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Actes du colloque organisé à l’Historial de Péronne

23 & 24 septembre 2014

introduction

Claude Ven, président de l’IHS CGT métallurgie © E. Barbara

e tiens d’abord à vous re- tallurgie de vous adressez toire, ont eu à subir les assauts mercier d’avoir répondu quelques mots d’accueil et de l'ennemi, il en est peu qui Jà notre invitation pour ce de vous présenter le lieu em- possèdent dans leurs annales colloque. blématique où nous avons la des titres aussi glorieux que la chance de pouvoir tenir les ville de Péronne… Le siège de Madame le maire de Péronne travaux de ce colloque. 1870-1871, pendant lequel la nous a annoncé sa présence ville de Péronne eut à suppor- parmi nous demain. Elle pro- Ici même, le 12 juillet 1914, ter un bombardement des noncera quelques mots au quelques jours avant le dé- plus violents, constitue un des nom de sa municipalité et clenchement de la Première titres dont cette cité peut, à tout à l’heure, Monsieur le di- Guerre mondiale, le président bon droit, s’enorgueillir. » recteur de l’Historial nous fera de l’époque, Raymond Poin- profiter d’une visite guidée caré, venait remettre à la ville Un peu plus d'un mois plus tard, de ses collections. la croix de la Légion d’hon- le 28 août 1914, les Allemands neur. Le décret officiel men- investissaient la ville. Ils seront Il me revient, en tant que tionnait : « [...] Au nombre forcés de l'abandonner le 15 président de l’Institut d’His- des villes frontières qui, aux di- septembre après la Bataille de toire Sociale CGT de la mé- verses époques de notre his- la Marne mais la réoccuperont

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 3 dessus du corps de son fils fut inaugurée le 20 juin 1926. Nous vous proposons d’y dé- poser demain une gerbe en hommage à tous ceux qui ont laissé leur vie sur cette terre durant le premier conflit mondial.

Permettez-moi d’évoquer la mémoire d’un enfant du pays. Écrivain célèbre, né à Péronne, Pierre Mac Orlan ins- tallé à Montmartre, sera mo- bilisé dès le 2 août 1914, pour finir blessé le 14 septembre L’entrée de l’Historial © E. Barbara 1916 ici même, à quelques pas de son lieu de naissance. à nouveau le 23 septembre et par l’aviation allemande, Démobilisé, il recevra la Croix la conserveront jusqu'en mars de nombreuses maisons du de guerre avant d’écrire le 1917 après le repli allemand sur centre ville sont incendiées. Quai des brumes que Marcel la Ligne Hindenburg. Elle sera Elle est évacuée peu après et Carné adaptera au cinéma anéantie lors de la réoccupa- ne sera libérée que le 1er sep- puis L’ancre de miséricorde tion par les Allemands de mars tembre 1944 par l’armée et la chanson Fanny de La- à août 1918. américaine. Le 11 novembre ninon, évocation de Recou- 1948 elle est citée à l’Ordre vrance, mon quartier d’en- Le 24 août 1919, Péronne re- du Régiment : « Ville à l'esprit fance à Brest. cevait cette citation à l'Ordre magnifique et au patriotisme de l'Armée: « Cité qui, au exemplaire. Point de pas- L’Historial de la Grande Guerre cours de cette guerre, s'est sage important, particulière- qui nous reçoit aujourd’hui a montrée digne de son pas- ment visé en mai 1940. À eu été inauguré à l’été 1992 sur sé. Tombée dès les premières le tiers de ses habitations dé- ce qui fut la ligne de front, où heures de la campagne sous truites, sept de ses fils tués et plus de vingt nations sont ve- le joug de l'envahisseur, dé- vingt autres touchés. Surmon- nues combattre au cours de livrée en 1917, captive de tant courageusement ses la Première Guerre mondiale. nouveau en 1918, ayant vu la épreuves et sa douleur, s'est rage de l'ennemi détruire sur remise avec cœur et achar- Parmi les plus terribles moments son territoire ce que le canon nement au travail. » de ce conflit, figure la bataille avait épargné, a mérité la re- de la Somme, aussi tragique connaissance du pays par la Comment s’étonner que le que la bataille de Verdun : de noblesse de son attitude. » monument aux morts de Pé- juillet à novembre 1916, elle ronne représente la « Picardie fit, toutes nationalités confon- Vingt ans plus tard, le 17 mai maudissant la guerre » ; la sta- dues, plus d'un million de morts, 1940, la ville est bombardée tue représentant une femme de blessés et de « disparus ». picarde dressant le poing au

4 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Conçu en 1986 par des spé- a été élu Musée Européen de depuis plusieurs mois de nom- cialistes internationaux, l’His- l’année en 1993. breux hommages et commé- torial met l'homme au centre morations. La CGT, par la voix des préoccupations, compa- Il accueille également un de son IHS national, a tenue rant l’Allemagne, la France et Centre de recherche histo- a être partie prenante du ca- le Royaume-Uni dans des do- rique qui regroupe des spé- lendrier officiel en organisant maines touchant aussi bien la cialistes universitaires venus un colloque qui se tiendra vie au front qu’à l’arrière. En du monde entier, associés au à l’hôtel de ville de Paris au restituant les conditions de vie musée dès l’origine. Associa- mois de novembre. Je vous et les mentalités des soldats tion de loi 1901, le Centre a invite à vous y inscrire au plus comme des civils, le musée pour objet de promouvoir la tôt. permet d'appréhender l'im- recherche scientifique sur les pact d'une guerre moderne, causes, le déroulement et les Comme pour chaque colloque industrielle et mondiale sur un conséquences du conflit. de portée nationale, notre IHS quotidien totalement boule- métallurgie s’inscrit dans sa pré- versé. Sa scénographie place Quel meilleur endroit que ce- paration et sa réalisation. C’est au centre les individus : sol- lui-ci pour tenir ce colloque ? notamment pour être porteurs dats, civils, prisonniers, po- d’éléments spécifiques et dans pulations occupées, dépla- L’IHS Métallurgie a déjà évo- le but d’enrichir cette initiative cées… Cette approche vise à quer la Première Guerre mon- que nous avons entamé ce tra- montrer l'humanité en guerre, diale lors d’un débat portant vail. dans une guerre totale, af- sur le pacifisme et les métallos fectant la société dans son face à la guerre dont le conte- Cette initiative n’est donc pas ensemble. nu fera l’objet d’une publica- un acte isolé mais plutôt une tion très prochainement. Tout nouvelle étape de recherche Mais au-delà des années autant, les éléments de cette et d’échange qui nous l’espé- de guerre proprement dites, présente initiative, seront re- rons vous incitera à la prolon- il propose aussi une ré- transcrits et diffusés par notre ger par des travaux complé- flexion sur les origines et les institut. Si nous disposons d’un mentaires. Nous ne pouvons conséquences du premier dispositif d’enregistrement de tout aborder, pourtant des conflit mondial. Matrice du nos travaux et de la présence thèmes mériteraient d’être XXe siècle, la Première Guerre d’une personne chargée de mis en chantier, notamment a des répercussions toujours la prise de notes, je me per- la place et le rôle des mé- actuelles, sur le plan géopo- mets toutefois de vous inciter tallos dans la poursuite de la litique et socioculturel. L'Histo- à envisager la rédaction de guerre. En effet, une fois pas- rial incite donc à la réflexion vos interventions afin de fa- sées les premières semaines, sur la nature de la violence et ciliter ce travail de compte l’évidence s’impose que ses mécanismes. rendu. cette guerre sera longue. Les armées s’enterrent et ce face- Sa présentation de la guerre Ces deux nouvelles journées à-face suppose une autre lo- sous tous ses aspects permet ont pour vocation de pro- gique et une anticipation des la réflexion sur la paix au re- longer le travail engagé. Le besoins. Dès lors, assurer l’ap- gard des épreuves passées et centenaire du déclenche- provisionnement en munitions du monde actuel. Il a reçu le ment de ce conflit majeur de et en armements devient une label « Musée de France » et l’histoire moderne fait l’objet priorité. Il faut rapidement ré-

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 5 activer l’industrie et pour cela portes d’un enfer qui allait sont aujourd'hui fraternelle- récupérer main-d’œuvre et durer quatre années. La plus ment assemblés dans une compétences. L’irruption en grande boucherie qui soit même indignation contre masse des femmes dans les en dehors des délires géno- l'agresseur et dans une même usines de la métallurgie, celles cidaires qui marqueront le foi patriotique. [...] Déjà de que l’on appellera pour par- XXe siècle. tous les points du monde ci- tie les « munitionnettes », de- vilisé viennent à elle les sym- vrait être l’objet d’une ana- Le 2 août 1914, la mobilisation pathies et les vœux. Car elle lyse. Tout comme le retrait générale est proclamée. Le représente aujourd'hui, une des ouvriers et techniciens du lendemain, à 18h30, le pays fois de plus, devant l'univers, front pour répondre aux be- est en guerre. la liberté, la justice et la rai- soins de production. Ce dis- son. Haut les cœurs et vive la positif de retour des métallos Près de trois millions d’hommes France ! » dans les usines portera le nom sont appelés sous les dra- « d’affectations spéciales ». peaux. Pour la première fois Après l’assassinat de Jaurès le Il sera l’objet d’un ressenti- c’est la nation qui se porte 31 juillet à Paris, une bouffée ment des poilus sur ceux qui aux frontières pour défendre de patriotisme a entraîné le échappent aux tranchées, le territoire national. Tous les ralliement de la gauche. La sur les embusqués. Cette hommes de 20 à 48 ans sont CGT annonce qu'elle met ses guerre sera aussi l’occasion mobilisables. locaux parisiens de la rue de d’un développement inespé- la Grange-aux-belles à la dis- ré de certaines entreprises. Il est stupéfiant, pour nous position du Service de santé La guerre sera ainsi un tour- qui connaissons la suite, de des armées ; Léon Jouhaux, nant pour de grandes aven- constater que cette armée secrétaire général, proclame tures industrielles à l’image de plusieurs millions de ci- lors des obsèques de Jaurès : des usines Renault, et le dé- toyens s’est mobilisée dans « au nom des organisations part de nouveaux secteurs l’ensemble avec une im- syndicales, au nom de tous comme l’industrie aéronau- mense bonne volonté. ces travailleurs qui ont déjà tique. Ces bouleversements, rejoint leur régiment et de pour certains spécifiques à la Le 4 août, Raymond Poincaré ceux, dont je suis, qui parti- métallurgie, se sont accom- fait lire une proclamation aux ront demain, je déclare que pagnés d’évolutions tech- assemblées : « La France vient nous allons sur le champ de nologiques et de nombreux d'être l'objet d'une agression bataille avec la volonté de conflits sociaux, vaste terrain brutale et préméditée qui est repousser l'agresseur ». Pre- où notre regard de militants un insolent défi au droit des nant acte de ces réactions, le est en mesure d’apporter un gens. Avant qu'une déclara- ministre de l’Intérieur renonce nouvel éclairage en lien avec tion de guerre nous eut en- à utiliser le Carnet B, même si les travaux de nos amis histo- core été adressée [...] notre quelques arrestations eurent riens. territoire a été violé. […] Dans lieu dans le Nord et dans le la guerre qui s'engage, la Pas-de-Calais. Toutefois des Mais ces quelques sugges- France aura pour elle le droit émeutes éclatent, au Havre tions ne sont pas encore à [...]. Elle sera héroïquement notamment, suite à des ma- l’ordre du jour. défendue par tous ses fils, nifestations pacifistes et à la dont rien ne brisera devant flambée incontrôlée des prix. Il y a un siècle s’ouvraient les l'ennemi l'union sacrée et qui Des femmes manifestent, des

6 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 liberté et le secret de la corres- pondance n'existent plus. La presse est censurée. Contrô- lée avant impression, les ar- ticles jugés peu patriotiques sont interdits à la publication, laissant parfois la place à des rectangles blancs.

Au fil des jours et des se- maines, le gouvernement ne cessera de répondre ou d’an- ticiper toutes les demandes de l’État-major qui dispose du droit de vie et de mort sur le citoyen soldat défenseur de La cour intérieure de l’Historial la nation. magasins sont incendiés et la Cette loi liberticide est la ré- Les tribunaux d’exception ville est mise en état de siège. ponse de la bourgeoisie qui a sont adaptés aux demandes Car tous n’ont pas renoncé eu peur lors des événements des militaires : il n’y a plus d’in- à poursuivre le combat pour de 1848. Plus jamais ça ! formation préalable à leur la paix, à l’image des mé- Contre la populace, il n’y a mise en place, leur composi- tallos CGT par la voix de leur qu’un seul remède : la force. tion est réduite à trois officiers, secrétaire général, Alphonse Un seul salut : l’armée. la comparution est immé- Merrheim. Mais ces événe- diate neutralisant la défense ments, contraires à l’image En ce mois d’août 1914, c’est qui n’est d’ailleurs pas évo- de « l’union sacrée » sont peu donc un gouvernement dé- quée dans les décrets d’ap- couverts par les journaux. mocratiquement élu qui se plication, la possibilité de désengage de ses responsa- révision du jugement est sup- S’il semble incontestable que bilités et confie les pouvoirs primée, l’autorité publique l’union sacrée a gagné, com- de police et de justice à la ne sera plus informée avant ment oser proclamer que cette hiérarchie militaire. l’exécution de la sentence. France d’août 1914 puisse être Pourtant les généraux rêvent l’image de la liberté et la jus- Les maires et préfets perdent encore de pouvoir fusiller sur tice pour les autres nations ? immédiatement leurs pouvoirs place au moindre écart et de police au profit des autori- n’hésitent pas à l’évoquer Dès le 2 août, par crainte des tés militaires ; l'armée peut ainsi dans leurs échanges avec réactions populaires face à la interdire les réunions, pratiquer l’État-major, ce qui laisse pré- mobilisation, le gouvernement des perquisitions de domicile sager que ce fut souvent le a mis l’ensemble du territoire et faire comparaître des civils cas. national sous le coup de la loi devant des tribunaux militaires de 1849. L’état de siège est (avec une procédure très sim- proclamé. plifiée et une exécution im- médiate de la sentence). La

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 7 plan de campagne se réduit à un ordre d’offensive géné- rale.

Alors, on lance les troupes, pa- rées de leur vieil uniforme bleu et rouge, dans des charges héroïques à la baïonnette. Pour l’État-major, la victoire est dans l’élan guerrier, la re- cherche du choc. L’impétuo- sité et l’héroïsme des soldats français vont écraser l’enva- hisseur.

Mais la puissance de feu est Les collections de l’Historial © R. Gauvrit telle qu’il est presque impos- sible d’arriver au contact de Henri Guernut, qui fut secré- tobre 1914 que dans les mois l’adversaire. C’est un mur de taire général de la Ligue des de mai et juin 1917, période feu que doivent affronter les Droits de l’Homme et dépu- de répression des mutineries. soldats qui partent à l’assaut. té radical-socialiste écrira : « Quand une justice érige en Pourquoi une telle hargne, Le résultat est atroce. En cette système le mépris des formes une telle précipitation ? année 1914 on compte en légales et fait de la précipi- moyenne 2 000 morts par jour tation une vertu, lorsqu’elle Il y a la crainte. L’État-major pour 900 sur les quatre années soumet l’esprit critique aux est inquiet sur la capacité qui vont suivre. La journée la plus exigences de la discipline et de l’encadrement militaire meurtrière de toute la guerre condamne par ordre au nom à maîtriser une telle masse ne se situe pas au moment du de la nécessité, il est écrit que d’hommes subitement bas- chemin des dames, de la ba- cette justice-là est vouée à culés de la vie civile aux né- taille de Verdun ou de celle de l’erreur ; elle ne peut en vérité cessités de discipline et de sa- la Somme. Dans la seule journée que rendre l’injustice comme crifice en situation de guerre. du 22 août 1914, on comptera la nuée dormante se résout 27 000 morts du coté français. en pluie d’orage. » Et puis rapidement la situation se dégrade et échappe au Dès le 20 août, un constat s’im- La messe est dite, à la patrie commandement militaire. pose, c’est la catastrophe : la en danger il faut une justice bataille des frontières est per- de terreur et l’application est Joffre, le généralissime, n’est due. Le spectre de la capitula- immédiate : entre août 1914 pas un stratège, officier du tion de Sedan se profile, c’est et janvier 1917, on compte génie, parvenu aux plus l’effondrement de 1870 prêt a plus de 20 condamnations à hautes fonctions grâce à ses se répéter. mort par mois et 8 exécutions. aptitudes d’adaptation au Il y aura plus de fusillés en oc- monde politique, son unique

8 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Joffre va alors faire porter la Le premier condamné pour combat pour la paix que vont responsabilité du désastre, l’exemple sera fusillé le mener quelques hommes dé- non à lui ou à son État-ma- 1er septembre 1914 devant le terminés. Attaqués, insultés, jor, mais aux exécutants. Les front des troupes. brocardés, poursuivis, parfois généraux n’ont pas été à la condamnés et emprisonnés, hauteur de leur tâche et la Le premier d’une longue série. ils sont aujourd’hui l’image troupe a fait preuve de réti- de l’honneur et du courage, cences devant la perspec- Louis Leleu, musicien bran- seuls défenseurs de la dignité tive du « sacrifice suprême ». cardier au 102e RI, Croix de humaine dans un monde qui L’accusation est grave et les guerre, écrira : sombrait dans un délire de conséquence terribles pour sang. les soldats. « Je me suis laissé dire qu’après la guerre, des fusillés avaient Je laisse maintenant la parole Le 21 août à 19 heures, il té- été considérés comme aux historiens avant qu’elle léphone au ministre: « L’offen- « Morts pour la France », ce ne vous revienne. Merci de sive, superbement entamée, qui serait une sorte de réha- votre attention. a été enrayée brusquement bilitation. Je ne sais si cela est par des défaillances indivi- exact mais, quant à moi, je Claude Ven, Président de duelles ou collectives qui ont crois sincèrement que beau- l’IHS CGT métallurgie entrainé la retraite générale coup de ces malheureux sont et nous ont occasionné de effectivement morts pour le très grosses pertes. J’ai fait re- pays, car c’est la France qui plier en arrière le 15ème corps les a appelés, et c’est pour qui n’a pas tenu sous le feu, elle qu’ils se sont battus, qu’ils et qui a été cause de l’échec ont souffert là où les menait de notre offensive : j’y fais leur tragique destinée et ce fonctionner ferme les conseils n’est pas un moment de dé- de guerre. » faillance physique ou morale qui peut effacer leur sacrifice. Après seulement quelques J’ose m’incliner devant leur semaines d’un conflit qui du- mémoire. Jugera qui voudra, rera 4 ans, épuisés par des à condition qu’il soit passé attaques condamnées à par là. » l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plon- Nous reviendrons dans la gés dans un désespoir sans séance de demain matin sur fond, victimes d’une discipline ces sacrifiés sur l’autel de l’in- dont la rigueur n’avait d’égal compétence et de la folie que la dureté des combats, les guerrière. soldats deviennent les boucs émissaires de l’incompétence Mais force est de constater, des autorités supérieures. Qui au-delà de toute analyse peut dire le nombre de ceux politique, économique ou qui seront exécutés dans le sociale de cette guerre que feu de l’action ? de telles réalités justifient le

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 9 Alphonse Merrheim et le pacifisme

Pierre Outteryck © E. Barbara

es deux années qui pré- politiques et donc de la jeune durée du service militaire obli- cédèrent la déclara- Section Française de l’Inter- gatoire. Certes, le 19 juillet 1913, Ltion de guerre, le 3 août nationale Ouvrière (SFIO). la loi des trois ans est votée par 1914, furent marquées par les députés et le 7 août par les une montée en puissance Pointons trois faits qui en sénateurs. Mais la protestation du mouvement ouvrier euro- France témoignent de l’in- demeure. Lors de son congrès péen et plus particulièrement fluence croissante du mouve- du 16 au 19 octobre 1913, la de ses composantes fran- ment ouvrier : majorité du parti radical main- çaises. tient son opposition à cet allon- 1| Malgré le congrès d’, gement. Dans beaucoup de pays, les dès 1912, sous l’impulsion de organisations syndicales sont Léon Jouhaux, la CGT décide 2| Aux élections législatives liées aux partis sociaux-dé- d’organiser avec la SFIO un de mai 1914, la SFIO et plus mocrates. En France, non ! combat de masse contre la largement les députés qui ont En 1906, lors de son congrès loi des trois ans. Voulue par les refusé la loi des trois ans ne d’Amiens, la CGT a affirmé milieux nationalistes et impé- sont pas battus. Au contraire, son indépendance, entre rialistes français, la loi des trois la SFIO gagne plusieurs sièges. autres à l’égard des partis ans décidait d’augmenter la Le Président de la République,

10 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Raymond Poincaré, ne par- L’importance du mouvement tallurgique et minier, est bien viendra pas à faire valider, ouvrier, de la Fédération de anciennement organisé. Le conformément à la Consti- la métallurgie et de ses diri- Comité des Forges a été créé tution, son premier candidat geants en 1864 avant d’être refondé au poste de Premier ministre, en 1884 pour s’adapter à la le vieux député de droite, Du 28 au 30 mai 1909, à la nouvelle législation. En 1906 Ribot. Il devra proposer une Bourse du Travail de Paris, se a été créée l’Union des in- seconde candidature, le ra- tient le congrès d’unité des dustries métallurgiques et mi- dical socialiste René Vivia- travailleurs de la Métallurgie. nières. Ces organisations pa- ni… Bon orateur certes mais Présidé par Léon Jouhaux, tronales sont de redoutables homme politique ondoyant trésorier intérimaire de la machines de guerre. Elles et au caractère peu affirmé. Confédération, ce congrès ont créé des « caisses d’as- rassemble 80 délégués de surances contre les grèves ». 3| Enfin, le mouvement syn- l’Union fédérale des ouvriers Elles ont colonisé l’appareil dical et plus particulière- métallurgistes, 24 délégués d’État, contrôlant de nom- ment la Fédération des mé- du Syndicat de la Fédération breux parlementaires, ayant taux, prend des positions très nationale des ouvriers mou- dans le gouvernement de la claires contre les dangers de leurs et 5 représentants de la Belle Époque des ministres is- la guerre, alors que Jean Jau- Fédération des ouvriers mé- sus de son sein comme Paul rès, leader de la SFIO et direc- caniciens. Doumer. De ce fait, ni la po- teur de l’Humanité, mène une lice ni l’armée ne feront dé- intransigeante campagne La nouvelle Fédération faut pour réprimer les gré- pour la paix. compte 15 000 syndiqués et vistes, souvent avec violence en comptera 24 000 à son comme à Cluses en 1904, à Peu importe de savoir si l’as- congrès de 1913. Elle est di- Villeneuve-Saint-Georges en sassin de Jaurès, Raoul Villain, rigée par quatre secrétaires 1907. a été directement manipulé ! fédéraux parmi lesquels Rappelons que la droite et Merrheim, Lenoir, et Blan- En novembre 1913, le deu- l’extrême-droite avait chauf- chard. Dans ses statuts, la Fé- xième congrès de la Fédé- fé à blanc une part de l’opi- dération se situe clairement ration des Métaux se réunit. nion publique réclamant dans le combat de classe : Ce congrès est d’une im- l’assassinat du dirigeant pa- « Deux classes bien distinctes portance capitale. Il se si- cifiste. L’assassinat de Jaurès et inconciliables sont en pré- tue dans une période où le le 31 juillet, la capacité avec sence : d’un côté ceux qui mouvement syndical fran- laquelle le gouvernement va détiennent le capital et qui çais vit de profonds débats utiliser ce meurtre prémédité sont des parasites ; de l’autre, quant à ses orientations stra- pour manipuler l’opinion vont les producteurs, qui sont les tégiques. Alphonse Merrheim briser l’élan du mouvement créateurs de toutes les ri- joue tant au niveau fédéral ouvrier en France et en Eu- chesses, puisque le capital ne qu’au niveau confédéral un rope. se constitue que par un pré- rôle essentiel. Il se bat en effet lèvement effectué au détri- contre le courant du syndica- ment du travail. » lisme d’action directe et ses mots d’ordre souvent creux. Face à cette organisation Il défend dans les limites de syndicale, le patronat mé- l’époque un syndicalisme de

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 11 masse dans lequel l’éduca- forts que nous avons vus peu le militarisme, principal instru- tion populaire jouerait un rôle organisés au niveau interna- ment de la domination de particulièrement important. tional. En revanche, excepté la classe bourgeoise et de la pour la France et les États- sujétion politique de la classe En même temps, le syndica- Unis, des délégués syndicaux ouvrière. » lisme s’organise au niveau siégeaient aux congrès de la européen et mondial. Dès IIe Internationale. En 1907, lors « … Les guerres ont donc leur 1883, les premières rencontres du congrès de Stuttgart, Jau- racine dans la nature même ont lieu entre métallos syndi- rès analyse les contradictions du capitalisme : elles ne ces- calistes européens. En août du système impérialiste : « L’es- seront que lorsque le régime 1904, se structure la Fédéra- sence du capitalisme est de capitaliste cessera d’exister ; tion internationale des ou- produire des guerres ; c’est la autrement dit que lorsque vriers sur métaux (FIOM). Son loi d’airain de la guerre, mais l’énormité des sacrifices hu- siège sera fixé à Stuttgart (Al- le socialisme peut y mettre le mains et des dépenses qui lemagne). Son premier secré- holà. Il dépend du prolétariat découlent du développe- taire sera le métallurgiste al- de tenir en échec les forces ment de la technique militaire lemand Alexander Schlicke. de brigandage et de conflit. et la colère provoquée dans Il restera à ce poste jusqu’en C’est d’autant plus facile le peuple par les armements 1920. que le mobile capitaliste des auront entraîné l’élimination guerres apparaît mieux à dé- de ce système… » En 1910 à Birmingham (An- couvert. Le prolétariat serait gleterre) et en 1913 à Berlin criminel s’il hésitait… » Voici brièvement les condi- (Allemagne) se tiennent les si- tions dans lesquelles va s’an- xième et septième congrès de Dans son ouvrage, Pour la crer et se déployer l’action la FIOM. Alphonse Merrheim CGT, mémoires de luttes, d’Alphonse Merrheim dans participera à ces congrès. À 1902-1939, Benoît Frachon, se- les années qui précédent la cette date, la FIOM compte crétaire général de la Confé- Première Guerre mondiale. plus d’un million de membres, dération, donnait à lire les la moitié est composée de conclusions de ce congrès : Attachons-nous maintenant syndicalistes allemands. En « … Les guerres entre États ca- à connaître qui était ce grand 1913, l’optimisme marque les pitalistes sont ordinairement dirigeant du mouvement syn- débats et le congrès s’en- provoquées par la concur- dical de notre pays. gage à mener une lutte in- rence existant entre ces États transigeante contre la guerre. sur le marché mondial. Cha- De Roubaix à Paris, Alphonse cun s’efforce en effet non Merrheim Déjà dès 1907, les congrès de seulement de se garantir des la IIe Internationale avaient débouchés, mais encore de Né le 7 mai 1871 à La Ma- analysé les dangers de guerre conquérir de nouvelles ré- deleine (Nord) dans une fa- et soulignaient la nécessité du gions et dans ce domaine, mille d’ouvriers, Alphonse rassemblement de la classe c’est l’asservissement des Merrheim quitta l’école à ouvrière dans la lutte pour peuples et des pays étran- l’âge de dix ans pour travail- la paix. N’oublions pas que gers qui joue le rôle principal. ler dans une savonnerie. Sa dans ces premières années Les guerres sont provoquées famille s’était fixée à Roubaix. du XXe siècle, le mouvement ensuite par les armements ef- À 12 ans, il entre en apprentis- syndical était malgré les ef- fectués en permanence par sage comme chaudronnier.

12 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Dès 1904, Merrheim joue un rôle important au sein de la Confédération. Cette an- née-là par exemple il rend hommage au nom de la CGT aux victimes de la fusillade de Cluses. Aux congrès de la CGT, il s’oppose à Renard et aux militants du Parti Ouvrier qui veulent contrôler le mou- vement syndical et l’assujet- tir au Parti. Il s’oppose aussi à Yvetot et à son antipatriotisme aveugle. En même temps, soucieux de la formation des dirigeants et militants, À. Les collections de l’Historial Merrheim étudie le méca- nisme des grèves et rédige Roubaix était à l’époque un tion du Cuivre, Bourchet. Dès des monographies dès 1905 et grand pôle industriel comp- lors, il œuvre pour l’unité des 1906. En 1908, il va au-delà de tant plus de 100 000 habitants, métallos et de leurs organisa- ses premiers écrits. Il étudie les surnommée la Manchester tions syndicales ; l’unité sera structures économiques : pour du Nord, elle était devenue réalisée comme nous l’avons lui les syndicalistes ne peuvent un grand centre textile. La vu au congrès de 1909 (Fédé- discuter avec les ingénieurs classe ouvrière dont près de ration des ouvriers en métaux et les patrons s’ils n’en savent 50 % était d’origine belge, y et similaires de France). Il en pas autant qu’eux dans les vivait dans des conditions très devient un des quatre secré- domaines de la technique et difficiles. Pour des raisons de taires fédéraux. Selon son ca- de l’économie politique. Ainsi, santé, À. Merrheim dut arrêter marade Lenoir, il continue à il étudie de près le fameux Co- son apprentissage. À dix-huit détester les « braillards et dé- mité des Forges. ans, il devient tisseur. En 1890, magogues » du syndicalisme il adhère au Parti Ouvrier Fran- révolutionnaire. Merrheim s’engage donc çais (POF), déjà solidement dans une démarche profon- implanté dans les quartiers Merrheim s’impose par son dément moderne et nova- ouvriers. Mais profondément énergie et sa puissance de trice. Selon lui, le combat de hostile à la violence il quitte le travail. Il se lie d’amitié avec classe que mènent les tra- POF au lendemain du 1er mai , avec qui il vailleurs ne peut se faire sans 1891. À cette date, il est re- crée La Vie ouvrière. Comme une connaissance précise du devenu chaudronnier et mul- le signale Benoît Frachon, patronat et de ses choix éco- tiplie les efforts pour créer le ce jeune organe syndical nomiques. À son sujet, Pierre syndicat professionnel dont n’hésitait pas à multiplier les Monatte, qui le connaît bien, il fut le secrétaire de 1893 à rubriques sur les luttes syndi- écrira : « Personne n’a fait plus 1904. En 1904, il arrive à Paris cales en Europe et à faire des que Merrheim pour adapter le pour remplacer le secrétaire analyses fines sur le syndica- syndicalisme à la lutte contre démissionnaire de la Fédéra- lisme et le capitalisme. le grand patronat moderne ».

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 13 De tout ce travail intellectuel assistons à plusieurs phénomènes Merrheim au congrès de Tou- naîtra en 1913, l’ouvrage qu’il en apparence contradictoires. louse. Mais celui-ci rompra en publia avec Delaisi : La Mé- 1913 avec Delaisi qui mettait tallurgie, son origine et son > En 1909, nous l’avons violemment en cause l’indé- développement. Les forces vu, s’était créée, réellement, pendance financière del’Hu - motrices (c’est-à-dire le Co- la Fédération des travailleurs manité, le journal de Jaurès. mité des forges). Professeur de la métallurgie, regroupant d’histoire, proche des milieux les syndicalistes de plusieurs Sans doute les attaques de syndicalistes, Delaisi insistait métiers. Le même processus Delaisi avaient-elles des ra- sur la nécessité de considé- s’était déroulé parmi les cor- cines profondes. Plusieurs di- rer les luttes ouvrières contre porations des ouvriers des rigeants de la Confédération le patronat comme des en- bâtiments ; la puissante fédé- depuis 1906 avaient cherché treprises sérieuses et dont le ration du bâtiment était née à faire paraître un quotidien succès était conditionné par avec ses 60.000 membres. syndical. Il aurait concurren- la connaissance approfon- Des organisations similaires cé l’Humanité ; le journal de die des milieux capitaliste et s’étaient constituées dans Jaurès, son ouverture à tous ouvrier au moment où était d’autres branches indus- les courants ouvriers et syn- lancée une grève. Il estimait trielles, dans l’alimentation ou dicaux, aux coopérateurs et que les ouvriers ont à acqué- les transports… mutualistes gênait beaucoup rir les capacités économiques de dirigeants anarcho-syndi- indispensables s’ils veulent > Dans de nombreux calistes prépondérants dans transformer un jour la société. syndicats, comme parmi les la CGT. cheminots, les dirigeants ré- En même temps, Merrheim formistes vont être écartés au Mais le quotidien syndical étudie les nouvelles formes profit de syndicalistes d’ac- Révolution né à l’initiative de d’exploitation, en particu- tion directe. Pouget ne durera pas plus de lier le travail à la chaîne et le 40 jours. Cet échec atteste chronométrage qui se déve- > La succession de Grif- des difficultés que vivent les loppement dans l’industrie, fuelhes va entraîner de vifs vieux militants du syndica- plus précisément dans l’au- débats. Niel, de tendance lisme révolutionnaire. Il inci- tomobile, sous l’influence du réformiste, va être élu secré- tera Pierre Monatte à publier taylorisme et du fordisme. taire confédéral. Mais très une nouvelle revue bimes- vite, Léon Jouhaux, issu du trielle, La Vie ouvrière. Ces analyses vont largement syndicalisme révolutionnaire, nourrir La Vie ouvrière dont il va prendre la direction de la Merrheim sera un des artisans est l’un des rédacteurs dès les CGT. de cette publication. Il y col- premiers numéros de la revue labore tout en demeurant fin 1909. > Enfin, les débats autour secrétaire général de la Fé- de la loi des trois ans (pro- dération de la métallurgie. Sa Merrheim, face à la guerre longation du service militaire présence donnera une aura obligatoire) vont entraîner certaine à La Vie ouvrière. Dans les cinq années qui précé- des rapprochements entre la dèrent la guerre, la CGT vit une CGT et la SFIO. Certes des op- L’étude des mécanismes profonde transformation ; certains positions demeurent comme économiques y conduisit parleront même de crise. Nous le montrent l’intervention de Merrheim à découvrir le choc

14 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 des impérialismes et la rivalité dans de nombreux congrès. membre durant quelques des puissances. Dans plusieurs La Fédération internationale années du SPD mais ses pra- articles dès le début de 1911, des ouvriers métallurgistes tiques proches du syndica- il considère la guerre comme avait son siège à Stuttgart et lisme révolutionnaire entraî- imminente, elle sera, selon lui, son président était profondé- nèrent son exclusion. Dès le le résultat inévitable de l’ac- ment lié à la social-démocra- 3 août 1914, il s’opposera à la cumulation capitaliste. Ain- tie allemande, comme la très guerre ; des journaux syndica- si au début de 1913 lors du grande majorité des syndi- listes comme Die Pioneer et congrès des Bourses du Tra- cats d’Outre-Rhin. Quant aux Die Frienigkeid seront affichés vail, il attaquera sévèrement organisations syndicales, leur dans les lieux publics. Très vite Gustave Hervé et ceux qui ne Internationale avait son bu- le gouvernement allemand voient dans la cause d’une reau à Amsterdam. interdira cette presse pacifiste guerre franco-allemande et des organisations récalci- qu’un conflit lié à l’Alsace-Lor- Sans aucun doute, les syn- trantes. Dès le mois d’août, raine. Pour lui, la guerre à ve- dicats français étaient les le bourgfrieden sera à l’ordre nir sera un choc des impéria- plus traversés par des dé- du jour. Le bourgfrieden était lismes. bats concernant la guerre l’intégration complète des or- et la paix. Et les travaux de ganisations syndicales et poli- L’attentat de Sarajevo le Merrheim avaient profondé- tiques du mouvement ouvrier 28 juin 1914 n’inquiète pas ment marqué nombre de au sein de l’appareil d’État outre mesure le mouvement dirigeants. En Allemagne, dans le cadre d’une Union syndical comme l’indique en Angleterre, syndicats et Sacrée à l’allemande. En Al- Pierre Monatte, lui-même trade-unions étaient profon- lemagne comme en France, cheville ouvrière de La Vie dément liés au SPD ou au La- les libertés démocratiques ouvrière. Les deux numéros bor party. L’indépendance étaient suspendues, le droit du mois de juillet 1914 (5 et de la CGT à l’égard du Parti de grève interdit, la censure 20 juillet) portent sur la mon- Ouvrier était une exception. de rigueur. tée des luttes en particulier En Allemagne, le mouvement en Italie. Comme nous l’avons syndical avait été profondé- En France, à la fin du mois indiqué dans notre travail per- ment marqué par la politique de juillet, l’inquiétude gran- sonnel sur Jaurès, Jean Jau- de Bismarck visant à intégrer dit. Mais comme le montre rès, Bruxelles-Paris, le dernier la classe ouvrière au sein de la lettre du 30 juillet de Ros- voyage…, les chancelleries la société et des structures mer à Monatte, l’organisa- elles-mêmes n’étaient pas en étatiques d’un deuxième tion d’une grande manifes- alerte. Et le 5-6 juillet, à Kiel, Reich parcouru par la vio- tation le 9 août à Paris pour Guillaume II et François-Jo- lence d’un antisémitisme qui l’ouverture du congrès de seph n’envisageaient qu’un rendait difficile la cohésion l’Internationale Ouvrière offre conflit limité à la Serbie et à de la classe ouvrière. une perspective de mobilisa- l’Autriche-Hongrie. tion pour la paix. Le 30 juillet Pourtant, en 1897, un syndi- en début de soirée, Jaurès Précisons que les organisations cat autonome le FVDB avait avait rencontré Jouhaux et internationales du mouve- vu le jour à Halle. Il était im- Merrheim. Ils les avaient faci- ment syndical étaient encore planté parmi les mineurs et lement convaincus de mobili- faibles. La solidarité interna- dans quelques usines mé- ser et de manifester le 9 août. tionale était peu évoquée tallurgiques de la Ruhr. Il fut

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 15 Les collections de l’Historial

Ici encore Merrheim était en allemand qui nous poussera sur ment ouvrier ; sans consigne première ligne. les champs de bataille, c'est précise, les dirigeants syndi- la haine de l'impérialisme alle- caux ont rejoint leurs régiments Mais comme l’indique Monatte mand ». et casernes. Toute la presse, y dans ses mémoires, le mouve- compris l’Humanité, fait chorus ment syndical demeurait fragile Le tour est joué… Silence sur avec le gouvernement pour et divisé. Peu organisé interna- les milieux d’extrême-droite accepter la mobilisation et la tionalement, il allait s’effondrer français, sur les courants na- guerre. La répression frappe dès le début du mois d’août. tionalistes et sur l’impérialisme des centaines de dirigeants Dès le 1er août, la CGT fait un du patronat de notre pays. syndicalistes. À Lille, Jules De- communiqué en retrait par rap- Jouhaux ment, il ne va pas lahaye (syndicat des métallos) port aux décisions de congrès. partir, il le sait. Les tractations et à Douai, Demambus (tré- Lors de l’enterrement de Jaurès ont déjà commencé entre le sorier des métallos de Douai), le 4 août, Jouhaux s’exclame- gouvernement Viviani, la CGT sont arrêtés. Le carnet B four- ra : « Au nom de ceux qui sont et la SFIO. nit les listes de militants syndi- partis et de ceux qui vont par- calistes. La répression durera tir - dont je suis -, je déclare que En même temps, la mobilisa- bien après l’été. Le dirigeant ce n'est pas la haine du peuple tion a désorganisé le mouve- socialiste Renaudel s’en vante-

16 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 ra auprès d’un dirigeant socia- demeurer le coordinateur de bert Grimm rencontre les diri- liste suisse à la fin de novembre la Confédération à Paris alors geants de la SFIO totalement 1914. Pierre Monatte sera au que les autres dirigeants sont impliqués dans l’Union Sacrée début de 1915 versé des ser- au bord de Garonne. Ceci et qui refusent de reprendre vices auxiliaires dans des régi- montre que, quoique minori- tout contact. Robert Grimm ments qui seront en premières taire, Merrheim continue de ne renonce pas ; il s’efforce lignes durant toute la guerre. jouir d’une audience et d’une de rencontrer les opposants aura certaines. Une part non de la Confédération et par- Durant ce début du mois négligeable du mouvement mi eux Alphonse Merrheim. Le d’août, comme l’indique ouvrier a du mal à accepter rôle de Merrheim sera donc Pierre Monatte, Alphonse l’Union Sacrée. double : il participe aux re- Merrheim hésite. Voulant lations internationales qui se maintenir l’unité syndicale, Renouer des contacts inter- nouent au niveau syndical et il refuse d’affronter frontale- nationaux à celles qui rassemblent des ment Jouhaux et la direction membres d’organisations po- confédérale. Mais dès la fin Dès l’automne 1914, les or- litiques. du mois d’août, il interpelle ganisations syndicales et po- vigoureusement Léon Jou- litiques du mouvement ou- Ces rencontres sont parfois haux ; il lui reproche son en- vrier cherchent à reprendre ambiguës. Une première a trée au Secours national dans des contacts. En France, lieu à Londres le 14 février lequel il collabore avec les Alphonse Merrheim va être 1915. Il s’agit en effet d’une nationalistes et syndicalistes au cœur de ces premières réunion concernant unique- Maurras et Barrès avec Bled, rencontres qui vont souvent ment les partis socialistes du responsable du Syndicat des mêler des dirigeants de la Royaume-Uni, de France et métaux de la Seine. Quelques IIe Internationale et de l’In- de Belgique. Merrheim ne s’y jours plus tard, il stigmatise Jou- ternationale Syndicale. Les rend qu’avec beaucoup de haux qui a accepté un poste Pays-Bas et la Suisse qui ne réticences. de commissaire à la Nation participent pas au conflit afin d’entretenir dans toute la vont abriter des réunions. Le En revanche, en mars 1915, il France la flamme patriotique. mouvement syndical et les prend connaissance de l’ap- Le 26 août, l’Union Sacrée partis sociaux-démocrates pel des socialistes minoritaires était totalement scellée, Jules de Scandinavie vont essayer allemands : Karl Liebknecht, Guesde et Marcel Sembat de jouer un rôle de liens et de Clara Zetkin, Franz Mehring et entraient au gouvernement. rassembleur. Rosa Luxemburg. Cet appel Début septembre, Merrheim est pris en compte par la Fé- s’oppose également au dé- Dès le mois de novembre dération des métaux et la pe- part du bureau confédéral 1914, Robert Grimm, dirigeant tite Fédération des tonneliers à , comme le de- socialiste suisse vient à Paris. que dirige Bourderon. Ces mande le gouvernement Déjà des dirigeants socia- deux fédérations ont main- alors que les troupes alle- listes des pays neutres envi- tenu des contacts avec leurs mandes marchent vers Pa- sagent de mettre au point adhérents dont le nombre a ris. Mais, à l’inverse de Pierre une réunion internationale en fortement diminué : plus de Monatte, Merrheim ne démis- Suisse : ce sera la réunion de 30 000 en 1913, 14 000 à la sionne pas. Soutenu par Raoul Zimmerwald qui se déroulera fin de 1914, et 1 083 en 1915. Lenoir, il accepte même de dix mois plus tard. À Paris, Ro-

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 17 Nous avons cependant trou- avaient manifesté. Un mot les premiers jours du conflit : vé des traces de ces inter- d’ordre commun : la journée « Cette guerre n’est pas notre ventions auprès de certains de 8 heures ! guerre ». militants trop âgés pour être mobilisés ou renvoyés dans des Ce 1er mai 1915, grèves et Ce texte qui met en cause le usines comme affectés spé- manifestations seront inter- Bureau confédéral sera cen- ciaux. Benoît Frachon sera de dites. Néanmoins, la Fédéra- suré mais la Fédération des ce nombre. Le communiqué tion des métaux n’oubliera métaux le fait très largement de la Fédération des métaux pas cette date. Depuis août circuler parmi ses adhérents est explicite : « considérant que 1914, l’Union des Métaux, or- et en dehors même des mi- les termes mêmes de ce ma- gane de la fédération avait lieux métallurgistes. Ainsi la nifeste expriment la pensée cessé de paraître. Alphonse Fédération des métaux de- intime des travailleurs français Merrheim et ses camarades vient plus encore un pôle de restés fidèles à leur idéal interna- décident de faire réappa- contestation et le centre de tional ; que, par ce manifeste, raître cette publication. Ce la lutte contre la guerre. les ouvriers allemands font ap- premier numéro de la guerre pel à l’Internationale pour que, portera la mention « août Durant la fin du printemps et dans tous les pays, on les aide 1914-mai 1915 ». Un appel y l’été 1915, les militants qui re- et qu’on travaille à une rapide figure en première page. En fusent la guerre préparent conclusion de la paix. Non pas voici le texte avant qu’il ne soit activement et dans une se- d’une paix militariste, non d’une censuré : « Ce jour de 1er Mai, il mi-clandestinité la confé- paix avec conquête impéria- y aura neuf mois que, suivant rence de Zimmerwald. liste, mais d’une paix basée les nobles, véridiques et cou- sur les principes suivants : pas rageuses paroles de Karl Lieb- Zimmerwald est une petite ville d’annexions, l’indépendance knecht le 2 décembre 1914, le suisse. La réunion s’y tiendra politique et économique de mot d’ordre allemand contre du 5 au 8 septembre 1915. Elle chaque nation ; le désarme- le tsarisme, tout comme le regroupe 38 délégués parmi ment général ; l’arbitrage obli- mot d’ordre anglais et fran- lesquels ceux des partis socia- gatoire ». çais contre le militarisme, a listes des pays neutres qui s’y servi de moyen pour mettre rendent officiellement. Sont Ce texte ne mérite aucun en mouvement les instincts aussi présents les délégués de commentaire : il est explicite, il les plus nobles, les traditions partis en guerre : Russie, Italie, tranche clairement avec les po- et les espérances révolution- Lituanie et Pologne. À leurs sitions favorables à la guerre et à naires du peuple au profit de côtés siègent des minoritaires l’Union Sacrée de la direction de la haine entre les peuples... des partis d’Allemagne et de la Confédération et de la SFIO. Nous avons tenu, en ce jour France. Alphonse Merrheim de 1er Mai, à répéter pour tous et Albert Bourderon (de la Fé- Depuis bientôt 25 ans, le nos militants, nos adhérents, dération des tonneliers) y sont 1er mai est une date impor- nos organisations, nos cama- aussi présents. Ils représentent tante dans l’activité du mou- rades d’Allemagne et d’An- les minorités pacifistes fran- vement syndical. Pour la pre- gleterre, d’Autriche-Hongrie çaises : ils sont les rares syn- mière fois en 1890, dans les et de Belgique, et toutes les dicalistes à être venus à Zim- pays industrialisés, des cen- nations unies par l’Internatio- merwald. taines de milliers d’ouvriers nale, ce que nous disions, ce étaient entrés en grève et que nous avons déclaré dès

18 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Les débats sont vifs. Lénine ne « En dénonçant l’Union Sa- Le gouvernement éprouve en parvient pas à faire adopter crée, en restant ferme- effet d’importantes difficultés ses idées selon lesquelles la ment attachés à la lutte des pour endiguer la protestation guerre impérialiste devrait se classes qui servit de base à pacifiste. Il choisit la seule so- transformer, sous l’impulsion la construction de l’Interna- lution à sa portée : interdire à des prolétaires, en une guerre tionale Socialiste, nous, so- Merrheim de se rendre à cette civile européenne, opposant cialistes et syndicalistes alle- seconde conférence interna- les bourgeoisies à la classe mands et français, puiserons tionale. ouvrière. la fermeté de lutter parmi nos nationaux contre cette af- Pourtant dès cette année La conférence de Zim- freuse calamité et pour la fin 1916, Alphonse Merrheim avait merwald va avoir un impact des hostilités qui ont déshono- perdu de son acuité. En 1917, certain, en particulier en ré l’humanité. » il soutient les propositions du France. Des dirigeants socia- président américain Wilson et listes vont tout faire pour em- Ici encore le texte est expli- se détache des oppositionnels pêcher que les débats soient cite. Remarquons néanmoins au sein de la Confédération. connus. La Commission admi- qu’aucune allusion n’est faite Mais déjà toute l’action qu’il nistrative du Parti socialiste de- aux différents actes de frater- a menée commence à por- mande fermement à ses ad- nisation accomplis huit mois ter ses fruits ; dès 1916-1917, le hérents d’éviter tout contact auparavant lors de Noël 1914. mouvement ouvrier est sorti de avec Merrheim et Bourderon, Plus de 100 000 soldats fran- sa léthargie, le chloroforme de qualifiés d’hérétiques. La di- çais, britanniques et allemands l’Union Sacrée a de moins en rection confédérale fait tout y avaient participé. Seule la moins d’effets. Au front, plu- pour étouffer leurs voix. presse britannique en parlera. sieurs centaines de Poilus, sou- vent issus des luttes ouvrières Mais Alphonse Merrheim et Alphonse Merrheim et la Fé- et paysannes font grève et re- la Fédération des métaux ne dération des métaux ont donc fusent de monter au combat. cèdent pas. Ils publient une joué un rôle important comme À l’arrière, grèves et cessations brochure relatant les travaux ferment de la lutte contre la de travail se multiplient. et les conclusions de la confé- guerre, ils ont largement contri- rence en Suisse. L’une d’entre bué à diffuser des idées paci- Comme l’avait prévu Jaurès, elles est particulièrement signi- fistes et à organiser dans des la violence, la brutalité de ficative : « Cette guerre n’est conditions difficiles ceux qui cette guerre est en train d’ac- pas notre guerre… Pas d’an- s’opposaient à la boucherie. coucher de nouvelles formes nexions, effectives ou mas- Ils le font sur des positions de de luttes et au moins en Rus- quées ; le droit des populations classe, évoquant l’irréductibili- sie d’un monde nouveau. à disposer de leur sort doit être té de la lutte des travailleurs à Certes Merrheim ne s’inscrit intégralement observé. Nous tout compromis avec le patro- pas dans ces nouvelles pages prenons l’engagement formel nat et les gouvernements à sa d’histoires mais il a contribué d’agir inlassablement dans ce solde, comme celui de l’Union par ses positions en 1914-1915 sens, dans nos pays respectifs, Sacrée. à les écrire. afin que le mouvement de la paix devienne assez fort pour En 1916, Merrheim n’obtient Pierre Outteryck, Historien imposer à nos gouvernants la pas de passeport pour se cessation de cette tuerie. » rendre à Kienthal en Suisse.

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Débat avec la salle

La salle du colloque © E. Barbara

> Jean-François Caré > Michel Le Gac législatives de 1914 sur la base de son opposition à cette loi, La difficulté, c’est qu’il existe Je tiens à faire remarquer que je trouve sidérante la façon très peu d’écrits de cette la pratique de l’« affecté spé- dont les choses ont bascu- époque. La Confédération et cial » a longtemps concer- lé après l’assassinat de Jau- presque tous les syndicats de né les ouvriers de l’industrie, rès. Cela reste pour moi une la CGT avaient rallié l’Union notamment ceux de l’aéro- énigme. sacrée et les seuls textes se nautique puisque je fus moi- trouvent dans les parutions même concerné après mon > Pierre Outteryck de la fédération de la Mé- service militaire en 1973. tallurgie. Si vous en trouvez, Le carnet B a été mis au point nous pourrons bâtir le premier Concernant le carnet B, une dizaine d’années avant document de la fédération alors que l’on assistait à une 1914 dans le but de recenser des métaux sur la Première montée de l’opposition à la les militants pacifistes les plus Guerre mondiale. guerre, qui se manifesta no- engagés (anarchistes, syndi- tamment contre la loi des calistes, socialistes), dont on trois ans, puis par la poussée comptait alors plusieurs mil- électorale de la SFIO lors des liers.

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 21 Le 30 juillet 1914, en revenant le mouvement ouvrier. Par- 1917 ? À un moment donné, de Bruxelles, Jaurès vit le pré- mi les milliers de fusillés pour les choses s’accélèrent dans sident du Conseil, Viviani, qu’il l’exemple, depuis le premier un sens ou dans un autre connaissait bien, et lui deman- en septembre 1914 jusqu’à mais je demeure persuadé da que le carnet B ne soit pas 1918, combien étaient inscrits qu’avant de s’effondrer sous utilisé. S’il fit cette demande, au carnet B ? Ce n’est d’ail- les balles de Villain, le 31 juillet c’est parce qu’il savait que leurs pas un hasard si dans la 1914, Jaurès pensait encore l’un des freins à la lutte est la Chanson de Craonne, créée que la guerre était évitable. répression, et donc la peur. Si entre décembre 1914 et avril Jaurès avait eu le temps d’ob- 1915, on parle de « sacrifiés » > Louis Moret tenir de Viviani que le carnet et de soldats en « grève », B ne soit pas utilisé, cela au- terme qui fait partie de l’his- À-t-on senti une évolution rait été un moyen de donner toire du mouvement ouvrier. dans le mouvement syndical une nouvelle impétuosité à la français lorsque la paix a été lutte. C’est quelques heures Cette montée des luttes ne signée entre la jeune Union après qu’il rencontra Jouhaux s’observe pas seulement en soviétique et l’Allemagne, le et Merrheim et je suis sûr que France. Ainsi, lorsque Vivia- 3 mars 1918 à Brest-Litovsk ? Jaurès leur en a parlé. Jaurès ni et Poincaré se rendirent avait vu ce qu’était la répres- à Petrograd entre le 13 et le > Pierre Outteryck sion, à Carmaux en 1893, dans 23 juillet 1914, les faubourgs le Nord en 1906, il connaissait de la ville étaient en révolu- Le traité de Brest-Litovsk a été la mentalité humaine. tion, on y parlait de soviets. signé en deux temps : un pre- En Allemagne, des centaines mier texte fut signé en février, Ce carnet B a-t-il été utilisé ? de milliers de travailleurs ma- qui donne lieu à des débats La question est compliquée. nifestaient. Comment se fait-il au sein du jeune gouver- Beaucoup d’historiens ont alors que tout ait semblé bas- nement bolchevique dirigé tendance à laisser croire que culé du jour au lendemain ? par Lénine, puis un second tout est passé comme une Sur ce sujet, je vous conseille en mars 1918. À-t-il joué un lettre à La Poste, que Jaurès de lire les mémoires de Pierre rôle pour le mouvement ou- a été assassiné, que tout le Monatte, où ce livre qui vient vrier français ? Au risque de monde est parti comme un de sortir et qui montre des vous décevoir, non, d’abord seul homme à la bataille et photos de Paris le 1er août parce que la censure était qu’il n’y a pas eu besoin d’uti- 1914. Vous pourrez y voir que très forte, ensuite, parce que liser le carnet B, ce qui est ce ne fut pas une guerre la connaissance de ce qui se faux. Outre Pierre Monatte, « fraîche et joyeuse », comme passait alors en Russie était bien d’autres dirigeants de la le montrent les livres d’histoire. très médiocre. Certains on CGT se sont trouvés dans l’œil Les femmes et les hommes de écrit que cela allait entraîner du cyclone – j’ai par exemple l’époque étaient surtout rési- plus de combats en France. dénombré vingt-cinq arresta- gnés. C’était la propagande de la tions à Lille durant le seul mois droite et du gouvernement d’août 1914. Il n’y a certes pas Pourquoi les choses ont-elles français, conduit par Clé- eu d’utilisation systématique basculé de la sorte ? Je n’en menceau, mais je ne pense du carnet B mais c’était une sais rien. Pourquoi les bolche- pas que cela ait eu véritable- liste dont disposaient la po- viques ont-ils réussi à prendre ment un impact pour le mou- lice et l’armée pour réprimer le pouvoir les 5 et 6 octobre vement ouvrier.

22 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 La tribune du colloque © E. Barbara

> Jean-François Larosière Deuxième réflexion : la ques- de précision sous-traitante tion des droits et libertés syn- de l’aéronautique, j’ai moi- Lorsque j’ai commencé à dicales est plus que jamais même signé un papier stipu- travailler en 1967, les ensei- décisive. J’ai en effet subi ma lant qu’en cas de conflit, je gnants étaient soumis à une première interdiction de ma- serais attaché à mon atelier « affectation de défense », nifester le 13 juillet de cette pour répondre aux besoins mise en place par le régime année. C’est dire ce qui peut de production de la défense né du coup d’État du 13 mai se passer maintenant. nationale. 1958, et qui avait toujours été combattue par les opposants > Claude Ven Comment se fait-il que les à ce dernier. C’était un fi- gens soient partis à la guerre chage qui marquait tous les Le but des affectations spé- de cette façon ? Il faut bien fonctionnaires, qu’ils aient fait ciales était de conserver les voir qu’à un siècle d’écart, leur service militaire ou non. compétences là où elles nous mesurons bien la bou- Si mes souvenirs sont bons, étaient nécessaires en cas cherie qu’elle a représenté elle a disparu mais seulement de conflit. Lorsque j’ai com- mais à l’époque, les gens ne après 1980. mencé à travailler dans une réalisaient pas. On observe entreprise de mécanique chez eux une certaine stu-

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 23 J.-F. Larosière, L. Dubois, R. Gauvrit © E. Barbara peur. Certains étaient même était là et l’on était dans une > Laurence Dubois satisfaits d’échapper aux autre logique que celle des conditions misérables dans diplomates, des responsables J’ai cru lire qu’à Zimmerwald, lesquelles ils vivaient dans politiques, voire des financiers Aphonse Merrheim se déplaçait leur campagne ou dans leur qui voulaient en découdre. avec un berger allemand pour usine. On peut cependant se L’utilisation du carnet B resta le protéger. demander pourquoi, après la une menace très forte car on progression du mouvement savait qu’il pouvait être utilisé > Pierre Outteryck socialiste aux élections, alors sous une forme ou sous une que le discours pacifiste aurait autre mais il n’y eut pas de Je ne le sais pas mais ce n’est dû être écouté, les choses se rafle massive. pas impossible. On ne s’ima- sont déclenchées de la sorte. gine pas à quel point la propa- Je rappelle que le carnet B gande nationaliste de la droite Sur le Carnet B, je suis d’ac- avait été mis en place par le et de l’extrême-droite a marqué cord avec Pierre Outteryck : général Boulanger en 1886, l’opinion publique en juillet 1914. il y a eu des répressions, des alors qu’il était ministre de la Merrheim était connu pour être arrestations, des révoltes mais Guerre. Si l’on parle du carnet un opposant à la guerre et peut- le carnet B n’a pas été utili- « B », c’est parce qu’il y avait un être se sentait-il menacé. sé. C’est la première fois que carnet « À » qui recensait l’en- l’on mobilisait ainsi, du jour semble des étrangers vivant sur > Laurence Dubois au lendemain, plus de trois le territoire national et en âge millions d’hommes. On pen- de porter les armes. Le carnet Le 31 juillet, Jouhaux et Merrheim sait qu’il y aurait entre 15 % B, lui, recensait à l’origine les rencontrent Jaurès. Le lende- et 20 % d’insoumission. Face Français et les étrangers soup- main, Jouhaux est pour l’Union à cela, fallait-il s’appuyer sur çonnés d’espionnage mais sacrée. Que s’est-il passé entre le carnet B pour réaliser des fut réorienté vers 1907 par Clé- temps ? rafles massives pour couper menceau vers les milieux anar- court à toute manifestation ? chistes et socialistes. Il y eut un > Pierre Outteryck Elles n’eurent pas lieu car les maximum de 2 800 personnes choses prirent une autre tour- inscrites dans ce carnet et il y L’Histoire, surtout la contem- nure. Le territoire national en avait encore 2 500 lorsque poraine, oblige souvent à était attaqué, l’envahisseur la guerre éclata. faire des raccourcis. J’ai si-

24 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 gnalé combien au mois de > Hervé Francois Concernant l’attitude du juillet, la guerre ne paraissait peuple, j’ai été effaré de pas être un danger. On ob- Nous avons des témoignages voir hier, dans un documen- serve même une certaine sé- qui montrent que dans cer- taire télévisé, les millions de rénité et ce n’est qu’à partir tains villages, lorsque le tocsin personnes qui ont assisté, du 24 juillet que les choses s’est mis à sonner, des gens joyeuses, aux discours en- commencent à s’emballer. sont accourus en demandant flammés de Mussolini et de Dans le même temps, le mou- contre qui la guerre était dé- Hitler. Sont-ce les mêmes qui vement syndical français et clarée. ont pendu Mussolini et sa maî- international avait des fra- tresse par les pieds en 1945 ? gilités et la droite, l’extrême > Jean-François Caré On peut donc s’interroger sur droite et le patronat avaient la versatilité des foules. des leviers pour faire éclater Il y a des batailles perdues par tout cela. des institutions historiques. Je Pierre Outteryck nous a aussi pense par exemple à la sépa- parlé d’une rencontre qui a Dès le 1er août, la déclara- ration de l’Église et de l’État, eu lieu entre Jaurès, Merrheim tion de la Confédération est en 1905, qui constitua une et Jouhaux en vue de prépa- beaucoup plus ambiguë que modification profonde de la rer une manifestation pour le les textes des Congrès. Le société français et par lequel 9 août 1914 ? Jaurès ayant 3 août, c’est la déclaration la droite française a perdu un été assassiné le 31 juillet, de guerre et l’invasion de la appui considérable. Il y eut cette proposition a-t-elle eu France. Aujourd'hui, la com- aussi la catastrophe de Cour- une suite ? munication est facile mais à rières, qui entraîna l’arrêt de l’époque, il n’y avait ni radio, la production charbonnière > Pierre Outteryck ni télévision. Les choses ont pendant plusieurs semaines en basculé dans un sens mais 1906, puis la répression des mi- Quelle était l’idée des trois elles auraient aussi pu bascu- neurs. Si l’on regarde les chan- hommes ? Une réunion du ler dans l’autre. Cela me fait gements profonds qui ont bureau de l’Internationale penser à ces vers d’Aragon : précédé la guerre, ceux qui ouvrière se tint à Bruxelles le « Rien n’est jamais acquis dirigeaient le pays n’étaient 29 juillet et se termina par un à l’Homme, ni sa force ni sa pas sûrs de ce qui allait arriver très grand meeting durant faiblesse ». On met aussi en : comment la population fran- lequel Jaurès lança, devant avant le rôle des masses mais çaise aurait-elle réagi si tous plusieurs milliers de travail- on a souvent sous-estimé la ses droits avaient été suspen- leurs belges, un appel pour place de certains hommes, dus et que le pouvoir avait été la paix. Ce qui est extraordi- en particulier Jean Jaurès, confié aux militaires ? naire, c’est sa vision très mo- avec tout ce qu’il représen- derne de la vie politique. Il tait en termes de capacité > Jean Cadet s’ancre sur la mobilisation de rassemblement et de ré- de la classe ouvrière mais flexion. Tout cela nous amène Si les hommes ont été mobili- rappelle qu’il y a aussi des à réfléchir au rapport de l’in- sés en août 1914, les femmes hommes et des femmes qui dividu aux masses. les ont remplacés dans les ont une conscience, en par- usines. Quelle a été la posi- ticulier des chrétiens, des pro- tion de la CGT vis-à-vis de ce testants et des catholiques. Il nouveau prolétariat ? les interpelle en leur deman-

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 25 Interventions de la salle © E. Barbara dant comment ils peuvent dans l’Humanité du 31 juillet. 22 novembre 1918, un décret laisser perpétrer une horreur Mais l’assassinat de Jaurès, gouvernemental demanda telle que la Première Guerre puis la déclaration de guerre, aux patrons de réembaucher mondiale. firent qu’il n’y eut pas de tous les soldats démobilisés, congrès de l’Internationale quitte à mettre les femmes Que s’est-il dit au bureau de ouvrière à Paris le 9 août, et à la porte. Dans l’histoire l’Internationale ouvrière ? Ses donc pas de manifestation. des femmes, la guerre ne fut membres ont d’abord rap- qu’une parenthèse mais elle pelé le rôle et la place de la Sur la place des femmes, sauf leur a aussi permis de mon- classe ouvrière. Ils ont ensuite dans certains cas très précis, trer leurs possibilités et de se constaté que les travailleurs la plupart du temps, les di- battre. autrichiens n’avaient pas rigeants de la CGT deman- réussi à empêcher la guerre dèrent aux femmes de ne > Jean-François Larosière puisque l’Autriche venait de pas adhérer. Le mouvement déclarer la guerre à la Serbie. syndical a donc accepté que Globalement, dans l’histoire Un congrès de l’Internatio- les femmes soient moins bien sociale, la grande période nale ouvrière était également payées en 1914. N’oublions du travail des femmes se situe prévu à Vienne le 15 août. pas que la place des femmes avant 1914. Il y eut ensuite L’Autriche étant en guerre, dans le mouvement syndical un creux durant l’entre-deux- l’idée était de rapprocher ce reste encore aujourd'hui un guerres et ce n’est qu’après congrès de huit jours et de combat. Mais cela n’empê- la Deuxième Guerre mon- le tenir à Paris. C’est là que cha pas ces femmes de faire diale que l’on assista à une Jaurès émit l’idée d’organi- grève, dans les entreprises de augmentation du nombre de ser une très grande manifes- textile, de la métallurgie de femmes dans les entreprises. tation qui aurait conduit les la région lyonnaise et de la manifestants jusqu’aux portes région parisienne, apportant Qu’en est-il du mouvement du congrès. Il intervint donc ainsi leur pierre aux luttes de syndical face à la guerre ? auprès de Merrheim et de la classe ouvrière. Il ne faut Cette question a été consi- Jouhaux et cela fut annoncé pas oublier non plus que le dérablement occultée dans

26 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 les ouvrages sur la Première pays, avec des dirigeants pour bases principales la libé- Guerre mondiale. Dans les syndicalistes et socialistes qui ration des territoires envahis grands médias, le silence sur joueront un rôle extrêmement (y compris la Belgique), pas cette question est presque to- important dans son organisa- d’annexion sans consultation tal. On a même parfois vu un tion économique et sociale, des populations intéressées, Jaurès vidé de son contenu à l’image d’Eugène Thomas, l’indépendance politique et anti-impérialiste et pacifiste. sous-secrétaire d’État à l’ar- économique de chaque na- tillerie et aux munitions, qui tion, le désarmement et l’arbi- Ce qui me frappe également, instaura entre la CGT et l’État trage obligatoire ». Cette mo- c’est que les enjeux politiques, des rapports de collaboration tion recueillit 27 voix contre 79 sociaux et économiques de et non plus de confrontation, pour celle du courant majori- la Première Guerre mondiale fondés sur la notion de négo- taire, emmené par Jouhaux, ont eux aussi été largement ciation. L’Union sacrée mar- et 9 abstentions. occultés. De ce point de vue, qua donc considérablement la CGT a tenu un colloque les relations entre les syndi- Cette conférence déboucha extrêmement important le cats et l’État. sur la participation, début 17 juin dernier autour de Jau- septembre 1915, de Bourde- rès et de la place du mouve- Au niveau international, l’op- ron et Merrheim à la confé- ment syndical. Il y a eu aussi à position à la guerre est es- rence internationale de Zim- l’université Paris-Est-Créteil un sentiellement le fait de partis merwald, dont ils signèrent colloque international extrê- socio-démocrates. Le parti l’appel et où Lénine s’oppo- mement important sur cette social démocrate de Russie, sa à la position majoritaire en question. par exemple, est opposé à proposant de transformer la la guerre, tant sa faction bol- guerre impérialiste en guerre Après l’assassinat de Jaurès chevique que menchevique. révolutionnaire. et la déclaration de guerre, En revanche, la social-démo- ceux qui, en France, s’oppo- cratie allemande, qui est la Bien sûr, ce mouvement syn- sèrent à la guerre furent des référence politique du mou- dical opposé à la guerre syndicalistes, en particulier vement syndical, bascule elle en France eut ses limites. Merrheim et Bourderon, du aussi dans l’Union sacrée. Merrheim finit par rejoindre syndicat des tonneliers, alors la ligne wilsonienne et non que dans tous les autres pays, L’originalité française, c’est celle de la transformation ré- c’étaient des socialistes. que l’opposition se trouve volutionnaire, cette ligne qui dans le mouvement syndical, conduira à la création de la Mais il faut aussi bien mesurer autour de la fédération de la Société des Nations et à cette les effets politiques de l’Union Métallurgie. Elle se manifeste paix, issue des traités de Ver- sacrée, avec le vote des cré- par exemple dans l’organe sailles et de Sèvres, qui n’en dits de guerre par les socia- de la Métallurgie le 1er mai sera pas une. listes et leur entrée au gou- 1915 ou lors de la conférence vernement, à commencer nationale de la CGT du 15 par Guesde, le fondateur du août 1915, où Merrheim et parti ouvrier français. À partir Bourderon déposent une mo- du 3 août 1914, l’État va oc- tion invitant la CGT à « parti- cuper une place croissante ciper à toute action prolé- dans la vie économique du tarienne pour la paix ayant

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 27 > Norbert Boulanger pires coloniaux pour se déve- Le quatrième point est la lopper en pillant les richesses montée des luttes ouvrières Nous n’avons pas trop parlé des pays qui n’étaient pas dans toute l’Europe et l’ac- des buts de guerre. C’était encore développés. Or l’Alle- croissement des potentialités surtout une guerre impéria- magne n’avait pas d’empire du mouvement ouvrier. Pour liste, pour un nouveau par- colonial car cet État s’était certains, pendant que les ou- tage du Monde et des co- constitué beaucoup plus tar- vriers étaient à la guerre, ils lonies. Pouvons-nous en dire divement que les autres. On ne passaient pas leur temps quelques mots ? peut également noter que à être en lutte dans les usines. les grandes entreprises qui > Jean-François Larosière étaient à l’origine du conflit > Jean-François Larosière ont survécu à la guerre et ont Il ne faut effectivement pas continué ensuite à piller les Merrheim était un observateur oublier les buts de guerre, qui pays colonisés. très attentif des entreprises furent dénoncés par l’Interna- car il pensait qu’il fallait avoir tionale avant même l’éclate- > Pierre Outteryck des analyses solides pour par- ment du conflit. Chaque crise tir à la bataille. J’ajoute que la internationale survenue avant Cette question appelle des financiarisation du capital est la Première Guerre mondiale réponses à plusieurs entrées. l’une des caractéristiques de était en effet liée à la question l’impérialisme. Cela éclaire impérialiste. Vu la faillite de On peut d’abord citer la ques- d’ailleurs les raisons de l’inter- la seconde Internationale, la tion des nationalités, avec vention des États-Unis dans la question intéressante pour moi deux contentieux majeurs : les guerre. Jusqu’en 1913, la ba- est celle de la place tenue par Balkans et l’Alsace-Lorraine. lance commerciale des États- les syndicalistes en France, qui Unis était bénéficiaire mais à n’étaient pas liés à l’appareil Il y a ensuite un conflit sur l’ac- partir de 1914, ses bénéfices d’État et gardaient leur indé- caparement des richesses financiers devinrent plus im- pendance. Ils pensaient que mondiales, avec une Alle- portants que ses bénéfices le mouvement ouvrier devait magne qui ne s’est pas consti- commerciaux. C’est cette no- se battre, mais peut-il y avoir tué d’empire colonial à la fin tion d’impérialisme qui nous une paix sans transformation du XIXe siècle et qui désire ac- permet de bien comprendre économique et sociale ? Ce croître sa part du « gâteau ». les fondements même de la fut la question posée par Lé- guerre. nine à Zimmerwald. Le troisième facteur tient aux luttes internes du système > Jean-François Caré capitaliste qui commence à se financiariser, avec par Peu de personnes connaissent exemple la volonté de la effectivement les raisons de Russie de s’accaparer les ri- cette guerre. Il faut donc chesses du sous-sol ukrainien rappeler que les puissances ou les conflits entre capitaux européennes de l’époque français et allemand dans (France, Grande-Bre- l’empire ottoman. tagne, Espagne, Portugal…) s’étaient constitué des em-

28 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Jean Lods, Hommage à Jean Jaurès, 1959, noir et blanc, 20 min.

Un extrait du film projeté © E. Barbara

ette soirée consacrée récupérations politiques sont ce qui fut la Grande guerre, à Jean Jaurès s’ins- légion, que l’on songe à Sar- symbolise en quelque sorte la Ccrit dans le cadre des kozy qui s’estimait en 2007 être disparition de l’espoir d’une commémorations organisées « l’héritier de Jaurès » ou plus paix politique et signifie, pour pour le centenaire de son récemment d’Hollande ou de une majorité de dirigeants assassinat. Cet anniversaire Valls qui n’ont pas hésité à in- syndicaux et politique, le ral- s’est traduit par une multitude voquer Jean Jaurès pour justi- liement à l’Union sacrée. d’initiatives et de parutions : fier le Pacte de responsabilité. des colloques, des exposi- À l’occasion de cette soirée, tions, des débats, des ou- Il est apparu nécessaire – si nous avons choisi de vous vrages sont venus alimenter ce n’est incontournable – à projeter un documentaire qui les connaissances que nous l’Institut d’histoire social de servira de point de départ à avons de cette figure incon- la métallurgie d’aborder la un débat et à une réflexion tournable du socialisme. figure de Jean Jaurès durant collective sur l’action et l’hé- ce colloque consacré à la ritage de Jean Jaurès. Mais, en ces temps d’austé- Première Guerre mondiale. rité et de démantèlement Son assassinat, quelques jours Le choix s’est porté sur le des conquêtes ouvrières, les avant le déclenchement de court-métrage de Jean Lods

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 29 intitulé Hommage à Jean Gravement blessé au début (1938) ou encore de Fanfan Jaurès et projeté pour la pre- de la Seconde Guerre mon- la Tulipe de Christian-Jacque mière fois en 1959. Avant de diale, Jean Lods reste en avec Gérard Philippe (1951). vous en présenter rapidement zone Sud. Il rejoint le Centre De même, la voix off est celle le contexte, je vous signale artistique et technique des de Roger Pigaut, acteur et qu’il peut être librement vi- Jeunes du Cinéma, à Nice, réalisateur, qui joua notam- sionné, ainsi que d’autres structure qui migre ensuite à ment le rôle d’Antoine, dans films de Jean Lods, sur le site Paris et prend le nom d’Insti- Antoine et Antoinette de internet de Ciné-archives, tut des hautes études ciné- Jacques Becker (1947). C’est l’association qui gère le fonds matographiques (IDHEC). Il le titre de ce film qui donna le audiovisuel du Parti commu- y assure un « cours de tech- nom au mensuel « féminin » niste et d’autres organisations nique cinématographique » de la CGT, Antoinette, de du mouvement ouvrier et dé- et occupe le poste de direc- 1955 à 1990. mocratique. Riche de plus de teur général adjoint de 1943 1 200 films, l’association pro- à 1952. Cette école a consti- > À propos du film pose d’en visionner pas moins tué un vivier de jeunes réalisa- de 650, une vraie mine d’or ! teurs communistes dont bon Ce film, projeté pour la pre- nombre ont été embauché mière fois en 1959 à l’occa- > À propos du réalisateur par la télévision à partir de la sion du quarante-cinquième fin des années cinquante. Le anniversaire de l’assassinat Né en 1903, Jean Lods com- célèbre critique et historien de Jean Jaurès, retrace, à mence à s'intéresser au ci- du cinéma, Georges Sadoul y partir d’images d’époque, la néma dans les années vingt. a enseigné. vie et la carrière politique de En 1928, il participe à la fon- Jean Jaurès. dation du ciné-club « Les Dans les années 1950 et 1960, Amis de Spartacus » qui pro- Jean Lods réalise plusieurs Il illustre son engagement gramme de nombreux films courts-métrages pour le PCF : dans le mouvement ouvrier, d'avant-garde soviétique en 1955, Hommage à Albert l’affaire Dreyfus et le paci- pour contourner l’interdiction Einstein, en 1959 Hommage fisme, à la veille de la Pre- faite par le gouvernement à Jean Jaurès, en 1959 Henri mière Guerre mondiale. Le depuis 1927. Barbusse, Les Hommes véri- film s’ouvre sur une première tables, en 1964 20 000 matins séquence présentant des Au tournant des années 1930, à l’occasion du 60e anniver- images tournées en 1959 du Jean Lods se lance dans la saire de l’Humanité et enfin cortège qui se rend du siège réalisation de courts et de Maurice Thorez. En 1969, il en- de L’Humanité jusqu’au café moyens-métrages documen- treprend un dernier film bio- du Croissant, devant lequel taires, puis séjourne trois ans graphique, Romain Rolland, Jacques Duclos prononce en URSS, de 1934 à 1937, où avant de décéder en 1974. une allocution à la mémoire il réalise Odessa. De retour de Jaurès. Sur les images du en France, il s'investit à l'As- Notons également que le cortège, en voix off, Daniel sociation des écrivains et ar- cadreur du film n’est autre Renoult, secrétaire de Jaurès, tistes révolutionnaires (AEAR). qu’Albert Viguier, que l’on raconte son assassinat. C’est pendant l’entre-deux- trouve déjà sur le tournage du guerres que Jean Lods de- Jour se lève de Marcel Car- Ce film s’inscrit dans la tra- vient membre du PCF. né, avec Jean Gabin, Arletty dition cinématographique

30 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 du Parti communiste qui > Repères biographiques sur • 1893. Élu député socia- s’est saisi, dès l’entre-deux- la vie de Jean Jaurès liste indépendant de Car- guerres, des possibilités of- maux. fertes par le cinéma pour dif- • 3 septembre 1859. Nais- fuser une culture communiste sance de Jean Jaurès à • 1896. Ouverture de la Ver- et militante à large échelle Castres. rerie ouvrière et coopéra- et pour résister à l’idéolo- tive d’Albi. gie dominante, notamment • 1876. Internat au collège nord-américaine après la Sainte-Barbe à Paris. • 1898. Jaurès dépose au Seconde Guerre mondiale. procès de Zola. Ce film s’inscrit également • 1877. Lycée Louis le Grand dans une approche du Par- à Paris. • 1898. Il devient directeur ti communiste qui valorise de La Petite République. après-guerre une histoire po- • 1878-1881. École normale litique centrée sur les grandes supérieure. • 1898. Rédaction de L’His- figures, les « héros », dans un toire socialiste de la Révo- but pédagogique. • 1881. Agrégation de philo- lution française. sophie. Après ces quelques préci- • 1899. Parution de l’ou- sions, place au film ! • 1881. Professeur de philo- vrage Les preuves clamant sophie au lycée d’Albi. l’innocence de Dreyfus.

• 1883. Maitre de conférence • 1903. Jaurès est élu, pour à la faculté de Toulouse. un an, vice-président de la Chambre des députés. • 1885. Élu député du Tarn sur la liste républicaine. • 1904. L’Humanité débute sa parution. • 1887. Premier article dans La Dépêche du Midi. • 1905. Création de la SFIO.

• 1889. Défaite aux élections • 1910. Dépôt de loi sur L’Ar- législatives. mée nouvelle.

• 1890. Élu conseiller muni- • 31 juillet 1914. Assassinat cipal de Toulouse, chargé de Jean Jaurès. de l’éducation publique. • 1924. La dépouille de Jau- • 1892. Soutenance de deux rès est transférée au Pan- thèses en philosophie à la théon. Sorbonne.

• 1892. Première rencontre avec Jules Guesde.

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 31 Débat avec la salle

E. Tellier, J.-F. Caré, P. Outteryck, C. Godart, L. Dronval © E. Barbara

> Louis Dronval ce concept coupe court au Les 5 000 pages et 30 millions conflit entre réforme et révo- de mots qu’il a écrit donnent Quand on voit les socialistes lution. À l’occasion de la vi- une idée de l’ampleur du tra- d’aujourd'hui qui, après avoir site du préfet dans sa classe, vail qu’il a fourni tout au long rendu hommage à Jaurès le professeur choisit Jaurès de sa vie, sur des sujets extrê- bombardent l’Irak, tout en pour prononcer une allocu- mement variés : économie, prônant la rigueur, cela fait ré- tion dans laquelle il fit l’éloge histoire, philosophie, relations fléchir. Dans le même temps, de l’éducation dans la Répu- internationales – même s’il on voit bien les difficultés que blique. Ce discours est écrit avait des illusions sur la capa- nous rencontrons pour or- dans un français si acadé- cité civilisatrice de la France ganiser des rassemblements mique, par un élève de 14 ou à l’égard de ses colonies. Il pour la paix. Récemment, un 15 ans, qu’il a fallu que je m’y faut profiter de la réédition camarade de l’UFR rappe- reprenne à plusieurs fois pour de ses écrits pour prendre lait que la France est actuel- le comprendre. J’ai aussi dé- conscience de la richesse de lement engagée dans cinq couvert, dans le livre de Gilles sa pensée. conflits et nous n’arrivons pas Candar et Vincent Duclert, à mobiliser sur ces questions. que quand il rentrait chez lui > Jean-François Caré Que sommes-nous en capa- d’une journée très chargée, cité de faire pour mobiliser en Jaurès lisait Platon et Virgile, Ce qui me frappe chez Jau- faveur de la paix ? Kant ou Hegel dans le texte rès outre sa culture considé- pour se détendre. rable et son intelligence hors > De la salle norme, c’est son évolution au > Emeric Tellier contact des dirigeants syndi- Pour moi, Jaurès est la révé- caux et des mineurs de Car- lation de l’année. Je me suis Avec Jaurès, nous faisons face maux, qui lui feront découvrir rendu compte de son impor- à une figure passionnante la lutte des classes et prendre tance parce que cela faisait et nous ne pouvons qu’être position en faveur du proléta- un moment que je m’intéres- étonnés par la fraîcheur d’un riat. C’est sur cette base ou- sais à l’histoire du mouvement grand nombre de ses écrits. vrière qu’il s’appuya ensuite ouvrier et ce que je retiens de On imagine aussi, en voyant pour construire son identité son apport, c’est le concept les photos de lui au milieu politique et proposer le ras- de l’évolution révolutionnaire. de foules immenses, quelles semblement d’un grand parti C’est la chose la plus impor- furent ses qualités d’orateur. socialiste en France, capable tante qu’il nous ait appor- Au-delà de cela, il a été re- de changer quelque chose à tée et qui gagnerait le plus à connu comme un historien et la situation du prolétariat. être connue aujourd'hui car un philosophe exceptionnel.

32 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 > Pierre Outteryck ingénieurs mais de la rapaci- > Jean-François Larosière té des patrons de la mine qui Il faut bien voir d’où part Jaurès. ne s’étaient pas préoccupé Je tiens à souligner que Il vient d’une famille complexe. d’un incendie survenu trois l’œuvre d’historien de Jaurès Sa mère a une petite fortune et semaines auparavant et qui est considérable, notamment son père est ce que l’on peut avaient fait fermer les bouches son histoire socialiste de la appeler un déclassé, mais l’un d’aération 48 heures après la Révolution française. Il a don- de ses oncles sera ministre de catastrophe afin de préser- né naissance, avec d’autres la République en 1889. Quand ver le gisement. Il arrive alors historiens tels que Georges il entre à la chambre des dé- à faire voter par la Chambre Lefebvre, à un ensemble putés en 1885, tout le monde des députés la nationalisation de travaux qui compteront pense que sa carrière de répu- des mines de Courrières. dans le renouvellement de blicain modéré est toute tra- la conception de cet acte cée. Il s’intéresse alors très vite Dans les années 1970, je majeur qu’est la voie révo- aux mineurs, mais aussi – parce voyais en Jaurès un gentil pa- lutionnaire de la révolution qu’il vient d’un milieu paysan cifiste, un bel humaniste, mais bourgeoise. Ce mouvement – aux ouvriers agricoles, aux mon professeur de faculté de la paysannerie, ce mou- métayers, aux « petites gens », m’a fait comprendre que vement de lutte de classe an- à qui il parlait en occitan. Jau- c’était un grand dirigeant ré- tiféodale a commencé bien rès est un homme du terroir volutionnaire, doté de cette avant le 14 juillet 1789 et va et c’est son contact avec la capacité à établir un lien se poursuivre pendant tout le paysannerie et les travailleurs entre bataille pour le présent XIXe siècle. Or on ne peut pas de Carmaux (mineurs et ver- et transformation sociale. comprendre la Déclaration riers) qui lui font réaliser qu’être des droits de l’Homme et du républicain ne suffit pas, puis Dernière chose : à l’issue de Citoyen si on ne voit pas le l’amènent à choisir le socia- son procès en 1919, l’assas- mouvement qui s’est mis en lisme. sin de Jaurès fut acquitté. Or œuvre et sur lequel Jaurès a qui défendait Jaurès ? Mar- travaillé. Lorsqu’il est réélu député en cel Sembat, qui fut ministre le 1893, il sait qu’en ouvrant la 26 août 1914 dans le cadre Sa liaison avec le syndica- verrerie à Albi et en y faisant de l’Union sacrée et l’on peut lisme sur la question pacifiste venir les verriers de Carmaux, s’interroger sur sa plaidoirie. me paraît elle aussi fonda- il perdra son siège, mais il le Mais le combat était difficile mentale. C’est en effet par fait pour l’honneur des ou- car à l’époque, les maires qui son dialogue avec les syn- vriers. Connaissez-vous un souhaitaient donner le nom dicalistes sur la question de homme politique qui serait de Jaurès à une place étaient la lutte des classes qu’il peut prêt à se battre ainsi pour des encore condamnés. être pacifiste. Cela le place ouvriers au risque de perdre très haut et fait de lui un révo- son siège ? Gardons en tête le parcours lutionnaire. de cet homme, qui l’a vu En 1906, au moment de la commencer modéré pour fi- catastrophe de Courrières, nir révolutionnaire, et sa ca- Jaurès explique qu’elle n’est pacité à être ancré dans le pas le résultat de la fatalité réel pour transformer le quoti- ou de l’incompétence des dien et préparer l’avenir.

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 33 > Claude Godart > Claude Ven personnalité, en particulier le numéro spécial de L’Humani- Jean Jaurès a eu la chance Que devient Jaurès au- té Dimanche, Jaurès Actuel de pouvoir s’appuyer sur un jourd'hui ? Il n’est pas une ville et Jaurès, la CGT, le syndi- mouvement social important. qui n’ait pas une rue, un bou- calisme révolutionnaire et la À l’époque, on parlait de la levard ou une avenue à son question sociale. verrerie d’Albi ; aujourd'hui, nom mais pour le commun des salariés créent des Scop des mortels, ce nom n’est pas pour sauver leur activité. Les toujours très parlant. C’est mineurs de Carmaux se sont une icône à laquelle se réfère battus et des pans de l’indus- même Nicolas Sarkozy. Il y a trie continuent à se battre au- donc une confusion sur ce jourd'hui. Le problème, c’est que peut être Jaurès. que nous n’arrivons pas à nous appuyer sur ce mouve- Ce qui m’impressionne le ment social. À l’époque, les plus, c’est que Jaurès est un militants étaient nombreux homme extrêmement brillant. et allaient de l’avant, ce qui C’est un grand intellectuel, n’est plus le cas aujourd'hui. qui lisait le grec, le latin et l’al- Nous avons besoin de per- lemand dans le texte, mais sonnes qui manient les foules c’est aussi quelqu’un qui ac- en nombre beaucoup plus cepte d’apprendre auprès important qu’aujourd'hui. des ouvriers. Ce qu’il a appris durant ses études compte > Emeric Tellier autant que ce qu’il a appris auprès des ouvriers. S’il a eu Nous avons regardé plusieurs ce cheminement intellectuel, documentaires avant de c’est parce qu’il a accep- sélectionner celui-ci. Dans té de se remettre en cause l’un d’entre eux, un paysan et d’intégrer tout ce qu’il a racontait que Jaurès com- vécu, en étant attentif aux mençait ses conversations réalités des gens, ce qui est en français, pour leur montrer particulièrement rare chez un qu’il ne les sous-estimait pas, intellectuel. Il ne prétendait avant de passer à l’occitan. pas aider la classe ouvrière Cela me semble être révéla- grâce à son savoir mais s’est teur de la relation qu’entre- mis à son service. tenait Jaurès avec les milieux ouvriers et paysans. On voit La question est maintenant aussi le grand écart qu’il était de savoir ce que nous pou- capable de réaliser entre ses vons faire pour valoriser cette écrits et sa simplicité dans la dimension de Jaurès et l’en- vie quotidienne. semble de ses combats. Quelques ouvrages récents vous aideront à mieux saisir sa

34 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Les Fusillés "pour l’exemple"

E. Tellier © E. Barbara

l est difficile de se de quelques dizaines de Les débats entre historiens sur représenter, même à un kilomètres carrés. La bataille cette question sont aujourd’hui Isiècle de distance, l’horreur de la Somme fit quatre fois encore particulièrement et les privations vécues par plus de victimes en deux fois vifs. Trois positions se sont les soldats envoyés au front. moins de temps. dessinées : la première met Dix-neuf millions de personnes en avant l’acceptation par y ont perdu la vie, dont Ces quelques chiffres la contrainte, la peur des 1,4 million pour la France. Pour appellent une remarque : représailles. Cette explication ne donner qu’un exemple, comment les soldats ont- ne peut toutefois expliquer à les 300 jours de la bataille ils tenus quatre longues elle seule l’engagement de de Verdun en 1916 ont tué années ? Comment ont-ils millions d’hommes pendant 300 000 hommes – l’équivalent affronté la boue, le froid, les tant d’années. La seconde d’une ville comme Nantes – et sifflements d’obus, les rafales invoque un consentement en ont blessé 400 000 autres. sinistres des mitrailleuses, fondé sur une culture de Un véritable déluge de feu l’omniprésence de la mort, guerre, un patriotisme – plus de cinquante millions la peur des assauts ? Dans partagé par tous. Là encore, d’obus de tous calibres – s’est quelle mesure ont-ils obéi, les différents courants abattu sur un espace grand accepté l’inacceptable ? pacifistes, l’absence de

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 35 liesses à l’occasion du départ trêves tacites avec l’ennemi, été soit portés disparus, soit des soldats, témoignent des voire la fraternisation et enfin officiellement « morts pour la limites de cette explication. La le refus collectif d’attaquer, la France », c’est-à-dire tués par troisième privilégie un faisceau « grève de la guerre ». l’ennemi, ce qui rend toute de facteurs : culturels, sociaux, estimation hasardeuse. relationnels, institutionnels. La réponse du L’accomplissement du commandement militaire à Ces chiffres sont importants, devoir de soldat serait le ces pratiques fut celle de la si on les compare à ceux fruit d’une éducation reçue répression, avec un spectre d’autres armées engagées : par la famille, l’école, la de sanctions particulièrement 330 pour l’armée anglaise, religion, des attentes venues large. Si, dans bon nombre 750 pour l’armée italienne, de l’arrière, des camarades de cas, le châtiment fut celui 48 pour l’armée allemande de combat qu’il ne faut pas d’un retour en première ligne (le chiffre est suspect pour les trahir, du discours patriotique assorti d’une peine de prison, historiens), 11 pour l’armée et nationaliste relayé par la certains furent condamnés à américaine. Seule l’armée presse, de la nécessité de mort puis exécutés. Ce sont australienne, au prix d’une défendre son pays et ses ces « soldats qui ne sont pas discipline de fer et en raison de proches contre une puissance morts pour la patrie mais par sa composition de volontaires, allemande désignée comme la patrie ! », selon les mots ne revendique aucun fusillé responsable de la guerre . de la petite-nièce de Paul « pour l’exemple ». Van den Bosch, soldat belge Dans les faits, les réactions fusillé, qui seront au centre de L’essentiel des exécutions se des soldats face à l’horreur cette intervention. concentre entre août 1914 de la guerre ont été variées et décembre 1915 avec et variables dans le temps. Les « fusillés » par l’armée l’exécution effective de Certains ont pu trouver du française 495 condamnations à mort. réconfort dans la religion, Parmi celles-ci, deux cents d’autres dans l’humour et On recense entre 140 000 et ont été effectuées durant les dans les divertissements, 200 000 affaires devant les cinq premiers mois du conflit. certains enfin dans le juridictions militaires entre L’explication réside dans fatalisme ou l’indifférence. 1914 et 1918. Parmi elles, on la situation catastrophique De nombreuses pratiques compte 2 500 condamnations vécue par l’armée française d’évitement ont cependant à mort pour 727 exécutions. Il au cours de ces premiers mois. été mises en œuvre pour s’agit d’une estimation basse, Contrainte de reculer dans le échapper au quotidien dans la mesure où les dossiers plus grand désordre face à infernal des tranchées : judiciaires n’ont pas tous été l’offensive allemande, l’armée la recherche d’un « filon » conservés par les archives et obtient du gouvernement – c’est-à-dire une place que ne sont pas recensées la proclamation de l’état tranquille en arrière-ligne ; ici les exécutions sommaires de siège et la remise en la mutilation volontaire – la de soldats sur le champ de place des conseils de guerre « fine blessure », c’est-à-dire bataille par leurs officiers. Ce spéciaux – les cours martiales. celle qui éloigne des champs dernier élément est important, Cette justice, sommaire de bataille – ; la désertion ; dans la mesure où bon et rapide, doit réprimer le suicide ; l’observation de nombre de soldats victimes brutalement l’indiscipline, d’exécutions sommaires ont par une plus grande sévérité

36 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 dans les poursuites et dans > Enfin, celle des civils et nombreux soldats prirent le l’exécution des peines. La fin militaires condamnés pour chemin du retour. On relève de la guerre de mouvement des crimes de droit commun, toutefois de nombreux cas oblige cependant le par exemple pour meurtre, où L’Internationale ou la commandement à vol, viol, etc. (53 individus). chanson de Craonne sont réintroduire quelques chantées, où des mots garanties pour les accusés et Mutins et fusillés « pour d’ordre antimilitaristes sont limiter l’arbitraire. À la fin de l’exemple » avancées, où l’exemple de l’année 1915, leur disparition la Russie est invoquée, le est proposée par le Parlement L’historiographie a longtemps tout en écho avec les grèves et actée en avril 1916. Le mis l’accent sur les mutins, menée à l’arrière. À l’inverse, niveau d’exécution reste ou plutôt sur les grévistes de les exécutions des années compris entre 10 et 20 par mois l’été 1917, au détriment des 1914 et 1915 concernent entre avril et octobre 1916, fusillés. Ces deux catégories principalement des actes avant de tomber en dessous doivent être bien distinguées, « apolitiques » et « individuels ». de dix par mois (exception car ces termes ne sont pas Il peut s’agir d’individus faite du mois de juin 1917, synonymes, dans la mesure récidivistes, de « fortes têtes » avec 26 exécutions). On ne où : mais également de bons recense plus « que » dix-huit soldats qui ont combattu dans exécutions pour l’année 1918. La plupart des fusillés ont les pires secteurs du front, là été exécutés entre 1914 et où l’échec des attaques est Parmi ces 727 fusillés, il 1915, bien avant les grandes le plus important. Il ne s’agit convient de distinguer trois mutineries de mai-juin 1917. pas forcément de militants catégories : En réponse à la désastreuse syndicaux ou socialistes qui se offensive du Chemin des sont plutôt retrouvés dans des > La plus importante, Dames, les soldats ont, six compagnies régulièrement celle des militaires condamnés semaines durant et au sein « volontaires » pour monter en et exécutés par un conseil de soixante-huit divisions, agit première ligne. de guerre (618 individus). ensemble pour mettre fin au Les motifs sont nombreux : massacre. Sur le demi-million Des exécutions « pour désertion, abandon de poste de soldats concernés par l’exemple » en présence de l’ennemi, cette expression collective de mutilations volontaires, refus mécontentement, on recense L’historien Nicolas Offenstadt d’obéissance, outrage et entre 40 et 80 000 mutins. soutient l’idée d’une voie de faits sur un supérieur, 3 427 furent jugés coupables, recherche, par les autorités etc. 554 furent condamnés à mort militaires, de l’exemplarité et une trentaine « seulement » de la peine appliquée, afin > Ensuite, celle des civils furent exécutés. d’obtenir une meilleure de toutes nationalités ou des discipline. L’exécution ne militaires ennemis condamnés Ces mutineries ne vient pas seulement punir et exécutés pour des faits constituèrent pas une rupture un acte répréhensible, mais d’espionnage (56 individus). avec le commandement, prend une autre dimension : contrairement aux cas russes celle d’empêcher la de l’été 1916 et allemands propagation des stratégies de l’année 1918 où de d’évitement, de contenir les

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 37 cas de mutilations volontaires. voisin assister à une exécution C’est un spectacle vraiment La justice est guidée par des capitale. Il s’agissait d’un épouvantable, de voir cet préoccupations disciplinaires soldat du 17e d’infanterie homme qui sera bientôt un et non par le souci de inculpé d’abandon de poste cadavre sortir de la voiture rendre une justice équitable. devant l’ennemi et de voies et marcher à la mort d’un Jugement et exécutions du de fait envers un supérieur, pas encore ferme. Quelles jugement participent de la deux crimes punis de mort par doivent être ses dernières relation d’autorité. le code militaire. Aussi, jugé pensées ? J’en ai été hier par le conseil de guerre assommé, n’entendant plus Des soldats, dont l’attitude ne de la division, son cas fut clair rien, ne voyant plus que cette prête pas plus à inculpation et net : 12 balles dans le corps. loque humaine ravagée par que celles d’autres qu’on ne Ces exécutions se font en des balles françaises. Je ne juge pas, se retrouve donc présence de détachements blâme pas la condamnation, face au Conseil de guerre de tous les corps de la qui était méritée, mais un puis pour certains d’entre eux division. Ce fut rapide et tel spectacle doit bien faire face au peloton d’exécution. tragique : les compagnies réfléchir ceux qui le voient. Ce Ne pouvant juger et exécuter groupées en colonnes de n’est vraiment pas beau une toute une compagnie, le compagnie formant les exécution capitale. Je n’avais commandement militaire 3 côtés d’un carré, le 4e côté, jamais vu fusiller un homme ordonne arbitrairement vide, occupé seulement mais je te prie de croire que l’exécution de quelques- par le peloton d’exécution. je ne chercherai pas à revoir uns, afin de produire un effet Les tambours battent et pareil spectacle. » dissuasif. Si quelques-uns les clairons sonnent Aux étaient innocents, la plupart champs […], le condamné, On notera ici la confusion des était coupable des faits qui accompagné de deux sentiments qui règne parmi leur étaient reprochés, même gradés [sous-officiers] et d’un les soldats : le caractère si là encore, les circonstances prêtre, arrive dans une voiture mérité de l’exécution, dans vécues (fatigues physiques, fermée ; on le fait descendre la mesure où les crimes usure psychologique, et on l’emmène en avant commis sont punissables conditions de vie et de du peloton d’exécution. de la peine de mort, le combat) peuvent nuancer Le prêtre l’exhorte, lui dégoût ressenti devant ce fortement cette culpabilité. prodigue des consolations. spectacle, la conscience On lui bande les yeux, on des objectifs poursuivis L’exécution est publique le fait mettre à genoux. Un par le commandement et le cérémonial qui geste… Les fusils mettent militaire avec cette mise l’accompagne démontre à en joue le condamné ; un en scène. De nombreuses quel point cette exécution second geste… Justice est révoltes de soldats, à doit servir d’exemple faite : une salve et l’homme l’occasion de certaines à la troupe. Une lettre, roule la poitrine défoncée, exécutions, contraignirent longuement citée par Nicolas quelques mouvements des le commandement militaire Offenstadt, l’illustre : membres qui se meurent, un à abandonner ces mises sous-officier armé du revolver en scène macabres pour « Réveil à 3 heures, départ à arrive et donne le coup de préférer des exécutions plus 4 heures avec 2 compagnies grâce : une balle dans la tête. discrètes. pour se rendre à un village

38 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 > Conclusion l’historien Antoine Prost sur l’horreur de cette guerre, nous ce sujet ou encore le dépôt ne pouvons que reconnaître En guise de conclusion, il est d’une proposition de loi par ces hommes qui ont, par un nécessaire de revenir sur la les députés de gauche en sentiment bien humain, tenté bataille pour la réhabilitation. juin 2014. de survivre et de s’échapper Celle-ci a débuté dès la fin de de cet enfer. la guerre. Des associations, et Certains invoquent en premier lieu la Ligue des l’impossibilité matérielle de Emeric Tellier, IHS CGT Droits de l’Homme, ont ainsi connaître les faits ayant métallurgie mené de nombreuses batailles conduit à l’exécution de judiciaires pour obtenir la ces soldats pour refuser une réhabilitation de certains réhabilitation automatique soldats, victimes d’erreurs et intégrale des fusillés. Il judiciaires manifestes. Elles est vrai que les archives ne y sont parvenus pour une permettent pas aujourd’hui quarantaine d’entre eux de conclure de manière et ont également obtenu définitive en raison de leur certaines avancées caractère lacunaire, mais législatives comme les lois aussi parce que dans de d’amnistie de 1919 et 1921, nombreux cas, le caractère la réforme du code de justice arbitraire de l’exécution militaire en 1928 ou encore la (tirage au sort, prise en compte création d’un Cour spéciale de critères comme le célibat, de justice militaire entre 1932 le « mauvais caractère » ou et 1935 pour étudier le cas la récidive) n’enlevait pas le spécifique des fusillés. faits que le crime commis était caractérisé, démontré par le Le débat rebondit en 1998, commandement militaire et à l’occasion du discours de admis par la victime. Lionel Jospin, alors Premier ministre, à Craonne (Aisne), Cette réhabilitation doit être durant lequel il réhabilita la nécessairement automatique mémoire des soldats fusillés et intégrale, dans la mesure suite aux événements de où nous ne pouvons et l’été 1917. La question de nous ne devons pas juger, la reconnaissance, de la à un siècle de distance, des réhabilitation de la mémoire comportements individuels. de l’ensemble des soldats Au contraire, nous devons fusillés pour l’exemple durant nous élever avec force contre la Première Guerre mondiale cette logique qui consiste à revient depuis régulièrement exécuter ses propres soldats sur le devant de la scène, en pour garantir la discipline témoigne le récent rapport et endiguer des pratiques rendu au secrétaire d’État d’évitement. Force est en aux Anciens combattants par effet d’admettre que face à

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 39 > Bibliographie indicative Paul Markidès, 14-18, les Guy Pedroncini, « Les cours sacrifiés. Massacrés par martiales durant la Grande André Bach, Justice militaire, l’armée française, Pantin, guerre », Revue historique, 1915-1916, Paris, Vendémiaire, Le temps des cerises, 2009, 1974, tome n° 252, pp. 393- 2013, 594 pages. 137 pages. 408.

André Bach, Fusillés pour Frédéric Mathieu, 14-18, les Denis Rolland, La grève des l’exemple (1914-1915), Paris, fusillés, Malakoff, Editions tranchées : les mutineries Tallandier, 2003, 617 pages. Sébirot, 2013, 904 pages. de 1917, Paris, Imago, 2005, 447 pages. Didier Callabre, Gilles Gilbert Meynier, « Pour Vauclair, Le fusillé innocent, l’exemple, un sur dix ! Les Emmanuel Saint-Fuscien, 1914-1917. La réhabilitation décimations en 1914 », « Énoncer, menacer, montrer : d’Eugène Bouret, Paris, Politique aujourd’hui, janvier- retour sur les exécutions « pour Autrement, 2008, 219 pages. février 1976, pp. 55-70. l’exemple » dans les pratiques de commandement de Yves Charpy, Paul Meunier : Nicolas Offenstadt, Les fusillés l’armée française de 14-18 », Un député aubois victime de la Grande guerre et la Guerres mondiales et conflits de la dictature de Georges mémoire collective, 1914- contemporains, 2012, n° 252, Clémenceau, Paris, 2009, Paris, Odile Jacob, 2009, pp. 47-60. L’Harmattan, 2011, 396 pages. 309 pages. Vincent Suard, « La justice Mino Faïta, Les fusillés Nicolas Offenstadt, « Une militaire française et la innocents durant la Grande mémoire à distances », peine de mort au début Guerre : morts pour et par Temporalités [En ligne], 5 | de la Première Guerre la France, Thonon-les-Bains, 2006, mis en ligne le 02 juin mondiale », Revue d’histoire Edition de l’Astronome, 2013, 2009. URL : http://temporalites. contemporaine et moderne, 148 pages. revues.org/295 janvier-mars 1994, n° 41-1, pp. 136-153. Odette Hardy Hémery, Fusillé Nicolas Offenstadt, vivant, Paris, Gallimard, 2012, « Construction d’une « grande Franz Van der Motte, Fusillés 288 pages. cause » : la réhabilitation des par la patrie. La justice militaire « fusillés pour l’exemple » de 1914 à 1918, Paris, Points Jean-Yves Le Naour, Fusillés. de la grande guerre », sur les I, 2012, 135 pages. Enquête sur les crimes de la Revue d’histoire moderne et justice militaire, Paris, Larousse, contemporaine, 1997, n° 44, 2010, 332 pages. pp. 68-85.

André Loez, 14-18. Les refus Régis Parayre, Histoire de de la guerre. Une histoire des Félix Baudy, maçon creusois, mutins, Paris, Gallimard, 2010, syndicaliste. De Royère au 690 pages. peloton d’exécution (1881- 1915), La Libre Pensée, 2007.

40 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 > Sur internet

Claire Arsenault, Véronique Barral, Fusillés pour l’exemple, l’ultime combat, webdocumentaire en ligne sur le site de Radio France International

URL : http://webdoc.rfi.fr/fusilles- premiere-guerre-mondiale-14- 18/#Accueil

Frédéric Durdon, Pierrick Hervé, Les fusillés de la Grande Guerre, Dossier pédagogique du CNDP, 2011, 76 pages.

URL : http://www.cndp.fr/pour- memoire/les-fusilles-de-la-grande- guerre/introduction/

Antoine Prost [dir.], Quelle mémoire pour les fusillés de 1914-1918. Un point de vue historien, Rapport remis au ministre délégué auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens combattants, Paris, 2013, 71 pages.

URL : http://centenaire.org/sites/ default/files/references-files/ rapport_8-11-2013.pdf

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Débat avec la salle

C. Ven, E. Tellier, J.-F. Caré, A. Malherbe, N. Boulanger © E. Barbara

> Jean-François Caré Autre point : Emeric Tellier a évo- ries pour 2017 et nous a pro- qué le discours de Lionel Jospin posé d’organiser une initiative Comment réhabiliter ceux en faveur de la réhabilitation commune à cette occasion. qui ont été exécutés, parfois des fusillés lors de sa visite au sans dossier ni accusation chemin des Dames à l’occasion La particularité de la Fédéra- précise ? 600 familles et leurs de l’inauguration d’un monu- tion de la métallurgie, c’est descendants sont privés de ment. Or ce monument de plu- qu’elle a continué à écrire la reconnaissance nationale. sieurs tonnes a été volé cet été. pendant la guerre. On peut Nous terminerons donc cette donc imaginer qu’un cer- journée en lançant un appel Il faut également savoir que tains nombre de ses articles au Président de la République l’essentiel des mutineries – on sont parvenus jusqu’aux tran- afin qu’il rouvre le dossier de parle d’ailleurs de plus en plus chées car ceux qui étaient la réhabilitation des fusillés de de « grèves des soldats » – de au front étaient extrêmement la Première Guerre mondiale. 1917 a eu lieu dans le Soisso- attentifs à ce qui se passait à nais. Les soldats en avaient l’arrière. Il n’y a certes pas de > De la salle, IHS de l’Aisne assez et l’offensive de Nivelle corrélation directe entre la ré- fut la goutte d’eau qui fit dé- volution russe et les mutineries Parmi les tout premiers fusillés border le vase. Le phéno- de 1917 mais il y avait quand pour l’exemple figurent ceux mène s’est ensuite répandu même un certain « climat ». de Vingré, un petit village de rapidement dans toutes les l’Aisne. Les faits se passèrent compagnies du Soissonnais. > Jean Cadet entre le 27 novembre et le On a en revanche très peu 4 décembre 1914. Alors que de traces de l’influence de la Emeric Tellier a indiqué qu’il des troupes françaises avaient révolution russe sur ce mouve- y avait eu 2 500 condamna- pris position devant Vingré, lors ment de grève. tions à mort mais que seuls d’une attaque allemande, une 727 exécutions. Pour quelles escouade se replia, sur ordre > Jean-François Caré raisons les condamnés à mort de son officier, suivie de deux n’ont-ils pas tous été exécu- autres. Or le général de Villaret Quand nous avons dit à Fré- tés ? n’acceptera pas ce repli et dé- déric Hadley, attaché d’his- cida de faire fusiller l’ensemble toire à l’Historial de Péronne, J’ajoute que ces exécutions de ces escouades. Finalement, que nous voulions parler des avaient les raisons les plus di- après intercession des officiers, fusillés pour l’exemple, il nous verses. Ainsi, il y a à Besançon seuls six soldats furent fusillés. a dit que l’Historial préparait une rue Bersot, du nom d’un une exposition sur les mutine- soldat fusillé pour avoir refu-

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 43 sé porter le pantalon tâché > De la salle nant qu’il y ait eu des mutine- de sang d’un autre militaire, ries. Les mutins ne refusaient comme l’a raconté Yves Bois- Dans son livre Orage d’acier, pas de combattre mais reje- set dans son filmLe Pantalon. Ernst Jünger raconte que taient la stratégie imbécile de lorsque sa division enleva une leur état-major. D’autre part, les fusillés ne fi- tranchée anglaise, les soldats gurent pas sur les monuments allemands furent surpris par > Emeric Tellier aux morts et leurs familles re- la qualité des rations alimen- vendiquent qu’ils y soient ins- taires des soldats anglais – et S’il n’y a eu que 727 exé- crits. En revanche, des villes l’on sait combien cette ques- cutions sur 2 500 condam- ont érigé des monuments tion est importante dans de nations, cela témoigne de pour protester contre ces telles circonstances. En sait- l’exemplarité recherchée par condamnations à mort. on un peu plus sur les motifs le commandement militaire des mutineries du côté an- et démontre le caractère ar- > Pierre Outteryck glais ? bitraire de ces exécutions. Il existe des cas où des dizaines On ne réalise pas le poids de > Alain Villeléger de soldats ont été condam- la propagande anti-boche nés à mort mais seulement de l’époque, à tel point que Je regrette la non-coopé- quelques uns fusillés, par la même un chansonnier pacifiste ration de l’armée française seule faute d’un tirage au comme Montéhus a écrit des dans l’ouverture des archives. sort. Très souvent, on a d’ail- chansons nationalistes qu’au- Yves Boisset lui-même a dû leurs recherché le « profil » rait pu écrire Maurras ou Dé- réaliser son film en Belgique. idéal : le célibataire, le récidi- roulède. Il faut donc bien me- L’armée française fait donc viste ou la forte tête. surer l’opprobre que pouvait barrage pour taire ce qui représenter pour une famille, s’est passé, ce que je trouve Sur ces 2 500 condamnés, une mère, une sœur ou une regrettable. certains ont aussi bénéfice épouse, le fait que son fils, son de l’intercession d’officiers ou frère ou son mari ait été fusillé À Béziers, la garnison locale a de soldats mais très souvent, pour l’exemple. refusé de tirer sur les vignerons quand un supérieur avait dé- car c’étaient leurs parents. cidé de faire un exemple, Par ailleurs, si le mot « grève » Montéhus en fit une chanson, cela se traduisait tout de apparaît dans la Chanson de Gloire au 17e, ce qui lui valut même par des exécutions. Craonne, c’est parce que la de faire de la prison. plupart de ces soldats étaient Sur les motifs des exécutions, des ouvriers, des gens du En août 1914, les soldats plus d’une vingtaine ont peuple. Déjà, en 1907, le 17e ré- partent pendant la moisson. été recensés mais certaines giment avait refusé de tirer sur Ils se retrouvent sur le front et d’entre elles n’avaient aucun les vignerons et on en parlait on leur demande de courir à fondement. encore dans les tranchées. Il travers des barbelés devant n’y a pas eu de grève insurrec- les mitrailleuses allemandes. Par ailleurs, le travail des his- tionnelle mais un mouvement Cela ne revient-il pas à se toriens a montré que le nom s’est opéré, comme l’a montré trouver face à un peloton de certains fusillés apparais- la fraternisation entre soldats d’exécution ? Dans de telles sait sur des monuments aux des deux armées à Noël 1914. conditions, il n’est pas éton- morts. Il est possible que le

44 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 commandement militaire ait à l’échelle humaine. Dans le Concernant les archives, j’ai cherché à masquer sa res- rapport qui lui a été deman- travaillé sur le livre du général ponsabilité en faisant passer dé par le secrétariat d’État André Bach, qui fut respon- les fusillés pour des victimes aux anciens Combattants, sable du service des archives de la guerre. Certaines mu- Antoine Praud, professeur historiques de l’armée, dans nicipalités ont aussi obtenu d’université, propose la nu- lequel il cite le chiffre de 140 l’inscription de ces victimes mérisation de l’ensemble des à 150 000 dossiers, soit une sur les monuments aux morts, dossiers judiciaires et leur mise masse de documentation mais elles ne sont qu’une poi- en ligne sur le portail des vic- énorme qui mériterait que gnée. La question de l’inscrip- times de la guerre géré par le nous nous y consacrions nom- tion de l’ensemble des fusillés ministère de la Défense, mais breux. reste donc posée. cela représenterait un travail considérable. Le rôle des his- Concernant les fusillés de Je ne connais pas les motifs toriens autodidactes est donc 1917, je ne pense pas que l’on d’exécution du contingent très important pour consulter puisse parler à leur propos de anglais mais je pense que ces dossiers. « mutins ». Contrairement à même si la nourriture était une mutinerie, les officiers ne meilleure dans les tranchées Dernière remarque : les histo- furent pas mis en cause. Ce britanniques, cela n’enlevait riens officiels de la Première mouvement s’apparentait rien à l’horreur des combats. Guerre mondiale se sont long- plutôt à une grève, à un refus Les motivations sont donc sans temps attardés sur ses aspects de sortir des tranchées pour doute les mêmes que côté militaires mais n’ont que très mener des attaques sans inté- français. La mutilation volon- rarement pointé les respon- rêt tactique. taire, par exemple, n’était pas sabilités du haut comman- prévue dans le code de jus- dement. Il fallut attendre que Concernant les fusillés pour tice militaire mais le comman- l’on s’intéresse à ses aspects l’exemple, certains pensent dement militaire a contourné sociaux, que l’on s’y intéresse qu’on ne peut pas tous les ré- cette difficulté en l’assimilant à hauteur d’hommes pour se habiliter car cela reviendrait à un abandon de poste. rendre compte du caractère à les placer sur le même plan irresponsable et criminel de que ceux qui se sont bat- Concernant la non-coopé- ce haut commandement qui tus vaillamment et qui n’ont ration de l’armée française, a envoyé des millions de sol- pas reculé devant l’ennemi. il s’agit hélas d’un reproche dats à la boucherie. Mais comme l’écrivait Leleu, classique. Les travaux menés du 102e régiment d’infante- ces dernières années sur les > Claude Ven rie et décoré de la Croix de fusillés pour l’exemple ont été guerre : « Je me suis laissé dire en grande partie permis par J’ai été impressionné par qu’après la guerre, des fu- l’ouverture des archives de le nombre de fusillés pour sillés avaient été considérés la justice militaire mais ils sont l’exemple : 330 Anglais, 727 Fran- comme morts pour la France, souvent incomplets, quand ils çais, 750 Italiens… Quand on re- ce qui serait une sorte de ré- n’ont pas été détruits ou per- garde la façon dont les choses habilitation. Je ne sais si cela dus. L’autre difficulté, c’est se sont passées en Italie, on est est exact mais quant à moi, je que cela représente une frappé par l’incompétence des crois sincèrement que beau- masse considérable de docu- états-majors, qui s’est retournée coup de ces malheureux sont ments, très difficile de traiter contre les exécutants. effectivement morts pour le

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 45 pays car c’est la France qui sition contre la logique des fu- étaient chantées au moment les appelés et c’est pour elle sillés pour l’exemple et de de- des grèves de l’été 1917 et qu’ils se sont battus, qu’ils mander la réhabilitation de les références à L’Internatio- ont souffert là où les menait tous ceux qui ont été passés nale ou à la révolution russe leur tragique destinée et ce par les armes. n’y étaient pas majoritaires, n’est pas un moment de dé- même si cela montre aussi le faillance physique ou morale > Jean-François Caré rôle joué par les militants dans qui peut effacer leur sacrifice. ces mutineries, qui firent écho J’ose m’incliner devant leur Le texte de notre appel au à ce qui se passait à l’arrière. mémoire. Jugera qui voudra, Président de la République à condition qu’il soit passé n’est pas rédigé. Nous devons Concernant l’attitude du gou- par là. » encore y travailler. vernement, on peut distinguer deux périodes. Entre août 1914 Le mouvement de réhabilita- > Bernard Lamirand et décembre 1915, le gouver- tion a commencé dès après nement civil abandonna ses la guerre, emmené par les Quel a été l’attitude du gou- prérogatives à l’État-major, ce anciens combattants eux- vernement de l’époque vis-à- qui se traduisit par 500 exécu- mêmes. Des soldats exem- vis des fusillés pour l’exemple ? tions. Par la suite, on nota une plaires, cités et décorés, se volonté de reprendre la main, sont parfois retrouvés face à > Norbert Boulanger avec notamment l’adoption un peloton d’exécution pour en avril 1916 d’une loi qui re- avoir hésité ou reculé de- Avant que la guerre ne se dé- vient sur l’aspect arbitraire des vant l’ennemi. Chaque cas clare, la France était un pays cours martiales mais la France est particulier, ce qui justifie très inégalitaire et politique- était en guerre et l’État-ma- aux yeux de certains qu’ils ne ment conflictuel. Or l’entrée jor garda les mains libres pour soient pas tous réhabilités et en guerre et l’Union sacrée faire en sorte de la gagner. On je crois que nous devons nous n’ont pas réglé tout cela, au assista donc à une forme de opposer à cette interpréta- contraire puisque les prix ont démission du gouvernement tion. Nous ne sommes en effet été multipliés par trois. La si- en faveur de l’État-major. pas là pour juger des individus tuation économique et so- mais pour condamner la lo- ciale s’est donc aggravée et > Allain Malherbe gique qui voulait qu’on fusille l’Union fédérale des ouvriers des hommes pour l’exemple. de la Métallurgie continuait Il vaudrait sans doute la peine à publier des écrits contre la de travailler sur ce qui se pas- Le travail des archives est guerre dans un pays où les sait à l’arrière, en particulier important mais ce n’est pas choses allaient très mal socia- dans les usines. Chez Citroën automatiquement par là lement parlant. Cette situa- par exemple, beaucoup de que passe la bataille pour la tion sociale n’a-t-elle pas eu soldats furent renvoyés dans défense d’un principe. Des un effet sur les troupes et sur les usines où ils furent soumis hommes ont été envoyés au leur refus de monter au front ? aux mêmes conditions que les combat et la situation a fait militaires. Je ne sais pas si cer- que certains d’entre eux ont > Emeric Tellier tains d’entre eux ont été fusil- connu un moment de fai- lés mais je pense que ce se- blesse. C’est pour cela qu’il Un historien a recensé les mots rait un champ de recherches est important de prendre po- d’ordre ou les chansons qui intéressant, notamment pour

46 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 l’année 1917 durant laquelle mondiale et a trouvé son ex- > Jean-François Caré il y eut des grèves dans les pression maximale durant usines d’armement, alors que les années trente, puis la Se- Combien la guerre a-t-elle cela était totalement interdit. conde Guerre mondiale. On coûté et qui l’a payée ? Nous voit donc bien l’impact que avons quatre ans pour y réflé- > Claude Godart ces deux conflits ont pu avoir chir et nous savons que nous sur l’organisation du travail. reviendrons ici en 2017 pour En période de guerre, la loi évoquer les mutineries de Mouriez a contribué à renforcer Il existe de très beaux témoi- 1917. les bénéfices des entreprises. gnages sur des cas de frater- Dans le même temps, des sa- nisation entre les deux tran- Ce dont je peux témoigner, lariés se sont mis en grève, no- chées, où l’on tire à heures c’est que les prisonniers al- tamment dans les usines aéro- fixes, où l’on échange de la lemands détenus dans le nautiques qui travaillaient pour nourriture, etc. L’ensemble de Nord-Pas-de-Calais ne furent l’armée. Il est donc bon de ces témoignages nous rap- pas renvoyés dans leur foyer montrer qu’il y avait pendant pelle que les soldats qui étaient mais envoyés travailler gra- la guerre un malaise important dans les tranchées étaient tuitement à la mine et par- chez les ouvriers. avant tout des humains. Ils qués dans des conditions qui avaient conscience que ceux ressemblaient à celles des > Allain Malherbe qui se trouvaient en face d’eux camps d’extermination. Cé- étaient eux aussi des ouvriers lestin Leducq, dirigeant de Combien a coûté la guerre et et des paysans. Même si cela la métallurgie douaisienne, qui a payé la reconstruction ? n’était pas toujours formulé, acheta donc un dictionnaire ils avaient le sentiment que français/allemand pour dis- > Emeric Tellier cette guerre n’était pas la leur cuter avec eux et défendit et que tous ces moments de leurs conditions de vie et de Il faut effectivement revenir trêve faisaient autant de morts travail. sur ces aspects, rarement trai- en moins. tés par les magazines de vul- D’autres prisonniers tra- garisation historique. Il serait > Jean-François Larosiere vaillèrent à la construction bon que d’ici 2018, nous puis- des habitations destinées à sions organiser une nouvelle Qui a payé la reconstruction ? l’extension de l’exploitation initiative sur ce qui se passait Le Traité de Versailles fit appa- minière. Dans mon village à l’arrière, car les métallos raître la notion de « réparation », d’origine, deux cités minières ont sans doute beaucoup de que la France fit payer à l’Alle- de 400 et 200 habitations ont choses à apporter. Cela per- magne vaincue, mais cette été construites par des prison- mettra de remettre en avant paix ne fut pas celle des travail- niers allemands. Les compa- la question des bénéfices de leurs. On la fit payer au peuple gnies houillères de l’époque la guerre et de son impact sur allemand dans sa globalité. Je exploitèrent donc une main- l’organisation du travail. crois que nous devrions y travail- d’œuvre gratuite et les pri- ler car cette notion de répara- sonniers de guerre payèrent Un récent rapport sur les gains tion mit en route un mécanisme un très lourd tribut. de productivité a montré que infernal non seulement pour le l’essor des États-Unis a pris ra- peuple allemand, mais aussi cine dans la Première Guerre pour le peuple français.

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 47 > Pierre Outteryck pourrait aussi nous permettre même dans les situations les d’évoquer certaines réali- plus douloureuses. Le 11 novembre 1918, lorsque tés économiques telles que les cloches sonnent pour an- l’émergence de l’industrie > Jean-François Caré noncer l’armistice, pour tous aéronautique ou des entre- les poilus, c’est la « der des prises automobiles, qui en- Rendez-vous est donc pris ders ». Mais le Traité de Ver- grangèrent durant cette pé- pour 2017. Quand nous nous sailles – voulu par la France, riode énormément de profits sommes lancés dans cette en particulier par le gouver- qui leur permirent ensuite de aventure, nous ne savions pas nement Poincaré-Clémen- se développer. trop ce qui allait se passer. Ré- ceau – porte en germe les unir ici des personnes qui sont soixante millions de morts de Par ailleurs, j’invite chacun parfois venues de loin pour la Deuxième Guerre mon- d’entre vous à nous faire par- parler d’événements surve- diale. Entre 1924 et 1933, Hit- venir vos contributions écrites. nus voici un siècle n’était pas ler construisit en effet sa prise Nous sommes preneurs de gagné. Grâce à vous, nous y de pouvoir sur le thème de la tout ce qui permettra d’enri- sommes arrivés et avons ap- revanche et ce traité lui don- chir les actes de ce colloque. pris beaucoup de choses, na la possibilité de le déve- que nous pourrons léguer aux lopper. Il nous faut y réfléchir > Emeric Tellier générations futures. aujourd'hui quand on nous dit qu’on peut régler les pro- Nos débats ont été intéres- blèmes en bombardant ici où sants et ont ouvert plus de là. questions qu’ils n’en ont réso- lu. C’est donc une incitation à > Claude Ven prolonger notre réflexion par des travaux de recherche et Concernant les affectations je pense que chacun d’entre spéciales, les soldats qui ont nous peut apporter des élé- été renvoyés dans les usines ments de connaissance his- n’ont pas été rendus à la vie toriques. Je vous donne donc civile. Ils restaient des militaires rendez-vous dans deux ans et étaient chargés d’assurer pour dresser un nouvel état la production pour l’armée. des lieux. Leur situation était donc par- ticulière et il serait intéressant > Thérèse Dheygers, Madame d’y travailler, ainsi que sur la la Maire de Péronne place des femmes, du syn- dicalisme et des conflits au Je vous félicite pour la quali- sein d’entreprises dont le sta- té de vos exposés et de vos tut était très particulier. Nous échanges. On voit bien qu’il pourrions peut-être nous fixer est question là de la condi- un rendez-vous pour 2017 et, tion humaine, tant à travers d’ici là, travailler sur les mu- les mutineries que les fraterni- tineries, en lien avec ce qui sations, et que les soldats ont se passait à l’arrière. Cela continué à être des hommes

48 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Contribution de Claude Godart et Serge Boucheny

C. Godart, S. Boucheny © E. Barbara

partir des recherches fits de guerre énormes per- énormes consommés par et du travail accompli mettent d’évaluer le degré les actionnaires. Leur impor- Àpar notre AHS Snecma d’exploitation, les mauvaises tance révolte les Français qui sur l’histoire de cette entre- conditions de vie et de travail souffrent dans une guerre qui prise produisant des moteurs des travailleurs, la limitation n’est pas la leur. d’aviation, nous souhaitons des libertés et, face à cela, apporter quelques éléments l’esprit de révolte, la volonté Pendant quatre années, de concernant les profits pa- de changement, de paix qui 1914 à 1918, l’industrie aé- tronaux d’une entreprise s’est exprimée en de nom- ronautique française va dénommée « Société des breuses occasions. construire plus de 50 000 ap- Moteurs Gnome et Rhône pareils. En 1918, le rythme at- (SMGR) » jusqu'à sa nationa- L’affectation par l’État de teint 2 000 avions par mois. lisation en 1945. considérables crédits affec- tés aux fabrications militaires La SMGR va produire en La connaissance des pro- a été la source des profits quatre années 20 500 mo-

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 49 teurs (aucune firme n’aura salaire moyen journalier était Illustration de la vertigineuse produit plus pendant la Pre- de 9 francs en 1913. expansion de la SMGR, celle- mière Guerre mondiale). ci acquiert l’ancienne usine Il est certain que les comptes ne boulevard Kellermann dont Le chiffre d’affaire qui était sont pas sincères, une grande elle était seulement locataire. en 1914 de 15 447 000 francs partie des bénéfices ayant été triple en 1915 pour at- réinvestis en bâtiments et équi- Au travers de cet exemple teindre 44 064 000 francs. pements. précis, c’est l’importance des 75 537 000 francs en 1916. profits de guerre qui révoltent 97 635 000 francs en 1917. L’important scandale de cette les Français et Françaises qui 93 036 000 francs en 1918 . situation financière amène ont versé leur sang. Tous ceux à la création d’une commis- qui souffrent malgré l’impor- En 1918, 180 000 personnes sion d’enquête parlemen- tance de la propagande travaillent dans l’industrie aé- taire. Celle-ci est diligenté par belliciste expriment leur mé- ronautique, ils sont à la source Paul Émile Flandin (député de contentement. La répression des super profits engendrés. droite). Reprenons ce que dit et la menace pèsent lourde- cette enquête fondée sur les ment ; pour faire taire les tra- En juin 1914 les deux sociétés rapports annuels publiés par la vailleurs la loi Mourier assimile « Gnome » et « moteurs Rhô- SMGR. les personnels travaillant dans ne » décident la fusion. Résul- les usines de guerre à la loi tat, en 1915 les actionnaires Il est noté : que la commission militaire. Ils vivent sous la me- de « Rhone » reçurent un to- à trouvé un profit net de 33,6 nace, ils travaillent dur. tal d’environ 7 700 000 francs millions en 1916 alors que la sous la forme de 2 700 ac- compagnie ne fait état que En février 1918 les ouvriers tions nouvelles au nominal de 14,3 millions ; le député Flan- non qualifiés de la SMGR dé- de 100 francs alors que le din a inclus dans ses chiffres les brayent et revendiquent un titre était à ce moment coté réserves mises de côté par la salaire journalier au lieu du aux environs de 2 800 francs. compagnie pour faire face à salaire aux pièces ; riposte Chaque action rapporta un des impôts sur les bénéfices de patronale dans l’usine qui dividende de 250 francs en guerre en application de la loi emploie 1 340 ouvriers dont 1915 et donna droit au rem- du 1er juillet 1916. un quart de femmes : la plus boursement de sa valeur no- grande partie des activités minale (100 francs). Le ca- Les chiffres de Flandin mon- de la SMGR furent transferée pital action SMGR atteignit traient un profit net de en province, à Lyon et à Tours. de ce fait 1 475 millions de 6 918 francs par moteur en francs. C’était une fort bonne 1916, tandis que la compagnie Serge Boucheny et Claude affaire pour les actionnaires ne déclarait que 2 937 francs. Godart, AHS Snecma de « Rhône » dont les pla- cements passèrent ainsi en Il ajoute « les dividendes re- moins de trois ans de 2,1 mil- flètent la prospérité de la lions à 7,7 millions. Société : ils sont passés de 200 francs par action de D’après P. James Laux, les ou- 100 francs en 1913 à 250 en vriers travaillaient dix heures 1915 et 300 francs en 1916 et par jour pendant six jours, le 1917 ».

50 Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 Dépot de gerbes

La fin de la matinée a été consacrée au dépôt de deux belles gerbes de roses et d’oeillets rouges sur le monument aux morts de Pé- ronne, ainsi que sur la tombe d’un soldat anglais inconnu fusillé pour l’exemple.

Sur les rubans était inscrit :

« Aux morts de la guerre 14/18 Pourquoi ? Pour qui ? Les Métallos CGT »

« Aux fusillés pour l’exemple Venus pour servir la France Les Métallos CGT »

Monument aux morts de Péronne © E. Barbara

Les Métallos CGT face à la Grande guerre IHS métallurgie février 2016 51 Institut CGT d’histoire sociale de la métallurgie

94 rue Jean-Pierre Timbaud 75011 Paris 01 53 36 86 38 | [email protected]

Maquette réalisée par Rudy Jean-François | février 2016

Imprimerie Rivet Presses - Limoges

En couverture : Dessin original commandé par l’IHS CGT métallurgie à l’occasion du colloque © Pierre Corneloup | coll. IHS CGT Métallurgie Table des matières

Introduction 3

Alphonse Merrheim et le pacifisme 10

Débat 21

Jean Lods, Hommage à Jean Jaurès 29

Débat 32

Les fusillés pour l’exemple 35

Débat 43

Gnome et Rhône 49

Dépôt de gerbes 51

Table des matières 53

Bulletin d’adhésion 2016

POSSIBILITÉ DE DEMANDE DE PRÉLÈVEMENT AUTOMATIQUE COTISATION & Avec un relevé d’identité bancaire IBAN

> Organisations de + de 50 adhérents : 82 € > Organisations de - de 50 adhérents : 22 € > Individuel : 22 €

Réglement par chèque à l’ordre de : L’Institut CGT d’Histoire Sociale de la Métallurgie À adresser à : IHS Métallurgie 94, rue Jean-Pierre Timbaud 75011 PARIS 01 53 36 86 38 | [email protected]

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