lundi 4 juin 2018 LE FIGARO 32 CULTURE

Bénédicte Savoy : « Le public a été sensibilisé à la question de la provenance des collections Le patrimoine qu’il voit dans les musées. » ALAIN JOCARD/AFP

africain artistes de créer sur place, insuffler les conditions d’un tourisme… Bien sûr, le patrimoine peut être instrumentalisé à des fins nationalistes, d’autant que ce sont souvent des objets de palais royaux en question qui ont été pillés. Compte tenu de notre propre histoire, il me semble difficile de POLITIQUE CULTURELLE Pour Bénédicte leur reprocher cela. Le risque, si on ne fait rien, c’est que la tension monte. Savoy, en charge d’un rapport Certains grands musées mettent en avant sur les collections subsahariennes le fait que la constitution de leur fonds africain a eu lieu en toute légalité, dans les musées français, l’Europe par des achats ou grâce à des accords… Certes, Napoléon a scellé ses prises artis- se met à écouter les revendications. tiques par des traités, et Vivant Denon, premier directeur du Louvre, s’est assu- ré de laisser des traces écrites de ce qui passionné, et estime qu’il faudra « trou- avait été pillé en Allemagne. Le droit de ver un accord » avec les pays africains. paroisse historique, qui entérinait des lo- PROPOS RECUEILLIS PAR giques de domination et de discrimina- CLAIRE BOMMELAER [email protected] LE FIGARO. - Des pays comme l’Égypte tion, ne peut valoir aujourd’hui. Après ou la Grèce n’ont eu de cesse tout, les spoliations juives étaient consi- de réclamer, souvent en vain, dérées comme légales par les nazis. qui appartiennent les le retour d’antiquités. Comment œuvres d’art ? La question de leur circu- expliquer que le sujet se porte Si le Quai Branly se dit prêt à travailler lation et de leur partage a longuement aujourd’hui plutôt sur l’Afrique noire ? avec le Bénin, d’autres musées semblent Aété débattue vendredi dernier à Bénédicte SAVOY. - J’ai retrouvé un moins à l’écoute des revendications. l’Unesco. Avec, en ligne de mire, l’éven- rapport de 1981 qui parlait déjà de rendre Les plus grands, tels le Louvre ou le tualité de restitutions à des pays afri- des œuvres aux pays africains. À l’épo- British Museum, craignent-ils à terme cains. En novembre 2017, à Ouagadou- que, on craignait ce que l’on appelait la « de perdre leur vocation universelle ? gou, Emmanuel Macron s’est engagé à ce contagion » ! Ce qui a changé depuis, Il n’est pas question de vider ces grands que d’ici à cinq ans les conditions soient c’est qu’en Europe on s’est mis à écouter musées et de tout rendre. Il y a une réunies pour que les dizaines de milliers ces demandes. C’est en grande partie dû marge entre le tout et le rien : les grands de biens culturels arrivés en France du- à un phénomène générationnel. Ni les musées anglais, français et allemands rant la période coloniale reviennent sur dépossédés de l’époque coloniale ni les sont extrêmement riches en objets leur sol natal, de manière définitive ou possédants ne sont les mêmes. Les plus d’Afrique subsaharienne. Le seul Quai temporaire. jeunes sont dans une logique décom- Branly en conserve 70 000. Il est par Le discours présidentiel a créé la stu- plexée, qui laisse largement de côté la ailleurs normal qu’il y ait des voix diffé- peur en Europe, et un immense espoir question de la repentance. Felwine Sarr rentes sur ce sujet. Il faut les orchestrer ; chez les nations concernées. En particu- dit volontiers qu’ils veulent réinventer le pire serait de refermer le débat autori- lier au Bénin, qui a déposé en 2016 une l’avenir des relations entre l’Afrique et tairement. Il faut penser en termes de demande officielle de restitution concer- l’Europe. La nouvelle génération est par les restitutions faites aux Juifs spoliés. tuel a été mené, et le public a été sensibi- justesse, et se poser la question de ce que nant des objets royaux et sacrés actuelle- ailleurs très sensible à la question de la La question des objets africains présents lisé à la question de la provenance des nous, Européens, voulons faire de ce pa- ment conservés au Musée du quai Bran- provenance. Elle veut savoir d’où vien- en Europe est-elle du même ordre ? collections qu’il voit dans les musées. trimoine africain. ly-Jacques Chirac. Bénédicte Savoy, nent ses vêtements, elle prône le com- La spoliation des Juifs et les appropria- titulaire de la chaire d’histoire culturelle merce équitable, y compris dans la tions durant la période coloniale n’ont Les pays africains parlent Les collections françaises sont réputées du patrimoine artistique en Europe, au consommation culturelle. rien à voir. Cependant, tout l’effort fait de dépossession et de réparation. inaliénables et incessibles. Faudra-il, Collège de France, a été chargée par le depuis la conférence de Washington, en Y a-t-il un risque d’instrumentalisation à terme, changer la loi ? président, avec l’universitaire Felwine En Allemagne, la ministre fédérale de 1998, pour restituer l’art volé pendant la du patrimoine ? Si nous devons nous engager dans un Sarr, d’un rapport à remettre en novem- la Culture, Monica Grutters, a expliqué Seconde Guerre mondiale a permis de Ce que ces pays veulent, c’est bâtir leur processus de restitutions, il faudra chan- bre. Elle dresse les contours d’un débat à l’Unesco qu’il fallait s’appuyer sur préparer les esprits. Le travail intellec- avenir, donner la possibilité aux jeunes ger notre arsenal juridique. ■

Beach House au septième ciel MUSIQUE Intitulé « 7 », le nouvel album du groupe américain est une des meilleures surprises pop de ce printemps.

public attend de nous. Cela nous paralyse- £ OLIVIER NUC @oliviernuc rait ! » affirme Victoria. Née en France, la chanteuse a grandi aux États-Unis dès ans le présenter comme une ré- l’âge de 5 ans au sein d’une famille artisti- volution, Victoria Legrand et Alex que. Elle est la fille du peintre Olivier Le- Scally considèrent leur nouvelle grand et la nièce du compositeur Michel production comme une rupture Legrand. « Je ne l’ai pas vu depuis l’âge de dans une carrière qui dure depuis 3 ans », commente-t-elle. une douzaine d’années. « Nous avons tou- S Luxuriance jours veillé à rester intuitifs et naturels. On ne s’est pas réveillé un jour en nous disant : Très impressionnant, l’album intitulé 7 est “Tiens, faisons les choses différemment, parfois intimidant par sa luxuriance. cette fois-ci” », expliquent-ils. Les deux « Nous aimons bien enfouir des informations musiciens ont mis fin à leur collaboration dans nos chansons, des éléments qui appa- avec Chris Coady, qui a réalisé quatre de raissent à la cinquième écoute seulement », leurs albums, pour faire appel au Britanni- avoue . « Chaque chanson a une que Peter Kember - alias Sonic Boom, densité particulière qui oblige l’auditeur à fondateur de Spacemen 3, groupe culte de s’y plonger tout entier », ajoute Victoria la fin des années 1980. « Avec lui, le pro- Legrand. « En vieillissant, nous ressentons cessus a été beaucoup moins rigide. Nous une plus grande profondeur dans notre tra- avions presque oublié que nous étions en vail. Il est excitant de penser aux possibilités train de concevoir un disque tant les choses d’avenir, d’autant que nous nous voyons se passaient naturellement. » Le résultat est bien continuer une vingtaine d’années. » peut-être la plus grande réussite de cette Et si Victoria et Alex étaient beaucoup LE RÊVE AMÉRICAIN DU POPART À formation qui a imposé un son dense et plus légers que la réputation qu’on leur psychédélique. « Nous fabriquons notre prête ? « On nous considère plus sérieux et musique dans la joie, sans penser à ce que le difficiles que nous sommes. Il est vrai que NOS JOURS Estampes du British Museum nous savons exactement ce que nous voulons et aussi que nous travaillons énormément, mais nous sommes assez joueurs aussi », di- 2juin –2sept.2018 Fondation Custodia sent-ils. Ils entretiennent une discrétion qui va à l’encontre de la transparence exi- Tous lesjours sauf le lundi, de 12h à18h gée par les réseaux sociaux. « Il est impor- 121 rue de Lille,Paris vii tant de préserver un certain mystère. Nous avons choisi d’être détachés et un peu en re- La présentation de cetteexposition estune collaboration entre RoyLichtenstein, trait de la scène musicale. » À rebours de la le British Museum, la Fondation Custodia et la TerraFoundation forAmerican Art Brushstrokes,1967 manipulation extrême du studio, ils culti- Sérigraphie en couleur. vent le goût des petites imperfections dans –555 x765 mm leur musique. « Nous essayons de les impo- ©Trustees of the British ser sur chacun de nos disques auprès d’in- Museum et ©Estateof génieurs du son qui cherchent à les chas- RoyLichtenstein ser. » Et de citer les albums du Velvet NewYork /Adagp, Paris, Underground ou le Tonight’s the Night de

2018 SHAWN BRACKBILL comme exemples de disques A En partenariatavec Alex Scally et Victoria Legrand cultivent aussi imparfaits que géniaux. ■ le goût des petites imperfections. En concert le 15 octobre à l’Olympia (Paris IXe).