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24 images

L’artiste vampirisée Camille Claudel de Bruno Nuytten Gérard Grugeau

Jeune cinéma québécois Number 42, Spring 1989

URI: https://id.erudit.org/iderudit/22828ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Grugeau, G. (1989). Review of [L’artiste vampirisée / Camille Claudel de Bruno Nuytten]. 24 images, (42), 72–73.

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This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ oute sa vie, Camille C. auragriff é la CAMILLE CLAUDEL glaise, saigné à blanc le marbre DE BRUNO NUYTTEN T pour combler un vide inscrit au creux de l'enfance comme une blessure béante. Paul-Henri Claudel,l efrèr e aîné, meurt âgé de 15jours . Ennaissan t àso n tour, Camilleprend laplac e de l'irrempla­ çable et hérite de lahain eimmens e d'une mère inconsolable. Sondesti n sera alors irrémédiablement placé sous lesign e de l'usurpation. Usurpation d'un amour filial et, bientôt usurpation du statut d'artiste L'ARTISTE auxyeu x d'une sociét é statufiée dansso n conformisme satisfait. Unesociét é qui ne pardonnera jamais àl'u n desplu s grands VAMPIRISÉE sculpteurs de tous les temps de créer de ses mains et non de son ventre. Prométhée déchaînée,Camill es everr a nier constam­ par Gérard Grugeau ment la maternité de ses œuvres. Elève, maîtresse et muse inspiratrice du grand Rodin (et de son «petit Paul»), elle, «ce mystère enplein e lumière» devra demeu­ Camille Claudel rer l'ombre du maître et «l'échod e l'être aimé».L'usurpatric e intransigeantequ ios e défier, dans la solitude et le dénuement extrêmes,l'immobilism e de l'Histoire sera accuséed esimulacr e decréation .Épuisée , littéralement vampiriséepa rso nar t etso n entourage, Camille nes eremettr a jamais del'abando n des siens . O nconnaî t la suite : internement parl afamille ,trent ean sd'asi ­ le, la fosse commune... Le néant absolu pourcell equ isculpt a toutes avi e à même l'insondable chaos du vide. Aujourd'hui, CamilleClaude l est réhabilitée.O n s'arra ­ che sesœuvres ,s a vie. La vampirisation se poursuit sousde sdehor splu scivilisés . On comprend aisément ce qui a pu séduire dans ce destin hors du commun , orpheline depuis L'été meurtrier degrand srôle s à la hauteurd e son immense talent. Étranges recoupe­ ments en effet entre la trajectoire existen­ tielle d'une artiste,maudit e en avance sur son temps et celle d'une actrice dévorée par son propre mythe, sculpté àcoup s de rôles — «usurpations d'identité» — géné­ ralement inspirés. Isabelle, l'incarnation faite chairde sgrande sfigure s romanesques (Adèle H, Lessœur s Brontë). Isabellel a star adulée, prisonnière de son image, et récemment «sidatisée» vive sur la place publique, parce que trop belle,tro p talen­ tueuse, trop libre. «On vous bafoue parce qu'on ne peut pas vousdétruire . Legéni e est un effroi pour son temps», dit-on à Camille dansl efilm . L'horrible rumeur n'a décidément pas d'âge, et la passion de la création non plus. Lapassion , comme ai­ guillon du désir decréation , est justement ce qui semble faire cruellement défaut à la Camille Claudel élégante mais con­ trainte de Bruno Nuytten. Chef opérateur passé à laréalisatio n pourc efilm ,Nuytte n façonne en maître des cathédrales de lumière et d'ombres à même la masse fil- 72 Camille Claudel (Isabelle Adjani) et Rodin (Gérard Depardieu). miquc. Et, sa mise en scène pointilleuse et elle-même petite-fille de l'auteur de ment, qui arpente inlassablement l'écran donne forme à un réel irréfutable sur le Tête d'or, pourrait constituer à cet égard largecomm epou r intégrerdan sso nje uu n plan de la reconstitution historique. Pour­ un élément de réponse non négligeable. matériau fictionnel qui n'a de cesse de lui tant, l'œuvre romanesque résiste en se Car, si elle ne sort pas grandie de cette échapper. Et, si l'osmose Isabelle/Camille heurtant trop souvent aux écueils d'un confrontation avec la fiction, la famille fait parfois bloc comme le bronze en scénario insuffisamment porteur de fic­ Claudel n'en sort pas non plus éclabous­ fusion qui durcit (scènes avec le modèle tion. Désincarné, le film ne brûle pas sée.O n est loin de l'inextricable nœud de Giganti, confrontations avec le père), la intrinsèquement, faute detrouve rso ncen ­ vipères que décrivait, non sans excès de magie opère souvent à vide. Camille tre de gravité, son véritable sujet: l'ur­ lyrisme, le brûlot d'Anne Delbée paru en Claudel apparaît alors comme un grand gence de lacréation , cette «maladie de la 1982*. Seule la scène du repas en famille marbre inachevé dont lasurfac e trop bien boue» dont on disait Camille atteinte. organisé autour de l'imposant Rodin (Gé­ polie réfrénerait le jaillissement de l'émo­ Comme si le scénario de Nuytten et de rard Depardieu en retrait deso npersonna ­ tion devant legéni e pur. • Marilyn Goldin souffrait d'une absence de ge) vient briser,pa r s a mis ee nscèn eatten ­ point devu equ ipermettrai t auxpersonna ­ tive aux passions sourdes, le vernis d'une * AnneDelbé e : l nefemme . Pressesd e U t Renaissanc e ges de vraiment investir la fiction pour la fiction par trop obéissante. (1982) porter àbou t de bras. Errances scénaristi- Il y a dans la Camille Claudel de- ques (manque d'exaltation dans la repré­ Bruno Nuytten comme un double phéno­ CAMILLECLAUDE L sentation de la passion, répression du mène de vampirisation. Celui d'une mise France 1988. Ré. : BrunoNuytten . Scé. : BrunoNuytte n sexuel)? Failles dans la construction dra­ en images académique prête à sacrifier et Marilyn Goldin d'après Reine Marie Paris. Ph.: . Mont.:Joëll e Hache Mus : Gabrie l matique (psychose paranoïde trop abrup- l'essence de son sujet au romanesque sans Yared.Int. :Isabell eAdjani .Gérar d Depardieu.Lauren t tement amenée)? Détournement de la en maîtriser véritablement les éléments Grcvill. . Madeleine Robinson. Kathine charge subversived'u n sujet fort maiscon ­ constitutifs et celui d'un personnage fort, Boorman.Danièl e Lebrun. Aurell eDoazan ,Madelein e troversé? Autant de questions, sources de en partie dépossédé de son élan vital par Marie. Maxime Leroux. PO min. Couleur. Dist.: cassures fictionnelles dans le corps narra­ l'aura d'une star en représentation. Impos­ Cinéma Plus. tif. Le fait que lescénari osoi t directement sible bien sûr de rester complètement tiré de l'ouvrage de Reine-Marie Paris, insensible à l'acharnement fiévreux d'Adja- biographe «officielle» de l a famill eClaude l ni, comédienne somptueuse en mouve­ "3