LA LIBERTÉ MUSIQUE 37 SAMEDI 24 AVRIL 2010

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FLÛTE À BEC DANS LE GOÛTANGLAIS Improvisation complice BAROQUE Cette jovialité, ce tonus, cette intensité dans les pièces de Corelli: les Anglais du XVIIIe ne s’y sont pas trompés, en Contemporain. et sortent deux époustouflants faisant du compositeur italien leur champion dans les cercles qui pratiquaient la musique CD, en duo et en quartette. Dans leurs compositions, tout n’est pas écrit... de chambre. Les sonates de l’opus 5 notam- BENJAMIN ILSCHNER ment ont connu une fortune extraordinaire: chaque musicien qui s’en emparait les réar- rangeait. Le flûtiste à bec suisse Maurice Steger a étudié les manuscrits des adaptations réalisées à l’époque dans le goût anglais. Il a choisi celles de Geminiani, qui a fait de ces sonates des concertos (Nos 4-7-8-10). Plénitude du a son et folles ornementations sont la marque du virtuose, A l’heure où leurs derniers disques Oblivia entouré par l’English Concert de Laurence Cummings. EH (époustouflant duo) et To Fly To Steal (dé- > Mr. Corelli in London, Recorder Concertos,Harmonia Mundi,HM-Musicora. tonant quartette) arrivent sur le marché suisse, la pianiste Sylvie Courvoisier et le violoniste Mark Feldman ont accepté de ÉPATANT MAX EMANUEL CENCIC nous rencontrer à Lausanne, où ils ont BAROQUE Il brillait dans le flamboyant enre- donné une série de concerts la semaine gistrement du Faramondo de Haendel, paru dernière. Spontanée, percussive, capri- l’an dernier. Le contre-ténor Max Emanuel cieuse, leur musique se passe de doctes Cencic a fait confiance à la même équipe commentaires. Le secret de leur recette? (Diego Fasolis et ses formidables I Baroc- Tout n’est pas retenu sur le papier à mu- chisti) pour enregistrer un nouvel album sique. Entre les lignes, c’est une entente té- d’airs d’opéras italiens de Haendel. Aucun lépathique qui se révèle dans toute sa titre archiconnu dans cette intelligente splendeur. sélection, mais une alternance de feux d’artifice de vir- tuosité (comme l’air de Thésée dans Arianne à Crète: Parlons d’abord d’autres compositeurs. Quels ébouriffant!) et de langoureux mouvements lents. Timbre sont vos goûts, qu’est-ce qui vous inspire votre sublime, rond, riche, aussi lumineux dans les aigus que musique éminemment personnelle? profond dans le medium, Max Emanuel Cencic assume Sylvie Courvoisier: Nous écoutons beau- sans complexe sa tessiture de mezzo-soprano. EH coup de musique chez nous, une heure par > Haendel, Mezzo-Soprano Opera Arias,Virgin Classics, distr. Emi. jour en tout cas. En ce qui me concerne, je citerai Alfred Schnittke, Sofia Goubaïdouli- na, György Ligeti, Olivier Messiaen. Et le LEE KONITZTOUJOURS FRONDEUR jazz. La lecture occupe aussi une part im- JAZZ Lee Konitz n’a rien perdu, à 80 ans portante dans mon temps libre. passés, de son esprit frondeur et pince-sans- Mark Feldman: Notre collection compte rire et de son goût pour des dérapages har- environ 2000 CD et 400 vinyles, classiques et moniques habilement contrôlés. Ici, on le jazz. C’est une vraie encyclopédie! Elle va retrouve sur la scène du mythique Village de Buxtehude et Bach à Xenakis. L’évolu- Vanguard à New York,en compagnie d’un tion historique de l’interprétation au vio- trio international (l’excellent pianiste alle- lon me fascine particulièrement. Nous mand Florian Weber, le bassiste américain avons aussi toute une série de DVD clas- Jeff Denson et le batteur israélien Ziv Ravitz). En parfaite siques de pianistes et de violonistes cé- symbiose, les quatre hommes se baladent avec légèreté lèbres, des documentaires... sur une poignée de standards konitziens, malicieusement revisités par ce maître de l’understatement, qui étire Mark Feldman, votre carrière vous a fait décou- tempo et mélodie avec une naïve désinvolture, s’amusant vrir toutes sortes de styles... à cacher le thème jusqu’au dernier moment. ES MF: Au départ, j’ai suivi un parcours ty- > Lee Konitz New Quartet, Live at Village Vanguard, Enja, Musikvertrieb. pique de violoniste classique. J’ai embrassé la carrière de musicien dans les orchestres «Nos parcours et nos méthodes de travail n’ont pas grand-chose d’académique», s’accordent symphoniques de Chicago et Nashville il y à dire Sylvie Courvoisier et Mark Feldman. PHOTO © CIFARELLI FACÉTIEUX SCIENCE FICTION THEATER a une trentaine d’années. L’improvisation, JAZZ Qui a dit que le jazz helvétique était je la pratique depuis que j’ai 16 ans. Vers 20 ennuyeux? Il suffit d’écouter le très déluré ans, je me suis mis au jazz, mais sans aban- projet se profile ou qu’on me passe une temps. L’œuvre a dû «attendre» que le mon- Pimp Town, concocté par le saxophoniste donner le classique. C’était un choix esthé- commande. Je travaille au piano, avec un de change pour égaler ce nombre magique. Christoph Grab à l’enseigne de son Science tique, et non dicté par la frustration ou le crayon – l’ordinateur n’est que la dernière SC: J’aime cette part de mystère. On ne Fiction Theater pour se convaincre du marché du travail, aujourd’hui largement étape –, à un rythme très variable. L’avanta- crée rien de mécanique. C’est ce qui fait contraire. Comme le laisse supposer le nom saturé. J’ai simplement choisi de vivre mon ge de jouer avec Mark, c’est que nous toute la beauté du travail du compositeur. du groupe, formé de musiciens venus d’hori- amour pour plusieurs styles en parallèle. sommes tellement complices que tout n’a zons divers (jazz, rock, électro), ce disque se pas besoin d’être écrit. Je laisse donc des Un travail qu’on peut apprendre? veut un hommage facétieux aux musiques de films et aux Cela se reflète jusque dans vos projets sections ouvertes à l’improvisation, j’utili- MF: Nos parcours et nos méthodes de travail séries des années 60, dans un esprit qui rappelle souvent actuels... se des couleurs pour faire ressortir des n’ont pas grand-chose d’académique. Si ou les Lounge Lizards (il y a de moins bonnes MF: Le classique reste une composante de idées. j’étais jeune et que je veuille apprendre à références!). Sur de savoureuses trames pop ou easy lis- mon jeu. Dans Oblivia, on le voit bien: le MF: Pour indiquer certains effets nous utili- jouer du violon classique, je chercherais à tening, Christoph Grab et le guitariste Flo Stoffner impro- son et l’esthétique renvoient aux traditions sons nos propres signes, mais ce glossaire prendre des cours privés avec quelqu’un visent à cœur joie, entre surf et punk-jazz. Roboratif! ES européennes. Le son n’est pas jazzy, mais n’est de loin pas aussi élaboré que chez un comme Gidon Kremer six fois par année et > Science Fiction Theater, Pimp Town,Traumton, distr. Musikvertrieb. l’improvisation est présente. Helmut Lachenmann. Nous nous connais- vivrais dans une ville où je pourrais en- sons trop bien pour cela! Un peu comme tendre des concerts. Je dis cela sans juge- Cette polyvalence vous demande-t-elle de maî- l’ont fait Paganini, Ysaÿe, Rachmaninov, ment de valeur, je sais simplement que triser des techniques très différentes? nous composons pour avoir une musique nous nous sentons mieux en dehors d’une notes en stock MF: Prenez l’exemple d’André Previn: entre à jouer qui nous corresponde entièrement. institution. un soir où il joue des standards de jazz J’imagine qu’ils avaient la même sensation SC: Entièrement d’accord! AMPARO SÁNCHEZ L’égérie du groupe espagnol Ampa- dans un club, un autre où il dirige la 7e Sym- en composant qu’un jazzman qui improvi- ranoïa entame une carrière solo avec un disque réalisé phonie de Prokofiev et un jour où il avance se: ce qu’ils jouaient venait du fond d’eux- Dernièrement, l’enseignement du jazz est entre le Texas et Cuba avec la complicité de Joey Burns et dans la composition d’un concerto pour mêmes. devenu plus académique... John Convertino du groupe Calexico. Une belle collection violon, il ne change pas de personnalité. MF: En effet, et tant mieux pour les gens du de chansons plutôt intimistes, toutes de la plume de la Tout cela fait partie de lui, il aborde la mu- Vous écrivez pour vous, mais qu’en est-il du milieu, qui trouvent du travail et peuvent chanteuse, entre latino et tex-mex, illuminées par la pré- sique dans sa globalité. Pour chacune de public? transmettre cet art aux jeunes. sence sur un titre de la grande Omara Portuondo. ces situations, l’approche, la concentration MF: L’idéal est d’arriver à le surprendre, SC: L’apprentissage semble intensif. On > Tucson Habana, Wrasse Records, distr. Musikvertrieb. sont différentes, mais à un tel niveau artis- d’éviter qu’il anticipe tout et qu’il s’ennuie, voit de jeunes musiciens atteindre un ni- JOHN HIATT Le chanteur et guitariste livre un 19e album tique, la technique n’est pas divisée en mais il s’agit aussi de répondre à certaines veau très avancé dans des styles très variés, plein d’énergie, plus «garage» que folk, encadré par son tranches étroites et distinctes. Ce jonglage, attentes pour qu’il se sente impliqué. La et c’est bon signe. I excellent groupe de scène. Voix rauque, guitares brutes on l’intègre dans son jeu en progressant. bonne proportion correspond en quelque > Sylvie Courvoisier – Mark Feldman Quartet, To Fly de décoffrage sur des textes toujours inspirés, Hiatt n’in- sorte à un nombre magique. Ensuite, c’est To Steal, Intakt, distr. Intakt. nove pas vraiment mais il séduit toujours. A découvrir Comment travaillez-vous vos compositions? une question de goût et d’époque. Le Sacre > Sylvie Courvoisier – Mark Feldman, Oblivia, Tzadik, absolument pour ceux qui ne connaîtraient pas ce brillant SC: Je me mets à écrire lorsqu’un nouveau du Printemps avait fait scandale en son distr. Orkhêstra. vétéran de l’Americana. > The Open Road, New West Records, Musikvertrieb. PAUL MOTIAN Rencontre au sommet sur la scène du Vil- lage Vanguard entre le maître de la batterie impression- SARAH BLASKO niste et les brillantissimes Jason Moran au piano et Chris Potter au saxophone ténor. D’humeur très balladesque, le trio se promène en toute liberté sur les compositions Une Australienne à l’assaut de l’Europe atmosphériques du leader. La poésie faite jazz! > Lost In A Dream, ECM, distr. Phonag. STÉPHANE GOBBO Europe. Disponible depuis hier Night est paraît-il différent des Sarah Blasko est Australienne. en Suisse, il nous permet de dé- deux précédents enregistre- DIABEL CISSOKHO/RAMON GOOSE Le joueur de kora Chez elle, elle a déjà vendu un couvrir une artiste très à l’aise ments de la chanteuse. Si c’est sénégalais croise les cordes avec le guitariste de blues bon paquet de disques et reçu dans l’intimité d’un répertoire le cas, Sarah Blasko a en tout anglais. Joliment virtuose, énergique et rondement mené! plusieurs récompenses. Enre- acoustique, d’essence pop-folk cas trouvé dans ces douze titres > Mansana Blues, Dixiefrog, Disques Office. gistré en Suède sous la houlette mais où un piano jazzy tire par- un style feutré et mélancolique YOUSSOU NDOUR La star sénégalaise est partie à Kings- de Bjorn Yittling (de Peter, fois joliment son épingle du qui lui sied à merveille. Douze ton pour cet album reggae très «variétoche», arrangé par Bjorn & John), son troisième al- jeu. titres d’une grâce irrésistible. I Tyrone Downie, surproduit et saturé de claviers électro- bum a reçu en septembre der- Album délicat porté par la > Sarah Blasko, As Day Follows Night, niques. Une tentative de fusion totalement ratée! ES nier un accueil unanime. C’est voix haut perchée et caressante Dramatico, distr. Phonag. En concert le > Dakar/Kingston, Universal. le premier à être distribué en de son auteure, As Day Follow 26 avril à Zurich (Kaufleuten).