Les X-Mines, les conseillers de l'ombre

Depuis sa fondation en 1794 (!) le corps des mines regroupe les ingénieurs formés à l’école des Mines, ayant le cursus particuliers des ingénieurs civils. Fonctionnaires de l’état, la plupart ont suivi le cursus Polytechnique suivi, comme école d’application, des Mines de Paris. Certains proviennent de l’ENS ou de Télécom Paris ou des Mines elles-mêmes. Le corps des Mines est rattaché au ministère de l’économie et des finances.

C'est un "corps", un "tout" solidaire. Un groupe fortement uni par l’appartenance à une même communauté privilégiée et par un ensemble de traditions et d’images collectives

1. Leurs arguments : Verrouiller la politique énergétique de la , pour le pire.

Fidèles à leur corps avant toute choses, ils trustent les places dans l’appareil d’état, les entreprises et ils décident de la politique énergétique de la France depuis l’après-guerre. Les X-mines sont à la manoeuvre, politique, industrielle, économique de la stratégie énergétique de la France et sont, à ce titre, les principaux décisionnaires. Les choix inhérents à la transition énergétique, souhaitée par le président de la république, se feront avec eux (à travers la DGEC, les conseillers, ...). Mais l'histoire a montré que le corps des Mines est à l'origine d'erreurs industrielles en matière d'énergie. Des erreurs répétées, décennie après décennie ... qui n’augurent rien de bon quant à la mise en œuvre de la transition énergétique.

Le Plan Messmer, le péché d’orgueil :

Une erreur fondamentale du Corps des mines a été celle de penser pouvoir prédire l’avenir de la consommation d’électricité sur 30 années. Le programme Messmer s’est fondé sur des prévisions irréalistes. Il tablait sur la construction de 7 réacteurs par an, sans que ce plan ne soit appuyé par des analyses et des trajectoires solides de prévision de la consommation d’électricité.

C'est la commission PEON qui est à l'origine de ce plan : elle est composée d’une part de représentants de l’administration (ministères de l’Industrie, de l’Environnement et de l’Économie, de l’industrie, commissariat général du Plan), d’autre part de représentants de la recherche (CEA), de l’industrie (EDF, constructeurs : Alsthom, Empain-Schneider, Péchiney-Ugine-Kuhlman, Saint- Gobain Pont-à-Mousson), etc. Elle jouera un rôle primordial dans les choix du programme électronucléaire français à partir de 1973. C’est elle qui va mettre au point la stratégie électronucléaire adoptée en 1973 par Pierre Messmer alors Premier ministre de Georges Pompidou.

A l’époque, deux évènements internationaux ont conduit à une accélération spectaculaire du programme électronucléaire français. Le conflit israélo-arabe et notamment la guerre du Kippour en 1973 ainsi que le premier choc pétrolier qui conduit le prix du pétrole à doubler deux fois en octobre 1973, mettent brutalement en évidence la dépendance énergétique des pays occidentaux et leur fragilité en la matière au moment où le pays connaît une extraordinaire croissance économique. Ces événements conduisent Pierre Messmer, premier ministre, à décider le 5 mars 1974 à accélérer encore ce programme. Cette histoire ne s’arrête pas en 74. Le plan Messmer trouvera 7 ans plus tard, en 1981, un inattendu promoteur avec l’arrivée de Pierre Mauroy, premier ministre de François Mitterrand. C’est sous les deux septennats de François Mitterrand que le programme nucléaire va prendre toute son ampleur : sur les 58 réacteurs que compte aujourd’hui le pays, 38 sont mis en service entre mai 1981 et 1995, année de l’alternance présidentielle.

Le Plan Messmer prévoit donc la construction de 4 à 6 réacteurs par an jusqu’en 1985. EDF, maître d’œuvre, envisage dans le même temps d’équiper environ trois millions d’habitats en chauffage électrique d’ici 1985. En 10 ans, le programme développé a été beaucoup trop puissant. Le surplus a été très vite atteint. D’où une politique d’exportation, jamais prévue à l’origine. Et une fragilité d’un système électrique ultra-dépendant d’une seule source d’énergie et d’une seule technologie (34 réacteurs de 900 mégawatt !). Cette fragilité transparait d’ailleurs aujourd’hui dans le discours récent de l’ASN sur le risque d’un défaut générique. http://www.asn.fr/index.php/content/download/38096/282337/file/Avis-2013-AV- 0180+du+16+mai+2013+Transition+%C3%A9nerg%C3%A9tique.pdf.

Et le corps des Mines ? Il est à la manoeuvre : dans la commission PEON outre son président, M. Jean Désiré Couture qui cumulait de 63 à 73 le rôle de secrétaire général de l’énergie, 3 des 9 autres membres de droit de la commission viennent du corps des mines. Par ailleurs, sur les 20 autres membres nommés pour 4 ans au 1er décembre 70, 5 sont membres du corps des mines : M. Blancard, vice-président du Conseil général des mines, délégué ministériel pour l'Armement ; M. Pierre Jouven, président-directeur général de Pechiney ; M. Jacques Mabile, directeur des Productions au commissariat à l'Énergie atomique ; M. Henri Malcor, président-directeur général de la compagnie Creusot-Loire (groupes Marine-Schneider) ; M. Paul-Albert Moch, vice-président de l'ERAP.

L'enrichissement d'Uranium, le péché de gourmandise :

Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire requiert de l’uranium enrichi (hors Uranium Naturel Graphite Gaz). Il existe quatre méthodes principales d’enrichissement dans le monde : par laser, par la chimie, par la diffusion gazeuse, ou enfin par centrifugation.

Si les deux premières ont été étudiées très tôt dans les années 80, ce sont les deux dernières qui ont jusqu’à présent été utilisées depuis le milieu des années 70. La France, comme un temps les Etats-Unis, ont optés pour la diffusion gazeuse quand les autres pays de l’enrichissement (Allemagne, Royaume-Uni et Pays-Bas) ont choisi la centrifugation. La France est alors convaincue d’avoir optée pour la technique d’enrichissement qui garantira l’indépendance de la France en matière énergétique ! Dès la décision entérinée, une association est créée, Eurodif, et chargée de la mise en œuvre du projet. L’année suivante le gouvernement Français confiait au CEA la construction de l’usine Eurodif et en 74 George Besse. Pourtant vers la fin des années 90, soit après seulement 20 années d’exploitation de l’usine du Tricastin, AREVA constate le manque d’efficacité de cette technologie par rapport à la centrifugation. En 2003, Areva signe un accord avec son concurrent, détenteur de la licence de centrifugation, URENCO. Après avoir dépensé d’importantes ressources et énergie dans le développement de la technique de diffusion gazeuse, la France achète le droit d’utiliser celle-ci à ses concurrents et démarre la construction de l’usine George Besse II.

Un retour en arrière, près de 30 années après la décision de la technique de diffusion gazeuse et la construction de 4 réacteurs à Tricastin (identifiés parmi les 5 centrales à fermer urgemment et devenues inutiles depuis la fermeture de George Besse I). Cette erreur industrielle est une nouvelle étape dans la perte d’influence de la France sur l’industrie nucléaire mondiale. Elle est le choix d’hommes politiques, à commencer par le premier d’entre eux, le président Pompidou en 1969, ses premiers ministres, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer, et les ministres de l’industrie, de l’économie, et de l’environnement de l’époque. Mais au-delà des hommes politiques, loin d’être experts, un bataillon de conseillers, souvent du corps des mines, étaient à l’origine de ces décisions.

(ajout tableau)

La filière Plutonium / Mox, le péché d'envie :

A suivre

2 - Leur influence : le corps de mines n’est pas un lobby auprès du pouvoir, c’est le pouvoir.

Le corps des mines a pour rôle de « concevoir et surtout animer la stratégie gouvernementale au sein d’un certain nombre de grandes Directions des Ministères Techniques et économiques" . Ce rôle particulier leur réserve de fait les places de choix parmi les conseillers politiques, ou à la tête des grandes entreprises de l’état et d’institution publiques. Le statut particulier du corps des ingénieurs des mines est détaillé dans un décret mis à jour en 20092.

L’influence du corps des mines sur la politique énergétique française provient de sa place privilégiée auprès des dirigeants : dans l’administration, les cabinets et entreprises. Au corps des Mines, la discipline est une valeur, le débat n’est pas intéressant, car seuls eux savent ce qui est bon pour la France. L’amicale du corps des Mines est, plus qu’une association d’anciens élèves, l’agence de ressources humaines du corps : "le souci de l’Amicale n’est pas de veiller aux carrières des mineurs mais au bon emploi de chacun" disait Raymond Lévy, ancien président de l’Amicale et ex- PDG d’Elf et Usinor.

Au sein de l’appareil d’état, des grandes entreprises et des institutions les Mines trustent les places depuis l’après-guerre, malgré les alternances politiques.

Un court panorama actuel des conseillers politiques, PDG et administrateurs suffit à illustrer que les corps de mines n’est pas un lobby auprès du pouvoir, c’est le pouvoir. Voici les "corpsards" qui ont aujourd’hui le pouvoir sur la politique énergétique de la France : Les conseillers : à l’Elysée : Olivier Lluansi, Conseiller industrie-énergie et son chargé de mission Julien Marchal au cabinet de Delphine Batho/Philippe Martin : Christophe Schramm, Conseiller technique chargé des énergies renouvelables, des réseaux, de l'efficacité énergétique et de la réforme du code minier, et Nicolas Ott, Conseiller Technique Energie. au cabinet de Pierre Moscovici : Blaise Rapior, Conseiller chargé de l'énergie, de la compétitivité et des politiques sectorielles au cabinet d’Arnaud Montebourg : Mathias Lelièvre, Conseiller technique en charge de la Conférence nationale de l'industrie et des filières. Par ailleurs en avril 2013, (corps de mines), accompagnée d’un ingénieur général des mines, s’est vue confier une mission auprès de Montebourg par le premier ministre, sur l’avenir industriel de la France. Jean Louis Beffa (X-Mines, pdt du CA de st gobains et pdt de l’amicale des mines) est un des visiteurs du soir du Ministre. au conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies sous la responsabilité du Ministère de l’économie, une quarantaine d’ingénieur des mines opèrent.

À la DGEC : Laurent Michel - Directeur générale de l'Energie et du Climat Pierre-Marie Abadie - Directeur de l'Energie Julien Tognola - Sous-directeur des marchés de l'énergie et des affaires sociales Charles-Antoine Louët - Sous-directeur de l'industrie nucléaire Sophie Rémont - Sous-directrice de la sécurité d'approvisionnement Clémence Marcovici - Chef de Bureau de la production électrique, Sous-direction du système électrique et des énergies renouvelables Antoine Caron - Adjoint au Chef de Bureau de la production électrique, Sous-direction du système électrique et des énergies renouvelables

Dans les institutions : au secrétariat général du débat sur la TE : Anne Lauvergeon au Comité de pilotage (= Mission sur l’Europe de l’énergie) à l’ASN : Pierre-Franck Chevet à l’IRSN : Jacques Repussard à l’Andra : Marie-Claude Dupuis Commissariat général au développement durable : Directeur adjoint, Bruno Verlon (Mines)

Les entreprises : au Medef : Direction générale, Michel Guilbaut (Mines). Direction du Développement durable (Jean-Pierre Clamadieu) chez Areva : Luc Oursel, Président du directoire chez RTE : Dominique Maillard, Président du directoire chez Alstom : Patrick Kron

3. Leurs intérêts : la main-mise sur les lieux de décision

L’influence du corps des mines s’est renforcée depuis l’après-guerre au travers du programme nucléaire. Leurs principaux bastions de pouvoir, au-delà des cabinets ministériels sont : le CEA, l’ASN, l’IRSN, l’ANDRA, la DGEC, et Areva ; en un mot, toute la sphère nucléaire française, mis à part le principal opérateur EDF.

Une politique énergétique qui viserait à s’écarter du nucléaire au profit des renouvelables et d’une baisse de la consommation d’électricité représenterait d’une part la perte de contrôle du corps des mines sur la politique énergétique française et d’autre part une rupture de logiciel pour un corps qui depuis 50 ans poursuit un but unique avec une constance étonnante : développer le programme nucléaire français.

En effet l’influence du corps des mines repose essentiellement sur leur expertise technique du système nucléaire et de leur présence à chaque niveau (politique, administratif, industrie et recherche) de ce système.

Si une politique énergétique de transition venait à être mise en œuvre, la place du nucléaire dans le mix énergétique s’en verrait réduite et avec elle celle du corps des mines... à moins que celui-ci évolue en reconnaissant l’efficacité tant énergétique qu’économique des renouvelables.

4. Leur chef de file : Jean-Louis Beffa, l’omniprésent :

Né en 1941, Jean-Louis Beffa est un ancien élève de l'École polytechnique et membre du corps des Mines. Il est diplômé de l'École nationale supérieure du Pétrole et de l'Institut d'études politiques de Paris. Il commence sa carrière comme ingénieur des Mines à Clermont-Ferrand (1967) avant d’entrer au sein de la direction des Carburants comme ingénieur, puis chef du service Raffinage et adjoint au directeur. En 1974, il intègre la compagnie de Saint-Gobain comme directeur du Plan. Il devient directeur général, puis président-directeur général de Pont-à-Mousson, tout en étant parallèlement directeur de la branche Canalisation et Mécanique de Saint-Gobain, de 1979 à 1982. Directeur général de Saint-Gobain depuis 1982, il en devient le PDG en 1986, lors de la privatisation de l’entreprise. Il s’est vu confier en 2004 par Jacques Chirac, alors président de la République, la rédaction d’un rapport (controversé dans le milieu industriel) sur la relance de la politique industrielle en France. En juin 2007, il quitte ses fonctions de PDG de Saint Gobain dont il continue de présider le conseil d’administration. Il est par ailleurs (entre autres) vice-président de BNP Paribas et administrateur de Gaz de France.

Jean Louis Beffa est président de l’amicale du corps des Mines ( http://www.mines.org/gene/main.php )depuis 2002. L'Amicale des Ingénieurs des Mines est une association loi 1901 regroupant des personnes appartenant ou ayant appartenu au Corps des Ingénieurs des Mines ou des Télécommunications. Selon ses statuts, le but de l'association est de créer des liens et de la solidarité entre ses membres. L'Amicale des anciens est gérée par un Conseil d'Administration qui a, selon un adhérent, "une vraie influence sur l'exercice du pouvoir en France» (http://www.liberation.fr/economie/0101429930-la-tete-du-corps-des-mines-un-reve-de- pdg).

Véritable cabinet de ressources humaines du corps des mines, l'Amicale et son président surtout place les corpsards dans les cabinets ministériels, entreprises d’état ou administration comme l’a fait longtemps un de ses prédécesseurs, Robert Pistre, qui plaça en son temps Anne Lauvergeon à la tête d’Areva (ex-Cogema). Olivier Lluansi (corps des mines http://fr.linkedin.com/pub/olivier-lluansi/49/601/167 ), précédemment membre de la direction de St Gobain, est aujourd’hui conseiller énergie du président de la République et doit sa place à son ancien patron, Jean Louis Beffa (PdG de Saint- Gobain de 1986 à 2007 et aujourd’hui président d’honneur et administrateur de Saint Gobain). Mathias Lelièvre (http://www.usinenouvelle.com/article/la-garde-rapprochee-d-arnaud- montebourg.N176442), corps de mines, ex-ASN, lui devrait aussi sa place au côté d’Arnaud Montebourg en tant que Conseiller technique en charge de la Conférence nationale de l'industrie et des filières.

Non content de veiller à la destinée du corps des mines et de ses membres, Jean Louis Beffa est actif au plus proche du président de la République et de ses ministres. Il est visiteur de François Hollande (ainsi que d’Arnaud Montebourg et plus récemment de Pierre Moscovici). Au printemps 2013 il remet à François Hollande et Angela Merkel un rapport sur la compétitivité co-signé par Gerhard Cromme (http://www.rapportbeffacromme.eu/), président du conseil de surveillance de Siemens (membre comme lui de la Table ronde des industriels européens (ERT), puissant lobby européen http://www.politis.fr/Ces-industriels-qui-conseillent,22807.html) et préparé par les membres d’un « groupe de travail franco-allemand » (Laurence Parisot, Hans Peter Keitel, ). Avec Jean Louis Beffa, le nucléaire est installé confortablement au plus proche des politiques.