Document generated on 10/02/2021 1:27 p.m.

Séquences La revue de cinéma

Manhattan Murder Mystery Maurice Elia

Number 166, September–October 1993

URI: https://id.erudit.org/iderudit/59518ac

See table of contents

Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

Explore this journal

Cite this review Elia, M. (1993). Review of [Manhattan Murder Mystery]. Séquences, (166), 58–59.

Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1993 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ donner du souffle et de la Avons-nous affaire à un film vraisemblance à son histoire d'aventures avec des passages n'aboutissent pas hélas! à la grande d'humour dans la grande tradition de fresque historique annoncée. Voici en Jean Marais ou de Gérard Philipe ou à cinq points, l'analyse d'un ratage ou un film comique? Jamais le scénario comment un bon sujet (l'histoire est ne se décide et nous passons d'un excellente) peut accoucher d'un genre à l'autre sans savoir si nous mauvais film. devons craindre pour le héros ou nous Inspiré du livre de Michel Folco, le amuser de ses déboires. Devant la scénario s'étire en longueur dans une peur ou le rire, les images prennent un suite interminable de rencontres autre sens et nos réactions diffèrent. pittoresques au lieu de se concentrer C'est l'erreur la plus grave de Fechner. Les moines que sur le personnage principal. La Il aurait dû clairement situer son film rencontre conséquence est que, par moments, dans un genre et s'y tenir. Fechner et le fossé entre ses intentions Justinien certains personnages secondaires Sans inspiration et parfois à la premières et l'oeuvre finie est énorme. passent au premier plan et que nous limite du plagiat (merci Jean-Jacques Il devait rêver du Bossu avec Jean nous surprenons à porter plus d'intérêt Annaud), la mise en scène de Fechner Marais, mais il s'est retrouvé avec un au drame que vit le geôlier (lorsque le n'arrange rien. Tous les clichés film proche des Quatre Chariots baron lui demande de devenir possibles sur la dureté de l'époque Mousquetaires (qu'il a produit en bourreau) qu'à Justinien qui croupit en nous sont assenés: rats dans les 1974). Souhaitons-lui d'avoir un autre cellule. Ce transfert d'identification cellules, tortures, exécutions coup de foudre pour un roman, mais nuit grandement au personnage du publiques, etc. Comme pour la cette fois-ci de mieux maitrîser son héros auquel il est dès lors difficile de musique et la bande son, Fechner a le sujet et de ne pas rater son objectif. s'intéresser puisque moins défaut de la surenchère pour arriver à Olivier Lefébure du Bus passionnant. l'effet voulu, alors que la sobriété est En revanche, la fin et la résolution plus efficace que l'excès. A trop vouloir faire grand public, Fechner du mystère qui entourait la naissance LE BÂTARD DE DIEU — Réal.: Christian de Justinien sont expédiées en oublie de porter un regard personnel Fechner — Scén.: Christian Fechner, Michel quelques minutes. Les événements se sur son sujet. Ses réflexions sur Folco, d'après Dieu et nous seuls pouvons de l'époque se trouvent dès lors noyées Michel Folco — Phot.: Claude Agostini — Mus.: précipitent et les confidences Germinal Terras — Son: Pierre Escoffier — abondent sans que l'on comprenne dans les lieux communs et les Dec: — Cost.: — Int.: Pierre-Olivier Mornas pourquoi. Ce débalancement du magnifiques paysages de la Lozère (Justinien Trouvé), Hervé Ginioux (Justinien passent inaperçus. enfant), Ticky Holgado (maître Beaulouis, scénario a pour conséquence une geôlier), Bernard-Pierre Donnadieu (le père excessive lenteur du film durant 150 adoptif de Justinien), Henri Genès (le grand minutes, puis une précipitation S'il est un reproche que je ne vigilant), Didier Pain (le prévôt), Chick Ortega (Baldo Cabasson), André Julien (l'Empirique, incontrôlée durant les dix dernières pourrais toutefois pas faire au moine-médecin), Kathle Kriegel (Éponine minutes. réalisateur, c'est d'avoir économisé Coutouly), Patrice Valota (le baron Raoul), Si le scénario laisse à désirer par sur les décors. Des sommes Bernard Haller (le juge Cressayet), Roland Blanche (Galive), Jean-Claude Bouillaud (le manque de rigueur, les dialogues eux considérables ont visiblement été quéreur de Pardons), Claudine Baschet (la frisent souvent le ridicule. L'histoire se dépensées pour recréer le cadre de vie Margotte) — Prod.: Christian Fechner — France déroulant au XVIIe siècle, les des gens de l'époque. C'est bien, mais —1993 — 160 minutes — Dist.: C/FP. scénaristes ont cru bon de saupoudrer ce fut hélas! au détriment du casting. les dialogues de «point», «nenni», Les comédiens choisis sont tous de Manhattan Murder «moult» et autres termes de vieux second ordre (B.Haller, T.Holgado) ou français. Cette maladroite tentative de de troisième catégorie avec les Mystery vieillir les dialogues est naïve et de conséquences que cela entraîne. POUR plus gênante, car elle n'est pas faite Livrés à eux-mêmes, nous assistons à Sans en avoir trop l'air, Woody systématiquement et en l'espace de des numéros de cabotinage peut-être Allen vient de commettre son meilleur dix secondes, un personnage peut très savoureux mais jamais à propos. film depuis des lustres. Cet exploit, s'exprimer à deux niveaux linguis­ Dans ce contexte et malgré sa ainsi que la nature jubilatoire de sa tiques différents. Les personnages perruque d'heavy métalliste, Pierre réalisation dans Manhattan Murder perdent de leur crédibilité et des rires Olivier Mornas en Justinien adulte Mystery, s'avèrent d'autant plus fusent alors qu'il n'y a rien de drôle. s'en sort fort bien. surprenants qu'ils surviennent à un Autre problème majeur en relation Je doute que le résultat obtenu soit moment sombre de la vie personnelle directe avec les dialogues, le ton. celui que recherchait Christian du comique américain. Comme quoi

S S Séquences il est toujours bien dangereux et Sur le plan de la mise en scène, on d'oeuvre maintenant vieux de quinze souvent trompeur de psychanalyser un retrouve la même propension au jeu ans. créateur par le biais de son oeuvre. de miroirs, et au jeu tout court. La Johanne Larue D'emblée, ce qui charme ou réalisation de déborde déconcerte, selon le cas, dans d'énergie. De nouveau secondé par CONTRE Manhattan Murder Mystery c'est le à la cinématographie, Ce qui me dérange ? Simple: je suis degré de ludisme contenu dans la Allen privilégie la caméra à l'épaule et un peu las des répliques hachurées de trame narrative et la mise en scène les mouvements nerveux d'appareils Woody, de ses situations à peine conçues par Allen. Tout fonctionne à qui caractérisaient Husbands and alambiquées, de sa paranoïa deux degrés différents de lecture; une Wives. Non pas, cette fois, pour existentielle. Lorsqu'il demande à stratégie auquelle le cinéaste ne se donner au film l'allure d'un docu- (qui guette le voisin de prête pas souvent. drame, ou d'un reality show palier au milieu de la nuit) de Alors que la plupart de ses films télévisuel, mais bien pour transférer la retourner au lit, il le fait de manière si depuis expose sans vitalité névrotique de ses personnages insistante, si répétitive, ça en devient ambages les mille et une facettes de sa au niveau même de la forme. En fait, si fastidieux qu'on a envie de lui dire à Séquences a paranoïa affective et de son malaise on pourrait même dire que le style lui d'aller se coucher. déjà parlé de visuel de Manhattan Murder Mystery Orlando, aux existentiel, sa nouvelle comédie fait se Bien que, de film en film, son numéros 162, fondre son discours habituel dans les rend hommage à la réunion explosive, comportement fasse partie de sa p. 18 et 165, dédales narratifs d'un suspense et trop longtemps retardée, de Woody personnalité, des personnages qu'il p. 9, ainsi que policier. Autrement dit, Allen explore Allen avec l'indomptable boule de joue, pratiquement de son charme, il de Brother's Keeper, au ici la métaphore. C'est un modèle nerfs qu'incarne Diane Keaton. Dans semble que Woody se soit finalement no 161, p. 7. discursif bien connu des cinéastes qui un autre ordre d'idée, bien que l'on se englué dans ses propres thèmes qu'il s'expriment au sein de genres très rapproche encore plus de l'effet remue jusqu'au fond de la bouteille codifiés, comme le cinéma fantastique miroir, il faut aussi souligner le brio de sans se rendre compte qu'il finira par par exemple, mais ce n'est pas le la mise en scène déployée par Allen n'y trouver que la lie. Il nous avait modèle qu'emprunte d'habitude le dans l'affrontement final entre les habitué, presque gâté par des vaudeville bergmanien de Woody héros et le tueur. Pour son final, dialogues plus intelligents, des Allen. Or, le changement s'avère des Woody Allen a choisi de vampiriser, situations plus complexes. plus rafraîchissants. Surtout que le tout en la subvertissant, la fameuse Diane Keaton est un plaisir cinéaste pousse l'invention jusqu'à se scène du hall des miroirs dans The renouvelé à chaque film. Avec servir du McGuffin que représente Lady from Shanghai. La séquence se Woody, elle redevient Annie Hall, pour lui l'enquête criminelle pour déroule dans un vieux cinéma où l'on avec toilettes et maniérismes inclus. mesurer l'énergie sexuelle de ses projette le film de Welles. Derrière Après onze films avec en protagonistes. Ainsi, au lieu de l'écran, les personnages de Manhattan vedette, Woody osera-t-il à l'avenir concevoir une enfilade de scènes où Murder Mystery reprennent à leur nous présenter Annie à tous les coups? Diane Keaton et Alan Aida compte le drame qui oppose les Peut-être l'artiste a-t-il besoin de s'avoueraient maladroitement qu'ils se protagonistes de The Lady from tourner ce genre de film à cette sentent attirés l'un par l'autre (une Shanghai. Seulement, ici, le rôle de la époque troublée de sa vie. Car, avec approche mille fois éprouvée par femme fatale incarnée par Rita le retour d'Annie et de ses propres Allen), le spectateur découvre leur Hayworth est tenu par un don Juan insécurités, Woody semble chercher à désir grandissant par l'enthousiasme et bedonnant de soixante quelques mettre le spectateur de son côté en lui la fébrilité avec lesquels ils s'engagent années. Et vlan, messieurs ! Woody rappelant le bon vieux temps. tous deux dans cette aventure Allen, quoi que l'on puisse penser de L'inconditionnel de Woody (qui n'a policière extraconjugale. Une sa vie personnelle, vient de rectifier cependant pas avalé les décisions du aventure qui ne demeure platonique cinquante ans de misogynie juge à son endroit) est juste un peu qu'au sens propre. Dans le même hollywoodienne. Il le fait d'ailleurs fatigué. ordre d'idée, l'ineptie amoureuse du avec beaucoup de flair, en mettant un ^^____ Maurice Elia personnage qu'interprète le cinéaste soin incomparable à la composition se réfléchit dans la maladresse qu'il des cadrages et au montage presque MANHATTAN MURDER MYSTERY - Réal.: Woody Allen — Scén.: Woody Allen, Marshall démontre comme enquêteur... et le expérimental de cet affrontement final. Brickman — Phot.: Carlo di Palma — Mont. sex-appeal dominateur d'Angelica Le ballet visuel et auditif qu'il crée Susan E. Morse — Son: James Sabat — Dec Huston se mesure autant par la variété entre les extraits du film de Welles et Santo Loquasto — Cost.: Jeffrey Kurland — Int. Woody Allen (Larry Lipton), Diane Keaton de ses costumes de cuir noir que par le sien dépasse en audace et en (Carol Lipton), Alan Aida (Ted), l'assurance et l'autorité dont elle fait perfection cinématographique les plus (Marcia Fox), Jerry Adler (Paul House) — Prod.: preuve lorsqu'elle résout l'énigme. beaux plans de Manhattan, son chef- Robert Greenhut — États-Unis — 1993 — 108 minutes — Dist.: Columbia Tristar.

No 166— Septembre/octobre 1993 59