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Ciné-Bulles Le cinéma d’auteur avant tout

Critiques Mr Bean: The Ultimate Disaster Movie A Life Less Ordinary l’Appartement Marquise Boogie Nights Jean-Philippe Gravel, Jean Beaulieu, Charles-Stéphane Roy et Marion Froger

Volume 16, numéro 4, hiver 1998

URI : https://id.erudit.org/iderudit/33859ac

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Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique)

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Citer ce compte rendu Gravel, J.-P., Beaulieu, J., Roy, C.-S. & Froger, M. (1998). Compte rendu de [Critiques / Mr Bean: The Ultimate Disaster Movie / A Life Less Ordinary / l’Appartement / Marquise / Boogie Nights]. Ciné-Bulles, 16(4), 54–59.

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Mr Bean: The Ultimate MR BEAN: THE ULTIMATE Dans les sketches de la série, Mr Bean ne cesse d'être Disaster Movie DISASTER MOVIE trahi par son corps: c'est le type qui s'aperçoit avec horreur qu'il a la goutte au nez, ou que la fermeture 35 mm /coul. / 93 min / de Mel Smith 1997/fict./États-Unis éclair de son pantalon est grande ouverte (alors qu'il se prépare à serrer la main, par exemple, de la reine Real.: Mel Smith par Jean-Philippe Gravel d'Angleterre) et qui, tentant de réparer le problème, Seen.: Richard Curtis, Robin ne fait qu'accentuer la catastrophe. Cependant, les Driscoll Image: Francis Kenny offenses de Bean sont parfois accidentelles, parfois Mus.: Howard Goodall l y a des séries télévisées dont le concept même délibérées: son action a donc une portée subversive, Son: Robert Anderson Jr. semble appartenir à un tel point à son médium du fait que ses atteintes aux plus élémentaires règles Mont. : Christopher Blunden d'origine que tout éventuel passage au grand du savoir-vivre révèlent en contrecoup le ridicule Prod.: Peter Bennett-Jones I Dist.: Polygram Distribution écran garantit les pires désastres. Lorsque l'on ap­ de ces codes. Int.: Rowan Atkinson, Peter prend que tel personnage fera le grand saut, il y a McNichol, Pamela Reed, rarement de quoi se réjouir: on a qu'à penser à Bill Seulement, Mr Bean se trouve ici expédié de son Tricia V

Ce clin d'œil m'apparaît bien comme ce qui, en bout de ligne, permet au film d'acquérir un semblant de substance. Il va sans dire que son scénario permet également d'assister, sans attention aucune, à une enfilade de sketches comiques vertébrés par un récit accessoire. Mais qu'on se rappelle seulement ceci: en territoire anglais, Bean constituait une offense Rowan Atkinson dans Mr Bean de Mel Smith (Photo: Melissa Moseley)

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vivante à toute manifestation de bon goût. Or, si on cherche à prélever en vain ce «bon goût» du terri­ toire américain qu'il explore ici, c'est bien parce qu'il ne s'en trouve pas du tout. Comme quoi les meilleu­ res blagues demeurent bien celles qu'on rit sous cape... •

A LIFE LESS ORDINARY de Danny Boyle

par Jean Beaulieu

près les débuts fracassants du trio formé du réalisateur Danny Boyle, du producteur A Andrew MacDonald et du scénariste John Hodge (auquel on pourrait ajouter le quatuor réu­ nissant le directeur photo Brian Tufano, le monteur Masahiro Hirakubo, le chef-décorateur Kave Quinn et l'acteur Ewan McGregor), qui avait créé une cer­ taine commotion avec Shallow Grave et Cameron Diaz et Ewan Trainspotting, on était en droit de s'attendre à beau­ Résultat? C'est comme si les comédies romantiques McGregor dans A Life Less coup de leur nouvelle comédie fantaisiste et roman­ de l'âge d'or hollywoodien de Frank Capra, Preston Ordinary de Danny Boyle tique qui, comme son titre le suggère, promettait Sturges ou Billy Wilder avaient été revues par les (Photo: Darren Michaels) d'être tout, sauf ordinaire. Toutefois, passé au crible frères Coen — le génie des uns et des autres en de Hollywood, ce troisième film — le premier tourné moins... Malgré une forte dose d'énergie, tant chez aux États-Unis par cette équipe —, bien que fort plai­ les interprètes que chez le réalisateur, l'humour de sant, manque passablement de rigueur. l'équipe du trio infernal (Boyle-MacDonald-Hodge) s'émousse quelque peu, ayant perdu de sa noirceur L'histoire... Robert (Ewan McGregor) rêve d'écrire et de sa causticité. Certaines scènes font un peu pas­ un roman de série noire à deux sous avec blondes tiche (la séquence onirique d'ouverture — aux allu­ incendiaires et meurtres dans une villa de richissi­ res d'une pub de Chanel —, la scène dans la forêt, mes, mais il est simple concierge dans une grande qui rappelle Miller's Crossing, et celle, un peu sur­ entreprise, emploi peu gratifiant qu'il perd au profit réaliste, où Celine et Robert dansent comme Ginger de la haute technologie (un robot a été conçu pour et Fred dans le bar western après un bref exercice de accomplir ses tâches). Pendant ce temps, Celine karaoké), tandis que d'autres relèvent de la bande (Cameron Diaz), très jolie filled u très riche M. Naville, dessinée (la poursuite avec les «anges gardiens», par moments hilarante); toutefois, le fil conducteur est p.-d.g. de l'entreprise qui vient de mettre à pied A Life Less Ordinary Robert, s'ennuie à périr dans sa vie aseptisée où elle plutôt ténu et ne mène finalement pas bien loin, si­ ne peut librement s'exprimer. Venu faire valoir ses non dans des aventures aussi romantiques qu'im­ 35 mm / coul. /103 min / droits et protester auprès du grand patron, Robert probables, qui s'étirent et s'étiolent. 1997/fict. /Grande- finit par kidnapper Celine (avec «l'aide» de celle- Bretagne ci) et exige de M. Naville une rançon (encore une Ce road movie ne manque tout de même pas de re­ Réal.: Danny Boyle fois à la suggestion de Celine, qui prend un plaisir bondissements, dont plusieurs bien amenés ou inat­ Seen.: John Hodge fou à faire enrager son père et lui soutirer la plus tendus, mais il souffre de certains flottements dans Image: Brian Tufano grosse somme possible). Ce dernier engage deux le récit et d'un dénouement un peu tiré par les che­ Son: Douglas Cameron détectives privés apparemment sans scrupules, Mont.: Masahiro Hirakubo veux (on est assez loin du rythme et de l'humour Prod.: Andrew MacDonald - O'Reilly et Jackson (Holly Hunter et Delroy Lindo), débridés de Raising Arizona ou de la construction Figment Films qui sont, en fait, deux êtres célestes ayant pour mis­ bizarroïde mais implacable de Pulp Fiction). Par Dist.: Fox Searchlight sion de forcer le destin et de favoriser la rencontre ailleurs, l'une des originalités du scénario tient dans Pictures — et, de ce fait, les amours — de ces deux jeunes l'inversion des rôles traditionnellement attribués à Int. : Ewan McGregor, gens très beaux et très seuls, que rien ne semblait de Cameron Diaz, Holly Hunter, chacun des membres du couple que ce type de pro­ Delroy Lindo, Stanley Tucci, prime abord réunir. duction réunit: le jeune homme candide et un peu Ian Holm, Ian McNeice

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naïf; la filletrè s futée qui dicte les règles du jeu. L'autre Max (Vincent Cassel) est un homme d'affaires dans aspect un peu singulier réside dans le choix des décors la trentaine sur le point de relancer sa vie. Il a enfin naturels peu fréquemment utilisés de Salt Lake City ainsi trouvé la stabilité dans sa relation avec Muriel que des régions désertiques et des canyons de l'Utah. (Sandrine Kiberlain), qu'il va bientôt épouser, et dans son boulot, alors qu'il se prépare à signer de lucra­ Les deux jeunes acteurs talentueux s'en tirent hono­ tifs contrats avec des Japonais. Mais avant que tout rablement, bien que la carrière d'Ewan McGregor, cela ne puisse se concrétiser, Max croit reconnaître déjà lancée très haut, ne se trouvera pas nécessaire­ au téléphone la voix de Lisa (Monica Bellucci), une ment enrichie par ce film. Celle de Cameron Diaz, femme qu'il a longtemps aimée. Subjugué, il part à toutefois, pourra profiter un peu de ce rôle où elle sa recherche, quitte à mettre tout ce qu'il a acquis en exerce une présence remarquée, qui pourrait la pro­ péril. Provoqué par le hasard, il suivra, à la façon pulser dans la constellation des jeunes actrices hol­ d'un détective, tout indice pouvant le mener jusqu'à lywoodiennes au potentiel de star (suivant en cela son ancienne flamme. Mais son enquête l'amènera les traces d'une Goldie Hawn pour le registre comi­ à faire quelques rencontres déterminantes: Lucien que ou d'une Michelle Pfeiffer pour celui de la (Jean-Philippe Ecoffey), un ami d'enfance avec qui femme fatale, et ayant vite franchi le cap Meg Ryan, il n'entretient plus aucun contact, puis Alice (Ro­ mais se situant encore à une année-lumière de l'icône mane Bohringer), une jeune femme mystérieuse qu'il Romane Bohringer dans l'Ap­ Uma Thurman). On retrouve également avec plaisir confondra avec Lisa le temps d'une aventure. Et tous partement de Gilles Mimouni Holly Hunter, qui offre une prestation digne de men­ ces personnages, qui se sont perdus et retrouvés dans tion dans un rôle plutôt difficile à défendre, et Delroy le temps, se découvriront un intime lien dont seul le Lindo, malgré tout un peu sous-utilisé ici. hasard semble apparemment posséder le secret...

Peut-être pouvons-nous souhaiter à l'équipe britan­ L'Appartement contient tous les éléments de l'in­ nique responsable de ce film de s'éloigner de Hol­ trigue policière, soustraite de violence. Le specta­ lywood, qui, parfois, passe dans sa moulinette dorée teur est témoin des confessions et coups de théâtre des cinéastes doués pour les transformer en réalisa­ bien avant les protagonistes du film, grâce à de nom­ teurs pour le moins ordinaires. Et que Danny Boyle breux retours en arrière et un montage parallèle fort et ses complices retournent dans leurs vieilles con­ efficace. Il n'y a somme toute ni bon ni méchant, trées anglo-saxonnes pour nous redonner ces petits seulement d'anciens amants à la recherche d'un dé­ films entre amis — ces petits films sans importance sir qu'ils tentent de réanimer. Le personnage de Max, qui finissent par en avoir beaucoup. • qui, à un tournant si capital de sa vie, décide de fou­ tre en l'air ses engagements intimes et profession­ L'APPARTEMENT nels parce qu'il a reniflé brièvement le parfum du passé, c'est l'incarnation même du sexe masculin de Gilles Mimouni qui croit ne pouvoir se contenter d'un seul cœur. Mimouni touche ici à un comportement où beau­ par Charles-Stéphane Roy coup d'hommes se reconnaîtront, celui du désir per­ pétuel, purement juvénile, qui traverse leurs existences en ressurgissant ici et là, et dont bien peu près la publicité et quelques courts et moyens manifestent l'intention de le dompter définitivement. L'Appartement métrages, Gilles Mimouni a eu la chance de Max, même enivré à l'idée d'une éventuelle rencon­ rencontrer, à la sortie de l'IDHEC, le pro­ tre avec Lisa, ne souhaite probablement pas aller au 35 mm/coul. /116 min/1997 / A ducteur Georges Benayoun, homme d'audace et de bout de son désir: il ne veut qu'en effleurer une der­ fict. / -Espagne-ltalie flair, qui lança plusieurs des nouveaux talents du nière fois sa concrétisation avant de rentrer sage­ Réal. et scén.: Gilles Mimouni «jeune cinéma français» (on pense, entre autres, à ment au bercail. Image: Thierry Arbogast Cyril Collard, Martine Dugowson, Yves Angelo, Son: Éric Devulder Laetitia Masson et ). Dès la présen­ Mimouni développe une approche particulière qui Mus.: Peter Chase Mont. : Caroline Biggerstaff tation du premier synopsis de l'Appartement, le lui permet d'enrichir autant le récit que la mise en Prod.: Georges Benayoun producteur lui offre spontanément sa confiance et scène. Par une astuce de scénario, les actes présents, Dist.: Motion International son support! Il y a peut-être là, dans cette équation souvent inexplicables ou carrément faussés en rai­ Int.: Romane Boringher, idéale de vision et de moyens, le germe d'une belle son d'un manque d'information, sont tour à tour Vincent Casse!, Jean-Philippe assurance qui fait de ce «thriller sans flingue et sans Ecoffey, Monica Belluci, éclairés par une série de flashs-back portant sur leur Sandrine Kiberlain, Olivier flic» un film riche mais savamment dosé, qualité rare genèse; et inversant les points de vue, le spectateur Granier, Paul Pavel pour une première œuvre. revoit avec étonnement comment l'information

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seconde faussait une fois de plus le cours des évé­ croire que son personnage d'alors, traductrice et con­ nements. Ce va-et-vient entre deux temps du récit fidente de Kafka, l'avait beaucoup plus inspirée. demeure malgré tout captivant, car le cinéaste ne Cette fois-ci, c'est à peine si elle réussit à nous inté­ l'emploie qu'en vue d'une résolution de l'énigme, resser à l'histoire de cette Marquise — interprétée alors qu'il aurait été tentant de multiplier les contor­ par Sophie Marceau —, danseuse et comédienne sions scénaristiques à des fins purement stylistiques. dans la troupe de Molière, qui conquit le cœur et l'esprit du jeune Racine pour devenir la première Si le ton et la forme se complètent admirablement, Andromaque de l'histoire du théâtre. on ne peut en dire autant du jeu des acteurs. Alors que Romane Bohringer commet une performance Le symptôme le plus patent de ce ratage, c'est l'en­ qui rappelle trop la pathétique Mina Tannenbaum, nui qui vous gagne passées les 15 premières minu­ Vincent Cassel incarne un Max troublé mais fort tes d'indulgence. La production n'a pas lésiné sur éloigné de ses performances dans la Haine et les moyens, et c'est là que le bât blesse. Les scènes l'Élève, tandis que Monica Bellucci semble pos­ font «trois petits tours et puis s'en vont» à grand séder un talent de composition inversement pro­ renfort de musique, de costumes et de mouvements. portionnel à sa photogénéité. Seul Jean-Philippe Les mises en situation et les chutes se veulent spec­ Ecoffey se démarque, conféré jusque-là à des rô­ taculaires pour attirer vos bonnes grâces: vous avez les de sale type, qui offre ici un Lucien sympa­ droit — mais en demandiez-vous tant? — à une Sophie Marceau dans Marquise thique avec ses convictions machos et sa cruelle danse de charme sous l'orage, à un grandiloquent de Vera Belmont naïveté. «je veux jouer ou mourir» et à une flopée de péripé­ ties chargées de mettre en valeur la moindre conver­ L'Appartement possède le mérite de confondre sation. harmonieusement les registres du thriller et de l'intrigue amoureuse (mais tout désir ne revêt-il Comme vous n'êtes pas décidé à bouder votre plai­ pas un caractère énigmatique en soi?). De plus, sir de cinéphile, vous portez votre attention sur les Mimouni parvient, dès son premier long métrage, acteurs. Thierry Lhermitte en Louis XIV égrillard, à instaurer un style et une atmosphère (galvani­ Patrick Timsit en époux protecteur et résigné aux sée en partie par la musique de Peter Chase), à infidélités de Marquise, Bernard Giraudeau en Molière mille lieux du cinéma des autres «jeunes cinéas­ attachant et en Racine ambitieux et tes français». Espérons que, même avec plus de donc forcément déloyal réussissent à composer une moyens, la vision ne s'altérera pas. • belle galerie de personnages. Vera Belmont s'ap­ puie sur leur professionnalisme mais se contente de cette devanture. Quant au jeu de Sophie Marceau, il MARQUISE affiche les incohérences de son rôle: Marquise est- de Vera Belmont elle une belle âme qui brille au firmament de Ra­ Marquise cine, ou une pin up bien roulée qui émoustille tout par Marion Froger le monde? On croit moins à la vivacité d'esprit de la 35 mm /coul. /118 min /1997/ jeune femme qu'à l'inspiration laborieuse du dialo­ fict. / France-ltalie-Suisse- guiste, et si l'on voulait connaître un peu la fascina­ Espagne i Marquise a fait courir les plus grands tion erotique que Marquise a dû exercer sur les Real.: Vera Belmont écrivains du théâtre classique, de Corneille à hommes de son entourage, on s'est carrément trompé Scén. : Jean-François Racine en passant par Molière, on se demande de film. Josselin, Vera Belmont et S Marcel Beaulieu bien ce qui fait courir la réalisatrice Vera Belmont. Dialogues: Gérard Mordillât Est-ce l'histoire d'une ambition féminine mise en Un instant, vous vous demandez où la réalisatrice Image: Jean-Marie Dreujou échec par la gauloise misogynie présumée du règne veut en venir. Un chose est claire: dans son film, la Son: Richard Shorr de Louis XIV? Est-ce l'amour que Marquise a connu vie et le théâtre sont du pareil au même. Son «théâ­ Dir. mus.: Jordi Savall dans les bras de Racine, et qui lui aurait donné l'âme tre de la vie» se résume à ceci: on baise en coulis­ Mont.: Martine Giordano Prod. : Vera Belmont - d'une tragédienne? Ou est-ce le théâtre classique, ses, on défèque en public, on se marie et l'on meurt Stephan Films l'opposition de style et de contenu entre la comédie sur scène. Disons que le mode de vie des courtisans Dist.: Alliance Vivafilm de Molière et la tragédie racinienne? Vera Belmont, du règne de Louis XIV lui facilite grandement la Int.: Sophie Marceau, pour son quatrième film, court tous ces lièvres à la tâche. Trop, d'ailleurs, car Vera Belmont, sur ce Bernard Giraudeau, Lambert fois et n'en attrape aucun. Elle n'est pourtant pas à chapitre, n'évite pas la caricature. Certes, elle signe Wilson, Patrick Timsit, Thierry Lhermitte, Anémone, ses débuts. Déjà, dans Milena, elle avait exploré la son film d'un point de vue sur le monde qui ne man­ Marianne Basler, Georges figure historique de l'égérie féminine. Mais il faut que pas de culot: au ras du sol pour mieux voir le Wilson

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cul des actrices dans les latrines communes, au plus jeune homme parti de rien suivie de sa déchéance près des corps pour en surprendre les gestes obscè­ possède suffisamment de qualités techniques et nar­ nes, ou dans des gros plans graveleux sur le sexe ratives pour représenter un sommet (et, espérons-le, des courtisanes. Sa caméra se plaît à faire revivre un clore cet interminable cycle!) du pastiche modernisé. monde grouillant de pouilleux et de poudrés, où la vulgarité le dispute à la médiocrité, et où Marquise Ambitieux à l'image de son héros, Anderson a réa­ ne fait que saisir les opportunités que lui offrent ses lisé un film classique dans sa structure mais auda­ «appâts» et la chance qui lui vaudra du talent. Hé­ cieux dans son traitement, pour ce qui est du sujet las! le filon est trop bien exploité. Il n'y a absolu­ (la «sous-catégorie» qu'est le cinéma pornographi­ ment plus de place pour la moindre élévation. Or, que), de la forme (collage de faux films, de vidéo, l'élévation de l'âme est le cœur de la tragédie clas­ etc.), du casting (l'acteur le plus connu de cette dis­ sique dont il est justement question dans la dernière tribution, Burt Reynolds, ne tient qu'un rôle secon­ partie du film. La rupture de ton est donc inévitable, daire) et, enfin, de la durée (près de deux heures et c'est en vain que Vera Belmont tente de rattraper trente). Et c'est exactement pourquoi ce film sans son sujet. Quand Marquise est censée non seulement personnalité propre parvient tout de même à capti­ jouer Andromaque, mais aussi la devenir, on a tou­ ver sans ennuyer, à étonner sans être réellement in­ tes les peines du monde à croire à cette métamor­ novateur. phose. Il faut dire que les souffrances de l'héroïne la plus célèbre du théâtre racinien, qui sont celles Alors qu'il porte sur le thème «intéressant» du mi­ d'une âme emportée par sa passion et menacée par lieu du film porno, Boogie Nights est aussi, curieu­ la folie, sont complètement étrangères à l'univers sement, un film sur la famille: celle d'Eddie Adams du film. Vera Belmont, à force de grossièreté et de (Mark Walhberg), qui le renie, et celle qui l'adule, platitude, nous a ôté jusqu'à l'idée même du sublime. dont il finira par prendre ses distances. À 17 ans, Si bien que le suicide sur scène de Marquise, qui Eddie entre prématurément dans l'univers du film prétend ainsi égaler la création qu'elle a inspirée, en pour adultes grâce aux seuls talents qu'il possède: est presque risible. un corps découpé à la Bruce Lee — son idole — et surtout... un membre démesuré! Sa sexualité com­ Marquise est ce que le cinéma français fait de mieux pense en quelque sorte son manque de personnalité quand il reste à la surface des choses. Il est une pe­ (il est timide et naïf) mais lui permet de recommen­ tite fabrique de clichés sur la cour de Louis XIV et cer sa vie: il se rebaptise Dirk Diggler (son nom de le théâtre classique, qui, feignant de mépriser le ro­ «star»), retrouve un père en la personne du réalisa­ manesque du genre «biographie de personnages il­ teur Jack Horner (Burt Reynolds) et entretient des lustres», ne parvient qu'à déprécier le destin de son liens presque incestueux avec une de ses partenaires héroïne. Force est donc de constater qu'il ne reste à l'écran (Julianne Moore), qui voit en Eddie le fils plus grand-chose pour soutenir l'intérêt. • qu'elle a perdu. Les portes de la gloire s'ouvrent à lui. BOOGIE NIGHTS Anderson propose une critique sociale de l'Améri­ de Paul Thomas Anderson Boogie Nights que de la période 1977-1983 qui suscite le plus vif intérêt. Le cinéaste parvient à définir distinctement 35 mm / coul. /147 min / par Charles-Stéphane Roy les changements qui se sont opérés au tournant de 1997/fict. /États-Unis cette décennie: les espoirs qui s'estompent, la fa­ mille qui se déchire, la violence qui s'installe, etc. Réal. et scén.: Paul Thomas Anderson es jeunes cinéastes américains devront effec­ Les personnages ne font pas que troquer leurs chaus­ Image: Robert Elswil tuer un important changement de cap. Bon sures à plate-forme et leur chemise disco contre un Son: Stephen Halbert nombre d'entre eux entretiennent cette ma­ blouson new wave, ils prennent tour à tour cons­ Mus.: Michael Penn L nie de repiquer les thèmes des films des années 70 cience qu'ils doivent changer pour survivre, ou car­ Mont. : Dylan Tichenor rément se recycler dans d'autres voies (que ce soit Prod.: Lawrence Gordon pour les adapter au contexte actuel (la renaissance Dist.: Alliance Vivafilm du filmcatastrophe , la violence, la prolifération d'anti­ en gérant de commerce, magicien dans cm peep show Int. : Mark Wahlberg, Burt héros). Ces semi-plagieurs (Quentin Tarantino en ou chanteur sans talent). Anderson n'y va pas par Reynolds, Julianne Moore, tête) devraient trouver en Paul Thomas Anderson une quatre chemins pour sonner la fin de la récréation Don Cheadle. William H. figure de proue, et en Boogie Nights une valeur étalon. que furent les années 70: quelques minutes avant le Macy, Alfred Molina, Don Cheadle, Heather Graham, Imitant habilement les films de Martin Scorsese, premier de l'an 1980, l'assistant de Homer (William Luis Guzman cette énième version de l'ascension glorieuse d'un H. Macy), homme impassible devant les incartades

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sexuelles de son épouse, la tire à bout portant en pleine fête avant de retourner l'arme contre lui, de­ vant les autres convives. Même le sexe sera répudié, à l'écran (les gros seins et l'amateurisme rempla­ cent toute «mise en scène») comme dans la vie (Eddie retourne se masturber à rabais pour des voyous). Mais le trait que tire le cinéaste est peut- être un peu gras...

Boogie Nights s'avère exemplaire dans son entêtement à maintenir et développer au cours de la seconde partie son regard sur le cinéma pornographique, au lieu de le délaisser au profit de l'évolution des per­ sonnages. Car le film erotique subit lui aussi de pro­ fondes mutations. Encore une fois, c'est à la toute fin de 1979 que s'opère ce tournant, alors qu'un pro­ ducteur rencontre Horner pour lui expliquer que l'avenir du porno passe par le marché de la vidéo­ cassette. Les coûts de production sont moins élevés, ce qui entraîne donc une baisse de «qualité», jus­ qu'à l'amateurisme. Dur coup pour celui qui rêvait de garder les spectateurs dans la salle jusqu'à la fin de ses films en instaurant une «réelle» structure dra­ matique, et ainsi faire de ce cinéma bas de gamme un véritable art.

On peut finalement avouer sans gêne que ce film riche et consistant, supporté par une distribution aussi efficace qu'homogène, et offrant un regard morali­ sateur mais intéressant sur une époque haute en cou­ leur, devient l'une des plus agréables surprises de l'année. Paul Thomas Anderson prouve avec Boogie Nights qu'il possède les atouts pour devenir un grand cinéaste, mais il devra injecter dans ses prochains films une touche plus personnelle afin de ne pas de­ Burt Reynolds dans Boogie meurer passivement à la remorque de ses influen­ Nights de Paul Thomas .Anderson ces. • (Photo: G. Lefkowitz)

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