Théâtral magazine

L’actualité de la création théâtrale janvier - février 2016

EXCLUSIF

Michel Bouquet Patrick Chesnais Ivo van Hove Joël Pommerat Alexis Michalik Pio Marmaï Chloé Lambert Thierry Lhermitte Isabelle Carré Dominique Valadié U A E

V GO Daniel U T

O Go Théâtre N l’appli théâtre AUTEUIL E DOSSIER Le théâtre “haletant”, laissez-vous embarquer ! M 02434 - 57 - F: 4,60 - RD Théâtral magazine n 57 www.theatral-magazine.com ° ’:HIKMOD=YUY[UV:?a@k@f@h@k"

ommaire eux ! eilleurs vo avec nos m S Théâtral magazine N° 57 - JANVIER / FEVRIER 2016

04 AGENDA Janvier - Février 2016 06. Têtes d’affiches 08 ACTUALITÉS 09. Edito de Gilles Costaz 10 LA UNE

Théâtral magazine est édité par 10. Daniel Auteuil Coulisses Editions 7 rue de l’Eperon 75006 Paris 14 A L’AFFICHE Tél : + 33 1 43 27 07 03 14 . Benjamin Jungers, Isabelle Carré Email : [email protected] Site Internet : www.theatral-magazine.com 16 . Michel Bouquet, Francis Lombrail, Gwenaël Morin 18 . Laura Scozzi, Laurent Gutmann Directeur de la publication : Hélène Chevrier 20 . Magali Montoya, Anne-Laure Liégeois Directeur de la rédaction : Enric Dausset 22 . Pio Marmaï , Simon Bakhouche Rédactrice en chef : Hélène Chevrier 24 . Pauline Klaus [email protected] 26 . Chloé Lambert, Dominique Valadié Rédaction : 28. Clément Poirée Hélène Chevrier 30 . Igor Dromesko, Thierry Lhermitte Gilles Costaz 32 . Stéphane Plaza Enric Dausset GO 34 . Arnaud Meunier, Philippe Lellouche Igor Hansen-Love T 36 . Ivo van Hove Jacques Nerson Nathalie Simon Go Théâtre 38 . Bénabar, David Lescot François Varlin 40 . Patrick Chesnais, Ludovic Lagarde Hadrien Volle l’appli théâtre 42 . Grégori Baquet, Emma de Caunes Direction artistique et maquette : 44 . Valère Novarina, Rodolphe Dana Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 46 . Philippe Quesne, Elise Vigier et Jean-François Perrier Fabrication impression : 48 . Frédéric Bélier-Garcia SIB Imprimerie - Imprimé en France Tirage : 10 000 exemplaires 50 DOSSIER : Le théâtre “haletant” avec Joël Pommerat, Sébastien Azzopardi, Ladislas Chollat, Distribution : Presstalis Dépôt légal : date de parution Pauline Bureau, Alexis Michalik, Yann Reuzeau, Claire David, Com mission paritaire du journal : 0319 G 89789 Grégoire Cuvier, Anaïs Allais Commission paritaire du site : 1117 W 90648 Publicité : 60 ZOOM : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 Festival mondial du Cirque de Demain, Gestion Flashcodes Festival virtual.hom(me), Emergence au Nouvel Olympia Arnaud Lacaze : + 33 1 42 18 00 00 www.infotronique.fr 68 PRIX Photo couverture Daniel Auteuil © Andre Rau_HandK 70 PORTRAIT/FOCUS : Céline Samie, Jean Robert-Charrier Le prochain numéro sortira en kiosques le 28 février 2016 72 INÉDIT : L’Autre Saison du TNS - Strasbourg 74 PAGES CRITIQUES ABONNEMENT 82 LE GRAIN DE SEL 1 an = 25 € p.81 de Jacques Nerson

www.theatral-magazine.com Théâtral magazine Janvier - Février 2016 3 genda Spectacles à ne pas manquer

A L’Autre, de Florian Zeller, avec Benjamin Jungers... 1-déc p.14 Poche-Montparnasse, 75006 Paris, 01 45 44 50 21

De l'influence des rayons gamma sur... , avec Isabelle Carré, 17-déc p.15 L’Atelier, 75018 Paris, 01 46 06 49 24, jusqu’au 23/01

A tort et à raison , avec Michel Bouquet, Francis Lombrail... 23-déc p.16 Théâtre Hébertot, 75017 Paris, 01 43 87 23 23

Les Molière de Vitez, mise en scène Gwenaël Morin, 5-janv p.17 Amandiers, 92000 Nanterre, 01 46 14 70 00, 5 au 30/01

Barbe-Neige et les sept petits cochons..., conception Laura 5-janv p.18 Scozzi, Rond-Point, 75008 Paris, du 5 au 31/01 et en tournée

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Victor F., d’après Frankenstein, mise en scène Laurent Gutmann t 5-janv p.19 L’Aquarium, Vincennes, 01 43 74 99 61, du 5 au 24/01

La Princesse de Clèves, mise en scène Magali Montoya, 5-janv p.20 MC2 Grenoble 5-16/1, Echangeur Bagnolet 19 -26/3, tournée

Fugue , mise en scène de Samuel Achache, 5-janv p.80 du 5 au 24/01 Bouffes du Nord à Paris, et en tournée

Les époux , de David Lescot, mise en scène Anne-Laure Liégeois, 6-janv p.21 tournée : Montluçon, Dijon, Malakoff, Cergy-Pontoise...

Roberto Zucco , de Bernard-Marie Koltès, avec Pio Marmaï, 6-janv p.22 6-7/1 Lorient,13-16/1 Toulouse, 29/1-20/2 Saint-Denis...

Le bruit court que nous... , de et par Simon Bakhouche, L

7-janv p.23 D R

Bastille,75011 Paris, 01 43 57 42 14, du 7 au 29/01 @ Lapidée , de Jean Chollet-Naguel, avec Pauline Klaus... 7-janv p.24 Comédie Bastille, 75011 Paris, 01 48 07 52 07

La médiation , avec Julien Boisselier, Chloé Lambert… 8-janv p.26 Poche-Montparnasse, 75006 Paris, 01 45 44 50 21

Qui a peur de Virginia Woolf ? , avec Dominique Valadié... 8-janv p.27 Théâtre de l’Oeuvre, 75009 Paris, 01 44 53 88 88

Festival virtuel.hom[e] , sur le transhumanisme, Théâtre 10-janv p.64 Victor-Hugo, 92220 Bagneux, 01 46 63 96 66 , 10-31/01

Pygmalion , de George Bernard Shaw, avec Lorie, Benjamin Egner. 12-janv Théâtre 14, 75014 Paris, 01 45 45 49 77, 12/01 au 27/02

Conte d'hiver , de Shakespeare mise en scène Declan Donnellan, 14-janv Gémeaux, 92330 Sceaux, 01 46 61 36 67, du 14 au 31/01

Maris et femmes, de W.Allen, mise en scène Stéphane Hillel,

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t 14-janv Théâtre de Paris, 75009 Paris, 01 42 80 01 81, jusqu’au 29/05 @

Le Jour du grand jour , par le théâtre Dromesko. 14-janv p.28 Le Montfort 15-30/01, Centquatre, 9-20/02, puis en tournée

La Nuit des Rois , de Shakespeare, mise en scène Clément 15-janv p.30 Poirée, La Tempête-Vincennes, 01 43 28 36 36, 14/1-14/2

4 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 J a n . - F é v .

Le syndrome de l'écossais, avec Thierry Lhermitte, 15-janv p.31 Nouveautés, 75009 Paris, du 15/01 au 30/04 L’envers du décor, de Florian Zeller, avec Daniel Auteuil... 15-janv p.10 Théâtre de Paris, 75009 Paris, 01 48 74 25 37 Le Fusible, avec Stéphane Plaza, Arnaud Gidoin... Bouffes 16-janv p.32 Parisiens, 75002 Paris, 01 42 96 92 42, 16/01 au 25/06

Le Retour au désert, avec Catherine Hiegel, Didier Bezace... 20-janv p.34

Théâtre de la Ville à Paris, 20-31/01, Célestins à Lyon 3-11/02

r d Tout à refaire, avec Gérard Darmon, Philippe Lellouche...

@ 21-janv p.35 Théâtre de la Madeleine, 75008 Paris, 01 42 65 07 09

Kings of war, d’après Shakespeare, mise en scène Ivo van Hove, 22-janv p.36 Chaillot, 75016 Paris, 01 53 65 30 00, du 22 au 31/01

Je vous écoute, de et avec Bénabar... 22-janv p.38 Théâtre Tristan Bernard, 75008 Paris, 01 45 22 08 40

Les Derniers Jours de l'humanité, avec Denis Podalydès... 27-janv p.39 Vieux-Colombier, 75006 Paris, 01 44 39 87 00, 27/01-28/02

Une famille modèle, mise en scène Anne Bourgeois, avec Patrick 27-janv p.40 Chesnais .Théâtre Montparnasse, 75014 Paris, 01 43 22 77 74

Reims Scènes d’Europe, 03 26 48 49 00, 10 jours de théâ- 28-janv p.41 tre, danse, cirque, musique etc..., du 28/01 au 6/02

Festival Mondial du Cirque de Demain, Pelouse de Reuilly 28-janv p.60 75012 Paris, 01 40 55 50 56, du 28 au 31/01

© Cyrano de Bergerac, mise en scène D.Pitoiset, avec Philippe

t a 2-févr p.76 m Torreton, Porte Saint-Martin, 75010 Paris, 01 42 08 00 32 a

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f f Les Cavaliers, de Joseph Kessel, avec Eric Bouvron, Grégori e

z 3-févr p.42 Baquet... Théâtre La Bruyère, 75009 Paris, 01 48 74 76 99

La Rivière, avec Emma de Caunes, Nicolas Briançon... 5-févr p.43 Comédie des Champs-Elysées, 75008 Paris, 01 53 23 99 19

Le Discours aux animaux, de V. Novarina, par André Marcon 5-févr p.44 Bouffes du Nord, 75010 Paris, 01 46 07 34 50, 5 au 20/02

Le coup droit lifté de Marcel Proust, de et avec Rodolphe 6-févr p.45 Dana..., Bastille, 75011 Paris, 01 43 57 42 14, du 6 au 19/02

La Candidate, avec Amanda Lear... 12-févr Théâtre de la Michodière, 75002 Paris, 01 47 42 95 22

Caspar Western Friedrich, par Philippe Quesne w

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15-févr p.46

m t Amandiers, 92000 Nanterre, 01 46 14 70 70, 15 au 19/02

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@ Portrait Koltès, par Elise Vigier, du 23/02 au 1/03 à la 23-févr p.47 Comédie de Caen, 2 au 4/03 au Théâtre de Caen

Chat en poche, de Feydeau, mise en scène Frédéric Bélier-Garcia 23-févr p.48 NTA, 49100 Angers, 02 44 01 22 44, du 23/02 au 12/03

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 5 ffiche T êtes d’a

Daniel Auteuil met en csène et joue L’envers du Michel Bouquet joue dans A tort et à raison décor, au Théâtre de Paris -> p. 10 au Théâtre Hébertot -> p. 16

Pio Marmaï joue dans Roberto Zucco Chloé Lambert crée La médiation Isabelle Carré joue et met en scène De l'influence des en tournée -> p. 22 au Poche Montparnasse -> p. 26 rayons gamma au Théâtre de l’Atelier -> p. 15

Dominique Valadié joue dans Qui a peur Stéphane Plaza et Arnaud Gidoin jouent de Virginia Woolf ? à l’Oeuvre -> p. 27 dans Le Fusible aux Bouffes Parisiens -> p. 32

Thierry Lhermitte joue dans Le syndrome Gérard Darmon joue dans Tout à refaire Bénabar crée Je vous écoute de l’écossais aux Nouveautés -> p. 31 à la Madeleine -> p. 35 au Théâtre Tristan Bernard -> p. 38 ffiche êtes d’a Emma de Caunes joue dans La rivière à la Comédie des Champs-Elysées -> p. 43

Patrick Chesnais joue dans Une famille Amanda Lear crée La Candidate modèle au Théâtre Montparnasse-> p. 40 au Théâtre de la Michodière

Catherine Frot et Michel Fau jouent dans Denis Podalydès joue dans Les derniers jours Suliane Brahim joue dans Roméo et Juliette Fleur de cactus au Théâtre Antoine -> p. 80 de l’humanité au Vieux-Colombier -> p. 39 à la Comédie-Française -> p. 76

Lorie Pester joue dans Pygmalion Vincent Pérez et Dominique Blanc jouent dans au Théâtre 14 à Paris Les liaisons dangereuses au TNS Strasbourg

Catherine Hiegel joue dans Le Retour au dé - sert au Théâtre de la Ville et aux Célestins -> p. 34

Philippe Torreton reprend Cyrano de Bergerac à la Porte Saint-Martin -> p. 76 ctualités

A PRIX DE LA FONDATION LUC BONDY, L’EUROPÉEN BAJEN À YVES BARBARA La Fondation créé par Jean-Ma - Directeur de l'Odéon - Théâtre de l'Europe, nuel Bajen, le directeur du Théâ - le Suisse Luc Bondy est mort à l'âge de 67 tre des Variétés, vient de ans, avant d'avoir terminé son mandat. Ar - récompenser La Mauvaise tête de tiste polymorphe (acteur, romancier, réali - Yves Barbara. La pièce devrait sateur à l'occasion), il était surtout un donc être produite par la Fonda - grand metteur en scène qui travaillait dans tion dont la vocation est d’aider plusieurs capitales. C'était un Européen né les auteurs et comédiens à se pro - à Zurich, qui avait passé son enfance en

@ fessionnaliser.

France, avait beaucoup travaillé en Alle - D R magne et en Autriche : il avait dirigé la NOMINATIONS : MARION Schaubühne à Berlin et le festival de Vienne. En France, ses premiers grands FOUILLAND BOUSQUET succès remontent aux années Chéreau à Nanterre : à partir des deux pièces ET FABIENNE LORONG de Schnitzler, Terre étrangère et Le Chemin solitaire , et de l'adaptation du Marion Fouilland Bousquet, ex- Conte d'hiver de Shakespeare par Koltès, il créa des spectacles d'un grand directrice de l’Espace Malraux à raffinement, à l'esthétique picturale, au jeu d'une élégante profondeur. Eut- Chambéry et du Volcan au il raison de prendre la direction de l'Odéon, alors qu'il se savait malade et Havre, est nommée à la tête de qu'il luttait contre le mal depuis des années ? Il trouva la force de faire la Scène nationale de Narbonne. quelques belles mises en scène ( Les Fausses Confidences ), en demandant Quant à Fabienne Lorong, l’ac - souvent aux acteurs de venir répéter chez lui. “Je suis un autre, quelqu'un tuelle directrice du Centre cultu - que vous ne connaissez pas et que vous ne parviendrez jamais à mettre en rel Pablo Picasso à Homécourt, rapport avec moi” , écrivait-il en ouverture de son roman Dites-moi qui je elle prend la direction du Car - suis pour vous . Reste-t-il un inconnu ou ne fut-il pas plutôt la synthèse des reau à Forbach. personnages fictifs qu'il mit en scène ? Gilles Costaz WOODY ALLEN AU PETIT THÉÂTRE DE PARIS Stéphane Hillel met en scène STÉPHANE BRAUN - Maris et femmes de Woody Allen SCHWEIG À L’ODÉON dans la petite salle du théâtre de Suite à la disparition de Luc Paris avec sept comédiens dont Bondy, le jeune et talentueux Florence Pernel, Hélène Médigue, Stéphane Braunschweig vient José Paul et Marc Fayet. Recom - d’être nommé à la direction de mandé pour les couples en pleine l’Odéon. Actuellement directeur remise en question ! Théâtre de du Théâtre de la Colline, et au - Paris, 15 rue Blanche 75009 paravant directeur du Théâtre Paris, 01 48 74 25 37, du 14 jan -

National de Strasbourg, il sera le @ vier au 29 mai.

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seul artiste à avoir dirigé trois a

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théâtres nationaux. h CINQUIÈME ÉDITION DU

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h i Le festival des auteures de théâtre SHCODES o FLA Dans ce numéro de THÉÂTRAL MAGAZINE , vous trouverez qui a lieu chaque année au théâ - un certain nombre de flash codes que vous pouvez scanner avec votre smart - tre des Mathurins porte cette phone. Ils vous renvoient via internet vers les bandes-annonces des pièces dont nous parlons dans le journal et réalisées par la société Visioscène. année sur la thématique Crimes et Ce sont aussi des liens vers les billetteries des spectacles. Châtiments . Neuf femmes au -

8 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 L’ÉDIT de Gilles COSOTAZ teures romancières et drama - BONNE ANNÉE ! turges ont écrit chacune un texte. Et pour la première fois, un auteur masculin, Christian Siméon, a éga - Bonne année à tous les festivals sup - lement été invité à plancher sur le primés ! sujet. Au total les 10 pièces re - Bo nne année aux théâtres et aux cueillies sont mises en espace par manifestations dont les dotations Xavier Gallais, Mathilda May et ont été compressées ou anéanties ! Murielle Magellan. Théâtre des Bon ne année aux auteurs dont les Mathurins, 36 rue des Mathurins pièces ne sont pas jouées, souvent 75008 Paris, 01 42 65 90 00, du parce que les artistes et directeurs auxquels ils les envoient n'ouvrent 8 au 10 janvier. @

D pas leur courrier et ne répondent pas R d’événements hors les murs, au téléphone ! Bonn e année aux comédiens qui ti - PAULINE CLÉMENT NOU - parmi lesquels l’opéra Fantasio d’Offenbach dont la mise en rent le diable par la queue et ne par - VELLE PENSIONNAIRE DE viennent pas au nombre d'heures LA COMÉDIE-FRANÇAISE scène a été confiée à Thomas La troupe des Comédiens-Français Jolly. Le jeune metteur en scène qu'exige le système de l'intermit - compte une nouvelle recrue. Pau - qui s’est distingué en montant tence ! line Clément a moins de 30 ans et Henry VI en 18 heures et en ce Bonne année aux metteurs en scène a rejoint la Maison de Molière de - moment Richard III , ouvre les ré - et directeurs de compagnie qui ne sa - puis le 8 décembre pour y jouer pétitions au public histoire de dé - vent pas où mettre leur trop plein de son premier rôle sous la direction voiler sa façon de travailler. Une compliments et que faire de leur trop de David Lescot dans Les Derniers première étape de travail a eu peu de subventions ! Jours de l’humanité de Karl Kraus lieu le 3 décembre en présence de Bonne a nnée aux techniciens au Théâtre du Vieux-Colombier, la mezzo-soprano Marianne Cre - confrontés à des dispositifs qui filent du 27 janvier au 28 février 2016. bassa. Deux autres rendez-vous l'angoisse ! auront lieu mi-mars et mi-avril Bonne an née aux ouvreurs et ou - pour suivre l’évolution du projet. vreuses qui n'ont jamais la chance de placer des spectateurs généreux ! Bonne ann ée au public qui regarde plus les affiches que les spectacles JEAN-CLAUDE CAMUS VEND car les prix ne sont pas vraiment SES THÉÂTRES Propriétaire du Théâtre de la conçus pour le prolétariat ! Porte Saint-Martin, du Petit Saint- Bonne anné e au théâtre amateur Martin et du théâtre de la Made - quand il n'abuse pas des vaudevilles leine, Jean-Claude Camus vient de de nos grands-parents ! passer la main. C’est le financier Bonne année aux observateurs, res - Marc Ladreit de Lacharrière qui a ponsables, critiques, historiens, es - @ sayistes auxquels la société

D racheté les trois salles. Et si Jean

R Robert-Charrier reste directeur des recommande en vain de s'intéresser deux premiers, c’est désormais Mi - à des choses plus “grand public” que le théâtre ! L’OPÉRA COMIQUE chel Lumbroso et Dominique Ber - Actuellement en travaux jusqu’à gin qui dirigent la Madeleine et Bonne année à tous ! la fin de l’année 2016, l’Opéra Co - Philippe Lellouche qui est en Bonne année à la grande famille mique ne reste pas inactif et pro - charge de sa programmation. unie du théâtre ! duit un certain nombre

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 9 U 1 0 T h é â D t r a l m a g ne a z i n e J a a n v i e r

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© Andre Rau_HandK L’ENVERS DU DÉCOR

près Nos femmes d’Eric Assous, créée il y a deux ans, Daniel Auteuil, l’un de nos plus grands comédiens, revient au théâtre avec une pièce que Florian Zeller a écrite pour lui, L’Envers du décor . Il y joue le rôle de Daniel, un éditeur, dont le meilleur ami vient de plaquer sa femme pour une jeunette canon. Il les Aa invités à dîner nonobstant que l’ex était la meilleure amie de sa femme et que peut-être la nouvelle venue troublerait la paix de son petit ménage heureux. Car Daniel est un émotif. La pièce raconte la rencontre de cet homme avec la tenta - tion au travers d’une écriture qui dévoile les pensées les plus intimes des person - nages. Ils parlent et pensent à voix haute. C’est ce double jeu qui a donné envie à Daniel Auteuil d’en faire aussi la mise en scène. Un exercice qu’il connaît bien au cinéma lui qui a réalisé La Fille du Puisatier, Marius et Fanny de Marcel Pagnol.

Théâtral magazine : Vous atten - brosse le portrait d’un homme avec beaucoup. Ce qui est drôle, c'est qu’il diez-vous à ce que Florian Zeller une acuité étonnante. Et le traite - est vraiment représentatif d’un écrive pour vous ? ment de la pièce, très original, entre homme de son âge (rires) . Daniel Auteuil : Non. On s'est ren - dialogues et pensées, m’a décidé. Sa femme, Isabelle, est très mani - contrés et il m'a fait part de son C’était suffisamment compliqué pulatrice. désir d'écrire pour moi. J'ai pris ça pour que ça m'excite. Il va mettre une demi-heure avant pour un compliment. Oui, on entend les personnages de lui dire qu’il a rencontré leur ami C'est votre deuxième mise en scène penser à voix haute, hésiter, réflé - et qu’il lui a proposé de venir dîner à au théâtre. Cette pièce a quelque chir, avancer, reculer. la maison. Il anticipe sur ce qu’elle va chose de particulier pour vous ? Ce qui est jubilatoire pour un acteur, dire et ça le préoccupe tellement Ce n'est pas un événement que je la c'est de pouvoir tout dire. Avec cette qu’il a l'impression d’être trahi par mette en scène. C’est vrai que c’est écriture, on n'a plus aucun filtre. son visage, et même parfois d’avoir la deuxième fois au théâtre, mais je Vous jouez le rôle de Daniel, un pensé à voix haute. Et quand il lui dit fais très régulièrement des mises en homme marié à Isabelle, qui invite à enfin qu’il a invité leur ami et sa nou - scène au cinéma. C'est dans cette dîner leur meilleur ami fraîchement velle femme à dîner, sa réaction cor - continuité. Et puis, la pièce a été remarié avec une jeunette. Il a peur respond bien à celle qu’il avait écrite pour moi. Logiquement, j'ai de l’annoncer à sa femme. imaginée. Ce qui prouve qu’il la pensé que je ferais bien de raconter Oui et je le trouve très humain. C'est connait bien. Mais pourtant pas cette histoire dont l'auteur a quand un type qui veut bien faire mais qui a assez encore pour deviner qu’elle même tiré des sources de quelques des fragilités. Même s'il a un boulot à n’accepte de les inviter à dîner que recoins de ma personnalité... Les responsabilité, il est un peu craintif. pour contrôler la situation. Ce qui est réactions des personnages sont tel - Sa femme l’impressionne toujours, intéressant, c’est que Daniel et Isa - lement attendues que j’ai l'impres - son ami aussi. C'est quelqu'un qui se belle forment un couple qui s’aime sion qu'il parle de moi. Même si je ne fixe des limites et qui s'y tient. En toujours après vingt ans de mariage. suis pas du tout ce personnage de compensation, il réagit très fortement Mais dans une certaine routine. Et la lâche qu’il décrit... (rires) Mais, il à l'intérieur de lui-même, il projette visite de leur ami va les réveiller.

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 11 DANIEL AUTEUIL r d

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C'est peut-être bien pour eux cette scène presque exclusive - d’être un peu restimulés dans leur ment faite de pensée entre Daniel Ce qui est important couple. et Isabelle. c'est d'entendre ce Oui sauf que ça l’emmène un peu La pensée c’est aussi du jeu. Il va qu'on pense et rire loin : il est tellement stimulé par la donc falloir la faire vivre, l’animer. du fait qu'on dise le jeune femme qu’il rêve d'aller au Même pendant les longs mono - contraire de ce qu'on Mexique avec elle (rires) . Même s’il logues, où elle s’étire à l’infini. Je pense... pense comme sa femme que c’est n'ai pas envie que ce soit traité en une fille qui ne reste pas. Mais fina - aparté, je veux qu’elle passe avec le lement, je crois que ça leur fait plus de fluidité possible. Je peux quand même du bien à lui et à sa penser des choses et parler en femme. même temps. Et pour le faire com - Parce qu’au fond Daniel est très Comment allez-vous traiter sur prendre, il n’y a pas besoin d'artifice troublé par cette jeune femme. scène le passage de la pensée à la particulier, ni de procédé micropho - Il s'aperçoit qu'elle est vraiment très parole ? nique. Le théâtre pur suffit. On attirante, qu’elle correspond à l'idée Dans la continuité de la parole nor - verra bien. Je fais le malin mais je qu'on se fait aujourd'hui des filles male. C’est très amusant de passer pense à cette mise en scène depuis qu’on voit dans les magazines. Et du langage courant à celui de la des mois et des mois. Ce qu'il y avait elle amène aussi une espèce de lé - pensée comme si de rien n'était, de magnifique dans Le Père de Flo - gèreté. Il a l’impression que son pote sans stratagème particulier. Je vous rian Zeller, avec Robert Hirsch, c’est est en lévitation : il n'a plus de pro - parle, je réponds à l'interview et en qu’on comprenait qu’il perdait la blème de prostate et il porte un même temps je me dis "j'espère mémoire du fait de ses réactions. Il blouson de cuir. Daniel est un émo - qu'elle ne va pas me boire tout mon y avait un fil tendu et c’est ça que je tif. Sa femme le sait et elle redoute café quand même" (rires) . C'est écrit veux faire ressortir dans la pièce ; on que de les voir lui donne envie de la de telle façon qu'on sait quand on doit être les uns avec les autres. Ces quitter aussi. Cela fait 20 ans qu’ils pense et quand on parle. Après c'est voix intérieures font complètement sont ensemble. Il n’a pas beaucoup une espèce de temps réinventé. parties de la pièce. Je dirais même vécu, il n’a pas écrit le livre qu’il rê - Parce qu’on peut penser un milliard que c’est tout l’intérêt de la pièce. vait d’écrire. Il est dans le renonce - de choses en deux secondes. Shakes - Ce qui est important c'est d'enten - ment qui est une cause du bonheur peare dit que tout est possible au dre ce qu'on pense et rire du fait si on écoute Lacan (rires) . Mais il at - théâtre. Alors… qu'on dise le contraire de ce qu'on teint un âge où ces petits regrets le La pièce démarre justement sur pense. titillent. Alors quand son pote arrive

12 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 L’ENVERS DU DÉCOR

flanqué de son nouveau bonheur, il sa femme l’avertit qu’il vient pour est dans la projection. La moindre l'épater. La pièce est construite allusion, le moindre sourire de la comme un vaudeville mais brasse On se traîne des amis jeune femme le rendent dingue. des questions sérieuses. C'est une pendant 20 ans ou 30 Florian Zeller assiste-t-il aussi aux espèce de vaudeville cérébral. Si ans (...) Parfois c’est répétitions ? c'est réussi, on verra un quatuor se simplement parce que Oui, j’ai souhaité qu'il soit là. On parle lézarder de l’intérieur. Car en appa - beaucoup. Il n’y a rien de secret. rence, ils ne trahissent rien de ce qui les amis servent de C’est l’esprit de la pièce : on dé - les énerve. jauge par rapport à sa voile tout, le visible et l’invisible. On vous voit beaucoup au cinéma, propre vie... Oui. C’est comme pour le décor. J’ai moins au théâtre. Cela vous plaît demandé à Jean-Paul Chambas qui d’y revenir ? est peintre et qui travaille régulière - Beaucoup. Mais ce qui m'intéresse ment avec Jean-Pierre Vincent de le aujourd'hui c'est d'aller plus loin en concevoir. Il y a des entrées partout passant par la mise en scène. C’est à pour qu’on puisse tout voir. Il y a dire, avoir un avis et pouvoir le par - beaucoup de couleurs et le sol est tager. n L’envers du décor, de Florian Zeller, couvert de motifs. Je voulais qu’on Pensez-vous que le théâtre puisse mise en scène de Daniel Auteuil, avec retrouve sur scène ce côté un peu changer les choses ? Daniel Auteuil, Valérie Bonneton, Fran - rêvé, que l’esprit soit troublé, qu’on Oui. Et je pense que c’est valable çois-Eric Gendron, Pauline Lefevre ne sache plus très bien où on en est. pour n'importe quel théâtre pour Théâtre de Paris, 15 rue Blanche Y a-t-il une leçon à tirer de cette avoir joué Molière et Marivaux. Le 75009 Paris, 01 48 74 25 37, histoire ? théâtre est fait pour s'adresser à à partir du 15/01 Pas forcément. Je pense que chacun nous, pour faire réfléchir et aussi se reconnaîtra. On croit toujours pour distraire. Molière avait la poli - qu'on est unique, mais on est tous tesse de nous faire rire mais il nous pareils. Quand on demande à Pa - racontait aussi des choses. Le sujet Repères artistiques trick pourquoi il a quitté sa femme, de L'École des Femmes est terrible et Théâtre il répond qu'elle ne supportait pas le pourtant on rit pendant plus de soleil ; en fait, il n'a aucune bonne deux heures. 1974 Le Premier, d'Israël Horovitz, raison. C'est juste un type qui a choisi Avez-vous d'autres projets ? mise en scène Michel Fagadau de suivre son propre instinct, son pro - En 2016, j’ai deux films qui doivent 1975 La Folle de Chaillot, de Jean Giraudoux pre plaisir. Et la question que se pose sortir : Les naufragés , une comédie mise en scène Gérard Vergez Daniel, c’est comment on rencontre d’aventures qui se passe sur une île 1980 Le Garçon d'appartement, de Gérard ce genre de femme, et comment son déserte avec Laurent Stocker, un ac - Lauzier, mise en scène Daniel Auteuil copain a fait pour la séduire. C’est fi - teur de la Comédie-Française, et Au 1986 L'Amuse-gueule, de Gérard Lauzier, nalement très commun. nom de ma fille de Vincent Garenq, mise en scène Pierre Mondy Il y a aussi la question de l’amitié. qui raconte l’histoire d’un père qui a 1988 La Double Inconstance, de Marivaux Effectivement. On se traîne des amis passé sa vie à poursuivre l'assassin mise en scène Bernard Murat pendant 20 ans ou 30 ans et on ne de sa fille. 1990 Les Fourberies de Scapin, de Molière, sait même plus pourquoi on est ami Propos recueillis par mise en scène Jean-Pierre Vincent avec eux. Parfois c’est simplement Hélène Chevrier 1993 Woyzeck, de Georg Büchner, parce que les amis servent de jauge mise en scène Jean-Pierre Vincent par rapport à sa propre vie, à son 2008 L'École des femmes, de Molière, propre bonheur, à ses propres réac - mise en scène Jean-Pierre Vincent tions. Et cet ami a toujours exercé 2013 Nos femmes, d'Eric Assous, une espèce d'ascendant sur Daniel, mise en scène Richard Berry l’a toujours impressionné. D’ailleurs,

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 13 depuis le 1er L’ AUTRE Déc. Poche-Montparnasse - Paris

Benjamin Jungers Deuxième vie

A 18 ans , il est passé de l’école du Prévert, à large, riche d’expériences et de sou - Bruxelles, au Conservatoire de Paris, puis, trois ans venirs aussi, avec de plus en plus après, à la Comédie-Française où son interprétation de d’envies. Vous jouez Octave dans un Scapin Chérubin dans Le Mariage de Figaro a été mémorable. monté par Marc Paquien, qui par - A présent, fini la vie de troupe. Il entre dans un nou - tira en tournée dans l’année. Y a- veau chapitre de sa carrière. t-il un type de théâtre vers lequel vous aimeriez aller ? Scapin était intéressant car Marc J’aime le parcours du personnage, le s’est vraiment penché sur nos rôles jeune homme passant par diffé - de jeunes gens, porteurs d’un amour rentes étapes, j’aime sa colère, son qui est finalement le moteur de amour, son côté démuni. J’apprécie cette pièce. Parmi les auteurs d’au - aussi le décalage entre le réalisme jourd’hui, j’aime, par exemple, un de la situation et l’irréel, l’onirisme auteur comme l’Anglais Denis Kelly. des situations. Il y a de la violence, c’est dur et tran - Combien d’années êtes-vous resté chant, mais l’humour entre autres à la Comédie-Française ? nous sauve du désespoir. J’y suis at - Près de huit ans. J’ y ai appris mon taché. Je n’aime pas les spectacles métier, découvert tant de rôles, de et les pièces où on ferme toutes les textes, tant d’approches ! On y tra - portes, où la noirceur est totale. Il vaille beaucoup, dans une grande faut qu’il reste de l’amour, de l’es - exigence. Chérubin a été mon pre - poir, de la lumière. mier rôle, expérience marquante Propos recueillis par bien sûr, mais j’ai aimé aussi quand Gilles Costaz il fallait puiser en soi, loin dans le r d questionnement et la recherche. Je @ pense à La Maladie de la famille M de Fausto Paravidino, à Existence Théâtral magazine : On vous d’Edward Bond que mettait en scène connaissait à la Comédie-Fran - Christian Benedetti et qui a été une çaise. Vous voilà dans L’Autre de expérience très forte. Il y eut aussi la Florian Zeller au Poche. Qu’aimez- mise en scène de L’Ile des esclaves de n L’Autre de Florian Zeller, mise en vous dans ce rôle ? Marivaux. La direction d’acteurs m’a scène de Thibault Ameline, avec Ben - Benjamin Jungers : J’ai été choisi passionné, et j’espère en refaire. jamin Jungers, Jeoffrey Bourdenet, après audition. Thibault Ameline Quoi qu’il en soit, le Comité a décidé Carolina Jurczak m’a laissé aller dans le personnage de mon départ. C’était surprenant. Poche-Montparnasse, 75 boulevard du mari, puis il m’a accompagné, par Une page est tournée. Je sais que les du Montparnasse 75006 Paris, petites touches. Florian Zeller était événements brutaux sont produc - 01 45 44 50 21 parfois là pour nous donner des clés. tifs. Me voilà dans un territoire plus

14 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 DE L'INFLUENCE DES RAYONS GAMMA depuis le SUR LE COMPORTEMENT DES MARGUERITES 17 Théâtre de l’Atelier - Paris Déc.

Isabelle Carré radioactive Isabelle Carré n'avait pas fait de scène de - puis Une femme à Berlin et Pensées secrètes , il y a trois ans. Elle revient et saute le pas en faisant la mise en scène de De l'influence des rayons gamma sur le comportement des mar - guerites , dont elle joue le rôle principal.

Théâtral magazine : Pourquoi vous de quatrième mur dans êtes-vous intéressée à cette pièce le langage ! On par - que l’on connaît surtout par le film tage tous le même es - qu’en a tiré Paul Newman ? pace, le même air. Il ne Isabelle Carré : Je participais à un faut rien qui fasse atelier d’écriture qu’animait Philippe écran. e h c Djian. Là, j’ai rencontré Manèle La - Vous faites votre pre - i a l l e B bidi qui m'a fait connaître la pièce mière mise en scène. e l o r

de Paul Zindel. J'ai tout de suite été C'est un peu la faute a C

emballée. C'est très rare, une pièce des frères Larrieu. @ pour trois femmes : une mère et les Dans leur film Vingt et deux enfants qu'elle tente d'élever. Une Nuits avec Pattie , Je suis très touchée par le thème de je suis un personnage qui reste à sonnage qui s'en sort, celui auquel la résilience qui est essentiel dans ce l'écoute et ne prend la parole que je m'identifie – en alternance. Elle, texte. Pourquoi, dans une famille, dans le dernier quart du film. Nous, elle a 15 ans ! Je m'accorde cette l'une des filles fait de son trauma - les comédiens, on ne prend pas la fragilité, qui sera peut-être sensible tisme une force alors que l'autre parole. On reste caché derrière les dans le résultat ! Je suis très recon - reste abîmée ? C'est l'image des mots des auteurs. J'ai eu envie de ra - naissante envers Didier Long qui rayons gamma : les marguerites réa - conter cette histoire sous toutes les nous a pris à l'Atelier, dans l'horaire gissent différemment à ces rayons. facettes : à l'intérieur et dans le re - de 19 heures. Mais j'ai très peur. Les parents peuvent avoir un rayon - gard de celui qui la construit. Propos recueillis par nement toxique... Qui participe avec vous à cette Gilles Costaz Comment la pièce a-t-elle été création ? adaptée ? Je n'ai pris aucun parti pris clas - C'est Manèle Labidi qui a fait l'adap - sique. Ce ne sont que des premières n De l'influence des rayons gamma tation, et j'ai un peu participé à fois ! Manèle Labidi est assistante à sur le comportement des marguerites cette réécriture. Tout vise à être la mise en scène. Alice Isaaz a beau - de Paul Zindel, mis en scène et joué clair. Le théâtre que j'aime, c'est coup joué, mais elle a 20 ans ! Ar - par Isabelle Carré, celui de Thomas Ostermeier. Même mande Boulanger n'a jamais fait de Théâtre de l’Atelier, 1 place Charles les grands textes difficiles, il les rend théâtre, et elle est immense par rap - Dullin 75018 Paris, 01 46 06 49 24, accessibles. Nous, on a cherché des port à moi, qui joue la mère ! Lily jusqu’au 23/01 mots fluides, parlés, modernes. Pas Taïeb jouera le même rôle – le per -

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 15 depuis le 23 À TORT ET À RAISON Déc. Hébertot - Paris Michel Bouquet & Francis Lombrail deux personnages sont, chacun à leur façon, un homme vaincu, broyé, Duel au sommet écrasé par ce qui les dépasse. Steve vient de voir un camp d’extermina - tion. Il a des questions d’assureur qui estime les dégâts. Il ne fait pas le poids face à l’ampleur du problème. On lui demande de faire un exem - ple... N’oublions pas que cette pièce est écrite par le scénariste du film Le Pianiste . Dans la dernière séquence, l’Allemand qui trouve le musicien caché à Varsovie totalement épuisé lui demande de jouer quelque chose au piano. A tort et à raison a ce souf - fle-là. Et vous jouez face à Michel Bou - quet. Francis : C’est une chance. Rien que des moments de grâce. Michel Bouquet, vous dites que ce sera votre dernier rôle. T O L Michel : Personne ne vient me dire : @ “Sortez !” Alors je reste. Jouer cette pièce me maintient en bonne santé. Ils avaient joué tous deux , dans deux mises en scène Mais c’est difficile, c’est risqué. Francis Lombrail, vous dirigez le différentes, A tort et à raison de Ronald Harwood. Michel Bouquet théâtre Hébertot et vous êtes co - et Francis Lombrail recréent la pièce ensemble dans une nouvelle médien. On peut mener cette dou - mise en scène par Georges Werler. ble vie ? Francis : C’est un retour aux ori - Théâtral magazine : Pourquoi ce quelques musiciens juifs mais a gines. Les théâtres ont toujours été retour à A tort et à raison qui op - sauvé les autres. La pièce n’en tire dirigés par des acteurs. Je suis à la pose le chef d’orchestre Fürtwan - aucune conclusion. Au public de dé - fois directeur, producteur, comé - gler, accusé de complicité avec le cider. Je ne reprends le rôle de Fürt - dien, auteur, adaptateur. Je peux régime nazi, à l’officier américain wangler que parce que je joue avec mener cette vie-là, grâce à un grand Steve Arnold ? Francis Lombrail. J’ai été très heu - administrateur, Stéphane Prouvé. Michel Bouquet : Toute ma vie, j’ai reux de créer la pièce en France avec Propos recueillis par essayé de ne jouer que des chefs- Claude Brasseur, mais Lombrail a la Gilles Costaz d’œuvre, et A tort et à raison en est dimension du personnage et il est un. Un chef-d’oeuvre minimaliste, exactement ce rôle-là. Et Georges fait de riens, de petites choses qui Werler a constitué une distribution n A tort et à raison de Ronald Har - constituent peu à peu l’horreur du formidable. wood, mise en scène de Georges Werler, système nazi. Harwood montre Comment jouez-vous cet officier avec Michel Bouquet, Francis Lombrail, quelque chose auquel on ne pense américain ? Juliette Carré, Didier Brice. pas souvent : la passion du travail de Francis Lombrail : II y a quelques Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Fürtwangler, qui a mis trente ans à années, j’ai diné avec Ronald Har - Batignolles 75017 Paris, constituer son orchestre et n’a pas wood, et il m’avait dit : “C’est vous 01 43 87 23 23, depuis le 23/12 voulu le lâcher. Il a cédé sur qui devez le jouer ! You !” En fait, ces

16 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du LES MOLIÈRE DE VITEZ 5 Amandiers - Nanterre Janvier Gwenaël Morin théâtre. Et Dom Juan fait théâtre de tout. Il a une espèce d'enthousiasme Révélations ! à provoquer le réel pour en jouer. Sga - narelle qui raconte ça l’encourage tout en le retenant. Il a besoin du spectacle de Dom Juan parce qu'il en retire de l'argent, mais il faut quand même le maîtriser. Et d’ailleurs dans notre version, c’est lui qui tue Dom s i o b

s Juan. La morale tue la liberté... o r G

e Quel angle avez-vous choisi pour r r e i

P raconter L’École des Femmes ?

@ On a attaqué Molière parce qu’il se serait marié avec une jeune femme, Comme d’habitude, le metteur en scène et Armande Béjart qui serait la fille de directeur du Théâtre du Point du Jour à Lyon, son ancienne maîtresse Madeleine Gwenaël Morin, se lance dans des paris fous. Béjart. Au début de la pièce, Ar - nolphe qui revient pour épouser sa Après les tragédies de Sophocle jouées à 5 heures filleule, c’est Molière qui revient. du matin, il monte avec des jeunes élèves de Lyon Et quelle idée avez-vous eue pour les quatre pièces de Molière sujettes à polémique, Tartuffe ? C'est une espèce de symptôme. Sa L'École des Femmes, Tartuffe, Dom Juan et Le simple présence fait que tout le Misanthrope qu’ avait créées à monde culpabilise sur sa propre hypo - Avignon en 1978 dans un même décor. A voir crisie et lui reproche de provoquer d’une traite ou en feuilleton aux Aman diers. une catastrophe. Mais il ne faut pas oublier que c’est Orgon qui le fait ren - trer chez lui. Intentionnellement. Il se Théâtral magazine : Quelle tait l'histoire. J’ai voulu travailler ça revendique de la religion mais der - mouche vous a piqué de monter rapidement en mettant les jeunes rière la religion, il y a une entreprise quatre Molière ? gens devant des vidéos. On a très vite de colonisation du corps de chacun. Gwenaël Morin : Je ne sais pas très lâché ce travail d'imitation pour revi - C’est un travail énorme... bien pourquoi mais je peux vous dire siter les pièces et on a fait une distri - Oui. On a un rouleau de 600 mètres comment. En me posant des ques - bution en tirant au sort les de notes, de photos et de schémas tions sur ce que la direction de théâ - comédiens. Provoquer le hasard, c'est sur ces spectacles ! tre impliquait, je me suis intéressé à une manière de provoquer le chaos. Propos recueillis par HC des grands directeurs de théâtres pu - Le chaos dans Le Misanthrope , blics comme Vitez. Et quand j’ai dû qu’est-ce que ce serait ? n Les Molière de Vitez, mise en scène de m’occuper du spectacle de sortie D’admettre que Célimène n’est pas Gwénaël Morin, avec des élèves-acteurs d’une promotion d’élèves de Lyon, j’ai méchante. On en fait une peste mais de Lyon. Cycle composé de quatre spec - repensé aux quatre Molière qu’il ce n’est qu’une jeune femme qui tacles : L’École des femmes, Tartuffe ou avait montés avec des jeunes comé - aime bien s’amuser, s’habiller et cri - l’Imposteur, Dom Juan ou le Festin de diens dans un décor unique à Avi - tiquer. Et alors ? Pierre, Le Misanthrope ou l’Atrabilaire gnon. Il y a avait aussi l'idée de Comment avez-vous traité Dom amoureux revisiter les pièces qui ont marqué le Juan ? Théâtre des Amandiers, 7 avenue Pablo festival d'Avignon pour faire l'expé - Molière monte Dom Juan après Picasso 92000 Nanterre, rience de quelque chose que je l’échec de Tartuffe . C'est comme s'il 01 46 14 70 00, du 5 au 30/01 n'avais pas vécu et dont on me racon - mettait la morale régnante face au

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 17 à partir du BARBE-NEIGE ET LES SEPT 5 PETITS COCHONS AU BOIS DORMANT Janvier Rond-Point - Paris et en tournée

Laura Scozzi Contes à rebours

Barbe-Neige et les sept petits cochons au bois dormant , le titre sent fort la revisite des contes de fées par la metteuse en scène et chorégraphe Laura Scozzi. Un spectacle créé au début de la saison 2014 et qui en a surpris plus d’un lors de sa tournée de deux ans par son côté décalé et déluré. En jan - vier, avant de poursuivre son périple partout en France, il fait halte dans la salle Renaud-Barrault du théâtre du Rond-Point. Et si Blanche-Neige était nymphomane…

Théâtral magazine : Pourquoi accepter leur détournement. y w o

avoir choisi de travailler sur le Chaque conte a donc un élément, l P r e conte de fées ? un accessoire qui fait que l’on recon - i d i D

Laura Scozzi : Je travaille beaucoup naît l’histoire auquel il se rapporte. © sur les clichés, et le conte est un cli - Cendrillon et la perte de son soulier, ché. Edulcoré, absorbé par Walt Dis - par exemple. Mais que se passe t-il et que, comme face à un miroir, on ney, il propose toujours des visions si elle perd autre chose ? Que se se sente concerné par le problème ; de jeunes filles vertueuses, jolies, en passe-t-il si la Belle au bois dormant toute ma vie j’ai travaillé sur la rela - pleine forme, remplies de bonté – ce ne se réveille pas quant on l’em - tion homme-femme et leur impossi - qui existe rarement dans la vie de brasse, si le grand méchant loup est bilité de communiquer entre eux, tous les jours – et en attente de un play-boy qui se fait violer par les mais toujours dans la compassion et l’amour absolu. J’ai toujours refusé trois petites cochonnes, et que le dans l’amour. Le public s’en amuse, cela et je voulais prendre le contre- petit chaperon rouge fait ménage à mais rit jaune ! pied de cette vision homme-femme, trois avec le loup et sa grand-mère ? Propos recueillis par la casser, l’anéantir. La féminité et la Etes-vous iconoclaste ? François Varlin masculinité ne sont pas là où on les Oui. Ces héros demeurent des attend. Le mythe du prince char - hommes et des femmes en prise n Barbe-Neige et les sept petits co - mant a détruit beaucoup de avec leur destinée et leurs pro - chons au bois dormant, conception et femmes. Ce n’est qu’une image ! blèmes quotidiens. Ils peuvent être mise en scène : Laura Scozzi Comment peut-on s’en débarrasser ? inaptes au bonheur, être de mau - Théâtre du Rond-Point, 2bis av Fran - Que se passe t-il lorsque l’on retire le vaise humeur et ne pas avoir de pen - klin D. Roosevelt 75008 Paris, costume du personnage ? sées très vertueuses, avoir des 01 44 95 98 21, du 5 au 31/01 Comment aborder cette question défauts… Le parfait n’existe pas et En tournée : 23/2 Le Havre, 3-4/3 An - avec vos danseurs sur scène ? l’imparfait peut être plus cocasse ! tibes, 11/3 Vitre ́ , 13/3 Saint-Ger - Tout le visuel du spectacle reste très Un exercice de style ? Oui, évidem - main-En-Laye, 15/3 Voiron, 18-20/3 cliché, très rose bonbon, naïf et en - ment. Je n’accomplis pas une dé - Blagnac, 22/3 Bergerac, 1/4 Perpi - fantin. Je ne pensais pas du tout à marche intellectuelle mais une gnan, 3-5/4 Marciac, 15/4 Corbeil- un spectacle pour enfants, mais il démarche instinctive sur ce qui peut Essonne, 19/4 Saint-Louis faut bien connaître les codes pour m’agacer. J’aime ce qui est grinçant

18 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du VICTOR F 5 Théâtre de L’Aquarium - Vincennes Janvier Laurent Gutmann s i o b s o r G e r r e i

P La responsabilité du créateur ©

je me suis mis à la place de Dieu, j'ai Laurent Gutmann créé une version moderne du voulu donner la vie à la matière mythe de Frankenstein dans laquelle on retrouve inerte alors que c'est une prérogative la question du transhumanisme mais aussi celle de divine" . Tout ce discours empreint la responsabilité du créateur. de religiosité n'apparaît pas du tout avant la naissance de la créature. Frankenstein n'est pas du tout Théâtral magazine : Victor F , est- comme un artiste avec un besoin quelqu'un qui vibrait dans la foi. ce une adaptation théâtrale du manifeste d’affirmation de soi, Mais il s’est fabriqué un discours a roman de Mary Shelley ? convoque tout un public pour réali - posteriori pour se dégager d'une res - Laurent Gutmann : Non. Le livre a ser une performance à partir de la ponsabilité par rapport à cet être servi seulement de point de départ poussière. C’est le côté spectacle- auquel il a donné la vie. au spectacle, même s’il en est très performance qui l’emporte. La vraie Est-ce que pour autant, on doit re - imprégné. Cela fait longtemps que difficulté aujourd’hui, c’est la tête douter le progrès ? je tourne autour de la question du qu'on donne au monstre. Si au XXIe Ça peut faire peur de se dire qu'un monstre et de la laideur et de cette siècle, on veut jouer au docteur jour l'intelligence artificielle va sup - possibilité offerte par notre époque Frankenstein, c’est pour fabriquer planter l'esprit humain. Mais je de se refaçonner un corps. Le mythe un être supérieur à nous, donc un pense que le mouvement est lancé. du Golem, un être fabriqué de être plus résistant, pourquoi pas im - On porte depuis longtemps des lu - toutes pièces qui se retourne contre mortel et tant qu'à faire plus beau nettes, des verres de contact, des son créateur, a traversé beaucoup et souriant. Mais si la créature est prothèses, des pacemakers et on en de spectacles que j’ai montés. Et j’ai belle, il faut trouver une raison pour est au cœur artificiel. On serait déjà trouvé dans Frankenstein , qui a été que son créateur la rejette. mort 10 fois s'il n'y avait pas le pro - écrit par une jeune fille de 18 ans en Comment expliquez-vous alors ce grès. 1818, une synthèse de questions rejet ? Propos recueillis par HC qui me préoccupaient. Mais j’ai dé - Il ne se reconnaît pas dedans et il barrassé le spectacle de l'univers go - n'avait pas du tout anticipé qu’elle thique du roman qui ne lui demande des comptes. Or tout m'intéressait pas particulièrement. geste créateur induit une responsa - n Victor F., d’après Frankenstein, de Qu’est-ce que raconte votre version ? bilité. Et là, elle est particulièrement Mary Shelley, texte et mise en scène Ce qui était totalement farfelu à grande puisqu’il a créé un homme. de Laurent Gutmann l'époque du roman, comme le fait de Pourtant lors de son procès, il Théâtre de L’Aquarium - Cartoucherie donner la vie à de la matière inerte, plaide coupable. de Vincennes, 01 43 74 99 61, est aujourd’hui envisageable. Donc Oui mais il déplace le problème en du 5 au 24/01 le docteur Frankenstein, qui se vit disant : "je suis coupable parce que

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 19 à partir du 5 LA PRINCESSE DE CLÈVES Janvier MC2 - Grenoble et tournée

Que nous raconte La Princesse de Magali Montoya Clèves au-delà de l'histoire d'une femme mariée qui refuse de se donner à l'homme qu'elle aime ? Le théâtre-récit Ce qui bouleverse, c'est à quel point Mme de La Fayette est arrivée à Comme comédienne, elle a travaillé avec Jean-Marie nommer le trouble de la passion, par rapport au pouvoir et au regard des Patte et Stéphane Olry. Elle s'est imposée comme autres notamment. L'héroïne et metteur en scène avec L'Homme jasmin d'Unica Zürn. d'autres personnages passent par Elle aborde un nouveau défi : porter au théâtre tous les états de l'amour. L'auteur l'intégralité de La Princesse de Clèves nous dit que l'amour est une chose de Mme de La Fayette . très dangereuse ! Etonnant de sa - voir que Mme de La Fayette a publié ce livre à l'écriture et à l'analyse su - Théâtral magazine : Vous propo - blimes de façon anonyme et, décou - sez un nouveau spectacle trois ans verte, s'est présentée comme un après L'Homme jasmin . Vos projets “auteur amateur” ! sont de lentes maturations. Vous avez choisi la forme du théâ - Magali Montoya : Chaque aventure tre-récit et une durée de six heures m'accompagne plusieurs années. pour qui verra l'intégrale. Com - Tout demande du temps. Quand on ment décririez-vous ce théâtre- a fait une séance de lecture sur La récit ? Princesse de Clèves, on la poursuit Le texte est intégral, et pourtant par trois heures de travail autour de c'est une adaptation ! Chaque ac - mes notes ! C'est Jean-Marie Patte teur a ses personnages principaux. qui, un jour, m'a tendu le roman de Et le théâtre-récit se développe dans Mme de La Fayette en me disant : le geste. Les comédiennes sont de - “Ça, c'est pour vous” . J'ai relu le livre, bout, au bord du vide, avec la n'ai cessé de le relire. J'ai invité deux langue du roman. Le montage in - actrices à me rejoindre : Eléonore dique aux actrices les moments où Briganti et Elodie Chanut. On ne l'on bascule vers plus de théâtralité pensait pas garder tout le texte et plus de chair. mais j'ai vite pensé qu'il fallait tout Propos recueillis par jouer. J'ai appelé Arlette Bonnard, Gilles Costaz car j'avais besoin de quelqu'un de cette maturité. Et Bénédicte Le Lamer nous a rejointes, elle joue uni - quement la princesse tandis que les autres et moi nous partageons les n La Princesse de Clèves de Mme de personnages. Il y a aussi une artiste La Fayette, adaptation et mise en peintre, Sandra Detourbet, et un scène Magali Montoya, un spectacle musicien, Roberto Basarte, qui inter - de la Cie Le Solstice d’Hiver z e

d viendront en direct. Jean-Paul MC2, 4 rue Paul Claudel 38000 Gre - n a n

r Angot, qui dirige la Maison de la cul - noble, 04 76 00 79 00, du 5 au e F s i

u ture de Grenoble, s'est très vite inté - 16/01, puis en tournée (L'Echan - o L

n ressé au projet, et c'est là que nous geur, Bagnolet, 19-26/03) a e J

© le créerons.

20 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du LES ÉPOUX 6 Théâtre 71 à Malakoff et tournée Janvier Anne-Laure Liégeois Invincibles Ceausescu

Anne-Laure Liégeois poursuit son ex - ploration des couples au pouvoir. Après Macbeth , elle s’intéresse au dic - tateur roumain Ceau escu et à sa e g femme Elena qui ont plongé la Rouma - a ș L

e d

nie dans la tyrannie de 1965 à 1889. d u a n y

David Lescot lui a écrit un texte bur - a R

e h lesque dont les protagonistes évo - p o t s i r quent le Père et la Mère Ubu… h C

@

Théâtral magazine : A la lecture, voit bien que ce sont des abrutis. Ils se prélasser sur leur yacht, en on pense beaucoup au Père et à la agissent par opportunisme. Nicolae maillot de bain, se rouler dans le Mère Ubu. Ceau escu rentre aux jeunesses luxe. C’est très drôle. Anne-Laure Liégeois : On explore la commșunistes comme il aurait pu ren - Quand on est deux, qu’on a la première partie dans un documen - trer aux jeunesses nazies. Et dès l'ins - même quête et le pouvoir, on doit taire folklorique avec un Roumain et tant où il commence à avoir du se sentir invincible. une Roumaine en costumes folklo - pouvoir, il l’exerce de façon violente. L'autre, en nous donnant son adhé - riques qui nous racontent l'histoire Mais, il se sert habilement de l'idée sion, nous donne de la force. Mais, des Ceau escu et qui progressive - du communisme. Au moment du c'est aussi une histoire de rencontre. ment se coșnfondent avec eux. Dans printemps de Prague, il fait même un Lui, sans elle, je ne sais pas trop où il une seconde partie, on retrouve les très beau discours contre l'ingérence, serait allé et elle sans lui, c'est une Ceau escu dans leur salon en futurs pour la liberté des peuples. Sauf que femme dans les années 60, c’est à dictatșeurs. On peut aussi penser à la derrière les grandes idées, il n’agit dire avant la libération de la femme... tragédie de Macbeth , que j'avais que pour son intérêt personnel. Mais les Ceau escu sont restés un montée pour parler des couples de Quel est le rôle d’Elena Ceau escu ? vrai couple jusqșu’au bout. Quand on ș pouvoir aujourd'hui. Il y en a plein C'est elle qui l’éduque. Elle va lui ap - les a emmenés, elle a dit "tuez-nous autour de nous, même s’ils sont prendre à parler normalement alors d'accord, mais tuez-nous ensemble" . moins affirmés. Et les Ceau escu en qu'il est bègue. C’est le numéro deux Propos recueillis par HC offrent un exemple trèsș récent de l’Etat, et petit à petit comme même s’ils sont morts aujourd’hui. Lady Macbeth, elle va être mise sur n Les époux, de David Lescot, mise en Comme les Macbeth, les Ceau escu la touche. Même si elle garde le pou - scène Anne-Laure Liégeois ș évoquent surtout des monstres. voir, qu’elle est toujours là pour sou - 6 et 7/01 Théâtre Gabrielle Robinne Et pourtant, on était leurs amis : De tenir son mari. C'est aussi toute une à Montluçon, 04 70 02 27 28 Gaulle, Jacques Chirac, Giscard d'Es - famille avec ses enfants Nicu, Zoia 19 au 22/01 Théâtre de Dijon Bour - taing sont allés les voir et Georges et Valentin. Ils savaient très bien gogne, 03 80 30 12 12 Marchais passait toutes ses va - communiquer : quand les chefs 2 au 6/02 Théâtre 71 à Malakoff, cances en Roumanie. Jusqu’au 25 d'État leur rendaient visite, ils obli - 01 55 48 91 00 décembre 1989 où on les a fusillés geait les gens à sortir et à applaudir 25 et 26/05 L’Apostrophe à Cergy- quasiment en direct après un procès pour faire croire qu’ils étaient heu - Pontoise, 01 34 20 14 14 de vingt minutes. Dès le début, on reux. On les voit aussi en vacances

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 21 à partir du 6 ROBERTO ZUCCO Janvier TGP de Saint-Denis et tournée

Comment joue-t-on un personnage aussi dangereux ? Pio Marmaï Il ne faut pas réfléchir. C'est une langue qui doit jaillir dans une éner - gie hyper concrète. Ce n'est pas comme au cinéma où on a besoin de convoquer une sorte d'état. J'ai tra - vaillé le rôle comme un sportif en cherchant une apparence animale. Je voulais être physiquement extrê - mement imposant tout en déga - geant une sorte de douceur et d'enfance. C’est très étonnant cette capacité qu’il avait à subjuguer tous les gens qu’il rencontrait. C’était quand même un fou dangereux ; ce n’était pas un héros. On a des images de lui, des vidéos, mais je n’ai Dans la peau pas cherché à le jouer tel qu’il était z

e dans la vie. J’ai essayé de m'en sortir d n

a d’un tueur

n avec ce qui est écrit. r e F s i Koltès était fasciné par Succo… u o L

n Il était fasciné par le physique du a e J

© mec et par son regard. Il a écrit la pièce après avoir vu l’avis de re - cherche dans le métro. Et Roberto entendre cette langue, très Dès sa sortie de l’école de la Comédie Zucco c'est la dernière pièce qu'il a concrète et en même temps, très écrite juste avant de mourir comme de Saint-Etienne, Pio Marmaï a été poétique. Il y a quelque chose d'un une sorte de testament. Moi, j'ai une happé par le cinéma. Depuis 2007, peu opaque chez Zucco qui me fait fascination pour le personnage de du bien. il n’avait plus joué au théâtre. Le Zucco, mais pas de Succo. Le Succo qui a inspiré la pièce revoilà dans le rôle de Roberto Propos recueillis par HC était aussi très original. Zucco, un jeune et énigmatique Effectivement il avait un ton parti - tueur inspiré à Koltès par un culier, des envolées lyriques : il citait personnage vrai, Roberto Succo Dante, Shakespeare. Il y avait beau - coup de références littéraires dans mort à 26 ans en 1988. son discours. Mais c'était un tueur. Alors que c'était un élève brillant aimé par ses parents, il s’est disputé n Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès, mise Théâtral magazine : Connaissiez- avec sa mère et l’a tuée, puis a tué en scène Richard Brunel, avec Pio Marmaï vous l'histoire de Roberto Succo ? son père. C’est un personnage en 6 et 7/01 Théâtre de Lorient, 02 97 83 01 01 Pio Marmaï : Je connaissais le fait réaction par rapport aux adultes 13 au 16/01 TNT de Toulouse, 05 34 45 05 05 divers. Mais la pièce de Koltès n'est qu’il rencontre. Très vite il prend le 29/01 au 20/02 TGP Saint-Denis, 01 48 13 70 00 pas un biopic. Il a travaillé sur un dessus sur eux et verse dans la vio - 2 au 4/03 Théâtre de Caen, 02 31 30 48 00 personnage beaucoup plus poé - lence. C'est l'histoire aussi d’un ca - 10 au 12/03 CDN d’Orléans, 02 38 62 15 55 tique. Avec Richard Brunel, le met - méléon. D’ailleurs, il n'arrête pas de 17-18/03 Comédie de Clermont, 09 65 02 26 02 teur en scène, on voulait faire dire qu’il veut être invisible.

22 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du LE BRUIT COURT QUE NOUS NE SOMMES PLUS EN DIRECT 7 Théâtre de la Bastille – Paris Janvier

Après La légende de Bornéo qui décryptait les codes et Indépendance TV la brutalité du monde du travail, les membres du col - lectif L’Avantage du doute s’intéressent aux médias. La question qui les ta - raude c’est la possibilité de rester encore indé - pendant. Pour l’éprouver, ils inventent une chaîne et t o l o V ouvrent les conférences de e r r e i P

rédaction au public. A nous de juger… @ Mélanie Bestel & Simon Bakhouche a création d’Ethique-TV n’est Mélanie Bestel et ses amis ont tion bizarre. "On reçoit des informa - pas apparue dès le début des décidé de prendre le taureau par les tions de gens à l’autre bout du pays L répétitions. Au départ, explique cornes et de faire cette fameuse pour lesquels on ne peut rien faire" … Mélanie Bestel, le collectif est inspiré Ethique-TV. Le principe ? "On prend Marie-José Mondzain est une par le film de Sidney Lumet Network tous les codes qui nous font chier à la philosophe de l'image. Elle explique (1976). "A partir du moment où une télé et on les détourne. En gros, on dit qu’il y a des images qui prennent la chaîne d'information est gérée par les ce qu’on veut, on invente". Le specta - parole et des images qui donnent la actionnaires ça devient du divertisse - cle commence et ils accueillent les parole. "On peut tout voir, mais en - ment. Dans Les nouveaux chiens de spectateurs. A Ethique-TV, expli - semble". Alors regardez la télé ensem - garde , un documentaire de Gilles Bal - quent-ils, on ne cache pas les confé - ble, ou mieux, venez au théâtre. Vous bastre, on dévoile la réalité des experts rences de rédaction. "A un moment saurez si Ethique-TV a su garder son invités sur les plateaux télé : l’écono - donné, poursuit Simon , on lit un texte indépendance intellectuelle. miste membre du conseil d’adminis - qui dénonce la récupération de l’infor - HC tration d’une grande banque va mation et on demande à nos voyants, revenir 150 fois et l’expert sans réseau les téléspectateurs, de deviner qui en 5 fois" . "Frédéric Taddei a invité le col - est l’auteur. En fait, c’est une interview lectif dans son émission Ce soir ou ja - de Mylène Farmer parue dans Paris- mais, raconte Simon Bakhouche , mais Match à côté d’une photo où elle pose n Le bruit court que nous ne sommes il n'a pas voulu qu'on vienne à plu - en body transparent, les jambes écar - plus en direct, spectacle de et par sieurs. Seule Judith Davis y est allée. Il tées…" La récupération fait partie au - Simon Bakhouche, Mélanie Bestel, Ju - lui a expliqué que c'était lui qui gérait jourd’hui de l’ADN des médias. "On a dith Davis, Claire Dumas et Nadir Le - la parole des invités et qu'elle n'avait cherché à quel moment avait com - grand (collectif L’Avantage du doute) pas le droit de ne pas savoir parler. S'il mencé la culture de masse et on est re - Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Ro - lui posait une question, il fallait qu'elle monté jusqu’au télégraphe" . A quette 75011 Paris, 01 43 57 42 14, réponde. Or le fait de dire "je ne sais l’époque déjà, note Mélanie, le philo - du 7 au 29/01 pas" raconte aussi quelque chose". sophe David Thoreau, juge l’inven -

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 23 à partir du 7 LAP IDÉE Janvier Comédie Bastille - Paris

ses origines. Il prend une deuxième femme pour avoir un fils. Pauline Klaus Il s’appuie sur le Coran. Or le Coran n’incite pas à la polygamie comme Lapidée raconte une histoire d’amour, celle d’une hollan - le rappelle la pièce qui en cite des daise et d’un yéménite qui retournent au Yémen pour y exercer extraits : "si vous craignez d'être injuste avec les orphelins, épousez leurs activités de médecins. Mais lui est rattrapé par ses origines des femmes qui vous plaisent, deux, et exige de sa femme un fils qui ne vient pas… trois ou quatre. Mais si vous crai - Il la séquestre dans une cave et convoque un tribunal qui la gnez d'être injuste, n'en prenez condamne à la lapidation. La pièce devait être jouée au Ciné 13 qu'une seule". en janvier 2015. Mais l’attentat contre Charlie Hebdo a fait recu - Oui, le Coran n’incite pas à la poly - ler la production. Elle a finalement été créée cet été en Avignon gamie et n'incite pas à tuer des gens. La lapidation d’Aneke n'a rien et suite au succès, elle est reprise en janvier à la Comédie Bas - à voir avec le Coran. Elle a signé son tille. C’est Pauline Klaus qui joue le rôle de l’épouse hollandaise. arrêt de mort en allant insulter son mari en public dans un café. Théâtral magazine : Quel est le L’histoire dépasse largement le Dès lors, il ne peut plus divorcer. Parce pouvoir du théâtre face aux vio - cadre de la religion. Aneke n’a pas que divorcer impliquerait de négocier lences pratiquées aux femmes réussi à se faire accepter par sa belle- avec elle et il ne peut pas négocier comme dans Lapidée ? mère ni par les hommes du village. avec une femme qui a osé l’insulter. Pauline Klaus : On pratique encore Et puis ils ont deux filles et elle ne Et pour ne pas perdre la face, il monte la lapidation dans 12 pays dans le veut plus d’enfant alors qu’il voudrait toute une machination contre elle. monde aussi bien sur des hommes un héritier mâle. Mais elle n'est pas Mais c’est un couple qui s’aime. Il que des femmes. C'est important venue ici pour faire le ménage, la les - continue de l’aimer en dépit des évé - qu'on en parle. Et quand on est sur sive et le jardin. Après avoir mis sa nements. Il est humilié. Et effacer son scène avec Nathalie Pfeiffer, on carrière de côté pendant une dizaine humiliation est plus important que donne voix à ces femmes. Elles s’ex - d'années, elle veut se consacrer à la l'amour qu'il porte à sa femme. priment à travers nous. médecine. Mais lui est rattrapé par Y a-t-il des choses qui ont changé dans la mise en scène suite aux at - tentats ? Non. Seule l’affiche a changé après La guerre Charlie. Au départ, c’était la photo des femmes d’une femme voilée dont les yeux bleus pleuraient des larmes de sang. Le texte n'est absolument pas isla - mophobe. Le début, lu par Roland Giraud en voix off, est un hommage à la beauté de ce pays. Propos recueillis par HC

n Lapidée, texte et mise en scène de Jean Chollet-Naguel, avec Pauline Klaus, Nathalie Pfeiffer, Karim Bou - ziouane et la voix de Roland Giraud Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert 75011 Paris, 01 48 07 52 07, à partir du 7/01 © s i ̧ o c n a r

Théâtral F 24 magazine Janvier - Février 2016 e r r e i P

à partir du 8 LA MÉDIATION Janvier Poche-Montparnasse - Paris Chloé Lambert r

Le couple e d e o r h c S

solidaire d r a h c i R

@

Il y a de l’émotion dans sa voix, au bord de la fêlure. La médiation familiale, Chloé Lambert connaît. Elle est passée par là. Après une histoire d’amour, un bébé d’amour, tout se disloque quand il s’agit de trouver une nouvelle place au sein du couple. Et quand sa grand-mère chérie meurt en même temps, le bateau chavire. Elle en a fait une pièce de théâtre, drôle et grave en même temps, inspirée de ses drames et de ceux de proches contaminés eux aussi par la volatilité des sentiments de notre époque. Théâtral magazine : Qu'est-ce qui Et Anna est dans une espèce d'an - que cela n'a pas aidé. vous a donné envie d'écrire sur ce goisse maternelle qui est vécue par Vous jouez le rôle d'Anna et Julien sujet ? les hommes comme extrêmement Boisselier celui de Pierre. C'est Chloé Lambert : Le fait d'avoir des persécutante et infantilisante. La vous qui l'avez choisi ? enfants je crois. J'ai décidé d'écrire vie de couple est difficile. La vie de Je lui ai fait lire la pièce quand je fai - la pièce à partir du moment où j'ai famille l’est encore plus. On a beau - sais la tournée de Zelda et Scott avec trouvé l’idée des médiatrices. On dé - coup parlé de l'égalité des hommes lui. Ça l’a beaucoup intéressé. Il a couvre cette histoire à travers ces et des femmes, parce que les voulu faire la mise en scène et Nico - femmes censées être neutres pour femmes en avaient besoin, mais las Briançon devait jouer Pierre. aider des parents séparés à élever c'est aussi parfois bien de parler des Mais Nicolas était pris sur d’autres leur enfant. Ce sont des métiers à différences pour que les gens puis - projets et finalement on s'est mis risques, dans lesquels on ne peut sent se comprendre. d'accord avec Julien pour qu’il mette pas rester neutre en fait. Et c’est Les personnages sont-ils inspirés en scène et joue Pierre. peut-être mieux parce que seule la de votre propre expérience ? Avec le recul, quel conseil donne - subjectivité vous permet de prendre Par certains aspects. J'ai fait des mé - riez-vous aux personnages d’Anna les décisions et vous faire avancer. langes avec ce que j’ai pu voir aussi et de Pierre ? J'ai voulu que ce soit drôle, jouissif, autour de moi. Et j'ai beaucoup in - D’être solidaires l’un de l’autre. Ça excessif parce que c'est un sujet très venté. veut dire tenir compte de l'autre. On douloureux et possiblement en - La grand-mère décédée, est-ce du parle tout le temps de la solidarité nuyeux. vécu ? pour les gens qui sont dans une Ce qui est intéressant dans la Oui. J'avais écrit un premier texte grande pauvreté mais on en a be - pièce, c’est qu’il n’y a pas de mé - une nuit d'insomnie où on allaite et soin aussi dans la vie quotidienne. chant. en même temps, on veille un mort Propos recueillis par HC Tout le monde est d'accord pour que j'avais présenté au Ciné 13 dans faire un bébé mais pas forcément le cadre des Mises en Capsules. J'ai n La médiation, de Chloé Lambert, préparé à s'organiser après et par - utilisé ma grand-mère pour montrer mise en scène de Julien Boisselier, avec fois les attentes ne sont pas les que le personnage d'Anna était trou - Julien Boisselier, Chloé Lambert… mêmes. Pour Pierre comme pour blé par des choses que Pierre ne pou - Théâtre de Poche-Montparnasse 75 tous les hommes, l'arrivée d'un bébé vait pas résoudre : quand le bébé est boulevard Montparnasse 75006 Paris, pose la question d’assurer la survie arrivé, il s’est retrouvé avec une 01 45 44 50 21, à partir du 8/01 de sa famille, que du coup il détruit. femme en dépression. Et sans doute

26 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF ? 8 Théâtre de l’Oeuvre - Paris Janvier

George n’a pas ri. Il a même été humi - lié. Et elle reprend sa chanson plu - Dominique Valadié sieurs fois dans la soirée. Il leur reste le jus de la rencontre avec le jeune if une pièce sans répit couple et le jeu de l’imaginaire puisqu’ils s’inventent un enfant. Ils sont toujours entre réel et imaginaire. Pourquoi inventent-ils l’existence Dominique Valadié reprend le rôle mythique créé par de cet enfant ? Elizabeth Taylor dans le film adapté de la pièce Parce que son accomplissement n'a d’Edward Albee Qui a peur de Virginia Woolf ? Martha pas été possible entre eux. Sans doute à cause du spectre du père. est la fille du doyen de l’université. Ecrasée par l’image Martha a fait une grossesse ner - d’un père vénéré, déçue par une vie monotone et veuse qui a provoqué le mariage et sans éclat, elle va faire vivre la pire des nuits à son après elle s'est dégonflée. entourage au cours d’une crise sans précédent . Le personnage de George, le mari, est aussi très dur. Il est présenté comme passif par sa Théâtral magazine : Connaissiez- femme qui exprime une sorte de vous la pièce d’Edward Albee ? frustration à son égard. Or lui, c'est Dominique Valadié : J'avais vu le vrai, se révèle dès le départ presque film avec Elizabeth Taylor et Richard inquisiteur dans la manière dont il Burton. Mais je n’avais pas lu la se comporte à l’égard du jeune pièce. C’est Wladimir Yordanoff qui homme que Martha a invité. me l'a envoyée en me demandant ce Il n’y a aucun moment de répit pen - que j'en pensais. Et je l'ai trouvée ex - dant la pièce. cellente. C’est impossible. Il y a sans cesse Martha dit à son mari qu’il la “fait une tentative de démonter le roman gerber” . Qu’est-ce qui fait qu’elle familial avec le père, la mère et le ne le respecte pas ? fils imaginaire. Et l’alcool qu’ils boi - Elle vient d'un milieu de lettrés. Sa vent tout au long de la nuit n'agit mère est morte et elle a vécu avec pas comme une perte de sens mais son père, le doyen de l’université, il illumine la vérité. La famille, avec qu'elle a admiré, qu'elle admire et le père, la mère, l'enfant, reste un adore encore. Et c'est une figure ex - sujet sur lequel nous n'avons pas fini trêmement envahissante au sein de de réfléchir y compris dans les do - leur couple. Déjà que dans l'imagi - maines religieux et philosophique. naire de la petite fille, le père est Propos recueillis par HC toujours démesuré. On a l'impression qu'il n'y a plus n Qui a peur de Virginia Woolf ?, d'espoir au sein de ce couple, plus d'Edward Albee, mise en scène de de jus. Son seul moteur, ce sont les Alain Françon, avec Dominique Vala - disputes. dié, Wladimir Yordanoff, Julia Faure, La pièce démarre lorsque Martha et Pierre-François Garel George rentrent d’une soirée où elle Théâtre de l’Oeuvre, 55 rue de Clichy s’est mise à chanter Qui a peur de Vir - 75009 Paris, 01 44 53 88 88 ginia Woolf ? sur l'air des Trois petits à partir du 8/01 w t

cochons dans le film de Walt Disney. @

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 27 à partir du 14 LA NUIT DES ROIS Janvier Théâtre de la Tempête - Vincennes Clément Poirée Le spectacle a vu le jour au théâtre des Quartiers d’Ivry. En janvier, il sera repris au théâtre de la Tempête, puis en tournée. La Tempête, chez le metteur en scène Phi - lippe Adrien, c’est un peu l’école et la famille de Clément Poirée. Avec sa mise en scène de La Nuit des Rois, Clément Poirée va encore être très heureux dans ce théâ - tre au cœur du Bois de Vincennes. En famille. Shakespeare et l’éloge de l’impureté

Théâtral magazine : Après Beau - gage et des images permettant de nisme vivant avec des transforma - coup de bruit pour rien , Shakes - transcender tous les grands senti - tions de l’espace. Ces protagonistes peare continue de vous inspirer… ments. Dans La Nuit des Rois , il y a ne voient que par l’intérieur d’eux- Clément Poirée : Chez Shakespeare, aussi cette espèce d’énorme erreur mêmes, ce qu’ils projettent sur les les comédies traversent les mêmes dans laquelle s’enferrent ses person - autres, ce dont ils rêvent. Nous lais - thèmes que les tragédies. On parle nages. Pour lui, il faut “couronner le sons donc pousser les figures hallu - de “pièces problématiques”, à deux présent et douter du reste” . C’est le cinantes de chaque personnage. Le doigts de tomber dans la tragédie fil qui permet de comprendre com - titre anglais est La Douzième nuit ; pure. Si ces deux pièces sont diffé - ment il met tout en doute, les va - après Noël c’est donc l’épiphanie, rentes, Shakespeare y décrit le leurs de nos sociétés et ce qui fonde jour de carnaval en Angleterre au monde comme illusoire et trompeur. notre espérance, au profit de l’im - cœur de l’engourdissement de l’hi - Beaucoup de bruit pour rien est une manence, du concret et du réel. ver, et cela nous a semblé intéres - pièce sur la manipulation du lan - Comment ne pas semer le specta - sant par rapport à l’enfermement teur dans ces histoires complexes ? des personnages. Shakespeare peut nous perdre. On Quelle est la morale, la conclusion peut faire le choix d’un axe, ou au de la pièce ? contraire – et c’est mon option – Foin de l’idéalisme, faisons voler vouloir assumer chacune de ses in - l’idéal de pureté. Nous vivons dans trigues avec la conscience de leur une société régie par l’idéal et donc nécessité. J’ai toujours beaucoup profondément morbide. C’est l’impu - aimé La Nuit des Rois et je n’y ai ja - reté, les petits monstres, les couples mais rien compris… Nous avons désaccordés qui apportent la vie. donc décliné cette trame complexe, Remettre en cause toutes ces va - sans en limer les bords, pour essayer leurs est violent, mais incroyable - de voir un sens, une cohérence. Il ment libérateur et dionysiaque. Un faut faire confiance à Shakespeare, éloge de l’impureté et des monstres. à ses qualités magnifiques de Propos recueillis par construction. Le public a cette sou - François Varlin plesse pour le comprendre. C’est fort, vigoureux, avec différents ni - n La Nuit des Rois, de William veaux de langage. Shakespeare, mise en scène Clément Au risque du désordre sur le pla - Poirée, Théâtre de la Tempête – teau ? Cartoucherie, route du Champ-de- d o

r Il y a quelque chose du conte, de fi - Manœuvre 75012 Paris, B

n

n gures vues comme dans un rêve. 01 43 28 36 36, du 14/01 e w l

o Nous avons essayé d’avoir un pla - au 14/02 N

@ teau qui devient comme un orga -

28 Théâtral magazine Janvier - Février 2016

à partir du 15 LE JOUR DU GRAND JOUR Janvier Le Montfort théâtre / Le Centquatre - Paris

Avec leur nouvelle création, Le Jour du grand jour, les inénarrables zouaves du théâtre Dromesko, nous convient à une série de cérémonies : un mariage, un baptême, un enterrement… La vie, en somme, célébrée avec humour et poésie. Rencontre avec Igor Dromesko, n i n o G

l’un des deux fondateurs de

y Le théâtre Dromes ko n n

la compagnie. a F

@ nous convie à sa fête

Théâtral magazine : Pouvez-vous où l’on met en scène ses émotions prenne le dessus. Pour l'instant, nous nous décrire le lieu dans lequel en fonction de codes préétablis. continuons à nous rôder et, comme vous jouez ? C'est très frappant lors des discours l’improvisation est au cœur de ce Igor Dromesko : C'est un endroit par exemple. Par ailleurs, j'aime la spectacle, nous nous sentons libres. très particulier. Nous avons façon dont les sentiments les plus Vous vivez sur la route, dans votre construit pour l’occasion une ba - ambivalents viennent s'y télescoper : caravane, ce style de vie continue raque en forme de croix, dans un l'angoisse, l'euphorie, l'ennui, de vous convenir ? style un peu vieillot, qui sera située l'ivresse, la crainte... Une cérémonie Tout à fait. C'est la sédentarité que à l’extérieur du théâtre Montfort. Le est un moment de vie inédit. je trouverais usante. En ne passant public ira s'asseoir, de part et d'au - Comment l'avez-vous composé ? qu’une dizaine de jours dans un tre de deux couloirs, en se faisant Ça a commencé comme ça com - même lieu, on ne voit que le bon face. C’est un lieu que nous avons mence toujours : en voiture. Lily est côté des gens. On n’a pas le temps voulu convivial. Après le spectacle à côté de moi, nous avalons des kilo - de leur taper sur le système ! Je les nous y resterons boire, manger et mètres et, pour tuer le temps, nous trouve curieux, ils prennent le temps discuter avec le public ; c'est une ha - essayons de nous faire rire. Alors, de venir nous voir, de discuter… Le bitude que nous avons prise du nous esquissons des trames, nous style de vie qui est le nôtre est en temps où nous jouions avec le cirque nous représentons des scènes, nous train de se perdre, il n’est plus en Zingaro… imaginons des tableaux. La route phase avec l’air du temps. Mais ja - Le Jour du Grand Jour est une suite de met la pensée en mouvement. Ja - mais, je ne pourrais vivre autrement. cérémonies. D'où vient cette idée ? mais je ne pourrai trouver une idée Propos recueillis par Ma compagne Lily – cofondatrice du en restant assis derrière un ordina - Igor Hansen-Love théâtre Dromesko- et moi-même, teur. Ensuite, nous en discutons avons marié notre fille il y a deux avec les autres et chacun apporte sa ans. Ensuite, peu de temps après, pierre à l’édifice. Dans ce cas-ci, tout n Le Jour du grand jour, nous avons enterré mon père. Lors est allé très vite. par le théâtre Dromesko de ces deux événements, j'ai été fas - Ce spectacle a été créé il y a un an, > du 15 au 30/01, Le Montfort ciné par la façon dont nos invités se en 2014, comment vieillit-il ? théâtre, 106 rue Brancion 75015 sont comportés et, plus précisé - Les spectacles vieillissent comme Paris, 01 56 08 33 99, ment, le rôle et la partition que cha - des couples ! Au début, tout ça se > du 9 au 20/02 Le Centquatre, 5 rue cun avait à jouer. La cérémonie est passe très bien, on devient complice. Curial, 75019 Paris, 01 53 35 50 00 l'origine même du théâtre, c'est le Mais il faut savoir dire stop au bon Puis, en tournée moment où l'intime devient public, moment, avant que la routine ne

30 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du LE SYNDROME DE L'ÉCOSSAIS 15 Théâtre des Nouveautés - Paris Janvier

Thierry Lhermitte

Marqué par les attentats, Thierry Lhermitte a dé - cidé d’aller de l’avant, d’exercer son métier le mieux possible. Il a tourné La nouvelle vie de Paul Sneijder de Thomas Vincent et Ma famille t’adore déjà , le premier film de Jérôme Commandeur et il continue d’œuvrer comme parrain de la Fondation pour la re - cherche médicale, fonction qu’il lui tient à cœur de - puis de nombreuses années. Au théâtre, on l’a vu en vieux danseur dans Grand écart de Stephen Bel - ber, puis en Allemand admirateur d’Hitler dans le terrible Inconnu à cette adresse de Kressmann Tay - lor. En tournée depuis six ans, il reprendra ce der -

nier spectacle à Montréal, au Canada en juin 2016.

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n ce début d’année, l’ex tru - un vieux couple installé depuis 30 ou h

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blion du Splendid change 40 ans dans de vieilles habitudes. En d

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complètement de registre. Il revanche, Sophie et Alex sont deux r

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revient dans une pièce chorale : Le dingues !” observe en riant Thierry @ syndrome de l’Ecossais , d’Isabelle Le Lhermitte. Et l’acteur de décrire son nouvel, une comédie qui met à mal personnage avec un plaisir non dis - des rares à pouvoir alterner avec le le couple et l’amitié. “Avec des per - simulé : “Manifestement, Bruno est même bonheur théâtre, télévision sonnages qui me font marrer, pour alcoolique, il boit dès qu’il en a l’oc - et cinéma. “Pour moi, c’est le même lesquels j’ai de la tendresse, j’ai dit casion, c’est un auteur de talent, un métier, franchement, les change - oui, tout de suite” , souligne Thierry bon menteur, raisonneur, un peu ments qu’il y a sont anecdotiques. Lhermitte qui interprète Bruno, un gaffeur. Sa femme lui interdit de Oui, ça marche, gentiment… “ écrivain porté sur la bouteille. “On boire, elle a raison.“ Propos recueillis par m’a d’abord proposé le rôle d’Axel, A son habitude, l’acteur se tient “à Nathalie Simon l’homme d’affaires et son meilleur la disposition” du metteur en scène, ami joué par Bernard Campan, mais Jean-Louis Benoit. “Le texte est bien j’avais l’impression d’avoir déjà fait écrit, plaisant. Parfois, on dit : “là, on n Le syndrome de l'écossais, de Isa - ce personnage qui prend de la place, ne comprend pas”, mais comme l’au - belle Le Nouvel, mise en scène Jean- j’ai été content qu’on me donne en - teur et le metteur en scène sont de Louis Benoit, avec Thierry Lhermitte, suite celui de Bruno”. bonne foi, c’est que c’est juste. J’ai dû Bernard Campan, Florence Darel, Ce soir-là, ce dernier et sa femme, changer deux articles en tout et pour Christiane Millet, Théâtre des Nou - Florence (Christiane Millet) reçoi - tout. Vous pouvez lire la pièce veautés, 24 boulevard Poissonnière vent chez eux Sophie (Florence jusqu’à la fin, il n’y a pas de coups de 75009 Paris, 01 47 70 52 76, du Darel) et Alex, mais l’ambiance n’est théâtre inopiné” , prévient Thierry 15/01 au 30/04. Et en tournée de pas à la légèreté, certaines vérités Lhermitte. L’interprète du cultissime novembre 2016 à avril 2017 vont éclater. “Le premier couple est Dîner de cons est aujourd’hui l’un

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 31 à partir du n Le Fusible, de Sylvain Meyniac, mise LE FUSIBLE en scène Arthur Jugnot, avec Stéphane 16 Plaza, Arnaud Gidoin, Juliette Meyniac Janvier Bouffes Parisiens – Paris Théâtre des Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny, 75002 Paris, 01 42 96 92 42, du 16/01 au 25/06

boulevard, c’est un travailleur, il a de la poigne. Il est ouvert aux proposi - Stéphane Plaza tions. Moi, je suis un soldat, je tente des improvisations. Une sur vingt est acceptée. (En riant) C’est rageant, il arpente les planches a souvent raison ! Souhaitiez-vous reprendre très Après avoir triomphé dans A gauche en sortant vite le chemin des planches ? de l’ascenseur, de Gérard Lauzier, Stéphane Plaza revient au théâ - Je pensais que ce serait difficile de tre des Bouffes Parisiens avec une autre comédie : Le Fusible de partir sur une deuxième pièce, mais Sylvain Meyniac. Après avoir joué un peintre fou amoureux et ma - pour l’instant, c’est un régal. Avant Paris, on aura eu quarante dates de ladroit, l’animateur de M6 devrait séduire dans la peau de Paul, un représentations en province. Malgré homme d’affaires qui a décidé de tout quitter pour partir vivre sur les attentats de novembre, les salles une île avec sa maîtresse. Mais suite un à accident ménager, il sont pleines. perd la mémoire. Son ami Michel, Arnaud Gidoin, qui le suit Le public vient voir la comédie ou comme son ombre affronte à sa façon la situation. Stéphane Plaza de la télévision ? On ne va pas se mentir, il vient parce que je suis connu. Depuis cinq ans, Stéphane Plaza a été classé l’anima - teur le plus sympathique de la télé. Mais j’ai fait sept ans de théâtre avant le petit écran ( Stéphane Plaza est passé par le Conservatoire de Le - vallois et la Comédie de Neuilly, NDLR) et je travaille toujours avec

un coach, Catherine Lombard qui r

d est comme ma deuxième maman,

@ une maman de théâtre qui suit les Théâtral magazine : Qu’est-ce qui logue au début, ce qui est très flip - consignes d’Arthur Jugnot. Elle m’a a changé entre le moment de l’écri - pant ; dix minutes avant, je suis in - fait répéter tard. C’est important de ture de la pièce et sa création ? capable de parler ! prendre des coups de pied aux Stéphane Plaza : Au début, je de - Dans la comédie précédente, le fesses. Après la tournée partout en vais jouer le rôle de Michel. J’ai fait texte s’appuyait sur votre mala - France, à Paris, les gens viendront beaucoup de lectures dans ce sens. dresse naturelle, est-ce le cas voir Paul et plus Stéphane Plaza. Après l’auteur et le metteur en aussi dans cette pièce ? Le rôle d’acteur prend de plus en scène ont changé d’avis. Je suis un Oui, c’est parfois aussi une capacité plus le pas sur celui d‘animateur ? “salaud”, peut-être amnésique, qui à s’adapter. Dans la pièce précé - Je ne me suis jamais considéré retombe amoureux de sa femme, dente, j’avais failli mettre le feu. comme un animateur, comme un prend des claques et des plateaux Dans celle-ci, un soir, une ampoule agent immobilier, oui. J’ai la chance sur la tête, mais quand même sym - a explosé. Pendant qu’Arnaud Gi - de pouvoir m’organiser dans mon em - pathique. Je pense que le public doin partait à la recherche d’une ploi du temps. Je joue à 21 heures, éprouve un peu de tendresse pour ampoule neuve, j’ai dû improviser donc je retravaillerai pour la télé. lui. Vous savez chez les hommes, seul dans le noir. Propos recueillis par l’âge de raison arrive tard, mais ce Vous retrouvez Arthur Jugnot qui Nathalie Simon n’est qu’un personnage… Le texte a vous avait déjà dirigé dans A beaucoup évolué, on l’a appris et gauche en sortant de l’ascenseur . désappris. Ils m’ont donné un mono - Il a trouvé que j’étais doué pour le

32 Théâtral magazine Janvier - Février 2016

à partir du 20 LE RETOUR AU DÉSERT Janvier Théâtre de la Ville - Paris Et tournée

Arnaud Meunier Délibérément moderne

C’est un excellent directeur de la Comédie de Saint-Etienne, qui a su donner au lieu une orientation essentiellement axée sur les auteurs contem - porains. Arnaud Meunier

donne à Paris puis à Lyon sa t e c r a B nouvelle mise en scène : une a i n o S comédie politique de Koltès. @

Théâtral magazine : Pourquoi le On est plutôt sur une ligne de crête trouvent leur résonance. La Comé - choix de ce texte dans l’œuvre de entre la comédie et la tragédie, et die est le Centre dramatique qui pré - Koltès ? les réactions peuvent être à vif. Le sente le plus d’œuvres d’auteurs Arnaud Meunier : En 2002, au public riait plus avant les attentats, vivants. Et notre fréquentation a Forum de Blanc-Mesnil, j’avais ren - il a moins de distance aujourd’hui augmenté de 40%. Les élèves de contré la compagnie algérienne El- avec la violence. Et la question du l’Ecole travaillent beaucoup sur ce Ajouad, qui jouait Les Généreux premier degré peut se poser quel - répertoire moderne. Nous avons des d’Alloula. Je suis resté ami avec quefois quand les personnages de collaborations avec Ouagadougou Kheiredim Lardjam. Nous avons Koltès prononcent des phrases ra - et Los Angeles ! En 2017, nous cherché ensemble un texte qui par - cistes. Mais je pense que la pièce a changerons de lieu pour entrer dans lerait de l’Afrique, de la colonisation, pris encore de plus de force dans le un nouveau théâtre, un outil comme je me suis souvenu du Retour au dé - moment que nous vivons. on n’en a jamais vu dans la décen - sert , qui met en présence un bour - Vous n’êtes pas impressionné par tralisation ! geois raciste et sa sœur qui rentre le grand plateau et la salle du Propos recueillis par d’Algérie, après la guerre. Je n’avais Théâtre de la Ville ? Gilles Costaz pas vu la création par Michel Piccoli Je vais retrouver ce plateau avec et Jacqueline Maillan au temps de joie et gourmandise. J’y avais monté Chéreau, mais la mise en scène par le 11 septembre 2001 de Michel Vi - n Le Retour au désert, de Bernard- Nichet qui réunissait François Cha - naver, joué par des dizaines de ly - Marie Koltès, mise en scène d’Arnaud tôt et Myriam Boyer. Il me fallait un céens. La pièce de Koltès arrive, Meunier, avec Catherine Hiegel, Didier couple de cette force. Je l’ai trouvé prête, dans un espace qui lui Bezace, Kheiredim Lardjam, Isabelle en réunissant Didier Bezace et Ca - convient, jouée par des comédiens Sadoyan. therine Hiegel. Quant à Kheiredim de troupe : Louis Bonnet, Elisabeth Théâtre de la Ville Place du Châtelet Lardjam, il y joue un rôle important, Doll… 75001 Paris, 01 42 74 22 77, du 20 et il est étonnant. Comment va la Comédie de Saint- au 31/01. Puis à Lyon, Célestins, 04 A la différence des autres pièces Etienne, que vous dirigez depuis 72 77 40 00, du 3 au 11/02, à Caen de Koltès, Le Retour au désert est bientôt cinq ans ? les 24 et 25/02, Dole le 29/02 une comédie. Les lignes de force que j’ai définies

34 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du TOUT À REFAIRE 21 Théâtre de la Madeleine - Paris Janvier

d’écrire cette scène ? if Oui je crois beaucoup à la thérapie par l’écriture. J'ai l'impression d'écrire depuis 15 ans sur ma géné - ration. Une génération née dans les années 60-70 et qui a tout pris dans la gueule : on a commencé à baiser quand il y a eu le sida, on est la pre - Philippe Lellouche mière génération à avoir vécu le di - vorce pleine poire, au moment où o t i

l on commence à gagner un peu de a c s

a pognon, c'est la crise, et au moment P

@ L’amitié à mort où la crise ralentit, on vit une espèce de guerre immonde. J'essaye de par - Après Le jeu de la Vérité et L’Appel de Londres, Philippe ler de ces choses que je vis et qui font écho parce que j'aime quand Lellouche revient avec une nouvelle pièce Tout à re - l’art est témoin de son époque. faire . Il y est question encore d’amitié mais cette fois il Le thème de l’amitié est très pré - aborde en plus le temps qui passe. sent dans vos pièces. Là encore. Ce sont deux frères par Théâtral magazine : Dans Tout à re - prendre que le plus beau reste à adoption. Il y a quelque chose de faire , deux amis évoquent à une venir. C'est prétexte à une comédie. très fort dans l’amitié parce que c'est table de café des souvenirs heu - Qu'est-ce qui vous a donné envie le seul sentiment que je crois pé - reux. Ils ont la nostalgie de ce passé d'écrire sur ce sujet ? renne. Le sentiment qui jusqu'à pré - et puis une jeune serveuse va leur J’approche à grands pas de la cin - sent n'a jamais fait cocu, c'est démontrer que le présent n’est pas quantaine et c'est l'heure des pre - l'amitié. C'est de l'amour sans le cul. si mal. Comment s’y prend-elle ? miers bilans. Mon père avant de Vous venez d’être nommé direc - Philippe Lellouche : Elle les ramène mourir m'avait dit "Dans ma tête j'ai teur artistique du théâtre de la dans le passé. Ils se souviennent très 15 ans, c'est mon corps qui ne suit Madeleine par les nouveaux repre - bien des belles choses mais ont oublié plus" . Avec le temps, tout se ralentit, neurs. Quels auteurs allez-vous les mauvaises. Et elle va les leur faire mais la société vous ralentit aussi programmer ? revivre. Ils remontent ainsi jusqu’à dans vos projets. On ne prête plus Pour que les gens aiment le théâtre, leurs dix ans pour arriver à une d'argent à partir d'un certain âge. La il faut leur parler d’eux. Donc, je vais conclusion que j'espère plutôt jolie. perte de vitesse, la perte de pas - inviter des auteurs de ma généra - Embellir le passé, c’est une ma - sions, la perte d’envie, la perte de tion, Eric Assous, Sébastien Thiéry, nière d’arriver à vivre avec. projets, c'est ça qui tue. Un type de Marc Fayet, des gens que j’ai vus C'est un peu ce que dit la jeune fille 50 ans réfléchit à deux fois avant de émerger en même temps que moi. "L'âme doit avoir le secret d'un quitter sa femme parce qu'il a sûre - Propos recueillis par HC baume divin qu'elle passe un peu sur ment un crédit sur la baraque… Est- la mémoire pour ne garder que le ce que la liberté ne rime pas alors n Tout à refaire, de Philippe Lel - bon et faire oublier le mauvais. L’âme avec la jeunesse ? C'est probable - louche, mise en scène de Gérard Dar - aurait le secret des anticorps contre ment ma pièce la plus impudique. mon, avec Gérard Darmon, Philippe les mauvais souvenirs" . Chateau - La scène où Gérard Darmon perd Lellouche, Ornella Fleury briand a dit "la nostalgie, c'est le son père n'est pas loin d'être la Théâtre de la Madeleine, 19 rue de bonheur d'être malheureux" . C'est scène que j'ai vécue quand j'ai Surène 75008 Paris, 01 42 65 07 09, probablement pour les aider à sortir perdu le mien. à partir du 21/01 de cette nostalgie et leur faire com - C'était important pour vous

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 35 à partir du 22 KINGS OF WAR Janvier Théâtre National de Chaillot - Paris

nous sommes allés visiter. Mais nous ne l’avons pas copiée. C’est un point Ivo van Hove de départ que ce lieu qui est une chambre, une pièce personnelle : comme dans un bunker on prend des décisions sur le monde en étant loin du monde. Ce n’est pas le seul élément ! C’est un spectacle ample, encore plus compliqué que Tragé - dies romaines , avec de la vidéo et de la musique. Avec Jan Versweyveld, je travaille depuis 25 ans. Parfois il a des idées de mise en scène et moi des idées de scénographie ! C’est la meilleure idée qui l’emporte. Il n’y a d l évidemment pas de concurrence e v y

e entre nous. w s r

e Comment faites-vous pour faire V

n a

J cinq mises en scènes par an ? Analyste du pouvoir @ Je ne fais pas cinq mises en scène par an ! Quand j’ai fait Vu du pont , j’ai repris la mise en scène que Belge, installé à Amsterdam, Ivo van Hove est l’un des plus j’avais faite à Londres et qui est arri - grands metteurs en scène européens. Après avoir donné Vu vée à New York. Avec Charles Ber - du pont en français à l’Odéon, il présente Kings of war en ling, c’est très différent de ce que néerlandais surtitré à Chaillot. Nous l’avons joint alors qu’il c’était à Londres, mais ce n’est pas un nouveau spectacle. Mais c’est préparait un spectacle avec David Bowie à New-York. vrai que je fais beaucoup de specta - cles. C’est mon moyen de m’expri - mer sur le monde, de faire passer Théâtral magazine : Quelle est la guerre ? Sur la question de la guerre, mes pensées et mes émotions. En nature du projet Kings of war ? ces trois rois prennent des décisions fait, le théâtre, pour moi, ce n’est pas Ivo van Hove : Ce fut une longue tout à fait différentes. Henri V réflé - du travail. C’est ma vie. préparation, comme pour les Tragé - chit par lui-même, Henri VI subit l’in - Propos recueillis par dies romaines . J’ai travaillé avec un fluence de la religion et de ses Gilles Costaz adaptateur et deux dramaturges. conseillers, Richard III ne pense qu’à J’ai besoin d’être accompagné pen - lui-même et à la destruction d’au - dant cette longue mise au point. trui. Cela constitue une l’histoire Nous avons adapté Henri V, Henri d’un pays, suivie de façon chronolo - VI et Richard III de Shakespeare, en gique, à travers trois portraits n Kings of war d’après Shakespeare, allégeant chaque tragédie. Pour contraires. mise en scène d’Ivo van Hove, avec Henri VI , nous n’avons pas fait aussi Comment travaillez-vous avec Kitty Courbois, Hélène Devos, Fred long que Thomas Jolly ! L’ensemble votre scénographe Jan Verswey - Goessens. dure quatre heures environ. C’est un veld qui apporte tant d’originalité Théâtre national de Chaillot, spectacle sur le leadership, la vo - à vos spectacles ? place du Trocadéro 75016 Paris, lonté de pouvoir. Pourquoi le goût Nous nous sommes inspirés de la 01 53 65 30 00, du 22 au 31/01 du pouvoir ? Pourquoi le goût de la salle de guerre de Churchill, que

36 Théâtral magazine Janvier - Février 2016

à partir du n Je vous écoute, de et avec Bénabar, JE VOUS ÉCOUTE Pascal Demolon, Zoé Felix, mise en scène 22 Isabelle Nanty, Janvier Théâtre Tristan Bernard - Paris Théâtre Tristan Bernard, 64 rue du ro - cher 75008 Paris, 01 45 22 08 40

Bénabar et Pascal Demolon Comédie assumée

de façon humble et engagée artisti - Chacune de ses chansons sont de mini scénarios. quement. Avec son co-auteur, Hector Cabello Reyes, Bénabar livre sa Pascal : Quoique l’on fasse, il faut le première pièce Je vous écoute, et la joue au théâtre Tristan faire bien, sérieusement, avec exi - Bernard dans une mise en scène d’Isabelle Nanty. Le chanteur gence. Peu importe qui raconte l’his - avait déjà joué sous sa direction avec Jacques Weber en 2011 toire si l’histoire est belle. C’est un au théâtre du Rond-Point. Il revient au théâtre une nouvelle cadeau que l’on fait à tous. A une époque un acteur de théâtre ne pou - fois et rencontre au plateau le comédien Pascal Demolon vait pas faire de télé ni de cinéma, un pour cette histoire d’une querelle de deux hommes, un psy et acteur de cinéma ne pouvait pas un cuisiniste, que rien n’aurait pu réunir… Sauf une femme. être acteur de théâtre… Il faut une démarche sincère et que chaque per - sonne qui puisse faire du bien aux Théâtral magazine : Quel est le chose de sincère, avec un peu de autres ne s’en prive pas ! Une tête genre de cette pièce ? fond. Ce n’est pas qu’un marivau - d’affiche ne remplit pas forcément Bénabar : Une comédie, assumée dage. Je suis aussi un amateur de une salle ! comme telle. Il ne faut pas avoir peur portes qui claquent. La convention A quel public vous adressez-vous ? du divertissement, même dans la du genre ne me déplait pas. Bénabar : Personne n’est proprié - musique. C’est souvent traité avec Pascal Demolon : Dans la cocasserie taire du public ni ne le possède. Il est mépris, mais je souhaite que les gens des situations, il y a une sensibilité extravagant de dire “mon public”. s’amusent. Je veux raconter quelque très jolie qui transparait. C’est là que Les gens vont où ils veulent. Ils vien - réside la vraie drôlerie. nent voir d’abord une pièce de théâ - Quel regard la profession tre et je trouve cela sain. Je ne sais porte-t-elle sur un chan - pas si le public de mes concerts vien - teur devenu auteur et co - dra au théâtre. Notre boulot est de médien ? justifier l’attention du public à tout Bénabar : Je n’ai pas senti moment, que l’on fasse une chanson, d’amertume. Je ne suis pas une pièce ou un film. Si les gens ne certain qu’il n’y ait qu’une veulent pas venir, ca nous fera de la seule gamelle dans laquelle peine… mais ils en ont le droit ! tout le monde tape ! A part Pascal : Le public a ses habitudes et sur un casting, je ne pense veut parfois rester dans le domaine pas que lorsque l’on tra - dans lequel il est ému par l’artiste. vaille on prenne le boulot Néanmoins certains viendront voir de quelqu’un d’autre ; c’est Bénabar par tendresse, parce qu’ils plutôt moteur et créatif. s’intéressent à l’artiste, d’autres vien - Dans la musique, si un ac - dront le redécouvrir. Mais nous espé - teur fait un album ça ne me rons tous que ce sera la pièce qui pose pas de problème. donnera l’envie. Donc je m’applique ce prin - Propos recueillis par François Varlin

n cipe dans l’autre sens ! Il i a l l i

v faut juste faire les choses e L

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Théâtral o 38 magazine Janvier - Février 2016 l F

@ à partir du LES DERNIERS JOURS DE L'HUMANITÉ 27 Comédie-Française - Paris Janvier

David Lescot 14-18 : Effrayant cabaret

Il y a quelques années, David Lescot mettait en place, avec Denis Podalydès au Musée de l’Armée, une lecture des Derniers jours de l’humanité , œuvre monumentale sur la Première Guerre mondiale de l’écrivain autrichien Karl Kraus. Un texte traduit il y a sept ans seulement, qui l’avait toujours fasciné. Au Théâtre du Vieux-Colombier, il le met en scène r d pour la Comédie-Française. @

Théâtral magazine : Qu’est-ce qui théâtre mais qui est un théâtre im - des sketches. Le fil conducteur : c’est motive votre intérêt pour la Pre - possible avec son millier de pages, la guerre qui se déroule, le chaos de mière Guerre mondiale ? ses centaines de scènes, ses milliers l’existence, de l’évènement histo - David Lescot : J’ai toujours eu un in - de personnages couvrant le sujet rique que l’auteur essaye de capter térêt pour l’Histoire dans mon par - dans toutes ses dimensions mili - dans son écriture. C’est aussi un cours théâtral. Cette guerre est un taire, économique, satyrique. Nous spectacle de music-hall, de café- tournant de l’histoire de l’humanité : allons redécouvrir, revoir cette réa - concert, une forme très hétéroclite la conception du développement lité du patriotisme, de la destruc - utilisée à l’époque pour réunir les s’inverse et l’on voit que l’industrie tion, de ce que les hommes sont gens. Dans la même soirée en un et la science peuvent servir une capables de faire aux hommes à ce même lieu, on pouvait assister à une œuvre de mort. C’est effrayant et moment-là de l’Histoire. Il n’est pas projection cinématographique, du traumatisant. Je ne suis pas telle - inutile de nous rappeler combien LA cabaret, du théâtre joué, des textes ment porté sur la commémoration, civilisation était capable de se mas - déclamés, des chants. Nous avons ni même sur le devoir de mémoire. sacrer elle-même. Grand moraliste essayé de récupérer cette forme et L’Histoire m’intéresse beaucoup plus extrêmement acerbe et cruel, Karl de lui donner un aspect moderne. que la mémoire, car elle considère le Krauss montre à quel point les va - Propos recueillis par passé comme un territoire vivant, où leurs officielles sont menteuses. François Varlin l’on cherche et découvre des choses. Comment rendre donc possible ce Une enquête sur le passé qui éclaire “théâtre impossible” ? notre présent. J’ai imaginé une forme pour en faire Que peut-on dire de ce texte de un spectacle ; il n’était pas possible n Les Derniers Jours de l'humanité, Karl Kraus ? de représenter les scènes de ma - de Karl Kraus, mise en scène David J’avais envie de donner à entendre nière réaliste. Kraus faisait des lec - Lescot, avec Denis Podalydès, Sylvia ce texte très mal connu en France. tures seul de son texte ; Denis Bergé, Bruno Raffaelli, Léonie Simaga Kraus épouse tous les niveaux de Podalydès sera donc un peu ce per - Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue langage. A la fois grand littérateur sonnage. Les autres comédiens sont du Vieux-Colombier 75006 Paris, et grand poète, il capte ce qu’il y a tous ceux qui traversent le texte, 01 44 39 87 00, du 27/01 au de plus prosaïque et oral dans le lan - personnages ayant existés ou non. 28/02 gage de la rue. Un texte fait pour le C’est très découpé, presque comme

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 39 à partir du 27 UNE FAMILLE MODÈLE Janvier Théâtre Montparnasse - Paris

Patrick Chesnais Une année boulevard Après un passage dans l’Histoire de France en compagnie de Niels Arestrup ( Le Souper) , Patrick Chesnais retrouve la comédie de boulevard, Evelyne Buyle et Anne Bourgeois. Sujet de la comédie : la difficulté d’aimer également femme, maîtresse, enfants et soi-même…

Théâtral magazine : Par quel canal doit jouer le jeu, et le comédien gar - vous est arrivé le texte d’ Une fa - der sa liberté. Mais je ne peux pas mille modèle ? progresser sans l’aide du public. Patrick Chesnais : Je connais bien Abandonnez-vous votre spectacle Ivan Calbérac comme réalisateur et sur Dostoïevski ? comme écrivain. J’ai tourné avec lui, Pas du tout. Mais c'est mon année je suis proche de lui. Je me suis inté - “boulevard”, puisqu'en avril, je re - ressé à cette pièce qui a de la force prendrai pour quelques jours et pour et du caractère. J'aime ce person - une captation de France-Télévi - nage du père, un peu monstrueux sions, au Montparnasse, L'Invité de mais attendrissant dans ses excès. Il David Faraon. Nous devons aussi aime tout le monde : sa femme, ses faire Une famille modèle pour enfants, sa maîtresse et lui-même. Il France-Télévisions. Virgil T nase a ne se sépare d'aucun. Il y a une pa - compilé dix ans de correspoăndance

renté avec le personnage que je dans ce Dostoïevski, le Démon du y e t S

jouais dans Skylight de David Hare, jeu. L'auteur de Crime et Châtiment p e e J mais cet homme-là est moins mons - est un personnage excessif et souf - @ trueux. Le mystère, la complexité se frant. Il est toujours en manque d'ar - révèlent aux répétitions et avec le gent, en rage perpétuelle après les public. casinos dont il ressort dépouillé de Comment jouerez-vous votre per - ce qu'il possédait encore. Il supplie sonnage de Bernard ? sa femme, qui est jouée par Beata C'est du plaisir, c'est une machine à Nilska, de lui envoyer de l'argent, ce provoquer le rire. Il a une grande hu - qu'elle fait modérément car elle a n Une famille modèle, d’Ivan Calbé - manité. Plus il est humain, plus il fait compris qu'il écrit lorsqu'il touche le rac, mise en scène d’Anne Bourgeois, rire. Ce Bernard est aimant, autori - fond. Mes engagements font que je avec Patrick Chesnais, Evelyne Buyle, taire, colérique, égotique. Il défend ne peux reprendre prochainement Véronique Boulanger. son art d'aimer avec une conviction ce spectacle que nous avons créé au Théâtre Montparnasse, 31 rue de la qui ne correspond à rien ! Il n'est pas Petit-Hébertot. Je l’ai joué en tour - Gaîté 75014 Paris, 01 43 22 77 74, classique, selon les codes du boule - née et je le reprendrai dès que pos - à partir du 27/01 vard. C'est le public qui nous indique sible. J’adore jouer ce personnage ! certains codes. Comme on est Propos recueillis par condamné au succès, tout le monde Gilles Costaz

40 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du REIMS SCÈNES D’EUROPE 28 Reims Janvier

Ludovic Lagarde La Grèce à l’honneur Nommé à la direction de la Comédie de Reims en janvier 2009, le metteur en scène Ludovic Lagarde prépare la nouvelle édition de “son” festival multidisciplinaire, Reims Scènes d’Europe qui débutera fin janvier. Au menu, dix jours de spectacle vivant, théâtre, danse, chant, … dans des lieux divers comme la Comédie, le Manège, l’Opéra ou le centre Césaré. Objectif cette année : mettre en valeur la scène grecque contemporaine.

sons d’en composer une thématique. 600 salles. J’y ai vu la nouvelle créa- Quels seront les rendez-vous phare ? tion de Blitz. Il y a un engouement Un focus grec en premier lieu, avec pour le théâtre et une création in- n Reims Scènes d’Europe, trois compagnies de théâtres croyables. C’est dans ces pays de cul- 03 26 48 49 00, du 28/01 au 6/02 grecques, dont Blitz Group ture très riche que les gens sortent, > Vania, 10 ans après, conception, mise avec un spectacle, 6 a.m, qu’ils vien- il y a un appétit de se retrouver, de en scène Blitz Theatre Group, 28-29/01 nent de créer à Athènes et Vania, dix communier, d’apprendre. Il y a une > Les Français, d'après Marcel Proust, ans après, qui sera proposé en ouver- dimension civique importante dans mise en scène K. Warlikowski, 30/01 ture, puis Vasistas Theatre Group ces sociétés. > Sangs / Emata, Vasistas Theatre avec Sangs Emata et Domino. C’était Ne craignez-vous pas de découra- r intéressant de montrer la nouvelle ger le public avec une programma-

e Group, 2/02

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a > 6 a.m. How to disappear, Conception, scène athénienne qui réinvente le tion exigeante ?

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e n ue, c’est Au contraire. Ce festival reste un pari.

i mise en scène Blitz Theatre Group, 3/02 théâtre. C’est un art politiq

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e C > Le Révizor, mise en scène V. Bodó, 5/02 dans ce pays que sont nés le théâtre En même temps, le spectateur est @ et la démocratie. En parallèle, il y a formé, il est habitué aux spectacles en des invitations à Krzysztof Warli- langue étrangère sur-titrés. Le festival Théâtral magazine : Après avoir kowski et à Viktor Bodo qui propo- a sept ans maintenant. On travaille traité de la guerre dans le cadre du sera sa version du Revizor de Gogol. sur un festival international de la centenaire de 14-18, comment est Avec l’idée que l’art peut jouer un même manière que sur les créations venue l’idée de la Grèce ? rôle politique ? françaises. On a beaucoup d’ateliers et Ludovic Lagarde : Depuis deux ans, L’art est une réponse, il propose des des liens avec des collèges, des écoles j’y ai pas mal voyagé. J’ai créé Quai choses, on parle de néo-romantisme, d’art, des universités. Outre ce focus Westde Bernard Marie Koltès au théâ- les Grecs dansent au-dessus des grec, il y aura Marcel Proust en polo- tre national d’Athènes en 2014. D’au- ruines, il y a une énergie et une am- nais, A la recherche du temps perdu tre part, on a une fidélité avec la bition formidable. Il y a un dialogue par Warlikowski avec une dimension compagnie grecque Blitz que nous ac- entre le théâtre et la politique. spectaculaire. Comme c’est une œuvre cueillons et coproduisons dans le festi- Les Grecs ne sont-ils pas plutôt oc- française, cela nous permet de travail- val. L’actualité récente du pays, la crise, cupés à survivre ? ler avec le public différemment. la question des réfugiés, la dimension C’est paradoxal, mais à Athènes, les Propos recueillis par politique ont constitué autant de rai- théâtres sont pleins, je crois qu’il y a Nathalie Simon

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 41 à partir du 3 LES CAVALIERS Février Théâtre La Bruyère - Paris

Grégori Baquet à l’assaut de Kessel

C’est un spectacle à nul autre pareil. Une saga magnifique de Joseph Kessel, revisitée avec une surprenante théâtralité par Eric Bouvron. Grégori Baquet a créé ce rôle et le reprend, en z

alternance avec Benjamin Penamaria, au s n e r T théâtre La Bruyère, sans pour autant e n i b

cesser de jouer Un obus dans le cœur de a S

Wajdi Mouawad. Un challenge . @

Théâtral magazine : Vous menez Eric Bouvron jouait Afrika . Nous père qui met une telle pression sur une carrière tambour battant au avons vu nos spectacles respectifs et son fils que celui-ci n’ose pas affron - théâtre. Imaginiez-vous votre vie avons eu envie de travailler ensem - ter son regard après sa défaite à un de comédien ainsi ? ble. Nous avons découvert des jeu équestre traditionnel en Afgha - Grégori Baquet : J’ai la force et le atomes crochus dans notre façon nistan. Le jeu existe, les coutumes physique d’enchainer les projets. De - d’aborder le métier, il commençait existent, cette façon qu’avaient les puis que j’ai reçu un Molière (de la l’adaptation des Cavaliers , que nous pères d’élever leurs enfants à coups révélation masculine, ndlr) , il y a avons lu et j’ai été partant. C’est un de cravache comme les chevaux deux ans, les choses s’accélèrent et roman phare et fleuve de 800 pages existait… L’aventure est une fiction, j’en profite. Je me gave de tout ce de Joseph Kessel. Un projet collégial mais l’orgueil de l’homme qui y est que je peux et j’ai la chance que les s’est mis en place, puis Anne Bour - racontée est totalement ancré dans projets soient fascinants et passion - geois est venue le mettre en ordre. le réel. Un conte initiatique, oui : nants. Je n’ai pas envie de rater les Faut-il rattacher ce genre de spec - comment un enfant va devenir un perles ! Un jour cela déclenchera le tacle au théâtre d’objets ? adulte au péril de sa vie, et comment cinéma… Lorsque je chantais de la C’est du théâtre d’aventure, mais se dégage-t-on des casseroles que variété et que je faisais des séries faut-il mettre une étiquette sur ce nos parents nous mettent sur la tête. télé, j’avais ce petit rêve dans un genre de théâtre ? Les gens on l’im - Propos recueillis par coin de ma tête de grands auteurs. pression qu’il y a 60 chevaux sur François Varlin Je suis heureux et fier d’avoir fait ces scène et tout un tas d’accessoires, choses plus grand public. Je les fai - mais les comédiens créent les sais avec passion aussi. Mais Xavier choses à vue. Un tabouret retourné n Les Cavaliers, de Joseph Kessel, Jaillard qui dirigeait le Petit Héber - permet de suggérer le cheval par mise en scène Eric Bouvron et Anne tot, en me confiant Le K de Dino exemple. Un théâtre de création, un Bourgeois, avec Eric Bouvron, Grégori Buzzati, a été un déclencheur. peu à la manière de Mnouchkine ou Baquet en alternance avec Benjamin Anouilh, Claudel, Wajdi Mouawad de Peter Brook. Penamaria, Khalid K., Maïa Gueritte ont suivi. Ce texte est-il une sorte de conte Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère Comment vous êtes-vous retrouvé initiatique ? 75009 Paris, 01 48 74 76 99, sur ce projet des Cavaliers ? L’histoire est fantasmée par Kessel, à partir du 3/02. En 2011, je jouais Le K à Avignon et mais sur la base de faits réels. Un

42 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du LA RIVIÈRE 5 Comédie des Champs-Elysées - Paris Février

Emma de Caunes Entre désir et poésie i d d e J

i o

l Vous jouez le rôle de la femme, a S celle qui semble être la première @ n La Rivière, de Jez Butterworth, mise en scène de femme de l’homme de la cabane.

z Jérémie Lippmann, avec Emma de Caunes, Nicolas C'est une femme qui a une envie s n e r assez furieuse de vivre et de ressen -

T Briançon, Anne Charrier, Clara Huet e n i tir et qui est capable de passer du

b Comédie des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne a S 75008 Paris, 01 53 23 99 19, à partir du 5/02 rire aux larmes. Elle n’a pas peur de @ ses émotions. Elle a suivi cet homme dans cette cabane avec l’objectif de Emma de Caunes aime les atmosphères étranges. se sentir vibrer. C'est un personnage Après Simpatico de Sam Shepard en 2012, elle re - qui a de l'énergie, qui ne tient pas vient au théâtre dans La Rivière , une pièce qui évoque en place. Elle chante, donc je chante l’univers et la vie du poète Ted Hughes, l’époux de Syl - aussi dans la pièce. Il y a une atmo - sphère mais les scènes sont assez via Plath. Inédite en France, elle a été créée à Broad - concrètes : ils vont pêcher, ils font way par le comédien Hugh Jackman. C’est là que l'amour, ils cuisinent un poisson. La Jérémie Lippmann le metteur en scène l’a découverte. façon dont c’est écrit et dont Jéré - mie est un peu cinématographique. Théâtral magazine : La rivière , serait temps que je commence à On ne vous voit pas beaucoup au c'est une pièce très étrange… jouer des rôles de femmes ! Et puis, théâtre. Cela ne vous manque-t-il Emma de Caunes : Oui. On raconte il y a l’équipe, Jérémie Lippmann le pas ? l’histoire d'un homme qui amène metteur en scène, Nicolas Briançon Si bien sûr. La dernière pièce que j’ai des femmes dans une cabane pour avec qui je n'ai jamais eu la chance jouée, c’était Simpatico de Sam She - pêcher. Ça parle des relations de travailler avant, Anne Charrier... pard, au Petit Marigny, et la précé - amoureuses, de personnages en Et puis l’étrangeté du texte m’a dente Pour l'amour de Gérard quête d’une certaine vérité. Et le amenée à m’intéresser au poète Philipe , de Pierre Notte. Aupara - décor, fait de cette cabane, de cette anglais Ted Hugues, qui était marié vant, j’avais joué les pièces de Dias - nature, de cette rivière et de cet iso - avec la poétesse Sylvia Plath et à tème, La nuit du thermomètre et lement est un personnage de la son rapport aux femmes qui se sont L'amour de l'art . J'adore ça, je ne pièce. L’atmosphère qui se dégage suicidées autour de lui. La pièce suis jamais plus heureuse que sur un de la pièce est très forte et en même pourrait presque être un hommage plateau de théâtre, mais il faut que temps fait écho à des choses qu'on à lui, à ces femmes un peu border - ça se passe dans le bonheur. J’avoue connaît tous, comme la relation line comme des personnages de que les mauvaises expériences homme-femme tout simplement. Virginia Woolf, et à cette envie de m'ont un peu refroidie… Qu'est-ce qui vous a plu dans ce retrouver un amour perdu. Je me Propos recueillis par HC projet ? suis plongée dans cet univers C'est un ensemble de choses. C’est parce qu’il nourrit mon idée du per - un beau rôle. A presque 40 ans, il sonnage.

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 43 à partir du 5 LE DISCOURS AUX ANIMAUX Février Bouffes du Nord - Paris

Valère Novarina s’adresse aux animaux

Trente ans après sa création, André Marcon est de retour aux Bouffes du Nord avec Le Discours aux animaux , le e

texte culte de Valère Novarina. A cette c u o d _

occasion, l’auteur franco-suisse revient e n n e i

sur la genèse de son monologue. Cette b a f _

œuvre qui continue de l’intriguer... @

Théâtral magazine : Quelle mes pensées. Le résultat est une con n’aime pas du tout que l’on cri - étrange idée que de s’adresser aux suite de déambulations oniriques sur tique son jeu mais il était d’accord animaux tout de même… le modèle des Rêveries du promeneur pour que je lui fasse un commen - Valère Novarina : Un hiver, je me solitaire de Rousseau. taire par jour... Mais il n’avait pas be - suis retrouvé pris au piège par la Quelle a été la réaction du comé - soin de moi. Il a travaillé la métrique neige dans ma ferme qui surplombe dien André Marcon quand vous lui comme un instrumentiste de mu - le Lac Léman avec des chèvres et avez confié le texte ? sique classique avec une précision des cochons. Et, tous les jours, quand Il était terrifié ! Il l’a lu, une première ahurissante. j’ouvrais la porte des écuries, j’avais fois, m’a regardé, perplexe, et m’a La performance revient aux droit à un spectacle extraordinaire. avoué qu’il n’y comprenait rien. Il dé - Bouffes du Nord, 30 ans après sa Je faisais face à ces bêtes qui me clinait la proposition. Quand je lui ai création, ce sera un moment parti - fixaient. C’est ainsi que j’ai eu l’idée rétorqué que je trouverais bien un culier pour vous ? de m’adresser à des animaux, ces autre acteur, il a sauté dans un taxi Certainement. Ce théâtre est idéal êtres de silence, car je sentais que je et s’est rendu au zoo de Vincennes. pour Le Discours aux animaux . Il est pouvais leur parler des choses dont Et là, en arrivant devant un enclos, décharné et minéral, comme le on ne parle jamais à un homme. il est tombé sur une femme qui hur - texte. Rares sont les lieux qui invi - Avez-vous adopté une méthode lait “Animaux ! Animaux !” en nour - tent à un tel recueillement. Et puis, d’écriture particulière ? rissant les kangourous. Il est revenu depuis, André Marcon a parcouru la Tout à fait. A l’époque, je venais de me voir et m’a dit, extatique, qu’il sa - planète avec ce spectacle, j’ai hâte publier Le Drame de la vie , un roman vait exactement ce qu’il devait faire. de voir comment il s’est bonifié. théâtral fleuve avec 2 587 person - Cette femme lui avait donné le “la”. Propos recueillis par nages. Ereinté par ce travail de titan, Avez-vous participé à la mise en Igor Hansen-Love j’avais envie de travailler autrement. scène du spectacle ? Je me suis donc imposé une règle : Non. Et je ne crois pas qu’un auteur écrire trois heures par jour, pendant doit se mêler de l’alchimie qui a lieu n Le Discours aux animaux, de Valère deux ans, sans jamais corriger ni entre un texte et un comédien. Je Novarina, par André Marcon même relire ce que j’avais produit la l’ai beaucoup suivi en tournée par Théâtre des Bouffes du Nord veille. C’était à la fois anxiogène, car contre. Je le regardais tous les soirs, 37 bis Boulevard de la Chapelle, je ne savais pas ce que j’allais trouver cherchant à percer les mystères de 75010 Paris, 01 46 07 34 50, à la fin, mais aussi libérateur, l’acteur et de ce monologue qui du 5/02 au 20/02 puisque je me laissais aller au gré de continue de m’intriguer. André Mar -

44 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du LE COUP DROIT LIFTÉ DE MARCEL PROUST 6 Théâtre de la Bastille - Paris Février

Rodolphe Dana A la recherche de Proust

Rodolphe Dana qui vient de prendre la direction if du CDN de Lorient présente avec son collectif Les Possédés deux spectacles au théâtre de la Bastille, la z e e c d u Voyage au bout de la Nuit reprise du de Céline et la n o a d n _ r e e

création du premier tome d’ A la recherche du temps F n s n i e u i o b perdu L a de Proust. Avant peut-être d’envisager de mon - n f a _ e J @

ter la totalité de l’œuvre. ©

Théâtral magazine : Pourquoi ne pour le lire en entier, au rythme de forte qui se dégage de la scène et présenter qu’un tome de l’œuvre 30 ou 40 pages par jour pendant un le spectateur a l’impression de de Proust ? an. Cela demande un effort quand faire partie du spectacle. Est-ce Rodolphe Dana : Cela fait un mo - même. Mais si on y consent, il y a un qu’on retrouvera cette sensation ment que je tourne autour de Proust plaisir, une joie et une intelligence avec Proust ? et j'avais envie d'essayer de m'y at - aussi parce qu'il fait partie de ces Notre façon d'être sur scène se teler à travers une forme légère des - auteurs qui nous donnent l'impres - heurte forcément à l'écriture de tinée à vérifier que quelque chose sion d'être un peu plus intelligent à Proust, et on essaye de voir com - serait possible théâtralement. chaque fois qu'on a lu quelques ment faire autrement sans perdre Pourquoi l'avoir appelé Le coup pages. cette qualité d'humanité. A priori ce droit lifté ? Que montez-vous dans ce premier sera plutôt quelque chose de très On a l'image d'un écrivain mort de essai ? statique et on va travailler sur une son oeuvre, qui ne sortait plus, en - J'ai quelques préférences dans les étrangeté et une présence sonore fermé dans une chambre insonori - sept tomes de son œuvre, mais j'ai pour stimuler l'imaginaire et les sen - sée. Mais avant qu'il ne se consacre un goût plus prononcé pour le pre - sations des spectateurs. à cette oeuvre-là, c'était un bon vi - mier, Du côté de chez Swann et pour Propos recueillis par HC vant. Il avait un appétit de vivre et le dernier, Le temps retrouvé . Là, on une curiosité insatiables depuis son s'attèle surtout à l'enfance, donc au enfance jusqu'au moment où il a dé - premier. On voudrait travailler avec cidé de s'enfermer. J'ai des photos un univers sonore. Il se peut que les de lui où on le voit faire l’idiot au acteurs ne soient pas forcément tennis. D’où l’idée de la balle de ten - éclairés pour mettre le spectateur n Voyage au bout de la nuit, de Cé - nis qui fait un lift, en rebondissant dans un état de réception qui relève line, dirigé par Katja Hunsinger et Ro - encore plus loin à chaque fois qu’elle plus du songe que de la pleine dolphe Dana, avec Rodolphe Dana, touche le sol. Ça me rappelait un conscience éveillée. On écoute des du 2 au 19/02 peu ses phrases qui s'enroulent sur documentaires de Paul Morand, n Le coup droit lifté de Marcel Proust, elles-mêmes et ont du mal à se ter - pour se souvenir de la manière dont avec Rodolphe Dana, Katja Hunsin - miner parce qu'il veut tout embras - les gens parlaient à l'époque, qui ger, Antoine Kahan et Marie-Hélène ser, et ne rien laisser au hasard. n'est plus du tout la même qu'au - Roig, du 6 au 19/02 Quel souvenir gardez-vous de la jourd'hui. > Théâtre de la Bastille, 76 rue de la lecture de Proust ? Dans tous les spectacles des Pos - Roquette 75011 Paris, 01 43 57 42 14 Je m’y suis repris à plusieurs reprises sédés, il y a une humanité très

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 45 à partir du 15 CASPAR WESTERN FRIEDRICH Février Amandiers - Nanterre

Philippe Quesne part à l’assaut des grands espaces

Quel rapport peut-il exister entre un peintre saire du musée. Je les fais peindre, romantique et un cow-boy ? C'est ce que le directeur chanter, danser... Je les interviewe, du théâtre Nanterre-Amandiers est parti découvrir à individuellement, pour qu'ils me ra - Munich, en Allemagne. Il nous accorde un entretien content leur parcours. Certains d'en - tre eux ont travaillé avec Marthaler entre deux répétitions. par exemple, ils ont des histoires in - croyables... C'est un vrai travail d'en - Théâtral magazine : Caspar Wes - plutôt à la recherche d'un climat, quête et c'est avec cette matière tern Friedrich . Comment vous est d'une tonalité émotionnelle. Et une vivante que je vais construire ma venu ce titre si énigmatique ? fois que j'ai trouvé celle qui est pro - pièce. Mais tout ceci est aussi nou - Philippe Quesne : Tout a commencé pre à chaque spectacle, je me laisse veau pour moi car c'est la première là, comme d'habitude : je m'amuse à guider par mon intuition. fois que je ne travaille pas avec mon associer deux termes, à priori très dif - Justement, cette méthode de tra - équipe habituelle. férents, et je regarde ce qu'il se vail, convient-elle à ces comédiens ? Vous parlez des acteurs comme s'il passe ; comme pour un collage. En Les Allemands n'ont pas tous l'habi - s'agissait d'enfants... l’occur rence, j'ai trouvé que le genre C'est ça. J'ai toujours conçu la créa - cinématographique qu'est le Wes - tion comme une activité ludique. Je tern et le travail du peintre roman - viens des arts plastiques et je suis tique Caspar Friedrich se faisaient complètement fasciné par les comé - écho, étrangement... Tout cela diens. C'est fou, tout de même, ces m'évoquait la démesure, la solitude, gens qui sont prêts à confier entiè - la contemplation de paysages im - rement leur destin pendant menses... Et une réflexion : d'où vient quelques heures. Pouvoir jouer avec notre instinct qui consiste à vouloir eux me procure une émotion folle. dominer la nature tout en cherchant D'autant que ces acteurs sont un vé - à la protéger ? Ensuite, je savais que ritable trésor européen. j'allais travailler avec la troupe du Propos recueillis par Münchner Kammerspiele, les comé - Igor Hansen-Love diens du théâtre de Munich. C'était prévu depuis des années, bien avant r d que je ne prenne la direction du théâ - @ tre de Nanterre. Je me suis donc re - n Caspar Western Friedrich, par Phi - présenté ces immenses acteurs tels tude de l'écriture au plateau ! Mais lippe Quesne, spectacle en allemand de vieux cow-boys, racontant leur his - je crois qu'ils s'amusent bien. C'est surtitré, avec Johan Leysen et des co - toire en particulier, et celle du théâ - assez chaotique, nous discutons en médiens de l’ensemble du Müncher tre allemand en général. allemand, en anglais, en français. Et Kammerspiele Tout est donc essentiellement il faut aller très vite. En ce moment, Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo question d'ambiance... je mets en place des activités afin de Picasso, 92000 Nanterre, Oui, je n'écris avec aucun motif dra - les observer. Je les emmène voir des 01 46 14 70 70, maturgique habituel comme la trahi - tableaux de Caspar Friedrich. J'orga - du 15/02 au 19/02 son, le meurtre ou le sexe. Je suis nise un rendez vous avec le commis -

46 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à partir du n Portrait Koltès, par Elise Vigier, avec Jean-François Perrier PORTRAIT KOLTÈS > 23/02 au 1/03 avant Le retour au désert à la Comédie de Caen, 23 > 2 au 4/03 avant Roberto Zucco, au Théâtre de Caen Comédie de Caen Février

Elise Vigier et Jean-François Perrier

qu’il veut être invisible, c’est Koltès qui parle. En même temps, il ne gagne pas sa vie, il emprunte sou - vent à ses amis. C’est Le Retour au désert qu’il a écrit pour Jacqueline Maillan qui lui a apporté la recon - naissance et la notoriété. A partir de là, il est internationalement connu. Et pourtant, il fait interdire ses pièces en Allemagne après avoir vu une mise en scène qui lui déplaisait. Il ne donne les droits qu’à Luc Bondy et Peter Stein. Quels étaient ses rapports avec Chéreau ? Koltès fascination Jean-François : Professionnels. Ils n’étaient pas amants contrairement Portrait Koltès est une petite forme présentée en à ce qu'on croyait. Koltès voyait lever de rideau du Retour au désert et de Roberto Chéreau comme quelqu'un d'un Zucco deux pièces de Bernard-Marie Koltès à l’af - autre monde. Il lui en a même voulu quand Chéreau a remplacé Isaach ̀ s fiche de la Comédie de Caen. Elise Vigier à la mise e l de Bankolé dans La solitude des a V - en scène et Jean-François Perrier sur scène l’ont e champs de coton . Les noirs devaient n n a

e conçu à partir de la dernière interview de Koltès

J être joués par des noirs et les arabes

n a t

s avant sa mort prématurée du Sida en 1989. par des arabes. i r T Élise : A un moment où tous les gens @ de son milieu et de sa génération étaient à l'extrême gauche, il choisit Théâtral magazine : Comment se qu'il consacrerait sa vie à écrire du le parti communiste où on trouvait présente ce portrait ? théâtre. Il avait essayé le roman les enfants d'ouvriers mais pas des Élise : On l'écrit avec Jean-François mais ça ne lui allait pas. Et même s’il intellectuels comme lui. Avec Koltès, ensemble à partir de la dernière in - préférait très clairement le cinéma, l'intellectuel cohabite avec le terview de Koltès baptisée Avant la son travail d'écrivain s’exerçait au monde populaire, le sexe cohabite nuit . Ce n’était pas un homme fait théâtre. avec la grande amitié. Aujourd’hui, que de théâtre. Il était amateur de Croyait-il à la puissance du théâtre ? tout est séparé et c’est important de cinéma, il écoutait beaucoup de mu - Jean-François : Il y croyait pour les rencontrer des artistes pour lesquels sique et pas seulement de la mu - autres. Lui n'aimait pas aller au tout est relié. sique érudite. C’était un fan de Bob théâtre. Il ne voulait pas être comé - Pourquoi sa vie fascine-t-elle autant ? Marley par exemple. Et puis, il se dien. Il était entré à l’école du Théâ - Elise : Il était dans son écriture et nourrissait beaucoup de rencontres. tre National de Strasbourg mais son écriture était dans sa vie. Dans cette interview, il explique que dans la section régie. Il voulait être Propos recueillis par HC ce qu’il a vécu entre 18 et 25 ans lui invisible. Le monologue de Roberto a permis d'écrire toute sa vie. Zucco dans le métro avec le vieux Jean-François : Il a décidé un jour monsieur dans lequel il explique

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 47 à partir du 23 CHAT EN POCHE Février CDN Le quai d'Angers

Frédéric Bélier-Garcia fête le vaudeville Pour célébrer son intronisation à la tête du centre na - tional dramatique d'Angers, Frédéric Bélier-Garcia a choisi Chat en Poche de Feydeau . Son premier vau - deville . Un choix audacieux puisqu'il entend redonner à cette comédie ses lettres de noblesse.

Théâtral magazine : Vous vous at - rodées telles des systèmes impara - taquez à un vaudeville, un genre bles. Or, le Chat en poche est em - qui a parfois une connotation pé - preint d'une fougue qui n'est pas jorative au théâtre public... tout à fait maîtrisée. Et c'est juste -

Frédéric Bélier-Garcia : Oui, c'est ment dans l'immaturité de son écri - r d

sûr, Feydeau jure avec l'esprit de sé - ture que le charme opère. Cette @ rieux qui règne dans ce milieu. Mon - pièce est encore plus généreuse, ter Chat en poche , c'est un peu plus acide et moins polie que celles de mise en scène. comme faire une note de frais illi - qui vont suivre. Par ailleurs, le Quels ont été vos partis pris de cite... On a peur, on se sent coupable thème qui la traverse me tient à mise en scène justement ? et il faut se justifier. Cet auteur a cœur : l'art et la culture. Elle raconte J'ai voulu sortir cette pièce du salon longtemps été ostracisé par le théâ - l'histoire d'un homme, un bourgeois bourgeois. J'ai choisi de montrer les tre public qui le trouvait superficiel inculte, qui se met en tête de mon - scènes qui sont seulement évoquées et indigne du répertoire classique. ter l'opéra de sa fille par vanité. Et, dans le texte, en montant, par Mais cet auteur n'a nul égal pour sur un malentendu, sans s'en rendre exemple, une scène d'audition à montrer la bêtise humaine. Il traque compte, il va engager un homme ne l'opéra de Paris, que l'on verra sur le le monstre qui se tapit en nous tous. sachant absolument pas chanter ; côté du plateau. Il y aura, de ma - Il est parfaitement universel et une vraie casserole. nière générale, beaucoup de chan - atemporel. Même si l'objectif ultime Qu'éprouvez-vous face à ces per - sons et de performances... Ce de ses pièces est le rire, elles n'en sonnages engoncés dans la tradi - spectacle est aussi pour moi l'occa - restent pas moins des radiographies tion ? sion de fêter le lieu dont je prends la saisissantes de l'être humain. M'at - Un sentiment ambivalent. Je les direction cette année. taquer à Feydeau correspondait trouve ridicules mais j'ai aussi de la Propos recueillis par aussi à un désir de diriger des ac - tendresse pour eux. Ce terreau de la Igor Hansen-Love teurs. Pour un comédien, ses pièces vieille France est si particulier avec peuvent être la porte d'accès à un ses semaines rythmées par des dé - n Chat en poche, de Georges Fey - certain génie. jeuners dominicaux où l'on découpe deau, mise en scène Frédéric Bélier- Et pourquoi avoir choisi cette le gigot, ses médecins de famille, ses Garcia œuvre de jeunesse ? non-dits... Comment ne pas s'en NTA - Centre dramatique national De manière générale, j'ai toujours amuser ? Feydeau s'amuse à mon - Pays de Loire, 17 rue de la Tannerie, été fasciné par les premiers textes trer la sophistication de cette so - 49100 Angers, 02 44 01 22 44, des grands auteurs en devenir. Les ciété satisfaite d'elle-même mais du 23/02 au 12/03 pièces de maturité de Feydeau sont aussi ses limites. C'est un bonheur

48 Théâtral magazine Janvier - Février 2016

Dossier

50 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 Le théâtre haletant laissez-vous embarquer !

epuis quelques années un genre nouveau envahit les salles de théâtre. Le théâtre ha - letant. Haletant , parce que vous respirez à l’unis - son avec les personnages, Haletant parce que vous êtes embarqués d’un bout à l’autre de la pièce, Haletant parce que vous êtes pris dans une histoire qui devient la vôtre, Haletant parce que vous passez d’un lieu à l’autre, d’une Dépoque à l’autre sans vous en rendre compte, Haletant parce que les récits que vous entendez sont d’une beauté émouvante, Haletant parce que le suspense vous rend accroc à la suite, Haletant parce que vous êtes immergé en plein roman… Hélène Chevrier

Avec les interviews exclusives de Claire David, Joël Pommerat, Grégoire Cuvier, Sébastien Azzopardi, Alexis Michalik, Pauline Bureau, Anaïs Allais, Ladislas Chollat, Yann Reuzeau Dossier réalisé par Hélène Chevrier r d

@ <- La Dame Blanche, de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino, au Théâtre du Palais-Royal

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 51 DOSSIER Joël Pommerat

Le spectateur dans la réalité du spectacle

Avec Ça ira (1) Fin de Louis , Joël et qu’on ne parle jamais de Robespierre Pommerat plonge le spectateur ni de Danton mais de gens complète - au cœur de la Révolution Fran - ment inconnus ? çaise. Il créé artificiellement un Le spectateur a un rapport à l'Histoire qui état dans lequel sa réalité rejoint est de l’ordre de la légende, c’est à dire de quelque chose qui est reconstruit. Il ne celle de la pièce qui se déroule. connaît pas le vrai Robespierre, ni les au - En l’immergeant ainsi, il réussit tres héros de la Révolution, même s’il l’exploit de le tenir en haleine connaît leurs noms et en a vu des repré - pendant 4h30. sentations. Donc il s’agit de le placer en si - tuation d'étonnement et de surprise pour La pièce dure 4h30. Cela implique d’em - l’empêcher de s’accrocher à ses réfé - blée de garder le spectateur éveillé du rences, et de convoquer cet imaginaire début à la fin. pré-établi ; on créé une sorte de fiction o i

Ce n'est pas propre à ce spectacle. Je dans laquelle il découvre des gens qui h c c e peuvent avoir les caractéristiques de ces r cherche toujours à faire que le spectateur Ça ira (1) a C

h soit très présent. Et pas en essayant de le fameux personnages et il les découvre t e b a z

distraire pour l'occuper mais en faisant en comme s’il était un de leurs contemporains. i l E Fin de Louis

sorte que l’événement qui se déroule sur L’action se déroulant au présent, on @ scène appartienne à la même réalité que pourrait imaginer qu’une partie des dia - la sienne ; qu’il n’y ait pas deux réalités sé - logues soit improvisée… on les a laissées dans la forme dans la - parées en somme. C'était une question qui n'est pas complè - quelle on les a montrées. Oui mais dans vos précédents specta - tement réglée pour moi. Le théâtre est Attendez-vous un effet particulier par cles, Les Marchands, Au monde, ou La forcément du côté de l'artificiel, il rapport à la pièce, une prise de réunification des deux Corées , le specta - construit une chose qui s'apparente à la conscience des événements plus forte ? teur regarde la pièce se dérouler devant réalité. L’état de présent est donc recons - Je voulais que les gens plongent dans ces lui comme sur un écran de cinéma. Dans titué. Et l'improvisation est trop soumise événements passés comme s'ils en étaient Ça ira , il est immergé dedans. à de la pensée ; quand les acteurs impro - des contemporains. L'impression d'écho, Le fait que quelque chose se déroule de - visent, ils sont obligés d’aller chercher à de coïncidence avec la période d'au - vant le spectateur fait qu'il ne peut pas l’intérieur d'eux-mêmes un espace men - jourd'hui vient énormément de ce que ra - détourner son attention de la scène. Dans tal. Ce qui les oblige à se couper momen - content ces événements. J’ai peut-être Ça ira, la stratégie est différente : on place tanément de l’état de présent. 98% de la accentué cet effet par moments, mais le spectateur au coeur même de l’action pièce est déterminé mais je laisse la pos - sans forcer. Je crois que ça nourrit aussi le de manière à ce qu’il en devienne acteur. sibilité à tout moment à un comédien de rapport du spectateur à la réalité. Les À partir du moment où je voulais travail - pouvoir continuer à écrire en improvisant. questions posées pendant cette fameuse ler sur des événements passés, l’enjeu Ça s'appelle Ça ira (1) . Avez-vous l’in - période de la Révolution ne sont pas ré - était de recréer un rapport au présent tention de faire d’autres épisodes ? glées même si la légende pourrait nous pour le spectateur. On le met non pas face C'était l'idée de départ et c'est pour ça faire croire que tout ça est derrière nous. à quelque chose qu'il connaît mais en si - que j'ai mis le (1). Aujourd'hui j'ai du mal tuation de découvrir instant après instant à me projeter. La surprise participe beau - le déroulement des choses. Jusqu’à créer coup à créer cet état de présent dans le - n Ça ira (1) Fin de Louis, de Joël Pommerat un effet de suspense. quel le spectateur est placé. Je ne sais pas TNP Villeurbanne, 8 Place Lazare-Goujon Est-ce la raison pour laquelle les comé - ce qui pourrait se passer si on faisait un 69100 Villeurbanne, 04 78 03 30 00, diens sont en costumes contemporains numéro 2, en reprenant les choses là où du 8 au 28/01

52 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 LE THÉÂTRE HALETANT

Sébastien Azzopardi

S’identifier au personnage

Un policier tue accidentellement en plus de procédés scénaristiques issus qui lui arrive est de son fait : il y a d’abord sa maîtresse et se retrouve des séries et du cinéma. C’est une manière un accident mais après il fait des choix. Et prisonnier de ses mensonges pour de raconter des histoires. Dans La Dame dans ses choix, il y a une lâcheté originelle échapper à sa responsabilité au Blanche , on a fait en sorte d’être dans l’ac - qu'on peut tous admettre et qui a des risque de menacer sa santé tion en permanence, que les personnages conséquences dramatiques. en disent le moins possible. Il n’y a prati - Il y a beaucoup d’interventions dans la mentale… La Dame Blanche est quement aucune scène où Malo fait état salle sous forme de gags. un thriller psychologique de ses états d'âme. Je voulais impliquer totalement le specta - passionnant écrit par Sébastien Et pourtant on s’identifie très vite à lui… teur. Au théâtre, on est en plan fixe tout le Azzopardi et Sacha Danino, un Parce que ça raconte une histoire d'adul - temps et on voit les personnages arriver duo qui expérimente depuis une tère, une naissance. Ce sont des événe - donc on n'a pas peur. En jouant à 360°, on dizaine d’années les écritures et ments du quotidien. Malo est un a l'impression d'être dans le “film”. formes théâtrales toniques. personnage très commun, un gendarme d’un petit bourg, marié à une institutrice. o i h c Avec Sacha, on a mis beaucoup de choses c e r a

C de nos vies. On a eu un peu de pudeur à le Vous avez l’habitude de monter des co - h t e faire mais c’est le seul moyen de toucher les b médies tambour battant comme Le tour a z i l gens. C’est de ces situations banales que La Dame Blanche, de Sébastien Azzopardi E n du Monde en 80 jours, Mission Florimont @ ou Dernier coup de ciseaux . Avec La naît l’aspect fantastique de l’histoire. Il y a et Sacha Danino, avec Arthur Jugnot… Dame Blanche , vous avez ajouté une di - beaucoup de magie sur scène pour expri - Théâtre du Palais-Royal, 38 rue de Montpen - mension thriller. mer la culpabilité du personnage qui est sier 75001 Paris, 01 42 97 40 00 Déjà Devinez qui ? , que j’avais hanté par ce qu’il a fait. Parce que tout ce www.theatredupalaisroyal.com adapté des 10 petits nègres d’Agatha Christie, était du théâtre d'intrigue avec des morts sur scène. C’était telle - ment prenant que les gens ne La Dame Blanche parlaient que de la pièce à l’entracte. C’est Bernard Murat qui avait fait la mise en scène et il projette d’en faire une captation. En France on a hé - rité du classicisme ; les person - nages de Molière, de Corneille ou de Racine expliquent ce qu'ils ressentent à chaque étape de l'avancée de l'in - trigue avec un verbe très fort. On écoute parce que c'est beau et bien écrit. Mais le spectateur d'aujourd'hui est nourri aussi de télé, de cinéma, r d

de livres… Et on utilise de plus @

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 53 DOSSIER Alexis Michalik r d

@ La magie des histoires

mais il faut aussi que le metteur en scène ait la volonté de garder le rythme. Parce que notre époque impose un rythme très serré beaucoup plus qu’il y a vingt ou trente ans. Il n’y a qu’à regarder les bandes-annonces ou les publicités : il faut tout dire en 3 minutes. Je ne dis pas que la rapidité est gage de qualité ; elle est pri - mordiale. L’écriture de vos pièces se fait-elle en amont des répétitions ou au plateau avec les acteurs ? Je commence par en parler autour de moi. Je raconte à des amis l’histoire que je suis en train d’écrire. Et pour Le Porteur d’His - toire , on a créé une forme courte au Festi - val des Mises en Capsules pour tester la réaction du public, vérifier que ça passe Le porteur d’histoire du récit à la scène. Le gros avantage c’est que je suis mon propre metteur en scène. Comme Wajdi Mouawad, Joël Pommerat Deux femmes, une mère et sa fille Complètement. Je m'ennuie très vite au ou Yann Reuzeau. Je réécris constam - sont abordées par un étranger en théâtre. Il faut que je sois stimulé. Je crois ment. La première fois qu'on entend son plein désert algérien. Il extrait de fondamentalement au pouvoir de l’his - texte dit par les acteurs, on prend leur bibliothèque le roman de toire ou du scénario. Mes auteurs préfé - conscience de quoi ça parle vraiment, des Dumas le Comte de Monte-Cristo rés, ce sont des gens capables de tricoter points forts, des points faibles. L'histoire une histoire, comme Shakespeare. C’est est reine et il faut lui donner les moyens et les entraîne dans un récit d’ailleurs pour ça qu’on le monte toujours de figurer au premier rang. vertigineux et captivant... Alexis autant aujourd’hui. C’est un excellent scé - Vous écrivez une troisième pièce. De Michalik a écrit Le Porteur d’His - nariste qui s'affranchit des codes de dé - quoi parle-t-elle ? toire comme un récit labyrin - cors uniques et qui met de l'imaginaire Ça se passe à la fin du XIXe siècle et ça thique où la tension romanesque avant tout. parle de création théâtrale. La création guide le spectateur jusqu’au bout. Vous parlez de scénario. Mais au théâ - est prévue pour septembre prochain dans Depuis sa création en 2011, la tre la terminologie courante, c’est plu - une grande salle parisienne et avec beau - pièce est devenue une référence tôt le texte. coup d'acteurs sur scène. en matière de théâtre haletant. Avant l'arrivée du cinéma, l'écriture théâ - trale était assez statique avec assez peu de décors, et de changements. Le cinéma Le Porteur d’Histoire comme Le cercle a changé la donne. Et aujourd’hui, l’écri - des Illusionnistes votre deuxième pièce, ture d’auteurs comme Wajdi Mouawad dans deux genres très différents, empor - qui développent des grandes sagas est in - tent l’attention du spectateur. Quelque fluencée par le cinéma et la série. Parce chose s’emballe dès le début qui ne s’ar - que notre génération a été éduquée par n Le porteur d’histoire, en tournée rête jamais. Est-ce voulu ? des séries. Le texte-scénario est primordial n Le cercle des illusionnistes, en tournée

54 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 LE THÉÂTRE HALETANT

Yann Reuzeau

Une série politique

Le député Vampel est intègre. grale au Théâtre du Soleil où les gens ont chant arrive. On montre l’envers du décor. C’est peut-être pour cela qu’il ne l’habitude de voir des spectacles longs et La politique ne sert pas de prétexte à une fait pas carrière. Mais les circons - cela n’a pas posé de problème. Mais cela autre histoire comme c’est souvent le cas tances l’amènent à se présenter n’a pas été pensé comme ça. J’avais envie au théâtre. Là, c’est très renseigné. J’ai aux primaires de son parti où il de faire quelque chose de nouveau, de préparé le sujet en interviewant beau - jouer avec les codes des séries mais aussi coup de gens, en rencontrant des députés. arrive derrière le favori… Yann de faire du théâtre. C'était un défi très ex - Ça m’a amené à imaginer des primaires Reuzeau a écrit avec Chute d’une citant à relever parce qu’il fallait trouver alors qu’en France ça ne se faisait pas au nation une saga politique palpi - le rythme, gérer l’évolution des person - moment où j’ai écrit. Et le destin de ce dé - tante dans l’esprit des séries télé nages et arrêter chaque épisode sur une puté anonyme n’est pas si fantaisiste que américaines… fin suffisamment forte pour donner envie ça : il fait 16% aux primaires et en 2011 aux spectateurs de revenir. Montebourg qui était quasiment inconnu Qu'est-ce qui vous a donné envie Comment avez-vous écrit ? a fait 17% aux primaires socialistes... d'écrire une série ? Dès le départ j'avais un arc narratif assez Sur le plan de la mise en scène, vous C'est l'intérêt nouveau pour les séries net dans la tête. C'était l'évolution de ce avez opté pour une scénographie très américaines depuis le début des années député anonyme et des hommes qui sont sobre. 2000. Il y a eu une explosion de séries de autour de lui. Après il a fallu rajouter de Je voulais absolument qu’on garde à l’es - très haute qualité qui ont donné lieu à la matière, mettre des bûches dans le feu. prit qu’on est au théâtre. Donc, on a défini quelques chefs-d'oeuvre. En tant qu'au - On a un premier épisode assez fermé pour dès l'écriture une esthétique très binaire teur, j'étais un peu jaloux parce que je ouvrir ensuite d’autres axes narratifs dans en noir et blanc et sans décor. n'avais pas cette liberté-là dans mon écri - les suivants. On parle du journalisme ture. Et comme au théâtre, ça n'existait d’opinion, d’une manipulation sur les ré - pas, j'ai commencé à réfléchir à un projet seaux sociaux… et à un moment le mé - de série télé mais qui ne s'est pas fait. En même temps, j’avais une histoire qui me trottait dans la tête depuis z e

que je suis ado, celle d’un dé - u g o M

puté anonyme qui veut arrê - a n i ter la politique et se retrouve r b a S au second tour des Présiden - @ tielles. Mais le format d’une heure trente ne suffisait pas pour raconter cette histoire. Vous en avez donc fait une série de 4 épisodes de deux heures, soit huit heures au total. Ne pouvait-on pas imaginer un spectacle fleuve de huit heures ? C’est long. Et il faut surmon - ter la peur du spectateur de Chute d’une nation s’ennuyer. On a joué l’inté -

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 55 DOSSIER Ladislas Chollat La puissance romanesque du pouvoir Il y a deux ans, Ladislas Chollat a tout ce qui était incompréhensible pour mis en scène Les Cartes du Pou - les Français, pour donner une portée plus voir , d’après Farragut North la universelle à la pièce. pièce de Beau Willimon célèbre Est-ce que cela a induit une mise en Sirènes pour avoir été adaptée au cinéma scène particulière ? par George Clooney ( Les Marches Oui parce que pour préserver le rythme ha - du Pouvoir ). Les spectateurs sont letant du thriller, il ne faut pas qu’il y ait embarqués dans les intrigues po - d’arrêt. Or il y a huit décors. Donc j'ai opté litiques des primaires d’une cam - pour qu’ils bougent à vue, que le rideau ne pagne présidentielle américaine. se ferme pas pour empêcher les spectateurs de parler. J’ai essayé aussi de reproduire les Vous êtes-vous posés la question de effets du cinéma comme les fondus enchaî - l'aspect scénarisé de l'intrigue ? nés ou les gros plans. Il y a une scène qui se C'est parce que c'était scénarisé que ça passe dans un bar ; j’ai placé les acteurs sur m'a intéressé. Je regarde beaucoup de sé - un tout petit plateau où ils ne pouvaient ries, et je suis fou de House of Cards . Dans pas bouger, et tout se joue dans leurs re - Les Cartes du Pouvoir , on est complète - gards. ment dans cet univers dans la façon dont Justement, pour les acteurs, le jeu est-il l’intrigue s’imbrique, les recoupements et le même ? les switchs se font. En tant que spectateur, Il ne faut pas faire de psychologie. Je leur on est malmené et j’adore ça. On s'abs - disais de jouer avec leur ventre et pas trait des contraintes du théâtre. On ne se avec la tête. Parce que s’ils réfléchissaient, pose pas la question de l'unité de lieu, ni ça redonnait un cadre. de l'unité de temps. C'est très bien Qu’est ce qui plaît autant dans Les construit, comme un thriller politique. Or Cartes du pouvoir ? les thrillers n'existent peu ou pas au théâ - C’est le fait que l'on parle de choses d'au - tre et du coup c'était un genre intéressant jourd'hui. Comme pour l’affaire Betten - à amener sur scène. On s’est posé beau - court. C'est hyper excitant pour les coup de questions pour l'adaptation parce spectateurs. Et puis l’esprit de la série se qu’on entre dans un monde très politique, rapproche du genre romanesque très précis, assez complexe même. D’au - puisqu'on a un rapport long aux héros. Ce tant plus que la politique américaine ne n’est pas différent de la lecture d’un bon fonctionne pas selon les mêmes codes que roman qu’on retrouve le soir dans son lit. la politique française. On n'avait pas envie de perdre les gens et on a simplifié r d

C@ eux qui boitent t o L Les cartes du pouvoir @ LE THÉÂTRE HALETANT

Pauline Bureau

L’importance du montage Après des débuts très classiques bien l’idée du puzzle, et des pièces qui s’em - sur un bateau pris dans la tempête. Le avec les mises en scène de pièces boîtent au fur et à mesure. plateau, c'est n'importe où et partout. Au - de Shakespeare, Pauline Bureau Comment avez-vous écrit le texte ? jourd’hui, pour nous c’est de l’Histoire, s’est progressivement orientée vers J’ai écrit l’histoire qui a été retravaillée au mais à l'époque c'était de l'actualité. Kol - un théâtre plus personnel et roma - plateau. Ça se passe entre l'Europe et tès disait d’ailleurs qu’il avait été forte - nesque, écrit au plateau. Elle s’es - l'Asie et sur trois époques, les années 60, ment influencé par Shakespeare quand il saye à la série théâtrale et signe les années 80 et aujourd'hui. J'ai essayé de avait traduit le Conte d’Hiver . Il y avait dé - des épisodes de Une Faille et du Dr faire des séquences courtes pour que ça couvert une énorme liberté dont il s’était Camiski et écrit et met en scène Si - s'enchaîne. Je voulais aussi raconter les servi pour écrire Roberto Zucco . La pre - rènes , une véritable épopée qui tra - trois histoires en même temps sans en per - mière fois que je suis allée au théâtre verse trois générations de femmes. dre une. Chaque histoire se déroule au pré - c’était chez Ariane Mnouchkine. J'ai réa - sent. À aucun moment on ne dit : “je me lisé bien des années après que c'était une Que raconte Sirènes ? souviens” … Il y a un gros travail de mon - forme qui m’avait peut-être influencée J’avais envie de raconter une histoire de fa - tage en fait. A la différence du cinéma, le dans mes choix. mille mais pas de façon linéaire, avec trois montage au théâtre se fait au plateau. Allez-vous continuer dans cette veine ? femmes sur trois époques et un homme. On Votre première mise en scène à la sortie Oui même s’il y a plein d’autres façons de ne sait pas qui est qui par rapport à qui et du Conservatoire, c'était Le songe d'une faire du théâtre qui m’intéressent. Le pro - on comprend au fur et à mesure les liens nuit d'été . Il y a aussi chez Shakespeare chain spectacle traitera des questions au -

s qui les unissent et les ricochets entre les gé - une folie dans l’action. tour des laboratoires pharmaceutiques et i o b s nérations. Si suspense il y a, c'est plus dans Oui il y a une folie avec la cohabitation de des problématiques de santé. C'est le o r G

e les non-dits de cette famille et comment plein de lieux, et d’époques. On est dans scandale du Mediator qui m’a donné r r e i P

ces non-dits ont des conséquences. J'aimais une chambre, en plein milieu de la forêt, envie de travailler dessus. @

De chair et de sang Grégoire Cuvier

Une femme dans un taxi sur une au - dans laquelle on chemine de manière si - C’est le théâtre qui me plaît. Depuis tou - toroute, la Sinfonietta de Janacek, nueuse et puis tout d'un coup, on sort et on jours, on construit notre rapport au monde un accident, un embouteillage, le revient au récit principal. à travers des histoires. Ce sont les premières chauffeur qui sait beaucoup de Vous ouvrez beaucoup de pistes sans for - choses qu'on nous raconte lorsqu’on est choses sur sa passagère… Le début cément les refermer... petit. Je fais pareil. Et ça commence avec les de Ceux qui boitent est un hom - On joue avec le trouble et on pousse jusqu’à acteurs en répétitions. J’arrive avec une ou mage à 1Q84 de Murakami dont une légère frustration. Mais sans que cela de - plusieurs histoires que je leur raconte et Grégoire Cuvier est un incondition - vienne désagréable pour le spectateur. On j’écris à partir de leurs réactions, de leur sen - nel. Son théâtre depuis sa première met les choses en parallèle. Au départ j’ai sibilité, de leurs improvisations. pièce Pénitentes écrite il y a dix ans voulu travailler sur la figure du double qui est Vous travaillez aussi sur votre prochaine est haletant, charnel, fantastique. un des ressorts de 1Q84 à travers l’histoire création La quadrature du cercle . de deux soeurs, de deux familles, de deux Ce sera un diptyque qui interroge les ori - Dans Ceux qui boitent , on trouve beau - sexualités blessées. Il y a aussi des miroirs dé - gines de la violence et je m'empare des coup de références aux romans de Mura - formants. C'est un spectacle qui a beaucoup codes du polar parce que c'est un endroit où kami, notamment à 1Q84 avec la plu au public éloigné du théâtre et notam - s'affrontent la violence légitime et illégi - première scène et le personnage d’Engo ment aux jeunes. Je crois qu’on peut propo - time. J'aime bien emmener quelqu'un par la Ceux qui boitent qui rappelle Tengo. ser autre chose que des classiques aux main dans une histoire et jusqu'au bout. Le Mais Ceux qui boitent fait aussi référence à scolaires. polar fonctionne comme ça. La Ballade de l’impossible, un autre roman de Votre théâtre est fait exclusivement de ré - n Compagnie de Grégoire Cuvier : Murakami. Le principe, c’est une histoire cits fantastiques et poétiques. www.theatredechair.com

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 57 DOSSIER Claire David

La Directrice de la collection Actes Sud-Papiers édite les textes de Wajdi Mouawad, de Joël Pommerat mais aussi d’autres nouveaux venus sur la scène théâtrale haletante.

Un théâtre narratif très classique

Tout le théâtre de Wajdi Mouawad, en dehors des tragédies grecques, est ha - Ciels letant. Mais Ciels occupe une place par - ticulière. Ciels est surprenant parce que rien n'est y a une quinzaine d'années, ce n'était pas au monde dans lequel on vit. Même si ça donné d'avance. Les personnages sont en - à la mode. Et on voit encore quand les au - nous emmène aussi au-delà. Ils relatent fermés de leur plein gré dans un lieu tenu teurs ne sont pas eux-mêmes metteurs en des événements qu'on peut rapprocher secret. Ils tentent de résoudre une énigme scène leurs difficultés à trouver des gens de notre propre histoire, de nos propres ultra compliquée à partir d'écoutes et qui portent leurs textes à la scène. Tho - questionnements. d'espionnage pour déjouer un attentat mas Ostermeier, Stéphane Braunschweig Allez-vous publier des nouvelles his - terroriste. On est en plein brouillard. Tan - ou Guy Cassiers sont des metteurs en toires de Wajdi Mouawad ? dis que dans I ncendies, Littoral et Forêts , scène de textes dits classiques où la nar - En 2016 j'ai un gros programme avec son les choses sont posées d'entrée de jeu. ration a toute son importance et le res - cycle autobiographique. Il a déjà créé Dans Littoral , un homme meurt et son fils pect à l'auteur aussi. Seuls et Sœurs et il est en train de travail - se demande où l'enterrer. Dans Incendies , Quels sont pour vous les autres auteurs ler Frère en binôme avec Robert Lepage suite à la mort d’une femme, un notaire dont l’écriture observe ce principe nar - et Père . Et en 2017, je vais publier Défe - confie à ses enfants une lettre pour leur ratif ? nestration , un texte extraordinaire qu’il a père et leur frère. Et dans Forêts on On vient de publier Idem de la Compagnie monté dans le cadre des ateliers de der - cherche l'origine d’une maladie en remon - des Sans Cou. C'est construit comme ça. nière année du Conservatoire. C’est une tant plusieurs générations. Et je publie en mai prochain les deux enquête policière sur le véritable suicide Est-ce une nouvelle manière d’écrire le textes d’une jeune femme, Anaïs Allais : d’une étudiante de deuxième année. théâtre ? Lubna Cadiot (x7) qui se lit comme une Chaque élève raconte sa propre histoire Je trouve au contraire que c'est un théâtre enquête menée à travers la parole de sept par rapport à elle... ça dure 5 heures, c'est très classique. On a une intrigue et on va femmes et Le silence des Chauves-Souris haletant. Et en même temps il raconte emmener le lecteur et le spectateur vers qui raconte la rencontre de deux femmes toute l'histoire de cette promotion qui ar - le dénouement. C'est plutôt un retour de enceintes dont l'une a quitté l'Algérie et rive en fin d'études et va inévitablement la narration. Regardez des auteurs l'autre va y retourner. On est presque dans se poser la question de son avenir. Avec comme Victor Hugo, ou Camus ; ils se sont une forme classique avec la phase d'expo - trois fois rien, il nous décroche des larmes. servis du théâtre parce qu’ils avaient be - sition des personnages, l'intrigue et le dé - soin d'exprimer des choses au travers de nouement. Et comme par hasard ce sont la parole. Mais au fond ils étaient beau - des gens qui ont fait des ateliers avec coup dans la narration. C’est avec l'arrivée Wajdi. de formes post dramatiques où on a perdu Qu’est-ce qui distingue ces textes ? la notion de personnages et de situations, La qualité de la langue, le rythme, et le que le théâtre est devenu moins lisible. Il fait qu’on trouve à s'y repérer par rapport

58 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 LE THÉÂTRE HALETANT

Anaïs Allais

Dans Lubna Cadiot (x7) et Le Si - un personnage qui découvre pour la pre - que les gens reçoivent ce que j'ai à parta - lence des Chauves-Souris, Anaïs mière fois le visage de sa mère enfant sur ger de façon organique et pas de façon in - Allais embarque le spectateur une photo. La scène dure quatre se - tellectuelle. J’essaie de faire en sorte que dans des aventures mystérieuses condes, mais je l’étire sur des années. personne n'ait le temps, ni les comédiens et poétiques. Avez-vous toujours écrit ? ni les spectateurs, de prendre du recul J'ai toujours fait du théâtre et quand pendant ce moment qu'on partage. l'écriture est arrivée dans ma vie quelque Lubna Cadiot (x7) parle de la guerre d'Al - Comment expliquez-vous le côté hale - chose s'est rassemblé qui m'a fait dire que gérie, et Le Silence des Chauves Souris , des tant de vos pièces ? c'était comme ça que j'avais envie d'aller printemps arabes, mais ce n'est pas Il y a quelque chose qui se passe, qui ne à la rencontre des gens. nommé. peut pas être interrompu. Je pense que Votre style s’est-il imposé spontané - Vous montez vos propres textes. A quel cela vient du fait que dans les deux textes, ment ou l'avez-vous travaillé ? moment décidez-vous de la mise en je brouille toujours les pistes entre passé, Il est venu de lectures, de Duras beau - scène ? présent et futur, il n'y a aucune chronolo - coup. Dans La pluie d'été , on sent sa res - Les deux pièces ont été construites de gie ; je mets un peu tous les temps et tous piration d'auteur, les moments où c'est en façon très différente. J’ai écrit Lubda Ca - les lieux dans le même sac. Je pense tou - apnée, les moments d'essoufflement. diot , puis fait la mise en scène. Pour Le si - jours avant d’écrire à Marguerite Duras Wajdi Mouawad a aussi été très présent. lence , j'ai fait beaucoup d'allers retours qui dit dans La pluie d’été "ici c'est par - J'ai adhéré à son écriture avant même de entre l'écriture et le plateau. Et le plateau tout" . C’est au spectateur ou au lecteur de voir ses pièces. Il est beaucoup dans la a induit des choix de construction et de sé - décider. Et ça ne nuit pas à la narration. métaphore. C'est très concret. Je ne fais quençage. On apprend des personnages, de leur his - pas de pont entre Duras et Mouawad. Et inversement, le texte est suffisam - toire. Je pars souvent de très petites Mais dans leur écriture, il y a une commu - ment fort pour vous passer de décor fi - choses, d’errances intimes, pour rencon - nion de respiration, on a l'impression de guratif. trer mes personnages. J'essaie de faire des prendre une inspiration en même temps Ce sont les mots qui font office de décor. instantanés que je vais fouiller et cela qu’eux. C’est très organique. Et c’est ce Mais c'est pareil quand on lit un roman ; peut être infini. Par exemple on va avoir que je cherche à faire dans mes textes, le décor naît immédiatement dans notre Une inspiration commune entre le spectateur et le spectacle

imaginaire et il n'est jamais le même Le Silence d’une personne à l’autre. Vous travaillez sur une troisième pièce… des Chauves-Souris J'ai commencé un monologue pour l'an - née prochaine et entre temps je travaille pour d'autres metteurs en scène, parmi lesquels Wajdi Mouawad. Je l'ai rencon - tré au cours d’un stage d'écriture et il m'a beaucoup aidé sur la création du Silence des Chauves-Souris . Il m’a proposé de tra - vailler sur une expérience immersive avec sa compagnie pour parcourir ses 20 n Lubna Cadiot (x7) et Le Silence des Chauves - ans d'écriture. Souris d’Anaïs Allais seront publiés en mai 2016 chez Actes Sud-Papiers

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 59 F estival dossier réalisé par Hélène Chevrier t a i

Dorian Lechaux l l u o

R Julien et Emilie Sillau _ c

et Ronan Duée i r r d ́ d e La position fragile du couple C @ L’un pour l’autre _ © Issus de l’Ecole Nationale de Cirque de Mont - Couple à la ville et sur la piste, Julien et Emilie réal, Dorian Lechaux et Ronan Duée forment Sillau ont créé le duo Sillau dont la discipline un duo sur monocycle. Dans Le parasite , nu - est le mât chinois. Le numéro qu’ils présen - méro inspiré du film Le bruit des glaçons , le tent au festival s’inspire de leur couple… premier tente de faire tomber le second. Le Parasite montre un homme en monocycle harcelé phy - Vous êtes un couple et sur scène, vous créez un duo d’acro - siquement par un autre homme. bates. Travailler ensemble était-il évident pour vous ? Dorian : On a toujours travaillé dans un rapport à la violence Émilie : Julien fait de la roue allemande et moi de la corde physique assez prononcé. Pour Le parasit e, on s’est beaucoup lisse. On s'est retrouvé à travailler avec la même compagnie inspiré du Bruit des glaçons de Bertrand Blier, qui raconte la des Sept doigts de la main . Et l'idée de travailler ensemble a relation d’un homme avec son cancer. On a réinjecté cette germé à ce moment là mais ne s’est concrétisée qu’il y a deux notion dans notre travail et cela a donné naissance à ces ans, quand on nous a proposé de faire du mât chinois pour deux personnages qui se rencontrent. On projette d’ailleurs un show à New-York. On a trouvé l’expérience intéressante d’en faire une forme longue. et on s’est lancé. Et puis c'est vrai qu’être en couple est plus Comment avez-vous développé l’histoire ? pratique pour se vendre. Dorian : Pour le réglage technique du numéro, on a beau - Le mât chinois a-t-il un rapport avec vos disciplines de coup emprunté au catch américain et mexicain. Concernant corde lisse et de roue allemande ? les caractères des personnages et leurs relations, on s’est ré - Émilie : Pour Julien, pas du tout. Moi, en revanche, j’ai re - féré à notre duo et aux relations qu’on peut avoir avec les trouvé des similitudes entre la corde et le mât chinois. Ce gens qu’on aime. Le duo entre un voltigeur (le parasite) et sont les mêmes muscles qui travaillent, il a fallu seulement un porteur (le monocycle) implique une certaine douleur. Il apprendre à bouger différemment. En plus on a choisi de faut donc être en confiance. faire du main à main sur le mât. Julien me porte tout le Avez-vous repris sur scène l’idée du cancer parasite déve - temps, ce qui n'a pas été facile parce que je fais quasiment loppée dans le film ? la même taille et le même poids que lui. Dorian : On l’a très vite évacuée. On s’est focalisé sur le rap - Que raconte ce numéro que vous présentez au festival ? port entre la réalité et la fiction. Qu'est-ce qui est réellement Julien : On a réadapté un numéro de mât chinois très visuel : fait par les artistes et par les personnages ? Dans la forme un couple suspendu en l'air qui se cherche, essaie de trouver courte, on assiste à la rencontre des deux individus et à leur quelque chose dans cette apesanteur et est toujours à un prise de conscience de l'existence de l'autre ; dans la version doigt de la chute. On insiste davantage sur l’idée du couple longue, on pourra aborder la nécessité qu’ils ont l’un de l'au - et de sa situation fragile. tre. Ronan : Le parasite a les cartes en main et il a conscience, Ronan : Oui à force d’être poussé dans ses retranchements, contrairement à l’autre, de l'aspect spectacle du numéro. il sort de sa posture de légume, s’énerve, est violent. Il ac - Votre personnage réalise-t-il que le parasite peut lui être cepte enfin cet aspect de lui-même qu’il avait toujours refusé utile ? jusque-là.

60 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 Festival Mondial du Cirque de Demain 37e édition au Cirque Phénix Pelouse de Reuilly 75012 Paris, 01 40 55 50 56 www.cirquededemain.paris, du 28 au 31 janvier 2016 n i t t o u q r Quentin Claude c u a J o f _ u e t D y l

et Gaël Manipoud Younes Essafy _ o e c p i l p i A H Douceur et équilibre Sangles et liberté _ _ © © Quentin Claude et Gaël Manipoud présentent Younes Essafy est marocain. Il s’est formé à un duo de fildeféristes. Leur numéro repose sur l’Ecole Nationale de Cirque Shams'y et maî - la participation d’un troisième partenaire, une trise aujourd’hui une discipline aussi aty - imposante structure de 9 mètres de long, équi - pique que poétique : celle des sangles pée d’un balancier sur lequel sont attachés aériennes qui lui permettent de regarder vers deux fils de fer parallèles. Leur rotation permet les étoiles. aux acrobates de se balancer en équilibre.

A l’origine de cette structure, qui fait penser à un trapèze Dans le numéro qu’il présente, Younes Essafy est suspendu géant, il y a Quentin Claude. "Quand j'étais à l'école, je fai - au-dessus du sol, dans une posture un peu désarticulée. sais du fil normal mais il me manquait du vocabulaire. La Avec son attitude abandonnée, il ressemble à un pantin. perspective d’être sur le fil avec une ligne droite devant moi Mais ça ne dure pas : par la force de ses bras, il parvient à me déplaisait. Et l'autre problème, c’est qu'on ne peut jouer s’arracher à l’apesanteur qui l’abat et à tournoyer dans l’air que dans des endroits où il y a des accroches au sol. J’ai comme un oiseau. "Ça parle du désir. On a un jeune homme d’abord fait des essais avec un fil à 8 cm du sol qui bougeait. fixé par des sangles, qui n'arrive pas à bouger ni à parler avec Mais ça demandait trop de manutention ". Il trouve alors les autres. Il cherche à sortir de cet état-là, de ce qu'il vit et l’idée d'une structure complètement autonome qu’il peut petit à petit il arrive à faire bouger les choses et à voir un peu emmener avec lui et poser partout sur des places, dans des de lumière. C’est parce qu’il relève la tête qu’il voit ce qui se cours d'école, dans des musées… "On n'a pas besoin de faire passe autour de lui. Encouragé, il essaye de se déplacer pour de trou dans le sol" . Le projet met trois ans à se réaliser, mais sortir de l’état dans lequel il vit" . Et Younes se retrouve sus - il ne déçoit pas son inventeur : ça lie la manipulation d'ob - pendu à l’envers, la tête près du sol et les pieds au-dessus jets, la voltige aérienne, l'équilibre et l'acrobatie. du cosmos. "Quand on met la tête proche de la Terre, on Les deux hommes accrochés chacun à leur fil tournent éprouve les mêmes sentiments que quand on est dans le ciel. comme s’ils étaient sur une grande roue. Pour Quentin, ce Mais on est juste à l’envers ! " Le cirque permet à cet artiste mouvement traduit quelque chose de la façon dont ils ap - de partager son ressenti de la vie qu’il transpose sur un agrès préhendent le monde. "On a choisi par exemple de travailler difficile auquel il mêle un fantastique émerveillement ins - dans la douceur, afin d'éviter toute cassure ou blessure. Ça piré de son pays. Dans ses ébats vers la liberté, Younes Es - donne une tonalité sur la manière dont on peut agir dans le safy s’enveloppe dans un nuage de poudre qui dessine monde. Face à la brutalité omniprésente autour de nous et au-dessus du sol une magnifique nébuleuse… dans les médias, on pense que c’est important de véhiculer de la douceur et de l'amour. En tant qu’artiste, on doit se si - Quentin a choisi le cirque après avoir travaillé la danse et la tuer dans le monde dans lequel on vit" . Acrobatiquement, musique contemporaines. "C’est le seul média qui permette avec cet agrès, l'arbre du possible se démultiplie au fur et à de mener plusieurs réflexions corporelle, philosophique, scé - mesure qu'ils avancent dans le travail. "Plus on le maîtrise, nographique et musicale" . plus il nous offre de possibilités" .

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 61 estival dossier réalisé par Hélène Chevrier et Enric Dausset

F cles mais en accompagnement du corps Marie-Lise et pas en remplacement. Philippe Fayet Bloesch qui est un spécialiste des nou - La place du corps face aux technologies velles technologies au théâtre va aussi donner une conférence sur le sujet. Après avoir vu System failure et e-ge - Victor-Hugo mettant l’accent sur les arts Allez-vous en faire un festival autour neration , la directrice du théâtre Vic - du geste, c’était légitime de se poser la des nouvelles technologies ? tor-Hugo de Bagneux a décidé de question de l’avenir du corps des artistes Sans doute qu’on fera des temps forts programmer plusieurs pièces et films face au développement des nouvelles pendant quelques saisons. Mais pas for - autour de la thématique du transhu - technologies dans le spectacle vivant. cément de festival récurrent. Je préfère manisme. Pensez-vous que les arts du geste accompagner la recherche d’artistes comme la pantomime n'auront plus de comme Jean-Christophe Dollé sur ce Le transhumanisme, c’est une question raison d’être ? sujet. On sera d’ailleurs coproducteur de qui vous préoccupe ? Clairement, c’est la place de l'être hu - sa prochaine création à Epinay. En tout cas qui m'interroge beaucoup. main sur le plateau qui est en jeu. Le tra - C'est un sujet dont les artistes sont en vail de la compagnie Systeme Castafiore n Festival virtuel.hom[e] train de s'emparer. J'avais vu System fai - (qui n’est pas programmé dans Sur le transhumanisme lure et e-generation et je m'étais dit que Virtuel.hom, ndlr) est au cœur de cette Théâtre Victor-Hugo, 14 avenue Victor c'était intéressant de rassembler des problématique puisqu’elle utilise les Hugo 92220 Bagneux, 01 46 63 96 66 , re - textes sur le même thème. Le théâtre nouvelles technologies dans ses specta - [email protected], 10 au 31/01

La compagnie Mandoble c’est celle de consommer et de jeter. pourrait se traduire par Vous ne parlez pas des aspects positifs “homme double“ ? du transhumanisme? Ce nom fait référence à notre Non, nous avons créé un monde dans lequel gémellité, mais cela corres - cela pose problème. Nous voulions que le pond effectivement au thème spectateur réfléchisse sur ces avancées tech - que nous abordons dans cette nologiques et leur impact, qu’il se pose la production où il est beaucoup question du libre-arbitre, de l’uniformatisa - question de clonage tion, du contrôle de nos libertés, de la domina - Comment vous est venu cet tion par la machine... Mais avec de l’humour ! Miguel Cordoba intérêt pour le transhuma - Qu’arrive-t-il donc à votre personnage ? r d

Transhumanisme magique @ nisme ? Le personnage possède une bicyclette sta - Nous avons toujours été fan tique qui produit de l’électricité, ce qui lui La compagnie Doble Mandoble de science-fiction et l’an dernier nous avons donne de l’argent pour acheter des choses : il créée par les frères jumeaux Cor - assisté à Paris à un colloque international s’achète une main bionique, des pièces de re - sur le transhumanisme. C’était passion - change, et il utilise un clone pour l’aider dans doba a été récompensée de nant, beaucoup de changements sont déjà ses différentes taches domestiques. Puis de nombreuses fois par des prix de à l’œuvre ; ce n’est plus de la science-fiction, temps à autre, il le jette dans un tube pour en magie. Leur tout nouveau spec - il faut d’ores et déjà réfléchir à l’impact que changer, cela devient presque une routine, tacle, Full HD , aborde le thème cela va avoir sur nos sociétés. jusqu’au moment où le clone va se rebeller… du transhumanisme. Les frères Comment avez vous mis en scène ce thème ? Est-ce un spectacle sans paroles comme Cordoba veulent nous faire réflé - Nous avons créé une société imaginaire vos précédentes créations ? transformée par le transhumanisme, une Oui, ce qui nous intéresse c’est le théâtre chir sur cette tendance émer - société qui se désintéresse de ce qui fait de physique, il y a aussi bien sûr de la magie, gente qui n’est peut être pas de nous des humains, tout y est très froid, il n’y de la manipulation d’objet, du cirque… la magie… a pas d’altruisme, la seule activité qui vaille n Full HD, 10 et 11/01

62 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 Festival virtuel.hom[e] sur le transhumanisme Théâtre Victor-Hugo à Bagneux du 10 au 31 janvier 2016

e Louise Baduel m m e i P

et Leslie Mannès Jean-Christophe Dollé e c i l r A

d Au service du présent

Les acteurs en pleine virtualité @ @ Jean-Christophe Dollé présente deux specta - Le premier spectacle de la compagnie belge cles au théâtre Victor-Hugo, e-generation et System failure propose d’emmener les spec - Acteur 2.0 , préambules à un projet sur le tateurs dans ce que sera le théâtre de demain. théâtre et le virtuel qui verra le jour en juin. Et dans un monde où le virtuel est obsédé par la satisfaction de ses ouailles, la pièce de théâ - Vous avez monté e-generation avec des anciens élèves de l’école tre idéale devra deviner les attentes des spec - les Enfants Terribles. Un projet inspiré de leur génération… tateurs pour qu’ils ressortent heureux… Oui parce qu’ils sont nés dans un monde virtuel et ils ne peuvent pas imaginer ce que c’est que d’avoir vécu sans. Ils ne se rendent fantasme des geeks : quatre spécialistes ont développé un sys - pas compte que petit à petit ils se laissent dépasser par la ma - tème permettant de détecter les désirs des spectateurs. Les chine et l'intelligence artificielle. Donc, on est parti sur des im - sièges sont équipés de capteurs récoltant des données sur le pro - provisations sur la non-rencontre, c’est à dire la rencontre sur gramme. Evidemment, tout est faux. Un tel système n’existe pas Internet, la conversation qui passe par le texto, ou le fait que le encore mais la pièce System failure plonge le spectateur dans un GPS peut prendre la direction de votre existence. Sur scène, ils scénario digne d’un film de science-fiction. "Connaître ce que le forment un chœur de comédiens qui interagissent dans un spectateur ressent en temps réel pour adapter le spectacle, c'est même souffle sans forcément se regarder. une idée qui fait rêver, reconnaît Louise. C'est beaucoup inspiré Vous sentez-vous en décalage avec cette génération ? de films de science-fiction, récents et plus anciens comme Planète Pas totalement. En 10 ou 15 ans, le monde a complètement rouge en colère, Voyage vers la septième planète ou la série Au- changé. Mais le théâtre subsiste sans toute cette virtualité : pour delà du réel . On a découvert de nombreux parallèles entre le théâ - créer du jeu, il suffit de deux comédiens et d’une histoire. tre et les vieux films de science-fiction notamment le côté un peu Acteur 2.0 parle justement du rapport de l’acteur à la tech - bricolé. Et il y a souvent un rapport à l'inconnu et à la peur de l'au - nologie… tre qui correspond bien au rapport toujours compliqué entre l’ac - Dans ce module de 30 minutes, un acteur est remplacé par son teur et le spectateur" . Pour Leslie, cela parle aussi de ce besoin de double virtuel. Il vient pour jouer et tout à coup il se rend compte satisfaction du désir en temps réel propre à notre époque. "Ce qu’il apparaît dans un écran et il entame une joute avec ce dou - n'est pas du tout la même situation que dans notre nouveau spec - ble. Acteur 2.0 sera la première création d’une résidence que tacle qui propose une simulation du futur : dans Human decision , j’entame avec ma compagnie (Fouic Théâtre) à Épinay-sur-Seine nous incarnons des avatars du public qui vit le spectacle à travers et qui doit aboutir en juin à la création de la pièce Timelime dans nous" . Ce goût pour la technologie et la représentation techni - laquelle on va confronter la virtualité au côté artisanal du théâ - quement parfaite provient peut-être de leurs anciennes vies : tre. L’acteur est concerné mais le spectateur aussi. Aller au théâ - Louise et Leslie sont deux transfuges de la danse contemporaine. tre, ça implique d’accepter de ne regarder qu’une seule image à Même les voix et les bruitages de leurs pièces sont sous contrôle la fois et d’être prisonnier du temps, et on est plus habitué à ça. puisque tout est joué en playback. "Dans la vie, la perspective Les gens ont besoin d’une certaine densité d'occupation. d’être complètement assisté est super, s’enthousiasme Leslie . Mais n e-generation du 21 au 24/01, Acteur 2.0 le 23/01 quand on en parle sur scène, c’est plutôt flippant ! " L’histoire imaginée par Leslie Mannès et Louise Baduel relève du

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 63 Emergence dossier réalisé par Hélène Chevrier Jeunes comédiens en région centre Le Nouvel Olympia de Tours fête les dix ans de son dispositif d’insertion professionnelle. Le jeune Théâtre en Région Centre permet à des jeunes comédiens et techniciens fraîchement diplômés de travailler au sein des créations du théâtre pendant un an, renouvelable un an. Cette saison, on les a retrouvés aux côtés d’acteurs confirmés dans Yvonne Princesse de Bourgogne , mise en scène par Jacques Vincey et dans deux projets 100% JTRC, Vénus et Adonis mis en scène par Vanasay Khamphommala et à partir de février, La Dispute de Mari - vaux mise en scène par Jacques Vincey. Certains viennent d’être recrutés, d’autres ont ter - miné leur contrat, mais tous se retrouveront en avril pour mettre en place un nouveau festival consacré à l’émergence, le WET. Voici leurs portraits.

n La Dispute, de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey, avec 6 jeunes acteurs Nouvel Olympia, du 2/02 au 3/06 n WET, festival dédié à la jeune création émergente, Nouvel Olympia, du 1er au 3/04 Nouvel Olympia, 7 rue de Lucé 37000 Tours, 02 47 64 50 50, cdrtours.fr

C’est sans doute sa mère comédienne qui qu’a adopté Jacques Vincey pour La Dis - Clément Bertonneau a donné à Clément Bertonneau le virus du pute . Qu’importe le rôle, ce qui compte théâtre. Petit, il assiste aux répétitions, c’est l’expérience. "On joue face à notre Artiste depuis toujours aime cette ambiance, cette odeur recon - propre image puisque le décor est fait de naissable entre toutes de la salle, des fau - glaces sans tain. Les spectateurs seront en teuils, des maquillages. Voyant qu’il y situation de voyeurs dans des petits com - prend goût, sa mère l’inscrit dans l’atelier partiments" . Et si la pièce parle des pre - théâtre d’un centre culturel. Clément mières amours, pour lui cela rappelle comprend assez vite qu’il veut en faire son aussi la télé-réalité face à laquelle il a métier et suit des cours dans des conser - grandi. vatoires municipaux avant d’intégrer Ce fan de sports collectifs fait aussi partie l’Ecole Supérieure d’Art dramatique de la compagnie Future Noire créée par (l’ESAD) aujourd’hui dirigée par Serge Jules Audry dont la première création Tranvouez. C’est là que Jacques Vincey le était Looking for Hamle t. Et quand on lui recrute pour jouer le meilleur ami du demande quel metteur en scène qu’il ad - prince dans Yvonne Princesse de Bour - mire, il n’hésite pas : Joël Pommerat. gogne. "Mais c'est vraiment dans Vénus et Adonis qu’on s’est rapproché avec les au - tres membres du JTRC et trouvé théâtrale - ment" . Le procédé mis en place par Vanasay Khamphommala, qui consiste à faire jouer les comédiens tous les person - nages avant de décider de la distribution lui a plu. "On a travaillé d’abord sans texte, par improvisation" . C’est le même principe

64 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 No7 uruev dee Lulc éO 37l0y00m Tourps ia 02 47 64 50 50, cdrtours.fr

Delphine Meilland Le lieu des échanges

Delphine Meilland a intégré le Jeune Théâtre en Région Centre à la sortie du Miglé Bereikaité Conservatoire de Tours. "C’est très confor - Jeanne Bonenfant table, on travaille tout le temps, on a un Créer absolument très bon salaire. J’ai des amis pour qui c'est Vivre une expérience plus compliqué. C’est un métier difficile et encore plus quand on n’a pas fait d'école Miglé Bereikaité a fait du chemin avant de nationale. J’ai choisi d’entrer au JTRC Jeanne Bonenfant vient d’intégrer en même poser ses valises à Tours. Originaire de Litua - parce que j’avais besoin qu’on me mette le temps que Théophile et Quentin l’équipe du nie où elle a étudié l’Histoire et la philoso - pied à l’étrier. Et c’est précisément le but JTRC. Elève à l’école du Nord, elle avait déjà phie à l’Académie des Beaux-Arts de Vilnius, du dispositif, de nous permettre de créer travaillé avec Jacques Vincey et Vanasay elle vient compléter sa formation à Paris à la un réseau, de nous exprimer artistique - Khamphommala à l’occasion d’un stage de Sorbonne. "Mais dans mon corps quelque ment et de gagner en expérience et en vi - cinq semaines sur 13 objets d’Howard Bar - chose ne vivait pas assez et mon entourage a sibilité" . En dehors des créations du ker. "Cela avait très bien accroché aussi bien beaucoup souffert de ça (rires) ". Le théâtre théâtre comme Yvonne Princesse de Bour - dans le travail qu'humainement. Quand il est est une révélation. Outre le plaisir de jouer, gogne ou La Dispute , les jeunes recrues du revenu en troisième année nous parler du il lui permet de toucher à tous les métiers. JTRC apprennent ce que c’est que l’action Jeune Théâtre en Région Centre et de La Dis - "C’est très concret. Je suis passée par beau - culturelle en multipliant les interventions pute qu'il projetait de monter, j’ai tout de coup d'écoles, surtout à Paris avant d’intégrer en milieu scolaire, les inaugurations de suite été très intéressée. J’ai été présélection - le conservatoire régional de Tours". Elle y lieux culturels, les lectures, et parfois aussi née puis retenue au cours des auditions". L’in - reste un an le temps que Vanasay Kham - les tournages. sertion dans la vie professionnelle que phommala, le dramaturge du théâtre, la re - "Je crois au pouvoir du théâtre de ques - permet le dispositif compte dans son choix père lors des examens de fin d’année. "J’ai tionner et de faire avancer la pensée, parce mais c’est surtout l’homme qui porte le projet travaillé dur pour en arriver là, mais ça ne suf - qu’il permet de faire se rencontrer des gens qui l’a emballée. fit pas. Dans ce métier, beaucoup de choses et des points de vue. A la sortie des spec - "Marivaux nous parle de l'enfance, des pre - ne dépendent pas de nous. Je ne veux pas me tacles, les gens parlent entre eux alors miers émois amoureux et des rapports entre rendre malade pour ça. Il y a de multiples pos - même qu’ils ne se connaissent pas, et ils les femmes et les hommes. C’est une pièce sibilités de créations". Miglé a un peu l’âme parlent de choses auxquelles ils n'avaient beaucoup basée sur l'instinct, la découverte solitaire. "Intégrer un collectif pourquoi pas, pas du tout pensé le matin" . A propos de de la première fois. La jouer va nous permettre à condition de partager des liens d’amitié très La Dispute et de la façon dont Jacques de prendre du recul sur des sentiments qu’on fort avec les autres et un vrai projet artistique. Vincey va la mettre en scène, elle aime - a éprouvés il n’y a pas si longtemps. C’est pour Si on est soi-même metteur en scène et qu'on rait que ça ravive chez les spectateurs le ça que je fais du théâtre, pour vivre une expé - a sa propre compagnie compagnie, c'est plus souvenir de leurs premières expériences rience et m’interroger sans que ce soit mani - confortable" . amoureuses. chéen".

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 65 Emergence dossier réalisé par Hélène Chevrier

Quentin Bardou Le plaisir de jouer Théophile Dubus Jeu et pédagogie

Quentin Bardou vient de rejoindre Théophile Dubus a commencé le théâtre l’équipe du JTRC. Recruté pour La Dispute à Orléans au Conservatoire dirigé par de Marivaux, il a rencontré ses camarades Christophe Maltot. Il y découvre le plaisir le 1er jour des répétitions le 4 décembre des textes. Puis il poursuit sa formation à dernier. Pour lui, il n’y a jamais eu de l’ENSATT de Lyon. C’est là qu’il rencontre doute ; il a toujours su qu’il ferait du théâ - Jacques Vincey venu recruter des jeunes tre. "J'avais sept ans quand j'ai dit à ma comédiens pour La Dispute . Sa manière mère que je voulais en faire mais je ne sais d’envisager le théâtre lui plaît. L’esthé - pas pourquoi parce que je ne connaissais tique du metteur en scène dont il a vu la pas de comédiens avant et j'étais jamais mise en scène de Und de Barker avec Na - allé voir de spectacles. Je prends énormé - talie Dessay coïncide avec ce qu’il aime ment de plaisir à faire ce métier et je ne dans le théâtre contemporain. La dimen - sais pas si je pourrais en prendre autant à sion pédagogique qui accompagne le jeu faire autre chose" . Après des débuts en aussi. "On va jouer dans toutes sortes de amateur pendant sa scolarité, il entre à lieux et prendre le temps après les repré - l’ENSATT. C’est là qu’il rencontre Jacques sentations d’en parler avec les spectateurs. Vincey et Vanasay Khamphommala Et puis, c’est un vrai luxe aujourd’hui de venus présenter leur dispositif. "Ils cher - travailler avec un théâtre juste à la sortie chaient deux garçons et une fille" . Quentin de l’école et d’avoir un salaire” . Nouveau n’hésite pas. "Vu l'état des finances de la venu dans le groupe qu’il a rejoint depuis culture aujourd’hui, c'était intéressant de le 4 décembre, il est logé à la même en - rejoindre un théâtre qui nvous donne du seigne que ses compagnons : il ne sait pas travail. Pour des jeunes gens, cela compte". plus quel rôle il jouera dans la pièce, ni y

r Et puis le projet de mise en scène de même s’il jouera un homme ou une t e P

Jacques Vincey qui transpose La Dispute femme. Du moment que le spectacle offre e i r de Marivaux dans ce qui rappelle la télé à ses acteurs une possibilité de transcen - a

M réalité lui plaît. "Les personnages sont ob - dance comme avec ses metteurs en scène @

o servés comme des rats de laboratoire et à favoris, Warlikowski, Françon ou Nauzy - t o

h la différence de la télé réalité, ils ne savent ciel, Théophile est comblé. p

t i pas qu’ils font l’objet d’une expérience". d é r c

66 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 No7 uruev dee Lulc éO 37l0y00m Tourps ia 02 47 64 50 50, cdrtours.fr

Paul Berthomé Et la technique… Blaise Pettebone Nelly Pulicani La nécessité de dire L’artiste hyperactive Le Jeune Théâtre en Région Centre ac - cueille des comédiens mais aussi des ré - gisseurs. Pour La Dispute de Marivaux, Blaise est arrivé à Tours pendant la dernière Après des études de danse, Nelly Pulicani Jacques Vincey s’est entouré de six comé - saison de Gilles Bouillon à la tête du Nouvel s’est tournée vers le théâtre, qu’elle aborde diens et d’un technicien, Paul Berthomé. Olympia. Il a joué sous sa direction dans Dom d’abord dans des compagnies amateurs, "J’ai intégré le JTRC en septembre 2014 Juan puis a vu son contrat reconduit d’une puis au Consevatoire de Montpellier, a l’En - dans la section technique. Je suis spécialisé année à l’arrivée de Jacques Vincey qui l’a satt et à la Comédie-Française en tant en lumières. Mais dans le cadre du dispo - pris dans Yvonne Princesse de Bourgogne . On qu’élève-comédienne. C’est là qu’elle ren - sitif, on me demande d’être très polyvalent, le retrouve également dans Vénus et Ad onis contre Gilles Bouillon qui la recrute pour je fais de la régie plateau, du son. C’est très mais Blaise n’est pas dans La Dispute . Depuis jouer dans son Dom Juan . Après deux ans formateur. En sortant de l'école, je pensais décembre, il a terminé son contrat avec le de Jeune Théâtre en Région Centre, elle être apte à travailler mais une fois sur le JTRC. Pas de désoeuvrement pour autant, le vient d’en sortir en même temps que Blaise plateau, on réalise qu’on ne connaît pas jeune comédien fourmille de projets avec le Pettebone, un ancien élève comme elle du tout" . Après avoir travaillé dans les mu - collectif Colette, créé avec des amis ex- Français et membre du même collectif Co - siques actuelles et fait l’éclairage de élèves-comédiens de la Comédie-Française lette. "On vient de passer deux ans dans une concerts, il s’est tourné vers le théâtre. "Il et dont le nom fait justement référence à la institution, où on travaillait tous les jours, y a plus de possibilité d’être créatif. C’est place Colette. Actuellement sur la création on était payé tous les mois ; il faut arriver pourquoi j’ai postulé ici" . Sur La Dispute , il de Pauline à la plage , d’après le film de Roh - après à trouver son chemin" . Elle qui re - assiste le régisseur général. "On me de - mer auquel ils ont mêlé des considérations doute le désoeuvrement multiplie les pro - mande mon avis mais c’est le régisseur qui scientifiques, ils préparent déjà un nouveau jets. "Il y a le Pauline à la plage et la création prend les décisions". spectacle pour la saison 2016-2017, de Presque L’Italie avec le Collectif Colette. Il compte bien sur le JTRC pour le lancer Presque l’Italie , sur un texte de Ronan Ché - C'est un texte de Renan Chéneau qui parle dans le secteur. "J'aimerais créer les lu - neau qui sera créé au Théâtre de Vanves. de nous et de l'histoire d'une fleur, l’Epyfi - mières de spectacles et faire de la tournée "On est des passeurs d'histoires". Ce qui l’in - lium Oxupitalum, qui ne fleurit que trois pour acquérir de l'expérience au contact téresse ce sont les écritures particulières, la heures par an à un moment très précis" . des salles" . Il ne rêve pas de travailler avec nécessité de dire. "Le théâtre est un acte en - Elle aspire aussi à travailler avec d’autres ar - un metteur en scène en particulier. "Dans gagé" . Avant de décider de consacrer sa vie tistes et à apprendre tout ce qui touche à la le technique, ça fonctionne dans l’autre au théâtre, Blaise rêvait de faire de la poli - diffusion, à la programmation et à l'adminis - sens : si quelqu'un est intéressé par mon tique. Avec l’art, il a trouvé une façon créa - tration. travail, il fera appel à moi" . tive de s’engager.

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 67 r ix littéraires

P C’est la canadienne Grand Prix de Littérature Dramatique Suzanne Lebeau qui remporte le Prix de la Belle Sai - son pour son œuvre destinée à la jeu - Michel Vinaver nesse. L’auteure du Bruit des os qui craquent travaille depuis toujours Le Grand Prix de Littérature Dramatique organisé avec son compagnon, Gervais Gau - par le Centre national du théâtre vient de récompenser dreault, qui met en scène tous ses la dernière pièce du dramaturge Michel Vinaver. textes. Cette récompense le touche Bettencourt Boulevard revisite le scandale des aussi. largesses considérables et inconsidérées de la milliardaire Liliane Bettencourt au photographe François-Marie Banier. Vous mettez en scène le travail de Suzanne Lebeau, qui est également votre épouse. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire François-Marie Banier. Suzanne et moi avons fondé il y a 41 sur l'histoire de Liliane Bettencourt ? Vous parlez de la relation entre la mère ans la compagnie du Carrousel. Nous C’est le mélange fascinant entre diffé - et la fille. Elle est certes conflictuelle sommes des partenaires de création. rents pans de notre réalité : une his - mais il n'y a pas de haine entre elles. Mais nous ne sommes pas les seuls à toire familiale, une histoire liée à Oui les personnages ne sont pas épin - travailler en couple ; il y a quelques l'économie du pays avec l’entreprise glés, pas dénoncés. Ils sont saisis dans exemples célèbres en France. L’Oréal, une histoire politique et la jux - une réalité qui révèle toujours quelque Qu’est-ce que représente ce prix pour taposition de populations très diffé - chose d'émouvant, de naïf. Il y a comme Suzanne et vous ? rentes, du haut du gratin au peuple une sorte de jus qui les enrobe et les rend On a toujours eu une relation privilé - des domestiques. proches de nous malgré le fait qu'ils giée avec la France. En 1983, on était Vous avez travaillé à partir d’enregis - soient à bien des égards détestables. invité à la biennale du théâtre à Lyon, trements du majordome de Liliane Pourquoi avoir utilisé le verbatim des on est venu avec deux spectacles, Une Bettencourt faits à l’insu des prota - enregistrements ? lune entre deux maisons pour les tout- gonistes. Comment avez-vous eu Par respect de ce qui est le plus concret petits, qui était considérée comme une accès à ces enregistrements ? et le plus juste. J'ai toujours été attiré par curiosité et Les Petits Pouvoirs qui avait Les extraits que j’ai utilisés ont été ra - la chose elle-même plutôt que le com - eu un succès incroyable au Québec. Et diodiffusés, retranscrits et publiés par mentaire de la chose et intéressé par on a eu un succès délirant avec La lune Le Point et Médiapart. C'était ample - l'immédiateté dans l'écriture théâtrale. et on a fait un bide incroyable avec Les ment suffisant. Il faut que les choses surgissent et fusent Petits Pouvoirs . Vous avez assemblé les séquences dans l'instant. La pièce est composée Quelle est la particularité du théâtre entre elles au hasard. d'éléments complètement inventés et pour enfants ? J'ai laissé les morceaux trouver leur pro - d'autres qui sont tirés de la réalité brute. C’est du théâtre tout simplement mais pre voisinage de l’un à l’autre. Je préfère Qu’aimeriez-vous que le public ap - avec des contraintes très précises. On ne que les choses surviennent dans ma prenne sur cette famille ? peut pas par exemple leur imposer trois conscience plutôt que d'obéir à un plan. La pièce ne transmet pas un message, heures de spectacle. Ce qui est impor - Et y a-t-il des choses qui vous sont elle ouvre la curiosité pour comprendre tant, c'est d’obtenir une qualité d'écoute apparues ? le monde dans lequel nous vivons. Il y du jeune spectateur pour l’amener dans Il y a une histoire fabuleuse au coeur a cette épaisseur historique qui son intériorité et lui permettre de com - de l'affaire Bettencourt, c'est la rela - manque quand nous lisons la relation prendre, percevoir, ressentir et de se po - tion conflictuelle entre une mère et que font les médias de cette affaire. sitionner. Aujourd'hui, on est de plus en une fille. Cette relation d'incompatibi - Propos recueillis par HC plus bombardé d’images, de publicités lité devient incandescente dès lors que qui nous éloignent de notre intériorité. vient mettre le désordre dans le pay - n Bettencourt Boulevard ou une histoire Propos recueillis par HC sage un étranger à ce milieu, à savoir de France, aux Editions de l’Arche

68 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 Prix de la Belle Saison

Sylvain Levey

L’auteur de Ouasmok ?, Costa le Rouge, Cent cu - lottes et sans papiers ou encore de Folkestone vient de se voir décerner le Prix de la belle Saison ex-aequo avec Suzanne Lebeau .

Le prix de La Belle Saison, c'est une surprise ? Honnêtement oui. J’étais déjà très heureux de faire parti des cinq présélectionnés. Et je suis encore plus honoré de recevoir ce prix aux côtés de Suzanne Le - beau. Pour moi, c’est un peu comme un passage de témoin. Vous écrivez pour les jeunes mais vos histoires abordent des sujets graves. Qu’est-ce qui différen - cie vos textes pour la jeunesse de ceux destinés aux adultes ? Dans la recherche de la langue, de la dramaturgie, je ne me restreins pas au motif que j’écris pour la jeunesse. On peut parler de tout aux enfants mais il ne faut pas leur mentir, ni leur dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, ni que ça ne vaut pas le coup. Il faut leur donner envie et c’est pourquoi je laisse toujours une porte de sortie ou un souffle d'air. En matière de théâtre pour la jeunesse, on ne trouve pas de textes pour les ados. C’est vrai. Ils vont voir les spectacles pour les adultes en même temps que leurs parents. En ce moment j’écris une pièce pour eux, c’est l’histoire de cette jeune américaine, Breanna Mitchell, en visite à Aus - chwitz qui a posté sur son compte Twitter un selfie d’elle tout sourire devant l’ancien camp de concen - tration. Elle s'est faite insulter et a fini par passer à la télé. Quelle sera votre prochaine création ? Le texte Me taire qu’Olivier Letellier monte à Chaillot en février dans le cadre d’un triptyque sur l’engagement. Me taire constitue le dernier volet et les deux autres textes, Maintenant que je sais et Je ne veux plus sont écrits par d’autres auteurs. Propos recueillis par HC Portrait Céline Samie Jongler d’un rôle à l’autre Fille de l’illustre Catherine Samie, elle n’avait pas prévu de de - venir comédienne. Céline Samie fait pourtant partie de la troupe de la Comédie-Française depuis 25 ans. Et joue, en ce moment, l’une des femmes écrasées par leurs rustres de maris dans la pièce de Goldoni.

Que représente pour vous cette nou - femme et un visage de bébé ! On a velle mise en scène des Rustres par pensé à moi. Ce fut un accident heu - Jean-Louis Benoit ? reux. J’ai connu l’un des moments les Céline Samie : La pièce de Goldoni est plus difficiles de ma vie quand j’ai joué une vraie interrogation sur les rela - avec ma mère dans Mère Courage . Elle tions hommes-femmes, à travers ce ta - avait peur pour moi et en perdait son bleau mouvementé de bourgeois texte. Cela m’a appris l’écoute de l’au - vénitiens qui veulent dominer et cloî - tre à un degré que je ne possédais pas trer leurs épouses. J’y joue Marina, la encore. femme qui n’a plus de force face à son Quels rôles vous intéressent et qu’ai - mari, qui vit dans un carcan. Elle ne meriez-vous jouer plus tard ? peut plus parler, elle subit. Goldoni Je rêve de rencontrer des metteurs en traite sa comédie dans l’amour des scène et pas des rôles. Des gens êtres, alors même qu’il y met beaucoup comme Dario Fo, Anatoly Vassiliev, de méchanceté et qu’au bout du Alain Françon m’ont appris énormé - compte, ses personnages féminins ne ment. Et je ne suis qu’une actrice. Je ne valent guère mieux que ses person - pense pas à faire autre chose que de nages masculins. Jean-Louis Benoit est jouer. Je vis la vie. un metteur en scène de la joie, du so - Après Les Rustres , cependant, quels ́ e u

leil, du Sud. Avec lui et l’équipe, on rôles vous attendent ? o v a L

joue dans la gourmandise et l’énergie. Je continue à jouer Un fil à la patte et e n a h

Et l’on en sort heureux. Un chapeau de paille d’Italie, selon l’al - p ́ e t S

Fille de Catherine Samie, grande fi - ternance. J’aurai un petit rôle dans la © gure de la Comédie-Française, vous comédie d’Edward Bond, La Mère , que avez suivi le chemin de votre mère. Françon met en scène en mars. Bond Mais pas du tout ! Il ne me paraissait est un auteur dont j’ai une certaine n Les Rustres de Goldoni, mise en scène pas évident de faire ce métier, qui est peur ! Au Français, il n’y a pas de petits de Jean-Louis Benoit, avec Christian trop déifié. J’avais été recalée dans dif - et de grands rôles. C’est l’intérêt de Hecq, Bruno Raffelli, Gérard Giroudon, férents cours, je voulais être archéo - cette maison. On jongle entre les rôles Céline Samie. Vieux-Colombier, 21 rue logue mais je faisais un peu de théâtre et l’on voit comment navigue son ima - du Vieux-Colombier 75006 Paris, pour des raisons de mélancolie. Pour le ginaire. 01 44 39 87 00 et 01, jusqu’au 10/01 spectacle Molière de Dario Fo, Antoine Gilles Costaz Vitez cherchait sans la trouver une co - médienne qui aurait un corps de

70 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 F ocus Jean Robert -Charrier Un directeur passionné Jean Robert-Charrier est heureux. Le directeur de la Porte Saint-Martin s’est battu pour reprendre dans son théâtre le Cyrano mis en scène par Dominique Pitoiset avec Philippe Torreton. Un coup de maître alors même que le théâtre vient de changer de propriétaire, Jean-Claude Camus ayant vendu

ses trois salles (de la Porte Saint-Martin, du Petit Saint-Martin r d

et de la Madeleine) au financier Marc Ladreit de Lacharrière. @

Cette année 2015 a été difficile pour Ça me paraît indispensable. Les spec - Oui mais il y a eu une occasion qui s’est le théâtre et particulièrement pour tacles du subventionné ont une durée présentée de vendre les trois salles qui le théâtre privé à cause des atten - de vie trop courte pour être rentables. ne se représenterait pas forcément et tats. Est-ce que cela a changé votre Parmi eux les spectacles populaires on a eu affaire à des gens extrême - façon de programmer ? peuvent trouver une seconde vie dans ment à l'écoute. On leur a dit qu’on se Je crois qu’il faut plus que jamais s’inter - le privé. Alors qu’on parle beaucoup donnait encore quatre ans pour diriger dire de rester dans un genre. C’est ce d'union nationale, de fraternité, on est la Porte Saint-Martin et ça leur plaît. Ils qu’on essaye de faire à La Porte Saint- très heureux à la Porte Saint-Martin, comptent sur notre talent pour faire Martin et au Petit Saint-Martin. C'est dif - théâtre privé par excellence, de mon - tourner leurs théâtres. Quant à la Ma - ficile parce que ce n’est pas le moment trer qu'on a pu se mettre d'accord avec deleine, c'était très clair pour nous de prendre des risques financiers. Mais le TNBA et l'Odéon. Et si ça marche, on qu'on ne voulait plus s'en occuper justement dans le contexte actuel, on a va vraiment essayer de le répéter. Déjà parce que cela faisait trop. envie de présenter des spectacles exi - en 87, la Comédie-Française était en Où en êtes-vous de vos projets d’écri - geants. En février on reprend le Cyrano grève et est venue à la Porte Saint-Mar - ture ? mis en scène par Dominique Pitoiset qui tin monter Les femmes savantes mises L’année a été très compliquée. Je me a été créé en 2013 au Théâtre National en scène par Catherine Hiegel. Et 30 suis complètement noyé dans le travail ́ e

u de Bordeaux Aquitaine et repris l’année ans après, j'ai demandé à Catherine pour monter Le Roi Lear et Irma et j’ai o v a

L suivante à l’Odéon. Philippe Torreton y Hiegel de remonter la pièce. Ce sera voulu profiter du succès de Nelson , ma e n a fait une prouesse d'acteur démentielle pour septembre 2017 avec Agnès deuxième pièce, et suivre la tournée. h p ́ e t et la mise en scène est très audacieuse. Jaoui dans le rôle de la mère, Jean- Après un tel succès à Paris et en pro - S

© Et quand on a su qu’ Irma la Douce ne Pierre Bacri, Philippe Duquesne, Eve - vince, je ne vais pas revenir avec une tiendrait pas toute la saison, et a fortiori lyne Buyle, Julie-Marie Parmentier. Et nouvelle pièce sans être sûr qu'elle soit après les attentats du 13 novembre, on en janvier 2017 on remonte Un air de aboutie. Mais ce qui se passe dans le a préféré reprendre ce spectacle plutôt famille et Cuisine et dépendances avec monde, et autour de nous me donne que de monter une production à la va- une nouvelle distribution mise en scène encore plus envie d'écrire. vite. Et j’en suis vraiment très heureux par Agnès Jaoui. Propos recueillis par HC autant comme directeur de théâtre que Jean-Claude Camus vient de vendre comme spectateur. C’est le genre de ses théâtres. Mais vous restez direc - n Cyrano de Bergerac, avec Philippe spectacle qui vous procure des émotions teur de la Porte Saint-Martin et du Torreton, Théâtre de la Porte Saint-Mar - fortes. Petit Saint-Martin. Depuis quelques tin, 18 Bd Saint-Martin 75010 Paris, Ça permet aussi de faire des ponts années, les théâtres privés n’arrêtent 01 42 08 00 32, à partir du 2/02 entre le subventionné et le privé. pas de changer de mains…

Théâtral magazine Janvier - Février 2016 71 I n édit Théâtre National de Strasbourg Stanislas Nordey fait bouger les lignes

Il y a urgence. Selon le directeur du Théâtre Na - tional de Strasbourg, le théâtre public passe à côté de sa pre - mière vocation : s’adresser au plus grand nombre. C’est la

raison pour laquelle il a créé une deuxième programmation, t i o n e

l’Autre saison , en marge de sa programmation officielle et B R E D

entièrement gratuite. Coup de projecteur sur un laboratoire N I L social et politique. ©

Théâtral magazine : D’où est venue Nous avons donc décidé de réduire la chets raisonnables. l’envie de créer cette “autre saison” ? voilure à 16 évènements afin de déblo - La saison a débuté en septembre Stanislas Nordey : En 2013, alors que quer 80 000 euros, ce qui représente 2014, vous en tirez quel premier j’étais artiste associé au festival d’Avi - le prix moyen d’une création au TNS. Si bilan ? gnon, j’ai été témoin d’une expérience l’expérience est un succès, nous béné - La fréquentation est au beau fixe. Les inédite. Les directeurs du festival de ficierons peut-être de subventions pu - jauges sont presque toutes remplies. l’époque, Hortense Archambault et bliques l’année prochaine. Quant à la diversité du public présent, Vincent Baudriller, ont inventé un fes - 80 000 euros pour 40 évènements et indéniablement, il reste encore du tra - tival gratuit, parallèle à la programma - une centaine de représentations, vail à faire. Pour l’instant nous esti - tion officielle, avec des expositions, des c’est peu… mons à 20% les spectateurs qui n’ont rencontres et des parcours artistiques. En effet. Nous avons bâti cette pro - pas l’habitude de venir au TNS. L’an - C’était un pari risqué mais le succès a grammation de bric et de broc, en pri - née prochaine, nous espérons faire été immédiat. J’ai alors compris que la vilégiant les formes légères, en mieux en atteignant les 40%. Et l’an - gratuité était une façon efficace de profitant de la présence d’artistes née d’après, je rêve d’atteindre les faire revenir les gens à la culture. L’en - comme Denis Podalydès qui jouait 60%, voire 70%. Le travail de commu - jeu de cette deuxième saison est le déjà dans la programmation officielle, nication prend du temps. Il faut aller même que celui de leur projet : élargir en convoquant les élèves de l’école su - sur le terrain, faire parler de nous, la diversité d’un public autour d’une périeure dramatique de notre théâtre convaincre… Rome ne s’est pas faite programmation éclectique et ambi - avec leur projets, en organisant des en un jour. tieuse. rencontres avec des intellectuels et des De quelle façon la crise économique Comment avez-vous réussi à monter philosophes… Nous faisons aussi venir a-t-elle touché votre établissement ? ce projet financièrement ? des artistes populaires comme Domi - La crise n’a pas affecté la fréquenta - Cette année, au TNS, nous avions la nique Blanc. Et tous les participants tion générale du théâtre. Et c’est peut possibilité de donner 17 spectacles. ont fait un effort en demandant des ca - être justement l’indicateur le plus in -

72 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 quiétant de la faible diversité des qualité, tout en se montrant bon pé - faut aller plus loin et partir à la re - spectateurs du théâtre public. Si dagogue, évidemment. Michel On - cherche de nouveaux publics, et notre théâtre était véritablement fray avec son Université Populaire plus particulièrement, réussir à re - démocratique, l’effet de la crise au - de Caen y est parvenu. Et comme je nouer avec ceux qui se trouvent rait été retentissant. Ce qui prouve vous le disais, le premier levier est dans les zones périurbaines. Toutes bien que nos habitués sont particu - économique. D’où la gratuité de les études qui ont été faites sur les lièrement privilégiés. C’est regretta - L’Autre Saison . Par ailleurs, notre électeurs du FN montrent que ce ble. ambition ne consiste pas encore à sont des individus qui ne vont jamais Au-delà de l’économique, le théâ - réussir à faire venir le banlieusard au théâtre, jamais au concert, ja - tre public ne peine-t-il pas à rajeu - du fond de sa cité ; chaque chose en mais au musée. Paradoxalement, nir son public ? La crise n’est-elle son temps. Nous nous adressons nous sommes victimes de notre pro - pas aussi culturelle ? d’abord à ceux que j’appelle les pre succès. Comme nos théâtres Oui et non. Les spectacles de Wajdi “nouveaux pauvres”, ceux qui pour - sont pleins, nous avons oublié que Mouawad sont encore très popu - raient avoir envie de venir mais n’y nous avions une mission de service laires auprès des jeunes. Une nou - parviennent pas pour des raisons fi - public. Le chantier est immense. velle génération d’artistes, à l’instar nancières. Une fois que nous y se - Propos recueillis par de Vincent Macaigne, Thomas Jolly, rons arrivés, nous irons chercher les Igor Hansen-Love Julien Gosselin ou Les Chiens de Na - autres. varre réinventent le théâtre contem - Est-ce que la responsabilité d’un porain en proposant des pièces directeur de théâtre a changé de - populaires, généreuses et déca - puis l’avènement massif du Front pantes. Mais vous avez raison, on ne National ? peut le nier, nous faisons face, par - Non. Notre responsabilité n’a pas n L’Autre Saison, tout en France, à une difficulté de changé depuis 30 ans. Dans un pre - Théâtre National de Strasbourg, renouvellement du public. Si les mier temps, il a fallu décentraliser 1 Avenue de la Marseillaise, jeunes se détournent du spectacle l’offre culturelle pour l’apporter dans 03 88 24 88 00, jusqu’au 30/06 vivant, j’en suis convaincu, c’est des villes de province. Nous y www.tns.fr/autre-saison parce que leurs professeurs de col - sommes parvenus. Maintenant, il lège et lycée ont tendance à les em - mener voir des pièces classiques qui collent à leur programme scolaire. Ils s’y ennuient et en sortent souvent dégoûtés. Pour les faire revenir au théâtre, il faut privilégier l’écriture contemporaine. Tout est une ques - tion de répertoire. Silence et disparition de soi dans le théâtre de Samuel Beckett, La place des femmes dans le théâtre ... Tout de même, on trouve dans votre programmation des confé - rences très pointues… L’exigence artistique et intellec - tuelle n’est pas un frein à la démo -

cratisation culturelle. Présenter des z e d n

choses dites faciles, c’est déconsidé - a n r e rer son public. L’enjeu est plutôt de F L J donner un accès à une culture de ©

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Bigre Tartuffe Lucrèce Borgia

[ Fichtre alors !! ] [ Nouvelle distribution ] [ Doublement travestie ] de et avec Pierre Guillois, coécriture et interpré - de Molière, mise en scène de Luc Bondy, avec de Victor Hugo, mise en scène Denis Podaly - tation Agathe L’Huillier et Olivier Martin-Salvan Micha Lescot, Audrey Fleurot... dès, avec Guillaume Gallienne… Rond-Point, 2bis av Franklin D. Roosevelt Odéon, Ateliers Berthier, 1 rue André Suares Comédie-Française, place Colette, 75001 75008 Paris, 01 44 95 98 21, jusqu’au 17/01 75017 Paris (angle du bd Berthier), 01 44 Paris, 0825 10 16 80, du 22/01 au 30/04 Voilà un spectacle à nul autre pareil. Sur - 85 40 40, du 28/01 au 25/03 Voilà un(e) Lucrèce Borgia fort attendu(e) : prenant, décoiffant, original. Un spectacle Drôle de destin que celui de cette pièce. Luc Guillaume Gallienne dans le rôle de la reine sans parole, tout en bruitage, musique, ef - Bondy l’avait montée en 2014 pour rempla - incestueuse et empoisonneuse, une idée fets visuels et sonores, grimaces, onoma - cer le Shakespeare que devait monter Pa - bien dans l’air du temps avec cette Lucrèce topées, le tout pour raconter l’histoire de trice Chéreau décédé quelques mois plus pour tous ! Et pour parachever l’angle trois personnages habitant trois chambres tôt. Cette année, Luc Bondy épuisé par la choisi, Gennaro, son fils caché dont elle veut de bonnes contiguës : un geek maniaque maladie avait décidé de reprendre Tartuffe se faire aimer, est incarné par la comé - voisine avec un bricolo foutraque et une plutôt que de créer comme prévu Othello dienne Suliane Brahim. Ce double travestis - coquette rose bonbon. De rencontres en avec Philippe Torreton. Malheureusement sement, même s’il reste dans la tradition du catastrophes, les 3 voisins vont apprendre il n’en aura pas eu le temps, puisqu’il nous théâtre, est un pari osé qui nous permet à se connaître, s’aimer, se détester, pour fi - a quittés le 28 novembre dernier. La pièce d’entendre la pièce dans toute sa cruauté et nalement être “ensemble, c’est tout”. sera quand même donnée à l’Odéon dans horreur. Dans cette configuration, le dégui - Pierre Guillois et ses acolytes réussissent le une distribution en partie modifiée autour sement amoindrit la connotation sexuelle tour de force extraordinaire de nous em - de Micha Lescot/Tartuffe grâce à Marie- du rôle et la possible identification avec l’ac - barquer dans leur univers burlesque par le Louise Bischofberger qui reprend la mise en teur. Il ne reste alors que la monstruosité du seul génie de leur pantomime et par l’in - scène assistée de Sophie Lecarpentier. personnage, la noirceur d’une époque, ventivité de la machinerie et de la tech - A l’origine, l’objectif de Luc Bondy était de l’épouvante d’une histoire qui gagne en li - nique qui rythme le spectacle. Parfois faire résonner la pièce aujourd’hui, de pro - sibilité. La très belle scénographie d’Eric Ruf trivial, toujours drôle, Bigre nous parle sur - jeter sur Tartuffe tous les cas d’abus d’in - finit de nous emmener dans cette Venise tout la langue du cœur et de la poésie en fluence, sans les restreindre à la seule crépusculaire où rôdent le mal et le destin nous faisant toucher à la tendresse univer - religion évoquée dans la pièce. Malheureu - fatal. Eric Ruf lui-même incarne un formida - selle de l’humain. Du théâtre autrement. sement, lors de la création en 2014, cela ne ble Don Alphonse, époux et bourreau de Un spectacle tout public. fonctionnait pas. La pièce ne nous parlait Lucrèce ; Suliane Brahim dégage une éner - Enric Dausset pas d’aujourd’hui et peinait même à nous gie toute hugolienne dans l’interprétation entraîner dans l’univers de Molière. Seuls le du capitaine Gennaro ; et Guillaume Gal - duo Micha Lescot et Clotilde Hesme sor - lienne se garde très sobrement de jouer sur taient la pièce de sa torpeur. Soudain avec la confusion des genres. Sa Lucrèce tout en eux, quelque chose se passait, les vers pa - retenue en devient mélancolique, voire dis - GO raissaient être leur langage quotidien et tante, ce qui sans doute l’empêche de resti - Go ThéTâtre tout redevenait simple. Espérons que la tuer pleinement l’émotion de la pièce de nouvelle distribution soit à la hauteur du Hugo. l’appli théâtre génie de ce grand metteur en scène. Enric Dausset Hélène Chevrier

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CATS

au Théâtre Mogador > > CONSEIL DE FAMILLE au Théâtre de la Renaissance

MAMANS

au Café de la Gare > >

J’AIME BEAUCOUP CE QUE VOUS FAITES au Café de la Gare

LA LEGENDE DU ROI ARTHUR

en tournée > >

NE ME REGARDEZ PAS COMME ÇA au Théâtre des Variétés PAGES CRITIQUES Chaque semaine de nouvelles critiques sur www.theatral-magazine.com t e t n o P

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Les voisins du dessus Cyrano de Bergerac Roméo et Juliette

[ Une comédie intelligente ] [ Quelle folie ! ] [ Langue morte pour relation contemporaine ] de Laurence Jyl, mise en scène de Jean-Pierre d’Edmond Rostand, mise en scène de Domi - de , mise en scène par Dravel et Olivier Macé nique Pitoiset, avec Philippe Torreton Eric Ruf, avec Jérémy Lopez, Suliane Brahim Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 Bd Comédie Française, 1 Place Colette 75001 75011 Paris, 01 48 07 52 07, jusqu’au Saint-Martin 75010 Paris, 01 42 08 00 32, Paris, 0825 10 16 80, jusqu’au 30/05 30/04 à partir du 2/02 C'est au XIXe siècle que nous projette Eric Voilà une comédie intelligente, bien jouée Pas de cape, pas d’épée, ni de chapeau à Ruf en choisissant, pour le retour à la Co - et truffée de surprises. Un jeune couple plume, le Cyrano imaginé par Dominique médie-Française des amants de Vérone, emménage dans un appartement parisien Pitoiset ne s’escrime que verbalement et de - l'adaptation poussiéreuse de François-Vic - un peu cracra mais à côté d’un parc. Ils pré - vant un auditoire des moins fringants : on tor Hugo. L'empâtement des formules voient d’y rester trois ans, le temps pour lui est chez les fous, dans l’enceinte d’un hôpi - casse la dynamique du drame, créant ainsi d’obtenir son diplôme de notaire avant de tal psychiatrique où personne ne s’étonne un écart entre la contemporanéité de la re - retourner en province prendre les rênes de des grandes envolées lyriques de Cyrano. La lation des héros et la lourde ambition lit - l’étude du papa. Malheureusement ces transposition opère à merveille : les pen - téraire de la traduction. Quelques jeunes gens très sages qui aspirent au plus sionnaires complètement partis pour - insertions modernes entrecoupant les ré - grand calme vont être vite secoués par la raient aussi bien vivre à notre époque qu’il pliques ne suffisent pas à faire entrer le vitalité de leurs voisins du dessus qui ont y a 400 ans, au moment où se passe la texte dans notre ère. pourtant l’âge d’être leurs parents. C’est pièce. Et le choix vestimentaire des tee- Puis, on y revient toujours, les acteurs qui drôle, bien joué et complètement dans l’air shirts trop grands ne retire rien au pa - incarnent Roméo et Juliette sont trop du temps avec des questions intéressantes nache de Cyrano. vieux. En soi, l'âge n'est pas le problème, sur le couple et la vie qu’on se choisit. Jean- Cyrano, c’est Philippe Torreton, sacrément le souci est que leur importante expé - Baptiste Martin et Deborah Krey sont par - enlaidi, mais qui apporte à son person - rience sentimentale transparaît dans leurs ticulièrement convaincants en jeunes nage une sensibilité palpable. Derrière attitudes. Leur union se fait sans magie, mariés bien élevés. A découvrir. l’éclat des alexandrins, derrière l’emphase elle est nourrie des excès qui composent Hélène Chevrier de ses tirades, on entend un cœur battre, une relation contemporaine immature : on devine une âme blessée, qui aura passé exagérée et débridée. Un couple de tren - sa vie à essayer de faire oublier sa laideur. tenaires qui tente par tous les moyens de Passée la surprise du lieu, on se laisse pren - revivre une passion adolescente. dre au charme de Cyrano qui fascine tou - Et pourtant... Le spectacle, s'il est gênant jours autant les foules, toutes déglinguées par la langue, est réussi pour l'histoire qu'il qu’elles soient, pour n’écouter que les raconte. Eric Ruf relève le défi qu'il s'était GO transports de cette âme qui restera pure et fixé : rendre Roméo et Juliette tels qu'ils T exemplaire jusqu’au bout. Finalement, sont, comme une tragédie moderne sur la Go Théâtre c’est peut-être nous qui sommes fous de ne difficulté d'être ensemble, endurant la pres - pas avoir le panache de Cyrano. sion sociale qui écrase ceux qui s'aiment. l’appli théâtre Hélène Chevrier Hadrien Volle

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Orestie Ça ira (1) Fin de Louis Bettencourt Boulevard (une comédie organique?) [ Un théâtre "barbare" ] [ Pommerat révolutionné ] [ Simple récapitulatif ] d'après Eschyle, mise en scène de Romeo de Joël Pommerat de Michel Vinaver, mise en scène de Christian Castellucci TNP Villeurbanne, 8 Place Lazare-Goujon , 04 Schiaretti 8-9/01 Cergy Pontoise, 13-16/01 Grenoble, 78 03 30 00, du 8 au 28/01 La Colline, 75020 Paris, du 20/01 au 14/02 . 20-27/01 Lyon, 3- 5/02 Villeneuve d’Asq, Ce nouveau spectacle marque un tournant Comédie de Reims, du 8 au 14/03. 10-12/03 Anvers, 20-22/04 Strasbourg, dans le cheminement de Joël Pommerat. Michel Vinaver venant de recevoir le 26-27/04 Douai, 25-28/05, Toulouse Pour Ça ira (1) Fin de Louis , il se détache Grand prix de la littérature dramatique, on C’est en 458 avant J.-C. qu’Eschyle repré - de son procédé habituel consistant à faire voudrait applaudir des deux mains sa nou - senta pour la première fois la trilogie dra - se succéder des images très soignées à la velle pièce mais elle déçoit. Ce n’est pas matique L’Orestie . 2500 plus tard, celui-ci façon d’une machine à diapositives, pour une surprise, elle faisait la même impres - se retournerait dans sa tombe en décou - travailler sur une impressionnante unité sion à la lecture. En fait, Vinaver se borne vrant l’interprétation radicale-choc de de mise en scène où la cohésion entre les à dresser un récapitulatif de l’affaire Bet - Romeo Castellucci : un magma théâtral différents acteurs est au cœur du projet. La tencourt. Peut-être parce qu’elle n’est pas qui entremêle corps difformes, esthétique thématique est aussi plus sérieuse. terminée. Ceci dit, on n‘apprend rien qu’on sado maso, animaux sur scène, lumières Avec génie, Pommerat relie le théâtre his - ne sache, même si l’on n’a suivi que de loin spectrales, sang à profusion et ambiance torique à l’actualité brûlante. On observe le fait divers. Notamment sur le passé fan - post-punk. Un théâtre sauvage et ba - les enjeux politiques multiples de la Révo - geux du fondateur de L’Oréal, Eugène roque, énigmatique et trash, parfois tra - lution française à travers ses événements Schueller, fasciste blanchi à la Libération versé d’images fulgurantes qui comme les plus marquants. La salle de spectacle par des amis haut placés dans le camp op - dans un tableau d’art contemporain nous est transformée en lieu d’assemblée ; dis - posé. On aurait aimé que Vinaver s’appro - propulsent dans la grâce d’une vision. persés dans la salle, les personnages impo - prie cette histoire, qu’il approfondisse les Même si la pièce suit la trame narrative de sent au spectateur une immersion relations de Liliane Bettencourt avec sa L’Orestie , à savoir le meurtre d’Agamem - importante dans le moule tumultueux de fille Françoise, et aussi l’emprise que Fran - non par Clytemnestre et la vengeance de cette société en ruine à rebâtir. çois-Marie Banier a pendant des années son fils Oreste qui tue sa propre mère, le Très rigoureux du point de vue historique, exercée sur elle (condamné à lui verser spectacle se transforme en un long voyage sombre, dans sa forme comme dans son 158 millions de dommages et intérêts, il a de 3 heures truffé d’innombrables réfé - propos, la création porte cependant en elle fait appel). Seul acteur à s’emparer vérita - rences à la Grèce, à la philosophie, à l’his - toutes les émotions de la Nation française blement de son personnage, Jérôme Des - toire, à l’art et même au lapin d’ Alice au naissante. On sort du spectacle gonflé d’es - champs brosse un savoureux portrait à pays des merveilles . C’est à la fois érein - poir, certain que l’Homme est capable de charge de Patrick de Maistre, gestionnaire tant, audacieux, irritant, hermétique et se tirer des situations les plus extrêmes, de la fortune de Mme Bettencourt parfois génial ; le spectateur est invité à contre toute forme d’inertie. Alors, on peut (condamné à rembourser 12 millions, il a, faire ce voyage en étant à la fois bien affirmer : Pommerat compose le théâtre le lui, renoncé à faire appel). Dommage que équipé et très indulgent... plus noble qui soit. le reste de la troupe (Francine Bergé, Chris - Enric Dausset Hadrien Volle tine Gagnieux, Didier Flamand, Elisabeth Macocco…) n’aille pas dans la même di - rection. Eux n’ont pas l’air de s’amuser. Jacques Nerson

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Fleur de cactus Fugue Fin de l’histoire

[ Un enchantement ] [ entre délires burlesques et orteils gelés ] [ Uchronie-sur-scène ] de Pierre Barillet et Jean-Claude Grédy, avec mise en scène de Samuel Achache d’après Witold Gombrowicz, mise en scène Catherine Frot, Michel Fau, Cyrille Eldin 5-24/01 Bouffes du Nord (Paris), 29-30/01 Christophe Honoré Théâtre Antoine, 14 boulevard de Stras - Romans , 2-6/02 Croix-Rousse Lyon, 9/02 6-7/01 Comédie de Valence, 13-15/01 bourg 75010 Paris, 01 42 08 77 71 Châlon-sur-Saône, 12-20/02 Toulouse, 23- Grand T à Nantes, 28-30/01 MAC de Cré - C’est un enchantement. Cela commence 25/02 Cherbourg, 14-16/03 Valence. teil, 25-27/02 TNN à Nice sous les toits de Paris, dans la mansarde Une fugue, comme une échappée clandes - Surplombant la scène, une énorme horloge d’une jeune vendeuse qui veut mourir par tine ? Ici au pôle Sud, en corps et en mu - compte les minutes qui s’égrènent. Le spec - amour pour un amant marié. Ledit amant, sique... La scénographie dessine ce paysage tateur est prévenu, il risque de trouver le un dentiste de renom n’est en fait pas marié supposé : une scène enneigée, lunaire, avec temps long... A l’origine, il y a une pièce ina - mais se protège des convoitises grâce à une un simple abri pour les scientifiques inter - chevée et des textes de Witold Gombrowicz, fausse alliance. Quand il apprend que sa nationaux qui travaillent sur le terrain. le tout revisité par le savoir-faire de Chris - jeune maîtresse a voulu se tuer pour lui, il Cet objet scénique – clownesque, musical, tophe Honoré qui enrichit, complète, et fait décide de l’épouser. Mais ce n’est pas si sim - plus que théâtral – mise sur le loufoque dialoguer ce matériau avec d’autres textes, ple : puisqu’elle le croit marié, il doit donc pour se donner une raison d’exister : avant d’autres écrivains et d’autres philosophes. divorcer… et demande à sa super assis - le début du spectacle, on ne sait si la bi - C’est ainsi que les mêmes comédiens qui tante d’endosser le costume de sa femme coque est placée au bord d’une autoroute sont le père, la mère ou les frères du jeune trompée. Dans le rôle de l’insupportable sé - ou sous un pont. Loufoque aussi cette Witold, se transforment à vue et incarnent ducteur, on retrouve l’irrésistible Michel Fau manie que les personnages ont d’utiliser tantôt des philosophes (Hegel, Marx) tantôt et dans celui de l’assistante Catherine Frot. leurs instruments lorsque le silence se fait. des personnages historiques (Daladier,, C’est une comédie à mourir de rire, réglée Fugue est ainsi : oscillant entre avalanche Mussolini..). Le vrai tournant de la pièce se comme du papier à musique, jouée dans la de gags et moment de grâce musicale, par - situe lorsque la famille décide de rejouer la finesse et la précision. Pas d’agitation, pas ticulièrement bien interprétés. On entend conférence de Munich en 38 et imagine de surenchère dans Fleur de Cactus , on se Bach, De Lalande et Vivaldi, pour exprimer l’Histoire (ou la fin de l’Histoire) s’il y avait eu contente de toucher juste. Evidemment Ca - les sentiments ou pour rendre un instant un accord solide pour la paix avec un par - therine Frot est saisissante de virtuosité. plus burlesque. tage de l'Europe entre Hitler, Staline, Dala - Cette femme porte sans cesse le jeu à incan - Le rire est tellement présent dans le public dier et Chamberlain. Ce moment d’uchronie descence, entre le rire et l’émotion. La mise que l’on oubliera bien vite que les gags ne est savoureux et riche en questionnements, en scène est tout autant remarquable les sont pas tous de qualité égale, et la diatribe jusqu'à l’interrogation finale de tout artiste scènes s’enchainant dans des décors évo - métaphysique des dernières minutes, sans quant à sa capacité de changer le monde. quant le carton pâte dans des fondus très lien logique avec le reste du spectacle. Nous Deux heures vingt sont passées entre confu - cinéma. Cet assemblage rend la pièce dé - retiendrons une seule chose, le collectif La sion et conférence, c’est la fin de cette histoire lectable, les personnages émouvants et les Vie Brève réalise une performance humo - dont on retiendra surtout la performance de spectateurs heureux. ristique incroyable : aller en Antarctique en Marlène Saldana, personnage hors norme qui Hélène Chevrier faisant absolument n’importe quoi ! Et ça, nous fait vivre des moments délicieusement c’est génial. burlesques et surréalistes dans la lignée de Hadrien Volle l’univers de Gombrowicz. Enric Dausset

80 Théâtral magazine Janvier - Février 2016 à retourner à : Théâtral magazine BULLETIN D’ABONNEMENT 7 rue de l’Eperon 75006 Paris France . s t t n u q q n Je m’abonne à Théâtral magazine Je m’abonne à Théâtral magazine o o a r v n e r r s

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par Jacques NERSON

On a des yeux et on ne voit point, des oreilles et on n’entend point

Aussitôt nommé administrateur-général du Théâ - il choisit d’éclairer son décor en les laissant à contre- tre-Français, Eric Ruf a déclaré renoncer à son mé - jour, comme pendant ce passage de l’acte IV où Ju - tier d’acteur pendant son mandat. Espérons qu’il liette, restée seule dans sa chambre, boit l’élixir censé nuancera cette décision. la faire tomber en catalepsie. Quel dommage de nous frustrer à ce moment crucial de l’émouvant visage de Qu’il ne joue plus autant qu’avant, soit. Mais sa tâche Suliane Brahim ! L’éclairagiste Bertrand Couderc se - d’administrateur n’a pas empêché Pierre Dux d’inté - rait-il incapable de créer une ambiance nocturne sans grer de loin en loin certains spectacles importants. transformer les acteurs en ombres chinoises ? Je me Comme Dux, Ruf est un acteur de premier plan. Il se - rappelle avoir été jadis émerveillé par les lumières rait désolant de s’en priver. C’est comme si l’on sup - conçues par Pierre Saveron, l’ancien éclairagiste de primait l’une des touches du piano : une mutilation. Jean Vilar, pour La Locandiera , de Goldoni, mise en Un appauvrissement d’autant plus affligeant qu’il scène à la Comédie-Française par Jacques Lassalle. Il continue à dessiner des décors et à monter des spec - suggérait la nuit sans éteindre l’œil de l’acteur. Rap - tacles. Craint-il d’aliéner son autorité en revenant tra - pelez-vous la formule de Claudel : “L’œil écoute” . On vailler sur un pied d’égalité avec ses camarades ? perçoit en effet mieux les paroles des comédiens Fera-t-il quelques exceptions à la règle qu’il s’est tra - quand on distingue leurs traits. cée ? On le souhaite. Par ailleurs, il y a un sérieux problème d’acoustique En revanche, sa mise en scène de Roméo et Juliette, dans la salle Richelieu. On a proclamé s’y être attelé de Shakespeare, est beaucoup moins enthousias - lors de sa récente réfection mais on y entend encore mante que celle de Peer Gynt , d’Ibsen. Mais ce n’est moins bien qu’auparavant. Mes oreilles ne sont pas pas ici le lieu d’en faire la critique. Centrons-nous uni - en cause, je ne suis pas le seul à n’avoir saisi que la quement sur l’image et le son. Du point de vue esthé - moitié du texte. Je ne pense pas non plus que la faute tique, le décor est réussi. Ces panneaux blancs ornés en revienne aux acteurs. Je crois plutôt qu’il y a dans de bas-reliefs érodés évoquent bien une ville pros - cette salle des trous noirs, des triangles des Bermudes père autrefois mais maintenant sur le déclin. En réa - où le son disparaît corps et biens. Faut-il la sonoriser lité, Vérone était florissante au temps de comme le Théâtre de Paris l’est désormais ? Laissons Shakespeare mais, les ruines étant plus poétiques les experts se prononcer. En tout cas, il est malheu - que des bâtiments flambant neufs, Ruf a le droit se reux que la Maison de Molière, qui a longtemps passé représenter une cité déchue. pour le temple du bien-dire, soit devenue celui du mal-entendre. Là où nous sommes en désaccord avec lui, c’est quand il préfère l’image aux acteurs. Autrement dit, quand

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