DE DENDARA, PAKHET ET HATCHEPSOUT

PAR

SYLVIE CAUVILLE UMR 8167 Orient et Méditerranée CNRS – PARIS

Parmi toutes les processions qui rythmaient la vie religieuse de Dendara, organisées ou non dans l’enceinte elle-même, l’une d’elles traversait le Nil durant le mois de mechir et se rendait à Pakhet1 :

Fairelanavigationd’HathorversPakhet,letempledessept,encemois. Pakhet évoque le Spéos Artémidos dans le seizième nome2, où fut vénérée la lionne Pakhet- Ourethekaou. Harsomtous, quant à lui, traversait aussi le fleuve pour se rendre à Khadi au premier jour des moissons. Enfin, la plus célèbre des « navigations » avait Edfou pour but et fournissait aux clergés des deux villes l’occasion de se réunir lors de plusieurs cérémonies. Les trois déplacements nautiques sont mentionnés à la fin de la grande nomenclature divine gravée à l’entrée de la salle hypostyle de Dendara ; au lieu de pꜢẖn, les scribes ont employé les mots pꜢšm3 : DéplacementversKhadi. DéplacementversEdfou. DéplacementversPakhet. Le calendrier apollonopolitain cité ci-dessus mentionne un temple des sept Hathors ( )4 qui n’est pas attesté dans le seizième nome ; le temple d’Hibis, en revanche, situe à Dendara même le lieu d’implantation des sept Hathors (voir plus bas p. 19).

1 Calendrier ancien des fêtes de Dendara gravé dans la cour d’Edfou(Edfou V, 352,4) ; à cette époque, où le temple d’Hathor actuel n’était pas encore construit, une centaine de jours fériés jalonnaient l’année ; ils seront réduits à une tren- taine durant la période romaine. 2 E. Graefe, LÄ IV, 640-641 et H. Goedicke, LÄ V, 1138-1139. 3 Dend. IX, 32,14-15. Dans le LGG III, 107, 108, 110, les expressions sont enregistrées, par erreur, sous une entrée pẖr et non pꜢšm ; l’expression indique un déplacement terrestre, notamment vers la nécropole, tout particulièrement pour la procession d’Harsomtous ; cela est vrai tant à Edfou qu’à Dendara (Edfou V, 352,9 et Dend. IX, 203,6). Le verbe « navi- guer » (ẖn) s’applique à une procession sur le fleuve ou sur le lac sacré. Les expressions employées dans les calendriers sont recensées par A. Grimm, DiealtägyptischenFestkalender, 1994, p. 288-307. 4 Les rédacteurs ont usé avec bonheur de l’ambivalence de la lecture : la tête se lit « 7 », elle évoque aussi « la pre- mière » des Hathors ; voir les réflexions de J.-Cl. Goyon, La MagiainEgitto, 1987, p. 62.

Revued’égyptologie66, 1-20. doi : 10.2143/RE.66.0.3149543 Tous droits réservés © Revue d’égyptologie, 2015. 2 S. CAUVILLE

Le Spéos Artémidos

À environ deux kilomètres de Beni Hassan, un sanctuaire rupestre fut creusé par Hatchepsout5 ; la reine s’y rendit en personne, accompagnée de Thoutmosis et de Nefrourê. Par la suite, Thoutmosis fit marteler les de la reine. L’inscription d’Hatchepsout est célèbre par les données historiques qu’elle fournit et les notations pittoresques qu’elle renferme – ainsi des « adolescents dansant sur le toit » du temple de Cusæ dont les fonda- tions s’étaient effondrées après des inondations6. La reine restaure cet ancien sanctuaire d’Hathor, creuse celui de Pakhet et fait luxueusement reconstruire le temple de Thot sur l’autre rive du Nil (calcaire, albâtre, bronze et électrum). Un siècle et demi plus tard, Séthi Ier restaure le site du Spéos Artémidos et fait graver une nouvelle grande inscription commémorant son acte pieux ; en retour, Pakhet doit obtenir de Thot qu’il bénisse le règne du pharaon7. Séthi prolonge le décor établi par Hatchepsout et, comme celle-ci, reçoit le couronnement des mains d’Amon, en présence de Pakhet- Ourethekaou. On connaît la faveur dont Ourethekaou la Magicienne jouissait dans la sphère royale, et tout particulièrement dans la région thébaine ; Pakhet, quant à elle, commence à s’effacer, mais reste présente à Karnak – dans les Litanies à Ouaset8. La documentation de l’époque ptolémaïque fait encore état d’un temple de Pakhet : un prêtre était chargé du culte de « La Chatte vivante du Temple-de-Pakhet », ce qui fait réfé- rence à un cimetière de chats situé non loin du Spéos9. Pakhet, on le voit, disparaît pour ainsi dire de la documentation après le Nouvel Empire pour ne resurgir qu’à l’époque ptolémaïque10.

Pakhet la lionne

Pakhet n’est plus alors qu’une épiclèse illustrant la nature sauvage des déesses-lionnes : – MehytquiprendplacedansEdfou,Tefnout,filledeRê,lamaîtressedelapuissancebrutale, dontlaviolenceestsourcededouleurs,Pakhetlagrande–ons’enfuitdevantlaterreurqu’elle inspire–,lasouverainedetouslesdieux (Edfou I, 459).

5 S. Bickel – J.-L. Chappaz, BSEG 12 (1988), p. 9-24 ; J.-L. Chappaz, Äg.Tempel-Struktur,FunktionundProgramm (HÄB 37), 1994, p. 23-45 et CreativityandInnovation (SAOC 69), 2014, p. 157-171. 6 A. Gardiner, JEA 32 (1946), p. 43-56 ; nouvelle édition par J. P. Allen, « The Inscription of », 16 (2002), p. 1-17. Voir aussi, sur le plan historique, H. Goedicke, TheSpeosArtemidosInscriptionof Hatshepsutandrelateddiscussions, 2004. 7 H. W. Fairman – B. Grdseloff, JEA 33 (1947), p. 12-33. 8 W. Helck, MDAIK 23 (1968), p. 123 et 125. 9 Références dans S. Bickel – J.-L. Chappaz, op.cit., p. 11. 10 Voir les occurrences recensées par Chr. Leitz etal., LGG III, 28 et comparer avec la liste fournie pour Ourethekaou, LGG II, 493-498.

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– Menet,lamaîtresseduprestige,celledontlacraintequ’elleinspireestgrande,Pakhetdont la flamme est douloureuse, qui anéantit les ennemis sur le billot auquel elle préside, qui consumeleurschairsparsaflamme (Edfou I, 314). – Tefnout,filledeRêquiprendplacedansEdfou,l’ŒildeRê,souverainedetouslesdieux, Pakhetlagrande–ons’enfuitdevantlaterreurqu’elleinspire–,lamaîtressedelapuissance brutale,dontlaviolenceestsourcededouleurs (Edfou I, 125). – Tefnout,l’Uræus,Pakhet (El-Qala II, 111 no 231).

En tant que déesse autonome, Pakhet réapparaît à l’époque de Tibère (14-37 apr. J.-C.), à Philæ, dans la procession divine qui orne le soubassement du temple d’Arensnouphis ; elle est alors rattachée au nome supplémentaire de Chenes, dans la région orientale du Delta : Pakhetlagrande,maîtressedelaCampagne-de-Chou,l’ŒildeRê11.

11 H. Beinlich, PhotosderPreussischenExpedition 1 (SRaT 14), 2010, B0008. Attendu l’abondance des cultes relevant de la sphère héliopolitaine, il est permis de supposer que les rédacteurs utilisèrent des archives septentrionales. La déesse a été rattachée – artificiellement, me semble-t-il – à cette région, à cause du toponyme Sḫt-Šw,lequel impliquait la présence d’une déesse de même nature que Tefnout : Chou, le frère de celle-ci, va rechercher la Lointaine (dont le mythe est prédo- minant à Philæ). J. Tattko (Altäg.Enzyklopädien, 2014, p. 205) enregistre le vocable sous Sḫt-MꜢ῾t.

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Hathor maîtresse de Pakhet

À Edfou, Pakhet s’assimile aux déesses-lionnes, mais jamais à Hathor ; en revanche, Hathor maîtressedePakhet est intégrée dans l’inventaire des dieux de Dendara. (Edfou V, 346,7).

Dans le temple d’Hathor, à Dendara, La déesse possédait une statue (représentant une femme avec une couronne hathorique) : Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine, maîtresse de Pakhet, l’uræus sur la tête du rapace (Dend. VI, 77). Elle est représentée, rattachée à Pakhet/Pekheret12, dans plusieurs tableaux de Dendara ; – Temple d’Hathor, chambre des ancêtres, paroi sud, 3e registre (Dend. VII, 164) : Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine, maîtresse de Pakhet, la mère du dieu, la fille du Maîtredel’Univers,quiapparaîtdanslecielsouslaformedel’Œild’Atoum,quiilluminele paysdesesyeux,MaâtlagrandeensonnomdeMaât,laSavantepourl’éternitédesannées.

– Temple d’Hathor, kiosque du Nouvel An, colonne sud II (Dend. VIII, 48) : HathormaîtressedePakhet.

– Temple d’Hathor, salle hypostyle, colonne III, côté ouest (Dend. IX, 104) : Un dieu spécialement créé par les prêtres tentyrites pour accompagner Pakhet se tient der- rière une Hathor-Tefnout. Il adopte l’iconographie d’Harsomtous solaire (homme coiffé du disque), originaire d’un lieu situé sur la rive est du Nil (Khadi ou Lieu-du-Pétale-de-lotus). Hathor la grande, maîtresse d’Héliopolis-féminine, l’Œil de Rê, Tefnout dont les fêtes sont nombreuses. L’UniquedePakhet,legranddieuquiprendplacedansHéliopolis-féminine,ledieudivinqui resplenditavecledisquesolaire.

– Temple d’Hathor, extérieur du naos, paroi est, 2e registre, tableau XIII (Dend. XII, 120-121) : Hathormaîtressed’Héliopolis-féminine,maîtressedePakhet,c’estTefnout,filledeRê,labelle souverainevenuedeBouguemavecsonfrèrefilsdeRê,laDoréemaîtressedusistre,la déesseprimordialeetmaîtressedelamusique,laVénérableaiméedeRê. L’UniquedePekheret,legranddieuquiprendplacedansHéliopolis-féminine,ledieuvéné- rabledansButte-de-naissance,lesceaudivinquiresplenditgrâceaudisquesolaire,dontl’ap- paritionestbelledansButte-de-Tefnout.

12 Assimilation phonétique de Pekheret et Pakhet, voir G. Fecht, WortakzentundSilbenstruktur, 1960, p. 29 § 52.

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– Temple d’Hathor, pronaos, paroi est, 3e registre, tableau III (Dend. XIV, 124-125) :

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Hathormaîtressed’Héliopolis-féminine,maîtressedePakhet,Tefnout,filledeRê,lavénérable etsouverainedesdieuxetdesdéesses,l’uræusdeCeluiquil’acréée,surgiedesoncorps,l’Âme animée, la première des ancêtres, celle de l’horizon et brillante, qui brille dans l’horizon, le SoleilfémininquiilluminelepayscommeleLumineux,labelledamequivientduPays-du-dieu avecsonfrèreChou,filsdeRê. L’UniquedansPekheret,lefilsaînédeRê,ledieuvénérabledansButte-de-Tefnout,lefilsaîné de Celui de l’horizon, le dieu excellent, Celui d’Edfou, celui dont le plumage est bigarré, lebienheureuxvénérabledontleprestigeestsacré,larépliquedeCeluidontlenomestcaché, lemaîtredeviequifaitrespirerlagorge,l’airpourlenez.

– Temple d’Hathor, extérieur du pronaos, paroi est, 3e registre, tableau III (Dend. XV, 244-245), avec Hathor- :

Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine, maîtresse de Pekheret, Tefnout, l’Œil de Rê, fille de Rê,[…]dansButte-de-Tefnout,legranduræus,lasouveraineparmilesdéesses,l’âmeanimée, lapremièredesancêtres. L’UniquedansPekheret,legranddieudansTarer,ChoulegranddansSanctuaire-de-Chou, l’aînédeRê,lefilspremierdeCeluidel’horizon,ledieuvénérable,quin’apassonsemblable, lemaîtredeviequifaitrespirerlagorge,l’airpourlenez.

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– Temple d’Isis, chapelle B, paroi ouest, 3e registre, tableau III (Templed’Isis, 176) :

Hathorlagrande,maîtressed’Héliopolis-féminine,l’ŒildeRê,Tefnout,filledeRê,quiprend placedansPekheret,aubeauvisageetdontl’amourestdoux,quin’apassonégaleaucielet surterre. Harsomtous,legranddieumaîtredeLieu-du-Pétale-de-lotus,dontlecorpsestdissimulédans Pekheret.

– Temple d’Isis, chapelle C, frise de la paroi est (Templed’Isis, 209,2) : HathormaîtressedePekheret.

– Temple d’Isis, extérieur, paroi est-sud, 2e registre, tableau II (Templed’Isis, 305) : Hathormaîtressed’Héliopolis-féminine,lamaîtressedePekheretdansButte-de-la-naissance, lamaîtressedel’ivressedanslaplace-de-l’ivresse. De ses origines, Hathor a gardé la personnalité de la lionne Tefnout, intégrée dans le cycle de la Lointaine que son frère Chou ramène des contrées éloignées.

– Porte d’, embrasure (LD II Text, p. 255) : La Porte du domaine d’Horus, qui date de l’époque d’Antonin (138-161 apr. J.-C.), conserve une nomenclature de dieux du fonds ancien de Dendara ; parmi ceux-ci figure Hathor maîtressedePakhet.

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Des blocs épars autour du mammisi romain représentent Hathor, maîtresse de Pakhet, coiffée de la couronne d’Isis (Dend.Mam., 290) :

Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine, la maîtresse de Pakhet, l’Hathor entre toutes les Hathors. Devant elle, plusieurs Hathors jouent du tambourin ; ce sont les musiciennes représentant Thèbes, Imaou, Hérakléopolis, Diospolis et Cusæ. À Dendara, ces Hathors, dont le nombre n’est pas constant, prennent place tout au long des processions fériales13 : – Chapelle axiale, niche, encadrement extérieur (Dend. III, 33-35) – Ouâbet, revers de la porte (Dend. IV, 218-220) – Cryptes sud no 2 et ouest no 2 — passages A-B (Dend. VI, 15-17 et 118-119) – Kiosque du Nouvel An, porte nord (Dend. VIII, 7) – Hypostyle, liste divine (Dend. IX, 29-31) – Hypostyle, liste divine (Dend. IX, 34) – Porte C’-H’ (Dend. IX, 262-263) – Porte E’-H’ (Dend. XI, 106-107) – Façade du temple, frise supérieure (Dend. XIII, 108-109 et 113-114) – Mammisi romain, sanctuaire, soub. (Dend.Mam., 101-103 et 122-124) – Mammisi romain, sanctuaire, paroi nord (Dend.Mam., 129-130) – Mammisi romain, architraves (Dend.Mam., 267-269)

13 Le catalogue dressé par M. Rochholz (Schöpfung,Feindvernichtung,Regeneration, 2002, p. 64-92) retient essentielle- ment le chiffre 7, en négligeant les groupements d’Hathors. Voir la présentation générale de C. Spieser, « et les sept Hathors en Égypte ancienne », DesFataauxfées, 2011, p. 63-92 et l’étude de J. Chun Hung Kee - Hassanein, « De Khaset-Dep à Khaset-Tep : étude toponymique », ENIM 5 (2012), p. 39-60. Les plus significatives des grandes listes sont celles de la salle hypostyle de Karnak (Nelson, HypostyleHallatKarnak, pl. 262) et des Litanies de Sokar (J.-Cl. Goyon, RdE 20 [1968], p. 67-68).

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– Mammisi romain, blocs épars (Dend.Mam., 290) – Temple d’Isis, sanctuaire, soub. (Templed’Isis, 83-85) – Temple d’Isis, parois extérieures, soub. (Templed’Isis, 328-330 et 345-346) – Porte d’Hathor, côté sud, revers des montants, douze Hathors (inédit)

Hathor maîtresse de Pakhet ne fait jamais partie du col- lège des Hathors. Elle est « Hathor parmi les Hathors » , équivalent – d’ailleurs unique – de « la pre- mière des Hathors ».

Cette primauté est rappelée dans la description de la nature d’Hathor maîtressed’Héliopolis- féminine14 ; – dans les tableaux d’offrandes : Dend. III, 95,16 Dend. XII, 232,17 – Dend. XIII, 424,13 – Dend. XIV, 110,9 Dend. XIV, 169,14 – Dend. XIV, 186,1 – Dend. XV, 280,12 – dans les hymnes : Edfou VI, 302,6 – Mam.Edfou, 108,12 Dend. III, 101,17 – Dend. VI, 6,1 – Dend. VIII, 107,10 Dans le bloc du mammisi, la déesse porte la couronne fériale d’Isis ; cette dernière est aussi, par assimilation, lapremièredesHathors (Dend. XV, 295,2 – Dend.Mam., 215,12).

Le panthéon ancien de Dendara

Pakhet a probablement été honorée en tant que déesse au Nouvel Empire à Dendara. Sous la forme d’Hathor maîtresse de Pakhet, elle prend place dans la chambre des ancêtres15 avec les autres vieux dieux du fonds tentyrite : – Horus et Harsomtous anciens : Horus leFaucon ; Filsd’Hathor (forme ancienne d’Harsomtous) ; – quatre formes thébaines, hôtes à Dendara (ḥry-ỉbỈwnt) : ; Amon-Rê ; Amonope ; Khonsou ;

14 À l’origine, à Edfou, cette qualité caractérise la déesse quand elle est en tête des sept Hathors allaitantes (Mam. Edfou, 29,18). 15 Voir, plus haut, la traduction. La chambre de l’escalier est (sḥ n tp-rd) accueille les ancêtres vénérables du pays d’Atoum (Dend. VII, 144,9) sur les registres supérieurs (Dend. VII, 153-155 et 163-165). Sur les montants de la porte, l’inventaire de la ville sacralise la chapelle (Dend. VII, 140).

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– des dieux de la Moyenne Égypte : Thot delabibliothèque ; Horus maîtredeHebenou ; Hérichef maîtred’Hérakléopolis ; – des déesses venues du nord : , l’uræusdeRê ; , Sothis, maîtressedePount ; Isis, Hesat ; Hathor, lagrandeVachequienfanteRê,maîtressedeMemphis ; Hathor, elleparcourtlepays, Ourethekaou. Ces noms regroupent plusieurs secteurs – le Spéos Artémidos, Atfih et Memphis – qui ont toujours été liés religieusement. – les félines – Bastet et Sekhmet – sont memphites ; – Pount évoque l’expédition d’Hatchepsout ; – Sothis veille sur la crue du Nil ; Pakhet, quant à elle, fut priée par Hatchepsout de régu- ler les pluies torrentielles. La lecture du nom du Spéos (écrit avec ) est encore l’objet de discussions (srt ?) ; dans les litanies d’Ouaset, quoi qu’il en soit, les prêtres de la capitale ont préféré la graphie , qui évoque Sothis16 ; – Hesat est la déesse d’Atfih17 ; – Hathor, sous sa forme de « Vache », est rattachée normalement à Memphis, mais évoque aussi Atfih où fut élaboré le mythe de la déesse bucéphale ; – Hathor pẖr.snꜢtꜢwy est liée à PꜢḫt/Pẖrt (voir plus loin) ; – Ourethekaou est une forme de Pakhet.

La chambre U, contiguë à la chambre de l’escalier, présente les formes archaïques de la déesse : sept vaches et sept statues d’Hathor, qui sont peut-être les bonnes fées des temps anciens18.

Les Hathors anciennes interviennent au cours de la fête du Nouvel An pour assister la grande Hathor et les Thouéris dans les cérémonies qui se déroulaient sur le toit du temple : – mois de thot (Dend. VIII, 51-52) : Hathor […] – mois de paophi (Dend. VIII, 50) : Hathor nbt῾n – mois d’hathyr (Dend. VIII, 53-54) : Hathor pẖr.snꜢtꜢwy – mois de khoiak (Dend. VIII, 54-55) : Hathor […]

16 Voir H. W. Fairman – B. Grdseloff, JEA 33 (1947), p. 14-15. Sothis évoquerait ainsi le toponyme ancien du Spéos et la supplication faite à la déesse de contrôler les eaux orageuses. 17 Hathor d’Atfih est aussi Hesat, qui est rattachée à Metenou (Dend. IX, 181,6 ; Dend. XII, 17,4 ; Dend. XIII, 28,1). Voir aussi Edfou II, 154,9 ; Edfou III, 286,3 et 287,16 ; Mam.Edfou, 114,15. 18 Dend. VII, 124 et 136-137. Une seule des Hathors est identifiée : maîtressedusouffledoux ; cette forme possédait une statue dans le temple (Dend. V, 8,11) et figurait dans des processions et des nomenclatures divines (Dend. IX, 34,9 ; Dend. XIII, 114,14 ; Dend. XIII, 221,1 ; Dend. XV, 57,8 ; Templed’Isis, 111,2), tout en ayant une prêtrise spécifique (voir plus loin p. 11).

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– mois de tybi (Dend. VIII, 48) : Hathor nbtPꜢḫt – mois de mechir (Dend. VIII, 46-47) : Hathor npr-nfr-ḥr – mois de phamenoth (Dend. VIII, 44-45) : Hathor ḥryt-ỉbwsḫt

Ces Hathors mineures avaient leurs sacerdoces ; ainsi Korax19, membre éminent du clergé tentyrite à la fin de l’époque ptolémaïque, fut chargé du culte des Hathors sui- vantes : nbt῾n/ỉnt,nbtPẖrt,nbtṯꜢwnḏmetpẖr.stꜢwy : ou Dans le temple d’Hathor, deux emplacements accueillent les dieux de l’Égypte : la salle hypostyle et les parois extérieures du temple. Le seizième nome est représenté par Horus de Hebenou et/ou par Hathor maîtresse de Hebenou20. Sur les parois extérieures du monument, les registres supérieurs présentent la quasi-totalité des dieux principaux de l’Égypte – Haute Égypte à l’est et Basse Égypte à l’ouest. Les lieux hathoriques anciens sont présents, mais non le Spéos Artémidos : – Hathor de Cusæ et Harsiesis (Dend. IX, 196 - Dend. XII, 164) ; – Oupouaout de Lycopolis et Hathor souveraine des Seize (Dend. XII, 142) ; – Hérichef et Hathor d’Hérakléopolis (Dend. IX, 196-197 - Dend. XI, 179-180 - Dend. XII, 146) ; – Hathor d’Atfih et Horus Metenou (Dend. IX, 180-181 - Dend. XII, 116-117).

Les représentants des nomes alternent avec les membres du panthéon local. Des tableaux mettent en scène des divinités du vieux fonds tentyrite : 1- Horus maîtred’Héliopolis-féminine et Amonope (Dend. XII, 258-259). 2- Horus maîtredestemples et Horus leFaucon (Dend. XII, 259-260). 3- Horus et Hathor quiprennentplacedansl’hypostyle (Dend. XII, 260-261). 4- Hathor maîtressedePakhet et L’Unique (Dend. XII, 120-121). Les deux premiers sont des dieux anciens originaires d’Edfou, de Thèbes et de Dendara ; ceux du troisième groupe sont originaires d’Atfih.

19 H. Ranke, JAOS 65, p. 242-243 ; A. Abdalla, StudiesinHonourofA.F.Shore, 1994, p. 13-21 ; G. Gorre, Lesrela- tionsduclergéégyptienetdesLagidesd’aprèslessourcesprivées, 2009, p. 122-131. 20 Dend.Mam. 124,8 ; Dend. XII, 74,3 ; c’est d’autre part Ꜣšt, mère d’Horus, qui est mentionnée par les inscriptions géographiques (Dend. I, 95,8 ; Dend. XII, 74,18).

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Pakhet-Pekheret, L’Unique et Hathor pẖr.s nꜢtꜢwy L’« alter ego » d’Hathor est L’Unique, création artificielle façonnée, on l’a vu, par le clergé de Dendara pour accompagner une déesse vénérée sur l’autre rive, dans un sanc- tuaire proche de celui de Khadi où avait lieu, lors des moissons, un pèlerinage. L’Unique de Pakhet, représenté identiquement à Harsomtous solaire, partage d’ailleurs, avec celui-ci, l’épithète Sceaudivin : Harsomtous : (Dend. XII, 105,5) ; L’Unique : (Dend. XII, 121,7). Dans tous les tableaux présentés plus haut, L’Unique prend l’aspect de Chou, le compagnon de Pakhet-Tefnout21 ; il est rattaché à Pakhet et à Pekheret, tout comme Hathor : – PꜢW῾n PꜢḫt (Dend. IX, 32,14) ; PꜢW῾n PꜢḫt (Dend. IX, 104) ; PꜢW῾n PꜢḫt (Dend. XII, 121) ; – W῾ḫntPẖrt, avec Hathor-Tefnout, maîtresse de PꜢḫt (Dend. XIV, 125) ; – W῾ḫntPẖrt avec Hathor-Tefnout, maîtresse de Pẖrt (Dend. XV, 244).

Lors de la sortie du Bâton sacré d’Hathor, la procession fait une station devant la porte du pronaos. Un hymne « agraire » (remontant probablement au Moyen Empire) sollicite Hathor pour qu’elle veille à la prospérité de son territoire : Notre belle souveraine, tu agis bien pour Héliopolis-féminine, Butte-de-la-naissance, Trône-d’Horus, Edfou, Pekheret, Lieu-du-Pétale-de-lotus, Chabet, Tanis, la Pointe-de- l’Orientettousleslieuxdecultequis’ytrouvent (Dend. XIII, 21,12-14 et Dend. III, 53,10-11). Les villes mentionnées sont Edfou et ses « filiales » septentrionales, ainsi que Dendara, sa ville jumelle. Chabet est une ville du nome à peu près oubliée22 ; Khadi ou « Lieu-du- Pétale-de-lotus » est situé sur la rive est du nome. Quant à Pekheret, est-ce une « filiale » septentrionale de Dendara, tout comme Mesen l’est d’Edfou ou bien un lieu du VIe nome ?

L’inventaire des dieux de Dendara, gravé à Edfou, mentionne avec la maîtresse de Pakhet une autre Hathor, Cellequiparcourtlepays : (Edfou V, 346,5).

21 L’Unique a son pendant iconographique pour Edfou, figuré à Dendara : Pakhylegrandd’Edfou,legrand dieud’Edfou(Dend. VI, 72,11 et Templed’Isis, 165,8). 22 Voir H. G. Fischer, DenderaintheThirdMillenniumB.C., 1968, p. 13 et 185.

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Comme d’autres Hathors mineures, elle bénéficiait encore d’une prêtrise à la fin de l’époque ptolémaïque : (voir plus haut p. 11). Elle figure aussi dans les divers inventaires du temple d’Hathor : (Dend. VIII, 54) ; (Templed’Isis, 183,10).

Elle est rangée parmi les divinités du passé dans la salle des ancêtres (voir plus haut p. 9) où elle est assimilée à Ourethekaou, autre déesse du Spéos Artémidos : (Dend. VII, 154,6) Hathormaîtressed’Héliopolis-féminine–elleparcourtlepays–[lamaîtresse]deshumains, OurethekaouquiapparaîtdanslecielauxcôtésdesonpèreRê. Cette Hathor apparaît aussi dans la chambre des étoffes : (Dend. IV, 125) Hathormaîtressed’Héliopolis-féminine–elleparcourtlepays–,lamèredudieuquiprotège son Horus, la maîtresse des Deux-Terres, la souveraine des êtres humains, l’uræus de l’en- néade. Cette Hathor serait-elle une forme mineure, venue elle aussi du seizième nome, ou bien une déesse « fabriquée » sur place pour s’installer dans Pekheret23 ?

Horus et Hathor d’Atfih

À l’entrée de la salle hypostyle, une grande nomenclature divine recense nombre d’épi- thètes d’Hathor accompagnée de son entourage. Hathor maîtresse de Pakhet n’y figure curieusement pas ; son compagnon est, quant à lui, placé à la fin de cette liste (Dend. IX, 32) : L’UniquedePakhet Après lui se trouvent Thot et les dieux suivants : Horusquiprendplacesurl’esplanade Hathorquiprendplacesurl’esplanade Le couple est recensé dans l’inventaire du temple d’Isis : et (Templed’Isis, 183,16 et 184,4).

23 La graphie pẖrt évoque le toponyme TꜢ-rr, qui s’écrivait dans les temps anciens (Dend. VI, 157,11).

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Horus possède une statue dans l’édifice : (Dend. VI, 96,3-4). Hathor participe aux cérémonies du Nouvel An : (Dend. VIII, 45,5). Horus et Hathor accompagnent les dieux anciens dans les cryptes : et (Dend. V, 25, crypte est no 1, D-E).

Tous deux prennent place sur les parois extérieures du temple (voir plus haut p. 11) : – Temple d’Hathor, extérieur du naos, paroi ouest, 3e registre, tableau XIV (Dend. XII, 260-261) : Horus est semblable iconographiquement à Harsiesis ; comme lui, il reçoit l’héritage de son père, par l’intermédiaire de l’objet-mekes, l’étui qui renferme les titres de propriété24 :

24 La fonction royale (ỉꜢwt) évoque le pouvoir repris légitimement par Horus et ḏꜢḏꜢt, l’assemblée divine réunie au cours de ce conflit divin, voir M. Broze, Lesaventuresd’HorusetdeSeth, 1996, p. 80-81 et 139.

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Horusquiprendplacesurl’esplanade,legranddieuquiprendplacedansHéliopolis-féminine, levictorieuxs’octroyantlafonctiondesonpère,quisetientsursontrônedanslepalaislors dujugementdel’Assembléequidéterminelalégitimité. Hathor qui prend place sur l’esplanade, la souveraine dans Temple-de-la-joie, la vénérable dansButte-de-la-naissance,lagrandedansleciel,lapuissantesurterre,lasouverainedans lescapitales. Horus quiprendplacesurl’esplanade figure déjà à l’époque de Ramsès II sur les parois extérieures du temple d’Amon25 : . L’épithète s’applique à Horus de Metenou/ Medenyt, l’Horus du XXIIe nome de Haute Égypte : (Edfou I, 66 no 58) en complément de (Edfou I, 53 no 60) ; (Edfou I, 266,3). ḥry-ỉbMtnw est représenté à Dendara en compagnie d’Horus merty, d’Horus khen- tykhety et d’Horus douaou26. L’ousekhet serait un lieu situé dans le dernier nome de Haute Égypte, une vaste esplanade destinée au tribunal jugeant Horus et Seth. Horus coupe la tête de sa mère Isis, qu’il juge l’avoir trahi ; celle-ci reçoit alors, en remplacement, une tête de vache ; Seth arrache les yeux d’Horus, Hathor de Memphis redonne la vue à ce dernier. Isis d’Atfih et Hathor de Memphis sont bucéphales, tout comme l’est Hathor d’Atfih depuis le règne d’Hatchep- sout27.

Dendara a établi des liens cultuels avec les capitales hathoriques, comme Cusæ ou Atfih, qui s’affirment par le biais des serpents sacrés : leDestructeur et Atfih, lePurificateur et Cusæ. Le serpent de Cusæ vient à Dendara :

Le Purificateurdemeuredansletempled’HathormaîtressedeCusæ,ilsedéplacejusqu’au templed’Hathormaîtressed’Héliopolis-féminine28.

25 W. Helck, DieRitualszenenaufderUmfassungsmauerRamses’II.inKarnak, 1968, p. 25-26 et pl. 21. 26 Crypte souterraine et no 1, passage B-C, Dend. V, 13. Même groupement de ces dieux sur la frise extérieure du sanc- tuaire d’Edfou : Horus merty (Edfou I, 66 no 50), Horus khentykhety(Edfou I, 66 no 51) Horus douaou (Edfou I, 53 no 53). 27 Hathor bucéphale à Deir el-Bahari (N. Beaux, Chapelle d’Hathor, 2012, pl. 18). Sur la décollation d’Isis, voir J. Vandier, P.Jumilhac, 1961, p. 63-73 ; J. Berlandini, BIFAO 83 (1983), p. 43-49 et M. Broze, op.cit., 1996, p. 76-89. Récapitulatif des sources canoniques dans Chr. Leitz, Gaumonographien, 2014, p. 171-176 et D. Klotz, Altägyptische Enzyklopädien, 2014, p. 782-783. 28 Dend. II, 198 ; Dend. V, 107 ; Dend. VIII, 38 ; Dend. XII, 288 ; voir aussi Templed’Isis, 292 ; Dend.Mam., 37.

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Le serpent d’Atfih se déploie tout au long du Nil, d’une ville à l’autre.

Le Destructeur rampedansHéliopolis-féminineetdansMetenou,àsavoirMefkat,(caril est)leserpentdutempled’Hathor29. Mefkat désigne ici, assurément, le temple d’Hathor à Atfih, même si le déterminatif n’est pas explicite. L’image est saisissante : des « liens » souterrains, le long du Nil, relient ainsi Dendara et Atfih – juste avant la pointe du Delta.

Hatchepsout et les Hathors de Moyenne Égypte

Le lien entre Dendara et Atfih est attesté dès l’époque d’Hatchepsout à Deir el-Bahari ; dans le sanctuaire d’Hathor de ce temple majestueux, la moitié sud du vestibule présente le programme de l’antique chapelle de Montouhotep tel qu’on le retrouvera, à l’identique, à Dendara30 : HorusquiprendplacedansHéliopolis-féminine. Somtous,filsd’Hathor,àlatêted’Héliopolis-féminine. Rê-Horakhty,legranddieu,celuidontleplumageestbigarré,lemaîtreduciel. Hathormaîtressed’Héliopolis-féminine. Sur l’autre moitié du vestibule prennent place Hathor maîtressed’Atfih et Hesat, comme si était décrite une portion de la Vallée s’étendant de Dendara avec la grande Hathor (au sud) jusqu’à la « Tête-des-Vaches » qui symbolise l’extrémité nord de la Vallée, la disposition étant alors conforme à l’orientation du temple. Ces dernières scènes sont remarquables à plusieurs titres : – première représentation de la déesse bucéphale31 ; – seule représentation d’Hesat en tant que déesse anthropomorphe recevant une offrande de la personne royale.

Aucune mention d’Hatchepsout à Dendara ou à Atfih n’a jusqu’à présent été retrouvée : damnatiomemoriæ ou réutilisation dans des monuments postérieurs ; cependant il serait surprenant que la reine, qui a pris soin de sanctuaires de la Moyenne Égypte, n’ait pas mis son nom dans la patrie de la première des Hathors, celle de Dendara.

29 Dend. III, 164 ; Dend. V, 112 ; Dend. XII, 288 ; voir aussi Dend. V, 37 ; Templed’Isis, 292 ; Dend.Mam., 37. 30 Voir l’analyse de N. Beaux, op.cit., 2012, p. 175-182 ; je remercie l’auteur dont la courtoisie m’a permis de repro- duire le plan (simplifié ici) du vestibule. 31 Des nourricières bucéphales sont figurées à Deir el-Bahari ; le type iconographique se diffuse de manière large sous le règne d’Horemheb, voir J. Berlandini, op.cit., p. 37-41 et 50 (la première déesse bucéphale remonterait au Moyen Empire). Ces déesses bucéphales, regravées postérieurement, ne faisaient peut-être pas partie du programme iconographique d’Hatchepsout.

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Deir el-Bahari, sanctuaire d’Hathor.

Ainsi, dans le sanctuaire d’Hathor de Deir el-Bahari, la reine est-elle nourrie au pis divin de la Maîtresse de Thèbes et de la Maîtresse d’Héliopolis-féminine32, à l’instar de Montouhotep tel qu’il se fit représenter dans sa chapelle royale à Dendara.

Les archives de Dendara ne mentionnent pas non plus la reine ; Thoutmosis III se pose en successeur des grands rois Khéops et Pépi Ier (Dend. VI, 173 et 158) :

Voicilagrandechartede lefilsdeRê,maîtredes aprèsqu’onl’euttrouvéeparmi fondationd’Héliopolis-féminine, couronnes (Thoutmosis) lesécritsanciensdutempsdu quirenouvellelemonumentfait roi (Khéops). parleroideHauteetBasse Égypte,maîtredesDeux-Terres (Menkheperrê)

C’estleroideHauteetBasse lefilsdeRê,maîtredes quiafaitcelacommeson Égypte,maîtredesDeux-Terres couronnes (Thoutmosis) monumentpoursamèreHathor (Menkheperrê) maîtressed’Héliopolis-féminine, l’ŒildeRê,maîtresseduciel, lasouverainedetouslesdieux.

32 N. Beaux, op.cit., pl. 31 et 32, 40. Sur les montants des niches qui ouvrent sur le sanctuaire, Hathor nbtỈwnt prend le pas sur Hathor ḥryt-tpWꜢst (ibid., pl. 34-36).

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Il est le conservateur du passé et le pieux restaurateur, un millénaire et demi plus tard, envers Hathor maîtressedeIounet, celle qui fut la déesse protectrice du règne de Pépi Ier. Le nom de la reine est-il, quant à lui, enfoui dans les fondations du temple qui servit d’écrin à Cléopâtre ? Séthi Ier restaure le Spéos Artémidos et fait intercéder Pakhet auprès de Thot : la déesse demande elle-même au patron d’Hermopolis d’accorder des bienfaits au pharaon. Ce dernier donne une place d’honneur aux Hathors dans la salle hypostyle de Karnak ; Hathor de Dendara ouvre le cortège que ferme Hathor thébaine33. Les Hathors de Karnak couvrent le monde autour de l’Égypte (Nubie, Pount, Sinaï et Byblos), les capitales religieuses (Thèbes, Memphis, Héliopolis), Dendara et des sanctuaires hathoriques de Moyenne Égypte (VIIe, Xe, XIIIe, XIVe nomes). On évoque à cet égard le rôle d’Hatchepsout exploitant des carrières dans le Sinaï, menant une expédition à Pount ou restaurant des sanctuaires de Moyenne Égypte, tout en étant nourrie par les Hathors thébaine et tentyrite. Serait-ce là, de la part du respectueux Séthi, une intention d’honorer la grande reine ? Son fils Ramsès II, quant à lui, se fait allaiter par quatre Hathors régionales34 : la déesse d’Abydos bien sûr (même si elle ne joue guère de rôle par la suite), mais surtout les trois Hathors importantes de la Vallée – celles de Dendara, Cusæ et Atfih qui ont été distin- guées, en leur temps, par Hatchepsout.

Abydos, temple de Séthi Ier et de Ramsès II, salle hypostyle.

33 H. Nelson, op.cit., 1981, pl. 140 et 262 (vue générale). C’est Hathor de Dendara qui conduit le roi à Amon (pl. 106 et 199). Dans une liste d’Hathors, placée en pièce d’archives à l’entrée de la salle hypostyle de Dendara, il est précisé qu’Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine est l’hôtedeThèbes (Dend. IX, 34,3). 34 A. Mariette, Abydos I, pl. 25.

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Les Hathors ont formé de grands cortèges divins, de Karnak aux temples des dernières époques35. Honorées par Hatchepsout, elles furent probablement à la base du collège des « sept Hathors » en tant que bonnes fées penchées sur le berceau royal ; qui sait même si Hatchepsout ne se plaçait pas elle-même au niveau de ces Chepesout, déesses de la destinée ?

Le temple des 7 Hathors

Il est fait mention, on l’a vu, d’un temple des sept Hathors à Pakhet. L’inventaire d’Hibis situe, quant à lui, les sept Hathors à Dendara.

Cella d’Hibis, district de Dendara (HibisIII, pl. 4, registre III). 1- Hathor maîtresse de Memphis 5- Hathor maîtresse de Thèbes 2- Hathor maîtresse de Dendara 6- Hathor maîtresse d’Atfih 3- Hathor maîtresse d’Hérakléopolis 7- Hathor maîtresse d’Imaou 4- Hathor maîtresse d’Héliopolis (Lacrouge) Le tableau est situé entre Coptos et la petite vignette consacrée à Dendara même qui repré- sente Hathor maîtresse d’Ik, devant laquelle Iounmoutef, celui qui apaise Sa Majesté, joue du sistre. Les deux tableaux sont distincts, semblant indiquer que les sept Hathors ne résidaient pas à Dendara même.

Un claustra de fenêtre offre l’image de sept colonnes hathoriques36 ; ce panneau, qui provient de la région de Qena/Dendara, témoignerait-il de l’existence de ce temple hors de Dendara même ?

35 À propos des Hathors du mammisi romain de Dendara, voir la présenta- tion de D. Budde, « Die Eine und die Vielen », AltägyptischeEnzyklopädien, 2014, p. 269-300. 36 Acheté en 1895, le panneau est conservé au British Museum (EA 1153 ; h. ≈ 63 cm, l. ≈ 69 cm) ; voir la présenta- tion la plus récente de L. Berlandier-Boutros, Des dieux, des tombeaux, un savant en Égypte, sur les pas de Mariette Pacha, 2004, p. 204-205.

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Dans les cortèges divins, le nombre des Hathors et leurs appartenances géographiques ne furent jamais immuables. Il en est de même du collège des sept Hathors dont Dendara, Thèbes, Cusæ, Atfih, Memphis, Héliopolis et Imaou (ou Hérakléopolis ?) ont procuré le noyau constitutif.

Pakhet du Spéos Artemidos est tombée dans l’oubli et Hathor maîtressed’Héliopolis- féminine a absorbé la Lionne gardienne des carrières. Un faisceau d’indices concordants suggère qu’Hatchepsout a « ramené » avec elle la déesse Pakhet, et que celle-ci fut instal- lée dans un sanctuaire de la rive orientale du nome tentyrite ; le nom donné à ce dernier fut également Pakhet ; une procession traversait le fleuve et s’y rendait au mois de mechir. En souvenir de la grande Hatchepsout, peut-être, ce sanctuaire accueillait plusieurs Hathors et s’est vu désigné avec le temps comme templedesseptHathors, situé par l’inventaire d’Hibis dans le nome de Dendara, mais distinct du temple propre d’Hathor maîtresse d’Héliopolis-féminine.

Résumé / Abstract

Pakhet du Spéos Artémidos est demeurée dans la mémoire de Dendara non plus en tant que nom divin, mais comme un simple toponyme. Cette déesse-lionne fut probablement importée du seizième nome par Hatchepsout et installée, au sein d’un sanctuaire consacré aux sept Hathors, dans le nome tentyrite ; les archives l’enregistrent sous la forme d’une épiclèse de la maîtresse du temple, puis la transforment en un lieu dont cette dernière est la maîtresse et qui faisait l’objet d’un pèlerinage annuel.

The name of Pakhet of the Speos Artemidos remained in the memory of Dendara, not anymore as a divinity but rather as a place. This lioness was probably introduced to Dendara, directly from the 16th nome, by Hatshepsut and settled in a sanctuary created for the seven Hathors in the 6th nome. The ancient Egyptian records use the name Pakhet as an epithet of the temple’s mistress and then as the name of a special sanctuary for Hathor where an annual pilgrimage took place.

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