La Feuille morte du chêne - Cliché H. Guyot-Opie

Par Jacques Huignard Le mimétisme chez les insectes l’art de se dissimuler et de tromper

Le mimétisme permet à des animaux de passer pour ce qu’ils ne l’évolution des populations font sont pas en ressemblant à une autre espèce ou à un élément inerte l’objet de nombreuses recherches. de l’environnement. Ils pourront ainsi échapper aux prédateurs ou Nous présenterons dans cet article se dissimuler pour mieux capturer leurs proies. plusieurs stratégies mimétiques sé- lectionnées par des insectes appar- l y a, dans le mimétisme, trois in- vit. Il y a mimétisme vrai lorsque tenant à des ordres et des espèces tervenants : le mime, le modèle le mime est bien visible dans son différentes, soit pour répondre aux Iet le dupe. Le modèle peut être environnement. Il affiche des ca- pressions de sélection exercées par un élément du milieu dans lequel ractères mimétiques copiés sur les prédateurs, soit pour accroître vit le mime, ou bien une autre es- une autre espèce agressive ou im- les chances de capture de leurs pèce vivant dans le même milieu mangeable en raison des toxines proies lorsqu’ils sont eux même que lui. Le dupe peut être l’espèce qu’elle contient. De nombreux cas, prédateurs. prédatrice à laquelle le mime va souvent spectaculaires, de camou- échapper en la trompant. On parle flage ou de mimétisme vrai ont été ■ Camouflage de camouflage lorsque le mime décrits chez les insectes. Le déter- Les insectes peuvent prendre la utilise un artifice visuel, olfactif minisme génétique des stratégies même couleur (homochromie) ou ou comportemental pour se dissi- mimétiques, sélectionnées par les la même forme (homotypie) que muler dans le milieu dans lequel il insectes et leur importance dans des éléments du milieu dans le-

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1 4 5 Homochromie et homotypie chez les insectes. 1. Phyllie géante - Cliché H. Guyot-Opie 2. Chenille de la Boarmie du chêne - Cliché André Lequet 3. Adulte de la Bucéphale - Cliché Kallerna, licence CCA-SA 3.0 à commons.wikimedia.org 4 et 5. Chenille et adulte de la Noctuelle de l’aulne - Clichés Philippe Mothiron à lepinet.fr et Alexis Borges. quel ils vivent. De nombreux cas Noctuidé) ressemblent à des fientes ■ Automimétisme ont été décrits. Les phasmes de d’oiseau (homotypie) tandis que Cette stratégie consiste à représen- la famille des phyllies comme la les adultes se confondent, par la ter, pour le mime, une partie seule- Phyllie géante Phyllium giganteum couleur de leurs ailes, avec l’écorce ment d’un corps, pour l’effrayer ou (Phasm. Phyllidé), originaire de des arbres (homochromie). pour le dérouter. Elle est observée Malaisie ressemblent à des feuilles chez le Grand Paon de nuit Satur- vertes. L’adulte de la Feuille morte ■ Colorations disruptives nia pyri (Lép. Saturnidé) dont les de chêne Gastropacha quercifolia Les couleurs des ailes et des élytres ailes postérieures portent chacune (Lép. Lasiocampidé) a la forme du Criquet rubané Oedipoda « un œil grand ouvert regardant de et la couleur de feuilles sèches. caerulescens (Orth. Acrididé) sont face » qui peut provoquer, soit une Les larves de la Boarmie du chêne très contrastées, elles ont pour but réaction de fuite chez les prédateurs, Hypomecis roboraria (Lép. Géo- de rompre la forme de l’, de soit une attaque ciblée au niveau métridé) ressemblent étrangement dissocier les différentes parties afin de l’aile, loin des parties vitales à une brindille. Le camouflage de de le rendre difficilement visible. Il du papillon. Un cas spectaculaire la Bucéphale Phalera bucephala en est de même chez les larves du d’automimétisme est observé chez (Lép. Notodontidé) qui mime un Sphinx du pin Sphinx (Hyloicus) un Lépidoptère Sphingidé nocturne fragment de branche cassée sur un pinastri (Lép. Sphingidé) où l’al- Hemeroplanes triptolemus vivant arbuste lorsque ses ailes sont re- ternance des bandes et des taches dans les forêts tropicales humides pliées est également remarquable. colorées brouille la forme de l’in- de Costa Rica. Sa larve est capable Les jeunes larves de la Noctuelle secte lorsqu’il se trouve sur les de prendre, lorsqu’elle est mena- de l’aulne Acronicta alni (Lép. aiguilles de pin dont il se nourrit. cée, l'apparence d'un serpent prêt à

Deux exemples de colorations disruptives. À gauche, le Criquet rubané - Cliché Gailhampshire, licence CC-BY 2.0. À droite, chenille de Sphinx du pin - Cliché H. Guyot-Opie Grand Paon de nuit - Cliché H. Guyot-Opie

I NSECTES 4 n°190 - 2018 (3) attaquer, en gonflant son thorax et sa tête (ci-contre).

■ Mimétisme chimique La fourmi dupée. La fourmilière représente une véritable forte- resse dans laquelle il est difficile de pénétrer sans être immédiate- ment reconnu et attaqué. La cu- ticule des fourmis contient des mélanges complexes d’hydro- carbures dont la composition est spécifique à chaque colonie. Ces hydrocarbures jouent un rôle im- portant dans la reconnaissance Hemeroplanes triptolemus - Cliché Andreas Kay, licence CC BY-NC-SA 2.0, à www.flickr.com/ entre les individus d’une même andreaskay/albums colonie. Seules quelques espèces d’insectes dits myrmécophiles peuvent pénétrer à l’intérieur de la fourmilière et même l’exploi- ter. C’est le cas des Lépidoptères du genre Maculinea (Phengaris) appartenant à la famille des Ly- cénidés. Les femelles de ces papillons pondent sur les bourgeons floraux Chenille de l’Azuré du serpolet - Cliché Sarah Protée - Cliché L. Baliteau-Opie de leurs plantes hôtes. Les larves Meredith, Butterfly Conservation (Grande- de l’Azuré du serpolet Maculinea Bretagne) arion commencent leur dévelop- pement en consommant les pièces en produisant des sécrétions qui tion de la part des ouvrières. Les florales de diverses espèces de les attirent, les larves de ces pa- larves de l’Azuré du serpolet sont thym puis tombent sur le sol au pillons augmentent leurs capa- agressives et se nourrissent du pied de la plante. Elles possèdent cités de survie mais la mortalité couvain et des larves de fourmis. des glandes dorsales qui sécrètent larvaire est toujours élevée à ce Elles peuvent en plus recevoir de des composés chimiques, attirant stade. la nourriture des ouvrières ! On les ouvrières de la fourmi Myr- Dans la fourmilière, les larves estime qu’une larve va acquérir mica sabuleti (Hym. Formicidé). vont acquérir la même « signa- 99% de son poids à l’intérieur Celles-ci les ramèneront dans la ture chimique » que celle de leurs de la fourmilière et consom- fourmilière où elles achèveront hôtes pour ne pas être reconnues. mer plus de 200 larves de four- leur développement. Les analyses chimiques ont mon- mis durant son développement. Les larves de l’Azuré des mouil- tré que leur cuticule contient les lères – ou Protée – Maculinea mêmes hydrocarbures que ceux alcon se développent d’abord aux présents dans la cuticule des dépens des pièces florales de la fourmis hôtes. Les conditions gentiane des marais. Lorsqu’elles d’acquisition de cette signature se trouvent au sol, les larves chimique sont mal connues. Leur émettent des stridulations qui comportement dans la fourmilière ressemblent à celles d’une reine est différent suivant les espèces. de l’espèce Myrmica scabrino- Les larves du Protée sont parfai- dis, ce qui attire l’attention des tement intégrées et se font nourrir ouvrières. Elles mettent en place par les ouvrières qui leur régur- des comportements de toilet- gitent de la nourriture destinée à tage des larves du papillon puis leurs propres larves. Elles conti- Fourmi emportant une larve d’Azuré du les transportent dans la colonie. nuent à émettre des stridulations serpolet dans son nid - Dessin F. W. Frohawk En mimant les caractères com- proches de celles de la reine, ce in : « Further observations on the last stage of the larva of Lycaena arion.Transactions of the portementaux de leurs hôtes ou qui suscite encore plus d’atten- Entomological Society of London, 1915. »

I NSECTES 5 n°190 - 2018 (3) une sécrétion défensive visqueuse contenant un stérol la lucibufagine, qui est répulsive pour les préda- teurs (oiseaux, araignées, fourmis). En consommant les mâles de P. py- ralis, les femelles de P. versicolor vont stocker dans leur abdomen de la lucibufagine et acquièrent une protection chimique. Elles vont se trouver protégées, car les araignées Photuris versicolor - Cliché © Ken Childs, à : sauteuses prédatrices du genre Phi- www.flickr.com/photos/11111191@N07/ dippus les évitent.

■ Le costume du méchant Ce type de mimétisme dit batésien a été décrit par l’entomologiste bri- tannique Henry Walter Bates (1825- 1892). Femelle de Polistes biglumis sur son nid Des papillons peuvent mimer l’ap- Cliché Albag, licence CC-A 3.0, à commons. Mâle de Photinus pyralis attiré et mangé - wikimedia.org Cliché James E. Lloyd, Cornell University parence physique d’espèces stoc- kant des toxines. Napeogenes syl- cire fabriquées par les ouvrières de phis est un Lépidoptère Nymphalidé P. biglumis. Celles-ci vont nourrir tropical d’Amérique du Sud qui se les larves de P. atrimandibularis nourrit au stade adulte de nectar de jusqu’à la fin de leur développe- plantes contenant des alcaloïdes py- ment. Comme l’oiseau du même rrolizidiniques très toxiques pour nom, la guêpe coucou ne dépense les vertébrés. Ces alcaloïdes sont aucune énergie ni pour la construc- séquestrés dans le corps des papil- tion d’un nid, ni pour l’alimentation lons et les protègent car ils sont ré- de sa descendance. pulsifs et toxiques pour les oiseaux. On trouve dans les mêmes écosys- ■ Émissions lumineuses tèmes une autre espèce de Lépidop-

Polistes atrimandibularis, parasite de la Ce type de mimétisme a été obser- tère, Dismorphia theucharila (Pieri- précédente - Cliché Jean-Luc Renesson vé chez le Coléoptère Lampyridé dé) qui ressemble à N. sylphis. Ses Photuris versicolor1. Chez les vers ailes présentent des motifs et des luisants, les mâles et les femelles se couleurs proches mais il ne stocke ■ Prise de contrôle rencontrent grâce à des flashs lu- aucune toxine dans son corps car il La guêpe coucou Polistes atriman- mineux dont la durée, la fréquence dibularis est un Hyménoptère Ves- d’émission et la couleur sont spéci- pidé qui vit aux dépens d’autres es- fiques. Ces émissions lumineuses pèces de Vespidés comme Polistes sont produites par des photophores biglumis. Lorsque la femelle fonda- situés au niveau de l’abdomen. Les trice pénètre dans la colonie de P. femelles de P. versicolor sont préda- biglumis, elle commence par perdre trices. Elles sont capables d’émettre sa propre signature chimique. Elle des flashs dont la fréquence d’émis- présente alors les mêmes hydro- sion et la couleur sont identiques carbures cuticulaires que ses hôtes à ceux émis par les mâles d’autres et peut donc se faire accepter. Elle espèces du genre Photinus comme chasse ensuite la reine de P. biglu- P. pyralis. Ce mimétisme lumineux mis et commence à pondre ses présente un double avantage : propres œufs dans les logettes de - Nutritionnel : les femelles attirent les mâles de P. pyralis, les capturent 1. À relire, dans : Les insectes noctiluques, puis les mangent. par Alain Fraval, Insectes n°154, 2009(3), - Protecteur : Les mâles et les fe- en ligne à www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/ melles de P. pyralis, produisent, i154fraval2.pdf, l’encadré « Femmes fa- Henry Walter Bates - Portrait paru dans : tales et fourbes amants », p. 5. en effet, lorsqu’ils sont attaqués, Popular science monthly, vol. 42, 1892-93

I NSECTES 6 n°190 - 2018 (3) Mimétisme batésien chez des papillons tropicaux. En haut : Napeogenes sylphis. En bas : Dismorphia theucharila - Clichés Geoff Gallice, licence CC BY 2.0 à commons. wikimedia.org se nourrit de végétaux ne synthéti- sant pas d’alcaloïdes. Les prédateurs le confondent avec N. sylphis, il se Ci-dessus et de haut en bas : le modèle et les trouve ainsi protégé sans investir mimes. La guêpe commune - Cliché Entomart à entomart.be. Paranthrene tabaniformis - dans le stockage et la conservation Cliché Gyorgy Csoka, Hungary Forest Research des toxines. Institute, Bugwood.org, licence CC-BY A 3.0. Chrysotoxum sp. - Cliché Richard Bartz, licence CC BY-SA 2.5 à commons.wikimedia.org La Guêpe commune (Vespula vu- garis) et le Frelon européen (Vespa crabro) sont des Hyménoptères pré- appendice ressemblant à une fourmi. dateurs qui se nourrissent au stade Il est probable que cette imposante adulte d’autres insectes (mouches, structure, disproportionnée par rap- papillons, Coléoptères...) ou de leurs port à la taille de l’insecte l’empêche larves. Ils sont peu attaqués par les d’être très mobile mais a un rôle pro- prédateurs en raison de leur compor- tecteur, les prédateurs le confondant tement agressif. Plusieurs espèces avec une fourmi agressive. appartenant à des groupes différents comme le Lépidoptère Paranthrene ■ Un mime et des toxines Frelon européen et Sésie apiforme - Clichés tabaniformis (Sésiidé), et le Diptère Des papillons séquestrent des Entomart à entomart.be et Remi Coutin-Opie Chrysotoxum intermedium ont une toxines et se ressemblent afin de morphologie et une couleur proches mieux se protéger. Ce type de mi- de celles de la guêpe et sont évités, métisme dit müllerien a été décrit comme leur modèle, par les préda- par le zoologiste allemand F. Mül- teurs. De même, la Sésie apiforme, ler (1834-1895). Il est observé chez alias Sésie Frelon Sesia apiformis des papillons tropicaux d’Amé- (Sésiidé) imite le Frelon européen2. rique du Sud appartenant à des es- Un des modèles de mimétisme baté- pèces différentes qui vivent dans le sien assez étonnant est observé chez même écosystème. Ce mimétisme Cyphonia clavata, un Membracide leur permet de « partager le coût de sud-américain. Cet insecte suceur de l’éducation des prédateurs », ce qui sève possède au-dessus du thorax un constitue donc pour chaque espèce

2. À (re)lire : La Sésie apiforme, par André Lequet. Insectes n° 156, 2010(1), en ligne à /pdf/ Fritz Müller (1821-1897) i156lequet.pdf Cliché domaine public

I NSECTES 7 n°190 - 2018 (3) picales du bassin amazonien. Cette espèce présente de nombreuses formes qui diffèrent par la couleur et les motifs des ailes. Les études réalisées dans une zone située à l'est du Pérou ont montré que ce polymorphisme était associé au mimétisme. Chaque forme de H. numata est un mime presque par- fait d’une espèce de papillons du genre (même famille). Chaque espèce séquestre des toxines ; des alcaloïdes pyrrolizi- numata - Cliché Didier Descouens – Muséum de Toulouse, licence CC BY-SA 4.0 diniques pour les Melinaea et des glycosides cyanogènes pour les un important avantage sélectif3. nome des deux espèces a montré Heliconius. Les deux espèces pré- et H. tima- que ce sont les mêmes gènes qui sentant chacune les mêmes cou- reta se ressemblent et séquestrent contrôlent la couleur des ailes et leurs vives et des motifs presque dans leur corps des composés la forme de leurs motifs colorés. semblables. Elles sont reconnues contenant des glucosides cyano- Ces gènes ont une origine unique comme étant immangeables par gènes provenant des plantes hôtes car H. melpomene et H. timareta les oiseaux prédateurs qui ont ap- dont se nourrissent les chenilles. sont issus d’une spéciation récente pris à les reconnaître et les évitent. Lorsqu’un papillon est mangé par et peuvent encore s’accoupler. Il y Les études réalisées sur trois un oiseau, le glucoside contenu a production d’individus hybrides formes de H. numata ont porté sur dans le corps de la proie est dis- qui ont donc les caractères géné- une région du chromosome 15 où socié au cours de la digestion et tiques des deux espèces. Les hy- se trouve un bloc de 30 gènes qui de l’acide cyanhydrique toxique brides femelles sont stériles tandis déterminent la forme des motifs est libéré. Les prédateurs qui re- que les hybrides mâles peuvent colorés des ailes et donc les élé- connaissent les couleurs vives s’accoupler avec les femelles des ments de ressemblance avec les des ailes évitent donc les deux deux espèces permettant ainsi la Melinaea. Cet ensemble de gènes espèces. Le génome de H. melpo- transmission des gènes respon- (appelé supergène) existe en plu- mene a été séquencé ; il comprend sables de la couleur des ailes. sieurs versions différant par l’ordre 12 600 gènes répartis sur 21 chro- Heliconius numata est un papillon et le sens des gènes se trouvant sur mosomes. La comparaison du gé- qui se rencontre dans les forêts tro- le chromosome. Chaque version est associée à une forme de H. nu- mata mimétique d’une espèce de 3. À relire : Les Heliconius un modèle d’excellence pour l’étude de la spéciation écologique, par Benoît Gilles, Insectes n°156, 2010(1), en ligne à /pdf/i156gilles.pdf Melinaea. Ces changements dans l’ordre et l’orientation des gènes sont dus à des phénomènes d’inver- sion entre des fragments d’ADN sur le chromosome qui bouleversent l’homologie et empêchent le bras- sage génétique au moment de la formation des cellules sexuelles. De la sorte, le bloc de 30 gènes est « immobilisé » selon une com- binaison propre à chaque forme ; il est hérité sans remaniement à chaque génération et permet le maintien du mimétisme. Il est pro- bable que les inversions entre les fragments chromosomiques se sont faites au hasard mais en raison des pressions de sélection exercées par les prédateurs, seules les formes Conséquences de changements de l’ordre et de l’orientation des gènes chez Heliconius numata © Matthieu JORON/CNRS Photothèque mimétiques ont pu se maintenir.

I NSECTES 8 n°190 - 2018 (3) ■ Importance évolutive et déter- minisme génétique du mimétisme Les exemples analysés dans cet ar- ticle montrent la diversité des méca- nismes mis en place par les insectes pour se dissimuler, passer pour ce qu’ils ne sont pas et tromper les autres espèces. Les différentes straté- gies mimétiques favorisent la survie des espèces qui y ont recours. Elles sont la conséquence de processus évolutifs dans lesquels la sélection naturelle joue un rôle déterminant en favorisant le maintien des génotypes les plus adaptés. Une démonstration remarquable de l’importance de la sélection naturelle a été faite en ob- servant la Phalène du bouleau Biston betularia (Lép. Géométridé) dans la région de Manchester en Grande Bretagne. Cet exemple bien connu sous le nom de mélanisme indus- triel montre comment des variations de l’environnement et les pressions de sélection exercées par la préda- tion permettent la mise en place de stratégies mimétiques et favorisent la survie des papillons. La pollution due aux activités industrielles a pro- voqué le dépôt de poussières noires sur les troncs de bouleau. Il y a alors eu sélection d’une forme de papillon aux ailes noires (appelée carbona- Phalène du bouleau. En haut forme normale, en bas forme carbonaria - Clichés Jerzy Strzelecki, licence CC BY 3.0 à commons.wikimedia.org ria). Cette forme est difficilement repérable par les oiseaux prédateurs l’origine de la forme carbonaria. gène, comme cortex, peut contrôler sur les troncs noircis. La régression Cette modification est due à l’inser- les couleurs des ailes et comment des activités industrielles et de la tion d’un transposon4, c’est-à-dire des mutations de ce gène peuvent pollution à la fin du XXe siècle a en- un fragment d’ADN, au milieu du être à l’origine de convergences mi- traîné la diminution progressive de gène cortex. Cette mutation modifie métiques. ■ la forme carbonaria qui était deve- l’expression du gène et la synthèse nue une proie facilement repérable. de pigments au niveau des ailes. On La forme typica aux ailes claires est a montré que le gène cortex jouait L’auteur redevenue dominante sur les écorces également un rôle important dans Jacques Huignard est professeur ho- de bouleau. L’analyse du génome de la coloration des ailes et dans le mi- noraire à l’université de Tours. Il a dirigé ce papillon a permis de comprendre métisme chez des papillons du genre l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI : unité de recherche asso- comment cette stratégie mimétique Heliconius. Le rôle du gène cortex ciée au CNRS) dans cette université et a était induite et se maintenait dans est assez surprenant car ce gène était réalisé des recherches sur la biologie, la physiologie et le contrôle des insectes ra- les populations. Des chercheurs ont connu chez les insectes pour son rôle vageurs des plantes. comparé les génomes des formes dans le développement des embryons typica et carbonaria et ont montré en contrôlant la division cellulaire. Bibliographie qu’une modification d’une portion Ces recherches démontrent la flexi- ● Nadeau N.J. et al., 2016.The gene cor- d’un gène ; le gène cortex, était à bilité des génomes et la remarquable tex controls mimicry and crypsis in butter- convergence fonctionnelle à laquelle flies and moths. Nature. 534: 106-110. ● Van’t Hof E. et al, 2016. The industrial la sélection naturelle peut aboutir melanism mutation in British peppered 4. Un transposon est une séquence d'ADN moths is a transposable element. Nature. capable de se déplacer de manière auto- chez des espèces différentes. Il reste 534:102-105. nome dans un génome. maintenant à découvrir comment un

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