HATHOR DE DENDARA, PAKHET ET HATCHEPSOUT
PAR
SYLVIE CAUVILLE UMR 8167 Orient et Méditerranée CNRS – PARIS
Parmi toutes les processions qui rythmaient la vie religieuse de Dendara, organisées ou non dans l’enceinte elle-même, l’une d’elles traversait le Nil durant le mois de mechir et se rendait à Pakhet1 :
Faire la navigation d’Hathor vers Pakhet, le temple des sept Hathors, en ce mois. Pakhet évoque le Spéos Artémidos dans le seizième nome2, où fut vénérée la lionne Pakhet- Ourethekaou. Harsomtous, quant à lui, traversait aussi le fleuve pour se rendre à Khadi au premier jour des moissons. Enfin, la plus célèbre des « navigations » avait Edfou pour but et fournissait aux clergés des deux villes l’occasion de se réunir lors de plusieurs cérémonies. Les trois déplacements nautiques sont mentionnés à la fin de la grande nomenclature divine gravée à l’entrée de la salle hypostyle de Dendara ; au lieu de pꜢ ẖn, les scribes ont employé les mots pꜢ šm3 : Déplacement vers Khadi. Déplacement vers Edfou. Déplacement vers Pakhet. Le calendrier apollonopolitain cité ci-dessus mentionne un temple des sept Hathors ( )4 qui n’est pas attesté dans le seizième nome ; le temple d’Hibis, en revanche, situe à Dendara même le lieu d’implantation des sept Hathors (voir plus bas p. 19).
1 Calendrier ancien des fêtes de Dendara gravé dans la cour d’Edfou (Edfou V, 352,4) ; à cette époque, où le temple d’Hathor actuel n’était pas encore construit, une centaine de jours fériés jalonnaient l’année ; ils seront réduits à une tren- taine durant la période romaine. 2 E. Graefe, LÄ IV, 640-641 et H. Goedicke, LÄ V, 1138-1139. 3 Dend. IX, 32,14-15. Dans le LGG III, 107, 108, 110, les expressions sont enregistrées, par erreur, sous une entrée pẖr et non pꜢ šm ; l’expression indique un déplacement terrestre, notamment vers la nécropole, tout particulièrement pour la procession d’Harsomtous ; cela est vrai tant à Edfou qu’à Dendara (Edfou V, 352,9 et Dend. IX, 203,6). Le verbe « navi- guer » (ẖn) s’applique à une procession sur le fleuve ou sur le lac sacré. Les expressions employées dans les calendriers sont recensées par A. Grimm, Die altägyptischen Festkalender, 1994, p. 288-307. 4 Les rédacteurs ont usé avec bonheur de l’ambivalence de la lecture : la tête se lit « 7 », elle évoque aussi « la pre- mière » des Hathors ; voir les réflexions de J.-Cl. Goyon, La Magia in Egitto, 1987, p. 62.
Revue d’égyptologie 66, 1-20. doi : 10.2143/RE.66.0.3149543 Tous droits réservés © Revue d’égyptologie, 2015. 2 S. CAUVILLE
Le Spéos Artémidos
À environ deux kilomètres de Beni Hassan, un sanctuaire rupestre fut creusé par Hatchepsout5 ; la reine s’y rendit en personne, accompagnée de Thoutmosis et de Nefrourê. Par la suite, Thoutmosis fit marteler les cartouches de la reine. L’inscription d’Hatchepsout est célèbre par les données historiques qu’elle fournit et les notations pittoresques qu’elle renferme – ainsi des « adolescents dansant sur le toit » du temple de Cusæ dont les fonda- tions s’étaient effondrées après des inondations6. La reine restaure cet ancien sanctuaire d’Hathor, creuse celui de Pakhet et fait luxueusement reconstruire le temple de Thot sur l’autre rive du Nil (calcaire, albâtre, bronze et électrum). Un siècle et demi plus tard, Séthi Ier restaure le site du Spéos Artémidos et fait graver une nouvelle grande inscription commémorant son acte pieux ; en retour, Pakhet doit obtenir de Thot qu’il bénisse le règne du pharaon7. Séthi prolonge le décor établi par Hatchepsout et, comme celle-ci, reçoit le couronnement des mains d’Amon, en présence de Pakhet- Ourethekaou. On connaît la faveur dont Ourethekaou la Magicienne jouissait dans la sphère royale, et tout particulièrement dans la région thébaine ; Pakhet, quant à elle, commence à s’effacer, mais reste présente à Karnak – dans les Litanies à Ouaset8. La documentation de l’époque ptolémaïque fait encore état d’un temple de Pakhet : un prêtre était chargé du culte de « La Chatte vivante du Temple-de-Pakhet », ce qui fait réfé- rence à un cimetière de chats situé non loin du Spéos9. Pakhet, on le voit, disparaît pour ainsi dire de la documentation après le Nouvel Empire pour ne resurgir qu’à l’époque ptolémaïque10.
Pakhet la lionne
Pakhet n’est plus alors qu’une épiclèse illustrant la nature sauvage des déesses-lionnes : – Mehyt qui prend place dans Edfou, Tefnout, fille de Rê, la maîtresse de la puissance brutale, dont la violence est source de douleurs, Pakhet la grande – on s’enfuit devant la terreur qu’elle inspire –, la souveraine de tous les dieux (Edfou I, 459).
5 S. Bickel – J.-L. Chappaz, BSEG 12 (1988), p. 9-24 ; J.-L. Chappaz, Äg. Tempel-Struktur, Funktion und Programm (HÄB 37), 1994, p. 23-45 et Creativity and Innovation (SAOC 69), 2014, p. 157-171. 6 A. Gardiner, JEA 32 (1946), p. 43-56 ; nouvelle édition par J. P. Allen, « The Speos Artemidos Inscription of Hatshepsut », BES 16 (2002), p. 1-17. Voir aussi, sur le plan historique, H. Goedicke, The Speos Artemidos Inscription of Hatshepsut and related discussions, 2004. 7 H. W. Fairman – B. Grdseloff, JEA 33 (1947), p. 12-33. 8 W. Helck, MDAIK 23 (1968), p. 123 et 125. 9 Références dans S. Bickel – J.-L. Chappaz, op. cit., p. 11. 10 Voir les occurrences recensées par Chr. Leitz et al., LGG III, 28 et comparer avec la liste fournie pour Ourethekaou, LGG II, 493-498.
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– Menet, la maîtresse du prestige, celle dont la crainte qu’elle inspire est grande, Pakhet dont la flamme est douloureuse, qui anéantit les ennemis sur le billot auquel elle préside, qui consume leurs chairs par sa flamme (Edfou I, 314). – Tefnout, fille de Rê qui prend place dans Edfou, l’Œil de Rê, souveraine de tous les dieux, Pakhet la grande – on s’enfuit devant la terreur qu’elle inspire –, la maîtresse de la puissance brutale, dont la violence est source de douleurs (Edfou I, 125). – Tefnout, l’Uræus, Pakhet (El-Qala II, 111 no 231).
En tant que déesse autonome, Pakhet réapparaît à l’époque de Tibère (14-37 apr. J.-C.), à Philæ, dans la procession divine qui orne le soubassement du temple d’Arensnouphis ; elle est alors rattachée au nome supplémentaire de Chenes, dans la région orientale du Delta : Pakhet la grande, maîtresse de la Campagne-de-Chou, l’Œil de Rê11.
11 H. Beinlich, Photos der Preussischen Expedition 1 (SRaT 14), 2010, B0008. Attendu l’abondance des cultes relevant de la sphère héliopolitaine, il est permis de supposer que les rédacteurs utilisèrent des archives septentrionales. La déesse a été rattachée – artificiellement, me semble-t-il – à cette région, à cause du toponyme Sḫt-Šw, lequel impliquait la présence d’une déesse de même nature que Tefnout : Chou, le frère de celle-ci, va rechercher la Lointaine (dont le mythe est prédo- minant à Philæ). J. Tattko (Altäg. Enzyklopädien, 2014, p. 205) enregistre le vocable sous Sḫt-MꜢ῾t.
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Hathor maîtresse de Pakhet
À Edfou, Pakhet s’assimile aux déesses-lionnes, mais jamais à Hathor ; en revanche, Hathor maîtresse de Pakhet est intégrée dans l’inventaire des dieux de Dendara. (Edfou V, 346,7).
Dans le temple d’Hathor, à Dendara, La déesse possédait une statue (représentant une femme avec une couronne hathorique) : Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine, maîtresse de Pakhet, l’uræus sur la tête du rapace (Dend. VI, 77). Elle est représentée, rattachée à Pakhet/Pekheret12, dans plusieurs tableaux de Dendara ; – Temple d’Hathor, chambre des ancêtres, paroi sud, 3e registre (Dend. VII, 164) : Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine, maîtresse de Pakhet, la mère du dieu, la fille du Maître de l’Univers, qui apparaît dans le ciel sous la forme de l’Œil d’Atoum, qui illumine le pays de ses yeux, Maât la grande en son nom de Maât, la Savante pour l’éternité des années.
– Temple d’Hathor, kiosque du Nouvel An, colonne sud II (Dend. VIII, 48) : Hathor maîtresse de Pakhet.
– Temple d’Hathor, salle hypostyle, colonne III, côté ouest (Dend. IX, 104) : Un dieu spécialement créé par les prêtres tentyrites pour accompagner Pakhet se tient der- rière une Hathor-Tefnout. Il adopte l’iconographie d’Harsomtous solaire (homme coiffé du disque), originaire d’un lieu situé sur la rive est du Nil (Khadi ou Lieu-du-Pétale-de-lotus). Hathor la grande, maîtresse d’Héliopolis-féminine, l’Œil de Rê, Tefnout dont les fêtes sont nombreuses. L’Unique de Pakhet, le grand dieu qui prend place dans Héliopolis-féminine, le dieu divin qui resplendit avec le disque solaire.
– Temple d’Hathor, extérieur du naos, paroi est, 2e registre, tableau XIII (Dend. XII, 120-121) : Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine, maîtresse de Pakhet, c’est Tefnout, fille de Rê, la belle souveraine venue de Bouguem avec son frère Djed