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Ciné-Bulles Le cinéma d’auteur avant tout

Entretien avec Michel Coulombe

Volume 6, numéro 2, novembre 1986, janvier 1987

URI : https://id.erudit.org/iderudit/34611ac

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Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique)

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Citer ce document Coulombe, M. (1986). Entretien avec Michel Deville. Ciné-Bulles, 6(2), 4–8.

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Ciné-Bulles : Vous passez, depuis près de 30 ans, d'un genre cinématographique à un autre. Il semble tout de même y avoir une continuité de Péril en la demeure au Pal­ toquet, l'abstraction en plus.

Michel Deville : Il va falloir que je change sérieusement avec le prochain film si ce que vous me dites est vrai ! Dans les deux cas je Michel Coulombe suis parti d'un roman policier, mais les deux films n'ont rien à voir et ne se ressemblent pas du tout, pas plus que les romans dont ils sont tirés. Je pensais d'ailleurs qu'il n'y aurait • L'homme << Au cinéma, aucun point de comparaison possible entre est discret, mo­ plus on a les deux. Je pensais aussi que le fait de tour­ deste. Rien à ner Le paltoquet en studio alors que Péril d'argent, moins voir avec la su­ en la demeure était en décor naturel ne perbe et le mor- on est vivant. » donnerait pas du tout la même image. Le dant de son paltoquet est en scope et c'est la première compatriote Jean-Jacques Beineix, invité, fois que je fais du scope. comme lui, au dixième Festival des films du monde. Michel Deville, auteur d'une ving­ taine de films, ne fait pas de grandes déclara­ Mes films ont tous un point commun et je ne tions sur sa vie, son oeuvre et ses projets. m'en suis aperçu qu'au quinzième ! Ils com­ En bon artisan, il parle simplement de son mencent tous par un gros plan. Je ne l'ai métier, avouant préférer la diversité à l'unité pas fait exprès. C'est une constante. J'aime Filmoc jraphie de de style, craignant la répétition comme d'au­ commencer par un gros plan parce qu'on ne Michel Deville tres, plus nerveux, la critique. On a vite fait sait pas qui c'est, alors après on peut reculer et commencer à expliquer. 1958 Une balle dans le de comprendre qu'il est réalisateur parce que canon (en collabo­ ce métier lui procure du plaisir — d'ailleurs il ration avec Charles Gérard) ne s'en cache pas — et aussi parce qu'il res­ La seule ressemblance que je vois entre mes 1960 Ce soir ou jamais pecte, admire et choie les acteurs, matériau deux derniers films c'est que Péril en la 1961 Adorable cinématographique auquel il accorde la plus demeure s'échappait de la réalité et que là, menteuse 1962 A cause, à cause grande attention. La seule présence à ses avec Le paltoquet, je m'en échappe encore d'une femme côtés de Maruschka Detmers, pourtant très plus. Je n'ai jamais fait de film réaliste. J'ai 1963 L'appartement effacée, tout au long de l'interview, le trou­ voulu raconter cette histoire en studio pour des filles ble, lui qui a tout de même dirigé Marina ne pas avoir les contraintes réalistes habituel­ 1964 1965 On a volé la Vlady, , , les, tout ce décor qui existe et qu'on ne peut Joconde , , Michèle pas enlever. Le tournage en studio multiplie 1966 Martin soldat Morgan, Brigitte Bardot, Nicole Garcia, tout de suite par deux l'équipe technique. 1967 Benjamin ou les mémoires d'un et , lui qui vient D'habitude, j'ai 20 personnes, là j'en avais puceau de régler, avec une remarquable maîtrise de 40. Le paltoquet, qui a coûté 15 millions 1968 Bye. bye Barbara la mise en scène, un désarçonnant octuor de francs, est mon film le plus coûteux. 1969 L'ours et la poupée 1970 Raphaël ou le pour acteurs de talent, Le paltoquet, film débauché ludique, élégant, inventif et délicieusement Ciné-Bulles : Préférez-vous travailler avec 1972 La femme en bleu absurde. un petit budget ? 1973 Le mouton enragé 1976 L'apprenti salaud 1978 Le 1979 1981 1983 La petite bande 1984 Les capricieux (Télévision) ^BULLES 1985 Péril en la demeure 1986 Le paltoquet 4 Entretien avec Michel Deville

Michel Deville : J'aime bien que mes films Les comédiens, plus on a envie de les avoir ne coûtent pas trop cher, pour être libre. Fina­ pour un film et plus on est ambitieux, plus lement, c'est ma liberté que j'achète. Au on a envie de leur proposer quelque chose cinéma, plus on a d'argent, moins on est de formidable. Il y a des comédiens avec qui vivant. Parce que plus on a d'argent, plus on j'ai envie de tourner depuis 15 ans et cela ne est responsable de cet argent. Pas possible s'est pas produit parce que j'attends le rôle de s'amuser parce que cela devient trop des rôles pour eux. sérieux. Quand un film coûte moins cher, on vous laisse jouer. Pour tous mes films je Ciné-Bulles : Alors, dès la scénarisation, prévois tout, pour être davantage libre de tra­ vous pensez à des comédiens bien précis ? vailler avec les comédiens, de les choyer puis­ que la technique est résolue d'avance. Michel Deville : Non. Dès que cela est fini, je pense à des envies. Alors quelquefois, il y « J'aime bien les personna­ ges qui se détachent, s'échap­ Ciné-Bulles : Rêviez-vous depuis longtemps a un acteur d'un côté et un personnage de pent du quotidien, 'prennent de tourner avec Jeanne Moreau ? l'autre et, si j'ai très envie de l'acteur, je des paris, acceptent de vivre m'arrange, je me dis que ce n'est peut-être autrement, qui marchent sur un fil. et refusent allègrement Michel Deville : Je l'ai connue quand j'étais pas l'acteur idéal mais que c'est encore mieux d'être tragiques. Je n'aime assistant, tout à fait à mes débuts. Elle n'était parce que justement il y aura un décalage. pas les choses sérieuses, je Le contre-emploi est toujours voulu. Quel­ n 'arrive pas à me considérer elle-même pas encore une vedette et, à l'épo­ tout à fait comme un adulte » que, je m'étais dit : « Quand je serai met­ quefois le décalage entre ce qui est écrit et (Michel Deville. Positif teur en scène, je tournerai avec elle » . En ce qu'apporte l'acteur enrichit de beaucoup n° 307. septembre 1986. me disant qu'elle ne serait peut-être pas le personnage. Un tel est parfait dans les com­ p. 23) connue. Mais elle était tellement drôle, telle­ missaires de police, alors il ne m'amuse pas ment belle et tellement intelligente que c'était du tout pour le rôle du commissaire de police. évident, elle ne pouvait pas ne pas devenir vedette. Oui, c'était presqu'un rêve, pas Ciné-Bulles : Il y a un côté très ludique d'enfant, mais de débutant. dans vos derniers films. Vous jouez avec le

Jeanne Moreau, Le palto­ quet

Vol. 6 n° 2 Entretien avec Michel Deville

spectateur et les conventions. Allez-vous dans René Belletto, l'auteur de Sur la terre les salles voir la réponse au jeu ? comme au ciel dont est tiré Péril en la demeure, n'aurait pas écrit le film comme Michel Deville : Un petit peu. À une avant- je l'ai fait, mais il m'a dit, ce n'est pas grave, première du Paltoquet, au bout d'un quart j'ai fait un roman, vous faites un film. J'avais d'heure, un couple pas loin d'où j'étais s'est envie de faire un film un peu erotique, de levé en disant : « On se moque de nous » et montrer une aventure amoureuse comme on ils sont partis. Ils ne sont pas entrés dans le ne le fait pas d'habitude en racontant le jeu, ils ont refusé les règles. Heureusement, moment juste avant le premier baiser, l'at­ les autres, la majorité, sont restés et se sont tente du premier baiser. J'ai lu Sur la terre amusés. comme au ciel et j'y ai vu la possibilité d'amener mes idées. La première scène entre Ciné-Bulles : Vous avez adapté des poli­ Nicole Garcia et se ciers, vous attaqueriez-vous à des classiques- résume à trois lignes dans le livre. J'en ai fait de la littérature ? une des scènes les plus longues du film. « J'ai simplifié l'intrigue de Michel Deville : Il ne faut pas toucher aux Quand j'écris, j'ai toujours le roman devant On a tué... pour mettre en grandes oeuvres de la littérature, parce qu'on moi, même si je le triture. Il peut même évidence la ronde des sus­ pects, me servir du plateau ne peut pas s'amuser avec, c'est sacrilège. m'arriver de prendre, par hasard, une répli­ comme d'un échiquier, un Alors, qu'est-ce qu'on fait ? De la télévision, que du livre. parcours obligé. J'ai aussi bousculé la solution de une mise en images, une illustration pas amu­ l'énigme, en la faisant rebon­ sante ; ce n'est plus un film mais une mise Ciné-Bulles : Par hasard ! dir une fois de plus J'ai déve­ en images d'un roman. loppé le personnage de Lotte, gardé les autres per­ On m'avait proposé l'adaptation d'Un amour Michel Deville : Les répliques d'un livre sonnages, avec leur fonction de Swann, comme à beaucoup de mes ne sont jamais bonnes au cinéma. Mais il peut en titre. Et inventé le Palto­ y avoir trois mots drôles, je les prends. Au quet et la Tenancière. La pre­ confrères. Le piège est à tous les niveaux. Il mière idée était celle d'un n'y a pas d'histoire, il y a un style et si on cinéma, il faut une densité, une brièveté. vieux balayeur oublié là après Dans mes dialogues, il y a le moins d'explica­ la fermeture. La seconde garde une anecdote, on réduit beaucoup. Il d'en faire le patron déchu de faut donc écrire autre chose, mais on n'a pas tions, le moins de mots possible alors que l'usine » le droit, ce n'est pas bien. Il aurait fallu trou­ dans un livre on explique. Les dialogues ne (Michel Deville. Positif. ver une équivalence d'images au monde de sont pas là pour expliquer l'histoire, mais pour n° 307. septembre 1986. masquer un peu la vérité des gens, comme p. 19) Proust. J'ai essayé de le faire une fois avec pour Eaux profondes. dans la vie. On dit des choses qui ne sont Cela m'a amusé d'essayer de trouver juste­ pas essentielles mais qui laissent deviner qu'il ment l'équivalence de son univers particu­ y a quelque chose de plus important der­ lier, un univers trouble. Elle dit avec des mots rière. ce que j'ai essayé de dire avec des images, des musiques inquiétantes. Cette musique On peut aussi partir d'un sujet original. J'es­ poussait à commettre des meurtres. J'ai saie, de temps en temps. Pas film sur film. changé quelques petites choses dans l'intri­ Quand je fais tout moi-même depuis l'idée gue, presque par esprit de fidélité. Un petit originale, je ne peux pas recommencer exemple, la fin du roman, contrairement à l'année suivante. Alors j'ai besoin d'un scéna­ celle de la plupart des romans de Patricia riste ou d'un livre. Le livre, et plus encore le Highsmith, est banale. J'aimais mieux être roman policier, me donne une base, une infidèle au livre pour être fidèle à l'auteur, construction sans laquelle la tentation serait infidèle à la lettre pour être fidèle à l'esprit. grande de m'en tenir au jeu.

Vol. 6 n° 2 3ULLES 6 : :

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Le paltoquet Ciné-Bulles : Vous n 'êtes pas de ceux qui Michel Deville : Tout le reste est prévu, mettent des années à préparer un film. sauf cela. Même dans un concert, tout est éc!*, les soupirs, etc., mais il y a quand Michel Deville : Non, ce serait ennuyant. même la part de l'interprétation, de la spon­ Il faut changer de jeu. Je tourne vite. On a tanéité, la magie du moment. Autrement cela mis seulement six semaines pour tourner Le pourrait être un peu froid et même mécani­ paltoquet. Le travail de précision se fait que. Quand on tourne, je fais très peu de avant, pas tellement avec les acteurs mais avec répétitions, si le caméraman me demande la technique. Les mouvements des acteurs de répéter, je dis très bien, mais on filme la sont dessinés pour justement ne pas avoir à répétition, on verra ensuite. Et, très souvent, chercher sur le plateau. Je vois les comédiens on garde la prise qui est meilleure parce avant mais séparément, un par un. Je fais qu'inattendue. Je veux que la partie techni­ une lecture sans jouer, pour parler de la scène que soit bien huilée. Chez les acteurs, il peut en général, du personnage, des costumes. y avoir un petit chevauchement, comme dans Je suis tout à fait disponible, je fais ce que la vie. Je dépasse rarement trois à quatre me demandent les comédiens. Avec Michel prises. Après, les acteurs commencent à ne Piccoli, on a vaguement lu. Il n'aime pas, plus savoir ce qu'ils disent, à ne plus écouter alors on se parle. l'autre. J'ai remarqué aussi qu'à partir de la cinquième prise sur un plateau, les incidents techniques commencent : il y a une secousse Ciné-Bulles : On a pourtant l'impression dans la caméra, le perchman commence à que la partition du Paltoquet est minutée, se fatiguer, etc. Dans les premières prises, il réglée dans ses moindres détails. y a comme un petit miracle.

^BULLES Vol. 6 n° 2 7 Entretien avec Michel Deville

Ciné-Bulles : Vous ne changez jamais dant, il est comme moi très près de ses d'idée sur le plateau ? acteurs, d'ailleurs il a une troupe d'acteurs. Moi, je change d'acteurs beaucoup plus, c'est Michel Deville : Non. On perfectionne à plus amusant. Les acteurs sont des gens fas­ la dernière seconde et il peut m'arriver de cinants. Il y a toujours quelque chose à faire grouper deux plans. J'ai travaillé longtemps avec eux. avant le tournage pour arriver aux meilleu­ res solutions. Comme en musique, il y a des Le plaisir, c'est d'aller au théâtre et dans les thèmes qui reviennent, qui se répondent, cours d'art dramatique pour trouver des c'est donc prémédité. Si je change, je peux acteurs et les prendre au tout début de leur casser quelque chose. Dans Le mouton carrière. Les réalisateurs vont peu dans les enragé, il y avait plusieurs scènes qui se pas­ cours d'art dramatique. Maintenant, il y a la saient dans un café. Le personnage princi­ méthode américaine de casting, c'est pal ne bougeait pas d'une table de café et un lamentable. Je préfère aller dans les écoles ami venait. Il le guidait à distance. J'avais de théâtre et, tout d'un coup, avoir une petite décidé de faire 13 découpages différents de idée, un fragment de scène qui me donne cette scène pour que cela ne soit pas mono­ une idée de personnage. Par exemple, j'ai tone, il fallait donc y penser à l'avance. Cha­ fait un film avec Marina Vlady, Adorable que découpage était différent, donc je ne menteuse, alors que, très belle, elle jouait pouvais pas improviser. des rôles très immobiles, lents. Hors, j'avais vu une photo d'elle où elle riait et cela m'a donné l'idée de faire un film uniquement pour Ciné-Bulles : Vous vous sentez près de quel elle, une comédie très gaie. autre réalisateur français ? Ciné-Bulles C'est le plaisir extraordinaire Michel Deville : D'Eric Rohmer et d'Alain de la création. Cavalier, qui fait des films très attachants. Eric Rohme4 joue un peu moins avec la techni­ Michel Deville Le paltoquet qui tire les que que moi, cela l'intéresse moins. Cepen­ ficelles... I

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