COMPOSITION DU JURY

M. Théodore MONOD, Président, Membre de l'Institut, M. J. DRESCH, Rapporteur, Professeur à l'Université de Paris VII, . Mme. S. DAVEAU - RIBEIRO, Professeur à l'Université de Lisbonne, M. P. PELISSIER, Professeur à l'Université de Paris X, M. F. JOLY, Professeur à l'Université de Paris VII, CHARLES TOUPET

LA SÉDENTARISATION DES NOMADES EN MAURITANIE CENTRALE SAHÉLIENNE

THESE PRESENTEE DEVANT L'UNIVERSITE DE PARIS VII - LE 10 AVRIL 1975-

ATELIER DIFFUSION REPRODUCTION DES TIIESES LIBRAIRIE HONORE CHAMPION UNIVERSITE DE LILLE III 7, QUAI MALAQUAIS LILLE PARIS 1977 L'Atelier de Reproduction des Thèses décline toute responsabilité touchant la qualité technique des documents qu'il reproduit.

La loi du 11 mars n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d' autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d' exemple et d' illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consen- tement de l'auteur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause, est illicite» (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

ISBN 2-7295-0030-8

© Charles TOUPET, 1977 AVANT-PROPOS

Cet ouvrage est l'aboutissement d'un long travail, qui s'est échelonné, en raison d'interruptions multiples, sur près de vingt ans. Ce long espace de temps, aura peut-être permis, au moins, de mieux saisir les modifications profon- des que le monde maure a subies. Conçue à l'origine, comme une monographie régio- nale, cette étude est devenue, au fur et à mesure des enquêtes, l'analyse d'un phénomène général dans un cadre régional. La recherche en pays nomade se heurte à deux obstacles majeurs. L'immensité du pays - qui cache souvent une diversité ré- gionale accusée - rend impossible toute enquête exhaustive. L'absence presque to- tale de données démographiques et économiques sérieuses interdit toute élaboration statistique qui ne serait que fallacieuse. L'approche artisanale dont je mesure les imperfections et les limites ne peut être justifiée que par une connaissance intime des hommes et de leur milieu. C'est ce que j'ai tenté de faire - au cours de quatorze missions totalisant quinze mois sur le terrain - en suivant le conseil de Louis MASSIGNON : "pour comprendre l'autre, il ne faut pas se l 'annexer mais devenir son hôte". La multiplication des enquêtes, le recoupement des sources orales et écrites, l'analyse du milieu naturel permettent peu à peu de dégager des ordres de grandeur, des valeurs-limites dont la connaissance est indispensable à tout aménagement rationnel du pays.

L'élaboration et l'achèvement de ce travail doivent beaucoup à tous ceux qui m'ont aidé.

lionsieur le professeur Jean DRESCH a bien voulu me guider dès mes premiè- res recherches en Mauritanie et accepter de diriger cette thèse. Sa bienveillance inlassable, le souci constant de corriger les chapitres qui lui étaient soumis, ses conseils et ses suggestions ont été plus qu'un encouragement, une leçon per- manente.

Monsieur le professeur Théodore MONOD, en m'accueillant à l'I.F.A.N. m'a

donné le privilège inestimable de réaliser le métier de mon rêve ; en me faisant bénéficier de son incommensurable érudition, il m'a permis de mieux connaître la Mauritanie.

Que tous deux veuillent bien agréer l'expression d'un sentiment qui est beaucoup plus que de la reconnaissance.

Ce m'est une grande joie d'exprimer aussi ma gratitude à : Monsieur le professeur Paul PELISSIER qui m'a initié aux problèmes de géographie tropicale, montré l'intérêt du domaine sahélien et n'a cessé de suivre mes travaux avec une

amicale vigilance ; Madame DAVEAU-RIBEIRO que j'ai eu le privilège d'accompagner en mission et dont les observations sur le terrain et les nombreux travaux ont été autant de leçons enrichissantes ; Monsieur le doyen Paul MORAL, qui m'a ac- cueilli à la Faculté des Lettres de Dakar avec une grande bienveillance et m'a donné des encouragements précieux ; Monsieur le professeur Pierre MICHEL, dont la profonde connaissance des milieux naturels ouest-africains et la fidèle ami- tié se sont manifestées si efficacement sur le terrain et au moment de la rédac-

tion ; Monsieur le professeur Pierre LEON, qui m'enseigna jadis l'histoire mo- derne, et m'a initié aux méthodes et aux techniques qui permettent de maîtriser l' énorme documentation nécessaire à l'élaboration d'une thèse ; Monsieur Souley- mane DIARRA qui entreprend un important travail sur le Sahel nigérien et avec qui je poursuis une aiicale et fructueuse confrontation ; Monsieur Marcel LEROUX et Monsieur J.N. GIRAUD, responsable de la division climatologie à l'ASECNA, qui m'ont fait bénéficier de leurs précieux conseils en climatologie.

Je voudrais aussi remercier ceux qui m'ont apporté aide et encourage- ments : Monsieur et Iiadame S. ROBERT qui dirigent avec tant de foi et de compé- tence les fouilles archéologiques d'Aoudaghost, Monsieur J.F. MAUREL, directeur des Archives du Sénégal, Monsieur J.R. PITTE, lorsqu'il enseigna à l'Ecole Nor- male Supérieure de Nouakchott.

La Mauritanie est terre d'hospitalité ; je mesure pleinement la dette de reconnaissance que j'ai contractée à l'égard de tous ceux qui m'ont accueilli et informé et qui sont devenus des amis. Trois "connaisseurs" de la société maure m'ont initié : Monsieur Mohammed, ould Mouloud el CHENAFI, qui fut délégué du Gouvernement pour tout l'Est mauritanien, et qui allie avec une rare élégance toute l'érudition traditionnelle hassaniya et toute la rigueur universitaire de l'historien moderne ; Monsieur Alassane BA, actuellement directeur de la Caisse de Compensation a Nouakchott , qui connait admirablement les problèmes du Tagant et du Fleuve ; Monsieur Marc LENOBLE, inspecteur primaire, dont la modestie ca- che une profonde et subtile connaissance des réalités mauritaniennes.

Les autorités administratives et les services techniques m'ont toujours apporté le concours le plus précieux. Qu'il me soit permis de citer : parmi les fonctionnaires d'autorité et dans l'ordre chronologique : MM. MONNIER, BASTOUIL, BOURGAREL, CHIPER, PERIE, Ahmed ould BAH, Mohamed ould CHEIKH, DAMAN, KHELIL, Ahmed Bamba ould YEZID, Naji ould MOUSTAPHA, Doudou FALL, Abdoul KANE, Ibra Mamadou ; parmi les cliefs de service : MM. Abdallahi ould Mohamed SIDYA, actuellement di- recteur de l'OCLALAV, Abdallahi ould SOUEID AHMED, directeur de l'Elevage et Benani Cheikh YOUBA, directeur de l'Agriculture.

Je n'ai garde d'oublier tous mes informateurs sans lesquels ce travail n'aurait pu aboutir, en particulier, MM. Ahmed ould AHMED, chef général des Haï- ballah, Wane BIRAME, inspecteur de l'élevage, Mohamed ould CHEIN, instituteur à et MM. ould AHMED et Cheikh Ahmed ould KHALIFA, mes anciens étu- diants .

Cette édition ronéotée doit beaucoup à Monsieur Moustapha THIAN, artiste cartographe, qui a dessiné avec beaucoup de soin et de goût la plupart des figu- res et à Monsieur Omar DIOP, qui a assuré avec tant de compétence et de dévouement la dactylographie, la mise en pages et le ronéotage.

Je voudrais, pour terminer, rappeler que la réalisation de cette thèse n'aurait pas été possible sans l'affection de mon épouse qui n'a cessé de m'aider et de m'encourager.

NOTE

En l'absence d'une transcription des termes hassaniya qui soit reconnue par tous les linguistes, j'ai conservé l'orthographe que l'Institut Géographique National a adoptée dans la rédaction de ses cartes. SOMMAIRE

Pages

AVANT-PROPOS 1

INTRODUCTION..... 5

A. Les problèmes 5 B. Le cadre régional 8 1. Esquisse d'une division régionale de la Mauritanie 8 2. La Mauritanie centrale sahélienne ou Trab el-Hajra 13

Première partie LES CONDITIONS DE LA VIE NOMADE

Chapitre I : LES CONDITIONS BIOCLIMATIQUES 24 A. Le climat actuel 24 1. Les sour.,es 25

2. Le degré d'aridité 29 3. Le bilan des précipitations 55

B. La couverture végétale 101 1. Les facteurs de localisation 102

2. Les paysages végétatuc 124

C. Le dessèchement historique 146 1. L'époque préhistorique 147 2. Le Loyen-Age *. l'agriculture des Gangara 152 3. Les tendances actuelles 161

Chapitre II : LA CIVILISATION PASTORALE ...... 173

A. La hiérarchisation sociale 175 1. Les castes maures 175 2. La notion de cestc ...... 180

Pages

B. L'organisation tribale 183 1. Les tribus de la Mauritanie centrale sahélienne 183 2. La fluidité tribale 186

C. Le nomade et la nature 191

Chapitre III : L'IMPLANTATION DES. NOMADES

A. Le peuplement 195 1. Les sources 19 5

2. La charge de population 206

B. Les groupements spatiaux 207 1. Le campement 203 2. La tente 210 3. La ville 212 4. La maison 218

Deuxième partie LA VIE DES NOMADES

Chapitre I : UNE ACTIVITE FONDAMENTALE : L'ELEVAGE 226

A. Les conditions écologiques et techniques 227 1. Les pâturages 227 2. L'eau .. 232

3. La délimitation des zones exploitables 236

B. Le troupeau 237 1. La composition du troupeau 237 2. La conduite du troupeau 242 3. La productivité et la commercialisation du bétail ...... 246

Chapitre II : LES ACTIVITES AGRICOLES COMPLEMENTAIRES 255

A. La culture de décrue 255

1. Les conditions écologiques 255 2. Les conditions sociales ...... 257 Pages

3. L'utilisation naturelle de la crue 258 4. Les barrages agricoles 263

B. La culture dans les oasis 265 1. L'importance du palmier-dattier en Mauritanie centrale sahélienne 268 2. Les conditions juridiques 274 3. Les conditions techniques 277 4. Les travaux et les jours 280

Chapitre III : LES MIGRATIONS PASTORALES 291

A. Les types de migrations pastorales 292 B. Les causes de l'extension du semi-nomadisme 298 C. Les exemples régionaux de nomadisation 306

Troisième partie L'ECLATEMENT DE'LA'SOCIETE NOMADE

Chapitre I : LES CONDITIONS DE LA CRISE DU NOMADISME 319

A. La succession des années de sécheresse 319 D. La désagrégation de la société nomade 327 1. L'affaiblissement des structures traditionnelles 327

2. L'apparition des besoins nouveaux 328 3. L'expansion du commerce 335

C. Les impératifs de l'indépendance : de la tribu à la nation 344 1. L'urbanisation croissante 345

2. Les nouvelles orientations économiques 346 3. La prépondérance des secteurs modernes et le déclin des ..... secteurs traditionnels 349 4. Le transfert de l'autorité des chefs traditionnels aux agents de l ' Etat 354 5. La gestation d'une société nouvelle ...... 357 Pages

Chapitre II : VERS LA FIXATION DES NOMADES ? 359

A. Les cas do fixation et de retour à la vie nomade dans le passé .. 360 B. La sédentarisation fondée sur l'agriculture 366 C. La fixation des nomades dans les villes 375 1. La création de nouvelles bourgades 376 2. L'accroissement des centres administratifs 380 3. L'extension urbaine des anciennes cités 382

Chapitre III : LA SIGNIFICATION DE LA CRISE 389

A. Le bilan do la vague actuelle de sédentarisation : la rupture de l'équilibre biologique 390

B. Les limites du mouvement . 354 1. Les problèmes de l'élevage 395 2. Les problèmes de l'agriculture 413 3. Le problème de l'emploi 424

C. L'enjeu humain ...... 425 1. L'habitat 426 2. La santé ...... 429 3. L'école 431

CONCLUSION 437

BIBLIOGRAPHIE 445

TABLE DES FIGURES 481

LISTE DES TABLEAUX ...... 484

TABLE DES MATIERES ...... 486 INTRODUCTION

La Mauritanie évoque l'immuable : uniformité des paysages immenses en- dormis sous un soleil accablant et frappés d'une sécheresse dévastatrice, unité . d'une civilisation fécondée par la religion musulmane et marquée par la prédo- minance du nomadisme, seul mode de vie permettant de survivre sur cette terre qui manque d'eau.

A. LES PROBLEMES

Cotte image cache en fait une réalité écologique et culturelle complexe. Tout le pays est sous l'empire de l'aridité, mais cette aridité décroît du Tro- pique vers l'Equateur et le voyageur, venu du Sud marocain, qui se dirige vers le Sénégal, traverse trois grandes zones : le désert, la steppe, la savane : le Sahara, le Sahel, le Soudan.

Le Sahara s'étend sur près de 60 % de la superficie totale de la Mauri- tanie : aux immenses surfaces rocheuses parfois ponctuées d'inselberg s'opposent les amoncellements dunaires inextricables : la vie végétale et animale se con- tracte à la mesure de pluies exceptionnelles ; seule la Kedia d'Idjil avec son riche gisement de fer a fixé momentanément une tache de peuplement (fig. 1).

Entre les isohyètes 100 mm et 150 mm le désert cède la place progressi- vement à la steppe ; des touffes de graminées, des acacias touffus ou évasés en parasols piquèrent les plateaux et les dunes, offrant aux troupeaux des pasteurs un maigre pâturage herbacé et arbustif. Ce n'est qu'à l'extrême sud de la Mauri- tanie, dans la moitié méridionale du Guidimakha, que commence la savane avec ses baobabs, ses rôniers, ses champs de mil et ses gros villages soninké : c'est le Soudan, ou comme disent les Maures le "blad es Soudan", le pays des Noirs.

Le coeur du pays, là où vivent 80 % des habitants, est donc la zone inter- médiaire steppique entre le Sahara et le Soudan. Depuis le début du siècle, à la suite des travaux d'Auguste CHEVALIER (cités par Th. MONOD, 1957, p. 37), cette

frange qui borde le désert au Sud est appelée Sahel, du mot arabe qui veut dire le rivage de l' océan (1).

L'aridité actuelle n'est que l'aboutissement d'une longue évolution clima-

tique qui a profondément marqué les paysages et les civilisations qui se sont suc- cédé. La Mauritanie actuelle vouée à la prépondérance du nomadisme pastoral porto encore les empreintes des vieilles civilisations sédentaires noires qui ont peuplé les rivages des lacs sahariens néolithiques et qui se sont repliés progressivement au cours du Moyen Age créant sur les versants des plateaux de la Mauritanie cen- trale d'innombrables terrasses (S. DAVEAU et Ch. TOUPET, 1963) jusqu'au Sud de l'isohyète 450 mm, là où la culture sous pluie est de nos jours possible et renta- ble (Ch. TOUPET, 1966, p. 56).

A la faveur de ce dessèchement historique, des peuples de langue berbère, puis quelques tribus arabes s'installent en Mauritanie y imposant une nouvelle ci- vilisation dont les traits les plus marquants sont : la religion islamique, le nomadisme pastoral, les cités caravanières, le palmier dattier et, surtout peut- être, la hiérarchisation sociale en castes.

Il nous paraît, en effet, essentiel de souligner que la mise en valeur du désert et de la steppe selon un "ensemble de techniques d'exploitation de la natu- re et d'organisation de l'espace" (selon P. GOUROU) n'a pu être réalisée par les Maures que parce qu'ils avaient réduit en esclavage une partie importante des populations noiros refoulées vers le Sud. Les castes serviles : les "abid" (esclaves, ou selon la terminologie administrative : "serviteurs") et les "haratin" (esclaves affranchis) sont en effet la cheville ouvrière de la société nomade. Il

y a là une contradiction interne qui fut longtemps étouffée pour apparaître pleine- ment au XXO siècle lorsque la Mauritanie fut occupée par la France, puis devint un

(1) Ce terme qui désigne parfois une région littorale bien individualisée (Sahel tunisien ; Sahel mauritanien de la Baie du Lévrier à la Saguiet el Hamra, dé- crit par le lieutenant AUBINIERES en 1935) ne prête à aucune confusion en : Afrique occidentale : il couvre toute la bordure tropicale du Sahara et com- prend un Sahel mauritanien, un Sahel soudanais (R. FURON, 1929), un Sahel nigérien (J. DRESCH, 1959, a); il se continue au Tchad et au Soudan. état indépendant intégré dans un réseau de relations mondiales et confronté ainsi avec ensemble' de sollicitations et même d'obligations qui se sont traduites par la libération progressive des esclaves et la recherche d'une nouvelle éthique socialo (1). ,

La crise que connaît la société nomade de nos jours se traduit par une vague de sédentarisation d'une ampleur sans précédent et qui pose, pour le devenir de la Mauritanie, de redoutables problèmes.

D'une part, en effet, la prépondérance des nomades en Mauritanie est écrasante : en 1965 la population totale était estimée à 1.040.850 h. répartis en trois catégories : citadins : 80.750 h. ; sédentaires : 158.000 h. et nomades : 802.000, soit 78 % (SEDES, 1965).

Ainsi que nous le constaterons dans la partie, au chapitre trois, ce très fort pourcentage est dû au fait que le nomadisme s'est maintenu essentiel- lement sous la forme du semi-nomadisme qui implique un lien entre l'élevage et l'agriculture. Il n'en reste pas moins vrai que la Mauritanie est l'Etat qui comp- to la plus grande proportion de nomades au monde : à titre de comparaison, les nomades et semi-nomades ne représentent que 26 % de la population totale en Libye, 70 % en Somalie, 30 % au Niger, et 40 % au Sahara algérien.

Dans de nombreux Etats la sédentarisation se poursuit vigoureusement, sur- tout depuis la seconde guerre mondiale soit sous l'influence de la grande indus- trie avec par exemple la mise en exploitation de prodigieux gisements de pétrole au Sahara, soit sous l'action concertée des gouvernements qui recherchent un con- trôle territorial politique plus ferme, une valorisation de l'élevage et des cul- tures, un progrès social fondé sur l'implantation des dispensaires et des écoles (2).

(1) La Mauritanie obtint l'autonomie interne le 28-XI-1958 et proclama son indé- pendance le 28-XI-1960, devenant République Islamique de Mauritanio. (2) Cf. on particulier ï nomades et nomadisme en zone aride, 1999 ; nomades et nomadisme au Sahara, 1963. D'autre part, ce mouvement de sédentarisation est essentiellement spontané et résulte bien plus d'une désaffection vis-à-vis du nomadisme dont les impératifs sont jugés trop contraignants que de la volonté d'organiser une société nouvelle fondée sur la création d'emplois nouveaux dans l'agriculture, l'industrie et le secteur tertiaire. Mais l'essor des services et de l'industrie est fonction non seulement du dévelop-

pement de l'instruction et de la formation professionnelle, mais encore de la valo- risation de l'agriculture (Ch. TOUPET, 1964).

Or, la sédentarisation spontanée des nomades peut retarder cetto valorisa- tion. Elle entraîne enfin une consommation fortement accruo en eau, et, si l'on n'y porte remède, une dégradation accélérée du maigre couvert végétal à un moment où l'analyse des données climatiques dont nous disposons - insuffisantes, certes, pour autorisor des affirmations péremptoires - semble néanmoins confirmor la conti- nuation du dessèchement postnéolithique (cf. 1e partie, chapitre 1er, C). De la solution urgente et rationnelle de ces problèmes dépend l'aménagement du pays.

B. LE CADRE REGIONAL

1. ESQUISSE D'UNE DIVISION REGIONALE DE LA MAURITANIE

Les multiples transformations qui ont affecté la société nomade depuis le Moyen-Age ont puissamment contribué à différencier le cadre zonal de l'espace mau- ritanien et à ordonner les paysages en véritables regroupements régionaux. Si le Sahara forme bien une région originale, le Sahel s'est scindé en quatre régions : l'Ouest ou Guebla, la Vallée du Sénégal, l'Est (Hodh) et le Centre, lu Trab el- Hajra ou pays de la pierre, objet de notre étude.

- - Sous l'action du dessèchement historique le Sahara s'est dépeuplé progres- sivement au profit du Sahel au point de devenir un pôle de répulsion. Au milieu du XX sièclo, seuls les grands nomades Regueibat possèdent assez de chameaux pour affronter les distances considérables de l'ordre du millier de kilomètres imposées par la recherche dos pâturages ; ce n'est qu'à l'occasion de fortes pluies d'hiver LA MAURITANIE CENT. SAHE LIENNE Croquis de localisation

Fig. I que les pasteurs sahéliens y nomadisent exceptionnellement. La mise en exploita- tion, en 1963, des riches gisements de fer de la Kédia d'Idjil (200 millions de tonnes à 64 %) par MIFERMA (Mines de Fer de Mauritanie) a engendré une nouvelle région économique fondée sur le centre minier de Zwérate, la voie ferrée minière, le port exportateur de . Le Sahara n'est plus tellement le lien entre le Maghreb et l'Afrique tropicale qu'une province minière des grands pays industriels. Cette ouverture sur le monde, de type néocolonial, a pour conséquence interne une opposition fondamentale entre le Sahara entré dans le circuit monétaire et devenu la grande source de revenus de l'Etat mauritanien (47 % des recettes du budget en 1965) et le Sahel figé dans son économie traditionnelle de subsistance. Cette oppo- sition ne fera que croître avec l'essor de la pêche sur le plateau continental et des industries de consorverie à Nouadhibou (Ch. TOUPET, 1968), et l'ouverture des mines de cuivre d'Akjoujt. La politique du gouvernement mauritanien consiste à ré- duire cette opposition on utilisant les capitaux fournis par le fer pour "placer l'économie sahélienne on condition de croissance" (J. PUJOS, 1964, p. 254). Le de- venir du Sahel est donc on partie lié à celui du Sahara. L'entreprise pose d'ail- leurs de redoutables problèmes : la valorisation des activités sahéliennes (cf. troisième partie) et l'organisation de l'espace sahélien.

Cette immense rive du Sahara qui fait vivre 80 % des Mauritaniens et con- centre presque toutes les activités traditionnelles, de l'élevage qui prédomine, à la culture de décrue, à la culture irriguée (palmiers dattiers et légumes), à la pêche, à l'artisanat et au commerce, est démesurément allongée de l'Ouest à l'Est : 1.375 km séparent Nouakchott, la capitale, de Néma, le chef-lieu du Hodh oriental (fig. 1). Les pistes doivent franchir des dunes toujours renouvelées, dos cols striés de barres do quartzites, des oueds aux berges abruptes ; elles sont coupées dès les premières pluies (juillet) et des régions entières sont ainsi isolées du- rant l'hivernage ; quant à l'infrastruc tare aérienne, elle est encore embryonnaire et ne peut suffire à désenclaver ces régions isoléos (Ch. TOUPET, 1963). La volonté du Gouvernement de construire un espace polarisé autour de la capitale Nouakchott se heurte donc non seulement à des obstacles physiques mais encore à des particula- rismes que les obstacles de la nature ont contribué à créer et, en fin de compte, à la faiblesse du trafic dans le sens Ouest-Est. La division zonale de l'Afrique occidentale engendre en effet une complémentarité méridienne : les échanges se font entre le Nord et le Sud, entre, par exemple, le Sahara (sel) et le Soudan (mil). Ces courants commerciaux ont été renforcés par l'attraction des deux grandes mé- tropoles extra-mauritaniennes : Casablanca et Dakar. Toutes ces raisons ont contribué à différencier trois régions donc l'originalité est fondée non seulement sur des particularismes mais sur des structures propres : l'Ouest (Guebla), le Centre (Trab el-Hajra), l'Est (Hodh). Une quatrième région tend à s'individualiser depuis deux décennies : la Vallée du Sénégal, en fonction des programmes d'aménagement dont elle est l'objet.

- La Vallée alluviale du Sénégal s'étend sur 400 km de Dembakané à 40 km en aval de Bakel jusqu'au delta en un long liséré de terres fécondées par la crue portant d'abondantes récoltes de mil, (L. PAPY, 1951 ; P. MICHEL, 1969). La rive mauritanienne du Fleuve (Chemama) produit plus de 80 % du mil récolté dans le pays et en exporte une part notable vers les autres régions du Sahel et le Sahara. La population est relativement dense et sur les rives à l'abri de la crue (dyeri) se succèdent les gros villages toucouleurs et les campements maures. L'aménagement de cette vallée qui a été l'objet de nombreuses et substantielles études par la MAS (liission d'Aménagement du Sénégal) entre dans une phase de réa- lisation avec la création, le 11 mars 1972 de l'OMVS : Organisation pour la mise en valeur du Fleuve Sénégal qui regroupe le Mali, la Mauritanie et le Sénégal (1) : la construction d'une suite de barrages doit régulariser la crue, favoriser ainsi l' établissement de cultures riches (riz, coton, canne à sucre), améliorer les transports, produire enfin l'énergie hydroélectrique propice à une industrialisa- tion de la rjgion.

- L'Ouest.

les Maures appellent cette vaste région plate qui s'étend du rebord occidental des plateaux de Mauritanie centrale jusqu'à l'océan : Guebla. Ce terme est une variante de Khebla, l'azimut de la Mecque, et définit en Mauritanie la direction opposée, c'est-a-dire l'Ouest (BROSSET, 1928). "Son unité géographique est due à l'arase- ment de l'Antécambrien (qui affleure à l'Est) devenu un pays plat comme les ter- rains sédimentaires (qui occupent la majeure partie de la région). L'ensemble est

.. - (l) L'ONVS succède à l'OERS (Organisation des Etats riverains du Sénégal), créée le 28 mars 1968 et qui comprenait, outre les trois Etats susmentionnés, la Guinée. d'ailleurs abondamment recouvert de dunes généralement orientées NE-SW" (P. ELOUARD),

1962, p. 13). Trois circonscriptions administratives le composent, vouees essen- tiellement à l'élevage (bovins, ovins et caprins, camelins au Nord) et à la culture de décrue : le Trarza, le Brakna et le Gorgol (fig. 1). a été jusqu'à nos jours la capitale religieuse et économique de cette région, en raison do l'in- fluence de la grande famille des Ahel Cheikh Sidia, porteurs de la voie Qadria en Afrique occidentale. Depuis l'indépendance, le pouvoir de commandement appartient à la nouvelle capitale Mouakchott, dont la création sur une terrasse de l'océan par les dîmes littorales, décidée dès 1957, manifeste la volonté de se li-- bérer des particularismes locaux, des emprises étrangères (1) et de s'ouvrir au monde extérieur par la construction d'un wharf, seule possibilité portuaire sur cette côte basse et inhospitalière.

- L'Est.

Le coeur de la Mauritanie orientale est une immense cuvette topographique, une boutonnière (fig. 1) creusée dans les plateaux gréseux qui le cernent à l'Ouest, au Nord et à l'Est, de l'Haseira aux Dhars de , de et de Néma ; il tire de cette disposition son nom en hassanya : Hodh, qui veut dire augre, abreu- voir, bassin. Au-delà des dhars septentrionaux débutent les immensités sahariennes de la Majabât al-Koubrâ qui comptent parmi les espaces les plus arides au monde (Th. MONOD, 1950). Par contre le Hodh s'ouvre plus largement sur le Soudan, la transition entre la steppe et la savane, le domaine des éleveurs et celui des paysans s'opère insen- siblement à la latitude de la frontière mauritano-malienne (15°30' N). Cette ouverture sur le Soudan se marque par de nombreux traits qui effacent peu à peu l'empreinte maghrébine imposée au cours des siècles et confèrent toute son originalité à cette lointaine province.

Sur le plan humain d'abord, de nombreuses tribus maures qui à la suite des vicissitudes historiques ont migré vers le Sud pour s'implanter au contact des Noirs dans le Hodh, tels les Mechdouf ou les Oulad Mbarek, se sont rapidement mé- tissées avoc les Bambara, les Soninké et les Peuls ce qui leur a permis de suppor- ter un climat déjà plus humide, favorable au paludisme et particulièrement agres- sif à l'égard de gens venus des pays secs (BOU HAQQ, 1938).

(1) La vie économique était jusqu'alors contrôlée par Casablanca et surtout Dakar, véritable emporium du Sahel mauritanien ; la capitale administrative du ter- ritoire de Mauritanie était Saint-Louis du Sénégal. Sur le plan artistique ensuite, l'architecture des cités orientales - Oualata dont Ibn Battouta chantait déjà les louanges au XIV siècle, Néma qui depuis quelques décennies a supplanté sa rivale - mêle des éléments maghrébins et soudanais ; il convient de noter l'importance de la poterie et du mobilier qui marque un enracinement inconnu jusqu'à nos jours dans un pays nomade fidèle aux objets de cuir et de bois que l'on peut vite hisser sur un chameau (0. DU PUIGAUDEAU, 1957 ; D. JACQUES-MEUNIE, 1961).

Sur le plan économique, la plupart des pasteurs du Hodh nomadisent, une partie de l'année au Mali, où ils vendent le croît de leurs troupeaux et achè- tent du mil ; les relations commerciales de Oualata, Néma et même Aïoun el- Atrouss sont nouées avec des cités maliennes : Nara, Nioro du Sahel, Kayes, Bamako.

Entre le Guebla et le Hodh s'étend la Ilauritanie centrale sahélienne,

vaste ensemble de hautes terres qui occupent près de 200.000 km offrant ainsi un cadre spatial suffisant pour étudier, avec toute la précision qu'autorisent les conditions de travail, le problème de la sédentarisation des nomades.

2. LA MAURITANIE CENTRALE SAHÉLIENNE OU TRAB EL-HAJRA

La tradition maure, reprise par MOKHTAR OULD HAMIDOUN ( 1952) réserve le terme de Trab el-Hajra - pays de la pierre - aux deux grands plateaux primaires gréseux de l'Adrar et du Tagant ; en raison des profcndes analogies qui lient à ces deux pays les massifs plus méridionaux de l'Assaba, du Rkiz et de l' Afollé, nous avons jugé préférable d'étendre cette appellation significative à l'ensem- blo de ces hautes terres (fig. 1 et ?).

L'originalité de la Mauritanie centrale tient en effet à la vigueur de ses reliefs. Les plaines sont rares - Regueiba et Aouker - et forment de simples enclaves au milieu des plateaux qui étendent leurs longues surfaces étagées, bordées d'escarpements abrupts souvent couronnés d'une altière corniche dont la hauteur de commandement peut atteindre plusieurs centaines de mètres. C'est le domaine du grès, depuis les grès les plus tendres qui affleurent sur les versants et dans les cuvettes, jusqu'aux grès quartzitiques qui soustendent l'architecture

dos massifs.

Corne les versants et surtout les dépressions et les plaines sont profondément ensablés, à la suite de la désagrégation des grès, toute cette région est sous le règne de la silice. 1. cette unité topographique et pétrographique correspond . une unité hydrologique et hydrogéologique. Les rares pluies qui s'abattent sur ces plateaux fortement diaclasés sont en effet restituées soit par des nappes alluviales (cf. 1 partie, chapitra 1 B, 1) soit par de nombreuses sources qui jalonnent les versants et donnent naissance à des oueds parcourus en saison dos pluies par des crues abondantes et bienfaisantes. Il s'agit essentiellement d'un écoulement endoréique ; la plupart des oueds se perdent dans des mares d'épandages à l'exclusion des plus méridionaux, tels le Karakoro, le Garfa ou le Gorgol qui effrangent le massif de l'Assaba et se jettent dans le Sénégal.

La fréquence des nappes alluviales, l'importance saisonnière des-oueds confèrent à la Mauritanie centrale des possibilités d'aménagement que la rigueur du climat ne pouvait autoriser. Non seulement l'élevage et la culture de décrue en sont fortement favorisés, mais aussi la culture du palmier-dattier, grâce aux "ressources hydrauliques relativement constantes et facilement exploitables avec les moyens dont disposent actuellement les populations se livrant à cette cultu- re", (P. MINIER, '1955, p. 1) ; 90 % des dattiers mauritaniens sont concentrés dans cette région.

Tout cela a contribué à faire du Trab el-Hajra le coeur historique de la Mauritanie. Ses remparts ont protégé durant tout le Moyen-Age les populations noires sédentaires (les Gangara) qui y ont édifié des terrasses et des villages ; ils ont permis à certaines tribus berbères, telles celle des Idawich, de consti- tuer au XI0 siècle à nos jours une dynastie régnante dans le Tagant, malgré les assauts dos tribus guerrières arabes qui se répandaient dans le Guebla et dans le Hodh (ANILHAT, 1937). C'est en son sein qu'ont été édifiées les grandes cités dont le rayonnement s'est étendu à tout le Sahara occidental : Aoudaghost, d'a- bord, dans les Ekiz, dont Al-Bakri nous donne une description précise vors 1065- 1068 ; Tïchit et surtout Chingueti fondée par des Idawali vers 1400 et dont le prestige devint si grand que tout l'espace peuplé par les Maures fut appelé : trab ech-chingueti : le pays de Chingueti (AHMED LAMINE ECH-CHINGUETI, 1953). Plus que les autres régions de Mauritanie, le Trab el-Hajra offre donc aux . sociétés nomades des possibilités de diversifier leurs techniques d'exploitation et leur mode de vie Aux sollicitations de la nature s'ajoute l'influence des ci- tés. Il y a dans cette région un équilibre profond entre la grande nomadisation en- core pratiquée par de nombreuses tribus, la semi-nomadisation de plus en plus adop- tée, qui concilie l'élevage et la culture et la vie citadine axée sur l'exploita- tion de la palmeraie et le commerce. Cet équilibre, est en passe d'être rompu par la vague de sédentarisation.

liais les aspects et les répercussions de cette crise varient considérable- ment 'du Nord au Sud, depuis la bordure saharienne jusqu'aux limites de la savane.

Le Trab el-Hajra groupe en effet une variété de "pays" que, très tôt, les nomades, qui sont d'excellents topographes, ont su individualiser (fig. 2). ' ' - L'Afollé. ' '

Ce massif affecte la forme d'un triangle d'une superficie de 30.000 km Le relief est très morcelé en raison de l'abondance des diaclases ; les formes molles sont souvent recouvertes de bancs de grès plus durs dans lesquels l'érosion a sculpté un relief ruiniforme très pittoresque. Certains escarpements, comme le banc de Fredi, ont une hauteur de commandement supérieure à 200 m (Cl. BEMSE, 1964) - Les difficultés d'accès font que seules quelques gorges sont aménagées avec des barrages de culture ; la majeure partie du massif, non fréquentée par les nomades, est restée un conservatoire de la Nature : de nombreuses espèces soudano-guinéennes (Celtis integrifolia) y subsistent, grâce à des microclimats d'abri ; un troupeau d'éléphants le hante encore.

- Le Rkiz.

Ce petit massif rocheux, de 50 km de long sur 20 km de larm e, qui émerge des sables de l'Aoukor, n'est qu'une avancée septentrionale de l'Afollé dont il est séparé par un couloir sableux de 10 à 20 km de large. Il est constitué d'assises de grès ; les dénivellations maximales ne dépassent pas 70 m (s. DAVEAU, 1963). C'est dans le cir- que de Noudache, au bud, que se trouve le site présumé d'Aoudaghost.

- L'Aouker, qui désigne en zénaga (dialecte berbère de Mauritanie) une vaste du ne, est un immense erg qui occupe toute la partie septentrionale de la boutonnière du Hodh. Mais en raison de l'intérêt que ses pâturages présentent pour les éleveurs du Tagant ou de l'Assaba, nous avons jugé utile d'intégrer à la Maurita nie centrale la partie occidentale de l'Aouker, à l'Ouest d'une ligne reliant Tichit à Aïoun el-Atrouss. Cette zone est caractérisée par "de grands alignements dunaires qui atteignent une régularité et une taille remarquables" ; leur longueur atteint plusieurs dizaines de kilomètres, leur hauteur moyenne est de 40 a 50 m, leur largeur est de l'ordre de 1.000 m à 1.500 m ; ils sont séparés par des dépres- sions sableuses plus étroites. Quelques vallées fossiles subsistent dont la plus importante "forme la longue dépression de Taskas.., où aucun écoulement ne s'est jamais manifesté de mémoire d'homme" (S. DAVEAU, 1965, p. 10, 11, 12).

- Le Regueiba. Sous ce terme, qui est un diminutif de regba : le cou (A. LERICHE, 1955, p. 57), les Maures désignent le prolongement sud-ouest de l'Aouker qui s'allonge entre les rebords du Tagant (Haseira) et ceux de l'Afollé comme un col. Cette cuvette profondément ensablée comporte deux types de dunes : au Nord, de grands aligne- ments NW-SE analogues à ceux de l'Aouker, au Sud, de petits bourrelets orientés SW-NE. Elle est bosselée par des buttes-témoins qui annoncent le Tagant Noua- melin, les Takhada, etc. (Cl. BENSE, 1964 ; S. DAVEAU, 1965).

- L'Assaba. Le massif de l'Assaba est le prolongement méridional du Tagant dont il est séparé par la passe de Diouk. Il s'étire sur près de 200 km en latitude ; sa largeur est faible, elle n'excède pas 25 km. Profondément découpé par des fractures et des diaclases, il se présente comme uie suite de hauts butions de grès quartzitiques entourés de corniches altières (d'où son nom en hassaniya : Açaba : bandeau), dont la hauteur de commandement peut atteindre 250 m. De grands versants encom- brés d'éboulis, des gorges profondes, des seuils étroits, élevés, d'un accès malaisé, d'abondants fourrés d'épineux font du massif un pôle de répulsion, mal- gré la fréquence des sources qui en jaillissent (Cl. BENSE, 1964 ; S. DAVEAU, 1963 ; Ch. TOUPET, 1966).

Tout différents apparaissent les puissants massifs du Centre et du Nord . le Tagant (25.000 km2) et l'Airar (60.000 km2) qui, à l'abri de leurs versants escarpés, recèlent d' immenses plateaux favorables à la nomadisation et de pro- fondes vallées où sont nées d'opulentes oasis et de nobles cités. - Le Tagant. Le Tagant est un grand plateau gréseux dont le relief s'abaisse progressivement vers le Nord-Ouest, en direction du Khat, large dépression orientée Nord-Est - Sud- Ouest, qui le sépare de l'Adrar. A qui l'aborde du Sud, au contraire, le Tagant op- pose la muraille de hauts versants (200 m à 350 m) couronnés de corniches, à peine échancrés de quelques sentes chamelières et flanqués de buttes-témoins abruptes : Djouingui, Akrerai ; les Takhada, Nouamelin, Gandega. A qui l'aborde du Nord, le Tagant se montre accueillant et le nomade, habitué aux espaces désertiques, est émerveillé de voir les premiers arbres - des acacias surtout - surgir entro les ro- chers, peupler la dunc rouge d'une frondaison de verdure, former au fond des dé- prossions de véritables Ralliers où les tourterelles roucoulent, d'où le nom que les Berbères donnèrent à cette région : Taganet ou Tagant, féminin d'Agan : la fo-- rêt aux grands arbres (A. LERICHE, 1955a,p. 9-10). Certes la poésie des nomades ne doit pas induire le lecteur en erreur et, ainsi que le note Odette du PUIGAUDEAU (1949, p. 20) : "cette forêt africaine, le plus sou- vent, le voyageur la domine du haut de son chameau".

Doux grands ensembles se partagent le Tagant : au Centre et à l'Est de vas- tes plateaux étages d'une altitude variant entre 400 et 560 m (point culminant au Sud de Tidjikja) ; à l'Ouest une dépression d'origine tectonique, orientée du Sud au Nord, qui draine la majeure partie des eaux du plateau (S. DAVEAU et P. IIICHEL, 1969). Les Maures distinguent judicieusement parmi les plateaux orientaux quatre pays : l'Haseira, le plateau de Tidjikja, l'Adafer Lakhdar, l'Adafer Labiod (J. DELPY, 1961).

- L'Haseira, qui domine le Regueiba, est une haute surface, couverte de gra- villons ferrugineux au sol uni, d'où son nom qui veut dire, en arabe, la natte, (A. LERICHE, 1955a,p. 37).

- Le plateau de Tidjikja comporte deux surfaces emboîtées qui s'abaissent depuis le rebord méridional qui domine l'Aouker (Eyriera, Maza, 560 m) jusqu'au Khat au Nord-Ouest. Il est drainé par l'Oued Tidjikja, qui est une "rue de pal- miers" dans son cours inférieur et sur les bords duquel s'élève Tdijikja, la ville principale du Tagant (5.000 h).

- L'Adafer Lakhdar (id est l'Adafer noir ou pierreux) le continue vcrs l'Est ; malgré son nom, il est partiellement ensablé ; quelques oueds (Oued Tmarfiga) qui coulant exceptionnellement se dirigent vers le Nord.

- L'Adafer Labiod (id est : l'Adafer blanc ou sablonneux) étend ses dunes vers lo Hord-Est et annonce l'erg de l'Ouaran. Les deux Adafer sent des zones de

pâturage estimé.

L'Ouest du massif possède, au contraire, un relief on creux : une vaste

dépression méridienne, la Tamourt en-Naaj (1) y recueille les eaux venues du Sud (Oued Bouraga) et de l'Est (Oued Kra Naga). et se perd au Nord dans la mare d é- ^ pandage de Gabou où se jette également, venant de l'Est, l'Oued el-Abiod. Ces deux vallées, en raison de l'abondance des écoulements, exceptionnelle a cette latitude, constituent une zone d'attraction pour les pasteurs et cultivateurs : les pâturages abondent et le long des oueds dec champs de mil cultives en décrue alternent avec les palmeraies ' sur les bords de l'Oued el-Atiod s'élèvent les ruines de l'antique cité Kunta : Ksar el-Barka (Cn. TOUPET, 1958).

- L'Adrar. L'Adrar (montagne en berbère) ou, pins précisément, pour le distinguer d'autres

régions montagneuses du même nom, l 'Adrar Tmar (la montagne des dattes) est un puissant massif gréseux dont les escarpements s'étagent sur des centaines de mè- tres de hauteur et qui culmine au piton de Teniaggouri, à 830 m. Séparé du Ta- gant par le couloir du Khat, il est limité à l'Ouest par un avant-pays plat : la pénéplaine de l'Amsaga, et cerné au Nord et à l'Est par de puissants amas dunai----- res : l'Oum Arouaba, la Maqtir, l'Ouaran. Les Maures y distinguent trois sec- teurs : le Jiar, le Baten, la Rgueita, (Th. MONOD, 1952). Le terne de Dhar doit être précisé. Originellement, il désigne on nassanya le

dos, c'est-à-dire un plateau, eu éventuellement le revers d'une cote ; main très rapidement géologues et géographes ont prij l'habitude de grouper sous ce vocable non seulement la surface sommitale maie encore l'escarpement proprement dit, que les Maures appellent hait : le mur.

(1) La vallée des brebis, de : tamourt : mares peuplées d'amour, acacia nilotica, et naaj : les brebis. ^ Le Dhar de l'Adrar est donc un ensemble de hauts reliefs gréseux : le pla- teau des Ibi, le grand Dhar, le plateau de Chingueti. Le plateau des Ibi (noir et blanc), de forme triangulaire, domine l'Amsaga ; il est séparé du grand Dhar par l'Oued el-Abiod. Le Grand Dhar est le trait majeur du relief de l'Adrar, il forme entre les bas pays et le plateau un rempart presque continu (une seule piste automobile le franchit, grâce à la profonde entaille d'Amojjar) et très élevé (les dénivellations atteignent 400 m). En arrière du grand Dhar s'étend le plateau de Chingueti qui s'abaisse progressivement vers le Khat, et dont le centre est occupé par l'erg de l'Ouaran. Au Sud de ces hautes terres s'étend la Rgueita, id est la (terre) mouchetée, c'est-à-dire une région où alternent les affleurements gréseux et les cuvettes ensablées. Au llord s'épanouit le Baten d'Atar. Baten veut dire le ventre, et désigne communément une plaine al- longée au pied d'un escarpement ; en Adrar, le Baten d'Atar englobe d'une part une série de plateaux et d'escarpements orientés Sud-Nord, séparés par des dépressions où coule l'Oued Seguelil et ses affluents, d'autre part d'immenses glacis (reg) drainés par des oueds qui vont se perdre dans la sebkha de Chemchane, (Th. MONOD, 1952 ; 3. DAVEAU, 1967). Situé aux confins du désert, l'Adrar n'abrite les nomades que les bonnes années, celles où les pâturages ont reverdi sous l'effet des pluies d'été ou des pluies d'hiver. liais certaines années le pays est soumis à une séche- resse rigoureuse, leu nomades se replient vers le Sud et la vie se concentre dans les vallées bordées de palmercdes (Oued el Abiod, Oued Seguelil). Si Chingueti et Ouadano déclinent inexorablement, Atar reste une cité importante par ses produc- tions de dattes et de légumes, son marché de bétail et ses boutiques où convergent les marchandises venues du Nord et du Sud.

Tous ces pays, même ceux qui comme l'Adrar et le Tagant pourraient paraître assez vastes et diversifiés pour former des régions - n'ont-ils pas été constitués Cercles, héritage aduinistratif des émirats du passé ? - entre lesquelles existent des liens réels fondés sur leur complémentarité économique. Il faut toujours rap- peler cette vérité première : le Nomade ne s'enferme pas dans un cadre spatial, il défie les distances, il distend les liens tribaux et familiaux et les frontières pour poursuivre son destin. Combien de commerçants notables de Chingueti ou de Oua- dane ont-ils essaimé dans les nouvelles cités surgies autour de l'exploitation du fer : Zwérate et Nouadhibou ? Combien de négociants de Tidjikja ont-ils créé des noynux commerciaux à Moudjéria, à et même à Bathurst ou à Dakar ? Quant

aux pasteurs, ils suivent la pluie : certaines années, la majeure partie des

éleveurs du Tagant sont attirés par les pâturages de l'Adrar exceptionnellement

- fécondés par des pluies d'hiver si bienfaisantes ; prr contre tout éleveur de

l'Adrar connait les pâturages du Sud, du Tagant à l'Aouker.

Dans un cadre plus restreint, les nomades ont su observer les complémentarités

spatiales : un seul exemple nous le montrera : les Ahel Noh qui nomadisent du

pla teau de Tidjikja à l'Afollé abandonnent au printemps les pâturages desséchés

des plateaux pour ceux encore verdoyants des dunes de l'Aouker (Ch. TOUPET, 1963,

p. 70, carte). Les liens les plus évidents entra régions naturelles sont ceux

qui unissent le Baton, le ventre, au Dhar, le dos.

Voici Tichit dont la fortune est liée au site : au pied du Dhar qu'escalade la

passe chamelière d'Elkhadmia, la cité entourés de son auréole de palmiers qui se

prolonge jusqu'aux dunes fauves, s'étale dans le Baten dont les nombreux puits

(nappe alluviale dans les schistes) et la sebkha offrant aux pasteurs l'eau ut

le sol indispensables (Ch. TOUPET, 1959).

Ces complémentarités s'exercent sur un plan horizrntal : la trame des

relations nouéus entre pays ne suscite pas, en économie traditionnelle, un ré-

seau de relations hiérarchisées. Aucune ville ne peut prétendre au rôle de capi-

tale de la Mauritanie centrale sahélienne. Ainsi que l'a fortement souligné

II. P. PELISSIER (1960), los capitales régionales sont sur los marges des régions

traditionnelles ; la capitale de la Mauritanie centrale est, encore, à bien des

égards, Dakar.

Nouakchott détrônera-t-elle la métropole sénégalaise ? De nouveaux centres de

polarisation se développeront-ils dans ce Sahel dont l'économie, nous l'avons

dit, doit être valorisée ?

L'analyse de la crise de la société nomade, de sa sédentarisation, peut

apporter des éléments de solution au problème de la structuration de la Maurita- nie contrale sahélienne. Première partie

LES CONDITIONS DE LA VIE NOMADE

Chapitre I

LES CONDITIONS BIOCLIMATIQUES

La vie nomade exige une adaptation toujours renouvelée aux âpres condi- tions d'un climat rude et aléatoire. Aussi est-il indispensable d' abord d'analyser les traits de ce climat aride et de tenter de cerner le problème de la distribu- tion des précipitations, de dresser un bilan de l'eau, de cette eau que les grands nomades du Nord, les Regueibat, appellent : Rahma : la miséricorde de Dieu.

La médiocrité et les fortes variations interannuelles de la pluie expli- quent le caractère vulnérable d'une végétation clairsemée, intermittente, que paissent avidement les troupeaux des pasteurs maures. Cette aridité qui se lit dans la maigreur du couvert végétal s'accroît-elle ? - telle est la grave question que poso l'étude du dessèchement historique tel qu'on peut le déceler à travers les témoignages de la flore, de la toponymie, de l'histoire et de l'archéologie.

A. LE CLIMAT ACTUEL

"mais l'Hammoni regardait l'horizon, il y montait de légers flocons blancs. - Signe de pluie, dit-il." Charles DIEGO - Sahara.

Le climat actuel de la Mauritanie centrale se caractérise par une nette tendance à l'aridité. L'analyse des précipitations, de leur fréquence, de leur ré- partition spatiale et temporaire, de leurs variations est donc au coeur de ce cha- pitre ; elle met en valeur la longueur et la rigueur des périodes de séchoresso que subissent des hommes à qui, seule, une profonde adaptation mentale, biologi- que et technologique permet de survivre. 1. LES SOURCES

Du rebord septentrional de l'Adrar qui domine les immensités sahariennes jusqu'aux: savanes soudanaises du Guidimaka, le Trab el Hajra dispose d'un très petit nombre de stations météorologiques. De plus, certaines d'entre elles ne sent probablement pas représentatives du climat régional, en raison du site où elles ont été installées ; c'est ainsi qu'Atar, engoncé au pied du Grand Dhar, reçoit près de deux fois plus de pluie que Chingueti situé à la même latitude, et autant qu'Akjoujt à une latitude plus méridionale ; de même, Houdjeria, resserrée entre une longue dune vive et la falaise occidentale du Tagant, frappée par les rayons du soleil couchant, connaît des températures maximales sensiblement supérieures à celles de stations de latitude comparable.

Il est donc indispensable de confronter les données recueillies en Mauri- tanie centrale avec celles fournies par les stations périphériques ; sahariennes (Fdérik), atlantiques (Nouadhibou, Nouakchott, Saint-Louis), sahéliennes conti- nentales (Néma) et soudaniennes (Kayes).

Le réseau ainsi constitué compense sa faible densité par une judicieuse implantation qui permet de caractériser - à grands traits, certes - les nuances du climat mauritanien en fonction de la latitude, de la continentalité et du relief. Il comporte trois catégories de stations météorologiques, toutes sous le contrôle de l'Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) ; les stations synoptiques, les postes climatologiques et les postes pluviométriques (tableau n° 1).

Les stations synoptiques sont desservies par un personnel qualifié et équipées d'appareils enregistreurs et à lecture directe qui donnent aux mêmes heures les valeurs mesurées des éléments météorologiques classiques : les postes climatologiques sont pourvus d'appareils à lecture directe et fournissent des ob- versations triquotidiennes sur les températures et les précipitations. Les postes pluviométriques sont équipés de simples pluviomètres. Tableau 1. - Les stations météorologiques. S = Station synoptique C = poste climatologique P = poste pluviométrique

Cette distinction nous autorise à nuancer la dose de crédit que l'on peut accorder aux données recueillies ; les stations synoptiques fournissent une documentatior sérieuse et homogène en raison de la compétence et de la ponctualité des agents qui y sont affectés ; par contre, force est de constater que la tenue des postes climatologiquos et pluviométriques relevait jadis et relève parfois encore de la fantaisie : non respect des heures d'observation, erreurs de lecture, plantations d'acacias autour des pluviomètres, etc.

Certes, tous les renseignements publiés par les soins dos agences nationa- les de l'ASECNA sont l'objet d'un contrôle rigoureux de la part des météorologis- tos et donc dignes de confiance. Mais si on retire du total des observations espé- rées toutes celles qui sont rejetées par les spécialistes parce qu'elles sont manifestement aberrantes et toutes celles qui n'ont pu être faites pendant des périodes souvent fort longues - de 1932 à 1943 à Mbout, de 1946 à 1963 à Tichit, de 1958 à 1960 à Houdjéria - soit par manque de personnel soit par détérioration du matériel, si l'on tient compte en outre des déménagements - la plupart dos postes ont été transférés du centre de l'agglomération au terrain d'aviation - et dos fréquonts changements d'appareils, l'on s'aperçoit que la documentation climatologique n'est ni aussi complète ni aussi homogène que souhaité.

Dans ces condi ho¡-:;" malgré nos efforts en vue de collationner des chif- fres portant sur une même période, trentenaire pour les précipitations (1931-1960), décennale pour les températures et l'humidité relative (1951-1960), quinquennale pour les vente au sol (1951-1955), les données fournies par les différentes sta- tions ne sont pas exactement comparables ; mais leur confrontation permet néan- moins de tracer les grands traits du climat de la Mauritanie centrale et de mettre en relief le degré d'aridité atteint. Fondée exclusivement sur l'analyse des mo- yennes, cette comparaison n'est que l'introduction indispensable à l'analyse Ou phénomène essentiel auquel est suspendue la vie des nomades : la distribution des pluies, analysa qui exige le recours aux données quotidiennes.

Le document de base est le TOM ou tableau climatologique mensuel qui est établi dans chaqne poste. Nous avons effectué le dépouillement des TCM de 19 sta- tions mauritaniennes pour la période 1931-1960. Bien qu'il ait souvent varié dans sa présentation et dans son contenu, ce document est d'une grande richesse : il comporte non seulement les relevés quotidiens - au minimum deux par jour à 08 et 18 h - des valeurs les plus usuelles (températures, précipitations, pression, ten- sion de vapeur, humidité relative) mais aussi les fréquences des "phénomènes di- vers" (orages, éclairs, brume sèche, vents de sable et surtout une rubrique "remar- ques diverses", hélas trop peu souvent remplie, et dans laquelle l'observateur est invité à consigner des événements liés au climat et du plus grand intérêt pour le géographe, tels que : écoulements dans les oueds, état des pâturages, apparition des fleurs sur les arbres (phénologio), état des cultures.

Dans cette quête des informations relatives à la pluie, des "potins météo- rologiques" comme disait E.F. GAUTIER (1), les nomades sont particuli èrement ex- perts. La trame des chronologies tribales est une observation minutieuse du rythme et de l'abondance des pluies. Certaines chronologies de grandes tribus nomades du Sahara ont été collectees et enrichies de notes par des Sahariens avertis

(1) Cité par J. DUBIEF, 1963, p. 9. (J. et J. DUBIEF, 1955). D'autres chronologies, moins riches, provenant de tribus sahéliennes, nous ont été transmises par nos informateurs.

2. LE DEGRE D'ARIDITE

L'emprise de l'aridité sur la Mauritanie centrale est liée à la prédomi- nance de l'action des hautes pressions subtropicales boréales, centrées générale- ment sur les Açores et pouvant s'étendre largement sur le Shara septentrional et rejoindre l'anticyclone thermique maghrébin. Les conséquences de la permanence de cet anticyclone des Açores sont multiples et considérables : le ciel est généra- lement clair, l'atmosphère est très sèche, l'insolation est donc forte ; les tem- pératures sont élevées, sujettes à des amplitudes diurnes et même annuelles impor- tantes, l'évaporation est intense, l'humidité de l'air ne peut être que faible, enfin - et c'est le trait essentiel - les pluies, assez régulières mais très fai- bles en quantité et concentrées sur une courte période de l'année, ne peuvent sur- venir que lorsque le flux des alizés issus de l'anticyclone des Açores est provi- soirement suspendu sous l'action soit d'exceptionnelles coulées polaires (pluies d'hiver), soit surtout des alizés austraux engendrés par l'anticyclone de Sainte Hélène qui envahissent le pays au coeur de l'été (pluies de mousson).

* Un ciel clair La clartù des ciels en Mauritanie centrale est due à l'extrême sécheresse d'un air qui, en so compriment, absorbe la vapeur d'eau et dissipe les nuages. La nébulosi- té est donc, généralement, faible ; la moyenne annuelle, calculée en dixièmes, oscille, pour l'ensemble des stations, entre 3 et 4. Ce n'est qu'en hiver, lorsque des dépressions d'origine polaire apportent des brouillards, et surtout au coeur de l'été ou au début de l'automne quand règne la mousson, que les moyennes men- suelles dupassent 4 sans jamais atteindre 5.

+ Une forte insolation

L'insolation est d'autant plus forte que la nébulosité est faible et que l'angle d'incidence des rayons solaires se rapproche de 90°. L'examen du tableau 2 montre que : - la durée d'insolation est presque toujours aussi élevée que la durée moyenne du jour - en raison justement de la faible couverture nuageuse. Tablcau 2. - Durée moyenne du jour en heures et minutes (D). Angle moyen d'incidence des rayons solaires à midi en degrés et dixièmes (A). Nébulosité moyenne en dixièmes (N), d'après J. DUBIEF, 1959, p. 28. Durée moyenne d'insolation journalière en heures et dixièmes (I). - la durée moyenne du jour varie peu au cours du l'année, avec un maximum en juin d'au moins 13 h (solstice d'été) et un minimum en décembre de l'ordre de 11 h ' (solstice d'hiver).

- l'incidence des rayons solaires, on ces basses latitudes, est forte ; elle; n'est jamais inférioure à 47°5 et atteint 90° lors des deux passages du soleil au zénith : les 7 juin et 5 juillet le long du 20 parallèle et les 18 mai et 25 juillet le long du 15ème parallèle.

+ Des températures élevées Les fortes températures et leurs variations au cours de l'année sont donc fonc- tion du mouvement apparent du soleil qui rythme la durée d'insolation et règle l'incidence des rayons solaires. Les moyennes annuelles des stations de liaurita- nie centrale sont toutes largement supérieures à 25° : Atar : 28°3, Tidjikja : 27°3, Kiffa : 29°, Aïoun el-Atrouss : 28°9. Même les moyennes des mois d'hiver restent élevées : seuls Atar, on raison de la latitude : 20°31' N, et Tidjikja située à près de 400 m d'altitude, connaissent en décembre des températures moyennes légèrement inférieures à 20° (tableau 3). Le régime saisonnier des températures maxima et mi ni ma moyennes est contrasté. Les deux mois les plus froids sont partout décembre et janvier. Dès le mois de février les températures s'élèvent. Cette progression se poursuit vigoureusement - en mars et en avril pour atteindre son sommet en mai, dans la plupart des sta- tions sahéliennes ; en juin à Tidjikja et en juillet à Atar, les stations typi- quement sahariennes telles que Fderik et Bir-Moghrein ayant leur maximum en août. Les pluies d'été sont assez fréquentes au Sud du 19 parallèle pour abaisser les températures en écrétant surtout les mexina ; la fin de la saison des pluies provoque un maximum secondaire en octobre ; en novembre l'abaissement de tempéra- ture est brutal. Au Nord du 19 parallèle les pluies sont trop faibles pour agir efficacement sur la courbe des températures : les valeurs enregistrées à Atar décroissent régulièrement de juillet à décembre. Tableau 3. - Les températures maximales moyennes (Tx), minimales moyennes (Tn) et moyennes (M) ( 1951-1960)

L'évolution des amplitudes diurnes (1) n'est pas moins significative. C'est au coeur de la saison sèche, lorsque le ciel est le plus clair, l'air le plus sec et l'incidence des rayons solaires la moins élevée, que les amplitudes diurnes sont les plus fortes ; elles diminuent par contre en été lorsque l'incidence des rayons solaires est voisine de 90° et quand les pluies estivales écrètent les maxima. Les valeurs les plus fortes sont en avril à (19°5), Kiffa «, : 90 5 ), (19°), Atar (1 '7°2), Tidjikja (17°8), en mai à Moudjéria (18°7). Les valeurs les plus bas- ses pour toutes ces stations sont celles du mois d'août, sauf pour Atar qui connaît un double minimum en septembre et en décembre ( 13°5) .

Les amplitudes annuelles, en raison de la faible variation de la hauteur du soleil dans le ciel au cours de l'année, sont moyennement élevées. Elles augmentent régu- lièrement de l'Ouest vers l'Est en fonction de la continentalité croissante :

Aleg : 10°, Moudjéria : 10° 5, Kiffa : 11°5, Aïoun el-Atrouss : 12° ; à latitude comparable, les stations littorales jouissent de climats moins contrastés : Saint- Louis : 6°5, Nouakchott : 8°1. Elles croissent également du Soudan vers le Sahara en raison du contraste croissant entre la hauteur du soleil en été et en hiver .

Kayes : 10°2, Kankossa : 11°, Kiffa : 1105, Tidjikja : 13°7, Atar : 14°6, Fderik ; 15°, (fig. 3).

Si, à la suite de C. TROLL, on compare les amplitudes annuelles et les amplitudes diurnes, on peut tracer la limite septentrionale du domaine intertropical juste au Sud de Fderik. En cette station, en effet, l'amplitude annuelle (15°) dépasse lé- gèrement l'amplitude diurne (14°9) ; partovt ailleurs, c'est naturellement l'inver- se.

+ Une évaporation intense

L'évaporation est probablement le phénomène le plus caractéristique des zones arides et semi-arides ; ses manifestations sont visibles et catastrophiques : abaissement régulier du niveau des mares et des gueltas au cours de la saison sèche ;

(1) Dans l'impossibilité d'obtenir les différences quotidiennes entre Tn et Tx, soit l'amplitude périodique, nous avons utilisé la différence entre le maximum moyen et le minimum moyen mensuels, soit l'amplitude apériodique, d'une valeur légèrement supérieure. F ig , 3 Tableau 4. - Les amplitudes de température en °C (1951-1960)

dessèchement rapide des sols à la suite des averses ; flétrissement non moins ra- pide du tapis végétal soumis aux ardeurs d'un soleil pesant ou au souffle brûlant des alizés continentaux ; annulation même d'un certain nombre de précipitations dont les gouttes, au contact des couches inférieures de l'atmosphère surchauffées, sont évaporées avant d'atteindre le sol. Ce dernier aspect, si fréquent au Sahara, (J. DUBIEF, 1953, p. 63), n'est pas rare en zone sahélienne : R. TROMPETTE l'a remarqué en 1960-61 en Adrar ( 1962, p. 17), nous même l'avons observé au Tagant, en début de saison des pluies, au mois de juillet.

Mais l'appréciation quantitative de l'évaporation pose de redoutables problèmes théoriques - difficultés à préciser l'évaporation potentielle ou réelle des sols, des nappes d'eau libre, des plantes surtout (évapo-transpiration), en raison de la multiplicité des espèces végétales et des différences considérables qui affectent leur physiologie - et pratiques - implantation de bacs et do cases lysimétriques, permanence des contrôles, etc. L'installation d'un bac Colorado est prévue en 1970 à la station phénicicolc de Kankossa. Quant aux premiers résultats enregistrés aux stations de Richard-Toll et de Dambey au Sénégal, sous le contrôle scientifique des chercheurs du Contre do Recherches Agronomiques de Bambey et qui s'avèrent très précieux, il serait probablement incorrect d'en faire état pour la Mauritanie centrale. Force est donc de recourir aux valeurs de l'évaporation enregistrées sous abri à l'aide de l'évaporomètro Piche de type droit. Cet appareil présente des défauts graves : éprouvette placée à l'abri de la radiation directe et, en partie, de la ventila- tion qui est un facteur secondaire non négligeable ; surface évaporante (1 cm2) trop petite (J. COCHEME, 1967, p. 94). Si les résultats fournis par cet instru- ment ne peuvent donc en aucun cas permettre de cerner la réalité du phénomène, ils permettent néanmoins d'en souligner l'ampleur et d'en marquer l'évolution saisonnière.

L'examen du tableau 5 montre que les totaux annuels sont considérables : ils dépassent pour les quatre stations de référence 3,50 m, contre 1,50 m par ex. à Saint-Louis du Sénégal. Tout au long de l'année l'évaporation suit le rytlime des températures : les maxima sont en avril à Kayes, en mai à Kiffa, en juin à Tidjikja et en juillet à Atar ; les minima sont concentrés en août et septembre au coeur de la saison des pluies, lorsque les températures maximales sont atté- nuées, à Kiffa et à Kayes et, en hiver, de novembre à janvier à Atar et Tidjikja. Tableau 5. - Evaporation enregistrée en mm à l'évaporomètre PICHE de type droit.

+ Une faible humidité de l'air

Si l'on excepte les stations de la côte atlantique souvent submergée par les brouillards : Mouadhibou, Nouakchott, Saint-Louis, l'ensemble des stations figu- rant sur le tableau 6 enregistrent de faibles pourcentages d'humidité relative. Les minima sont particulièrement bas, durant la plus grande partie de l'année. Pour toutes les stations, hormis Bir-Moghrein et Fderik qui connaissent les plus fortes humidités en décembre sous l'influence des pluies d'hiver, c'est au mois d'août que sont enregistrés les taux d'humidité les plus élevés ; Atar, a vue un maximum principal en août et un maximum secondaire en décembre, marque bien la transition entre le Sahel et le Sahara. Ces oppositions saisonnières sont le reflet do l'opposition fondamentale entre les masses d'air qui règle L. régime des précipitations, (fig. 4). Tableau 6 - L'humidité relative maximale (x) et minimale (N), moyennes en %. L'HUMIDITE RELATIVE

Maxima et minime moyens ( en % ) 1951 - 1960

Fig. 4 ± Des pluies faibles et concentrées sur une courte période

La médiocrité des précipitations, leur amenuisement croissant du Sud vers le Nord, leur concentration au cours d'une brève période estivale, autant de traits qui sont dûs au fait essentiel que les alizés boréaux règnent en Mauritanie durant la majeure partie de l'année, ne le cédant aux alizés austraux que pendant l'été. Le Front intertropical (F.I.T.) qui, en Afrique occidentale, marque la limite en- tre ces deux masses d'air, obéit à un mouvement annuel de balancement entre le 6 degré de latitude Nord au-dessus duquel il stationne en janvier et le 21eme parallèle qu'il atteint au cours du mois d'août (Ch. TOUPET, 1968, b).

La progression du FIT vers le Nord s'effectue lentement : les alizés austraux, gorgés d'humidité à la suite de leur long parcours au-dessus de l'A- tlantique central surchauffé déviés vers le Nord-Est après la traversée de l'E- quateur ne pénètrent en effet en Mauritanie méridionale que vers la fin du mois de mai, atteignent l'Assaba et le Hodh en juin puis le Tagant en juillet, pour régner, malgré leur épuisement, sur l'Adrar et la région de Fderik au mois d'août.

Dès le mois de septembre, sous la pression des alizés boréaux, cette mousson est "éjectée" rapidement vers le Sud : le FIT qui, vers le 15 septembre, passe encore par le 20 parallèle, se trouve à la latitude de Mbout et de Kan- kossa (160 N) à la mi-octobre. Dès lors toute la Mauritanie est sous la dominance des alizés boréaux qui de l'automne au début juin imposent une sécheresse absolue, seulement rompue par de brèves périodes de fines pluies hivernales lorsque des déplacements latéraux du centre des hautes pressions des Açores, laissent passer d'exceptionnelles coulées polaires.

L'examen des figures 5, 6, 7, 8 donnant la direction des vents au sol à Atar, Tidjikja, Kayes (1951-1955) et Kiffa (1961-1963) permet de distinguer parmi ces vents desséchants trois directions bien individualisées : l'alizé maritime de Fig. 5 F i g . 6