Salle Richelieu

Molière L'École des femmes

LE PROGRAMME

20x/3,05 -! TH ÉÂT R E DU VI EUX•COLOMBIER ADMINISTRATION Conseiller artistique & littéraire NI. Andrzej SEWERYN Administrateur général M. Jean-Loup RIVIÈRE Suppléants M. Jean-Pierre KIIQUEL Conservateur-archiviste M. Jean-Pierre MICHAËL THÉÂTRE CONTEMPORAIN ET CLASSIQUE M" Odile FALIU M. Jean-Baptiste MALARTRE Directeur général Direction de la coordination COMITÉ DE LECTURE LECTURES-SPECTACLES dus SANIEdiS du VIEUX-COLOMBIER M. Bruno ORY-LAVOLLÉE M"' Aliette MARTIN Secrétaire générale Les membres RÉSERVATIONS EF RENSEIGNEMENTS AU M' • ' Florence CASTERA COMITÉ du Comité d'administration et Agent comptable D'ADMINISTRATION M. Bertrand 01 44 39 87 00 /87 01 Annie PUGNET M''° Catherine SAMIE POIROT-DELPECH du MARdl AU SAMEdi dE 1 1 h À 19 h, Directeur général de la scène M. Simon EINE de P Académie française dIMANChE ET FUNdl dE 13 1-1 À 18 h. M. Christian DAMMAN M. Alain PRALON M. Jérôme GARCIN Directeurs adjoints de la scène M"' Claire VERNET M. Philippe BOUCHER 21 RUE du ViEUX,C0r0MbiER. M. Yves LACROIX M"' Dominique CONSTANZA M. Érik ORSENNA M. Alain BANVILLE M" Muriel MMETTE de I' Académie française

La troupe au 25 septembre 1999 SOCIÉTAIRES SOCIÉTAIRES M. Éric GÉNOVÈSE HONORAIRES M — Catherine SAMIE M. Bruno RAFFAELLI STUDIO M. Jean MEYER M. Simon EINE M' Renée FAURE M. Alain PRALON PENSIONNAIRES THEATRE M Gisèle CASADESUS M. François BEAULIEU NI" Nathalie NERVAL M"' Lise DELAMARE M" Claire VERNET NI. Pierre VIAL M. André FALCON M' Christine FERSEN NI. Christian BLANC M"' Micheline BOUDET M' M' Céline SAMIE M. Paul-Émile DEIBER M. Nicolas SILBERG M. Olivier DAUTREY THÉÂTRE À 18 H 30 M. Jean HAT 114" Catherine SALVIAT NI. Alain LENGLET Pièces d'une heure M. Robert HIRSCH NI' Dominique CONSTANZA M. Malik FARAOUN M. Jean-Paul ROUSSILLON NI"' Catherine FERRAN NI. Bruno PUTZULU du répertoire du xx e siècle M. Michel DUCHAUSSOY M. Gérard GIROUDON M' Florence VIALA M"' Denise GENCE M. Roland BERTIN NI' Coraly ZAHONERO NI"' Ludmila MIKAÉL NI' Claude MATHIEU NI. Laurent d'OLCE SALONS LITTÉRAIRES NI — Claude «'INTER M"' Muriel MAYETTE NI. Laurent REY Lectures M. Michel AUMONT NI" Martine CI-IEVALLIER NI. Nicolas LORMEAU M' Geneviève CASILE M"' Véronique VELLA Claudie GUILLOT M. Jacques SEREYS M"' Alberte AVELINE M. Denis PODALYDÈS THÉÂTROTHÈQUE Ni. Yves GASC M. Jean-Yves DUBOIS M"' Clotilde de BAYSER Projections audiovisuelles de spectacles NP' Françoise SEIGNER NI' Catherine SAUVAL NI. Alexandre PAVLOFF M. Michel FAVORY M. Roger MOLLIEN M. Thierry HANCISSE M. Laurent MONTEL LIBRAIRIE-BOUTIQUE M. Jean DAUTREMAY M. Jean-Marie GALEY M"' Anne KESSLER NI' Françoise GILLARD Renseignements au 01 44 58 98 58 M. Jean-Pierre MICHAËL NI. Laurent NATRELLA Tous les jours sauf mardi de 11 h à 17 h. M' Isabelle GARDIEN NI. Christian GONON M. Igor TYCZKA M. Jérôme POULY Achat des billets sur place pour une entrée immédiate. M. Andrzej SEWERYN M. Jean-Paul BORDES M' Cécile BRUNE NI. Guillaume GALLIENNE Place de la Pyramide inversée M. Michel ROBIN M. Jean-Claude DROUOT dans la Galerie du Carrousel du Louvre, M"' Sylvia BERGE M. Jacques POIX-TERRIER accès par le 99 rue de Rivoli, Paris 1". M. Jean-Baptiste MALARTRE NI. Christian CLOAREC NI. Eric RUF

La Comédie-Française sur !Internet : www.comedie-francaise.fr

1 L'École des femmes Comédie en cinq actes de Molière Nouvelle production à la salle Richelieu à partir du 25 septembre 1999 Mise en scène d'Éric Vigner Catherine Samie Igor Tyczka Collaboration artistique, Arthur Nauzyciel Décor de Claude Chestier Costumes de Pascale Robin Lumières de Maric-Christine Soma Musique originale d'Emmanuel Dandin Direction musicale de Vincent Thomas Assistante à la mise en scène, Tamar Sebok Assistant pour le décor, Franck Lagaroje

Laurent Rey Roger Mollien Avec Catherine Samie, Georgette Igor Tyczka, Alain - Eric Ruf, Horace Bruno Raffaelli, Arnolphe - Laurent Rey, un notaire Roger Mollien, Oronte - Jean-Claude Drouot, Chrysalde Jacques Poix-Terrier, Enrique et Johanna Korthals Altes, Agnès- eir du Conservatoire) Jean-Claude Drouot Jacques Poix-Terrier Johanna Korthals Aires (élève

Christine Fonlupt ou Stéphanie Fontanarosa, piano (en alternance) Vincent Thomas, clan. nette - Sébastien Surel, violon

Le décor et les costumes ont été réalisés par les ateliers de la Comédie-Française

Spectacle filmé pour la collection Molière / Comédie-Française, une coproduction 3 / Neria Productions / Euripide Productions et la Comédie-Française

9 3 En trois ans, de 1661 à 1664, Molière écrit une véritable « trilogie du mariage » avec l'École des maris-, l'École des femmes et le Mariage forcé. Ou, plus précisément, un trip- tyque sur le rêve du mariage parfait, dans la période qui précède l'union désirée. Mais pour les pauvres hommes, le rêve va se transformer en cauchemar. Confrontés à la réa- lité, les utopies vont s'effondrer tristement. On n'en sortira pas indemne. iï1difillililpic,n Sur ce même thème, mais sur des modes différents, tuniumll Molière est impitoyable. Avant George Dandin, où le mariage est déjà consommé, les femmes surprennent les hommes qui se croyaient maîtres du jeu. Le développe- ment comique de certaines situations n'effacera pas la dou- leur du cauchemar. L'occasion était belle de réunir ces trois pièces dans la même alternance à la salle Richelieu et d'apprécier la fasci- nation de notre auteur pour ce sujet, qui témoigne à l'évi- dence de l'expérience vécue des rêveries cruellement déçues. jean-Pierre Miguel

LE SCOLE DES FEMME S

Frontispice de l'édition originale par François Chauveau, Paris, 1663. © Coll. Comédie-Française 5 4 Résumé

À la veille de ses noces avec la jeune Agnès (jeune fille qu'il a éduquée à l'écart du monde et selon ses principes pendant treize ans), Arnolphe, de retour chez lui après deux jours d'absence, rencontre le fils de son ami Oronte, Horace. Celui-ci lui apprend qu'il vient de rencontrer Agnès, qu'il l'aime et qu'il en est aimé. Arnolphe, dont la passion est sans égale, va tout imaginer pour chasser Horace. Mais le mariage entre Horace et Agnès est déjà conclu par les pères respectifs de ces deux enfants, et Arnolphe quittera la scène sans pouvoir prononcer une parole.

Bruno Raffaelli, Johanna Korthals Aires, mise en scène d'Éric Vigner. © Alain Fonteray.

Bruno Raffaelli, Éric Rut', mise en scène d'Éric Vigner. © Alain Fonteray. « Est-ce un enchantement, est-ce une illusion ?» L'École des femmes, acte V, scène 2

Éric Vigner : L'École des femmes est un projet qui repose sur l'amour. Je pense à individuelle, Arnolphe s'engage personnellement et tout entier dans son rêve ces deux vers d'Arnolphe, acte I, scène 1 : « je veux terminer la chose ». Quelle est cette chose dont il parle et qu'il a bâtie « Un air doux et posé, parmi d'autres enfants, consciencieusement pendant treize ans, jour après jour, à l'écart du monde ? M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans. » « Oui, je veux terminer la chose dans demain » et on peut imaginer qu'il ira jus- Tout commence là. Le moment initial, c'est l'amour. qu'au bout. Aujourd'hui, c'est l'achèvement du rêve d'un amour fou. Arnolphe se Jean-Loup Rivière : La naissance de l'amont; c'est la naissance de l'amour pour un retire. Et c'est le dernier jour. enfant. J.-L. R. : Arnolphe dit moi comme un héros romantique, on pourrait dire aussi comme É. V.: Arnolphe rencontre l'amour pour la première fois ce jour- là, il y a treize ans, un enfant.nt. dans la personne d'une petite fille élue parmi d'autres ; c'est sur ce sentiment incon- É. V.: La rencontre s'est faite avec un enfant ; c'est une histoire d'enfants. Il y nu à lui-même jusqu'alors, sur la puissance de cet événement-là, qu'il va construi- avait cette phrase dans la Pluie d'été de , dont je me souviens : re, rêver une architecture, une ville, des lois, des règles, une école. C'est l'amour « Nous sommes tous des enfants d'une façon générale ». même qu'il rencontre. Le rêve d'Arnolphe est le projet d'un amour fou. J.-L. R. : Le paradoxe de l'enfance est déjà inscrit dans ce titre : l'École des femmes J.-L. R. : L'amour est-il réciproque dans cette histoire ? ou l'École des maris. On associe une désignation d'êtres adultes — les maris, les femmes — É. V.: Pas au début de la pièce. Arnolphe a élevé Agnès en dehors du monde, à une institution qui concerne les enfants. Le titre l'École des femmes dit d'une certaine dans un monde clos. Il aime Agnès comme Dieu aime sa création, Agnès aime manière : on va vous montrer ce qu'il) a d'enfance quand l'enfance n'est plus là, comment Arnolphe comme une fille aime son père. Ce qui est beau dans le rêve d'Arnolphe, quelque chose de l'enfance se perpétue, ne bouge pas, résiste au devenir adulte. c'est qu'il construit son projet sur des bases qui ne sont pas solides : il prend une É. V. : Arnolphe a éduqué Agnès selon le principe philosophique du Je pense donc enfant et décide soudain que cette enfant vient de naître au monde, qu'elle n'a je suis, pour lui faire accéder à la liberté d'être. Agnès est une incarnation philoso- pas de famille, qu'elle vient de nulle part, qu'elle est un pur objet à construire. phique. C'est l'intrusion d'Horace qui permet à Arnolphe de constater que son Or quand Arnolphe revient chez lui après deux jours d'absence, le mariage d'Ho- projet a réussi, que cette enfant est devenue une femme libre, qui pense, qui est. race et d'Agnès est déjà arrangé par leurs pères respectifs, mais il ne le sait pas. Horace : c'est l'autre, c'est l'extérieur qui arrivant à l'intérieur de cet espace clos J.-L. R. : Pensez-vous qu'il y ait une dimension expérimentale dans le projet d'Arnolphe ? crée des ouvertures. L'espace s'ouvre et c'est la naissance du désir, d'un amour dont la nature a changé. Arnolphe commence à regarder Agnès non plus comme É. V.: Ce n'est pas de l'ordre de l'expérience. C'est un projet personnel, une l'enfant d'un projet utopique, mais comme une femme. Arnolphe retombe amou- utopie individuelle qui a valeur d'exemple, une affirmation du moi ; si il y a expé- reux d'Agnès. rience, elle est de l'ordre de l'intime. Tel est le paradoxe d'Arnolphe : parce qu'il réussit complètement son projet, Arnolphe dit moi comme un héros romantique dit je veux. son projet lui échappe : il ne peut pas être l'homme de cette femme qu'il a créée. À la question de Chrysalde (acte I, scène 1) : « Vous venez dites-vous pour lui don- Pour que son oeuvre se perpétue dans la réalité, il va donner cette femme en ner la main », Arnolphe répond : « Oui, je veux terminer la chose dans demain ». mariage à Horace. Agnès devient son vecteur dans le réel. Si Agnès est devenue « Oui » : c'est la première parole d'Arnolphe dans la pièce, c'est le « oui » du une femme, Arnolphe, d'un dieu créateur, d'un maître, devient un homme. « voulez-vous prendre pour épouse devant Dieu et jusqu'à la mort », c'est le On assiste à la naissance d'un homme. C'est à ce moment-là que la réciprocité du « oui » d'un mariage métaphysique ; « je veux » : c'est l'affirmation de sa volonté sentiment amoureux s'accomplit.

8 9 J.-L. R. : Pensez-vous que la réplique du Malade imaginaire « H n 'y a plus d'enfants » habite cette pièce ? É. V.: On ne peut s'empêcher de penser à l'École des femmes dans le Malade ima- ginaire. Le Malade imaginaire, c'est aussi l'imaginaire malade.

J.-L. R. : Il n'y a plus d'enfants » ce n'est pas seulement un thème de Molière, c'est un « trou » dans Molière, une chose opaque, énigmatique : la formule rejaillit sur les pièces (intérieures, désigne presque une impossibilité de l'enfance parce que l'enfance s'est dissémi- née chez ceux qui ne sont pas ou plus des enfants. C'est une chose que Molière n'a jamais extraite sous forme thématique, mais qui travaille absolument toutes les pièces et au pre- mier chef l'École des femmes. Pour en revenir à l'amour; est-ce qu'Agnès aime Horace ? É. V.: Une des dernières réponses d'Agnès à Horace à l'acte V, c'est « Vous ne m'aimez pas autant que je vous aime ». A ce moment-là de la pièce, Agnès est le devenir de la Célimène du Misanthrope, celle qui répondra à Alceste quand il lui fera la proposition de quitter le monde et de la suivre dans un désert : « la solitude effraie une âme de vingt ans ». La folie d'Arnolphe, c'est d'avoir rêvé en dehors du monde, loin du réel pendant treize ans. Tout est déjà joué au début de la pièce. Quand il rentre chez lui, le ver est déjà dans le fruit, l'extérieur est définitivement entré à l'intérieur. Cette enfant ne venait pas de naître au monde quand il l'a rencontrée, Agnès avait un père naturel, une famille. Et aujourd'hui, la famille, le père, le fonctionnement du monde habituel reprennent leurs droits, la réalité prend le pas sur l'illusion d'Ar- nolphe. Il y a eu un trou, effectivement, un égarement, une absence pendant treize ans ou bien deux heures et demie. Ce collapse entre l'illusion et la réalité éclate dans le « Oh » final d'Arnolphe. Ce « Oh » qui nous renseigne sur le projet d'un homme qui a éduqué un être sur l'apprentissage du langage, sur le dire, et qui finit par perdre la parole. Entretien d'Éric Vigner et de Jean-Loup Rivière (juin 1999) , Nathalie Bécue, mise en scène de Jacques Rosner, 1983. © Collection Comédie-Française.

10 11 « La singularité du personnage d'Agnès semble avoir proposé une véritable énigme aux psychologues et aux critiques — est-ce une femme, une nymphomane, une coquette, une ceci, une cela ? Absolument pas, c'est un être auquel on a appris àparler et qui articule. »

Pierre Dus, Isabelle Adjani, mise en scène de Jean-Paul Roussillon, il 1973. © C. Angelini. L'amour est un sentiment comique. Le d'être le personnage monogame dont sommet de la comédie est parfaitement nous parlions au début — ôtez-lui cette localisable. La comédie dans son sens monogamie, c'est un éducateur. Là, il a propre, au sens où je le promeus ici trouvé un très heureux principe, qui devant vous, trouve son sommet dans un consiste à la conserver dans l'état d'être chef-d'oeuvre unique. complètement idiote. Il ordonne lui- Dans la ligne de la comédie disons clas- même les soins supposés concourir à sique, le sommet est donné au moment cette fin. « Et vous ne sauriez croire, dit- où la comédie dont je parle, qui est de il à son ami, jusqu'où cela va, ne voilà-t-il Molière et qui s'appelle l'École des femmes, pas que l'autre jour elle m'a demandé si pose le problème d'une façon absolument l'on ne faisait pas les enfants par l'oreille ». schématique, puisque d'amour il s'agit, C'est bien ce qui aurait dû lui mettre la mais que l'amour est là en tant qu'instru- puce à la même oreille, car si la fille avait ment de la satisfaction. eu une plus saine conception physiolo- Molière nous propose le problème gique des choses, peut-être aurait-elle été d'une façon qui en donne la grille. C'est moins dangereuse. d'une limpidité absolument comparable Tu es ma femme » est la parole pleine à un théorème d'Euclide. dont la métonymie sont ces devoirs du Il s'agit d'un monsieur qui s'appelle Ar- mariage congrument expliqués qu'il fait nolphe. A la vérité la rigueur de la chose lire à la petite Agnès. « Elle est complè- n'exigerait même pas que ce soit un mon- tement idiote », dit-il, et il croit pouvoir sieur avec une seule idée. Il se trouve que fonder là-dessus, comme tous les éduca- c'est mieux comme cela, mais à la façon teurs, l'assurance de sa construction. dont, dans le trait d'esprit, la métonymie Que nous montre le développement de sert à nous fasciner. Nous le voyons entrer l'histoire ? Cela pourrait s'appeler « COM- dès le début avec l'obsession de n'être ment l'esprit vient aux filles ». Elle est prise pas cornard. C'est sa passion principale. en sorte toujours intact. Tout ce qui s'est bonne femme, et il a d'ores et déjà posé aux mots du personnage du petit jeune C'est une passion comme une autre. passé durant la comédie est passé sur lui le « Tu es ma femme ».C'est même pour homme. Cet Horace entre en jeu dans la Toutes les passions s'équivalent, toutes comme l'eau sur les plumes d'un canard. cette raison qu'il entre dans une telle agi- question, quand, dans la scène majeure sont également métonymiques. C'est le L'École des femmes se termine par un Oh ! tation quand il voit que ce cher ange va où Arnolphe lui propose de s'arracher la principe de la comédie de les poser com- d'Arnolphe, et pourtant Dieu sait par lui être ravi. Car au point où il en est, dit- moitié des cheveux, elle lui répond tran- me telles, c'est-à-dire de centrer l'atten- quels paroxysmes il est passé. il, elle est déjà sa femme, il l'a déjà ins- quillement — « Horace, avec deux mots, tion sur un ça qui croit entièrement à son J'essayerai de vous rappeler brièvement taurée socialement comme telle, et il a en ferait plus que vous ». Elle ponctue objet métonymique. Il y croit, cela ne ce dont il s'agit. Arnolphe a donc remar- résolu élégamment la question. ainsi parfaitement ce qui est présent tout veut pas dire qu'il y soit lié, car c'est aussi qué une petite fille pour son << air doux et C'est un homme qui a des lumières, dit au long de la pièce, à savoir que ce qui lui une des caractéristiques de la comédie posé, qui m'inspira de l'amour pour elle son partenaire, le nommé Chrysalde, et est venu avec la rencontre du personnage que le ça du sujet comique quel qu'il soit, dès quatre ans ». Il a donc choisi sa petite en effet, il a des lumières. Il n'a pas besoin en question, c'est précisément qu'il dit

12 13 Danielle Ajoret, jean Nleyer, mise en scène de Jean Meyer, 1959. © Collection Comédie-Française. des choses spirituelles et douces à en- L'amour, c'est là le point auquel je dis tendre, à ravir. Ce qu'il dit, elle est bien que se situe le sommet de la comédie incapable de nous le dire, et de se le dire classique. L'amour est ici. Il est curieux à elle-même, mais cela vient par la parole, de voir à quel point l'amour, nous ne le c'est-à-dire par ce qui rompt le système percevons plus qu'à travers toutes sortes de la parole apprise et de la parole éduca- de parois qui l'étouffent, de parois roman- tive. C'est par là qu'elle est captivée. tiques, alors que l'amour est un ressort La sorte d'ignorance qui est une des essentiellement comique. C'est précisé- dimensions de son être est simplement liée à ceci, que pour elle il n'y a rien ment en ceci qu'Arnolphe est un véri- d'autre que la parole. Quand Arnolphe lui table amoureux, beaucoup plus authenti- explique que l'autre lui a embrassé les quement amoureux que le dénommé mains, les bras, elle demande « Y a-t-il Horace, qui est, lui, perpétuellement autre chose ? », elle est très intéressée. vacillant. Le changement de perspective C'est une déesse-raison, cette Agnès. romantique qui s'est produit autour du Aussi bien le mot de raisonneuse vient-il terme de l'amour fait que nous ne pou- à un moment suffoquer Arnolphe quand vons plus si facilement le concevoir. C'est il lui reproche son ingratitude, son un fait : plus la pièce est jouée, plus manque de sentiment du devoir, sa trahi- Arnolphe est joué dans sa note d'Ar- son, et qu'elle lui répond avec une admi- nolphe, et plus les gens fléchissent et se rable pertinence — « Mais qu'est-ce que disent : « Ce Molière si noble et si pro- je vous dois ? Si c'est uniquement de fond, quand on vient d'en rire, on devrait m'avoir rendue bête, vos frais vous seront en pleurer ». Les gens ne trouvent pres- remboursés ». que plus compatible le comique avec Nous nous trouvons ainsi au départ l'expression authentique et submergeante devant le raisonneur en face de l'ingénue, de l'amour comme tel. Pourtant, l'amour et ce qui constitue le ressort comique, c'est que dès que l'esprit est venu à la fille, est comique, quand c'est l'amour le plus nous voyons surgir la raisonneuse devant authentiquement amour qui se déclare et le personnage qui, lui, devient l'ingénu, qui se manifeste. car dans des mots qui ne laissent aucune ambiguïté, il lui dit alors qu'il l'aime, et il Jacques Lacan, le lui dit de toutes les façons, et il le lui extrait du Séminaire. Liure V dit au point que la culmination de sa (texte établi par Jacques-Alain Nlillcr) Éditions rio Seuil (1998) déclaration consiste à lui dire à peu près race si tu le veux à l'occasion. » En fin de être cornard, ce qui était son départ prin- ceci — « 'lb feras très exactement tout ce compte, le personnage renverse jusqu'au cipal dans l'affaire, plutôt que de perdre que tu voudras, tu auras également Ho- principe de son système, il préfère encore l'objet de son amour.

14 15 La Querelle de l'École des femmes

Françoise Delille, Aimé Clariond, 1942.© Collection Comédie-Française.

Le succès de l'École des femmes à sa créa- réponse aux attaques ; sa troupe reçoit tion par la troupe de Molière, en 4000 livres du roi et lui-même une pen- décembre 1662, fit naître une violente sion de 1000 livres. Molière fait jouer le polémique qui dura jusqu'en 1664. Tout 1 cr juin 1663 la Critique de l'École des au long de sa carrière, Molière fut en femmes, répondant aux attaques en faisant butte à des attaques diverses dirigées rire aux dépens de ses détracteurs : comé- contre lui par des auteurs concurrents, diens et auteurs jaloux, courtisans ridi- des comédiens rivaux de l'Hôtel de cules, hypocrites et faux dévots... Bourgogne, des grands personnages et Donneau de Visé répond et fait publier des groupes influents comme celui des anonymement Zélinde, ou la Véritable dévots. Critique

16 17 L' 1;:cole des femmes à la Comédie-Française

Renée Faure, Fernand Ledoux, 1937 © Collection Comédie-Française. Première grande comédie de Molière entiè- ce rôle jusqu'à sa retraite. Il fut interprété de rement originale en cinq actes et en vers, l'É- façon marquante notamment par M'' Doligny cole des femmes fut créée au théâtre du Palais- (1766), M 5 Mars (1799), M'' Bourgoin (1801), Royal le 26 décembre 1662, et souleva une Émilie Dubois (1853), Suzanne Reichenberg double réaction : heureuse de la part du (1868), Berthe Bovy (1922), Danielle Ajoret public qui lui réserva le plus grand succès de (1959). la carrière de l'auteur, prétexte à des attaques La mise en scène marquante de Jean-Paul nombreuses de la part de ses détracteurs. Roussillon à partir du 7 mai 1973 était l'avant- Molière tira le sujet de sa pièce d'une nou- dernière présentation de l'École des femmes à la velle de Paul Scarron, la Précaution inutile, et Comédie-Française. Elle réunissait, dans des s'inspira également de Boccace et des Facé- décors et costumes de Jacques Le Marquet, tieuses Nuits de l'Italien Straparole. À la création, / Michel Aumont (Arnolphe), Isa- Molière tenait le rôle d'Arnolphe, M n ' de Brie belle Adjani (Agnès), Raymond Acquaviva / étant Agnès ; les autres rôles étaient tenus par Michel Duchaussoy (Horace), Jean-Paul La Grange (Horace), L'Espy (Chrysalde), Moulinot (Alain), Denise Gence (Georgette). Brécourt (Alain) et M'"° La Grange (Geor- La dernière présentation de la pièce date gette). La pièce fut jouée 112 fois entre 1662 du 17 décembre 1983, couplée avec la Critique et 1680. de l'École des femmes, dans une mise en scène L'École des femmes entre au répertoire de la de Jacques Rosner, décors et costumes de Comédie-Française le 13 septembre 1680 ; à Max Schoendorff, avec Jean Le Poulain (Ar- ce moment-là, la distribution des rôles était nolphe), Nathalie Bécue (Agnès), Gérard Gi- vraisemblablement la suivante : Rosimond roudon (Horace), Jacques Sereys (Chrysalde), (Arnolphe), de Brie (Agnès), La Grange Guy Michel (Alain), Paule Noëlle (Geor- (Horace), Guérin (Chrysalde), Bcauval (En- gette), Jacques Destoop (Enrique), Louis rique), Hubert (Oronte), Brécourt (Alain), Arbessier (Oronte), Yves Gasc (le Notaire). M il' La Grange (Georgette). Hors Comédie-Française, il convient de ci- Après Molière qui jouait Arnolphe en ter les interprétations marquantes de Lucien « extravagant ”, le rôle fut repris par Guitry, en 1924, de Louis Jouvet face à Rosimond, puis Baron. Duchemin, des Madeleine Ozeray (1936) puis à Dominique Essarts, Bonneval jouaient un Arnolphe fran- Blanchar (1946) dans sa propre mise en scène chement comique, tandis qu'au XIX' siècle, la au Théâtre de l'Athénée, ainsi que celle de tendance s'inverse, avec Provost (1831) ou Georges Wilson (TNP, 1959). Plus récem- Got (1873). Au xx c siècle, on notera les inter- ment, on rappellera les mises en scène prétations de Fernand Ledoux (1935), Jean d' (Théâtre de l'Athénée, 1978) Meyer (1959). Agnès, face à Arnolphe, est un avec Didier Sandre, de Bernard Sobel rôle traditionnellement réservé aux débuts, (Théâtre de Gennevilliers, 1985) avec mais il fut parfois interprété par de grandes Philippe Clévenot, de Marcel Maréchal Carré. La pièce fut réalisée à deux reprises Molière, l'École des »mies a été représentée actrices ayant largement dépassé l'âge du (Théâtre de la Criée, , 1988), de pour la télévision, par Jean Fléchet, en 1966, 1586 fois à la Comédie-Française à ce jour. personnage. Ce fut le cas de la première titu- Jean-Luc Boutté (Théâtre des Célestins, et en 1973 par Raymond Rouleau. laire, M'' de Brie, réclamée par le public dans Lyon, 1992) avec Jacques Weber et Isabelle Sixième parmi les pièces les plus jouées de Odile Faliu

18 19 l'Obériou-Elizaviéta Bain de Da- Claude Chestier Pascale Robin Marie-Christine Soma Emmanuel Dandin niil Harms en 1993 (texte inédit Après avoir exercé la profession Plasticienne de formation, Pas- Éclairagiste depuis 1981, Marie- Né en 1975, il poursuit des études de l'avant-garde russe des an- de paysagiste, il travaille pour le cale Robin travaille comme cos- Christine Soma travaille pour le musicales à l'Ecole nationale de nées 30) ; le Jeune Homme de théâtre avec le même souci d'y tumière pour la danse et le théâtre, la danse, l'opéra et pour musique de Gennevilliers. Il étu- Jean Audureau au théâtre de la combiner la matière et l'illusion. théâtre. des expositions. Elle a éclairé die successivement le piano, le cor, Commune à Aubervilliers en Il a travaillé notamment avec : Pour la danse, elle collabore des chorégraphies de Gene- le chant, et s'initie à la composi- 1994 ; C'est beau de Nathalie Sar- Michel Simonot pour Juste une avec Odile Azagury, Jackie Taf- viève Sorin et de Catherine tion dès l'âge de treize ans avec raute au CNSAD ; Reviens à toi feuille de van, d'après le journal de fanel, Claire Servant et réalise Diverrès et collabore depuis Bernard Cavanna. (encore) de Gregory Motton à Kathleen Mansfield, à la Maison aux côtés de Rudy Sabounghi 1988 avec le groupe Ilotopie. Il écrit notamment un concerto l'Odéon-Théâtre de l'Europe en de la culture d'Amiens (1985), des costumes pour l'opéra du Elle travaille avec des met- pour piano et orchestre, Créé en 1994. Cargaison de Michel Simonot au Rhin et pour Anne Teresa De teurs en scène tels que Alain avril 1991 par l'orchestre du Depuis 1991, il participe régu- Théâtre d'Evreux (1992), Rouge Keersmaeker. Dernièrement elle Fourneau, Alain Maratrat, Ghis- conservatoire de Gennevilliers 0 lièrement aux travaux de l'Aca- nocturne au Fort de Dugny a travaillé avec la Compagnie laine Drahy, François Rancillac, sous la direction de Jean-Louis démie expérimentale des théâ- (1996) ; Michel Valmer pour l'île Régine Chopinot pour les Quatre Marie Vayssière, Jean-Gabriel Forestier. Éric Vigner tres où il a travaillé avec Anatoli au trésor d'après Stevenson Saisons de Vivaldi. Nordmann et Philippe Macaigne. Depuis, plusieurs de ses pièces Vassiliev, Yoshi Oïda, Luca Ron- (1986) ; Monique Hervouêt pour Pour le théâtre, elle crée des En 1991, elle a éclairé la mise ont été créées dont certaines par Né à Rennes en 1960, plasticien coni ; et à l'invitation de Peter les Travaux et les jours de Michel costumes pour Robert Girofles, en scène de Jérôme Deschamps l'Ensemble Ars Nova : Copeaux de formation, Eric Vigner suit Brook il travaille à un atelier de Vinaver (1990) ; la Surprise de Jean-Louis Hourdin, Gérard et Mach Makeïeff des Brigands d'angles (1994), composition pour une formation théâtrale au recherche sur la mise en scène. Panmur de Marivaux (1992), Trois Vemay. Auprès de Claude Ches- d'Offenbach à l'Opéra d'Amster- voix et ensemble instrumental, en conservatoire de Rennes, puis à En 1995, il est nommé direc- Hommes dans un bateau de Jerome tier, elle participe aux créations dam et à l'Opéra Bastille. collaboration avec le poète Gilbert l'école de la rue Blanche et au teur du Centre dramatique de K. Jerome (1993), Apprendren rire de Monique Hervouêt, Ghislaine Récemment, Marie-Christine Bourson (soliste Isa Lagarde) et Conservatoire national supérieur Bretagne à Lorient et y a présen- sans pleurer de Kurt 'Incholsky Drahy, Marie Tikova, Arthur Soma a réglé les éclairages entre Sources (1995), composition pour d'art dramatique. Il y réalise sa té depuis : l'Illusion comique de (1996) ; Ghislaine Drahy pour les Nauzyciel et travaille avec Eric autres des spectacles Électre quatre cors et ensemble instru- première mise en scène, la Place ; Brancusi contre Suppliantes d'Eschyle (1993), la Vigner depuis 1995. d'Hugo von Hofmannsthal, mise mental. royale de Corneille (1988), et États-Unis au Festival d'Avi- Place royale de Pierre Corneille en scène de Michel Cerda, En 1996, il compose la musique comme acteur joue sous la direc- gnon puis au Centre Georges- (1994), Donintine de Besnik Mus- Phèdre de Racine, mise en scène du film Brancusi, commande du tion de Jean-Pierre Miguel, Pompidou à Paris (1996 ; avec le tafaj (1997). d'Éric Lacascade, le Festin d'après Centre Georges-Pompidou. En Christian Colin, Brigitte Jaques groupe XXX de l'école du TNS, Il rencontre Éric Vigner en Robespierre, mise en scène 1998, il est l'auteur d'un opéra avec laquelle il partagera l'aven- il anime un atelier de recherche 1991, et coréalise avec ce dernier d'Alain Milianti et leJlaladeima- pour jeune public commandé par ture d'Elvire Jouvet 40 aux côtés sur Marion Delorme de Victor les scénographies de la Maison ginaire de Molière, mise en scène le Capitole de Toulouse, qui sera de Philippe Clévenot et Maria Hugo (1997), il dirige également d'os de Roland Dubillard (1991), d'Arthur Nauzyciel. représenté à partir de février 2000. de Medeiros, et au cinéma, il Lambert Wilson dans le Funam- la Pluie d'été de Marguerite Duras tourne avec Philippe de Broca, bule de (1997) et pré- (1993), Reviens n toi (encore) de Benoît Jacquot, Maria de Medei- sente Toi coui; moi jardin de Gregory Motton (1994), puis ros. Jacques Rebotier (1998), Marion signe les scénographies de Baja- Animé par le désir de créer un Delorme de Victor Hugo (1999). zet de Racine au Théâtre du groupe de recherche théâtrale, il Avec les Comédiens-Français Vieux-Colombier (1995), l'Illu- fonde la Compagnie Suzanne M. il a mis en scène Bajazet de Ra- sion comique de Corneille (1996), la Mai- et met en scène en 1991 cine au Théâtre du Vieux-Co- Brancusi contre États-Unis (1996), son d'os de Roland Dubillard. lombier (1995). Marion Delorme de Victor Hugo Créé dans une usine désaffectée (1998). à Issy-les-Moulineaux, ce spec- Complices avec Pascal Robin tacle sera repris dans le cadre du depuis 1992, ils viennent de réa- Festival d'Automne dans les liser ensemble les décors et les fondations de l'Arche de la Dé- costumes du Malade imaginaire ou fense. les Silences de Molière mis en scène Depuis, poursuivant son tra- par Arthur Nauzyciel au Théâtre vail de formation et de recherche de I ,orient, et Jeux d'Amour-« Ma- avec de jeunes acteurs, il a mis rivaux Barthes mis en scène par en scène : le Régiment de Sambre- Marie Tikova au Théâtre Jean- et-Meuse en 1992 au Quartz de Vilar à Vitry. Directeur de la publication, Jean-Pierre Miguel. Rédactrice en chef, Florence Castera. Brest ; la Pluie d'été de Margue- Secrétaire de rédaction, Thomas Kopp. Ligne graphique, Claude Jaubert. Maquette, Marie Nocher. rite Duras au CNSAD ; le Soir de Imprimé par Blanchard fils, septembre 1999.

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