pas en un jour. cette année-ci des pastorales provençales69 se sont jouées avec grand succès |2| dans plus de 20 villes de Provence pendant la période de Noël. aujourd’hui même, à S. Remy (que vous connaissez) doit se jouer pour la 2e fois une comédie provençale en 4 actes. nous avons déjà des drames, des opéras.70 nous

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 177

travaillons, nous remuons. mais tout demande un temps et des circonstances favorables. je suis sympathique à une grande fête de poètes et de philologues telle que celle dont vous avez parlé avec Chabaneau, et l’on peut compter sur moi et sur nous pour toutes ces hautes manifestations intellectuelles. certaine-ment les allures misogalles de la diplomatie italienne ne sont pas faites pour chauffer les relations entre Français et italiens.71 mais il |3| faut espérer que le ciel s’eclaircira72, et que l’étoile du Félibrige rassérénera les âmes. vos vers provençaux sont charmants, et il suffirait de bien peu de chose pour les rendre tout-à-fait73 corrects :74 lis erso que, fièro75, emé lou mistrau se soun au pèd dis Aupiho aubourado, s’escampon aro en suàvis76 oundado77 enjusque78 au bout dis Aup79 óurientau, ounte es moun Graz. ardènt desir m’a pres de saboura lis auro de Prouvènço ; o, m’an80 rendu l’avalido jouvènço, e me parèis qu’es eicito moun brès. un esprit sant m’alène81-ti, alor que bretounère is ami moun arengo ? |4| belèu la bouco82 óublido vosto lengo, rèsto pamens gravado au founs dóu cor.83 je crois bien que depuis Frédéric Barberousse aucun fils de Germanie ne rima si gentiment en langue provençale. faites adresser à Madame84 Adrien Dumas, de Nimes85 (rue Briçonnet86, 4), les nouvelles de M. Paul Heyse. cette aimable dame est, je crois, très capable de nous les traduire, et elle le fera pour nous faire plaisir. Recevez, cher monsieur, avec les salutations de madame87 Mistral, l’assurance de mes sentiments très cordiaux, F. Mistral Lettre n° 3 Signe de bibliothèque (Graz) : 07395 Type : Lettre Auteur : Frédéric Mistral Lieu : Maillane Date : 20 mai 1887 Reçu le charmant voyage au pays de Galles.88 une spirituelle et joyeuse ironie enveloppe votre admiration pour le mouvement Kymrique. tout cela est, quand même, bien intéressant et bien touchant.89 et cela prouve que le Félibrige est universellement humain, comme le sentiment reli-gieux. heureux voyage au pays Cantabre, et affectueuses salutations ! F. Mistral Maillane, 20 mai 1887

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 178

Lettre n° 4 Signe de bibliothèque (Maillane) : 204,95 Type de document : Lettre Auteur : Hugo Schuchardt Lieu : Graz Date : 29 octobre 1898 Graz (en Styrie) Elisabethstr. 6 29 oct. 1898. Cher maître, Chaque fois que je compulse votre Trésor (et je le fais si souvent et si ardemment que mon exemplaire est déjà tout en lambeaux),90 je regrette qu’il n’y ait pas d’illustrations. En maintes occasions j’ai contenu ma curiosité ; mais maintenant qu’il s’agit d’un objet auquel je porte un intérêt tout particulier, je dois lui donner libre cours. La partie supérieure du fuseau est modifiée de différentes manières pour retenir le fil et |2| et pour le faire tordre mieux. J’ai vu des fuseaux italiens avec la coche et d’autres avec le crochet ; mais je ne peux pas me faire une idée bien exacte de la thie (mot du reste qui ne se trouve pas chez Littré) qu’on nomme mouscoulo etc. chez vous. Est-ce qu’il y a parmi les personnes de votre connaissance quelqu’une qui sache et veuille me donner de petits croquis de fuseaux avec thies (pourvues ou dépourvues de crochets) et de fuseaux avec crochets sans thies ? J’en serais bien reconnaissant. Nous vous donnons li daio d’Estirio ; en revanche nous desirons avoir li mouscoulo de Prouvenço91. |3| Et pour faire d’une pierre deux coups, je me permets de vous demander encore si le treboulaire, bourjadouiro etc. (la bouille des Français) a chez vous la même forme qu’on lui connaît en Allemagne, en Italie, en Hongrie : M. Bertuch92 est votre prophète en Allemagne, avec succès ; je m’en réjouis. Je pense souvent à la belle matinée que j’ai passée en votre compagnie. Bien à vous Hugo Schuchardt. Lettre n° 5 Signe de bibliothèque (Graz) : 0739693 Type de document : Lettre Auteur : Frédéric Mistral Lieu : .s.l. Date : s.d. la mouscoulo est une virole de fer, surmontée d’un crochet qui retient le fil (n° 1). ou simplement une coche ou entaille qui creuse la pointe du fuseau en spirale dans laquelle entre le fil (no 2). – on lit dans le supplément au Dict. de l’Acad. française par F. Didot94 : « Thie, dans quelques provinces, petit instrument de métal qu’on attache à l’extrémité supérieure du fuseau à filer, pour faciliter l’arran-gement du fil. »

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 179

|2| pardonnez, cher monsieur, à la grossièreté de mes dessins, car nos fuseaux étaient naturellement plus sveltes que ces ébauches. quant à la bourjadouiro, voici : très heureux d’avoir pu vous être agréable et des bonnes nouvelles que vous me donnez de l’excellent M. Bertuch, je vous salue cordialement F. Mistral

***

Lettre n° 6 Signe de bibliothèque (Graz) : 07397 Type de document : Carte postale Auteur : Frédéric Mistral Lieu : Maillane Date : 1 mai 1905 Remerciements et compliments à Mm. Hugo Schuchardt et Ad. Mussafia pour leur magnifique travail sur le Debanaire95 ! F. Mistral 1er mai 190596

NOTES

1. Il est intéressant de remarquer que le voyage de Schuchardt fut mentionné aussi dans le quotidien autrichien Die Presse (Vienne), qui, à la suite de l’article paru dans Les Tablettes d’Alais du 21 mai 1887 (cf. infra), informa largement ses lecteurs de l’accueil réservé à Schuchardt en pays occitan (cf. Die Presse, 12 juin 1887, p. 13). 2. Trois des quatre lettres de Mistral à Schuchardt (lettres 07394, 07395, 07397) ont été publiées par Louis Karl dans la Revue des langues romanes (67/7, 51-58) en 1933. La lettre 07396 – probablement la plus intéressante pour le linguiste et pour l’historien de la discipline – ainsi que les lettres de Schuchardt à Mistral – n’ont pas encore été publiées. Karl ignorait très probablement l’existence de la lettre 07396, étant donné que, jusque dans les années 1990, les archives de Schuchardt n’étaient pas classées et inventoriées dans leur intégralité ; il affirma lui- même à l’époque : « [l]e dossier de Frédéric Mistral (1830-1914) ne renferme que trois pièces » (Karl 1933, 57, note 1). L’édition de Karl (1933) présente plusieurs erreurs qui seront signalées ici en note. Nous ne croyons pas nécessaire de donner des informations biographiques sur Hugo Schuchardt (Gotha 1842-Graz 1927) – pas plus que sur Frédéric Mistral (Maillane, Bouches-du- Rhône, 1830-1914) –, bien connus des lecteurs de cette revue. Pour des informations biobibliographiques et la correspondance de Hugo Schuchardt, nous renvoyons de façon générale au site web du « Hugo Schuchardt Archiv » (http://schuchardt.uni-graz.at/). 3. Il est bien connu que la « correspondance des savants » revêtait une importance fondamentale pour la circulation des idées et du savoir déjà auparavant, en particulier au 18e siècle (le « siècle des lettres » comme le définit Habermas (cf. 1990 [1962], 113) (il n’est pas possible – et on ne le souhaite pas – de donner ici une bibliographie des travaux sur ce sujet) ; la nouveauté du 19e siècle réside dans les dimensions (numériques et sociales) des échanges postaux : à la suite des réformes et de l’internationalisation des systèmes postaux dans les pays européens et dans leurs colonies, la poste devint un phénomène global.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 180

4. Pour en citer seulement deux, cf. le projet consacré aux échanges épistolaires de Charles Darwin (cf. http://www.darwinproject.ac.uk/) et les travaux concernant le réseau du médecin Albrecht von Haller (cf. par exemple Stuber/Hächler/Lienhard 2005 et les informations données sur http://www.albrecht-von-haller.ch/f/ index.php). 5. Projet financé par le Fonds zur Förderung der wissenschaftlichen Forschung (FWF, numéro du projet P 24400-G15, directeur Prof. Bernhard Hurch). 6. Cf. http://schuchardt.uni-graz.at/ et les indications bibliographiques données ici. 7. Stuber / Hächler / Steinke (2005 :17) attribuent trois fonctions principales à la correspondance des savants : 1) le savant peut y développer de nouvelles idées ; 2) la correspondance lui fournit des informations privilégiées et indispensables ; 3) elle joue un rôle capital dans toute recherche qui collecte des données disséminées ou non dans l’espace. 8. Depuis son Habilitationsschrift (Schuchardt 1870) consacrée à des problèmes de diphtongaison romane, il portait un intérêt particulier aux trois idiomes qui seront classifiés comme « ladin » par Ascoli en 1873. 9. On peut affirmer la même chose pour le frioulan (cf. Melchior 2014b). Si l’occitan n’occupa qu’une place marginale dans la recherche de Schuchardt, on ne peut pas en dire autant pour l’enseignement, où cette langue, en tant que langue des troubadours, d’ailleurs caractéristique de la philologie romane allemande de cette époque, jouait un rôle important. Schuchardt donna des cours de « Provenzalische Grammatik » dans les semestres d’été 1878, 1881, 1890 et 1898 et dans les semestres d’hiver 1883/84, 1887/88, 1897/98, et 1899/1900 ; des « Provenzalische Übungen » dans les semestres d’hiver 1878/79 et 1881/82 et encore des cours de « Provenzalisch » dans les semestres d’été 1892, 1895, 1897 et d’hiver 1895/96 (cf. Lehner 1980, 79 sq.). 10. « Au félibre Albert Arnavielle, en responso à sa graciouso pouësio » (Schuchardt 1887), Arnavielle avait dédié sa poésie à Schuchardt à l’occasion de son départ de Montpellier le 9 mai 1887 pour le remercier d’avoir salué les Félibres de Montpellier en provençal, cf. Melchior (2014a). 11. Par exemple, les publications de 1892 « Altprov. sais » (Schuchardt 1892a) et « Fr. ribon-ribaine » (Schuchardt 1892b) dans la Zeitschrift für romanische Philologie. 12. Dans ce contexte, cf. par exemple la lettre 07396 de Mistral, mais aussi l’admiration exprimée par Schuchardt (1905, 7) pour le projet du Museon Arlaten initié par Mistral en 1899, la correspondance avec E. Marignan (dans Wolf 1993, 200 erronément inventoriée sous le nom ‘Gufarignan’, lettres 04203-04205) et celle avec Bernard d’Armagnac de Castanet (lettres 00164-00166). 13. Sur cette importante société scientifique, cf. Martel 1988, Guiter 1995, Petit 1995, Zantedeschi 2009, 2012, 2013. 14. De Paul-Jules ITIER (1849-1936), président de la Société pour l’étude des langues romanes, les archives de Schuchardt conservent une carte de visite sans date (lettre 04933) et une lettre envoyée le 31.03.1878 de Montpellier contenant des conseils pour le voyage en France et l’invitation à participer à une des séances de la Société pour l’étude des langues romanes (lettre 04934) (cf. Schwägerl-Melchior 2014f). 15. Albert ARNAVIELLE (Alès 1844-Montpellier 1927), journaliste français et poète en langue occitane (mais aussi militant royaliste du mouvement d’extrême droite Action française), correspondant de Schuchardt (lettres 00168-00169) (cf. Melchior 2014a). 16. Camille CHABANEAU (Nontron 1831-1908), philologue et grammairien occitan, correspondant de Schuchardt (lettres 01603-01606) qui « compte parmi les principaux occitanistes du 19e siècle » (Swiggers 2010, 223 note finale 7). L’édition de ses lettres à Schuchardt se trouve dans Swiggers 2010 ; pour des informations biographiques, cf. Petit 1985, 111-115. 17. Joseph ROUMANILLE (Saint-Rémy-de-Provence 1818-1891), auteur et libraire occitan. L’édition de ses quatre lettres à Schuchardt est en préparation pour le Hugo-Schuchardt-Archiv.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 181

18. Une grande partie des lettres d’Antoine THOMAS, à qui Schuchardt s’opposera plus tard dans une controverse assez virulente sur l’étymologie de trouver et le poids relatif de la sémantique et de la phonétique dans l’étude du changement linguistique, a été publiée dans Swiggers 1991. Les trois lettres datées de l’année du voyage de Schuchardt (lettres 11658-11660) sont toutes liées à son projet de passer quelques jours dans le Midi et d’y rencontrer les figures importantes de la vie culturelle de la France méridionale. Dans l’édition de Swiggers, il manque pourtant une de ces trois pièces de 1887, une carte de visite avec une invitation pour une rencontre à Toulouse – « Antoine Thomas, Chargé de Cours de la Faculté des Lettres. Sera chez lui demain matin jusqu’à midi, très heureux de voir M. Schuchardt. Toulouse. 2, Rue Roquelaine » – qui date probablement du mois d’avril 1887 (lettre 11659). Après 1887, la correspondance entre Schuchardt et Thomas ne reprendra qu’en 1901. 19. Louis ROUMIEUX (Nîmes 1829-1894), félibre. Une seule carte de visite datée du 8.5.1887 (lettre 09804). 20. Émile CARTAILHAC (Marseille 1845-Genève 1921), préhistorien français. La carte de visite du Secrétaire Général de l’Exposition Internationale de Toulouse, datée du mois de mai du 1887, témoigne de la présence de Schuchardt à cet événement (lettre 01549) (cf. Schwägerl-Melchior 2014a). 21. Jean-Baptiste BRISSAUD (Puysserampion 1854-Toulouse 1904), juriste et professeur de droit. La lettre de Brissaud (01383) n’est pas datée. Puisque Brissaud regrette de n’avoir plus vu Schuchardt à Toulouse et lui transmet ses vœux de bon voyage au Pays basque, il est fort probable que la lettre ait été écrite en mai 1887 après le départ de Schuchardt de Toulouse (cf. Schwägerl-Melchior 2014c). Une lettre de Gaston Paris, écrite le 30.5.1878 (08595), dans laquelle le grand philologue se félicite de la poésie provençale que Schuchardt a publiée dans Les Tablettes d’Alais (cf. infra), est déjà adressée à Sare dans le Pays basque. 22. La lettre est signée par un certain « Gaston Caraigy », sur lequel on n’a trouvé aucun renseignement biographique. Cependant, la lettre nous informe sur le fait qu’il avait rencontré Schuchardt lors de son voyage et que celui-ci lui avait envoyé sa publication en occitan (Schuchardt 1887) (cf. Schwägerl-Melchior 2014b). 23. Charles JORET (1829-1914), philologue, historien de la littérature et botaniste. 24. À côté des lettres, dans les papiers de Schuchardt sont conservées des cartes de visite. Pour ce qui concerne le pays d’oc, il nous semble important de mentionner celles du professeur Max Bonnet de Montpellier, du rédacteur en chef du Journal du Midi, Gustave Goubier et d’Henri Eysette (père). En outre, sur une carte de visite de Schuchardt conservée dans la même section des papiers (« 2.7. Visitenkarten ») se trouve, manuscrite, l’information suivante : « Mr Auguste Fourès, rédacteur de la Dépêche Firmin Boissin, rédacteur en chef du Messager de Toulouse ». 25. La raison pour laquelle Les Tablettes d’Alais donnent à Schuchardt le titre de « félibre » n’est pas claire. Il ne semble pas qu’il ait été membre du Félibrige – Ronjat (1907, 14) ne le mentionne pas parmi les félibres étrangers : « Les Sòci, en nombre illimité sont choisis parmi les personnes étrangères au Midi de la Gaule qui ont le mieux mérité du Félibrige par leurs travaux de toute nature. Ce sont des professeurs de langue et littérature romanes comme les Français Michel Bréal, Paul Meyer, E. des Essarts, A. Jeanroy, les Italiens Ascoli et Rajna, le Finlandais Estlander, le Suédois Lidforss, les Allemands Behrens, Foerster, Neumann ; de zélés défenseurs des parlers locaux comme M. Gaidoz, directeur à l’Ecole des Hautes-Etudes, l’abbé Lemire, député de Hazebrouck, le commandant Lamouche-Bey, auteur d’une étude sur les dialectes de Montpellier et de Lodève ; des traducteurs et commentateurs d’œuvres félibréennes comme le Flamand Pol De Mont, les Italiens Portal et Chini, les Suédois Mlle Ljungquist et le professeur Nyblom, les Allemands Bertuch et Hennicke, le Tchèque Vrchlicky, le Danois Andersen, le Luxembourgeois Welter, les Américains Janvier, Gilder, Downer ; j’en passe, et des meilleurs ». 26. Malheureusement, il n’a pas été possible trouver le procès-verbal de la séance. Celle-ci est décrite par Louis Astruc dans son article « Un ami » paru le 1er juin 1887 dans le journal occitan

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 182

Zou !, où sont reproduits les vers d’Arnavielle et de Schuchardt déjà publiés dans Les Tablettes d’ Alais (Schuchardt 1887). Cf. note 83 pour les versions différentes des vers. 27. En 1904, il semble qu’il ait fait suspendre son appartenance à la Société pour l’étude des langues romanes parce qu’il trouvait qu’il y avait dans la Revue des langues romanes trop de littérature et trop peu de linguistique (cf. lettre 03926 de Maurice Grammont du 09.02.1904). 28. Auguste BRACHET (1845-1898), philologue français. Sa lettre à Schuchardt a été publiée dans Swiggers/Desmet 1995. 29. À propos de la correspondance entre Schuchardt et Meyer, il nous semble important de signaler qu’Anatole Boucherie écrit à Schuchardt, dans sa lettre du 9 mai 1867 (lettre 01277), qu’il a obtenu de Paul Meyer les renseignements bibliographiques qui concernaient la thèse de doctorat du linguiste allemand. Meyer connaissait donc les œuvres de Schuchardt bien avant le début de la correspondance avec Schuchardt, qui commence seulement en 1874. 30. Une des lettres signées d’A. Arnavielle en qualité de Président de la maintenance languedocienne du Félibrige et adressée à Schuchardt a été matériellement écrite par Roque- Ferrier, qui était en même temps secrétaire de cette maintenance (cf. Petit 1985 : 103-104). 31. Louis-Alphonse ROQUE-FERRIER (1844-1907), secrétaire de la Société pour l’étude des langues romanes (1874-1992) et de la Maintenance du Languedoc du Félibrige (1879-1888) (cf. Petit 1985 : 102-108 ; Schwägerl-Melchior 2014d). 32. Paul HEYSE (Berlin 1830-Munich 1914), écrivain allemand, honoré comme Mistral (1904) du prix Nobel de littérature (1910). Heyse avait étudié la philologie romane à Bonn (où il avait commencé à rédiger sa thèse de doctorat sous la direction de Friedrich Diez en 1850) comme Schuchardt et s’était occupé de littérature provençale dans sa thèse. Pour la brève correspondance Schuchardt-Heyse, cf. Hausmann (2016). 33. Pour la recherche de Schuchardt autour de la Lingua franca, cf. Melchior/ Schwägerl-Melchior (à par.). 34. Les « fêtes latines » qui eurent lieu pour la première fois en 1874 en l’honneur du poète italien Pétrarque et dont « les célébrations se succèdent à bon rythme jusqu’au milieu des années 1880 » (Berjoan 2011, 127) étaient des fêtes littéraires dont Léon de Berluc-Pérussis (cf. Barthe 21962, 78-87, Gache 1958, 20-22, Berjoan 2011, 124) avait eu l’idée et qui connurent un grand succès dans le Félibrige. Dans ces fêtes, on célébrait l’idée félibréenne d’une « union latine », qui souhaitait un rapprochement entre la France, l’Espagne et l’Italie, pays de culture latine (à ce propos, cf. Gache 1958, 19-48, Berjoan 2011). 35. L’édition de la correspondance est en préparation. 36. Cf. Schwägerl-Melchior 2014e. 37. Maurice GRAMMONT (1866-1946), linguiste français et directeur de la Revue des langues romanes. La correspondance de Grammont avec Schuchardt n’a pas encore été publiée. 38. Schuchardt (1905, 6 sq.) remercie tous ceux qui lui ont donné des informations utiles à sa publication, entre autres « E. MARIGNAN in Marsillargues, der Vertreter MISTRALS und Leiter des von diesem ins Leben gerufenen provenzalischen Museums zu Arles. » (Schuchardt 1905, 7). 39. Cf. la lettre dans l’édition de Lichem/Würdinger (2013), accessible sous l’URL http:// schuchardt.uni-graz.at/korrespondenz/briefe/korrespondenzpartner/bearbeitete/254/briefe/ 102-00284. 40. On trouve ainsi dans un de ses carnets les noms de personnes qu’il avait probablement l’intention de voir pendant son séjour dans le Midi : y figurent par exemple pour Toulouse A. Thomas, pour Montpellier C. Chabaneau (cf. Werkmanuskripte 23.2.2.2, 125-127). 41. Il semble que, au cours du voyage de Schuchardt, une rencontre avec G. Paris avait été aussi planifiée (mais pas réalisée, cf. lettres de Paris à Schuchardt n. 08592 du 11 avril 1887, n. 08593 du 12 avril 1887) à Salines d’Hyères (cf. Werkmanuskripte 23.2.2.2, 122-128). En témoigne la lettre d’Antoine Thomas à Schuchardt, écrite le 20 mai 1887, où Thomas cite une missive de Gaston

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 183

Paris, dans laquelle celui-ci disait qu’il lui était impossible de venir en Provence (Swiggers 1991, 288 sq.). 42. Avec les numéros d’archive 07394-07397. Les deux premières lettres sont datées de 1887, la troisième n’est pas datée, mais a été écrite probablement en 1898 ou 1899 (car il s’agit de la réponse à la seconde lettre de Schuchardt, datée du 29.10.1898). La carte postale (07397) est datée du 1er mai 1905. 43. Avec les numéros d’archive 204,95 et 204,95. La première est datée de 1887, la deuxième de 1898. 44. Paris, né à Avenay-Val-d’Or en 1839 et mort à Cannes en 1903, fut un des correspondants les plus importants de Hugo Schuchardt (cf. Bähler/Hurch en préparation). 45. Il y avait eu des tensions diplomatiques entre la France et l’Italie dès la fin des années 1870 à cause de bruits concernant la possibilité de l’établissement d’un protectorat italien en Tunisie ; elles s’aggravèrent en 1880 et surtout en 1881, lorsque la France intervint militairement et instaura son protectorat dans le pays. En 1882, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie conclurent une alliance, nommée « Triplice », ce qui marqua le début d’un rapprochement entre l’Italie et l’Allemagne. Le 20 février 1887, cette alliance fut confirmée (« deuxième triplice ») à l’initiative de l’Italie (à la suite des tensions après la conquête italienne de la ville érythréenne de Massaoua en 1885) avec deux nouveaux pactes (cf. Milza 1981, 28-57). 46. Contrairement à Karl (1933, 52), qui écrit que Schuchardt « était linguiste, critique littéraire, folkloriste, diplomate, poète même devant les fils d’Apollon. C’est cette dernière qualité que sa correspondance avec Mistral va nous révéler ». Nous ne sommes pas d’avis que l’importance de la correspondance avec Mistral réside dans cette petite curiosité. Il est bien connu que Schuchardt aimait écrire – des vers aussi – en plusieurs langues, même dans des « langues mineures », comme par exemple le kymrique, le frioulan et même en créole, surtout pour des destinataires privés. 47. Joseph Roumanille confirme l’envoi du deuxième volume à Graz dans sa lettre du 8 mai 1887 (lettre 09800). 48. Adele GUIRAUD, dite Dono Andriano, était mariée avec le riche bourgeois Adrien DUMAS et tenait un salon littéraire à Nîmes. Sur les rapports Mistral-Dono Andriano, cf. Lamorte 1931, Teissier 1954, Mauron (1993, 239 sqq.). Adele GUIRAUD, « grâce à une ascendance maternelle suisse, avait une bonne connaissance de l’allemand et servait donc de conseillère au Maillanais sitôt qu’il était question de traductions […] en cette langue (Mauron 1993, 204) – comme elle le fait pour la traduction allemande du mistralien Nerto par August Bertuch (cf. Mauron 1993, 387, note 57). Nous n’avons pas connaissance d’une traduction française des nouvelles de Heyse par Mme Dumas, et il n’y a pas non plus de traces d’une correspondance entre Schuchardt et celle-ci. 49. À l’origine, les Keltische Briefe furent publiées en plusieurs tranches dans la Beilage zur Allgemeinen Zeitung au cours des années 1876 et 1878 (Schuchardt 1876, 1878). 50. En plus, Schuchardt s’intéresse aux méthodes et instruments utilisés pour battre le blé, au jeu de la toupie et à l’architecture particulière des « barracas », cabanes de pêcheurs et de chasseurs dans le Midi et en Espagne. Sa collection d’objets provenant de toute l’Europe et dont il avait fait un petit musée dans sa « Villa Malwine » à Graz, est aujourd’hui conservée au Volkskundemuseum Wien. Dans le cadre d’une coopération entre celui-ci et le projet « Network of Knowledge » de l’université de Graz, les objets de la collection ont été photographiés et décrits, en clarifiant leur origine et en établissant les liens avec les correspondances et les œuvres de Schuchardt. Depuis 2015, les objets sont visibles sur le site http://volkskundemuseum.at/ onlinesammlungen/schuchardttext. 51. La graphie du terme « thie » utilisée par Schuchardt dans ses « Romanische Etymologien II » (Schuchardt 1899, 39-41) fera l’objet d’une brève polémique avec Antoine Thomas dans la Romania (cf. Thomas 1900, 208) et la Zeitschrift für romanische Philologie (Schuchardt 1900).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 184

52. Cf. Mistral (1887, 377, s.v. mouscoulo) : « thie, petit cône de métal creux qu’on adapte à la pointe d’un fuseau pour retenir le fil ; coche que l’on y creuse en guise de thie ». Schuchardt utilise les informations données par Mistral dans ses « Romanische Etymologien II » (Schuchardt 1899, 45). 53. Cf. Mistral (1887, 1033) : « Perturbateur, trice, v. destourbaire ; celui qui bouille l’eau » ; Schuchardt (1899, 137). 54. Cf. Mistral (1878, 338 s.v.) : « Bouille, perche pour battre et fouiller l’eau, afin de faire sortir le poisson » ; Schuchardt (1899, 131). 55. Un an après seulement, en 1899, le poète occitan fondera le Musée ethnographique provençal à Arles, aujourd’hui siège social du Félibrige. 56. L’ouvrage se trouve dans la bibliothèque personnelle de Mistral (c.p. Dominique Serena- Allier). 57. Après la publication du travail dédié à Mussafia à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, Schuchardt semble avoir envoyé cette œuvre imprimée en très grand format aux personnes qui ont contribué à son élaboration en fournissant des informations et des objets des régions les plus diverses. Dans les papiers de Schuchardt figure un registre des personnes auxquelles Schuchardt avait envoyé son écrit « An Adolf Mussafia » dans lequel le premier nom à figurer dans la section « Frankreich » est celui de Mistral (cf. « Werkmanuskripte » 17.1.2.7). 58. Mussafia eut à peine le temps de l’en remercier : malade depuis quelques temps et forcé à l’inaction scientifique, il mourut le 7 juin 1905 ; sa dernière lettre à Schuchardt dans laquelle il exprime sa gratitude est datée – comme celle de Mistral – du 1er mai 1905. 59. On ne peut donc pas être d’accord avec De Caluwé (1974, 291) quand il écrit : « On n’a que très rarement l’occasion de voir les lettres de Mistral, mais on possède au moins, à Maillane, les textes de ses correspondants, qui sont fort nombreux. Pourtant ces lettres, signées par Azaïs, Jeanroy, Koschwitz, Milà y Fontanals, Raynaud, Santy, Schuchardt, Suchier, Thomas, Voretzsch, Wahlund, Chabaneau, Crescini, Anglade, Schultz-Gora, Darmesteter, Boissonnade, Bréal, Nicholson, Rajna, Wallenskold et beaucoup d’autres moins importants, ne nous renseignent guère sur la nature des curiosités de Mistral. Elles sont assez mondaines et peuvent seulement, dans les cas les plus favorables, nous confirmer dans la pensée que Mistral connaissait telle personne ou tel ouvrage ». 60. Le nom du correspondant a été probablement annoté sur la lettre (avec une faute d’orthographe) par Mistral. 61. Le théâtre populaire jouait un rôle important dans le mouvement félibréen (mais pour une critique du caractère « populaire » de l’action linguistique et culturelle du Félibrige cf. Martel 1992, 598 sqq.) ; le café-concert eut dans la seconde moitié du XIXe siècle sa phase de plus grande popularité en France, où il était une des plus importantes formes de divertissement populaire. 62. Surtout dans son étude publiée en 1884 Dem Herrn Franz von Miklosich zum 20. Nov. 1883. Slawo- deutsches und Slawo-italienisches, Graz, Leuschner u. Lubensky, 131 sqq., Schuchardt exprime sa gêne et son incompréhension à l’égard de tendances de séparatisme (extrême) des groupes linguistiques dans les territoires de la monarchie austro-hongroise au détriment du multilinguisme social et individuel. 63. Le texte que Schuchardt envoie à Mistral est une version déjà corrigée par Arnavielle (cf. Melchior 2014b). 64. En 1882, Heyse avait publié ses Troubadour-Novellen (Heyse 1882) ; dans une carte postale envoyée de Rome à Schuchardt, qui se trouvait à Toulouse, le 6.5.87, Heyse écrit que « von den Troubadournovellen, so weit ich weiß, keine ins Französische übersetzt ist » (04718). 65. Dans Karl (1933, 55) on lit : « MAILLANE, Bouches-du-Rhône, 15 mai 1887. » 66. Mistral commence toutes les phrases avec des minuscules (même après le point). Karl a transcrit la première lettre de chaque phrase avec des capitales ; nous conservons ici la graphie

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 185

de Mistral, mais nous ne signalons pas chaque fois que notre transcription et celle de Karl divergent. 67. Karl (1933, 55) : « à une fête ». 68. Karl (1933, 55) corrige en « théâtre ». 69. Karl (1933, 55) ne signale pas que ce passage est souligné dans la lettre de Mistral. 70. Karl (1933, 55) ne met pas un point, mais une virgule. 71. Karl (1933, 55) a une virgule et non un point. 72. Karl (1933, 55) corrige en « éclaircira ». 73. Karl (1933, 56) « tout à fait ». 74. Karl (1933, 56) termine la phrase par un point. 75. Mistral souligne le « o », qui manque dans le texte de Schuchardt dans la lettre 204,94, mais Karl (1933, 56) ne l’indique pas. 76. Karl (1933, 56) « suavio ». 77. Schuchardt avait écrit « ondulado », cf. supra. 78. Karl (1933, 56) « En-jusque ». 79. Karl (1933, 56) « Aupe ». 80. Karl (1933, 56) « ou ». 81. Karl (1933, 56) « alèno ». 82. Karl (1933, 56) « vouès a ». 83. Le texte de la pièce publiée dans Les Tablettes d’Alais (Schuchardt 1887) est le suivant : Lis èrso fièro, au soufle d’ou mistrau / Contro lou pèd dis Aupiho aubourado, / Van escampa si pu siàvis oundado / Enjusqu’au bout dis Aup ourientau, / Mounte es moun Graz. - Ardent desir m’a pres / De saboura lis auro de Prouvenço. / O, m’an rendu l’avalido jouvenço / E m’a sembla qu’èro eicito moun bres. / Queto esprit sant calè sus iéu alor / Que bretounère is ami moun arengo ? / Belèu la bouco oublido vosto lengo ; / Rèsto, pamens, gravado au founs dou cor. / La version publiée dans le journal Zou ! (cf. note 26) est la suivante : / Lis èrso fièro au soufle dóu mistrau, / Contro lou pèd dis Aupiho aubourado, / An escampa si pu siàvis oundado / Enjusq’au bout dis Aup óurientau, / Mounte es moun Graz. – Ardènt desir m’a pres / De saboura lis auro de Prouvènço. / O, m’an rendu l’avarido jouvenço, / E m’a sembla qu’èro eicito moun brès- / Quete esprit sant calè sus iéu alor / Que bretounère is ami moun arengo ? / Belèu la bouco óublido vosto lengo ; / Rèsto, pamens, gravado au founs dóu cor. 84. Karl (1933, 56) « Mme ». 85. Karl (1933, 56) corrige en « Nîmes ». 86. Karl (1933, 56) « Briconnet ». 87. Karl (1933, 56) « Mme ». 88. Il s’agit probablement de la traduction de Lettres celtiques dont il est question dans la première lettre de Schuchardt et non pas de Romanisches und Keltisches (Schuchardt 1886) – où les mêmes lettres sont réimprimées (ibid., 317-426) –, comme le suggère Karl (1933, 54) ; nous croyons aussi qu’il s’agit de la même œuvre que Schuchardt envoie également à Chabaneau, cf. la lettre de Chabaneau publiée dans Swiggers (2010, 220 et 225 note finale 15). 89. Karl (1933, 57) sans point. 90. La copie du Tresor dóu Felibrige qui appartenait à Schuchardt n’est pas (ou plus) conservée à la bibliothèque de l’université de Graz. Dans les deux tomes du dictionnaire conservés dans cette bibliothèque (cotes II 41323/2 HB3-Provenz.6 et II 41323/2 HB3-Provenz.6), on ne trouve pas l’ex- libris qui caractérise les livres qui proviennent de la bibliothèque personnelle du linguiste. 91. Il ne semble pas qu’il y ait eu entre Mistral et Schuchardt d’échange d’objets, mais seulement d’informations : dans le Museon Arlaten, on ne conserve pas actuellement de « faux styrienne » (p.c. Dominique Serena-Allier) ; pareillement, parmi les objets de la collection de Hugo Schuchardt conservés dans le Volkskundemuseum Wien, il semble qu’il ne figure aucun « thie » provençal (p.c. Elisabeth Egger).

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 186

92. August Bertuch, philologue allemand, professeur à l’université de Halle, traducteur des œuvres de Mistral (entre autres Mirèio. Provençalische Dichtung, Straßburg : Trübner 1893 ; Ausgewählte Werke, 2 vol. , Stuttgart : Cotta 1908-1910) et oncle de Ilse Henriette Ronjat, femme du linguiste et philologue occitan Jules Ronjat (cf. Frýba-Reber/Chambon 1995/96, 33 note 88). 93. Cette lettre n’a pas été publiée par Karl (1933). Il semble qu’elle n’ait pas été conservée intégralement : outre la date et le lieu, manquent toutes les formules de salutations et d’introduction du sujet. Le positionnement chronologique de la lettre dans la correspondance dérive du rapport de son contenu avec la lettre précédente de Schuchardt. 94. Il s’agit probablement de la 6e (1835) ou 7e (1879) édition du Dictionnaire des frères Ambroise et Hyacynthe Firmin-Didot. 95. Karl (1933, 57) « Debonaire ». 96. Karl (1933, 57) donne comme date de la carte postale le 4 mai 1905.

AUTEURS

LUCA MELCHIOR

Université de Graz

VERENA SCHWÄGERL-MELCHIOR

Université de Graz

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 187

Critique

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 188

Jean-François COUROUAU, Et non autrement. Marginalisation et résistance des langues de France (XVIe-XVIIe siècle) « Cahiers d’Humanisme et Renaissance », vol. 108, Droz, Genève, 2012, 291 p.

Jean Lacroix

RÉFÉRENCE

Jean-François COUROUAU, Et non autrement. Marginalisation et résistance des langues de France (XVIe-XVIIe siècle), « Cahiers d’Humanisme et Renaissance », vol. 108, Droz, Genève, 2012, 291 p.

1 Que, dès leur origine, l’histoire et la langue et l’histoire des langues aient partie liée avec la notion et avec la pratique du pouvoir (religieux tout d’abord) est devenu un lieu commun qui n’a point cessé d’être périodiquement revisité, réexaminé, dans ses composantes au premier chef, dans sa finalité ensuite : ce que montre bien l’enquête menée par Jean-François Courouau, limitée à deux siècles d’histoire française, monarchique (XVIe et XVIIe siècles).

2 La vignette de couverture, à ce sujet, donne à ce débat linguistico-politique, et culturel par voie de conséquence, une image forte, sug-gestive, bipolarisée : celle de « docteurs » entourant et couronnant en quelque sorte un Christ sur la Croix dans un pays réputé pour être « la fille aînée de l’Église ». Un débat qui, logiquement et naturellement, va impliquer de facto des pays voisins, « néo-latins » comme l’Italie, déten-trice de surcroît d’un siège romain et papal, berceau du christianisme. 3 Le titre retenu pour cet ouvrage rappelle également, quoique partiel-lement, l’ordonnance de 1539 de Villers-Cotterêts, signé par François Ier, si décisif dans

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 189

l’histoire de la langue française, longtemps après les Serments de Strasbourg du IXe siècle (842), traité conclu par Louis le Germanique et Charles le Chauve, le plus ancien monument (écrit) des langues française et allemande. Ce décret du XVIe siècle est examiné avec soin et méthode, dans sa nature comme dans ses effets, dès le chapitre 1 de la première partie ; il montre clairement l’importance et l’originalité de la nouvelle optique du pouvoir royal dans la première moitié du siècle de la Renais-sance, quelques années seulement avant l’autre grand événement, le débat politico-religieux de l’autre côté des Alpes, à savoir l’ouverture de l’interminable Concile de Trente (en 1545), si décisif, lui, dans l’histoire de la culture et de la civilisation italienne, catholique, lequel concile atteste également l’importance du latin qui accompagnera longtemps le « vol- gare » déjà repensé par Dante dans son De vulgari eloquentia de 1303-1307. 4 Il devenait dès lors plus que souhaitable que soient précisés et glosés les termes-clés d’un tel enjeu linguistico-politique, si différent en France et en Italie, et à une époque pourtant où l’italien en France est apprécié, lu, parlé et pour tout dire pratiqué par la voie d’artistes de renom (Léonard de Vinci à Amboise où naquit et mourut Charles VIII, bien connu des Italiens à la fin du Quattrocento) ; par la voie aussi d’épouses italiennes de souverains. Cet italien de l’époque, le connaissaient et le pratiquaient des poètes comme Ronsard et Du Bellay ou encore Rabelais, traducteur d’un fragment du Morgante Maggiore de Luigi Pulci, évoqué par Courouau (partie I, 2, 122 sq.). 5 L’économie de l’ouvrage révèle par conséquent l’exclusivité du choix royal imposé à la France des Valois et des Capétiens. Le tout dernier chapitre 4 de la IIe partie (159-255) développe un certain nombre de conséquences des directives du décret de Villers- Cotterêts. En effet, et sous l’égide du jeu d’une part, des genres d’autre part, elles nous permettent de prolonger et de compléter la réflexion de Jean-François Courouau avec le modèle italien médiéval, du XIVe siècle, plus haut évoqué, bien antérieur certes au XVIe d’abord, objet de la recherche de J.-F. Courouau, avec d’autres voix italiennes tout aussi décisives comme celles de Castiglione (Il Cortegiano, 1528) ou de Bembo (Prose della volgar lingua, de peu antérieures (1525), l’une et l’autre citées dans le chapitre II : « Le français, la norme et l’altérité », la dernière de celles-ci, celle de Bembo à plusieurs reprises. À côté de ces deux voix majeures du XVIe siècle italien aurait pu être mentionnée également la voix machiavélienne puisque l’auteur du Prince est aussi l’auteur, une dizaine d’années avant Bembo et Castiglione, d’un Discorso o dialogo intorno alla nostra lingua encore plus conforme au problème fondamental que pose la langue par rapport au pouvoir en place, puisque, n’étant pas poète courtisan, lui, Machiavel est voix particulièrement autorisée, vu les éminentes fonctions politico-historiques qu’il eut à remplir dès la fin du XVe siècle et tard encore après son retrait de la politique active et jusqu’à sa mort, advenue un an seulement après la parution du Cortigiano de Castiglione, en 1527, année du Sac de Rome. 6 Mais ces conséquences marquent aussi toute la différence avec l’exemple français monarchique, centralisateur, étant donné qu’au-delà des Alpes, et à pareille époque, il n’y a, depuis plus d’un siècle, que des pouvoirs limités à l’échelon citadin (les cités- États), républicain (Venise), ou régional et courtisan (duchés, comtés, et « cours » par conséquent comme à Florence, à Ferrare, à Urbino ou à Vérone). 7 À propos du sonnet, évoqué notamment tout au début du même chapitre 4 (IIe partie), plus haut mentionné et au sein d’une analyse de l’importance d’une codification linguistique de nature juridique institutionnelle, un autre exemple eût pu intervenir, toujours médiéval (première moitié du XIIIe siècle cette fois) : celle de l’École sicilienne

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 190

et d’une de ses figures poétiques les plus éminentes, du « notaire », Il Notaro, autrement dit Jacopo da Lentini, considéré comme le créateur du sonnet en général, auquel Dante lui-même accorde une place élogieuse (Par. XXIV). Autre exemple, disions-nous, mais effectivement d’une tout autre nature, puisque reflet d’une culture profane laïque, de poète courtisan certes, mais d’une cour insulaire sous la férule d’un empereur, et d’un empereur étranger (à l’Italie), Frédéric II de Hohenstaufen. 8 De manière plus globale, bien au-delà de la variété politique, culturelle et linguistique si grande, en Italie notamment, en Italie encore, thème complémentaire aux analyses de Jean-François Courouau, la langue vient à être entendue manière pragmatique par ces pionniers européens que sont, de si bonne heure, les écrivains-marchands de toute la péninsule du nord au sud, et d’ouest en est dont un fils de marchand toscan, Boccace, au milieu du Trecento, a pu faire des protagonistes de premier plan pour son Décameron . 9 Au total, la langue qu’étudie pour son compte Jean-François Courouau, celle de la France monarchique des XVIe-XVIIe siècles, montre amplement qu’elle vise d’abord essentiellement à conforter, à justifier même, un pouvoir dans sa vocation hégémonique, centralisatrice, certes encore d’empreinte religieuse, à la très grande différence de ce qui se passe en Italie, si éloignée, à pareille époque encore, de voir réalisée son unité, politique d’abord, mais monarchique aussi, linguistique ensuite. 10 Certes, Jean-François Courouau, spécialiste occitaniste dont la biblio-graphie (272-273) rappelle les nombreux travaux antérieurs, était conduit à s’appuyer d’abord sur cette langue, l’occitan, qui, avec le basque également étudié (II,3), continue de faire problème de nos jours, dans le cadre d’une autre politique culturelle et linguistique que celle des monarques des XVIe et XVII e siècles, si l’on en croit les échos tout récents, dans la presse régionale, concernant « les langues régionales (qui) doivent encore entrer dans le projet de loi sur l’école ». 11 L’un des intérêts majeurs qui se dégage de la lecture de cet ouvrage est celui de réactualiser, bien au-delà des deux siècles de l’enquête, un problème qui est loin d’être clos en France comme en Italie en ce début de XXIe siècle. 12 Enfin, plus d’une fois, et à l’occasion de la question de la langue dans notre pays, l’auteur cite, dans son appellation d’origine (italienne), la Questione della Lingua qui demeure, dans le pays voisin, d’une plus grande et plus brûlante actualité qu’en France avec, entre autres phéno-mènes sociolinguistiques, le puissant renouveau dialectal un peu partout dans la péninsule transalpine et les îles. Il eût peut-être été utile d’enrichir la très abondante bibliographie de trois ouvrages parus dans les trois dernières décennies du siècle précédent et qui, tous les trois, complètent avantageusement les analyses et les remarques opérées dans l’enquête de Jean-François Courouau : successivement, celui de Stefania de Stefanis Ciccone (1971), le plus ancien des trois, intitulé La Questione della Lingua nei periodici letterari del primo Ottocento (Firenze, Leo S. Olschki ) ; le second, postérieur de quelques années (1979), et d’une plus grande actualité encore, celui d’Oronzo Parlàngeli consacré à La Nuova questione della Lingua, prefazione di Vittore Tisan (Brescia, Paideia, coll. n° 3), qui comporte notamment une très originale étude du metteur en scène P.-P. Pasolini qui parle, à cette date, « de premiers vagissements seulement du nouvel italien national (« vagisce appena il nuovo italiano nazionale », 166 sq.) ; enfin, troisième ouvrage, de Stefano Lanuzza (1994), d’autant plus précieux qu’il rassemble toute l’histoire de la langue italienne dans une édition réduite, d’une centaine de pages tout juste, Storia della lingua italiana

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 191

(Enciclopedia tascabile, coll. tascabili economici Newton, Il Sapere), qui comporte notamment un chapitre intitulé « La lingua della Rinascenza » (39 sq.).

AUTEURS

JEAN LACROIX

Université Paul-Valéry, Montpellier III

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 192

Vers une poétique du discours dramatique au Moyen Âge. Actes du colloque organisé au Palais Neptune de Toulon les 13 et 14 novembre 2008 Textes réunis par Xavier Leroux, Paris, H. Champion, 2011, 340 p.

Jean Lacroix

RÉFÉRENCE

Vers une poétique du discours dramatique au Moyen Âge. Actes du colloque organisé au Palais Neptune de Toulon les 13 et 14 novembre 2008. Textes réunis par Xavier Leroux, Paris, H. Champion, 2011, 340 p.

1 Les études critiques sur le langage dramatique ne datent pas d’hier, si l’on en juge par celles de H. Rey-Flaud (1973 et 1980), de J.-Cl. Aubailly (1976) ou de C. Mazouer (1998). Une carence notable d’intérêt semble cependant les affecter, ce que rappellent l’introduction et la conclusion de cet ouvrage. Celles qui se présentent ici, dans les Actes du colloque toulonnais qui réunissait une douzaine de chercheurs français, amé- ricains, japonais et néerlandais, se proposent donc de donner un nouvel essor aux ressources dramatiques médiévales, déjà amorcé par les ouvrages de synthèse de ces dernières années, de C. Biet et de C. Triau (2006), de J.-P. Ryngaert et de J. Sermon (même année), de K. Lavéant (2007) et, récemment (2010), de P. Dumont.

2 Qui dit dramaturgie dit autant programme, c’est-à-dire scénario, que personnages, secondaires ou principaux, acteurs ou plus modestement témoins : double perspective méthodologique et pédagogique qui constitue l’axe de la recherche de ce volume, peut- être plus marquée du côté de l’interprétation du « texte » théâtral en raison du lien que

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 193

l’acteur entretient en général avec un public d’auditeurs et de lecteurs. C’est ce que soulignent d’entrée et Mario Longtin dans sa recherche identitaire et Corneliu Dragomirescu dans l’étude suivante, agrémentée par une série d’images en provenance de la Bibliothèque et de la Médiathèque d’Arras, texte et images étant consacrés précisément au personnage-clé du messager, celui-là même par qui arrivent la/les nouvelle(s), celui-là même dont la fonction est prioritairement celle de l’échange avec un ou plusieurs auditeurs, récepteurs dudit message. Ce personnage-clé dont l’importance est primordiale sur la scène dans ces siècles-là (ou la parole supplée fréquemment voire exclusivement le mot écrit du texte transcrit, fait aussi pour être lu) n’est du reste pas le seul qui ait retenu l’attention des participants du colloque : ce qui, d’emblée, rend plus complexe encore l’interprétation qui, dit l’un d’entre eux (9), n’a ni la prétention du fragmentaire ni celle de la globalité. 3 Ainsi, au fil des communications ou même à l’intérieur d’une même communication (celle de G. Gros, par ex.), apparaissent, épisodiquement ou directement, les personnages de l’archer, ou, plus fréquemment, de l’astrologue dont l’art consiste à métamorphoser un message et à « prophétiser », ou encore du prédicateur à vocation orale de « passeur » ; et l’on ne peut citer ici toutes ces silhouettes qui relèvent plus de « fantômes » comme les avait caractérisés, dans un ouvrage déjà ancien (1939), R.- L. Wagner, ouvrage consacré, il est vrai, au sorcier et à la magie, et dont les points de vue ont été réajustés dans des synthèses récentes, comme celle de Jean-Patrice Boudet, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (XIIe-XVe s.), en 2006. 4 La difficulté réelle de cerner la fonction et la nature du personnage du « devin », du « magicien » ou de l’« astrologue », et le problème de la confrontation de leurs « œuvres » au Bien ou au Mal, chez le devin par exemple, pourraient être confirmés par deux autres témoignages, celui de Richard Kieckhefer dans son ouvrage Magic in the Middle Ages (Cambridge Univ. Press, 1989), notamment dans son chapitre IV (56-60), et celui de l’article de Marie-Françoise Notz, « Les deux visages de l’enchanteur médiéval », dans Magie et Littérature, Cahiers de l’Hermétisme, 1989, 47-55, qui enquête sur l’intrusion de ce personnage ambigu dans les arcanes de l’imaginaire. À ces deux publications pourrait s’ajouter celle d’Anne Berthelot, « Magiciennes et enchanteurs, comment apprivoiser l’Autre faé ? », qui offre l’avantage de faire intervenir ces personnages ambigus tant au féminin qu’au masculin et de prolonger la réflexion sur les racines immémoriales des individus en question (Chant et enchantement, « Moyen Âge », E.U.S., Univ. Toulouse II, 1997, 105-120). 5 L’ouvrage enquête également sur les parties constitutives du discours théâtral telles que le monologue qu’analyse longuement Xavier Leroux (101-120) ; et, du côté des auteurs, on retiendra la double lecture d’Arnoul Gréban proposée respectivement par Taku Kuroiwa et par Darwin Smith (143-158 et 159-185), cette dernière étude étant assortie d’un certain nombre d’annexes, de « versions » en référence au texte critique (215-224). 6 Ceci encore concernant des compléments bibliographiques possibles aux nombreuses références, chemin faisant, en bas de page ou en annexes, et dans trois directions : • dans le domaine musical, intégré ou non au domaine spécifiquement textuel, et en particulier au sujet de l’étude d’Isabelle Ragnard relative aux « perspectives musicales » chez François Briand (265 sq.), on peut mentionner la Brève histoire de la musique au Moyen Âge d’Olivier Cullin, « Les chemins de la musique », Paris, Fayard, 2002 ;

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 194

• dans le domaine des songes et à la suite de l’étude de Gérard Gros (Mystère du siège d’Orléans, 63 sq.), on aurait pu utiliser, dans le volume d’Actes I Sogni nel Medioevo (a cura di Tullio Gregory, Rome, 1985), la communication de J. Le Goff, « Le christianisme et les rêves (IIe-VIIe siècle) » pour la période médiévale archaïque, et celle de J.-C. Schmitt, « Rêver au XII e siècle » pour une période plus rapprochée. L’une et l’autre études concernent aussi, fût-ce incidemment, le problème du Bien ou du Mal imbriqué au personnage du devin, mais antérieurement si l’on peut dire, à l’univers onirique à valeur prophétique ; • enfin, dans le domaine des genres, il existe un ouvrage plus récent que celui qui est cité p. 9, Styles, genres, auteurs, Thérèse Vân Dung-Le Flanchec et Claire Stolz (dir.), Paris PUPS, 2006, c’est Les genres au Moyen Âge : la question de l’hétérogénéité, Hélène Charpentier et Valérie Fasseur (dir.), Vallongues, 2010.

7 À ne consulter que l’index (335-336), on pourrait se rendre compte qu’au-delà d’études d’un Moyen Âge tardif (XVe-XVIe s.), c’est-à-dire au contact de la Renaissance, priment les mystères, les moralités ou encore les noëls si différents les uns des autres, si variés dans leur présentation ou leurs développements, autant d’indices probants d’un réveil de ce type de critiques qui vient s’ajouter à des documents aussi divers que répertoires, anthologies, chroniques, etc., qu’ont collationnés les partici-pants à ce colloque, sans oublier les manuscrits qui s’y rapportent, si représentatifs, comme l’un d’entre eux l’a souligné, d’une littérature populaire à vocation orale ou oralisée.

AUTEURS

JEAN LACROIX

Université Paul-Valéry, Montpellier III

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 195

Nicolas Saboly, Recueil des Noëls Provençaux. Lou Reviro-meinage Présentation, traductions, notes par Henri Moucadel, Montfaucon, A l’asard Bautezar !, 2014, 448 p.

Jean-François Courouau

RÉFÉRENCE

Nicolas Saboly, Recueil des Noëls Provençaux. Lou Reviro-meinage, présentation, traductions, notes par Henri Moucadel, Montfaucon, A l’asard Bautezar !, 2014, 448 p.

1 De tous les auteurs de langue d’oc ayant fleuri à l’époque moderne, Nicolas Saboly (1614-1675) est peut-être celui dont l’œuvre est de nos jours la plus vivante. Une simple consultation des moteurs de recherche (type Google) suffit à le démontrer. Cette popularité s’explique par la fortune dont jouissent encore, notamment auprès d’un public amateur, les nombreux noëls dont il est l’auteur. Établie, semble-t-il, dès son vivant, une telle notoriété a, au fil du temps, entraîné certains effets collatéraux, signalés par Claude Mauron dans son avant-propos à cette édition. Parmi ceux-ci, l’un des plus dommageables est sans doute d’avoir vu l’œuvre du poète avignonno-comtadin se gonfler de noëls d’attribution discutable. Le premier mérite de l’édition procurée par Henri Moucadel est de réduire la production de Saboly à ce qui lui est authentiquement attribuable, évitant ainsi à cet auteur souvent imité le sort qu’on réserve d’autant plus aux riches que, dans le cas du noël, les œuvres sont rarement signées.

2 Pour parvenir à ce résultat, l’éditeur a fait le choix de s’en tenir aux fascicules de noëls imprimés, à Avignon, du vivant de l’auteur, entre 1669 et 1674. Au nombre de sept, ces publications, rassemblées dans un unicum conservé à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris, permettent de disposer d’un premier corpus de 57 noëls (dont deux qui ne sont pas de Saboly). L’éditeur leur adjoint un ensemble de douze noëls, publiés par le dernier imprimeur de Saboly dans un recueil de 1699. Ce sont ainsi 69 pièces, 67 si l’on s’en tient aux noëls strictement attribués à Saboly, qui composent le corpus qu’il convient de considérer à présent comme canonique des œuvres du noëliste. Après avoir exclu –

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 196

sans bien préciser pour quels motifs, on peut le regretter – des chansons contenues dans un manuscrit non autographe, l’éditeur adjoint à ce bel ensemble un poème de 532 octosyllabes, Lou Reviro-Meinage, connu par plusieurs copies, aucune n’étant autographe, et dont il édite la seule version complète connue. Cette satire dirigée contre le vice-légat Lascaris, au moment de l’annexion d’Avignon et du Comtat Venaissin par Louis XIV (1662-1663), complète un corpus à la fois très cohérent et remarquablement intéressant. 3 Dans l’introduction où il définit précisément les contours de ce massif de textes, Henri Moucadel expose les principes qu’il a suivis pour son édition. Celle-ci est servie par une mise en page originale et efficace. La page de gauche porte le texte édité, provençal (français à six reprises), assorti en marginalia des variantes relevées sur l’édition de 1699 et de notes liées à l’établissement du texte ou portant sur des faits de langue. Comme il l’explique dans son introduction, l’éditeur s’est servi des travaux lexicograpiques, peu nombreux, on le sait, pour la période moderne. Outre les dictionnaires du XVIIIe siècle (Pellas, Achard, Sauvages), il a recouru à l’inévitable Tresor de Mistral, mais il a également tiré le meilleur profit de la tradition lexicographique française contemporaine de Saboly (Furetière principalement). Sur la page de droite figure la traduction, établie avec une grande justesse et une estimable fidélité, complétée, également en marginalia, par d’abondantes notes culturelles, historiques et exégétiques. L’établissement du texte est mené avec un soin admirable qui permet de disposer enfin d’un texte fiable pour un auteur trop souvent malmené par les éditeurs (et par les internautes, devrait-on ajouter). La vieille édition Seguin de 1856 qui faisait jusqu’ici référence peut enfin être remisée ! 4 Ce travail ô combien louable d’établissement du texte suscite cependant une réserve de taille. Le respect de la lettre d’origine est poussé si loin par l’éditeur que, contrairement à l’usage qui prévaut depuis des décennies pour l’édition des textes français et occitans de l’époque moderne, les lettres u et v et i et j, confondues comme on sait dans les pratiques typographiques de l’époque, ne sont pas distinguées. L’usage des philologues dont aurait pu / dû s’inspirer l’éditeur n’est pas fondé sur un caprice. Ce type de distinction – en dehors de quelques cas rares en occitan, plutôt concentrés dans le domaine gascon – est destiné à faciliter la lecture, rendue ici parfois pénible par une gymnastique dont on aurait pu dispenser le lecteur, surtout si celui-ci, comme on devrait l’espérer, n’est pas issu des rangs académiques. Dans le même ordre d’idées, mais moins grave, on ne s’explique pas pourquoi, dans l’index des noms propres, l’éditeur a recouru à une graphie moderne, en l’occurrence mistralienne. Ce n’est pas tant cette graphie en elle-même qui pose problème, une autre graphie moderne (alibertine, par exemple) eût tout autant disconvenu. Ce qui compte, en effet, dans une édition de ce type, c’est de pouvoir retrouver la forme employée par l’auteur, dans la graphie qui est la sienne, quelle qu’elle soit. L’index est bref et l’incidence de ce petit faux pas reste plus que minime. 5 Du point de vue bibliographique, on ne peut que partager le constat d’Henri Moucadel quand il déplore le manque d’intérêt des chercheurs pour ce genre plutôt mal aimé qu’est le noël. Peu de compléments ont été apportés à la riche bibliographie de ce qui est au départ une thèse, soutenue en 1997. Depuis, les connaissances ont cependant quelque peu progressé. Je me suis pour ma part intéressé aux noëls (Moun lengatge bèl, 2008), des éditions de textes provençaux ont paru (éd. Vernet 2006 de Zerbin, éd. Chabaud 2010 de Bellaud, éd. Gardy 2007, 2009, 2010 de Cabanes) et surtout le genre du

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 197

noël a fait l’objet de nouvelles recherches qui ont permis de dépasser le bel article de Johanna Évrard (« Les noëls patois dans le domaine français », Romanica Gandensia IV, 1956). Avec ses Noëls en France au XVe et XVIe siècles (2013), Pierre Rézeau a ouvert la voie à une redécouverte de ces corpus à la fois riches et négligés. Plus récemment encore, mais après la parution de cette édition de Saboly, deux jeunes chercheurs, Xavier Bach et Pierre-Joan Bernard, ont analysé la production noëlique occitane (et donc provençale) du XVIIIe siècle (La langue partagée, 2015). Entre ces deux périodes, pour le XVIIe siècle et pour la Provence, il est vrai, un certain vide de la recherche subsiste. C’est cette lacune que vient opportunément combler en partie l’édition procurée par Henri Moucadel. 6 L’apport concerne également la biographie de l’auteur, trop longtemps encombrée de faits non vérifiés et de légendes de toutes sortes. Les différentes étapes de l’itinéraire de Saboly sont retracées, cette fois preuves à l’appui : naissance à Monteux, dans le Comtat Venaissin, études chez les Jésuites à , maître de chapelle à la cathédrale de cette ville, puis à Arles, Aix, Avignon, Nîmes, puis retour définitif à Avignon (1661) où il termine sa carrière comme prêtre bénéficier sous-diaconal et maître de chapelle de l’église Saint-Pierre. L’ensemble de ces informations n’est pas présenté dans le cadre de l’introduction mais de façon peu conventionnelle – et particulièrement réussie – dans un petit cahier de 16 pages en papier glacé, sous le titre « Sur les traces de Nicolas Saboly » (353-368). Rendues accessibles grâce à une présentation organisée par séquences très clairement identifiées, agrémentées d’une remarquable iconographie, établie avec l’aide d’archivistes et bibliothécaires manifestement compétents, ces précieuses données sont également destinées à faire date. 7 Enfin, une brève partie intitulée « Un petit supplément pour la musique » (421-427) vient nous rappeler que le noël n’est pas qu’un genre poétique, c’est aussi un genre musical. Sur ce point, l’éditeur confesse ses limites. L’immense majorité des noëls de Saboly sont donnés avec timbre. Certaines de ces mélodies sont identifiées, mais c’est un travail que l’éditeur, faute de compétences, selon son propre aveu, n’a pas mené systématiquement. Ces airs, la plupart français, doivent pouvoir être localisés. Saboly se sert de mélodies à la mode, connues de ses contemporains, répandues par les publications des Ballard. Outre des airs de Lully (Molière/Quinault, Psyché, 1671, noëls 23 et 24 ; Quinault, Alceste ou le triomphe d’Alcide, 1674, noëls 51 et 55), Saboly utilise à l’occasion des airs publiés par les imprimeurs du roi pour la musique (noëls 7, 17, 37, 46). C’est dans cette direction que les recherches devraient s’orienter. Une rapide consultation des catalogues établis par Laurent Guillo (Pierre I et Robert III Ballard, Sprimont, Mardaga, 2003) et Anne-Madeleine Goulet (Paroles de musique (1568-1594), Wavre, Mardaga, 2007) permet d’identifier quelques airs : Pargué puis qu’enfin Je somme à la noce, Louis Mollier, 1671 (Recueil de tous les plus beaux airs bachiques), noël 1 ; Tirsis caressoit Climene, 1666 (IVe livre de chansons pour danser et pour boire), noël 3 ; Ha je te tiens ma brunette, 1644 (XIIIe livre de chansons pour danser et pour boire), noël 13 (en français) ; Un jour le berger Tircis, Denis Macé, 1643 (Recueil de chansons à danser et à boire), noël 28 ; L’autre jour dans sa colère, Honoré d’Ambruis (?), 1667 (Xe Livre d’airs de differents auteurs, noël 63). Des spécialistes rompus au dépouillement des catalogues et des bases de données comme celle du Centre de Musique Baroque de Versailles obtiendraient très certainement des résultats bien plus importants. Ne doutons pas qu’ils emprunteront un jour la voie que leur a ouverte Henri Moucadel.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 198

8 Les littéraires devraient aussi avoir quelque grain à moudre. Nicolas Saboly est un grand poète. Henri Moucadel rappelle que la tradition exégétique s’est souvent bornée à ne retenir de cette œuvre que son aspect laudatif ou satirique. Saboly, tour à tour thuriféraire de Louis XIV faisant son entrée à Avignon en 1660 (noël 58), du pape Clément IX (noël 64), de tel vice-légat dévoué aux victimes des inondations (noël 51), voisine en effet avec Saboly satiriste, ennemi du vice-légat Lascaris (noël 1), mais aussi du libertin (noël 3) ou du riche hédoniste et égoïste (noël 47). Cette dernière dimension moralisante le rapproche de son homologue ecclésiastique, le père Barthélemy Amilha, qui officie en pays de Foix, avec lequel un stimulant parallèle est d’ailleurs établi dans l’introduction (35). La satire peut toutefois être plus gratuite ; tel est le cas dans le noël 11 qui, me semble-t-il, est plutôt centré sur la mise en scène d’un stéréotype – le Gavot (habitant des Alpes d’oc) un peu niais – dans une veine cultivée déjà dans Lou Coucho- Lagno(« Lou Rhetouricien Gavoüet », « Lou Poeto Gavoüet »), par Gaspard Zerbin (la Dameyzello, pièce E) ou, quelques années plus tard, par Jean de Cabanes (« La Claro »). Conformément à la tradition des noëls, les références à l’actualité locale (noëls 12, 48, 55) ou nationale (38, 51, 64), peuvent émailler le texte. Il convient cependant de remarquer que jamais ces différentes dimensions ne prennent le pas sur l’objectif religieux. L’art de Saboly ne se limite pas à l’éloge de ses contemporains les plus puissants ou à la mise en cause des abus de son temps, et encore moins dans le compte rendu des événements locaux ou nationaux. Il est d’abord dans sa maîtrise d’une activité poétique mise au service du message religieux. 9 En ce sens, les nombreuses notes qu’Henri Moucadel consacre à la signification de chacune des références religieuses contenues dans l’œuvre sont d’une aide précieuse à la lecture. Derrière les énoncés en apparence parfois les plus banals se cachent des sous-entendus qui renvoient à une connaissance approfondie des Écritures sans que celles-ci soient limitées à l’épisode de la Nativité. Cette religiosité première de l’écriture poétique s’accorde à une sensibilité qu’on n’hésitera pas à qualifier de baroque. L’insistance sur la misère de l’étable (noëls 6, 17, 33, 53) vise à susciter un sentiment d’horreur, tout comme la représentation, à la fois imagée et concrète, du diable et des démons (noëls 1, 26, 42, 57). L’image de la Mort, longuement décrite dans le noël 7 à coups de visions monstrueuses, finalement vaincue dans la dernière strophe par l’Enfant porteur de vie, paraît marquée au sceau de cette religiosité baroque qui irrigue le siècle. 10 Les qualités de poète que déploie Saboly se vérifient au niveau de sa maîtrise de la narration. Plusieurs dispositifs sont adoptés. Fréquemment, on a affaire à un narrateur omniscient qui décrit la scène de la Nativité ou un épisode de l’Histoire Sainte (Adam et Ève dans le Jardin d’Éden, par exemple, noël 43). À d’autres moments, le narrateur s’adresse au berger (noël 60), ou, dans un mélange de discours indirect et direct, c’est le berger qui parle au narrateur (noël 7). Dans le très beau noël 50, le récit est entièrement assuré par un berger peu courageux (Siou pauourous coum’ un poulet / Quan siou soulet [Je suis poltron comme un poulet / Quand je suis seul] qui décide de partir pour la Terre Sainte. La narration accueille des bribes de dialogues (avec d’autres bergers qui refusent de l’accompagner, un aubergiste, des paysans qui n’entendent pas le loger), mais aussi des passages de dialogue interne (v. 26-28, 40-42). Saboly est précisément un excellent dialoguiste, doublé, aurait-on presque envie de dire, d’un excellent dramaturge : ainsi dans le noël 4 où le maître refuse de laisser partir son valet en Terre Sainte, dans le noël 57 entre un ange et deux démons, dans le noël 48, où, sur

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 199

un rythme alerte, deux « nouvellistes » mènent un temps un dialogue de sourds, ou le remarquable noël 16 qui met aux prises Joseph avec un hôtelier peu désireux d’offrir l’hospitalité à la Sainte Famille. Des dialogues comme pris sur le vif, truffés d’expressions idiomatiques et reflets de la langue parlée, servis par un sens aigu de la dramatisation, donnent à certains de ces noëls dialogués (ou pas) l’aspect d’oratorios en miniature. Cette dramatisation de l’écriture est notamment obtenue par une technique parfaitement maîtrisée de la concentration et du renouvellement. De ce point de vue, il n’y a que de son contemporain – en partie, il meurt en 1649 – le poète Pierre Goudouli (ou Godolin) dont on pourrait rapprocher Saboly. Les deux créateurs ont en commun de supposer connus de leur auditoire les contenus, les images et les formes qui constituent la trame de leurs poèmes, la convention lyrique chez Godolin, le récit de la Nativité chez Saboly. À partir de là, ils disposent de la même faculté de renouveler les images, de les condenser (ou de les dilater) et, en entretenant un rapport étroit avec la réalité empirique et linguistique de leur temps (les realia abondent chez Saboly), de conférer au texte poétique une rare efficacité. 11 De cette maîtrise de l’art poétique – qui engendre une complicité et une familiarité avec l’auditoire – découle naturellement un jeu avec les formes. Le noël 61, composé sur un mode nostalgique (Ay ! qu’ouro tournara lou tem Bregado ? Hélas ! quand reviendra le temps, compagnie ?), est écrit entièrement au prétérit : les bergers racontent être allés contempler la Sainte Famille. Le noël 29 repose sur un réseau de métaphores filées sur le thème du négoce tandis que dans le noël 2 intervient un écho qui rappelle les subtilités de la pastorale contem-poraine. La rime fait l’objet de multiples attentions : elle est en –u (cas rare, possible en provençal) dans le noël 42 ou continue (en –aire) dans le noël 10. De tels raffinements semblent anticiper certains jeux rococos qui prévaudront dans la poésie d’oc du siècle suivant. 12 Saboly, excellent poète, a-t-il connu la littérature provençale de son temps ? Sur ce point, l’éditeur se montre d’une prudence de bon aloi en relevant telle rencontre (noël 10 par exemple) qui pourrait aussi bien être fortuite avec l’œuvre de l’Aixois Claude Brueys (1628). Le fait est, comme il le fait également remarquer, que Saboly se trouve à Aix au moment où l’imprimeur Roize publie plusieurs livres en provençal : des noëls et La Bugado prouvensalo en 1649 (Saboly a le goût des proverbes), d’autres noëls en 1654, les œuvres de Zerbin en 1655… Le paysage de l’imprimé provençal, dans les années 1650-1670, n’est pas un désert, loin s’en faut, et il n’est pas impossible que ce poète ait forgé son talent non seulement au contact de ses prédécesseurs noëlistes avignonnais (Notre-Dame-des-Doms), comtadins et provençaux, mais aussi à la lecture de quelques auteurs profanes. Le saurons-nous jamais ? 13 Un jour peut-être, en tout cas, nous entendrons ces beaux textes exhumés par Henri Moucadel enfin tous, ou quasiment, rendus à la musique et au chant, insigne priviliège que possède le noël. En attendant, on ne peut que remercier l’éditeur scientifique grâce à qui un grand poète peut enfin être lu en confiance. Le compliment s’adresse également, une fois n’est pas coutume, à l’éditeur commercial, la maison A l’asard Bautezar !, qui a réalisé un bel objet doté d’une splendide couverture et d’une mise en page fort élégante, un livre remarquablement agréable à lire, manier et consulter. Un livre qui honore les études modernes provençales, et donc d’oc.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 200

AUTEURS

JEAN-FRANÇOIS COUROUAU

Université Toulouse-Jean Jaurès

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 201

Revues et ouvrages reçus par la Revue des langues romanes

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 202

Revues et ouvrages reçus par la Revue des Langues Romanes

Revues

Analecta Malacitana, Revista de la sección de filología de la facultad de filosofía y letras, Málaga, XXXVI, 1-2 (2013). Anales de literatura española, Universidad de Alicante, n° 25 2013, serie monográfica, n° 15 : Revistas literarias españolas e hispano-americanas (1835-1868). Biblos, Revista da Facultade de Letras, Universidade de Coimbra, vol. XI (2a. série), 2013 : Ciência neas Artes. Bolletino dell’Atlante linguistico italiano, III serie- dispensa n. 36, 2012. Bulletin Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, 2013, 6e série, tome XXIV.

Bulletin historique et scientifique de l’Auvergne, t. CXIII/2 n° 794-795 juillet-décembre 2012. Catalan Historical Review, Institut d’Estudis Catalans, Barcelona, n° 7/2014. Cultura neolatina, anno LXXV – 2015, fasc. 1-2, 3-4 ; anno LXXVI – 2016, fasc. 1-2. Glossaires des patois de la Suisse romande, fasc. 118, t. VII, 1121-1144 : fuser-frozat ; 1145-1190 : index du tome VII, 1191 : table des matières ; fasc. 119, 561-616 : gòva-grand, Droz, Genève, 2013. Langues et cité, Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques. Numéro 25, le francique (platt lorrain), Langue française et traduction en méditérranée (Références 2013) mars 2014. Le Gnomon, Revue internationale d’histoire du notariat, n° 178 janvier-mars 2014 ; 179 avril-juin 2014, n° 181 octobre-décembre 2014. Lemouzi, 6e série, n° 208 (décembre 2013), n° 209 (mars 2014), n° 210 (juin 2014), n° 211 (septembre 2014). Lletres asturianas, 110-111. Lo Gai Saber, 96a annada, n° 534, estiu de 2014 ; no 535 tardor 2014.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 203

Mémoires de la société Néophilologique de Helsinki, t. LXXXIX, Elina Suomena-Härmä, Juhani Härmä et Eva Havu eds. Représentation des formes d’adresse dans les langues romanes, 2013 ; XCII, Anne-Christine Gardner, Derivation in middle english, 2014 ; XCIV, Tanja Säily, Sociolinguistic variation in English derivational productivity, Helsinki Société néophilologique, 2014. Neuphilologische Mitteilungen, Bulletin de la Société Néophilologique, 4 CXIV, 2013 ; 1-2 CXV, 2014, Helsinki. Questes, n° 28 – juin 2014. La prophétie. Reclams, Escòla Gaston Febus, n° 830-831, genèr, heurèr, març ; abriu, mai e junh 2014. Revista de Filología española, v. XCIII, n° 2, julio-diciembre 2013, v. XCIV, n° 1, enero-junio, 2014, Madrid, CSIC. Revista Letras, Curitiba, Parana, Brésil, n° 87, jan./jun., 2013 ; n° 88 jul./dez., 2013. RLA, revista de lingüística teórica y aplicada, vol. 52 (1) I sem. 2014, vol. 52 (2) II sem. 2014, Universidad de Concepción-Chile. Revista portuguesa de humanidades, ano 2013, vol. 17-fasc.1, Estudios linguísticos, vol. 17- fasc.2, Estudios literàrios, Braga. Rivista di filosofia neo-scolastica, anno CVI, 1, gennaio-marzo 2014, 2, aprile-giugno 2014, 3, luglio-settembre 2014. Serra d’Or, 652 (abril 2014), 653 (maig 2014), 254 (juny 2014), 659 (novembre 2014), 660 (desembre 2014). Studia Monastica, vol. 55, fasc. 2, 2013 ; vol. 56, fasc.1, 2014. Studia Romanica et Anglica Zagrabiensia, vol. LVII Zagreb, 2012. Tenso, bulletin of the société Guilhem IX, volume 29, numbers 1-2, spring-fall 2014.

Ouvrages

Les centres de production des manuscrits vernaculaires au Moyen Âge (dir. G. Giannini et F. Gingras, rencontres, 136, Classiques Garnier, 2015. CORBELLARI, Alain, Des fabliaux et des hommes, narration brève et matérialisme au Moyen Âge, Droz, 2015. CROIZY-NAQUET, Catherine, HARF-LANCNER, Laurence, SZKILNIK, Michelle, (dir.), Les manuscrits médiévaux témoins de lectures, Presses Sorbonne Nouvelle, Paris, 2015. FABREGAS ALEGRET Immaculada, La fabrication des néologismes, la trocation en espagnol et en catalan, Pur, 2014. GARCÍA ARIAS Xosé Lluis, Propuestes etimolóxiques (5) Uvièu 2014, Academia de la Llingua asturiana. GIANNINI, Gabriele, Un guide français de Terre Sainte entre Orient latin et Toscane occidentale, Classiques Garnier, 2016. GÎRBEA Catalina, Le bon Sarrasin dans le roman médiéval (1100-1225), classiques Garnier 2014. KAY Sarah, Parrots and nightingales. Troubadour quotations and the development of european poetry, Philadelphia 2013. LE GROS Huguette, La folie dans la littérature médiévale, PUR 2013.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016 204

Sébastien Mamerot, Le traité des neuf preues, éd. critique par Anne Salamon, Dro, 2016. MIELOT, Jean, Vie de Sainte Katherine, éd. Maria Colombo Timelli, Classiques Garnier, Textes littéraires du Moyen Âge, 34, 2015. MIGNON Françoise, ADROHER Michel, Chair, chair et bonne chaire, en hommage à Paul Bretel, UPVD, Perpignan, 2014. Nouveau répertoire de mises en prose (XIVe-XVIe s.), dir. Maria Colombo Timelli, Barbara Ferrari, Anne Schoysman et François Suard, Classiques Garnier, Textes littéraires du Moyen Âge, 30, 2014. Perceforest, sixième et septième parties, éd. Gilles Roussineau, t. I-II, Droz 2015. ROLLAND LOZACHMEUR, Ghislaine (dir.) Les mots en guerre - les discours polémiques : aspects stylistiques, énonciatifs et argumentatifs ; Presses universitaires de Rennes, 2016. THYSSENS Madeleine, Le Chansonnier Français U, Tome I, Société des Anciens Textes Français, Paris, 2015 UELTSCHI Karine, Petite histoire de la langue française : le chagrin du cancre, IMAGO, 2015. UHLIG Marion et FOEHR-JANSSENS Yasmina, D’orient et d’occident. Les recueils de fables enchâssées avant les Mille et une Nuits de Galland, Brépols Tournhout 2014.

Revue des langues romanes, Tome CXX N°2 | 2016