LE TERROIR DE CUSEY

à travers les âges

Amiral Jean Pétesch

LE

TERROIR DE CUSEY A TRAVERS LES AGES

La Presse de Gray

AVANT-PROPOS

Pendant des millénaires l'homme s'est déplacé de préférence sur les rivières aussi loin qu'elles étaient navigables car elles lui permettaient de transporter sans gros efforts d'assez lourdes charges. Nous savons que des échanges com- merciaux très nombreux entre la Méditerranée et les pays nordiques ont eu lieu par la vallée du Rhône puis celle de la Saône mais un passage par terre était nécessaire pour rejoindre la Seine, la Marne ou la Meuse voire la Moselle. Il n'est pas douteux que les occupants de ce passage devaient prélever des droits de péage sur toutes les marchandises et que de tous temps la possession de certains points de cette région a été très disputée. Il est permis de penser que Cusey a été l'un de ceux-là car c'était le dernier point accessible à une barque ou à un radeau sur la , une de ces rivières à direction Nord-Sud qui permettait de rejoindre par le plus court chemin soit l'Aube soit la Marne. Là avait lieu le transbordement sur des chariots, là commençait un pays plus rude peuplé d'une population différente. A l'époque celtique, cette région devait former les confins entre les Lingons et les Séquanes ; déjà à cette époque, au hasard des luttes les limites des territoires variaient : tantôt les montagnards descendaient dans la plaine, tantôt ils étaient repoussés sur leur plateau. Ainsi en devait-il être au long des siècles jusqu'à une époque relativement récente, il y a seulement trois cents ans. C'est la raison qui m'a incité à étudier l'histoi- re de Cusey.

CUSEY A L'EPOQUE CELTIQUE

Si l'on se réfère à la remarquable étude faite par l'abbé Pierre Mouton sur les tertres funéraires du Montsaugeonnais, il est possible d'affirmer que le peu- plement du terroir de Cusey remonte au moins à la civilisation des champs d'urnes (Hallstatt B) assez rare dans le bassin de la Vingeanne mais bien re- présentée dans les sépultures du bassin de et du Châtillonnais. On peut donc en déduire que déjà Cusey se trouvait à la frontière séparant les popula- tions du plateau de celles de la plaine, frontière qui s'est d'ailleurs déplacée à la fin du Tène 1 où il semble que les populations de la plaine aient gagné la bordure du plateau. Trois tumulus sont connus à l'heure actuelle sur le terroir de Cusey parce qu'ils ont été fouillés en 1863 par H. Defay et en 1886 par les frères Royer. Mais il en existe certainement d'autres si l'on en croit les habitants. I. Dans le bulletin n° 34 du 1er Juillet 1886 la Société historique et archéo- logique de Langres a publié un article des frères Royer donnant les résultats détaillés des fouilles qu'ils avaient effectuées dans un premier tumulus (1) dont ils ont donné une position très précise (voir croquis). Les dimensions étaient de 16 m. x 15m. x 1,80m. Ce tumulus se composait, en partant du centre : 1) d'une sépulture hallstattienne d'un diamètre de 7 m. sur lm. de hauteur avec au centre un corps de grande taille allongé du Nord au Sud sur un lit de pierres plates ; il avait le tibia et le péroné gauches fracturés en deux en- droits : fracture inférieure bien réduite, fracture supérieure en bec de flûte. A sa droite dans un fourreau en fer enveloppé dans deux étoffes tissées une épée en fer avec poignée à la hanche et bouterolle à la cheville ; à un de ses doigts un simple anneau de bronze. Cette sépulture contient en outre à 2m. du centre dans le SW un autre corps. 2) Autour de cette sépulture hallstattienne une enveloppe s'élevant à 0,80m. au-dessus du centre de la sépulture initiale et s'étendant jusqu'au diamètre to- tal du tumulus soit 16m. a été ajoutée à une époque plus récente sans doute Tène 1 B. Cette enveloppe contient à l'Est et Nord Est une trentaine de corps environ reconnus par des bijoux de bronze féminins et quelques poteries. L'in- ventaire de ce mobilier comporte : — un torque en bronze de la Tène à tampons creux et tige mince étirée. — quatre paires de bracelets en bronze de formes et volumes divers avec dessins en creux. — quinze bracelets divers en bronze dont un fermé par un morceau libre à tenons, un autre ayant la forme d'une boucle de soulier, deux autres perlés assortis à des anneaux de jambe et enfin un autre fait d'un fil contourné à la grecque. — trois paires d'anneaux de jambe dont une paire très fine faite d'un fil à extrémités moulurées et dessinées au burin, une paire composée d'une file de quatorze olives réunies par des tenons très étroits et une paire formée d'un chapelet rigide de perles assorties aux deux bracelets perlés. — sept fibules de bronze très fines. — quatre fibules de fer. — deux anneaux massifs de bronze avec appendice en forme de boutons. — deux bagues en bronze. — trois anneaux d'attaches de vêtements. — un poinçon et une hache de fer. — une ceinture moitié fer moitié bronze terminée par deux plaques rondes en bronze. — une moitié de hache polie en pierre dure, un grattoir en silex et un our- sin fossile. Toutes ces pièces se trouvent au musée du Breuil de Saint Germain à Lan- gres. II. Dans le même bulletin les frères Royer indiquent qu'un deuxième tumu- lus situé à 400m. du premier a été fouillé entièrement par Henri Defay en 1883. Aucune relation ne nous est parvenue à ce jour. Toutefois d'après des habitants ce tumulus aurait contenu également un corps de grande taille avec les débris d'une épée en fer et d'un vase. III Dans le bulletin n° 35 du 1er Janvier 1887 de la Société historique et archéologique de Langres un article des frères Royer indique un troisième tu- mulus fouillé par eux à Cusey qu'ils situent à 4 ou 500m. à l'Est de celui qu'ils avaient fouillé sur Vesvres mais le lieu-dit qu'ils mentionnent, les Combottes, se trouve à l'Ouest et non à l'Est de Vêvres. Il est donc impossible de situer exactement ce troisième tumulus. De ce tumulus il ne restait d'ailleurs qu'un merger de 12m. de long sur 2m. de large et lm. de haut. Dans ce merger sub- sistaient cependant quatre corps placés dans une sépulture identique à celle du premier tumulus dans sa partie hallstattienne : deux côte à côte et deux sépa- rés. L'un possède seulement un bracelet en fer. Les autres ont tous : deux bracelets (un en bronze et un en anthracite) à chaque bras et quatre anneaux de bronze à chaque jambe, l'un d'eux a un bra- celet supplémentaire au bras gauche, par contre un des corps isolés a perdu le bracelet de bronze de son bras droit. Il est certain que cette sépulture devait contenir d'autres corps et peut-être n'a-t-on là que trois femmes accompa- gnant un guerrier placé comme d'habitude au centre. Ce tumulus contenait également de nombreux fragments de silex et de nom- breux fragments de poteries. IV. La prospection des tumulus est loin d'avoir été complète et les habitants eux-mêmes sont persuadés qu'il en existe d'autres. Ce qui a été découvert sem- ble prouver qu'une population de guerriers a occupé le pays pendant plusieurs siècles, du Hallsttat ancien (Champ d'urnes) à la période correspondant à la Tène 1 C, et que des mouvements de population ont eu lieu entre le plateau et la plaine. CUSEY SOUS L'OCCUPATION ROMAINE

L'INVASION :

Les auteurs latins nous ont appris que le peuple lingon avait toujours été un collaborateur des Romains : peut-être a-t-il recherché une protection comme les Eduens contre les incursions des Germains et des Séquanes. Ce qui nous conduit à penser que nous étions déjà à Cusey sur une région frontière. En 58 av. J.C. César s'introduisit en Gaule sur l'appel des Eduens qui étaient atta- qués par les Helvètes et les Germains. César bat les Helvètes près de Bibracte capitale des Eduens puis se retourne contre les Germains qui s'étaient établis chez les Séquanes. César bat Arioviste entre le Doubs et le Rhin et prend ses quartiers d'hiver en Séquanie. Il essaye entre 58 et 54 d'établir un protectorat sur la Gaule indépendante mais la résistance gauloise s'organise et la guerre de l'indépendance éclate en 52 av. J.C. Une assemblée générale des tribus gau- loises réunie à Bibracte confie le commandement à Vercingétorix : seules les tribus rémoises, lingones et trévires ne font pas partie de la coalition. César fait venir de Germanie des cavaliers mercenaires et fait mouvement vers la Province Romaine en passant par les pays alliés Lingons et Séquanes. Aux confins des territoires lingons il est attaqué par la cavalerie gauloise : c'est la bataille qu'H. Defay situe sur le territoire de Cusey. Il est certain que le ter- rain faiblement ondulé qui s'étend entre Saquenay et Bize Lassaut était favo- rable à un combat de cavalerie et il est logique que l'armée romaine attendant les renforts de cavalerie germaine soit venue les chercher sur la route de la Meuse. Pendant ce temps Vercingétorix attend avec son armée sur les hauteurs de Saquenay d'où il domine toute la plaine. Dès qu'il aperçoit l'armée romaine il partage sa cavalerie en trois divisions : deux s'attaquent aux flancs, la troisiè- me s'avance sur le plateau de pour arrêter l'avant-garde romaine. César oppose également trois corps de sa cavalerie et la bataille est longtemps incertaine. Enfin la cavalerie germaine déborde par des hauteurs sur la droite (Prauthoy, Aubigny) et menace d'encercler la cavalerie gauloise que reflue en désordre et repasse le Badin. Vercingétorix qui avait rangé son infanterie de- vant le camp de Saquenay (1) recueille ses cavaliers et ordonne la retraite en direction d' et Selongey (1) pour se réfugier dans l'oppidum d'Alésia. César revient prendre ses bagages et fait donner une sépulture à ses morts fort nombreux. Le lendemain il partait investir Alésia où s'était réfugiée l'armée gauloise. Cette bataille de cavalerie devait décider du sort de la Gaule indépendante. Nous remarquerons que les Lingons sont restés neutres dans ce conflit d'indé- pendance : on ne peut s'empêcher de penser que César attachait trop d'impor- tance à leurs positions pour ne pas les avoir ménagés et leur avoir fait des pro- messes.

L'OCCUPATION ET LA RESISTANCE

Pendant plus d'un siècle la paix régna sur cette région. Les Lingons alliés fidèles des Romains reçoivent une juste récompense : ils sont une cité alliée donc ne paient pas de tribut. Enfin lors de l'établissement du plan du premier réseau routier, Andematunum la capitale des Lingons devint un centre routier très important qui servait d'embranchement vers le Rhin, la Seine et l'Océan. Deux voies romaines passaient à chaque extrémité du territoire de Cusey ce qui correspond parfaitement au fait que les routes ont été liées à l'établisse- ment du cadastre. L'une d'elles est celle de Langres à Genève et elle est enco- re conservée dans son état initial n'ayant pas été transformée en route moder- ne. Saquenay, le pays voisin, a conservé longtemps un de ses milliaires daté de 43 après J.C. qui est actuellement au musée archéologique de Dijon. L'autre est celle de Langres à Besançon. Il existe un milliaire situé en plein bois sur le territoire de Dardenay où il a été déplacé à une époque indéterminée anté- rieure au XV siècle ; ce milliaire est daté de 121 après J.C. et son inscription est encore très lisible (1). Etant donnée la distance de XIII Mille Pas indiquée pour Langres (Andematunum) et son poids considérable (1 tonne 7) on peut supposer qu'il provenait de cette voie toute proche (voie établie par Hadrien). Ces voies romaines qui passaient de part et d'autre du territoire de Cusey étaient des voies stratégiques qui ont servi de nombreuses fois pour la répres- sion des révoltes ou contre l'invasion des Germains. Aussi étaient-elles jalon-

(1) Deux camps préromains sont encore visibles à Saquenay et à Selongey. nées de nombreux camps militaires séparés par des distances d'une étape (en- viron 27 kms). Le camp de Mirebeau-sur-Bèze est très connu ; or entre Mire- beau et Langres l'étape normale était le camp de la côte de Saquenay, en par- tie sur le territoire de Cusey ; son enceinte est d'une superficie considérable constituée dans les parties intactes par un mur en pierres sèches formé de bas- tions réguliers reliés entre eux par des courtines, la distance d'axe en axe en- tre bastions varie de 40 à 50 m. Le parement extérieur des murs est presque partout bien conservé. Ce camp est sans doute installé sur l'oppidum celtique qui a servi à Vercingétorix pendant le combat de cavalerie dont nous avons par- lé précédemment.

Audune fouille n'ayant été faite il n'est pas possible de situer le village à cette époque. Mais il est à peu près certain que l'emplacement actuel de la rue haute était déjà habité, des pièces romaines très nombreuses ayant été trou- vées près des maisons : j'en possède moi-même trois de l'époque de Constan- tin qui proviennent de mon jardin. Mais il y a certainement à proximité de la voie romaine et du camp beaucoup d'autres traces du passage des milliers de légionnaires qui pendant quatre siècles sont allés se battre sur le Rhin. Si les Lingons furent favorisés jusqu'à former une cité presque autonome au début de l'Empire romain, leur participation à la révolte de 68 - 70 AP JC leur fit connaître une répression sévère ; l'aventure de leur chef Sabinus et de son épouse Eponine cachés pendant 9 ans dans une grotte près des sources de la Marne est relatée par de nombreux historiens. Certaines cartes placent la val- lée de la Vingeanne dans la Belgique : ce qui est certain c'est qu'elle est enco- re à la limite de deux provinces romaines. Au début du IV siècle la Séquanie forme une nouvelle province et la Vingeanne la sépare de la Lyonnaise. Mais auparavant les Germains puis les Francs avaient ravagé le Nord Est de la Gau- le. L'empire romain est dirigé par une tétrarchie : deux augustes et deux cé- sars : Dioclétien à Rome et Maximien à Trêves. Constance Chlore est le César de Maximien c'est à ce titre qu'il nous intéresse car les chroniques relatent qu'il dût se réfugier dans l'oppidum de Langres en 298 lors d'une invasion des Francs mais qu'il les battit après les avoir encerclés l'année suivante. Il obligea ensuite les prisonniers à s'installer comme colons dans les régions dépeuplées et ravagées ; ainsi la vallée de la Vingeanne aurait été repeuplée de Francs Hattuariens par Constance Chlore et aurait pris le nom vers l'an 300 de pagus Attoariorum.

LES HATTUARIENS ET LES BURGONDES

Ce pagus Attoariorum qui a pris naissance vers l'an 300 se maintiendra jus- qu'en 1019. Donc pendant plus de sept siècles au milieu des perturbations les plus graves qu'ait connues cette région, il semble que la population n'ait pas beaucoup changé puisqu'elle a gardé son appellation. A l'origine le pagus At- toariorum devait comprendre la région comprise entre le plateau de Langres et la Saône c'est-à-dire les vallées du Vannon, du Salon, de la Vingeanne et de l'Ouche. La population lingonne avait dû être refoulée sur le plateau et avait été remplacée par ce peuple franc qui venait de la région de Cologne. Il ne de- vait plus subsister beaucoup de gallo-romains si l'on en juge par le nom de Romania (la Romagne) donné à un village de la vallée pour indiquer l'origine de ses habitants.

Ces Hattuariens semblent avoir été rapidement formés à la civilisation gallo- romaine et ils furent christianisés sous le règne de Constantin, le fils de Cons- tance Chlore qui devait réunifier l'empire romain à son profit après avoir dé- fait les Germains.

Au cours du IV siècle et du V siècle les invasions barbares se succédèrent mais il semble qu'elles traversèrent la pagus Attoariorum sans modifier la na- ture de sa population. L'occupation romaine cependant cédait la place aux chefs des peuples venus d'outre-Rhin. La date de 451 marque à la fois l'acte de décès de la Gaule romaine et la naissance de la Gaule mérovingienne.

Les Burgondes sont venus occuper la région Est de la Gaule et le pagus Attoariorum devient un des principaux comtés burgondes sans changement de population. Ce peuple avait déjà été christianisé mais il était arien. Une nou- Imprimerie La Presse de Gray

Achevé dimprimer le 8 Août 1973

Dépôt lêgal 3 trimestre 1973 N° 24

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