Balladur

DE AÀZ

Véziane de Vezins

Balladur

de

ALBIN MICHEL © Éditions Albin Michel S.A., 1995 22, rue Huyghens, 75014

ISBN 2-226-07666-2 Fiche d'état civil

Balladur Edouard

Né le 2 mai 1929 à Smyrne (Turquie).

Fils de Émilie Latour et de Pierre Balladur, banquier.

Épouse Matie-josèphe Delacour le 28 août 1957. Quatre enfants : Pierre (1958), Jérôme (1960), Henri (1964), Romain (1969).

Conseiller d'État en retraite, Premier ministre depuis le 30 mars 1993.

«Ami de trente ans» de .

1929 2 mai : Naissance d'Edouard, Balladur à Smyrne (Turquie).

1934 Départ pour la de la famille Balladur qui s'installe à Marseille.

1946 Baccalauréat, section A latin. Première attaque de Primo-infection : il passe huit mois en sanatorium. 1948 Études de droit à l'université d'Aix-en-Provence. 1949 Sciences-Po à Paris. Il loge rue de Vaugirard chez les maristes.

1952 Intégration à l'ENA.

1953 Service militaire en Algérie. A son retour, nouvelle attaque de primo-infection : sanatorium à Briançon pendant deux ans.

1957 Sortie de l'ENA. Auditeur au Conseil d'État, affecté à la 1 sous-section du Contentieux et à la section des Travaux publics. 28 août : Mariage avec Marie-Josephe Delacour.

1958 Naissance de Pierre.

1960 Naissance de Jérôme.

1962 à 1963 Conseiller du directeur général de la radio-télévision française, Robert Bordaz.

1963 Maître des requêtes au Conseil d'État.

1964 Naissance d'Henri. 2 janvier : Arrivée à Matignon comme chargé de mission pour les Affaires sociales au cabinet de Georges Pompidou, Premier ministre.

1966 Promu conseiller technique. Il le reste jusqu 'en 1968.

1967 17 août : L'ordonnance sur l'intéressement des salariés aux bénéfices des entreprises, rédigée par Balladur, est promulguée par le général de Gaulle. 1967-1968 Membre du conseil d'administration de l'ORTF (Office de radiodiffusion et télévision française).

1968 27 mai : Pompidou signe avec le CNPF et les syndicats les accords de Grenelle. 30 mai : Dissolution de l'Assemblée nationale par le général de Gaulle. 30 juin : Élections législatives, la majorité sortante gaulliste et giscardienne emporte 358 sièges sur 485. 11 juillet : Pompidou est congédié par le général de Gaulle et remplacé par Maurice Couve de Murville.

1969 27 avril : Référendum sur la régionalisation, les «non» l'emportent. A 0 h 11, le général de Gaulle se démet de son mandat présidentiel. 29 avril : Georges Pompidou se déclare candidat à la présidence de la République. 15 juin : Georges Pompidou est élu, Edouard Balladur nommé secrétaire général adjoint de la présidence de la République le demeurera jusqu 'en 1973. Le même jour, naissance de Romain, le quatrième et dernier fils des Balladur.

1970 9 novembre : Mort du général de Gaulle.

1968 à 1973 Balladur est nommé membre du conseil d'administration de l'Office national des forêts. 1968 à 1980 Président de la Société française pour la construction et l'exploitation du tunnel routier sous le Mont-Blanc.

1972 Démission du Premier ministre Jacques Chaban- Delmas, remplacé à Matignon par Pierre Messmer.

1973 Avril : Michel Jobert est nommé ministre des Affaires étrangères. Edouard Balladur devient secrétaire général de l'Élysée.

1974 27 mars : Le président de la République préside son dernier Conseil des ministres. 2 avril : Mort de Georges Pompidou. 19 mai : Valéry Giscard d'Estaing est élu président de la République. Chirac est nommé Premier ministre. Balladur refuse l'ambassade de France au Vatican et retourne au Conseil d'État.

1977 à 1986 Président-directeur général de la Générale de service informatique (GSI), filiale de la Compagnie générale d'électricité (CGE), présidée par Ambroise Roux.

1978 Décembre : Jacques Chirac lance son «appel de Cochin» dirigé contre Giscard d'Estaing.

1979 Balladur publie son premier ouvrage, L'Arbre de mai. 1981 Balladur, devenu conseiller de Chirac, lui déconseille de se présenter à l'élection présidentielle mais le suit dans l'aventure.

1980 à 1986 Président de la Compagnie européenne d'accumulateurs (CEAC), filiale de la CGE.

1983 16 septembre : Balladur signe un article dans préconisant une «cohabitation» entre la droite et un président socialiste en cas de changement de majorité parlementaire.

1984 à 1988 Conseiller d'État.

1986 Edouard Balladur s'inscrit au RPR. 16 mars : Candidat aux élections législatives (à la proportionnelle) sur la liste de Jacques Toubon, il est élu député de Paris. 18 mars : Unique ministre d'État du gouvernement Chirac, il a en charge l'Économie, les Finances et la Privatisation. 14 juillet : François Mitterrand refuse de signer les ordonnances de privatisation. 19 août : Le ministre délégué aux privatisations, Camille Cabana, est remercié. 10 septembre : Première «Heure de Vérité» sur Antenne 2 : « Je ne serai pas Premier ministre. » 6 décembre : Démission du ministre délégué chargé de la réforme et de l'Enseignement supérieur Alain Devaquet après les manifestations d'étudiants. 1987 19 octobre : Krach boursier.

1988 8 mai : Élection présidentielle, Mitterrand est réélu avec 54 % des voix, contre 46 % à Chirac. 5 juin : Balladur est réélu député du XV arrondissement de Paris (12 circ.). Il crée l'Association pour le libéralisme populaire. Admis à faire valoir ses droits à la retraite en tant que conseiller d'État.

1989 Mars : Élu conseiller de Paris aux élections municipales. Novembre : il lance sa lettre bimestrielle Initiatives, dont le directeur de la publication est Nicolas Sarkozy. 9 novembre : Chute du mur de Berlin. 16 novembre : Balladur publie dans Le Figaro un article sur la nécessité de repenser l'Europe.

1990 10 janvier : Pasqua et Séguin tentent un coup de force pour rénover le RPR. 13 juin : Nouvel article dans Le Monde dans lequel Balladur pose le principe d'une cohabitation avec un Premier ministre qui ne serait pas candidat à l'élection présidentielle. 14 septembre : A « 7 sur 7» : «Je ne serai pas candidat à l'élection présidentielle de 1995.»

1992 5 mai : Charles Pasqua et Philippe Séguin recueillent les voix de 101 députés pour le NON à la ratification du traité de Maastricht. Balladur prône un vote neutre puis le OUI. 20 septembre : Victoire du OUI au référendum avec 51 % des voix.

1993 Mars : Réélu député du XV aux élections législatives avec 57 % des voix. 30 mars : Le gouvernement Balladur est constitué. Mai : Balladur lance un emprunt d'État. 16 juin : Philippe Séguin qualifie la politique de l'emploi de «Munich social». 29 juillet : Crise du franc, le SME manque d'éclater et les marges de fluctuation des monnaies sont élargies. Octobre : Le plan Attali de redressement d'Air France est abandonné. 14 décembre : Signature de l'accord du GATT à Genève. Adoption par le Parlement d'un amendement à la loi Falloux sur les subventions des collectivités locales aux écoles privées. Le Conseil d'État annulera ce texte le 13 janvier 1994.

1994 Février : André Rousselet, PDG de Canal +, démissionne en signant dans Le Monde un article intitulé «Edouard m'a tuer». Mars : Manifestations étudiantes contre le contrat d'insertion professionnelle (CIP). 30 mars : Le CIP est retiré. 17 juillet : Démission d'Alain Carignon, ministre de la Communication, mis en examen puis incarcéré. 23 septembre : Journées du RPR à Colmar. Edouard Balladur ébauche sa première déclaration de candidat potentiel. 14 octobre : Démission de Gérard Longuet, ministre de l'Industrie. 4 novembre : Jacques Chirac se déclare officiellement candidat à la présidence de la République. 12 novembre : Démission de Michel Roussin, ministre de la Coopération, mis en examen. 17 novembre : Balladur publie dans Le Monde un article sur la réforme de l'instruction judiciaire. 21 novembre : L'Assemblée nationale adopte l'amendement Marsaud sur le secret de l'instruction. Le Sénat s'y oppose trois semaines plus tard. 11 décembre : Jacques Delors annonce qu'il ne sera pas candidat à l'élection présidentielle. L'actionnariat populaire est pour Edouard Balladur le summum des grandes espérances sociales. Lorsqu'il arrive comme ministre d'État, ministre de l'Économie, des Finances et de la Privatisation rue de Rivoli en 1986, fidèle à son ambition de faire de l'Hexagone le pays de 55 millions de petits porteurs, il fait des privatisations le nerf de sa politique économique. Avec pour divine conséquence l'arri- vée en Bourse d'environ six millions de nouveaux petits actionnaires. « C'est un vieux rêve pompidolien qu'il par- tage avec Chirac, note Franz-Olivier Giesbert. Une uto- pie motrice, comme disent les marxistes. Elle donne un peu de force à un projet aussi banal que consensuel. » A l'origine était l'actionnariat ouvrier, prolongement de la participation aux bénéfices qui excitait beaucoup le géné- ral de Gaulle et que le jeune conseiller technique Balladur mit lui-même en place sous l'égide du Premier ministre Pompidou. Ce fut l'un des dossiers sur lequel plancha Edouard lorsqu'il fut secrétaire général adjoint de l'Ély- sée, en 1969, après avoir concocté le texte de l'ordon- nance du 17 août 1967 sur la participation aux bénéfices. Le travail d'Edouard a abouti à la loi du 31 décembre 1970 et aux options sur les actions pour les salariés. Le 2 janvier 1970, la distribution d'actions chez Renault est imposée par un texte. Le processus sera généralisé aux banques, compagnies d'assurances et industrie aéronau- tique par la loi du 4 janvier 1973. LIRE : C. Chazal ; F.-O. Giesbert, Jacques Chirac. VOIR : Conseiller social, Général, Noyaux durs, Pom- pidou, Privatisations, Social. A daptabilité

«En matière d'adaptabilité, Balladur n'a rien à envier à Mitterrand. » Lorsqu'il arrive rue de Rivoli en 1986 comme super-ministre d'État, il met quelque temps à admettre que gouverner c'est aussi communiquer, mais lorsqu'il le comprend, il passe maître dans l'interview télévisée. Que ce soit pour tailler les crayons du secrétaire géné- ral adjoint de Matignon, pour étudier le cas des porche- ries au Conseil d'État, pour établir des plans quinquennaux ou pour huiler l'huis grinçant de la cohabitation, Balladur se plie et se déplie à volonté. Politicien sans parti et sans ligne d'action définie, il colle aux événements comme un bon cavalier à la selle de son cheval. Grâce à un véritable talent de caméléon ou bien par goût inné de la discrétion, Balladur n'aime pas faire de vagues. Il ne laissera pas de souvenir impérissable à ses profes- seurs de l'ENA, pas plus qu'à ses supérieurs durant son service militaire. Pompidou mettra quatre ans à s'aper- cevoir qu'il a de l'envergure et à la GSI, filiale de la CGE

* Les références complètes des ouvrages cités sont données dans la bibliographie, p. 295. qu'il préside de 1977 à 1986, Jacques Raiman, directeur général de la maison, n'en croit pas ses yeux lorsqu'il le découvre ensuite dans la peau d'un ministre. «Je n'avais pas vu que c'était un homme politique», avoua-t-il. Cette faculté d'épouser les événements comme l'eau épouse la forme du vase aidera Balladur à maintenir le cap en passant sans transition des ors de l'Élysée où il était le « Régent», le secrétaire général, aux cabinets obscurs du Conseil d'État. Lorsqu'il aura choisi la voie de l'entre- prise, il se coulera dans les moules successifs. A la GSI, on le verra déjeuner sur le pouce d'un plateau-repas avec des couverts en plastique, tout le contraire de ce qu'il aime. Tolérant pour les jeunes loups qui entrent en bras de che- mise dans son bureau sans frapper, il se contente de sau- ver l'essentiel : « Du moment que l'on accepte que je reste en complet-veston. » Le Balladur de Matignon n'a pas dérogé à cette ligne de conduite : du retrait du CIP lorsque les étudiants des- cendent dans la rue à l' adaptation de la Constitution pour permettre d'appliquer les accords de Schengen relatifs au droit d'asile sans casser le texte de 1946, on trouve qu'Edouard est d'une grande souplesse entre les oreilles. LIRE : P. Bauchard; F.-O. Giesbert, La Fin d'une époque. VOIR : Balladurisme, Biaiser, Cohabitation, Diplo mate, Fonctionnaire, Hasard, Moelleux. ffaires Au grand dam de Balladur, catholique au-dessus de tout soupçon, son gouvernement détient le triste record d'être à la fois le premier dont un ministre est emprisonné et le troisième, depuis Philippe Dechartre en 1972 et Ber- nard Tapie en 1992, à connaître la démission d'un de ses membres (et même, de plusieurs). Trois dossiers touchent directement Alain Carignon, ex-ministre de la Communication, Gérard Longuet, ex- ministre de l'Industrie, et Michel Roussin, ex-ministre de la Coopération. Alain Carignon démissionne le 17 juillet 1994. Il est mis en examen le 25 juillet pour «recel et complicité d'abus de biens sociaux», est écroué le 12 octobre, soupçonné, de plus, de «corruption passive». L'affaire a commencé en avril 1993, avec un dossier sur la relation existant entre le comblement du déficit du groupe de presse le Dauphiné News, qui avait milité pour la réélec- tion d'Alain Carignon à la mairie de Grenoble, et la concession de la gestion des eaux de Grenoble à la Société de distribu- tion des eaux intercommunales (SDEI), filiale de la Lyon- naise des eaux. Le juge d'instruction Philippe Courroye, qui a déjà mis en examen sept personnes dans l'affaire, décou- vre ensuite que Jean-Louis Dutaret, ancien conseiller de Cari- gnon, et ce dernier auraient personnellement bénéficié des avantages consentis contre l'attribution du marché de l'eau à la ville de Grenoble. Le juge demande l'incarcération de l'ancien ministre, craignant des pressions sur des témoins et la disparition de pièces nécessaires à l'enquête. Gérard Longuet démissionne le 14 octobre 1994. Le 29, deux informations judiciaires distinctes sont ouvertes par le juge Mireille Filippini : l'une portant sur le patrimoine de l'ancien ministre de l'Industrie, notamment sur le finan- cement de sa villa de Saint-Tropez ; l'autre sur le finance- ment du siège du Parti républicain. Michel Roussin démissionne le 12 novembre 1994. Il est mis en examen le 14 par le juge de Créteil, Éric Hal- phen, pour «recel d'abus de biens sociaux». L'enquête avait démarré modestement d'une affaire de fausses fac- tures sur des chantiers HLM de la région parisienne. Les mises en examen d'un ancien membre du comité central du RPR, le promoteur Michel Méry, et de Rémy Halbwax, ancien syndicaliste policier, avaient précédé le témoignage de la secrétaire de Méry sur des remises d'enveloppes et sur des entrevues de son patron avec l'ancien direc- teur de cabinet de Jacques Chirac. Le Premier ministre les avait prévenus en formant son gouvernement : tout ministre mis en examen devra démis- sionner. Edouard s'est toutefois donné le temps de la réflexion et en a donné à Gérard Longuet. Il fait remar- quer le 20 septembre : « Il ne suffit pas de prononcer le nom de quelqu'un pour qu'il soit mis en cause. » Il demande le respect « des droits des personnes et [de] la dignité de chacun». C'est au nom de ce respect qu'il cautionne le sursis d'un mois accordé par le garde des Sceaux, qui demande un supplément d'enquête sur le cas Longuet. Mais les dieux n'étaient pas du même avis. VOIR : Carignon, Clarification, Corruption, Lessi- veuse, Longuet, Roussin. griculture On ne peut pas dire que le plancher des vaches soit la tasse de thé de Balladur. Il s'entend mieux à avancer de son gant de velours les pions du GATT qu'à traire les char- ges des exploitations agricoles. A peine Premier ministre pourtant, Edouard s'est fait un devoir de recevoir les agri- culteurs comme première catégorie socio-professionnelle à franchir les portes de l'hôtel Matignon. Les petits cadeaux sont arrivés un mois plus tard, avec 1,5 milliard de francs qui ne devaient pas être considérés, leur dit Edouard, comme «un solde de tout compte ». La FNSEA dit merci, l'ingrate Fédération paysanne parle de « mesu- rette dérisoire». VOIR : Rigueur. ir France Les dossiers Air France, CIP et réforme de la loi Falloux sont les trois pierres d'achoppement du gouvernement Balladur. La politique de « petits pas » et d'atermoiement, chère à Edouard, a envenimé le conflit, même si «sur le dossier d'Air France, se félicite Nicolas Bazire, nous avons fait passer le plan de Christian Blanc, qui était encore plus radical que celui de Bernard Attali ! ». La gestion du cas Air France, abordée en crabe en 1993 par le Premier ministre qui ne veut pas brusquer le prési- dent de la République en se débarrassant directement de Bernard Attali, le président de la compagnie aérienne, se solde par une longue valse-hésitation. Sous la présidence de ce dernier, Air France accuse 8 milliards de francs de pertes, et ce trou se creuse cha- que mois de 450 millions de francs. Un chèque sans pro- vision de 7 milliards a été signé pour le rachat d'UTA et 3000 personnes ont été embauchées dans un contexte financier déjà critique. Le président de la compagnie aérienne française est cependant maintenu en place. « L'objectif politique va primer sur la raison industrielle. » Le plan Attali est retiré, et son auteur démissionné. Après six mois d'enlisement. Le choix de Christian Blanc, ancien PDG de la RATP, proche de Michel Rocard, et un référendum opéré au sein du personnel de la compagnie restaurent le consensus bal- ladurien. LIRE : G. Ottenheimer. VOIR : Atermoiement, CIP, Falloux, Petits pas, Zigzags. lbum Si Josée — pardon, Marie-Josèphe Balladur — n'arrive pas à se faire au tapage orchestré autour de son homme public, ce dernier décoince peu à peu, arrivant à enlever son gilet sur la plage pour se laisser voir en simple complet- veston au milieu des palourdes et des monokinis. On l'aurait même surpris en pantalon de velours ! Il a confié à VSD une photo de lui en spahi, pendant son service mili- taire en Algérie. On le voit en costume marin à Marseille. Il présente les clichés de ses petits-enfants, qu'il ne cache plus. On le contemple avec feu son chien Titus — pas un labrador, malheureusement... Edouard, longtemps rétif, feint enfin d'entrouvrir son album et son jardin secret. VOIR : Adaptabilité, Communiquer, Service militaire, Timidité. llemagne Edouard a du flair. Quelques jours après la chute du mur de Berlin, alors que Tonton en catalepsie semble n'avoir rien compris, Balladur publie le 16 novembre dans Le Figaro un article sur la nouvelle géométrie de l'Europe. Le 1 décembre, il écrit, dans Le Monde, que « la réunifi- cation est inéluctable ». « Une phrase qui aujourd'hui appa- raît comme une lapalissade et qui était à l'époque d'une grande audace. D'autres, et non des moindres (Valéry Gis- card d'Estaing, Roland Dumas, François Mitterrand), attendront quelques semaines avant d'admettre cette évi- dence», note Catherine Nay. Edouard, ravi de son effet, commente pour des intimes : « Il vaut mieux être lucide que de se précipiter à Berlin pour taper sur le mur à petits coups de marteau. » LIRE : C. Nay. VOIR : Humour, Maastricht. lphandéry, Edmond Avec un profil CDS, un mandat de député barriste du Maine-et-Loire, la mairie de Longué-Jumelles et un cur- sus qui le fit porte-parole de l'UDF pour le débat budgé- taire en 1986, le ministre de l'Économie d'Edouard Balladur fut, à l'époque des privatisations en 1987, un observateur rigoureux stigmatisant «tout excès de privatisation». Pêché en 1993 par Edouard, comme trois autres minis- tres CDS (une pêche miraculeuse pour les centristes démocrates sociaux), Edmond Alphandéry n'est pas le poisson le plus médiatique d'Edouard, mais un proche de longue date, apprécié par le chef du gouvernement pour sa « grande rigueur morale ». Les amours d'Edouard pour les cercles n'y sont pas étrangers : Alphandéry cofonda le Cercle avec Charles Millon et Philippe Séguin après 1981 et le sélect Cercle de l'Odéon. Pourtant, peut-être parce que Edmond a des idées bien arrêtées qu'il vaut mieux baliser, le Premier ministre l'a flanqué de Nicolas Sarkozy, son proche conseiller politique. Déjà en 1990, Alphandéry avait pris ses distances vis- à-vis de Balladur, partisan d'une monnaie européenne com- mune, en se prononçant, au nom des Centristes, pour «la construction politique de l'Europe qui passe, à terme, par la création d'une monnaie unique». Aux affaires, il se met sans attendre à l'unisson avec le maître de Matignon, part en guerre contre le chômage, cautionne les privatisations et annonce «la sortie du tun- nel» pour le début 1994 ! Comme Edouard, il a un faible pour la méthode Coué. VOIR : Privatisations. mbition A Georges Suffert qui lui demandait si l'ambition était son moteur, Edouard Balladur répondit : « Vous pouvez le penser. Mais en réalité c'est plus subtil que cela. Disons qu'un jour j'ai eu la sensation que je pouvais faire un peu moins mal que les autres. » L'éditorialiste se dit in petto : «Comme beaucoup de responsables, ce Premier minis- tre est double. Il y a d'un côté un personnage que la poli- tique insupporte, qui souhaite rentrer chez lui, lire davantage, écrire quelques articles, et peut-être un ou deux livres ; au fil des heures et des saisons. Et puis il y a l'autre Edouard Balladur : une volonté métallique, une obstination paisible, un goût du commandement. Tout cela enveloppé dans un mélange de bonhomie et de courtoisie. » M. Balladur a-t-il de l'ambition? A l'évidence, si l'on observe le parcours qui l'a conduit d'un sanatorium des Hautes-Alpes à la tête du gouvernement, peut-être plus haut. Et si l'on considère sa détermination lorsque, de Rivoli à Matignon, il ordonne, sabre les insolents, exige le Louvre, joue gagnante la partie d'échecs avec Chirac et l'opinion en 1993. Pourtant, d'aucuns, comme Jean-François Kahn, voient en Edouard « un ahurissant manque d'ambition empaqueté dans un lénifiant catalogue de bonnes intentions ». Modeste, il parle volontiers de la place du hasard dans sa vie. Sorti beau cinquième de l'ENA après avoir suivi la section sociale, celle des atypiques, il pouvait aspirer à l'inspection des Finances, comme Giscard. Il opte pour le Conseil d'État. Commentaire du directeur de la succursale BNP de Marseille chez qui il fait son stage de troisième année : «Évidemment, si vous manquez d'ambition...» Ensuite, des couloirs confidentiels de la RTF en 1962-63 aux antichambres de Matignon, lorsqu'il fut chargé de mis- sion, puis conseiller technique aux questions sociales auprès de Pompidou, il semble se complaire à jouer les seconds rôles. La crise de mai 68 lui permettra de déployer sa vraie carrure. Pompidou le découvrira enfin et le propulsera, lorsqu'il sera élu président, secrétaire général adjoint, puis secrétaire général de l'Élysée. Edouard eut peut-être alors un sourire de condescendance pour les flagorneurs et autres agités qui marchent sur leur dignité pour des résul- tats infimes. En réalité, Balladur est beaucoup trop orgueilleux, a une bien trop grande idée de lui-même, de son destin et de la France pour dévoiler crûment ses dents et son ambi- tion. Il préfère se retirer que se compromettre — c'est ainsi qu'il quitte le pouvoir en 1974, ne goûtant guère Gis- card. En ce sens, il a une ambition dévorante. Pour la France, dit-il. Le vrai pouvoir est-il occulte ? Sibyllin, M. Balladur reconnaît qu'«il existe certes toujours des personnages de l'ombre qui préfèrent influencer que s'exposer». Pas à pas, il se dévoile, distinguant l'ambition collective de l'ambition individuelle. Il oppose le désir du pouvoir pour le pouvoir et, «au sens le plus noble, le désir de changer les choses». Il va de soi que l'ambition d'Edouard est de la deuxième sorte. Il admet cependant que «l'ambition indi- viduelle peut être salutaire, elle favorise l'émulation». Elle peut même susciter des rivalités. Ce qui n'est pas une mauvaise chose, dit-il. Suivez son regard. LIRE : E . Balladur, Dictionnaire de la réforme ; C. Chazal ; Le Figaro du 24 octobre 1994. VOIR : Autoritaire, Conjuration, Hasard, Majesté, Tonton. ménagement du territoire «L'Aménagement du territoire, c'est l'affaire de ma vie », confiait Charles Pasqua. Malheureusement pour lui, c'est aussi un peu celle de Balladur. Ce dossier, qui figure parmi les priorités de l'action gouvernementale, est la seconde casquette du ministre de l'Intérieur. Ce vaste sujet conduit à Mende, en Lozère profonde, un comité interministériel le 12 juillet 1993. Au fil des régions on voit Pasqua et Balladur, nouveau couple de l'année, effectuer leur tour de France en tandem. En mai 1994, Pasqua, qui avait promis à l'Assemblée nationale 100 milliards de francs pour la création d'emplois et une véritable révolution, doit en rabattre, même après avoir mis sa démission dans la balance et avoir obtenu de Balladur un arbitrage en sa faveur. Son texte soulève réserves et critiques à l'Assemblée nationale mais est tièdement adopté en première lecture par la majorité. LIRE : Le Figaro des 1 juillet et 17 septembre 1993. VOIR : Pasqua, Veil. ménophis Que faisait Edouard Balladur le 29 mars 1993, lorsque le président François Mitterrand s'apprêtait à l'appeler à l'hôtel Matignon ? Il ne campait pas devant son téléphone. Il n'égrenait pas des chapelets. Il ne se tordait pas les doigts. Il était allé voir une momie, celle du pharaon Amé- nophis III. A petits pas il visitait l'exposition d'antiquités égyptiennes, pas très content de n'apprendre qu'à 19 heures que l'hôte de l'Élysée le convoquait pour le «nommer» au lieu de le «consulter». LIRE : C. Chazal. VOIR : Art, Susceptible, Tonton. A mis de trente ans

En 1986, Chirac, Premier ministre, défend son ami de vingt-cinq ans lorsqu'on lui fait part de ses divagations para- noïaques et de sa folie des grandeurs : «Mais, Edouard, c'est Edouard ! dit-il en rigolant. Ne vous inquiétez pas, Balladur, je le connais.» C'est-à-dire : «Je lui fais confiance. » Pendant ce temps, Balladur glisse avec des airs de chattemite en prenant son interlocuteur à témoin : «Mais, Jacques, vous le connaissez...» Traduction: « Nous en pensons tous les deux la même chose. » A Hervé de Charette, alors ministre de la Fonction publique : « Que voulez-vous, Chirac est ce qu'il est, mais nous n'en avons pas d'autre. » Nuance, nuances. Chirac, bon chien enthousiaste et toujours plein d'espoir — entre autres parce que, comme il le confia à Patrick Poivre d'Arvor dans Le Journal du Dimanche en janvier 1988, le comble de la misère est pour lui la déception —, ne veut pas croire les Cassandre qui lui prédisent que l'homme auquel il a offert Matignon lui fera rendre gorge. A l'université d'été des jeunes RPR de Strasbourg, en septembre 1993, alors que l'assistance scande «Chirac, président ! », Jacques redit sa solidarité avec Edouard, en argumentant : « Un ami de trente ans, que je connais mieux que personne ici. » Edouard, pour l'en remercier, lâche le 20 septembre : «En politique, l'amitié, ça n'existe pas. » LIRE : C. Nay. VOIR : Carpe et Lapin, Chirac, Égoïsme, Indépen- dance, Missive, Nostalgie, Pacte, Roulette belge, Rup- ture, Vice-Premier ministre. nonyme Non, il ne s'agit ni de corbeau ni de coups de fil lou- ches. La vie de M. Balladur est bien trop rigoureuse, bien trop transparente pour se laisser salir par de telles hor- reurs. Il s'agit d'un livre. Pas d'un livre écrit par Edouard ; quand Edouard écrit, il signe. Le Journal d'Edouard, tome 1, paru chez Plon en mai 1994, est né d'un auteur anonyme. L'inconnu qui a endossé le costume d'Edouard, héros de roman malgré lui, a cheminé vaillamment sur l'étroite digue qui sépare la paraphrase du détournement. On y découvre, affirme Joseph Macé-Scaron dans Le Figaro, «un Edouard Balladur trop sensible, un brin ran- cunier, un soupçon porphyrogénète, un furet de la politi- que, escamoté aussitôt qu'avancé». Et comme écrire c'est un peu se trahir, d'aucuns croient reconnaître derrière l'auteur le journaliste Stéphane Denis. Difficile de tailler un costard sans oublier quelques faux fils.

A ntigone Edouard est un héros de roman, nous allons le démontrer longuement. Mais cet homme que le public idolâtre se voit lui-même en personnage de théâtre. Il l'a dit sans contorsion le 28 septembre 1994 en épinglant une décoration sur la poitrine du titulaire de la direction du théâtre Sylvia-Montfort dans le XV sa terre d'élection : « Le personnage auquel je m'identifie le plus, c'est Anti- gone, parce qu'elle fait passer la conception qu'elle a de la morale avant tout le reste. » Telle l'héroïne de Sophocle l'Athénien, Edouard défend donc les lois non écrites et se plaint de celles qu'impose la fausse raison de l'État souverain. D'aucuns peuvent alors se demander du tac au tac ce qu'il a fait de cet accord moral, le pacte, qu'il sacrifia à la raison d'État avec Chirac.

Bref. Ce n'est pas parce qu'il a titré l'un de ses livres Je crois en l'Homme plus qu'en l'État qu'Edouard n'a pas une haute idée du service qu'il doit à son pays. Encore plus savoureux lorsque l'on sait que la pièce jouée à cette époque-là au théâtre Sylvia-Montfort était Les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau. VOIR : Affaires, Corruption, Je crois en l'Homme plus qu'en l'État, Lire, Pacte, Trahison, Vérité. rbre de mai

Titre du premier livre d'Edouard. Le coup d'essai ne fut pas un coup de maître. L'Arbre de mai, «chronique alternée» de mai 68, paraît en 1979. Protagonistes réels et personnages inventés s'y mêlent. La critique y voit un livre hybride, voire un roman raté. André Passeron, dans Le Monde, regrette que Balladur donne dans son livre «l'impression d'avoir regardé les événements depuis la fenêtre de l'hôtel Matignon et d'où il n'a peut-être vu qu'un seul des arbres de la forêt de mai». L'auteur reconnaîtra plus tard, confit de lucidité : «Je n'avais ni le talent d'un romancier, ni celui d'un mémorialiste, je n'ai pas su pas- ser de la réalité à la fiction... » Edouard est un écrivain maudit. LIRE : C. Chazal. VOIR : Auteur, Grenelle, Pompidou. Écurie, 124. Hasard, 157. Edouard, 125. Humour, 158. Église, 126. Hypnose, 158. Égoïsme, 127. Élitiste, 127. Inconnu, 160. Emprunt, 128. Indépendance, 160. Encarté, 128. Initiatives, 162. Ennemis, 129. Instruction judiciaire, 162. État Balladur, 130. Insultes, 163. Études, 131. Intellectuels, 164. Exil, 132. Intimes, 164.

Faiblesses, 133. Jaffré, Philippe, 166. Falloux, 134. Je crois en l'Homme plus qu 'en Famille, 135. l'État, 167. Fan-club, 136. Jeune garde, 167. Femmes, 136. Jeunes, 168. Flottement, 137. Jeunisme, 168. Foi, 138. Jobert, Michel, 169. Foi (mauvaise), 138. Josée, 170. Fonctionnaire, 139. Juillet-Garaud, 171. Franc fort, 140. Juppé, Alain, 171. Friedmann, Jacques, 141. Fromage ou dessert, 142. Koweit, 174. Futilités, 143. Krach, 175.

GATT, 144. Las, 176. Gaullisme, 146. Le Bouillon, 176. Général, 147. Léotard, François, 177. Gigot de sept heures, 148. Le Pen, Jean-Marie, 178. Giraud, Michel, 149. Lessiveuse, 179. Giscard d'Estaing, Valéry, Liberté, 180. 150. Lire, 180. GLAM, 152. Longuet, Gérard, 181. Graphologie, 152. Look, 182. Grenelle, 154. Loups (jeunes), 184. Lucarne, 185. Habache, Georges, 156. Luthérien, 186. Maastricht, 187. Pacte, 218. Madelin, Alain, 189. Pâmoison, 219. Maisons, 190. Parallèles, 220. Majesté, 191. Paranoïa, 221. Mandats, 192. Pardon, 221. Mandela, Nelson, 193. Parents, 222. Marsaud (amendement), 193. Pasqua, Charles, 223. Médecin, 194. Passion et longueur de temps, Méhaignerie, Pierre, 195. 225. Mendès France, Pierre, 196. Paternalisme, 225. Messier, Jean-Marie, 196. Patrons, 226. Mesurettes, 197. Patronyme, 227. Minc, Alain, 198. Pébereau, Michel, 228. Miracle, 199. Petits pas, 228. Misères (petites), 199. Plage, 229. Missiles, 200. Plan, 230. Missive, 201. Poisson froid, 230. Moderniser, 202. Politique étrangère, 231. Moelleux, 203. Pompidou, Georges, 232. Mont-Blanc, 204. Primaires, 234. Morphopsychologie, 205. Privatisations, 236. Munich social, 206. Progéniture, 237. Musique, 207. Promesses, 238. Prophétie, 238. Négatif, 208. Pyramide, 239. Neveu, 209. Noblesse, 209. Questionnaire, 240. Nostalgie, 210. Noyaux durs, 211. Rabelais, 242. Nuit, 212. Raffinement de civilisation, 243. Omar, 213. Réforme, 243. On verra bien, 214. Régent, 244. Optimiste, 214. Responsable, 245. Orgueil, 215. Réunion, 246. Orphelin, 216. Réveil, 247. Osons, 216. Richelieu, 247. Rigueur, 249.