GUILLAUME GAGNÉ

DE L’AUTOROUTE DUFFERIN-MONTMORENCY AU BOULEVARD URBAIN DU VALLON : quels changements?

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en aménagement du territoire et développement régional pour l’obtention du grade de Maître en aménagement du territoire et développement régional (M. ATDR.)

ÉCOLE SUPÉRIEURE D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL FACULTÉ D’AMÉNAGEMENT, D’ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2006

© Guillaume Gagné, 2006

Résumé

La construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency dans les années 70 et le projet actuel de prolongement de l’axe Du Vallon ont tous les deux soulevé des conflits mettant en cause la protection de l’environnement. Les enjeux, les rôles des acteurs et les ressources des personnes impliquées ont cependant changé d’un débat à l’autre. Le conflit sur le prolongement de l’axe Du Vallon a démontré que la ville de Québec veut dorénavant faire partie de la scène de décision dans l’implantation de telles infrastructures. S’ils n’ont pas bénéficié d’autant de ressources sociales que leurs compères 30 ans auparavant, les groupes écologistes de la région ont quant à eux gagné de l’expertise. Au-delà de ces changements produits par des contextes différents, il apparaît également possible de dégager un apprentissage collectif d’un conflit à l’autre. L’autoroute Dufferin-Montmorency a contribué à l’implantation du BAPE, mais aussi à l’accent mis sur la construction d’un boulevard urbain dans le projet Du Vallon.

Avant-Propos

Avant toute chose, j’aimerais remercier mon directeur de thèse Paul Villeneuve pour sa disponibilité, mais aussi pour ses réflexions qui ont continuellement éclairci mon parcours durant la réalisation de mon mémoire. Également, je tiens à remercier Florent Joerin et Martin Lee-Gosselin qui ont su me donner un portrait juste du travail qu’il me restait à accomplir à mi-chemin de la maîtrise.

Ensuite, la conception de ce mémoire n’aurait pas été possible sans la collaboration et l’amabilité des personnes que j’ai interviewées, soit : M. Baillargeon, M. De Belleval, M. Burton, M. Desrivières, M. Grégoire, M. Laliberté, M. Lamoureux, M. Lemoine, Mme. Nadeau, M. Perron, M. Toupin et M. Zayed.

Enfin, je remercie chaleureusement ma compagne Aurélie pour l’aide qu’elle m’a apportée dans les derniers milles de mon projet.

Table des matières

Résumé...... i Avant-Propos ...... ii Introduction...... 1 Revue de littérature...... 5 Méthodologie...... 8 Description des deux cas...... 12 L’autoroute Dufferin-Montmorency...... 12 Émergence du conflit...... 12 Élaboration du projet ...... 12 Adoption du projet...... 15 Début des travaux : 1969-1974...... 18 Apparition de nouveaux enjeux ...... 20 L’élection du Parti Québécois...... 22 Les consultations publiques...... 25 La décision du gouvernement ...... 30 Plan final...... 31 Le prolongement de l’axe Du Vallon ...... 34 La naissance du projet...... 34 Émergence du débat...... 35 Le débat s’installe ...... 35 Du Vallon devient un enjeu politique...... 37 Sept ans de promesses...... 41 Le MTQ s’engage ...... 43 L’élection du Parti Libéral...... 46 Les consultations publiques...... 47 La décision du gouvernement ...... 52 Analyse ...... 54 Rôle des acteurs ...... 57 L’autoroute Dufferin-Montmorency...... 57 De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon...... 58 Les enjeux...... 61 L’autoroute Dufferin-Montmorency...... 61 De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon...... 63 La légitimité des acteurs ...... 66 « Les vrais enjeux » ...... 67 Les ressources matérielles ...... 69 De l’autoroute Dufferin Montmorency au boulevard urbain Du Vallon...... 69 Ressources institutionnelles...... 71 L’autoroute Dufferin-Montmorency...... 71 De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon...... 74 Ressources informationnelles ...... 76 L’autoroute Dufferin-Montmorency...... 76 De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon...... 78 iv

Ressources sociales...... 81 L’autoroute Dufferin-Montmorency...... 81 De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon...... 83 Ressources stratégiques ...... 85 L’autoroute Dufferin-Montmorency...... 85 De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon...... 88 Retour sur les questions de recherche...... 91 Conclusion ...... 94 L’héritage de l’autoroute Dufferin-Montmorency...... 96 Limites de l’étude ...... 97 Bibliographie ...... 98 Annexe 1...... 104

Liste des figures et des tableaux

Figure 1 : Nombre d'enjeux environnementaux dans les conflits routiers et autoroutiers de l'agglomération de Québec, de 1965 à 2000...... 2 Tableau 1 : Grille d’analyse générale de conflits ...... 8 Tableau 2 : Grille d’analyse de conflits autoroutiers...... 9 Tableau 3 : Traduction des ressources matérielles du conflit Dufferin-Montmorency dans Access...... 10 Figure 2 : Plan des autoroutes construites et projetées dans la région de Québec,1968...... 16 Figure 3 : Projet d’autoroute Dufferin-Montmorency, travaux en cours et réalisés, 1978...25 Figure 4 : Plan de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport, déterminé par le MTQ en 1979...... 32 Figure 5 : Artères qui absorberaient une trop grande circulation de transit ...... 37 Figure 6 : Plan du prolongement de l’axe Du Vallon...... 43 Figure 7 : Les axes structurants de la région de Québec ...... 54 Figure 8 : Évolution du processus de décision de l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon ...... 60 Tableau 4 : Participation du public selon l’échelle de Arstein ...... 72 Tableau 5 : Intervention et non intervention gouvernementale ...... 86

Introduction

Comme dans la majorité des autres villes nord-américaines, les constructions autoroutières ont modifié le visage de Québec. Perçue comme indissociable du développement économique de la région et synonyme de progrès dans les années 60, l’implantation de nouvelles autoroutes fit face à une résistance à partir des années 70 (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 206). Ces nouveaux conflits soulevaient ainsi les multiples enjeux liés à la construction de ces grandes infrastructures. Les autoroutes seraient des axes de développement économique. En augmentant l’accessibilité, elles attireraient de nombreuses activités dans des territoires qui, auparavant, n’étaient pas rentables pour les entreprises. La théorie de la localisation résidentielle (Hanson, 1995 : 313) sert aussi d’assise à l’idée selon laquelle les autoroutes donnent accès à des terrains moins dispendieux (éloignés des centres-villes) et agrandissent de cette manière le marché foncier. Cependant, ce développement économique demeure variable selon le contexte socio-économique encadrant la mise en œuvre de projets autoroutiers. De plus, les conséquences environnementales liées à l’implantation de ceux-ci ont soulevé davantage d’opposition, ce qui a amené le gouvernement, principalement par l’entremise du BAPE (1978), et les médias à s’intéresser à ces nouveaux débats.

La figure 1, élaborée à partir d’une banque de données regroupant les conflits urbains couverts par le quotidien Le Soleil de 1965 à 2000 (Trudelle et al. 2004), démontre que les conflits liés à la construction de routes ou d’autoroutes dans lesquels la protection de l’environnement fut soulevée comme une priorité apparaissent au milieu des années 1970. Cependant, avant de passer aux explications liées à la figure 1, il faut mentionner que la catégorie « environnement » se subdivise en trois différents types. Un premier type d’enjeux environnementaux est lié à la proximité de l’infrastructure créant des nuisances immédiates pour les résidants, telle la pollution sonore, olfactive ou visuelle. Le deuxième type d’enjeux environnementaux est associé à la perte d’accès de la population à des espaces « naturels » tels des parcs, des boisés ou encore des milieux hydriques. Alors que ces deux premières catégories réfèrent davantage aux conditions de vie, à la perte de qualité de vie et de jouissance d’espaces « publics » pour les citoyens, le dernier type regroupe plutôt des enjeux plus globaux liés à la conscience environnementale, comme la perte de 2 terres agricoles, le réchauffement climatique ou l’envahissement automobile. Le premier conflit véhiculant l’enjeu environnemental comme priorité (en 1973) est ainsi surtout lié aux conséquences qu’aurait la construction d’un pont entre Beaumont et l’Île d’Orléans sur la qualité de vie des habitants de cette dernière (type 1 et 2).

Figure 1 : Nombre d'enjeux environnementaux dans les conflits routiers et autoroutiers de l'agglomération de Québec, de 1965 à 2000

Enjeux environnementaux Autres enjeux 12 10 8 Conflits routiers 6 ou autoroutiers 4 2 0 1965- 1975- 1985- 1995- 1970 1980 1990 2000 Années

Source : TRUDELLE, C., THÉRIAULT, M., PELLETIER, M. et VILLENEUVE, P. (2004) Conflits urbains, RMR de Québec, 1965 à 2000, Base de données sur les conflits urbains.

Bien que l’échantillon soit limité (48 conflits), il faut toutefois souligner les variations des conflits dans lesquels l’enjeu environnemental est établi comme une priorité. Si, de 1975 à 1980, on compte 5 conflits sur 11 (45%) qui mettent l’environnement à l’avant scène, leur nombre chute à 2 sur 8 (25%) de 1980 à 1985. Malgré la forte impression d’une progression de l’opposition « anti-route » revendiquant la protection de l’environnement, il demeure pertinent de se questionner sur l’importance du contexte de cette résistance. Selon le graphique (figure 1), les revendications environnementales n’apparaissent pas systématiquement à chaque nouvelle construction ou réaménagement routier des années 1980 à 2000.

En d’autres termes, les avantages et les désavantages de la réalisation des axes autoroutiers à Québec demeurent aujourd’hui sujet à débat. Est-ce que ces conflits ont évolué depuis les 3 premières revendications environnementales rencontrées? Est-ce que les processus de prise de décision ont changé afin d’intégrer, notamment, ces préoccupations environnementales? Pour tenter de répondre à ces questions, deux cas s’avérant particulièrement significatifs dans la région de Québec seront étudiés : la construction de l’autoroute Dufferin- Montmorency (1970) et le projet actuel de prolongement de l’axe Du Vallon, en boulevard urbain, entre le boulevard Bastien et Lebourgneuf (voir Annexe 1). Ces deux cas éloignés dans le temps présentent néanmoins des caractéristiques similaires qui permettent d’effectuer des comparaisons intéressantes. Les trois paliers de gouvernement, les Chambres de commerce, les citoyens et les associations environnementales luttent autour d’enjeux concernant principalement le développement économique de la région de Québec, l’accessibilité et la protection de l’environnement. Bien qu’il soit hasardeux de tirer des théories générales de ces deux expériences, elles ont toutefois le potentiel de fournir des éléments de reconnaissance et d’anticipation qui peuvent servir à l’étude d’autres conflits similaires.

Deux questions de recherche, qui s’opposent l’une à l’autre, serviront de guides lors de l’analyse. La première suppose que le changement observé entre le processus de prise de décision ayant mené à la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency et celui mis en place dans le cas du boulevard urbain Du Vallon serait lié à l’avancée d’un mouvement social :

Les conflits entourant la construction de l’autoroute Dufferin ont-ils contribué à élargir le « débat autoroutier » et favorisé la progression d’un apprentissage collectif accordant plus d’importance aux enjeux environnementaux dans les processus décisionnels des cas subséquents, tel le prolongement de l’axe Du Vallon?

Selon cette question, la collectivité aurait évolué à travers les débats démocratiques en la matière. Cette hypothèse structurelle est toutefois contrebalancée par une question supposant que ce changement se rattache plutôt à des conjonctures favorables aux opposants aux autoroutes : 4

Les groupes environnementaux, les comités de citoyens et la population opposés à la construction du boulevard urbain Du Vallon ont-ils profité de l’émergence d’opportunités politiques, économiques, sociales, conjoncturelles et peut-être éphémères, leur conférant momentanément plus d’influence qu’à l’époque de la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency?

Ces modifications dans le processus de décision lié à la construction ou au réaménagement des routes et des autoroutes dépendraient donc d’un contexte politique et économique pouvant évoluer ou régresser dans le temps selon les opportunités, les alliances, les acteurs ou les événements. Il ne s’agirait donc pas d’une redéfinition des relations entre les agents du conflit, mais plutôt d’un rapprochement circonstanciel entre les décideurs traditionnels et les opposants.

Ainsi, la partie méthodologique explicitera particulièrement la manière d’appliquer concrètement ces deux questions de recherche. Par la suite, il sera nécessaire de reconstituer une chronologie fidèle des événements liés à la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency et au prolongement de l’axe Du Vallon. Après cette description, la partie analytique décortiquera, à l’aide d’une grille d’analyse de contenu, les changements structurels ou conjoncturels qui se sont produits dans les débats et les processus de décision portant sur l’autoroute Dufferin-Montmorency et, ensuite, l’axe Du Vallon. La dernière étape consistera à répondre aux deux questions de recherche posées au départ à partir des éléments qui se seront dégagés de l’analyse. Avant toute chose, cependant, il importe de connaître l’état du savoir sur le sujet et de sélectionner la documentation qui servira de point de référence au travail.

Revue de littérature Le premier type de documentation est constitué de « méta-articles » permettant, par l’explicitation de bases théoriques, de s’inspirer d’un cadre conceptuel très large. Ainsi, Raymond Boudon (1991) et Robert K. Merton (1936) se situent en amont du champ conceptuel construit autour des conflits sociaux. Malgré l’importance qu’il accorde aux modèles liés au changement social, Boudon (1991) démontre pourtant que « […] la structure d’un système ne permet pas de déterminer son devenir. » Pour le théoricien français, les mêmes causes ne produisent pas nécessairement les mêmes effets (Boudon, 1991 : 132). Dans la même ligne d’idées, Merton (1936) parle des conséquences imprévisibles des actions sociales intentionnelles. Il mentionne ainsi que les résultats de ces actions peuvent être à l’opposé des intentions initiales (effets pervers). Dans le même esprit, mais de façon plus spécifique, Castells (1973), Touraine (1984) et Trudelle (2003) discutent des mouvements sociaux et des types de conflits sociaux. Dans l’étude des conflits sociaux, ils distinguent les nouveaux mouvements sociaux des mouvements ouvriers. Les objets de revendication des premiers portent sur des valeurs et des conditions de vie. Ils mènent leurs luttes par des actions différentes (ex. manifestations pacifiques) de celles des mouvements ouvriers (ex. grèves). Abraham A. Moles (1972) s’éloigne quant à lui des grands modèles sociologiques afin d’explorer deux perceptions fondamentales des individus face à des conflits impliquant leur territoire, soit la vision égocentriste, assez souvent celle de l’habitant, et la vision cartésienne, assez souvent celle du professionnel ou du scientifique. Ces visions se confrontent dans des conflits territoriaux où le pouvoir est inhérent à toute relation (Raffestin, 1980). Comme ce pouvoir s’exerce et ne s’accumule pas, il peut changer de main grâce à différents médiums présents dans les processus de décision.

La deuxième catégorie de documents représente des cas et des théories liés de façon particulière aux processus décisionnels des institutions publiques. D’abord, les travaux de Lemieux (2002) sont une base nécessaire de connaissances des éléments qui composent les conflits politiques ainsi que de situations qui mènent à ceux-ci. Par ailleurs, Vaillancourt (1982) résume les premières batailles du mouvement écologiste québécois contre les gouvernements alors que Parenteau (1988), André et al. (1999) ainsi que Laforest (2000) 6 décrivent et analysent la consultation publique en environnement au Québec depuis l’instauration du BAPE en 1978. Dans le domaine plus spécifique du transport, Szyliowicz (2003) présente les modèles de décision rationnels classiques, mais également des perspectives qui laisseraient plus de place au savoir « populaire » et à la participation du public. La participation indirecte des médias dans les processus décisionnels est soulevée par Gilbert et Brosseau (2002) qui établissent l’influence indéniable qu’a eu le quotidien Le Droit sur les décisions des autorités publiques portant sur la criminalité au centre-ville de Hull. Quesnel-Ouellet et Bouchard (1979), Hulbert (1989) et Villeneuve et al. (2004) s’attardent quant à eux à des processus de décision sur des cas particuliers dans la région de Québec. Ils fournissent une base historique à la prise de décision en matière de transport dans la région de Québec, mais également, dans le cas de Quesnel-Ouellet et Bouchard (1979) et de Villeneuve et al. (2004), des outils afin de mieux analyser la consultation publique.

Afin de raffiner l’analyse des cas Dufferin-Montmorency et Du Vallon, la troisième catégorie de documents regroupe des cas s’étant produits à l’extérieur de la région de Québec et dans lesquels les conflits émergent également de la relation transport et environnement. La Grande-Bretagne s’avère particulièrement riche en études portant sur la montée de l’opposition au développement autoroutier des années 70 à aujourd’hui. Dudley et Richardson (1998) et Doherty (1999) démontrent que les groupes « anti-routes » ont développé leur mouvement et leur puissance en débordant de l’arène politique traditionnelle. Boyd et Gronlund (1995) ainsi que Talvitie et Pearson (1996) s’attardent quant à eux aux tentatives d’implication du public en amont du processus de décision en matière de transport et d’environnement. Ils analysent notamment l’efficacité des mécanismes de participation du public qui visent à intégrer celui-ci dès les premières étapes de planification des projets. Selon Lolive et Tricot (2001), à partir de cette participation rigoureuse et soutenue du public, il peut se développer une contre-expertise faisant contrepoids aux experts de l’État et de l’entreprise privée. Ces études révèlent donc de nouveaux outils et de nouveaux éléments d’analyse. Toutefois, des débats restent ouverts car les études ne s’affairent pas à retracer rigoureusement les changements ayant eu cours dans les institutions publiques, les entreprises privées, les groupes de citoyens ou chez les organisations environnementales. Est-ce que le mouvement « anti-route » s’inscrit dans la 7 montée d’un mouvement social ou est-il surtout conjoncturel? Les mécanismes de participation du public ont-ils évolué? Si c’est le cas, quels sont les impacts de cette évolution sur les conflits? Ces changements méritent d’être explorés dans la région de Québec.

Les derniers documents à l’étude constituent des articles et des mémoires portant, d’une part, sur les cas Dufferin-Montmorency et Du Vallon et, d’autre part, sur des conflits similaires ayant eu lieu dans la RMR (région métropolitaine de recensement) de Québec, mais se situant temporellement entre les deux cas à l’étude. En effet, aux mémoires déposés lors des audiences publiques du BAPE portant sur ces deux projets autoroutiers, est couplée la banque de données sur les conflits urbains de la RMR de Québec (Trudelle et al., 2004). Les articles de journaux ayant alimenté cette base documentent les cas de Dufferin-Montmorency et de Du Vallon, mais également les conflits routiers qui eurent lieu entre-temps. Ceci pourrait permettre de dégager une évolution dans le processus de décision en la matière. Enfin, la banque de données Biblio Branchée constitue également une source de données complémentaires à la couverture médiatique accordée par Le Soleil au cas du prolongement de l’autoroute Du Vallon.

Méthodologie La première étape du travail consiste en des lectures portant à la fois sur les concepts fondamentaux concernant les conflits sociaux et sur des documents ayant trait principalement à la prise de décision en matière de transport et d’environnement au Québec. En m’inspirant de ces documents, particulièrement de L’étude des politiques publiques : les acteurs et leur pouvoir de Lemieux (2002), j’élabore une première grille d’analyse simple (tableau 1) afin de déconstruire les éléments et les dynamiques qui composent les conflits qui concernent la construction ou le réaménagement de routes et d’autoroutes.

Tableau 1 : Grille d’analyse générale de conflits

Type Le niveau des acteurs publics (fédéral, provincial, municipal), les acteurs d’intérêts privés, agents d’ONG, etc. Rôle Administratif, médiation, etc. Il sera question à la fois du rôle anticipé et du rôle réel que

Acteurs Acteurs jouent les acteurs Enjeux du Quelles sont les conséquences pour les acteurs, la population, la région etc. Qu’est-ce qui conflit peut être perdu ou gagné par les acteurs? Ressources matérielles Argent et biens à la disposition des acteurs Les lois et les règles d’organisation. Elles sont Ressources institutionnelles déterminantes dans les conflits puisqu’elles délimitent le territoire de chaque agent L’ensemble des connaissances que possèdent les agents Ressources informationnelles d’une organisation Le support politique dans son entourage Support informel Ressources sociales ou formel Qualité et motivation des agents. Ces qualités sont

Types de ressources nombreuses et diverses. Il peut s’agir de pouvoir de Ressources stratégiques persuasion, d’intelligence, d’habilité etc.

Source : LEMIEUX, V. (2002) L’étude des politiques publiques : les acteurs et leur pouvoir, 2ième édition.

Ensuite, la lecture de cas similaires à Dufferin-Montmorency et à Du Vallon me permet de raffiner ma grille d’analyse par l’ajout et la compréhension de nouvelles composantes sur le sujet. Cette nouvelle grille doit ainsi faciliter l’analyse des conflits entourant la construction de Dufferin-Montmorency, du prolongement de Du Vallon ainsi que des cas similaires s’étant déroulés entre-temps dans la région, en voici la représentation finale : 9

Tableau 2 : Grille d’analyse de conflits autoroutiers

Type Le niveau des acteurs publics -Organisations (fédéral, provincial, municipal), les gouvernementales, officielles, a) Dans la perspective d’une plus acteurs d’intérêts privés, agents non-officielles grande démocratie dans le d’ONG, etc. -Citoyens, personnalités processus de décision, a-t-on -Réseaux d’organisations, assisté à une redéfinition des experts rôles des acteurs d’un conflit à

Acteurs Acteurs Rôle Administratif, médiation, etc. Il sera -L’exécutif, institution l’autre? question à la fois du rôle anticipé et du subventionnaire, promoteur, rôle réel que jouent les acteurs médiateur, média, évaluateur, objecteur, instigateur b) Est-ce que certains acteurs, et Quelles sont les conséquences pour les - Environnement (perte les enjeux qu’ils véhiculent, ont acteurs, la population, la région etc. d’accès, proximité ou acquis une nouvelle légitimité? Qu’est-ce qui peut-être perdu ou conscience écologique), Les intérêts des décideurs se Enjeux gagné par les acteurs? économie, expropriations, sont-ils plutôt rapprochés de du accessibilité, rôle du tronçon ceux des opposants? Les enjeux conflit dans le réseau, bénéficiaires, environnementaux ont-ils surgi perdants, réputation des tôt dans le débat? acteurs c) Est-ce qu’il y a eu une Argent et biens à la - Répartition des dépenses redistribution des ressources Ressources matérielles disposition des (gouv., privé), moyens liées à la construction du acteurs financiers des opposants prolongement de l’axe Du Les lois et les règles -Décideur légal, pouvoir Vallon entre les acteurs du d’organisation. Elles respectif des gouv. et du conflit? Le nombre de sont déterminantes BAPE, recours des groupes Ressources participants au « débat dans les conflits environnementaux et des institutionnelles autoroutier » a-t-il augmenté puisqu’elles délimitent citoyens (intéressés et durant les conflits entourant le le territoire de chaque expropriés) prolongement de Du Vallon? Les agent opposants ont-ils développé une L’ensemble des -Possesseur du savoir contre-expertise en la matière? Ressources connaissances que technique et de l’expérience, Les opposants ont-ils développé informationnelles possèdent les agents partage, communication de nouvelles stratégies d’un d’une organisation conflit à l’autre? Ont-ils pu avoir Le support politique -Influence et support des recours à davantage de moyens dans son entourage médias, création d’alliances, Ressources sociales législatifs pour lutter contre le es de ressources Support informel ou appui de la population (latent projet? Les opposants ont-ils yp formel ou actif) T plutôt bénéficié d’alliances Qualité et motivation -Récupération des momentanées avec des acteurs des agents. Ces revendications et des valeurs influents? Le gouvernement qualités sont montantes, éloquence, type possède-t-il moins de ressources nombreuses et d’alliances entre les groupes financières qu’auparavant pour diverses. Il peut s’agir (groupes compacts ou diffus), Ressources développer le circuit autoroutier? de pouvoir de persévérance des groupes stratégiques Est-ce que les acteurs ont un persuasion, dans les étapes accès égal et facile à d’intelligence, institutionnelles, opposition l’information nécessaire, à une d’habilité, etc. d’une contre-expertise, compréhension juste des actions innovatrices problématiques tout au long du conflit? Grille d’analyse réalisée par Guillaume Gagné; inspirée de Lemieux (2002)

En relevant les agents, les enjeux et les ressources à l’intérieur du conflit, cette grille sert ainsi de guide pour tracer et analyser les changements ayant eu lieu entre le processus de décision de Dufferin-Montmorency et celui de Du Vallon. Dans le but de relier ma grille d’analyse aux deux questions de recherche, la dernière étape consiste donc à élaborer des questions associées à la fois aux questions de recherche et à la grille. Chacun des groupes de questions ci-contre la tableau 2 me permettra de décomposer et d’analyser mes deux questions de recherches selon les trois dimensions essentielles des conflits (les acteurs, les enjeux et les ressources).

Afin de recueillir le matériel nécessaire à cette analyse, j’utilise d’abord les mémoires qui furent déposés au BAPE au sujet de Dufferin-Montmorency et Du Vallon. Parallèlement à l’analyse des mémoires, je me sers aussi de la banque de données de Trudelle et al. (2004) ainsi que de Biblio Branchée afin de relever les articles du journal Le Soleil qui concernent l’autoroute Dufferin-Montomorency, le boulevard urbain Du Vallon et les cas similaires s’étant produits entre-temps. La grille d’analyse préalablement construite, forme à ce moment l’outil de base qui me permet de sélectionner et de classer l’information pertinente à ma recherche. C’est avec l’aide du logiciel de gestion de données Access, que je traduis ma grille d’analyse en langage informatique : Voici un exemple de la table représentant les ressources matérielles des acteurs du conflit Dufferin-Montmorency :

Tableau 3 : Traduction des ressources matérielles du conflit Dufferin-Montmorency dans Access

Moyens financiers des Répartition des dépenses du projet Date objecteurs Non ou peu mentionné encore par Le Soleil Très faible (ex. O.P.D.Q 1967- dans Quesnel) 1969 24 millions (autoroute la plus dispendieuse), 7 millions pour Très faible moyen des 1969- les expropriés, plus tard elle coûterait plutôt 60 millions expropriés 1974 (11/05/74), appui du ministère de l’expansion économique régional (MEER) 60 millions de dollars Faible, seules les 1974- négociations avec le CP 1976 ralentissent le projet 104 millions du MTQ 1976- 1978 11

Les catégories générales suivantes de ma grille d’analyse : le type d’acteurs, le rôle des acteurs, les enjeux du conflit, les ressources matérielles, les ressources institutionnelles, les ressources informationnelles, les ressources sociales et les ressources stratégiques constituent autant de tables de données. À l’intérieur de celles-ci, des catégories spécifiques de ma grille sont à la tête de colonnes compartimentant l’information nécessaire à mon analyse des conflits.

En ayant l’objectif d’évaluer l’évolution des enjeux, des acteurs et des ressources, je divise le déroulement du conflit selon des dates significatives que je détermine par des moments dans le temps où des nouveaux enjeux d’importance sont apparus dans le conflit. Ces dates me servent également de clés primaires qui me permettent de lier, par des requêtes, des colonnes de tables différentes; ceci afin de faciliter la représentation d’éléments indissociables du conflit tels que les enjeux et les acteurs. Après une analyse de contenu des mémoires et des articles, cette même grille d’analyse me fournit les thèmes principaux afin d’effectuer des entrevues avec des acteurs impliqués dans les conflits dans l’objectif de recueillir des opinions sur le sujet ou de l’information que les documents écrits ne m’auraient pas fournies. Enfin, à la suite d’une analyse exhaustive des deux conflits je compte donc comparer les deux cas.

Finalement, la rédaction de mon mémoire est divisée en trois grandes étapes. La première partie comprend la problématique, les deux questions de recherche, la revue de littérature et la méthode utilisée. Ensuite, je décris fidèlement les cas de Dufferin- Montmorency et de Du Vallon d’une manière chronologique. La troisième partie représente le cœur du travail et concerne l’analyse de l’évolution des deux conflits. Je compare ainsi les acteurs, les événements, les enjeux et les institutions des deux conflits en m’appuyant également sur les cas similaires ayant eu cours entre-temps.

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Description des deux cas Afin de jeter les bases d’une analyse comparative approfondie des deux conflits, il s’agit maintenant de décrire chacun d’eux le plus en détail possible en suivant les dimensions de la grille d’analyse inspirée du politicologue Vincent Lemieux (2002), présentée plus haut. Ceci nous permettra de décortiquer le déroulement des événements conflictuels entourant la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency et du prolongement de l’axe Du Vallon. À l’aide de cette grille, nous pourrons ainsi isoler les types d’acteurs et leurs rôles, les enjeux et les ressources matérielles, institutionnelles informationnelles, sociales et stratégiques à leur disposition. Cette description tracera un portrait à la fois global et spécifique de chacun des conflits. La grille d’analyse cernera particulièrement les éléments nous permettant de connaître de quelle façon la question environnementale fut traitée par la collectivité tout au long du conflit.

L’autoroute Dufferin-Montmorency

Émergence du conflit L’idée de construire l’autoroute Dufferin-Montmorency naquit dans le rapport Fiset-Gréber publié en 1956 par ces consultants. Selon ces derniers, la construction d’un « […] réseau de voies radioconcentriques et un réseau de voies périphériques doit venir compléter le tracé actuel des routes et des rues.» Québec doit donc se munir de voies de pénétration pour atteindre différents secteurs névralgiques de la ville, mais également assurer la circulation autour de la ville « par des voies de ceinture » (Gréber et al.,1956 : 17). L’objectif principal de ce réseau est le développement économique de la région. Ces infrastructures doivent favoriser en priorité le développement de la colline parlementaire et du port de Québec. Les milieux d’affaires espèrent en outre que ce réseau augmentera les activités économiques du secteur privé de la région de Québec (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 219).

Élaboration du projet C’est d’ailleurs sous la pression des hommes d’affaire et des maires des municipalités de la côte de Beaupré que le Ministère de la Voirie de l’, assisté de la Commission d’aménagement du Québec métropolitain, prend en charge l’élaboration du 13 projet de construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency en 1967 (Le Soleil, 12 avril 1967). De nombreux avantages économiques sont alors entrevus et véhiculés. Dufferin- Montmorency créera, selon ses promoteurs, un axe de transport est-ouest majeur qui permettra au 200 000 personnes de la côte de Beaupré (op. cit., 3 juillet 1967) d’accéder rapidement au centre-ville de Québec. En s’appuyant notamment sur l’autoroute Dufferin- Montmorency, ce centre-ville est d’ailleurs supposé connaître de grands développements au cours des prochaines années1 qui permettront ainsi d’augmenter le rayonnement du gouvernement provincial dans la capitale. De plus, l’autoroute créera une voie d’accès majeure au port de Québec duquel on attend une expansion importante le long des battures de Beauport. L’autoroute doit donc constituer une pièce maîtresse du futur réseau autoroutier ceinturant Québec et, par le fait même, du développement économique de la région.

Peu d’opposition se fait sentir à ce moment dans la région de Québec. Les bénéficiaires de cette nouvelle infrastructure routière sont nombreux et ceux qui vont en subir le coût se font peu entendre. À la fin des années 60, la presse locale s’enthousiasme également face au projet. Elle semble voir cette autoroute comme une nécessité pour la région de Québec. Pierre Champagne du quotidien Le Soleil titre ainsi sa nouvelle annonçant les investissements provinciaux dans le réseau autoroutier de la région : « Déblocage du transport » (Le Soleil, 23 novembre 1968). La seule opposition visible se situe à l’intérieur même du gouvernement provincial. En effet, l’Office de planification et de développement du Québec (O.P.D.Q.) qui se vit confier le dossier au niveau administratif favorisait davantage le transport en commun plutôt que la construction de l’autoroute.

Si l’O.P.D.Q. réussit à convaincre le fédéral de ne pas allouer d’argent à l’infrastructure (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 222), le Ministère de la Voirie demeurait cependant autonome par rapport à l’O.P.D.Q. et rien ne l’empêchait de consacrer une partie de son imposant budget à l’autoroute. En 1968, le Ministère de la Voirie allait consacrer 332 millions de dollars de son budget pour le développement du réseau routier (ibid.). Au niveau municipal, quelques techniciens et urbanistes de la route doutèrent des bienfaits de ce nouveau projet, mais le Progrès civique de Québec (PCQ), parti municipal au pouvoir,

1 « [ … ] plusieurs gratte-ciel surgiront de la colline parlementaire [ … ]» (Le Soleil, 23 novembre 1968). 14 demeurait hautement favorable au projet et l’intervention des hautes instances politiques et administratives de la ville lors des consultations publiques de la Commission d’aménagement du Québec métropolitain assura leur récupération : ils se rangèrent ainsi du côté des promoteurs (op.cit. : 223).

En somme, les seuls acteurs qui étaient susceptibles de remettre en question le projet se situaient à l’intérieur même des gouvernements provinciaux et municipaux. Face au Ministère de la Voirie, l’O.P.D.Q. ne possédait pas de ressources institutionnelles. Cet organisme avait comme mandat d’évaluer le projet et devait se contenter de donner des recommandations au gouvernement provincial (Baccigalupo, 1978 : 382). À Québec, les fonctionnaires municipaux qui se questionnaient sur le projet n’avaient pas de voix d’opposition officielle dans le conseil de ville dominé entièrement par les conseillers du PCQ de 1969 à 1973 (Paré, 1980). Le Ministère de la Voirie, conforté par le consentement du PCQ, avait donc une grande liberté d’action.

De plus, les consultations publiques tenues par le Ministère de la Voirie, assisté de la Commission d’aménagement du Québec métropolitain, s’apparentaient davantage à des séances d’information. Celles-ci ne donnaient pas lieu au débat public pouvant amener d’autres options, telle l’utilisation du transport en commun, pour faciliter l’accès au centre- ville de Québec. (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 222). Les spécialistes du Ministère de la Voirie expliquaient plutôt leurs travaux et leurs solutions devant les élus locaux et les groupes organisés invités à la séance. La construction de l’autoroute demeurait la voie unique pour permettre au flux automobile de converger rapidement vers le centre de Québec et sa colline parlementaire (ibid.). En somme, le Ministère de la Voirie contrôlait des ressources institutionnelles lui permettant de limiter la résistance interne et éviter la confrontation avec l’extérieur par des consultations publiques sélectives et dirigées.

Le Ministère de la Voirie possédait également suffisamment de ressources matérielles pour développer le projet indépendamment de l’aide du gouvernement fédéral et de l’accord de l’O.P.D.Q.. Ce ministère s’accaparait 11% du budget provincial en 1972 alors que l’O.P.D.Q. ne figure même pas au budget durant cette année-là (ibid.). 15

Avant l’adoption du projet, les ressources sociales sont aussi sous le contrôle du Ministère de la Voirie. Dans la région de Québec, les municipalités appuient presque sans réserve le projet. À l’instar de la ville de Québec, l’aménagement de Dufferin-Montmorency constitue une voie stratégique pour développer la municipalité de Beauport. De nombreuses entreprises comptent profiter de Dufferin-Montmorency pour s’établir dans l’Est de Beauport (Beauport, 1972). Quant à la population du secteur, elle voit dans ce projet une occasion de profiter elle aussi du développement routier pour avoir accès rapidement au centre-ville de Québec.

Enfin, le Ministère de la Voirie ainsi que les groupes économiques favorables au projet disposent de ressources stratégiques facilitant son adoption rapide. Les Chambres de commerce de Beaupré et le Ministère de la Voirie utilisent amplement la tribune offerte par Le Soleil pour démontrer la nécessité de construire Dufferin-Montmorency. En 1967 et 1968, cinq nouvelles ou articles du quotidien Le Soleil sont consacrés aux revendications des Chambres de commerce de Beaupré ou aux annonces du Ministère de la Voirie alors que l’opposition n’a aucune voix. La Chambre de commerce forme donc un groupe compact et persévérant qui parvient à presser le gouvernement provincial d’adopter le projet.

Adoption du projet Soutenu par les recommandations du rapport de consultants Vandry-Jobin publié en 1968, le Ministère de la Voirie de l’Union Nationale, annonce officiellement la construction de Dufferin-Montmorency au mois de décembre 1968 (Le Soleil, 18 décembre 1968). Le rapport Vandry-Jobin prévoit notamment que d’ici 20 ans le trafic sera quatre fois plus élevé, le nombre de véhicules passant de 99 000 à 250 000, et que la population de la région de Québec grimpera de 420 000 à 681 000 (Vandry et Jobin, 1968 : 50). En plus de réaffirmer, comme le rapport Fiset-Gréber, les développements prévus sur la colline parlementaire, cette nouvelle étude insiste sur la prédominance de la circulation Est-Ouest à Québec. Dufferin-Montmorency viendra donc faciliter la mobilité de la population le long du fleuve, là où l’agglomération se concentre (op.cit. :56). Elle constituera de cette manière « l’épine dorsale du réseau routier » de la région (op.cit. : 64). 16

L’Union Nationale adoptera partiellement les plans de l’étude Vandry-Jobin, l’autoroute Dufferin-Montmorency fera partie des choix du gouvernement et constituera son investissement le plus coûteux (Le Soleil, 27 septembre 1969). Le MTQ laissera en effet tomber l’autoroute qui devait suivre la rivière Saint-Charles et le pont supposé relier Québec et Lévis, alors que l’autoroute de la Falaise sera « réduite » à relier la colline parlementaire au pont de l’Île d’Orléans. Elle se connectera ainsi avec le boulevard métropolitain (Félix-Leclerc) et rejoindra, au bout d’environ 9 km, le boulevard Sainte- Anne (Québec, 1978b : 23). Selon les plans établis, l’autoroute Dufferin-Montmorency doit passer sur les battures du fleuve Saint-Laurent après avoir survolé le quartier Saint-Roch. Le prolongement du port de Québec sera normalement couplé à l’autoroute et empiétera ainsi davantage sur le fleuve Saint-Laurent.

Figure 2 : Plan des autoroutes construites et projetées dans la région de Québec,1968

Source : VANDRY et JOBIN (1968) Plan de circulation et de transport, région métropolitaine de Québec, volume I.

Durant cette étape, une certaine tension naît entre la Commission d’aménagement du Québec métropolitain et les promoteurs avoués du projet soit le Ministère de la Voirie et les municipalités de la région. La Commission est perçue comme un organisme retardant la construction du projet. Des conseillers municipaux de la ville de Québec la considèrent 17 comme un « bouchon au progrès normal de la ville » il faut cesser « d’étudier » et « commencer à agir » (Le Soleil, 15 août 1968). Au sein de la Commission, certains ne s’accordent pas complètement sur le rapport Vandry-Jobin et, par le fait même, sur la nécessité de la construction de l’autoroute. Ceci explique sans doute pourquoi le Ministère de la Voirie fit passer la Commission d’aménagement du Québec sous la juridiction du Ministère des Affaires Municipales avant l’annonce de l’adoption du projet au mois de décembre 1968 (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 224). Cette manœuvre permit au Ministère de la Voirie de se dissocier de la Commission d’aménagement et de choisir le moment et l’auditoire devant qui il présenterait le projet. Celle-ci perdit une ressource institutionnelle alors que le Ministère de la Voirie usait d’une ressource stratégique. Il présenta le projet devant la Chambre de commerce de la région (ibid.). Il put ainsi s’assurer de ressources sociales importantes et souligner les avantages économiques de l’autoroute envisagée.

Durant l’adoption du projet, le Ministère de la Voirie contrôle également les ressources informationnelles entourant la construction du projet. Le rapport Vandry-Jobin, commandé d’abord par le gouvernement Libéral, fut tenu secret2 pendant un certain temps par le gouvernement de l’Union Nationale. D’une part, les nouveaux dirigeants ne voulaient pas endosser un rapport identifié aux Libéraux et, d’autre part, l’étude accordait une importance significative au développement du transport en commun dans la région (1968). Si le gouvernement disait s’appuyer sur ce rapport, le ministre de la Voirie annonce pourtant la construction de l’autoroute avant de le rendre public (Le Soleil, 18 décembre 1968). Le gouvernement insista sur la nécessité de développer le réseau routier alors que le développement du transport en commun fut en grande partie relégué aux oubliettes par le Ministère.

Le PCQ appuyait toujours le projet qui s’inscrivait dans son vaste programme de rénovation urbaine de Québec, cependant, la ville devait aussi se charger de la tâche ingrate d’exproprier les citoyens se trouvant sur le tracé de la future autoroute. Alors que la ville annonce qu’elle détruira 300 logements à prix modique, les futurs expropriés et les comités de citoyens de la basse-ville font entendre leur insatisfaction cinq mois avant le

2 Décrit comme « top secret » par Le Soleil (23 septembre 1968). 18 commencement des travaux. Parlant des gouvernements municipal et provincial, M. Jean Lapointe, un travailleur social, « […] est renversé de voir à quel point ces deux gouvernements se préoccupent peu de l’élément humain dans le cas des expropriés de la future autoroute Dufferin-Montmorency […] » (Le Soleil, 12 avril 1969). Une opposition grandissante semble donc poindre à l’horizon parmi les citoyens directement touchés par le projet. Toutefois, ceux-ci demeurent, pour l’instant, dénués de ressources significatives pour se dresser contre l’autoroute Dufferin-Montmorency. D’autant plus qu’ils ne bénéficient pas d’un soutien visible du reste de la population de la région de Québec. Avant d’entamer les travaux, ce sont les propos des promoteurs de l’autoroute, soit les gouvernements provinciaux et municipaux et les Chambres de commerces, qui occupent l’avant plan.

Début des travaux : 1969-1974 De 1969 à 1974, le Ministère de la Voirie exécutera, en grande partie, la section urbaine de l’autoroute Dufferin-Montmorency. La première étape en 1969 fut d’ouvrir le chemin aux premiers tronçons d’autoroute par la destruction d’une trentaine d’édifices dans la haute- ville de Québec, là ou l’axe prend naissance, et le commencement des procédures d’expropriation pour plus de 200 familles et de 30 commerçants dans les quartiers Saint- Roch et Limoilou qui seront bientôt affectés par le projet (Le Soleil, 27 septembre 1969). De 1970 à 1974, le Ministère de la Voirie réalisera l’autoroute Dufferin-Montmorency jusqu’à l’échangeur du boulevard Henri-Bourassa, sans toutefois avoir complété les tronçons permettant le raccordement de l’autoroute à la falaise (op. cit., 20 juillet 1973), ce qui empêchera la population de Québec d’emprunter à ce moment cette première portion de l’axe.

Par ailleurs, lorsque le Ministère de la Voirie pave la voie à l’autoroute Dufferin- Montmorency au mois de septembre 1969, de nouveaux enjeux surgissent rapidement. Le coût élevé du projet s’avère un point sensible soulevé à répétition durant le débat entourant l’implantation de Dufferin-Montmorency. Dès l’ouverture du chantier, Le Soleil titre « Construction de l’autoroute la plus dispendieuse » (op.cit., 27 septembre 1969). Le projet dont le coût est à ce moment estimé à 24 millions de dollars grimpera plutôt à 60 millions 19 de dollars en 1974, alors qu’on commence à se plaindre de la lenteur des travaux (op.cit., 11 mai 1974). Témoin de la négligence de la consultation de la population de la basse-ville de Québec, les nombreuses expropriations pour faire place à l’autoroute deviennent un enjeu qui s’avère de plus en plus gênant pour le PCQ qui doit composer avec le mauvais rôle. Le Soleil donne la parole aux expropriés, aux portes-paroles des quartiers affectés, aux citoyens divisés et dose un peu plus ses articles portant sur la construction de l’autoroute. Georges Bhérer de ce même quotidien ajoute d’ailleurs sa voix à celle des expropriés en titrant ainsi sa nouvelle: « Le facteur humain a été oublié dans la conception du projet » (op.cit., 28 mars 1973).

Le PCQ demeure néanmoins un allié fidèle et une ressource sociale déterminante pour le Ministère de la Voirie. Dans les quartiers éclopés par les autoroutes, les conseillers municipaux de la ville de Québec restent silencieux devant les méthodes autoritaires du Ministère de la Voirie (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 228). Sans s’opposer complètement à la construction de l’autoroute, une opposition provenant de l’arène extérieure critique tout de même le peu de dédommagement accordé aux expropriés et la représentation politique déficiente des intérêts de certains quartiers touchés par le projet, tel Saint-Roch. Le comité de l’aire 10 dans Saint-Roch en 1969 et les auteurs de l’ouvrage Une ville à vendre (1972) sont parmi les principaux dénonciateurs des méthodes, selon eux, peu démocratiques de la ville. Le silence complice des conseillers municipaux de la ville freine les quartiers qui cherchent à constituer une opposition politique et acquérir ainsi des ressources institutionnelles.

Bien que Le Soleil relève, quant à lui, les insatisfactions des citoyens des quartiers affectés par l’autoroute, le Ministère de la Voirie peut encore compter sur l’approbation de ce quotidien au début des années 70. En effet, si le quotidien Le Soleil présente des nouvelles plus critiques envers les méthodes du gouvernement provincial, les expropriations demeurent pourtant « des exigences du progrès » (op.cit., 15 avril 1971). Les médias constituent à la fois une ressource sociale et stratégique pour le Ministère de la Voirie. Les problèmes sociaux découlant de Dufferin-Montmorency sont récupérés au nom du progrès amplement véhiculé dans les nouvelles du quotidien Le Soleil. En outre, le Ministère de la 20

Voirie use des médias afin de démontrer à la population que la région métropolitaine de Québec bénéficie des largesses du gouvernement provincial, plus que d’autres régions.3

En 1973, une autre ressource stratégique vient s’ajouter en faveur des promoteurs du projet et facilitera sans doute la continuation de l’autoroute malgré la résistance grandissante de certains groupes et citoyens de Québec. Si Marcel Bédard militait déjà fortement en faveur du projet en tant que maire de Beauport et vice-président de la Chambre de commerce de Beauport (Québec, 2005), son élection comme député du Parti Libéral et adjoint parlementaire du Ministère des Transports du Québec (MTQ)4 au mois de novembre 1973 constitue assurément une ressource stratégique pour les promoteurs du projet (ibid.). Dès lors, il pourra promouvoir le projet sur deux fronts.

Enfin, malgré les avantages des promoteurs, un urbaniste, ancien membre de la Commission d’aménagement et devenu président de la nouvelle Commission d’aménagement de la communauté urbaine de Québec (CACUQ), ouvrira la porte à des critiques plus globales en affirmant que la construction de l’autoroute fut une erreur (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 227).

Apparition de nouveaux enjeux À la fin de l’année 1974, on achève la section reliant la basse-ville à la falaise (Le Soleil, 26 décembre 1974) et le MTQ entame la construction de deux échangeurs sur les battures de Beauport, soit celui qui raccordera Dufferin-Montmorency avec l’autoroute la Capitale (Félix Leclerc) et l’autre qui reliera le boulevard Saint-Anne au pont de l’Ile d’Orléans (Le Soleil, 4 mars 1974).

Si certains attendent avec impatience la fin de ces travaux, d’autres commencent à craindre les impacts de cette infrastructure. L’autoroute Dufferin-Montmorency devient en effet l’objet de critiques plus virulentes et étendues qui dépassent les seuls torts causés par les expropriations. Deux nouveaux enjeux sont soulevés par les médias et prendront de l’ampleur au fur et à la mesure que se continue le projet projet. D’abord, un problème

3 « Pour la troisième année consécutive, le Québec métropolitain peut donc espérer des travaux routiers s’élevant à plus de 20 millions de dollars », Le Soleil, 29 novembre 1972. 21 environnemental causé par l’implantation de l’autoroute est soulevé pour la première fois à l’intérieur du conflit. À l’impatience causée par les innombrables délais s’ajoute le questionnement sur la pollution visuelle de Dufferin-Montmorency. Au mois de décembre 1974, Le Soleil titre « Symphonie de béton… inachevée ». Le quotidien fait état des divisions régnant dans la population face à ce grand projet, certains y voient l’entrée de Québec dans la modernité alors que d’autres déplorent ce grand « macaroni » en plein cœur de l’agglomération (Le Soleil, 10 décembre 1976). La Société historique de Québec est notamment préoccupée par l’impact esthétique de l’autoroute sur le patrimoine historique et naturel du Vieux-Québec, de la côte de Beaupré et de l’Ile d’Orléans (op.cit., 3 mars 1975). De plus, le comité des citoyens de l’Aire 10 dénonce vivement le pouvoir du Ministère des Transports du Québec (MTQ) et de ses experts qui décident, sans consultation, de l’avenir de la ville de Québec (op.cit., 4 avril 1974). Malgré les critiques, le PCQ et le MTQ demeurent déterminés à compléter l’autoroute et l’opposition extérieure ne possède pas les ressources nécessaires pour changer leurs plans.

Durant cette période, les négociations avec le gouvernement fédéral et le Canadien Pacifique (C.P.) constituent en fait le seul obstacle notable au projet. En 1975, MTQ doit en effet négocier avec le gouvernement fédéral afin d’acquérir des terrains appartenant au C.P. (cour de triage) se situant sur le tracé de l’autoroute. Seul le gouvernement fédéral possède alors les ressources informationnelles et matérielles pour discuter avec le C.P. (Quesnel- Ouellet et Bouchard, 1979 : 227). Le prolongement de ces discussions entraîne donc des retards au projet que les médias ne manqueront pas de soulever. 5

Si le projet reprend son cours à la suite des négociations avec le gouvernement fédéral et le C.P., la ville de Québec et le MTQ perdent une ressource stratégique et sociale importante avec un déclin marqué de l’appui des médias au projet. Non seulement des journalistes du quotidien Le Soleil se montrent plus critiques envers la lenteur et l’esthétique du projet, mais, de plus, ils laissent un espace important aux paroles des protestataires, tel que le

4 Le Ministère des Transports du Québec prit la place du Ministère de la Voirie en 1972 5 « [ … ] comment il se fait qu’un projet de cette envergure se réalise à un rythme aussi lent », Le Soleil, 5 novembre 1974. 22 comité de citoyens de l’aire 10 qui représente à ce moment le groupe d’opposition le plus bruyant et revendicateur parmi le nombre grandissant de résistants (Le Soleil, 4 avril 1974).

Par ailleurs, le comité de citoyens de l’aire 10 se montre capable d’opposer des critiques et des alternatives crédibles au projet de Dufferin-Montmorency. Le comité dénonce notamment les incohérences du développement préconisé par la ville de Québec par rapport aux visées de son schéma d’aménagement, soit la réduction de la concentration automobile du centre-ville et les réorganisations du transport en commun (CUQ, 1972). En plus de miser sur l’amélioration du service de transport en commun, il réclame de Québec qu’elle mette la priorité sur l’habitation et des fonctions compatibles à celles-ci dans son centre- ville (Le Soleil, 4 avril 1974). Ainsi, par l’entremise du quotidien Le Soleil, le comité de l’aire 10 devient le premier groupe de citoyens dans le conflit à opposer une certaine contre-expertise aux spécialistes mandatés par les gouvernements provincial et municipal.

Malgré la montée de protestation de la part des groupes populaires ou d’organisations officielles telle que la Société historique de Québec, les ressources matérielles et institutionnelles demeurent principalement entre les mains du MTQ qui compte sur l’appui du PCQ, réélu avec quatorze conseillers sur seize en 1973 (Bherer, 2003 : 165). L’opposition n’est pas encore parvenue à former un regroupement politique qui pourrait défendre ses points de vue au conseil municipal de la ville de Québec. Le MTQ demeure le décideur légal et seule l’acquisition des terrains au C.P. ralentit le projet.

L’élection du Parti Québécois C’est lors de la première année du mandat du nouveau gouvernement Péquiste que les automobilistes purent emprunter l’autoroute Dufferin-Montmorency à partir du carrée d’Youville (Le Soleil, 10 décembre 1976) jusqu’au boulevard d’Estimauville. Pourtant, l’élection du Parti Québécois (PQ) au mois de novembre 1976 marque une véritable remise en question du projet, tant de la part du gouvernement provincial que chez les citoyens. L’autoroute, tel qu’elle fut construite jusque là, est une bourde des anciens gouvernements (Union Nationale et Parti Libéral) pour les nouveaux élus. Selon le député Péquiste Richard Guay « […] cette voie rapide est un monument qui rappellera longtemps les erreurs à éviter dans l’aménagement urbain […] » (Le Soleil, 4 décembre 1976). Le député fait 23 notamment référence aux problèmes environnementaux causés par l’autoroute qui deviennent à ce moment l’enjeu majeur du conflit. Il dénonce un sens des valeurs absurde qui laisse une place proéminente à l’automobile devant les citoyens, leur habitat et leur environnement (ibid.). Pour la première fois dans le conflit, le député soulève un effet pervers du projet en soutenant que l’autoroute favorisera la congestion sur la colline parlementaire en ouvrant la voie à des automobilistes pour lesquels il n’existe pas d’espace disponible (ibid.).

Les travaux en cours sur la grève afin de compléter l’autoroute jusqu’à la rivière Montmorency, amènent aussi de nouvelles critiques. Ce nouveau rajout de 18 millions de dollars fait de l’autoroute Dufferin-Montmorency la plus dispendieuse au Canada avec un coût total de 104 millions, selon le député Clément Richard du PQ (Le Soleil, 6 juin 1977). Il déplore en outre les torts irréparables que causera celle-ci à la faune aquatique une fois qu’elle sera construite sur les battures de Beauport. D’autre part, une citoyenne interviewée par Le Soleil dénonce le mauvais travail des ingénieurs du MTQ qui n’ont pas été en mesure de prévenir les dégâts subis par le premier tronçon du « boulevard des grèves » suite à de hautes marées. Mentionnant que de simples citoyens de Montmorency avaient pourtant vu venir le coup6, elle questionne « […] la relation qu’il pourrait y avoir entre la façon de vivre des entrepreneurs routiers qui possèdent des chalets dans le sud, leur amitié avec des gens de même profession au gouvernement et le taux élevé de nos taxes. » Le monopole du savoir et la légitimité du MTQ sont donc de plus en plus contestés, tandis que les défenseurs du projet se font moins entendre qu’au début de celui-ci.

Le maire Bédard et la Chambre de commerce de Beauport sont encore présents dans le conflit en tant qu’instigateurs du projet, mais ils semblent plus isolés qu’auparavant. En effet, l’élection du PQ signifie la perte d’une position stratégique pour le maire Bédard qui était, avant les élections, à la fois maire, député et adjoint parlementaire du MTQ. La présence de Bédard sur deux fronts constituait donc une ressource stratégique pour les instigateurs dont le MTQ. Si le maire Bédard et la Chambre de commerce de Beauport pressent le nouveau gouvernement de terminer l’autoroute, leurs déclarations prennent

6 « […] de simples citoyens de Montmorency, qui ont participé à la construction du boulevard Sainte-Anne, se disaient en voyant le boulevard des Grèves : « Ça ne tiendra jamais » » op.cit., 6 juin 1977. 24 toutefois moins d’importance dans Le Soleil qui devient davantage tourné vers les protestataires et les nouveaux enjeux qu’ils soulèvent. De 1976 à 1978, trois nouvelles sont d’ailleurs consacrées à l’insatisfaction et à l’opposition à l’autoroute alors que la Chambre de commerce de Beauport et le maire Bédard se contentent d’un seul article où ils pressent le gouvernement de finir les travaux.

Cette nouvelle phase met également en lumière des divisions dans les gouvernements provincial et municipal face à la réalisation de l’autoroute Dufferin-Montmorency. Pour les protestataires qui ne possédaient pas d’appui politique au début du projet, cette division joue en leur faveur. Certains députés du PQ, tel Richard Guay et Clément Richard, dénoncent les conséquences négatives irréparables de l’autoroute sur la population et l’environnement. Clément Richard demande même au ministre des Transports d’étudier la possibilité d’arrêter le projet, « cette cicatrice dans le fleuve » (op.cit., 6 juin 1977). Le ministre Lessard tient plutôt à poursuivre le projet en mentionnant que trop d’argent y a été investi et que le mal est, de toute façon, déjà fait (ibid.).

Encouragé par le PQ qui soutient et valorise l’implication d’un plus grand nombre de groupes d’intérêts dans la politique municipale, le Rassemblement Populaire de Québec (RPQ) devient un parti le 31 janvier 1977 à onze mois des élections municipales (Bherer, 2003 : 103). En plus de vouloir se rapprocher des quartiers, le RPQ présente un souci environnemental qui se traduit par l’encouragement du transport en commun et les énergies alternatives (op.cit. : 171). Le parti dénonce en outre les avantages accordés aux promoteurs immobiliers qui en plus de se faire offrir la colline parlementaire par le PCQ auraient bénéficié des services, telle que l’autoroute Dufferin-Montmorency, leur permettant de hausser la valeur de leurs acquisitions. « C’est le règne du béton, des profits, des cadeaux aux grosses compagnies » tel que décrit dans le Manifeste lancé au début de l’année 1977 (ibid.). Ainsi, des alliances informelles et stratégiques se sont nouées entre des groupes politiques et des classes populaires, qui bénéficient du pouvoir, de la visibilité et de l’éloquence des politiciens qui les supportent dans leur résistance. 25

Les consultations publiques Au mois de juillet 1978, le degré d’opposition culmine face à la dernière section à réaliser de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport. Le MTQ doit alors remblayer les abords du fleuve Saint-Laurent afin de construire trois tronçons dont le coût s’élève à plus de vingt millions de dollars (figure 3).

Figure 3 : Projet d’autoroute Dufferin-Montmorency, travaux en cours et réalisés, 1978

Source : QUÉBEC (1978b) Audience publique sur le projet autoroutier Dufferin- Montmorency (Battures de Beauport).

En plus, du coût de plus en plus élevé de l’autoroute, on craint les impacts du projet sur les richesses naturelles des battures de Beauport. Dans une lettre adressée aux ministres de l’Environnement de Québec et d’Ottawa, Marcel Léger et Len Marchand, ainsi qu’aux ministres provinciaux Yves Bérubé et Marc-André Bédard, l’Association des biologistes du Québec (ABQ) demande l’arrêt immédiat des travaux de construction de l’autoroute et la tenue d’audiences publiques (Québec, 1978b). Le 9 août 1978, le ministre délégué à l’environnement décrète alors un moratoire concernant le parachèvement de l’autoroute Dufferin-Montmorency et annonce par le fait même qu’une audience serait tenue sur le projet le 10, 11 et 12 octobre (ibid.). Ces trois jours de consultations publiques mettront en scène de nombreux acteurs qui diffuseront des enjeux de différents niveaux. Certains 26 s’arrêtant au projet, alors que d’autres remettront en question l’aménagement global préconisé dans la région ou encore la forme même des consultations publiques. Enfin, les enjeux en environnement, au centre des préoccupations, se diviseront et se spécialiseront lors des audiences.

Avant même de s’attarder à l’atteinte des richesses naturelles des battures, l’ABQ dénonce l’illégalité des procédures de construction de l’autoroute. D’abord, les travaux de remplissage sur les battures sont effectués sans une autorisation préalable du Service de protection de l’environnement (SPE) et vont à l’encontre de la loi de la qualité de l’environnement. De plus, un rapport préliminaire (Québec, 1978b) des spécialistes de l’environnement du MTQ dénonce la construction de ce tronçon sur ce site unique (ibid.). Selon eux, les travaux du MTQ ne respectent donc pas la volonté de certains de ses propres fonctionnaires.

La consultation publique permet de formuler et de diffuser des enjeux environnementaux plus précis. En effet, la présence de scientifiques, telle l’ABQ, ajoute une nouvelle crédibilité aux problèmes écologiques liés à l’implantation de Dufferin-Montmorency sur les battures. Ils deviennent désormais plus détaillés et décrits dans une terminologie plus scientifique qu’auparavant. Pour Environnement Canada et l’ABQ, les herbiers intertidaux des battures constituent un système naturel d’épuration comparable à une usine d’épuration des eaux (Québec, 1978b : 32). De plus, la production primaire des battures serait près de dix fois supérieure à celle du milieu forestier. De nombreuses espèces bénéficient de cette production élevée. Parmi celles-ci, la bernache devient un symbole important de l’opposition à la destruction des battures. Le club des ornithologues du Québec contribuera amplement à faire ressortir la nécessité du site pour les oiseaux migrateurs.

Cette première consultation publique donne également à certains groupes l’occasion de soulever des enjeux environnementaux plus globaux qui remettent en question les choix d’aménagement de la région de Québec. On déplore notamment la large place accordée à l’automobile au détriment du transport en commun. Le Comité régional des usagers du transport en commun exige une plus grande participation des gouvernements municipaux et provinciaux dont les investissements dans le transport collectif auraient grandement décliné depuis 10 ans (op.cit. : 69). Les Amis de la terre parlent quant à eux de la nécessité de 27 développer une « éco-société » (op.cit. :71) qui doit préserver la vie sous toutes ses formes et laisser en héritage un environnement sain aux générations futures.

D’autre part, si les instigateurs font primer le développement économique sur l’environnement, d’autres questionnent les fondations de ce développement. Pour la ville de Beauport, l’autoroute Dufferin-Montmorency est directement liée à l’extension du port de Québec. Celui-ci fait partie intégrante du plan directeur de la ville. Beauport s’attend à voir s’implanter de nombreuses industries et commerces autour de cet axe. Cette construction diminuera le chômage et amènera des revenus à la ville (Québec, 1978b : 37). Toutefois, de nombreux acteurs, comptant notamment Environnement Canada, se demandent pourquoi le port doit se développer sur la rive nord plutôt que la rive sud (op.cit. : 33) où il serait moins dommageable. De plus, une compagnie, Robitaille Marine Inc, attire particulièrement l’attention en démontrant que la construction de l’autoroute telle que prévue ne signifie pas la prospérité économique pour tout le monde puisque celle-ci devra fermer et mettre à pied 30 personnes si elle n’a plus accès au fleuve via la rivière Beauport. La compagnie laisse aussi entendre que bien des commerçants du boulevard Saint-Anne souffriraient de l’implantation de ce tronçon puisque des clients passeraient outre (op.cit. :68).

Tout au long des audiences publiques, chaque intervenant tente de récupérer la vocation naturelle des battures à son profit, certains acteurs apparaîtront cependant plus crédibles que d’autres dans leur tentative de récupération. Si pour la Société inter-port ou la ville de Beauport les « […] raisons écologiques sont insuffisantes pour empêcher le développement industrialo-portuaire auquel les battures de Beauport sont vouées. » (Québec, 1978b : 35), il est en autrement pour des organismes environnementaux, telle que la Fédération québécoise de la faune, qui donne une vocation récréative et de mise en valeur aux battures. Pour étayer leur position, des intervenants revendiquent souvent l’opinion de la majorité. La ville de Beauport mentionne ainsi que les opposants « […] constituent une minorité scientifique recherchant fondamentalement une transformation utopique de l’activité économique à partir de leurs données écologiques et biologiques » (ibid.). Toutefois, malgré les tentatives comme celle-ci afin de marginaliser l’opposition scientifique, son éloquence et son expertise lui donneront une visibilité certaine durant les consultations publiques. Les arguments des groupes de scientifiques provenant de l’ABQ ou 28 d’Environnement Canada sont ainsi davantage repris par Le Soleil et les commissaires dans leur conclusion que ceux des citoyens. Du côté des instigateurs, le maire Bédard se fait entendre plus que tout autre individu durant cette période. Il mentionne par le biais du quotidien Le Soleil que les « oiseauxlogues », une expression qui demeura célèbre dans la région, ne sont que des rêveurs et qu’il préfère donner à manger à ses « […] citoyens qu’aux oiseaux et aux poissons du fleuve Saint-Laurent. » (Le Soleil, 19 septembre 1978). Bref, la période de consultations publiques semble permettre la redistribution des ressources stratégiques entre les deux parties, puisque auparavant ces ressources se situaient majoritairement dans le camp des instigateurs.

Les consultations publiques donnent une tribune à de nouvelles organisations et à de nombreux citoyens qui en majorité critiquent le projet. En effet, des nouveaux acteurs, qui s’étaient peu exprimés avant ou ont été laissés de côté par les médias, se sont fait entendre pendant les consultations publiques. Elles ont contribué à augmenter les ressources sociales des opposants à l’autoroute Dufferin-Montmorency. Les audiences mettent notamment en scène la dissension d’ Environnement Canada qui n’approuve pas le tracé de son collègue provincial et le développement du port sur la rive nord (Québec, 1978b : 33). De plus, près de 150 citoyens participent aux audiences et la majorité dénonce le projet ou demande un moratoire au gouvernement afin de changer le tracé originel (Le Soleil, 11 octobre 1978). Certains citoyens forment même des comités spéciaux pour les consultations publiques. C’est le cas du Comité provisoire pour l’environnement des Trois-Saults qui regroupa 40 personnes.

Outre les ressources sociales soulevées lors des consultations publiques, le quotidien Le Soleil fait également une couverture positive des opposants durant cette période. Si le maire Bédard obtient beaucoup d’espace chez les médias, Le Soleil le décrit comme isolé et dépassé face aux groupes environnementaux durant les consultations publiques : « Le maire Marcel Bédard et les écologistes. Voilà un homme et un groupe de scientifiques qui incarnent deux conceptions du développement bien différentes. C’est le changement économique d’abord et avant tout, en regard d’un développement plus respectueux de l’équilibre de la nature » (Le Soleil, 11 octobre 1978). Le Soleil valorise non seulement les groupes écologistes, mais également la vision plus « populaire » des citoyens qui amène de 29 la « fraîcheur » à des débats trop techniques (op.cit., 13 octobre 1978). Il cite une vieille dame afin de terminer un article portant sur les consultations publiques : « Pourquoi on nous vole notre fleuve? » (op.cit., 12 octobre 1978). Le quotidien ne conclut plus en parlant du progrès amené par un tel projet, mais plutôt sur la défense de l’héritage naturel.

La mise en place d’une des premières consultations publiques générales au Québec a aussi pour effet d’en permettre la critique. Celle-ci se dirige particulièrement vers la communication et le partage de l’information du gouvernement provincial. Des intervenants de l’audience mentionnent que les consultations auraient dû être faites avant la réalisation des travaux et non pas pendant. D’autres citoyens considèrent que l’horaire des audiences ne facilitent pas une participation aussi efficace pour tout le monde. Les trois jours de consultations ne permettent pas aux intervenants de se préparer pour les audiences et constituent un horaire serré qui ne convient pas aux occupations de la majorité des citoyens (op.cit. : 135). Enfin, divers groupes critiquent l’insuffisance d’information pertinente dans cette consultation populaire. Il y avait selon eux beaucoup de documents disponibles au Service de protection de l’environnement du Québec (SPE), mais ils étaient, pour la majorité, incohérents quant aux enjeux, et manquaient de synthèse (op.cit. :134).

Malgré les nombreux mémoires et présentations contre le projet, les audiences publiques ne possèdent par les ressources légales pour mettre fin à la construction de l’autoroute. En effet, les audiences publiques organisées donnèrent certaines ressources institutionnelles aux opposants du projet, cependant, la décision finale du projet demeure hors de la portée des consultations publiques. Le gouvernement accepta la demande de l’ABQ de tenir des audiences et tous les citoyens purent à ce moment participer à celles-ci. Toutefois, c’est le SPE qui décide s’il donne un certificat d’autorisation au MTQ. Le SPE livre son certificat à la suite de l’étude d’impact du MTQ qui la réalisa, à ce moment, après les consultations publiques. Le SPE et le MTQ se divisent donc le pouvoir institutionnel suite aux consultations publiques; d’une part, le SPE doit donner le droit au MTQ de construire l’autoroute sur les battures, d’autre part, c’est le MTQ qui effectue l’étude d’impact sur les conséquences de son projet.

Finalement, la période de consultations publiques révèle et diffuse d’autres experts que ceux du MTQ. Les experts du MTQ qui avaient jusque là pris beaucoup de place pour 30 justifier le projet dans les assemblées ou les séances d’information concernant l’autoroute Dufferin-Montmorency ont cédé leur place à des scientifiques adoptant des positions spécialisées sur les enjeux environnementaux. Leur savoir et leurs opinions furent diffusés par Le Soleil durant les audiences et repris par les commissaires dans leurs conclusions des consultations (Québec, 1978b). Les opposants gagnèrent donc des ressources informationnelles durant cette période. Cependant, les positions des organisations ou des citoyens exprimant un point de vue plus global, voir même fondamental, remettant en question les choix d’aménagement de la région, furent peu reprises par les journaux et évitées par les commissaires dans leurs suggestions finales au SPE (op. cit. : 121). Les commissaires ne remirent ainsi pas réellement en question les choix du gouvernement en matière de transport. Ils conclurent qu’il n’était pas urgent de compléter les travaux puisqu’il fallait auparavant mettre en œuvre « […] un plan d’aménagement intégrant les dimensions écologiques, économiques et socio-culturelles » (op. cit. : 125).

La décision du gouvernement Environ un mois après les consultations publiques et avant même la parution de l’étude d’impact, le ministre délégué à l’environnement M. Marcel Léger annonce que l’autoroute sera complétée, mais « […] autrement qu’à même le fleuve » (Le Soleil, 23 novembre 1978). Selon le ministre de l’environnement du Québec : « On a hérité de la bêtise du siècle et on est pris avec » (ibid.). Pour le gouvernement, il n’est pas question de revenir en arrière sur ce projet dont le coût total s’élèvera à 122 millions de dollars (op. cit., 11 octobre 1978), mais plutôt de sauver ce qui reste des battures. Si le ministre des Transports M. Lucien Lessard promet que ses fonctionnaires ne répèteront pas les erreurs de l’ancien gouvernement qui passa par-dessus les lois et règlements du SPE, le mouvement d’opposition « Sauvons les battures » décrit plutôt la démarche présente du gouvernement comme étant illégale (op. cit., 23 novembre 1978). Les 24 organismes membres du mouvement critiquent le fait que M. Léger autorise la construction du dernier tronçon avant même de juger de l’étude d’impact. Le tout récent Ministère de l’Environnement (MENV) ne serait selon eux qu’un « tigre de papier qui fait face à un âne sourd et aveugle » (ibid.). M. Léger approuverait ainsi l’illégalité des travaux du MTQ sans lui faire d’opposition. 31

À la suite des consultations publiques, les ressources sociales des opposants à la construction de Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport sont plus visibles, mais ne sont pas en mesure de faire changer d’avis le gouvernement. Le mouvement « Sauvons les battures » parvient à réunir 24 organisations. Parmi celles-ci, certaines sont partisanes de changements plus globaux tel les Amis de la terre, alors que d’autres se limitent spécifiquement à la protection des battures comme c’est le cas du Club des ornithologues de Québec. Ils réunissent 11 000 signatures contre le projet et parviennent à attirer l’attention des médias avec une conférence de presse en face du parlement de Québec au côté d’un bulldozer qu’ils avaient loué pour symboliser l’action du MTQ (Président de l’UQCN, 2005). Ils n’obtiennent pourtant pas de réponse du gouvernement provincial.

Le gouvernement provincial par l’entremise du MENV et du MTQ conserve donc les ressources législatives lui permettant de planifier le projet selon ses volontés. Bien que les audiences publiques furent ouvertes à tous les citoyens, le MENV, à ce moment, se garde le droit de rendre le rapport public ou non (Le Soleil, 13 octobre 1978). Ensuite, le MTQ effectue l’étude d’impact et décide lui-même des solutions à appliquer pour diminuer les impacts environnementaux de l’autoroute, et ce sans l’avis du MENV. Le MTQ décidera lui aussi de la nécessité de rendre public l’étude d’impact. En somme, ces deux ministères se gardent le droit de contrôler l’information et le MTQ demeure le maître d’œuvre.

Plan final À la veille de publier ces nouveaux plans pour entamer la construction du dernier tronçon d’autoroute, les demandes sont plus précises et exigeantes envers le gouvernement. L’accès à l’information devient un enjeu majeur et l’occasion, par le fait même, de critiquer le gouvernement. Le Soleil offre une bonne tribune à la Ligue des citoyens des Chutes (LCC), absente du conflit jusque là. Celle-ci exige l’accès au plan que le MTQ a choisi pour le tracé de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures afin de s’assurer du respect des demandes des citoyens. La Ligue veut notamment de nombreux points d’accès, le long de l’autoroute, pour les citoyens ou les touristes qui désirent se rendre sur les battures (Ancien président de la LCC, 2005). Elle en profite pour demander la création d’une « loi prévoyant l’accès du public à la construction de l’autoroute 440 et à l’aménagement des battures de 32

Beauport » (Le Soleil, 10 janvier 1980). La LCC adresse ainsi de nombreuses critiques au gouvernement qui a profité, selon elle, de l’absence d’une telle loi : « ses réponses évasives et de demi-vérités », l’indifférence face à l’opinion publique et « la révélation au compte-gouttes » des raisons véritables de la construction de telles infrastructures (ibid.). Le président de la LCC rapportera s’être fait sortir du chantier de construction alors qu’il voulait participer à une réunion d’information entre les concepteurs du projet (Ancien président de la LCC, 2005). La LCC conclura ainsi qu’à l’exception de « l’heureuse parenthèse » que furent les consultations publiques, le gouvernement aurait manqué à son devoir démocratique.

Au mois de septembre 1979, avant même d’avoir terminé son étude d’impact et reçu son certificat d’autorisation du MENV, le MTQ fait connaître le tracé qu’il projette dans une rencontre avec des représentants de la CUQ, de la ville de Beauport et des corps intermédiaires. Bien que les médias aient connu les grandes lignes de la rencontre, ils furent exclus de celle-ci. Ce nouveau plan respecte, selon le MTQ, les demandes formulées par la majorité des intervenants durant les consultations publiques. La construction de l’autoroute se situe au maximum possible sur la terre ferme afin de minimiser les impacts sur les battures.

Figure 4 : Plan de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport, déterminé par le MTQ en 1979

Source : Le Soleil, 30 novembre 1979.

33

Si le MTQ dit protéger adéquatement les battures par cette grande déviation, l’étude d’impact du MTQ préalable au certificat d’autorisation du MENV est complétée seulement au début de l’année 1980 (op.cit., 30 novembre 1979).

Après avoir obtenu la certification d’autorisation du MENV, le ministre des Transports Denis de Belleval confirme publiquement ce même tracé au mois d’octobre 1980. Il précise également que des aménagements récréatifs sont prévus le long de l’autoroute pour satisfaire aux demandes des citoyens. Des passages piétonniers et cyclables sont planifiés sous l’autoroute pour donner à la population un « libre accès » au fleuve Saint-Laurent (op.cit., 1ier octobre 1980). Ce plan, concrétisé trois ans plus tard, rendit, de façon générale, tant les opposants à l’autoroute que ses instigateurs insatisfaits. Pour le maire Bédard, les transformations amenées par les écologistes ne « donnent rien de valable » (op. cit., 23 juillet 1980) pour les sommes qui furent dépensées pour les tronçons se situant sur les battures de Beauport, soit environ 30 millions de dollars (BAPE, 1978b : 23), d’autant plus que la ville de Beauport ne bénéficie toujours pas de sortie vers l’Est. D’autre part, le ministre des Affaires culturelles Clément Richard parle « d’un vrai gâchis » causé par une autoroute qui a brisé le paysage « […] le long des rives du plus beau cours d’eau du Québec » (op.cit., 20 octobre 1982).

Ces derniers développements mettent en scène des citoyens possédant davantage de ressources informationnelles qu’auparavant. En effet, par le biais de la LCC, des citoyens de Beauport se montrèrent capable de formuler des demandes et des critiques précises vis- à-vis des agissements du MTQ et de leur municipalité. Après les consultations publiques, la LCC accorda une grande importance au droit d’être informé dans des projets d’une telle ampleur. Outre la recommandation d’une loi d’accès à l’information, les citoyens exigèrent du gouvernement qu’il mette au point un programme permanent d’information durant la construction des derniers aménagements autoroutiers sur les battures. De plus, la LCC demanda à la ville de Beauport d’être plus active face au MTQ en faisant ses propres études sur la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency (Ancien président de la LCC, 2005). Ils furent appuyés dans leur requête par deux conseillers municipaux au conseil de ville en 1982 qui voulaient eux aussi redonner une voix à la municipalité face au MTQ. Il était toutefois un peu tard (Le Soleil, 4 août 1982). 34

Malgré tout, durant cette dernière étape, le MTQ demeure le chef exécutif du projet décidant des plans du nouveau tracé sans l’accord réel du MENV et des citoyens. Bien que le MTQ dut demander un certificat d’autorisation de la part du MENV, il montra que cette obligation n’était en fait qu’une formalité en dévoilant le plan du dernier tronçon d’autoroute avant d’avoir achevé son étude d’impact qui donnait accès à la permission du MENV. Si le MTQ invita la population à faire des commentaires par écrit sur ce dernier tracé (op.cit., 5 janvier 1980), le plan du tracé resta pourtant inchangé lorsqu’il le rendit officiel au mois d’octobre. La planification et la construction restèrent donc sous la gouverne du MTQ.

Le prolongement de l’axe Du Vallon

La naissance du projet L’axe Du Vallon est planifié par le consultant Vandry-Jobin en 1968 dans la foulée des grands travaux routiers que l’on dit nécessaires au développement économique et démographique de la région de Québec. Le rapport propose alors de prolonger Du Vallon sous forme d’artère jusqu’à l’autoroute métropolitaine (l’autoroute Félix-Leclerc) (Vandry et Jobin, 1968 :89). Bien que le MTQ expropria des terrains jusqu’à Loretteville, Du Vallon est finalement prolongé jusqu’au boulevard Lebourgneuf où s’installeront les Galeries de la Capitale. Après cette extension, un développement résidentiel et commercial important est attendu dans le secteur Lebourgneuf. La ville de Québec voit de grands projets pour cette zone. Pour tenter de contrer les coûts excessifs de l’aménagement traditionnel des banlieues, le rôle de Lebourgneuf est ainsi défini : « Sa principale vocation sera de restructurer les secteurs nord et nord-ouest en les orientant autour d'un pôle régional d'équilibre » (Québec, 1974 : 56). Ce secteur devra bénéficier d’un système de transport pouvant le mener rapidement au centre-ville de Québec. Un service de transport en commun rapide desservant les zones de fortes densités attendues dans Lebourgneuf est, à ce moment, un objectif prioritaire de la ville de Québec (op. cit. :66). Si la ville veut compter sur un réseau de boulevard à quatre ou six voies divisées bien développé dans cette zone, le prolongement de Du Vallon jusqu’à Loretteville apparaît toutefois « problématique compte tenu de l’absence d’arrière pays qu’elle pourrait drainer » (op. cit. :58). Enfin, la 35 croissance du réseau routier, des résidences et des commerces doit tenir compte des richesses naturelles du secteur : « Les boisés de qualité sont très peu nombreux sur ce site antérieurement agricole. La conservation des quelques bosquets qui demeurent devient impérieuse. C'est d'ailleurs près des rivières qu'ils sont les plus importants » (op. cit. :32). Québec compte notamment créer des corridors verts continus le long de la rivière Duberger afin de pratiquer diverses activités de plein air (op. cit. :77).

Émergence du débat En 1980, des citoyens de Loretteville unis à leur maire font à nouveau émerger le projet de prolongement de l’autoroute Du Vallon jusqu’à Loretteville. La raison principale de cette demande constitue l’absence d’un lien direct entre le centre-ville de Québec et leur lieu de résidence. Ils justifient également leur demande par les terrains expropriés du MTQ à la fin des années 60. Toutefois, le projet est encore relégué aux oubliettes par le MTQ. Le ministre des Transports Denis de Belleval annonce que le MTQ ne prévoit aucune nouvelle construction d’autoroutes et d’échangeurs en milieu urbain pour des « motifs qui relèvent aussi bien de considérations économiques qu’écologiques » (Le Soleil, 9 septembre 1980). Si le ministre n’explicite pas les raisons écologiques, il affirme que le prolongement de Du Vallon, s’il s’accomplit, devra être réalisé sous forme de boulevard urbain et que cette structure relève des administrations municipales de la ville de Québec et de Loretteville (ibid.). Le MTQ pourra certes partager les coûts du projet, mais se décharge de la responsabilité de celui-ci. Ce désistement partiel du MTQ, possesseur des ressources financières, informationnelles et institutionnelles en matière d’implantation d’infrastructures de transport, convaincra la ville de Québec de remettre le projet à plus tard.

Le débat s’installe C’est en 1987 que le débat sur le prolongement de l’autoroute Du Vallon resurgit et s’enracine dans la région de Québec. Des partisans du projet s’organisent et attirent davantage l’attention de la ville de Québec, du gouvernement provincial et des médias. Bruno Deshaies, chargé de cours à l’Université Laval, Directeur de la division de l'enseignement des sciences de l'homme pour toutes les écoles publiques du Québec au 36

Ministère de l'Éducation du Québec, et résident du secteur Lebourgneuf, dépose au mois de juin 1987 un mémoire lors des audiences publiques de la ville de Québec portant sur le Plan directeur d’aménagement et de développement de la capitale (Deshaies, 1987). Son document préparé sous l’égide du Centre de recherche en aménagement et en développement de l’Université Laval (CRAD), présente notamment les enjeux en transport du secteur Lebourgneuf. Il mentionne que ce secteur compte sur la deuxième plus forte agglomération de la ville de Québec avec 77 000 personnes et s’attend à la construction de 4500 nouveaux logements d’ici dix ans. Cette expansion accroîtrait ainsi la base foncière et immobilière de Québec (op. cit.: 26). Non seulement Lebourgneuf doit compter sur une autoroute nord-sud pour desservir ce « développement naturel », mais aussi structurer le réseau routier de la ville qui favoriserait excessivement la circulation est-ouest dans la région (ibid.).

Selon Deshaies, cet axe direct vers le centre-ville de Québec signifie à la fois un accroissement de la mobilité et de la sécurité pour les gens du secteur Lebourgneuf. D’abord, le prolongement de Du Vallon permettrait à des résidents, spécialement les jeunes, de sortir de leur isolement géographique en facilitant l’accès au centre-ville de Québec par un corridor dédié au transport en commun. Il affirme en outre que cette autoroute structurante bénéficiant d’un système de transport en commun adéquat contribuerait à diminuer le besoin en stationnements à Québec puisqu’une plus forte proportion de personnes du secteur prendrait l’autobus au lieu de l’automobile (op. cit.: 16). Enfin, Deshaies soulève un enjeu de sécurité pour les résidents du secteur puisque ceux-ci doivent vivre quotidiennement avec un débit de circulation excessivement élevé sur des artères inappropriées pour cette circulation de transit, soit les boulevards Bastien et Saint- Joseph, Pierre-Bertrand et Saint-Jacques ainsi que la rue Saint-Charles (op. cit. : 17).

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Figure 5 : Artères qui absorberaient une trop grande circulation de transit

Réalisée par Guillaume Gagné

Le prolongement de l’autoroute Du Vallon est toutefois loin de se concrétiser à cette époque puisque le projet demeure principalement au niveau des citoyens de Lebourgneuf. Bien que les citoyens du secteur s’organisent en formant une coalition pour le prolongement de l’autoroute Du Vallon en 1989 (Membre de le coalition pour le prolongement de l’autoroute Du Vallon, 2005), ils ne parviennent pas à obtenir d’engagement de la part du MTQ qui se contente de faire des études sur la pertinence du projet (Le Soleil, 14 mai 1987). La ville de Québec, qui planifie pourtant le prolongement de Du Vallon jusqu’au boulevard Chauveau (Des Rosiers, 1987 : 60), offre un appui trop timide à la coalition citoyenne. Si Bruno Deshaies représente sans doute un citoyen plus influent que d’autres de par son statut de haut fonctionnaire et son expertise, les ressources sociales des instigateurs du prolongement de l’autoroute Du Vallon restent cantonnées au secteur Lebourgneuf. Finalement, ne voyant pas l’urgence d’intervenir, le projet ne suscite pas encore d’opposition marquée.

Du Vallon devient un enjeu politique Le prolongement de l’autoroute Du Vallon prend davantage l’allure d’un conflit en 1991 lorsque ses partisans reçoivent des appuis politiques concrets de députés provinciaux ainsi 38 que de la ville de Québec. Devant la possible réalisation du projet, des opposants s’élèvent cette fois au nom de l’environnement.

À partir de 1991, le prolongement de Du Vallon devient un enjeu politique central dans la région de Québec. Au niveau provincial, des représentants politiques s’engagent à faire avancer le projet. Deux députés Libéraux, Jean-Guy Lemieux de Vanier et Rémy Poulin de Chauveau, appuient publiquement le prolongement de l’axe et promettent d’en faire une priorité dans le caucus régional du parti (Le Soleil, 30 novembre 1991). De même, dans l’opposition, le député Péquiste de La Peltrie Guy Rivest se présente à une manifestation « pro-Du Vallon » en présentant le projet comme « la bougie d’allumage » du développement du secteur Lebourgneuf (op. cit. 10 mai 1992). Cependant, le ministre des Transports Marc-Yvan Côté, à qui revient la décision finale, demeure réticent à inclure Du Vallon dans le budget de l’année 1992. Il est même accusé de désinformation de la part du comité de citoyens pour le prolongement de Du Vallon. Selon Bruno Deshaies, Côté cacherait indûment au public l’étude de la firme Piette, Audy et Associés pour qui les prévisions de trafic en hausse du secteur justifient le prolongement de l’autoroute Du Vallon (Piette et al, 1989 : 107).

À la ville de Québec, le maire L’Allier se montre également en faveur du projet, mais insiste pour que l’autoroute Du Vallon se prolonge sous forme de boulevard urbain. Ainsi, le conseiller et maire suppléant du Rassemblement Populaire, Claude Cantin, est responsable du projet et s’engage à faire pression sur les instances provinciales pour faire avancer celui-ci. L’Allier lui donne toutefois le mandat d’exiger un « boulevard urbain de nouvelle génération » une artère qui se situerait entre l’autoroute et la rue commerciale et qui comprendrait un certain nombre de carrefours (Le Soleil, juin 1992). Si pour le maire L’Allier la solution réside dans le boulevard urbain, des conseillers de l’opposition de même que des organisations écologistes y voient un projet allant à l’encontre des orientations de Québec qui établissent l’augmentation de la part modale du transport en commun et le frein à l’étalement urbain comme des priorités.

Voyant la multiplication des appuis politiques au prolongement de Du Vallon, l’opposition prend forme durant cette période. Ce refus se base surtout sur l’opportunité du projet et la conscience écologique. Une coalition d’écologistes, formée de Transport 2000, du Conseil 39 régional de l’environnement (CRE), de l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN) et du Comité des usagers du transport en commun (CRUTEC), dénonce le projet qui, selon elle, ne fera que favoriser l’utilisation de l’automobile et la pollution qui en découle. La région disposerait selon le CRUTEC d’un réseau autoroutier par habitant déjà plus élevé que des grandes villes telles Montréal ou Toronto7. Ce comité prône plutôt l’investissement des 20 à 30 millions prévus pour Du Vallon dans le transport en commun sensé être une priorité pour la ville de Québec (op. cit., 21 mai 1992). À l’hôtel de ville de Québec, le projet ne fait pas l’unanimité dans l’opposition. Le conseiller indépendant de Saint-Roch, Réjean Lemoine, demande au conseil municipal de rejeter le projet. Il soutient non seulement les arguments des groupes écologistes (op. cit., 27 mai 1992), mais, également, la position de la Corporation professionnelle des urbanistes (op. cit., 12 décembre 1991) et de la Commission Des Rosiers qui demandent de mettre fin à un étalement urbain coûteux pour plutôt revigorer les services du centre-ville de Québec (Ancien conseiller indépendant à la ville de Québec, 2005). Si l’objet d’étude central de la Commission Des Rosiers porte sur « le maintien des institutions et les mesures de repeuplement des quartiers centraux de Québec » (Des Rosiers, 1992 : 6), elle recommande néanmoins un moratoire sur l’expansion du réseau routier. Ce dernier est accusé d’ouvrir des nouvelles zones de développement au détriment des institutions du centre-ville. La Commission mandatée par la ville de Québec ne fera toutefois pas de référence spécifique au prolongement de Du Vallon (Des Rosiers, 1992 :98) …

Cette période donne lieu à un débat où les acteurs opposent des chiffres et des études pour justifier ou discréditer la pertinence du prolongement de Du Vallon. En effet, tant les partisans du projet que les opposants ont accès à des ressources informationnelles qui leur permettent d’étayer leur position. Cependant, les partisans soulèvent des informations particulièrement liées au secteur Lebourgneuf alors que les opposants présentent des données plus globales concernant le système de transport général de la région de Québec. Bruno Deshaies souligne ainsi les résultats du rapport de Piette, Audy, Bertrand, Lemieux et Associés tandis que la coalition écologiste ainsi que le conseiller indépendant Réjean

7En s’appuyant sur la commission de transport de la communauté urbaine de Québec, le CRUTEC affirme que Québec dispose de 21.6 km de voies rapides par 100 000 habitants alors que Montréal et en affichent respectivement 8.8 et 7.7 (Le Soleil, 21 mai 1992) 40

Lemoine se servent des données de la Commission Des Rosiers et la Commission de transport de la Communauté urbaine de Québec pour démontrer le développement excessif des autoroutes dans la région de Québec parallèlement au dépérissement de certains services collectifs du centre de Québec. Par ailleurs, autant l’argumentation de la coalition pro-Du Vallon que celle des opposants dépendent des études produites par les gouvernements provincial, régional et municipal qui contrôlent ainsi les sources d’information.

Pour défendre le prolongement de l’axe Du Vallon face aux arguments des groupes écologistes, les partisans du projet usent de ressources stratégiques en récupérant la défense de l’environnement au bénéfice de leurs intérêts. Selon Bruno Deshaies, c’est plutôt la situation actuelle qui « a un effet polluant » puisque les automobilistes effectuent de nombreux détours pour parvenir à l’autoroute Du Vallon. Il ajoute que la voie proposée contribuerait à créer un réseau d’autobus express présentement trop centré sur l’axe est- ouest plutôt que nord-sud. Enfin, appuyé par le conseiller municipal Claude Cantin (Le Soleil, 27 mai 1992), il réfute également le problème de l’étalement urbain en mentionnant que la route serait un axe structurant au cœur de l’agglomération urbaine (Le Soleil, 26 mars 1992).

Bien que le prolongement de Du Vallon suscite de l’opposition chez des groupes écologistes et ne parvient pas à faire un consensus politique, les ressources sociales des partisans de part et d’autre se multiplient durant cette période. Pour la première fois dans le débat, une coalition de groupes écologistes signifie clairement son désaccord sur le projet tandis qu’au conseil de ville, des conseillers d’opposition tels que Réjean Lemoine et Jacques Jobin (Le Soleil, 9 juin 1993) ne s’entendent pas non plus sur la pertinence du prolongement de Du Vallon. Toutefois, l’opposition au conseil municipal reste minoritaire et les députés provinciaux du secteur (Rivest, Lemieux et Poulin) s’accordent sur la nécessité du projet. De plus, la coalition pour le prolongement de Du Vallon s’appuie sur des sondages effectués dans le secteur Neufchâtel démontrant que près de 90% des gens sont favorables à cet axe (Le Soleil, 10 mai 1992). La tribune offerte par Le Soleil aux partisans de Du Vallon est également importante durant ce temps. Les réactions de Bruno Deshaies, le porte parole de la coalition, se font régulièrement entendre dans le quotidien Le 41

Soleil qui rapporte ses propos dans neuf articles différents de 1991 à 1993. Enfin, les nombreuses manifestations du groupe telles que la conception d’un gilet à l’effigie « Oui Du Vallon », les pétitions ou les « Gaz-o-Vallon » sont aussi couverts par Le Soleil.

Malgré toutes les ressources sociales des partisans du prolongement de Du Vallon, c’est l’absence du débat du MTQ qui pèse le plus lourd dans la réalisation de l’axe. Il possède les ressources matérielles et institutionnelles lui permettant de prendre la décision finale dans le projet. L’hésitation du MTQ à inscrire le boulevard urbain Du Vallon dans ses plans et ses budgets demeure l’obstacle central de la réalisation de cet axe. Le MTQ est réticent à devenir le maître d’œuvre d’un boulevard urbain, tel que voulu par la ville de Québec et à en défrayer la majorité des coûts qui y sont reliés (Directeur du transport à la ville de Québec, 2005). La responsabilité de construire un boulevard qui dessert les quartiers adjacents relèverait de la ville alors que le MTQ se charge des axes interurbains (Directeur de partenariat, de la modélisation et de la géomatique au MTQ, 2005). Bref, pour le MTQ, Québec veut profiter des services du Ministère sans en payer la facture.

Sept ans de promesses En 1993, à la veille des élections municipales, l’insatisfaction de la coalition pour le prolongement de Du Vallon vis-à-vis les représentants politiques est telle qu’elle décide de présenter un candidat indépendant, Bruno Deshaies, face au conseiller municipal Claude Cantin. La coalition en veut autant au gouvernement du Québec qui refuse de s’engager qu’au maire L’Allier qui leur aurait donné un « appui platonique » (Le Soleil, 3 juin 1993). Deshaies critique particulièrement le maire L’Allier : « Que le maire L’Allier s’entende donc avec le Ministère des Transports pour que ça demeure une autoroute au lieu de s’entêter à en faire un boulevard urbain ,ce qui, de l’avis des ingénieurs au ministère, n’a pas d’allure et le dossier va débloquer » (Le Soleil, 6 novembre 1993). Avec comme cheval de bataille le prolongement de l’autoroute Du Vallon, Deshaies remportera près de 1000 voix (Perron, 2005), mais ne délogera pas Claude Cantin qui continuera donc de représenter « le rang de la misère » (Le Soleil, 9 juin 1993), tel que baptisé par la coalition pro-Du Vallon. 42

Au grand dam de la coalition pro-Du Vallon, la ville de Québec ne donne plus la priorité au prolongement de Du Vallon après la nouvelle victoire du Rassemblement Populaire en 1993. En effet, selon le quotidien Le Soleil, une étude de marché que la municipalité a commandée à la firme Michel Grenier et Associés, démontre que la réalisation de cet axe mettrait « en péril la vitalité de la structure du boulevard l’Ormière » (Le Soleil, 16 juin 1994). Selon l’étude, Du Vallon déstructurerait une artère où les commerces se portent bien alors que le prolongement de Du Vallon servirait surtout aux résidents de Loretteville (ibid.). Face à ce nouveau vacillement de la ville et l’inaction du PLQ dans le dossier, les partisans se mettent donc à souhaiter l’élection du PQ dont la candidate de Vanier Diane Barbeau promet de faire avancer le projet. Du Vallon devient donc à nouveau l’objet d’un enjeu politique.

Le changement du gouvernement provincial n’amène pas davantage de changement pour la coalition pro-Du Vallon. Bien que de nouveaux acteurs politiques s’engagent à travailler afin de mener à bout le prolongement de l’axe Du Vallon, le débat stagne durant le premier mandat du PQ. En 1997, un groupe rassemblant des représentants des trois paliers de gouvernements, soit Jean-Paul Marchand du BQ, Diane Barbeau du PQ et Claude Cantin, forme un nouveau comité pro-Du Vallon remplaçant le groupe qui était seulement constitué de citoyens. Ceux-ci promettent de travailler « main dans la main pour la cause Du Vallon » (Le Soleil, 22 septembre 1997). Cependant, en 1999 le MTQ refuse toujours d’inclure le projet dans son budget (Le Soleil, 13 octobre 1999). Les communications entre la ville de Québec, qui opte toujours pour le boulevard urbain avec agencement vert, Diane Barbeau et les fonctionnaires du MTQ « sont grincheuses depuis longtemps […] » (Le Soleil, 20 octobre 1998) admet le maire L’Allier qui lui reproche de donner trop peu à la région de Québec dans son plan de transport.

De 1993 à 2000, les citoyens pour le prolongement de Du Vallon bénéficient de ressources sociales provenant de milieux influents, toutefois, les appuis politiques fluctuent selon les périodes électorales. Le Soleil donne encore beaucoup d’espace aux activités et déclarations des partisans (douze articles) de Du Vallon tandis que l’opposition se limite à une courte nouvelle dans laquelle le CRUTEC réitère l’inutilité du projet en pleine récession (Le Soleil, 7 juin 1993). Dans leur lutte, le comité pro-Du Vallon reçoit également le support 43 des Galeries de la Capitale qui permet aux citoyens de faire circuler des pétitions qui récolteront 14 000 noms au mois d’août 1998 (Le Soleil, 25 août 1998). Quant aux représentants politiques, leurs appuis varient, de toute évidence, selon les périodes électorales. Du Vallon est une ressource stratégique autant pour les gouvernements provincial que municipal. Ce n’est ainsi qu’à la fin des mandats du PQ et du Rassemblement Populaire en 1997, qu’un comité rassemblant des représentants politiques des trois niveaux de gouvernement se forme. La ville de Québec en avait pourtant découragé la construction au début du mandat du Rassemblement Populaire. Malgré cet appui variable, le MTQ finira quand même par s’investir dans le projet.

Le MTQ s’engage En février 2000, la ville de Québec annonce qu’elle a conclu une entente avec le MTQ. Ceux-ci se partageront également les coûts de 30 millions de dollars d’un boulevard urbain qui, aux dires du maire L’Allier, constituera une « entrée civilisée » dans le secteur Lebourgneuf (Le Soleil, 15 février 2000). Le premier tronçon, entre le boulevard Lebourgneuf et l’avenue Chauveau, sera sous la responsabilité du MTQ alors que la ville de Québec assumera la construction de la section se prolongeant jusqu’au boulevard Bastien (Le Soleil, 20 décembre 2000).

Figure 6 : Plan du prolongement de l’axe Du Vallon

Réalisée par Guillaume Gagné 44

Cette entente donne naissance à une nouvelle vague d’opposition au projet amenant de nouveaux acteurs et des enjeux environnementaux qui n’avaient pas été soulevés jusque là. Tel qu’illustré ci-haut, le parc de l’Escarpement, avec la rivière qui le parcours, se situe notamment dans l’axe projeté du nouveau boulevard.

Pourtant ignoré depuis le début du conflit, le parc de l’Escarpement devient un enjeu majeur après l’accord conclu avec le MTQ. L’enjeu relève autant de la conscience écologique qu’à la perte d’accès à une partie du parc advenant le prolongement de Du Vallon. Contenu entre le boulevard Lebourgneuf et l’avenue Chauveau, le parc de l’Escarpement est composé d’un tiers de forêts et deux tiers de friches herbacées qui s’étendent sur une superficie totale de 411,2 ha (BAPE, 2004). Il s’étale de façon linéaire sur 4.5 km et recouvre une section de la rivière du Berger (ibid.). Bien que le parc soit éloigné du centre-ville de Québec, plusieurs acteurs n’habitant pas le secteur Lebourgneuf, s’élèvent contre la fragmentation probable de celui-ci. Des groupes écologistes, des citoyens, des spécialistes et même des chroniqueurs du journal Le Soleil se porteront à la défense de la « forêt de l’Escarpement », une des dernières forêts urbaines de Québec (Le Soleil, 22 juillet 2001).

L’organisme Vivre en ville devient un nouvel opposant au prolongement de Du Vallon à partir de 2000 et amène de nouveaux enjeux. En s’appuyant sur le rapport Bédard, portant sur les finances et la fiscalité locales, la présidente du regroupement, Ann Bourget, soulève notamment le fait qu’il y a trop de zones ouvertes au développement domiciliaire alors qu’il n’y a plus de croissance démographique nette dans la région de Québec (Québec, 1999 : 179). De plus, pour Vivre en ville, l’augmentation de l’offre de transport individuel entraîne nécessairement une augmentation du nombres d’automobiles « et au bout de 10 ans il y a un nouvel engorgement. On se tire dans le pied » (Le Soleil, 20 décembre 2000).

La nouvelle vague d’opposition possède et diffuse une plus grande expertise qu’auparavant dans le débat. Fondé par des diplômés en aménagement du territoire de l’Université Laval, Vivre en ville constitue notamment un nouvel opposant crédible au projet. Le groupe est documenté sur les nouveaux impératifs de l’urbanisme, tel que le démontre Ann Bourget. La protection du parc de l’Escarpement attire également des spécialistes dans le conflit. Dans un article du quotidien Le Soleil, le professeur en foresterie Gilles Lemieux décrit les 45 richesses de cette forêt qui « va de l’épinette jusqu’au noyer en passant par l’érable, le bouleau jaune, le frêne, le chêne et l’orme» (Le Soleil, 22 juillet 2001). Il affirme qu’une loi devrait protéger des forêts urbaines comme celle-ci. Une biologiste, un professeur en arboriculture de l’Université Laval et un mycologue s’ajoutent aussi à la voix de Lemieux. « La forêt de l’Escarpement » abriterait selon eux des espaces végétales rares tels le polypore rosé ou l’ail des bois (Le Soleil, 29 septembre 2001) qu’il faut impérativement préserver. Enfin, la présidente du Conseil des monuments et sites du Québec, France Gagnon-Pratte, rappellera au MTQ la nécessité de préserver l’intégrité de « la forêt de l’Escarpement » (Le Soleil, 4 février 2002).

En plus de l’appui de spécialistes, la menace pesant sur le parc de l’Escarpement pousse des chroniqueurs du journal Le Soleil ainsi que des résidents du secteur Lebourgneuf et de l’extérieur à sortir de leur neutralité pour s’ajouter à la résistance. En effet, Le Soleil offre une grande tribune à ceux qui s’opposent à la destruction d’une partie du parc de l’Escarpement. Même dans ses propres rangs, certains prendront position contre le projet. Ainsi, Jean-Simon Gagné, Jean-Guy Lemieux, Éric Moreault, Normand Provencher, Isabelle Mathieu, Alain Bouchard, Élisabeth Fleury et Pierre Asselin évoquent une promenade dans le secteur Lebourgneuf aux heures de trafic. Ils n’y voient pas de bouchon de circulation, mais seulement un boisé qui se fait déjà gruger par des commerces et qui perdra encore plus de surface lors du prolongement de Du Vallon (Le Soleil, 4 janvier 2003). Durant cette période, des résidents opposés au projet se font pour la première fois entendre dans les médias. Les lettres d’opinion ouvrent la porte à des critiques qui représentent souvent le parc de l’Escarpement comme une victime d’un développement axé sur l’automobile et le profit. Demeurant loin du nombre des partisans du prolongement de Du Vallon dans ce secteur, des résidents de Lebourgneuf déposent, à tout le moins, une pétition de 110 noms à l’hôtel de ville afin de s’opposer au projet (Le Soleil, 1 février 2001).

Malgré les diverses étapes légales à franchir avant le démarrage du projet, l’accord entre le MTQ et la municipalité de Québec semble assurer les acteurs politiques de la réalisation de celui-ci. Le prolongement de Du Vallon exige une étude d’impact de la part du MTQ et des audiences publiques auront vraisemblablement lieu, pourtant, les politiciens municipaux et 46 provinciaux qui ont fait avancer le projet ne voient pas d’obstacles majeurs qui pourraient entraver le projet. Il faut seulement être patient selon la député de Vanier Diane Barbeau : « C’est à cause de l’environnement. C’est la loi, il faut suivre le processus. » Le conseiller municipal Claude Cantin ajoute : « l’argent est là et nous avons un échéancier » (Le Soleil, 1 février 2001). De leur côté, les opposants, de plus en plus nombreux, ne possèdent par de ressources institutionnelles suffisantes leur permettant de protéger l’intégrité du parc de l’Escarpement et, de cette manière, empêcher le projet. La Commission de la capitale Nationale refuse de l’acquérir alors que pour le MENV il n’y a pas « […] d’espèces de plantes menacées dans cette forêt qui justifieraient qu’on prenne des mesures immédiates » (Le Soleil, 27 juillet 2001). Conscient que le projet ne tardera plus à s’accomplir, l’organisme Vivre en ville veut toutefois saisir l’occasion pour faire un débat sur la place qu’occupe l’automobile à Québec (op.cit., 12 février 2003).

L’élection du Parti Libéral Bien que le PQ ait enclenché le processus définitif afin de réaliser le prolongement de l’axe Du Vallon en engageant notamment la firme HBA pour réaliser l’étude d’impact et en prévoyant des audiences publiques, le projet demeure encore une fois un enjeu électoral provincial au printemps 2003. Chacun des candidats de la région des trois partis promet de presser le dossier, s’il est élu. Pour le PLQ, le projet de prolongement de Du Vallon représente « un exemple parfait du laxisme et de l’inertie du Parti Québécois » (op.cit., 25 mars 2003). Marc Bellemare, candidat dans Vanier, démontre d’ailleurs sa volonté politique en distribuant des dépliants sur lesquels sont apposés des autocollants véhiculant le message « boul. Du Vallon : réglé » (op.cit., 7 avril 2003).

Après les élections, le PLQ annonce que le prolongement de Du Vallon sera réalisé malgré les coupures budgétaires du nouveau gouvernement (op.cit., 8 janvier 2004). Avant même les audiences publiques, le projet semble conclu alors que Marc Bellemare et Sam Hamad minimisent l’influence du BAPE. Si le fonctionnaire Paul-Yanik Laquerre du MENV avertit les partisans de Du Vallon de ne pas crier victoire, car « […] cela serait présumer du résultat des audiences du BAPE » (op.cit., 8 janvier 2004), le ministre Sam Hamad souligne plutôt que le BAPE pourrait seulement causer des délais au projet, il 47 mentionne qu’il « […] ne peut pas être annulé complètement » (ibid.). Le ministre de la justice Marc Bellemare indique même que les travaux commenceraient à la fin de l’année 2004 ou au début de l’année 2005 (op.cit., 28 janvier 2004).

Pourtant, à la veille des consultations publiques, les opposants au projet demeurent bruyants dans les médias. Seize groupes environnementaux de la région de Québec se dressent à présent contre le projet avec comme objectif principal de sauvegarder la « forêt de l’Escarpement » tant pour ses bienfaits présents que pour les générations futures (Le Soleil, 10 mai 2003). Au quotidien Le Soleil, Normand Provencher milite particulièrement contre l’abandon de cette voie et la sauvegarde de la « forêt enchantée » (Le Soleil, 21 juin 2003). Il consacre d’ailleurs deux chroniques à cette cause. Bien que Ann Bourget ait quitté le regroupement Vivre en ville, qui fait partie de cette coalition, pour devenir conseillère municipale à la ville de Québec, celle-ci réitère son opposition au projet : « Une solution de transport traditionnel n’est pas convaincante pour moi, mais j’ai l’air d’être la seule à le penser » (Le Soleil, 28 janvier 2004). Les acteurs politiques sont désormais isolés, plus aucun ne se soulèvera formellement contre le projet.

Les consultations publiques Ainsi, conformément à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement découlant de la loi sur la qualité de l’environnement, le MTQ et la Ville de Québec soumirent un avis de projet en 2001 et, par la suite, une étude d’impact jugée recevable par le ministre de l’Environnement Thomas J. Mulcair. Ce dernier demanda au BAPE de tenir d’abord une séance d’information de 40 jours (27 janvier au 12 mars 2004) avant de procéder à des audiences publiques qui eurent lieu du 4 au 6 mai 2004 ainsi que du 1er au 3 juin 2004. Les audiences publiques mirent en scène les mêmes enjeux auparavant soulevés dans le quotidien Le Soleil. Cependant, les participants et les nombreux documents déposés rendirent tant les enjeux concrets, que ceux de nature plus idéologique, plus lisibles et étayés que dans les moments passés du débat. Les audiences publiques amenèrent des solutions aux questions débattues dans les médias.

Les audiences publiques ont permis de démontrer que le prolongement de Du Vallon, tel que présenté par les promoteurs, ne s’harmonise pas avec une meilleure gestion de la 48 demande en transport à Québec. D’abord, sans endosser complètement la position de Vivre en ville, qui soutient que le projet ne fera qu’augmenter le nombre d’automobiles dans le secteur et mener ainsi à de nouvelles congestions dans 10 ans, la commission est d’avis que Du Vallon servira « […] à absorber localement le surcroît de circulation […] » (BAPE, 2004 : 56) qui découlera du développement du secteur Lebourgneuf. De plus, appuyant la position des groupes écologistes, le rapport du BAPE signale également que le projet, tel que conçu actuellement, n’apporterait pas d’avantages immédiats au transport en commun. Le MTQ s’objecte notamment à retrancher une voie de circulation automobile sur l’autoroute Du Vallon actuelle et son prolongement prévu pour la consacrer au transport collectif (op. cit. : 61). Cet axe ne posséderait donc pas, selon la commission, les conditions requises pour permettre le « […] transfert modal significatif de l’automobile vers le transport collectif » (BAPE, 2004 : 62). Du Vallon contribuerait plutôt à perpétuer « […] un modèle de développement qui génère de forts taux de motorisation et d’importants déplacements en automobile » (ibid.). La commission précise en outre que le projet ne s’inscrit pas dans les orientations gouvernementales en matière d’aménagement pour le territoire de la CUQ qui visent à réduire l’utilisation de l’automobile et augmenter la part du transport collectif (ibid.).

Alors que les partisans de Du Vallon et le ministre de l’Environnement Thomas Mulcair (Le Soleil, 3 septembre 2004) justifieront le projet, notamment par les problèmes de santé causés par la congestion actuelle, la direction de la santé publique de Québec (DSP) ainsi que la commission croient plutôt que ce prolongement routier accentuerait ceux-ci. L’opposition de la DSP à la réalisation de Du Vallon est particulièrement souligné par Le Soleil. Absent depuis le début du conflit, l’apparition de la DSP provoqua une certaine inquiétude chez la coalition pro-Du Vallon qui se plaignait entre autre de la pollution de l’air nuisible à leur santé (op. cit. : 8). La DSP soutient qu’au total le risque de smog et de maladies cardio-respiratoires risque d’augmenter si le projet se réalise (Le Soleil, 2 juin 2004). La commission constate, quant à elle, que la pollution atmosphérique dû à la congestion est faible « […] en regard de celle attribuable à la hausse attendue du nombre d’automobiles dans le secteur Lebourgneuf » (BAPE, 2004 : 43). 49

Toutefois, le débat donne lieu à des positions plus nuancées en ce qui a trait à l’étalement urbain. En effet, la commission croit que l’axe Du Vallon « […] correspond plutôt à une expansion urbaine à l’intérieur du milieu bâti existant » (op. cit. :64). Cependant, à l’instar de Vivre en ville et l’UQCN, elle est aussi d’avis que le projet peut devenir une source d’attrait pour la périphérie en facilitant le déplacement vers le centre et le sud de Québec (BAPE, 2004 : 13). L’ajout de ce nouveau tronçon doit donc être accompagné selon la commission de mesures concrètes intégrées dans le plan directeur d’aménagement et de développement afin de poser des limites au développement en périphérie (op. cit. :65). Pour le directeur du service de transport de la ville de Québec, le problème réside toutefois dans le fait qu’une grande partie de la population cherche un lopin de terre en périphérie lorsque la densité du secteur devient trop élevée (Directeur du transport à la ville de Québec, 2005).

Occupant une place centrale dans le quotidien Le Soleil, le parc de l’Escarpement n’est toutefois pas l’enjeu principal durant les audiences publiques. Pour les groupes écologistes il s’agit d’un problème parmi les autres précédemment nommés alors que la commission n’y voit pas une raison suffisante pour annuler le projet. Elle propose surtout des mesures d’atténuation et de compensation à l’endroit du parc et de la partie de la rivière du Berger qu’elle abrite. La commission souhaite notamment que la ville procède « […] à une nouvelle délimitation des parcs de l’Escarpement et de la rivière du Berger en y ajoutant des espaces qui consolideraient leur intégrité » (BAPE, 2004 : 35). Elle appuie et encourage aussi le promoteur dans son intention « […]d’aménager des étangs de rétention des eaux pluviales, entre les cours d’eau et les zones urbanisées pour retenir et filtrer les eaux de ruissellement » (op. cit. :38).

Malgré ses nombreuses réserves, la commission reprend certains arguments de la coalition pro-Du Vallon et des promoteurs. Faisant écho aux visées de la ville de Québec, elle constate notamment que le secteur Lebourgneuf se situe à l’intérieur d’une zone prioritaire de développement où la demande anticipée en logement est très élevée (op. cit. :24). La commission mentionne néanmoins que les plans des promoteurs s’accordent partiellement avec les critères d’un nouvel urbanisme exigeant une grande densité résidentielle, une mixité des fonctions urbaines et un aménagement favorisant l’accessibilité au transport au commun et une certaine convivialité pour les piétons et les cyclistes. À cet effet, le secteur 50

Le Mesnil présente, pour l’instant, une densité résidentielle plutôt basse (op. cit. : 7) et le développement du transport en commun n’est pas dans les plans immédiats du promoteur. Ensuite, les problèmes de sécurité et de débit de circulation tant décriés par la coalition pro- Du Vallon sont constatés par la commission pour ce qui est des secteurs résidentiels Le Mesnil et les Méandres. Elle affirme cependant que les autres carrefours et axes routiers du secteur sont, dans l’ensemble, jugés sécuritaires.

Les audiences publiques se terminent sur une position ambivalente de la commission. Elle admet, d’une part, que le projet actuel du prolongement de Du Vallon ne cadre pas dans les orientations des gouvernements provincial et municipal cherchant à limiter l’expansion urbaine et l’utilisation de l’automobile, mais, d’autre part, elle en reconnaît la nécessité immédiate pour le développement résidentiel et la sécurité des résidants. Elle conclut en mentionnant au ministre Mulcair que le projet « […] serait acceptable dans la mesure où il est accompagné de moyens concrets et efficaces pour lutter contre l’utilisation de l’automobile, en assurant notamment un service de transport en commun concurrentiel dans le secteur du projet » (op. cit. :1).

Si les consultations publiques apparurent comme une simple étape pour des dirigeants politiques, elles permirent à tout le moins de répartir les ressources informationnelles. Tel que prévu par le règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement (BAPE, 2004 :1), le BAPE permit la diffusion d’informations qui étaient, auparavant, principalement concentrées dans les mains du MTQ et de la ville de Québec. Les documents des promoteurs du projet, du MTQ et de la ville de Québec furent mis à la disposition du public du 27 janvier au 12 mars au centre de documentation de Québec et Montréal ainsi que sur son site Internet. Après les audiences publiques qui suivirent la période d’information, le BAPE diffusa de la même manière le rapport de la commission, les 73 mémoires déposés et la transcription des séances publiques. Enfin, le quotidien Le Soleil contribua lui aussi à diffuser de l’information sur le projet. Il fit une couverture assez large des consultations publiques. Il invita la population à consulter les documents gouvernementaux (Le Soleil, 28 janvier 2004) et consacra quatre articles aux audiences publiques. Ces articles relevaient surtout les divisions entre les groupes écologistes du centre-ville de Québec et la coalition pro-Du Vallon. 51

Le rapport de la commission accorde cependant une grande importance à l’information provenant des documents et des propos des acteurs liés aux gouvernement provincial et municipal. Bien que les opinions des groupes écologistes et de la coalition pro-Du Vallon sont résumées au début du rapport, la commission analyse par la suite les différentes problématiques du projet en s’appuyant sur les recherches et les propos des « personnes ressources », qui proviennent des gouvernements provincial et municipal. La commission se fie notamment sur les arguments d’une représentante du Ministère des Affaires municipales du Sport et des Loisirs (MAMSL) pour conclure que le prolongement de Du Vallon ne constitue pas de l’étalement urbain (BAPE, 2004 : 64). Si l’expertise du gouvernement est la plus valorisée aux yeux de la commission, Vivre en ville semble toutefois faire figure d’exception parmi les groupes écologistes. La commission retient notamment les arguments de l’organisme qui nie les prétentions du nouvel urbanisme du projet : « Le nouvel urbanisme tel qu’appliqué ici, sans lien avec une augmentation significative de l’offre en transport en commun, correspond uniquement à une esthétisation de la banlieue où l’automobile garde la place de choix. On est donc très loin d’un changement de mode de développement urbain » (op. cit. :28).

Bien qu’il constitue une voie d’expression, le BAPE demeure une institution suggestive dont les opinions ne commandent pas d’obligations légales au gouvernement. En effet, si des groupes et des citoyens ont le droit d’exiger les documents gouvernementaux sur le projet et faire la demande d’audiences publiques, comme ce fut le cas dans le prolongement de l’axe Du Vallon, le BAPE ne peut pas imposer son avis au MENV qui donne seul son autorisation au promoteur. Il ne peut que suggérer, par exemple, la protection de la rivière du Berger (op. cit. : 36). Ces participants se retrouvent donc, par le fait même, dépourvus de ressources institutionnelles.

Les opposants au projet ne peuvent pas davantage compter sur la force du nombre. La presque totalité des citoyens et des acteurs politiques présents aux audiences militent clairement pour le projet tandis que peu d’acteurs influents s’y opposent. Un chargé de projet à Vivre en ville déplore d’ailleurs le fait qu’il y ait eu peu d’acteurs « crédibles » qui se soient franchement opposés au projet durant les audiences publiques (Chargé de projet à Vivre en ville, 2005). Parmi les quatre candidats aux élections fédérales, aucun ne s’y 52 opposa, pas même le candidat du NPD qui mentionna : « Ça fait si longtemps qu’on en parle » (Le Soleil, 31 mai 2004). Le seul appui important est provenu de la DSP qui a critiqué le projet tant lors des audiences publiques que dans les médias. Les groupes écologistes seront par ailleurs déçus de ne pas recevoir l’appui des commissaires qui résument et appuient pourtant la majorité de leurs arguments (Chargé de projet à Vivre en ville, 2005). Alexandre Turgeon du Conseil régional de l’environnement (CRE) critiquera le rapport en disant que les commissaires « […] constatent des choses et ne concluent pas » (Le Soleil, 3 septembre 2004). La coalition environnementaliste formée de six organisations apparut donc marginale face aux 240 citoyens bruyants arborant pour la plupart un autocollant en faveur du prolongement de l’autoroute Du Vallon (Le Soleil, 5 mai 2004) ainsi qu’aux acteurs politiques qui donnèrent tous un appui clair ou tacite au projet.

La décision du gouvernement Le 3 septembre 2004, avant même le décret officiel du Ministère de l’Environnement, le ministre Thomas Mulcair annonce par la voix des médias qu’il recommandera au conseil des ministres le prolongement de l’axe Du Vallon. Il affirme avoir pris acte des conditions du BAPE qui recommande notamment l’instauration d’un service de transport en commun efficace dans le secteur : « Mes collègues et moi devrons nous asseoir pour en discuter » (Le Soleil, 3 septembre 2004).

Une fois les consultations publiques terminées, le gouvernement Libéral brûla les étapes afin d’accélérer la réalisation du prolongement de Du Vallon. En confirmant le projet avant même d’attendre l’évaluation du dossier par ses fonctionnaires du MENV, le ministre Mulcair voulait ainsi s’assurer que son gouvernement s’approprie définitivement le projet et éviter, par le fait même, qu’il soit un enjeu lors des prochaines élections. Au grand dam des employés du MENV, l’appel d’offre fut même réalisé avant d’avoir le décret de ceux-ci (Directeur du transport à la Ville de Québec, 2005). Ensuite, Jean Charest alla lui-même rencontrer la coalition pro-Du Vallon pour confirmer la réalisation complète des travaux du prolongement de Du Vallon avant 2007, alors que la ville de Québec ne pouvait s’engager à payer pour son tronçon dans ce laps de temps (ibid.). Pour pallier à ce problème le MTQ se 53 chargera donc de l’ensemble des travaux maintenant évaluer à 47 millions de dollars et la ville lui remboursera la moitié de la somme ultérieurement (Le Soleil, 4 décembre 2004).

Les citoyens du secteur Lebourgneuf insistent toutefois pour que la nouvelle infrastructure routière prennent la forme d’un boulevard écologique. En effet, l’Union des citoyens des deux rivières (UCDR), qui se forma suite aux audiences publiques avec des anciens membres de la coalition pro-Du Vallon, dont l’ancien président Claude Perron, compte faire de leur projet de boulevard écologique un enjeu des prochaines élections municipales. Chacun des candidats à la mairie appuie déjà le projet du groupe (Le Soleil, 6 mai 2005) qui réunit environ 400 membres (Membre de l’UCDR, 2005). L’UCDR cherche donc des ressources matérielles et des alliances politiques pour mieux s’approprier le projet. Ils souhaitent que les projets immobiliers qui seront construits le long du boulevard se marient bien avec l’environnement. À cette fin, ils ne veulent pas de bâtiments qui dépasseraient six étages. En disant s’être alimentés des consultations publiques et des groupes écologistes (ibid.), ils comptent aussi faire du « boulevard des deux rivières, un outil à ciel ouvert de sensibilisation et d'éducation à l'environnement » (ibid.) en installant tout au long de l’axe des îlots portant sur des problématiques environnementales, tels que les gaz à effet de serre.

Finalement, Vivre en ville, d’abord opposé au projet, décide à tout le moins de profiter de l’occasion pour contribuer à créer un modèle de nouvel urbanisme dans le secteur. L’organisme s’est associé avec un promoteur et une firme de consultants afin d’élaborer un projet de démonstration se basant sur un établissement de 600 à 1000 logements, qui représenterait un renouvellement dans la façon de développer les secteurs périphériques (Le Devoir, 23 avril 2005).

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Analyse Afin de faire une analyse plus juste de l’apprentissage collectif possible ayant pris place de l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon, il convient d’abord de mettre en relief les ressemblances ainsi que les différences fondamentales entre les deux projets.

D’abord, les deux autoroutes constituent à la base des autoroutes de liaison d’un même type. En effet, selon Bélanger (1998 : 265), les deux axes, dans leur ensemble, représentent des autoroutes de liaison de classe trois. Ils assurent le déplacement entre le centre et la périphérie de Québec. Par ailleurs, les corridors de première et deuxième classes sont considérés comme étant structurants pour la région. L’autoroute Henry 4 ferait ainsi partie du deuxième type puisqu’elle structure les banlieues localisées dans l’ouest de Québec. Le boulevard Laurier et l’autoroute de La Capitale (Félix Leclerc) 8sont cependant les deux seuls axes occupant la première classe.

Figure 7 : Les axes structurants de la région de Québec

Réalisée par Guillaume Gagné

8 Les axes Du Vallon et Dufferin-Montmorency sont d’ailleurs directement connectés à l’autoroute Félix Leclerc 55

Ces deux derniers présenteraient le plus haut niveau d’intégration urbaine. Le boulevard Laurier structure la partie centrale de l’agglomération et compte sur sa voie des institutions majeures de la région, comme le parlement. L’autoroute Félix Leclerc structure quant à elle les banlieues nord et regroupe des industries et des commerces d’envergure régionale (ibid.). Il faut cependant noter que Du Vallon peut éventuellement devenir un axe de deuxième classe s’il devient plus dense (ibid.).

Ensuite, l’autoroute Dufferin-Montmorency est, de toute évidence, un projet de plus grande envergure que le seul prolongement de l’axe Du Vallon. Le projet Dufferin-Montmorency rassembla plus de promoteurs influents que le boulevard urbain Du Vallon. Les municipalités de Québec et de Beauport, les Chambres de commerce et le MTQ promurent vigoureusement l’autoroute Dufferin-Montmorency, et en firent une condition au développement économique de la région de Québec. Dans le cas de Du Vallon, le projet mobilisa au départ des gens de la base, soit des citoyens provenant principalement du secteur Lebourgneuf. De plus, Dufferin-Montmorency représentait une pièce maîtresse d’un vaste plan de circulation de la région de Québec configuré par deux rapports majeurs, soit ceux de Gréber (1956) et Vandry-Jobin (1968). Du Vallon était lui aussi prévu par ces deux rapports, mais sous forme d’artère. En outre, le seul prolongement de Du Vallon est un projet plus sectoriel que l’axe Dufferin-Montmorency qui s’étend du centre de la ville jusqu’aux rives du fleuve Saint-Laurent. Du Vallon est ainsi moins dispendieux et ses conséquences sont moins vastes.

La construction des derniers tronçons de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport et le prolongement de Du Vallon ont toutefois des caractéristiques semblables qui permettent d’approfondir et de comparer les deux débats sur la question environnementale. D’abord, les deux axes sont d’une longueur similaire9. Ensuite, ils passent à travers des milieux naturels «non-colonisés » par l’agglomération afin d’offrir principalement un accès direct aux différents noyaux de la ville de Québec. Enfin, dans les

9 Les quatre derniers tronçons sur les battures de Beauport s’étendent sur environ 5 km (BAPE, 1978 : 23), tandis que le boulevard urbain Du Vallon représenterait un prolongement d’une longueur de 4.2 km (BAPE, 2004 : 2) 56 deux cas, ces impacts environnementaux forceront le gouvernement provincial à effectuer des consultations publiques.

Les battures de Beauport se distinguent cependant du parc de l’Escarpement car elles représentent un milieu naturel très riche et sont gardiennes de symboles québécois. En effet, l’atteinte au fleuve Saint-Laurent et à ses oiseaux migrateurs qui l’habitent était susceptible de toucher une grande partie de la population de la région de Québec. Cette dernière section de l’autoroute Dufferin-Montmorency mettait en jeu l’accès au fleuve Saint-Laurent dont la population de Québec en a fait un élément identitaire important lié non seulement à l’essor de la région mais également de la province. De plus, la destruction de l’habitat de l’oie blanche, qui sonne à la fois le début de la saison de la chasse et le retour de la saison froide à Québec, représente un point très sensible du débat sur l’implantation de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport. Pour terminer, alors que le parc de l’Escarpement est peu reconnu pour ses ressources naturelles dans la région, les battures constituent des milieux humides productifs que les biologistes ne purent ignorer à la fin des années 70. Le président de l’ABQ de l’époque, admit d’ailleurs qu’il s’agissait « d’un beau dossier » vu la richesse du milieu (Ancien président de l’ABQ, 2005). En somme, de par la nature du projet et du site, le prolongement de Du Vallon risquait de toucher moins de gens que celui portant sur l’extension de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport.

Finalement, la grande visibilité de chacun des deux cas facilite néanmoins l’analyse des deux projets et justifie en grande partie leur choix. En plus des consultations publiques, tant Dufferin-Montmorency que le prolongement de Du Vallon furent l’objet d’une couverture dense et étalée dans le temps par le quotidien Le Soleil. À défaut d’être moins récent que le prolongement de Du Vallon, de nombreux auteurs de la région, tels Louise Quesnel et François Hulbert, s’attardèrent aux conflits entourant la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency. Cette grande couverture des deux cas permet de bien cerner les acteurs, les enjeux et les ressources utilisées dans les débats afin de tracer une évolution de ceux-ci à l’intérieur des conflits, mais également d’un à l’autre. C’est donc en ayant en tête des contextes politique, économique et géographique à la fois semblables et divergents que l’on peut s’attaquer à l’analyse et effectuer une comparaison légitime des deux cas. 57

Rôle des acteurs Dans la perspective d’une plus grande participation dans le processus de décision, a-t-on assisté à une redéfinition des rôles des acteurs d’un conflit à l’autre?

L’autoroute Dufferin-Montmorency Le MTQ garda des rôles constants avant l’arrivée au pouvoir du PQ. En effet, le MTQ de l’Union Nationale et du Parti Libéral fut décideur exécutif, maître d’oeuvre et instigateur du projet, de la réalisation du projet jusqu’à la victoire du PQ en 1976. Sous ce nouveau gouvernement, le MTQ deviendra alors, sur papier, co-décideur car il devra céder des droits au SPE et, plus tard, au MENV, détenteur du certificat d’autorisation. En outre, le MTQ du PQ n’apparaîtra plus comme l’instigateur du projet. Il se donnera davantage l’image du malheureux héritier de l’erreur du gouvernement Libéral. Le ministre des Transports de l’époque, mentionne même que Dufferin-Montmorency n’aurait jamais dû être fait et qu’on aurait simplement pu élargir le boulevard Sainte-Anne pour canaliser la circulation provenant de l’Est de la ville de Québec (Ancien ministre des Transports, 2005).

En fait, l’unité du gouvernement par rapport au projet se brisa avec l’arrivée du PQ. À l’exception de l’OPDQ, sous les gouvernements de l’Union Nationale et le Parti Libéral, les membres du gouvernement se prononçaient soit en faveur du projet ou demeuraient silencieux, mais, pour la première fois, sous le PQ, des représentants politiques devenaient des objecteurs. Les fonctionnaires et les ingénieurs du MTQ du PLQ se virent notamment critiqués par le député Richard Guay (Le Soleil, 4 décembre 1976). Une étude du SPE, le rapport Waltz (Québec, 1978b), dénonça également le projet du MTQ sur les battures. En somme, le gouvernement devint trop divisé à ce moment pour continuer à jouer le rôle d’instigateur du projet.

À l’extérieur du gouvernement provincial, le nombre d’objecteurs augmenta considérablement au milieu des années 70 et culmina lors des consultations publiques. Des citoyens opposés au projet, qu’ils soient regroupés comme le comité de l’aire 10 ou seuls, augmentèrent en nombre et en visibilité à partir de 1976. Aux consultations publiques, le nombre d’opposants au projet dépassa largement le nombre d’instigateurs. Quatorze groupes d’intérêts contre trois (ibid.) s’opposèrent clairement au projet lors des consultations publiques alors que 11 000 signatures de citoyens également récalcitrants 58 furent recueillies par la coalition « Sauvons les battures » durant cette période (Le Soleil, 6 décembre 1978). Il apparaît donc que certains citoyens dans le débat auront passé du stade passif à celui d’objecteur.

Malgré tout, il subsista des instigateurs constants dans le projet. La municipalité de Beauport, avec le maire Bédard à sa tête, la Chambre de commerce de Beaupré et la Société inter-port de Québec militèrent vigoureusement pour le projet. Leurs positions demeurèrent la même tout au long du débat. Ils pressèrent sans cesse le gouvernement de continuer le projet. Même s’ils se retrouvèrent dans un camp minoritaire et dénigré à la fin des années 70, particulièrement lors des consultations publiques, nous verrons plus tard qu’ils comptèrent sans doute pour plusieurs dans le débat.

Néanmoins, les repositionnements des représentants du gouvernement et l’émergence de nouveaux acteurs dans le débat contribuèrent sans doute à élargir le processus de décision en 1978. L’opposition nouvelle de députés, de citoyens et de groupes d’intérêts, combinée à l’apparition en 1978 du MENV, favorisa la démocratisation du projet et la déconcentration des pouvoirs du MTQ. Il s’agissait toutefois d’un droit de parole, et non pas d’une démocratie réellement participative.

De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon Contrairement au projet Dufferin-Montmorency, la ville partage les responsabilités du prolongement de Du Vallon avec le MTQ. En effet, après que le ministre des Transports De Belleval signifia en 1982 qu’il était davantage du ressort de la ville de Québec de faire le prolongement de Du Vallon puisqu’il s’agissait d’un projet de boulevard urbain, celle-ci exigera plus tard de planifier conjointement avec le MTQ le tracé. C’est même la ville qui tiendra au boulevard urbain face au MTQ qui se serait finalement contenté d’une autoroute (Directeur du transport à la ville de Québec, 2005). Elle évaluera aussi le projet par ses propres études, tel que le rapport de marché de Michel Grenier en 1994 (Le Soleil, 16 juin 1994). Bref, la ville de Québec a joué un rôle plus proactif dans le projet Du Vallon.

S’il y eut des repositionnements par rapport au projet Dufferin-Montmorency, il y en a eus très peu dans le cas de Du Vallon. En 1976, le gouvernement du PQ devint en partie 59 objecteur au projet Dufferin-Montmorency tandis qu’au quotidien Le Soleil l’enthousiasme du départ céda la place aux critiques. En ce qui concerne le prolongement de Du Vallon, les acteurs ont eu des rôles plutôt constants. Que ce soit sous le gouvernement Péquiste ou Libéral, les députés du secteur ont appuyé incessamment les citoyens de la coalition pro-Du Vallon. Mis à part le bémol apporté par l’étude de Grenier évaluant que les commerces du boulevard l’Ormière pourraient souffrir du prolongement de Du Vallon (ibid.), la ville de Québec s’est montrée également favorable au projet de son émergence jusqu’au moment de sa confirmation. À l’opposé, les écologistes l’ont dénoncé invariablement de 1991 à 2005. Bien que dans le cas de Du Vallon le nombre d’objecteurs augmenta avant la consultation publique tout comme Dufferin-Montmorency, il n’y eut donc pas de repositionnement chez des acteurs influents. Tandis qu’à la fin des années 70 des acteurs politiques en vinrent à opposer leur vision de développement à d’autres acteurs influents comme le maire Bédard, aucun acteur de « grande envergure » est devenu, cette fois, opposé à Du Vallon. Les gouvernements municipal et provincial ont démontré peu de signes révélant une division interne comme dans le cas de Dufferin-Montmorency. La bataille s’est faite sur une plus petite échelle entre les écologistes et la coalition pro-Du Vallon.

Alors que les citoyens, les représentants municipaux, les députés du secteur en cause et les écologistes ont eu une grande visibilité, le rôle du MTQ a été quant à lui plus effacé dans le projet de prolongement de l’axe Du Vallon. S’il a finalement accepté le projet qu’il réalisera en collaboration avec la ville de Québec, le MTQ n’a pourtant pas été un instigateur visible et autoritaire durant le débat. Contrairement aux conflits portant sur l’autoroute Dufferin-Montmorency, il est peu intervenu comme acteur. La coalition pro-Du Vallon, les représentants municipaux, les députés de la région et les écologistes ont monopolisé le débat dans les médias. Comme le projet a fait l’objet de conflits et d’échanges entre des acteurs provenant, cette fois, « de la base », il a semblé favoriser davantage la participation que celui portant sur l’autoroute Dufferin-Montmorency. Il est également intéressant de noter que la coalition pro-Du Vallon participera même à l’aménagement « secondaire » du boulevard urbain (Membre de l’UCDR, 2005).

Somme toute, c’est durant la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport que des repositionnements majeurs et marquants des acteurs eurent 60

lieu. Bien que la ville de Québec ait occupé un rôle plus proactif dans le projet de prolongement Du Vallon, la prise de conscience d’une partie de la population jusque là passive, la naissance du MENV et la mise en place des premières consultations publiques générales en 1978 semblent plus significatives puisqu’elles ont changé la scène des décisions concernant l’implantation des autoroutes dans la région. La figure 8 résume graphiquement cette évolution.

Figure 8 : Évolution du processus de décision de l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon

1969-1978 Prise de décision

MTQ CACUQ OPDQ Instigateurs Ville de Québec Opposants

1978-1980 Prise de décision

MTQ SPE et MENV

Instigateurs Consultations Municipalités publiques

Opposants

61

1989-2005 Prise de décision

MTQ Ville de Québec MENV

Instigateurs Consultations publiques

Opposants

On peut ainsi observer qu’en 1978, le processus de décision s’ouvre à de nouveaux acteurs. Le MENV s’insère dans la décision finale tandis que les citoyens et les groupes d’intérêts peuvent à présent s’exprimer dans le système institutionnel. Toutefois, les instigateurs qui faisaient pression sur les représentants politiques des niveaux municipal et provincial eurent eux aussi, à ce moment, la possibilité de faire avancer leur projet par les consultations publiques. Le débat sur le prolongement de l’axe Du Vallon présente une configuration semblable, sauf que la ville se trouve cette fois-ci à la table des décideurs.

Les enjeux Est-ce que certains acteurs et les enjeux qu’ils véhiculent ont acquis une nouvelle légitimité? Les intérêts des décideurs se sont-ils plutôt rapprochés de ceux des opposants? Les enjeux environnementaux ont-ils surgi tôt dans le débat?

L’autoroute Dufferin-Montmorency D’abord, en suivant le cours du débat portant sur l’autoroute Dufferin-Montmorency, on dénote que l’enjeu environnemental tarda à surgir dans le conflit. Selon Joerin (2001 : 323), les processus de résolution de conflits auraient plus de chance de succès quand les enjeux sont bien définis lors de l’étape des choix qui précède l’élaboration du projet. Cependant, en ce qui concerne Dufferin-Montmorency, l’enjeu environnemental apparut en 1976, alors 62 que la plus grande partie de l’autoroute était déjà construite. Après son émergence, l’enjeu environnemental se complexifia et se spécialisa dans les années suivantes. Les consultations publiques permirent de décortiquer encore davantage les enjeux environnementaux en cause. Toutefois, à ce moment, le gouvernement Péquiste ne voulait plus reculer et des groupes de citoyens, telle la LCC, acceptaient de se résoudre à ne plus revenir en arrière (Ancien président de la LCC, 2005). Si la protection de l’environnement n’était pas encore à l’ordre du jour pour la majorité de la population de la région avant 1976, les gouvernements précédents ne favorisèrent pas, néanmoins, la révélation de ce type d’enjeux par une plus large participation d’acteurs dès le commencement du projet.

Par ailleurs, de la réalisation du projet jusqu’aux consultation publiques de 1978, on assista à un transfert de légitimité entre les acteurs. Plus le projet progressait, plus le nombre de perdants augmentait. Pourtant, en se basant principalement sur le quotidien Le Soleil, leur opinion demeurait minoritaire au départ. Les expropriés étaient fâchés mais ne devaient pas entraver le progrès qui était la voie du bon sens à ce moment. Ils apparaissaient ainsi comme irrationnels (Rui, 2004) face aux planificateurs, les Chambres de commerce et les municipalités. Toutefois, graduellement, les expropriés et les riverains n'étaient plus seuls; ils reçurent l’appui de d’autres niveaux. Appuyés par des politiciens et des spécialistes, les citoyens, affectés directement ou indirectement par le projet, et leurs intérêts, gagnèrent une certaine légitimité. L’opposition devint ainsi majoritaire. Le problème qui était au départ l’affaire de locaux atteignit d’autres catégories de personnes qui se questionnaient cette fois, à l’inverse, sur le bon sens du projet (Ancien président de la LCC, 2005). La construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency posa à ce moment des problèmes d’intérêt public comme l’accès au fleuve, la division du quartier Saint-Roch et la destruction des battures de Beauport.

À l’opposé, les instigateurs du projet et leurs intérêts devinrent minoritaires et perdirent en légitimité. À l’arrivée du PQ en 1976, la légitimité des ingénieurs du MTQ fut notamment remise en question. Supposé planifier et utiliser leur connaissance au service du bien commun, à l’inverse des expropriés ou des riverains (Rui 2004), les intérêts réels des ingénieurs du MTQ furent pourtant soulevés par une citoyenne dans le quotidien Le Soleil (6 juin 1977). Si les expropriés et les riverains ne seraient souvent intéressés que par leur 63

« jardin » aux yeux des planificateurs (Rui, 2004 : 159), les citoyens se mirent alors à se méfier, eux-aussi du discours d’intérêt général des ingénieurs; ce que Rui nomme « délégitimation croisée » (ibid). Pour Lamoureux (2005), commissaire des consultations publiques en 1978, les audiences publiques apparurent comme une confrontation entre les bons biologistes et les méchants ingénieurs.

En outre, le développement prôné par les promoteurs du projet, tel Marcel Bédard, devint également moins pertinent. Le rôle des derniers tronçons sur les battures fut, en effet, remis en question. Certains, tel l’ABQ, soutinrent que le boulevard Sainte-Anne aurait répondu à la demande (Québec, 1978b : 41). Le député Péquiste Richard Guay souleva même les possibles effets pervers de l’autoroute qui pourrait amener trop de congestion au centre- ville de Québec (Le Soleil, 4 décembre 1976). Celle-ci perdit encore plus de sa légitimité lorsque certains se demandèrent pourquoi tenait-on à développer le port sur le côté nord du fleuve plutôt que sur la rive sud (Québec, 1978 :33). Les plans de développement du port et de l’autoroute semblèrent déconnectés de la réalité pour la LCC (Ancien président de la LCC, 2005). Le nouveau schéma d’aménagement de la CUQ dans les années 70 ne favorisait d’ailleurs plus ce genre de développement et valorisait davantage l’augmentation du transport en commun. La CUQ considérait que le réseau était déjà très bien développé (Québec, 1972). Plusieurs réalisèrent que les promoteurs allaient trop loin cette fois. Déjà que le coût de l’autoroute était toujours plus élevé et mal évalué, la destruction des battures pouvait aussi être associée à un coût comme la dégradation de la filtration naturelle de l’eau qu’elles procuraient à la région.

De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon Les enjeux environnementaux ont surgi beaucoup plus tôt dans le cas du prolongement de l’axe Du Vallon. En effet, contrairement au projet de l’autoroute Dufferin-Montmorency, les enjeux environnementaux liés au prolongement de Du Vallon étaient bien connus avant les consultations publiques, qui les ont rendues seulement plus explicites. En fait, dès le début du projet, M. De Belleval parla des conséquences écologiques du prolongement de l’axe, sans pour autant les détailler (Le Soleil, 9 septembre 1980). Plus tard, des acteurs faisant partie des groupes écologistes, comme Vivre en ville, ont acquis rapidement de la 64 visibilité et ont contribué à faire ressortir des enjeux et les expliciter dans le quotidien Le Soleil. Cependant, au cours des nombreuses années qui précéderont la décision finale de prolonger Du Vallon, les acteurs ne s’entendront pas sur les enjeux environnementaux véritables du projet. De plus, les enjeux environnementaux liés aux catégories: environnement immédiat, perte d’accès et conscience écologique, surgiront à différents moments dans le conflit.

Tout d’abord, les acteurs ne s’accordèrent pas sur les conséquences environnementales immédiates du projet. Dans les premiers temps du débat, la coalition pro-Du Vallon affirma que les résidents du secteur en question devaient subir la pollution quotidienne des automobiles passant dans les rues du quartier Lebourgneuf pour avoir accès à Du Vallon. Le BAPE et le DSP en viendront pourtant à affirmer le contraire durant la période de consultations publiques en soulignantque le surplus d’automobiles et le développement du secteur généreront autant sinon plus de circulation automobile dans les quartiers visés (BAPE, 2004 : 56). Mulcair retiendra malgré tout l’argument de la coalition pro-Du Vallon (Le Soleil, 3 septembre 2004).

Le parc de l’Escarpement a pris quant à lui différentes dimensions durant le débat. L’enjeu du parc de l’Escarpement surgit très tard dans le conflit (2001). Il est devenu une question d’accès à la nature pour certains résidents, mais aussi un symbole de l’envahissement automobile pour les écologistes. Il a donné la possibilité aux opposants du projet de faire un combat de valeurs. Il a également permis d’attirer de nouveaux opposants « crédibles » tels des professeurs de l’Université Laval. Alors qu’il a constitué un important outil de combat pour les écologistes, chez les pro-Du Vallon on mentionne que les dommages seront minimes sur le parc de l’Escarpement (Membre de l’UCDR, 2005). Si le BAPE lui a redonné une juste dimension, l’Union des citoyens des deux rivières, ironiquement, a refait du parc de l’Escarpement un enjeu essentiel. Après l’acceptation du projet, le regroupement de citoyens voudra s’assurer de conserver une grande surface du parc, voulant même limiter le développement résidentiel à l’intérieur de celui-ci (ibid). Pour le directeur du transport à la ville de Québec, ceci va pourtant à l’encontre du BAPE et de la ville de Québec qui prône une haute densité résidentielle aux abords de l’axe routier. Il suggère d’ailleurs que les gens ne veulent pas réellement d’un secteur à haute densité (Directeur du transport à la 65 ville de Québec, 2005). En somme, le parc de l’Escarpement apparaît comme un outil pour mener aux fins des acteurs plutôt qu’un enjeu environnemental majeur.

Les enjeux environnementaux globaux sont devenus, quant à eux, les enjeux majeurs lorsque le MTQ trouva un accord avec la ville de Québec. Des acteurs opposés au projet, comme Vivre en ville ou Accès transport viable, ont contribué à donner une dimension majeure à l’étalement urbain, le transport en commun et l’augmentation du parc automobile. Bien que l’étalement urbain fut remis en question durant la consultation publique (BAPE, 2004 : 64), ce fut aussi les enjeux globaux qui furent priorisés par le BAPE. La consultation publique a ainsi consolidé la hiérarchie des enjeux. L’enjeu au sommet de la hiérarchie est devenu le type de développement et de circulation choisi par la ville de Québec. Le BAPE exigera un changement de Québec quant au type de développement préconisé dans Lebourgneuf. Il voudra un nouvel urbanisme accordant une grande place au transport en commun. L’accord de Kyoto sera d’ailleurs en fond de tableau.

Les enjeux environnementaux ont donc été diffusés beaucoup plus rapidement dans le débat sur Du Vallon; les protagonistes ne se sont toutefois pas entendus sur le contenu de ceux-ci. Dans le cas de Dufferin-Montmorency, les enjeux environnementaux n’étaient pas questionnés. Deux types de développement s’affrontèrent lors des consultations publiques. L’un plus conciliant avec les battures et l’autre purement économique. Dans le cas de Du Vallon, chacun dit accorder une grande importance aux enjeux environnementaux, mais on s’est débattu sur les faits. Bref, la question environnementale fut soulevée très tôt, mais ne signifia par pour autant une résolution de conflit (Joerin, 2001 : 322). La coalition contestait la réalité exprimée par les environnementalistes, le consensus apparaissait donc très difficile à atteindre.

Les enjeux globaux furent toutefois nettement moins importants dans le cas de Dufferin- Montmorency que de Du Vallon. Le choix de la ville de Québec en matière de transport, d’aménagement, d’urbanisme, de gestion de la demande ont été des enjeux majeurs dans le projet de l’axe Du Vallon, alors qu’ils furent plutôt mineurs dans le cas de Dufferin- Montmorency. Les acteurs plus influents comme les commissaires et les biologistes préconisèrent plutôt la protection des battures de Beauport. Il ne faut pourtant pas conclure que la conscience écologique était absente du débat. Elle était présente pour des acteurs 66 plus minoritaires comme les Amis de la terre qui réclamaient « une société écologique » (Québec, 1978b :71). Leur conscience écologique prenait cependant la forme d’un discours éthique pour changer la relation de l’homme avec la nature.

La légitimité des acteurs Certains groupes écologistes ont profité d’une plus grande légitimité tout au long du conflit sur Du Vallon que leurs compères impliqués dans le débat sur l’autoroute Dufferin- Montmorency. Le quotidien Le Soleil ira lui-même chercher l’opinion de certains groupes écologistes (Chargé de projet à Vivre en ville, 2005) de la région de Québec, tel Vivre en ville, pour connaître son opinion sur Du Vallon. Au BAPE, les commissaires reprendront également les enjeux véhiculés par Vivre en ville (Président de la commission du Bape sur le prolongement de l'axe du Vallon, 2005). Tout en tenant compte du fait qu’il y en avait un moins grand nombre dans les années 70, les médias diffusèrent néanmoins très peu l’opinion des groupes écologistes. Leur visibilité augmenta aux consultations publiques, mais les biologistes occupaient quand même davantage le devant de la scène.

Les bénéficiaires du prolongement de Du Vallon étaient à la base moins nombreux que ceux de Dufferin-Montmorency, mais ils ont progressivement gagné une légitimité pour la classe dirigeante alors que les bénéficiaires de Dufferin-Montmorency en perdirent. Dans le projet de prolongement de l’axe Du Vallon, les bénéficiaires et leurs intérêts sont plus locaux que ceux de Dufferin-Montmorency qui devait au départ avantager l’Est de Québec, le centre-ville de Québec et de nombreux hommes d’affaires. Pourtant, les intérêts de ce groupe cible sont repris dans les années 90 par Claude Cantin, conseiller municipal, et de nombreux députés provinciaux. Ils étaient synonymes d’appuis politiques clairs dans un quartier en pleine croissance. Les bénéficiaires de Dufferin-Montmorency devinrent, eux, moins nombreux et perdirent l’appui d’acteurs politiques. Ils devinrent moins légitimes, particulièrement durant les consultations publiques. Durant les audiences publiques sur Du Vallon, tous les hommes politiques appuieront quant à eux la cause de la coalition pro-Du Vallon. En dehors des classes politiques, la coalition pro-Du Vallon ne semblera pas gagner davantage de légitimité auprès des médias (Ancien conseiller indépendant à la ville de Québec, 2005) et de la population à l’extérieur du secteur (Participant aux audiences 67 publique sur le prolongement de Du Vallon, 2005). Dans le cas de Dufferin-Montmorency, les opposants en gagneront tant à l’intérieur de l’arène politique qu’à l’extérieur.

« Les vrais enjeux » Dans les deux cas, l’enjeu économique est majeur. Les décisions finales de construire le dernier tronçon de Dufferin-Montmorency et le prolongement de Du Vallon sont, effectivement, influencées en grande partie par des motifs économiques. L’autoroute Dufferin-Montmorency fut justifiée par le développement économique de Québec, des municipalités de l’Est de Québec et du port. Malgré la consultation publique, le motif économique convint sans doute le gouvernement d’y aller de l’avant. D’une part, parce qu’il était encore sous la pression d’agents économiques, telle la Chambre de commerce de Beaupré, mais aussi parce que trop d’argent avait déjà été investi dans la route pour cesser sa construction. Dans le cas du prolongement de Du Vallon, le directeur du transport à la ville de Québec (2005) affirmera que le développement résidentiel et commercial en forte croissance fut l’élément déterminant qui mena la ville à être encore plus vigoureuse dans ses demandes au MTQ. Une résidente du secteur opposée au projet, mentionnera quant à elle que le but principal de la ville est seulement de percevoir plus de taxes et ainsi augmenter la richesse de ses coffres (Résidente de Lebourgneuf, 2005) .

L’accessibilité au centre de Québec en automobile fut aussi déterminante dans les deux conflits. Dans le cas de Dufferin-Montmorency, on ne douta pas de l’importance d’accéder rapidement au centre-ville pour les banlieues de Québec. Pour les partisans du prolongement de Du Vallon, l’accessibilité a également été un enjeu légitime avec la croissance du secteur et les problèmes de sécurité et de santé dû à la circulation « excessive » dans les rues de quartiers. Aux consultations publiques de 2004, la notion de congestion a pourtant été remise en question par les commissaires. Ils ont fait ressortir l’importance de jouer sur la demande et non pas seulement s’y adapter constamment. Ils ont ajouté que le prolongement de Du Vallon ne fera qu’absorber le surplus de circulation généré par le développement, l’accessibilité sera donc de nouveau affectée (BAPE, 2004 : 56). Malgré ces arguments, l’accessibilité demeurera un argument majeur pour les partisans du projet Du Vallon. 68

D’autre part, le débat sur Du Vallon a donné lieu à un opportunisme politique plus évident que pour le projet d’autoroute Dufferin-Montmorency. Ce dernier était basé sur des plans fondamentaux pour la circulation à Québec (les plans de Gréber et de Vandry-Jobin). Certes, c’était aussi un outil de promotion politique pour le Parti Libéral et l’Union Nationale, mais cela relevait davantage d’une vision d’ensemble du transport et du développement que les dirigeants voulaient donner à la région de Québec. Lors des consultations publiques, il ne s’agissait pas tant d’avoir du capital politique non plus pour le PQ, mais plutôt de limiter les dégâts du projet. Pour Du Vallon, la résurgence des engagements politiques avant chaque élection municipale et provinciale a été révélatrice. La réalisation du projet donnerait plus de votes au RPQ et aux députés provinciaux du secteur que la protection de l’environnement. Le Parti Libéral a d’ailleurs sauté des étapes pour s’assurer qu’il ne soit pas un enjeu politique des prochaines élections.

Cependant, le choix de « boulevard urbain » comme forme de prolongement de l’axe Du Vallon marque cette fois une évolution certaine d’un enjeu. Si le choix autoroutier n’avait jamais été questionné dans le cas de Dufferin-Montmorency, la construction de l’axe Du Vallon sous forme de boulevard urbain est devenu un enjeu dès le début du projet. Aux audiences publiques portant sur l’autoroute Dufferin-Montmorency, les opposants et les commissaires ne discutèrent pas davantage de la forme que devait prendre l’axe routier sur les battures. Quatre ans plus tard, M. De Belleval insista toutefois sur le fait que Du Vallon devait se construire en boulevard urbain. Si tous les fonctionnaires du MTQ ne se sont pas toujours accordés sur ce concept par la suite (Directeur du transport à la ville de Québec, 2005), le boulevard urbain est pourtant demeuré une exigence du maire L’Allier. La ville de Québec ne valorise plus les axes en milieu urbain qui divisent les quartiers (Directeur général de la ville de Québec, 2005). L’exemple de Dufferin-Montmorency, tout comme celui de l’autoroute Est-Ouest à Montréal, ont été révélateurs des torts causés par de telles structures. Plus encore qu’un boulevard urbain, on en est venu à parler d’un « boulevard écologique », ce qui est d’ailleurs devenu un nouvel enjeu soulevé par la coalition pro-Du Vallon après l’acceptation formelle du projet. On a voulu, de cette manière, donner une apparence de plus en plus joviale à l’axe. 69

En somme, malgré l’apparition rapide des enjeux environnementaux dans le débat et la légitimité nouvellement acquise des acteurs et des intérêts écologiques, d’autres enjeux ont vraisemblablement pesé plus lourds dans le débat sur le prolongement de Du Vallon. Les intérêts économiques et politiques des représentants de la ville de Québec ont notamment été déterminants et ont pris le pas sur les enjeux environnementaux. En ce qui concerne Dufferin-Montmorency, les intérêts des décideurs se rapprochèrent des opposants. Ils terminèrent l’axe sur les battures, mais consentirent à le modifier. Ce fut même vécu comme une victoire pour certains écologistes (Président de l’UQCN, 2005). Cependant, l’enjeu environnemental est demeuré, dans les deux cas, un enjeu secondaire. L’exigence de la ville de Québec de construire un boulevard urbain plutôt qu’une autoroute a tout de même démontré une préoccupation modérée pour les impacts de l’axe sur les quartiers, la nature environnante et l’esthétique de la ville.

Les ressources matérielles Le gouvernement possède-t-il moins de ressources financières qu’auparavant pour développer le circuit autoroutier?

De l’autoroute Dufferin Montmorency au boulevard urbain Du Vallon L’importance du budget du MTQ diminua après l’élection du PQ en 1976. Lors de la construction du réseau autoroutier comprenant l’axe Dufferin-Montmorency, le Ministère de la Voirie avait des ressources matérielles lui conférant de toute évidence une puissance face aux autres ministères, mais également face aux acteurs externes. Au début des années 70, le Ministère de la Voirie disposait du 3ième plus important budget parmi les ministères. Environ 12% du budget total appartenait au MTQ. La moitié du budget de 443 millions était consacrée à la construction des autoroutes (MTQ, 1973) en 1972-1973. Le PQ fit cependant diminuer le budget du MTQ sous la barre des 10% à la fin des années 70. Une plus large partie était, de plus, consacrée à l’entretien des autoroutes. Cette diminution fut peut-être significative pour expliquer la résistance du MTQ à compléter Dufferin- Montmorency 10et plus tard construire le prolongement de Du Vallon, alors que le budget était dorénavant moins de 3% du budget total du gouvernement (op. cit., 2003). D’ailleurs,

10 Certaines sections, tel que le tunnel supposé passer sous la colline parlementaire, furent même abandonnées. 70 en 1976, alors que le budget du MTQ par rapport aux autres ministères commençait à fléchir (Québec, 1989 : 18), le MTQ du Parti Libéral fut accusé par un député Péquiste de récupérer les arguments des protestataires pour camoufler le fait que son budget ne lui permettait pas de faire l’autoroute 73 (Le Soleil, 8 avril 1976).

D’autre part, la portion du budget du MTQ consacrée aux impacts environnementaux augmenta à partir du milieu des années 70. Avant 1974, la part du budget de l’autoroute Dufferin-Montmorency qui était réservée aux mesures d’atténuation environnementale était nulle (MTQ, 1994 : 31). Ainsi, tant pour les derniers tronçons de l’autoroute Dufferin- Montmorency que pour le prolongement de Du Vallon, le MTQ fut dans l’obligation d’intégrer des coûts reliés à des mesures d’atténuation. Au MTQ, on mentionne que le budget du MTQ devrait être particulièrement élevé pour aménager les zones tampons afin d’atténuer l’effet des travaux et des infrastructures du prolongement de Du Vallon (Directeur de partenariat, de la modélisation et de la géomatique, 2005). Bref, non seulement la part du budget consacrée à la seule construction fut réduite dans les années 70, mais l’intégration d’un coût environnemental témoigne également d’une évolution forcée ou voulue à l’intérieur du MTQ.

Il apparaît également pertinent de soulever l’incertitude financière de la ville de Québec dans le cas du prolongement de Du Vallon. Si Québec ne défraya pas les coûts de construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency, le projet de prolongement de l’axe Du Vallon s’est éternisé en partie par le fait que Québec a tenté de faire assumer une grande partie des coûts au MTQ pour le boulevard urbain (ibid.). Lors de l’annonce officielle de la décision de la construction de Du Vallon, Québec n’avait toujours pas trouvé le financement nécessaire pour assumer sa section du prolongement de Du Vallon. Le MTQ, qui cette fois montrait une volonté ferme de réaliser ce projet, décida d’assumer tous les coûts et de demander par la suite un remboursement de la ville de Québec (Directeur du transport à la ville de Québec, 2005).

Chez les opposants, les ressources financières des écologistes ont quant à elles augmenté de Dufferin-Montmorency à Du Vallon. Durant les années 70, les groupes écologistes, tel les Amis de la terre, qui venaient tout juste de naître (Québec, 1978b), n’obtenaient pas de fonds du gouvernement. Ils agissaient comme bénévoles (Président de l’UQCN, 2005). Au 71 milieu des années 80, le gouvernement a commencé à les subventionner. Jusqu’à tout récemment, des groupes écologiques de la région, comme Vivre en ville et l’UQCN, recevaient 60 000$ de financement de base par année de la part du gouvernement provincial (ibid.). Ils peuvent ainsi compter sur des membres permanents qui s’affairent à étudier les grandes problématiques environnementales de Québec. Leur budget reste cependant trop mince pour faire leurs propres études sur celles-ci (Chargé de projet à Vivre en ville, 2005).

Finalement, tant le MTQ que Québec se soucièrent moins des problèmes financiers lors de la construction de Dufferin-Montmorency. C’est seulement lors de la construction des derniers tronçons que le budget devint plus austère. Le MTQ a dû composer avec moins de moyens dans les années suivantes, tandis que les groupes écologistes disposaient d’un peu plus d’argent pour surveiller les dépenses de ce Ministère. Ceci peut expliquer en partie la valse-hésitation des gouvernements Libéral et Péquiste à prolonger Du Vallon. Chacun hésita ainsi à payer, on comptait davantage l’argent, d’autant plus que chacun voulait construire Du Vallon à sa manière.

Ressources institutionnelles Ont-ils pu avoir recours à davantage de moyens législatifs pour lutter contre le projet?

L’autoroute Dufferin-Montmorency Avant les consultations publiques de 1978, le MTQ et la ville de Québec n’encouragèrent pas une participation formelle et effective des citoyens et des groupes à l’intérieur du gouvernement. Au début du projet, les consultations publiques tenues par le MTQ et la commission d’aménagement de Québec s’apparentèrent plutôt à des périodes d’information. Le MTQ n’avait pas à recevoir d’approbation formelle suite aux séances d’information. De plus, il décidait des personnes invitées. Ainsi, seuls les élus locaux et les groupes organisés allaient aux séances (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 222). Les citoyens pourtant très concernés étaient mis de côté. Selon l’échelle de Arstein (tableau 4), il s’agirait d’un degré de « participation » se situant dans les catégories 1 ou 2, soit la manipulation ou la thérapie communautaire (Parenteau, 1988 : 8).

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Tableau 4 : Participation du public selon l’échelle de Arstein

8 Contrôle des citoyens Degré de pouvoir des 7 Pouvoir délégué citoyens 6 Association

5 Conciliation

4 Consultation Déférence

3 Information 2 Thérapie communautaire Non participation 1 Manipulation Sources : PARENTEAU, R. (1988) La participation du public aux décisions d’aménagement.

La décision est prise avant les séances d’information. Le MTQ ne voulait pas une participation réelle de d’autres acteurs, mais plutôt « éduquer » ceux à qui il présentait les plans du projet. Le MTQ semblait ainsi structurer les échanges et définir lui-même l’intérêt général. Ensuite, à la ville de Québec, le PCQ n’avait pas d’opposition politique et ne permettait pas les questions du public lors des conseils de ville (Paré, 1980). Les groupes de citoyens actifs dans les quartiers n’avaient en effet pas le droit de parole. Ils furent marginalisés comme des groupes radicaux par le PCQ (Bhérer, 2003 : 159) En somme, les citoyens et les groupes environnementaux semblaient dépourvus de ressources institutionnelles. Jusqu’aux consultations publiques de 1978, la participation n’évolua pas réellement dans l’arène politique traditionnelle.

À l’intérieur du gouvernement provincial, il n’y avait guère plus d’acteurs qui pouvaient s’opposer légalement au MTQ avant l’arrivée du MENV. L’O.P.D.Q. et la Commission d’aménagement du Québec métropolitain ne pouvaient, en effet, pas obliger le MTQ à réviser ses positions. En 1968, le MTQ se permit même de transférer la Commission au 73

Ministère des Affaires Municipales parce qu’elle devenait gênante (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 224).

Si certains acteurs y eurent plus d’influence que d’autres, les consultations publiques apparurent malgré tout comme la seule occasion pour les opposants de s’exprimer à l’intérieur des institutions. Bien que de nombreux citoyens montraient une insatisfaction croissante vis-à-vis le projet, c’est l’ABQ qui obtint la tenue de consultations publiques. Toutefois, elles s’ouvrirent, par la suite, à tous les citoyens et les groupes intéressés de la région. La commission résuma tant les mémoires que les avis exprimés oralement. Cependant, c’est la force de l’opinion qui put influer sur le projet et non pas les procédures et la loi. Le MTQ put en effet présenter les documents qu’il voulait; il n’avait pas à fournir d’étude d’impact. Des participants se plaignirent aussi du méli-mélo des documents à leur disposition (Québec, 1978b : 134). Sur l’échelle de Arnstein, cette consultation se situerait au 3ième niveau, soit la déférence (tableau 4) : la participation « […]ne peut avoir aucun effet sur la décision puisque le public ne contrôle pas ce qu’il avise et qu’il n’a aucun moyen de suivre le poids de ses avis dans la décision » (ibid). Ainsi, aux dires des participants, le gouvernement allait poursuivre l’autoroute de toute façon (Président de l’UQCN, 2005; ancien président la LCC, 2005), mais il restait à déterminer le tracé qu’il allait choisir.

Le caractère consensuel des consultations publiques fit cependant force de loi. Durant les consultations, la majorité des participants, dont certains fonctionnaires des gouvernements provincial et fédéral, furent en effet contre le passage du tracé sur les battures. Cette forte majorité fut déterminante. Le consensus sembla trop fort pour que le MTQ, lui-même douteux, respecta l’ancien tracé. La désapprobation générale n’arrêtera pas le projet, mais contribuera à conserver la baie de Beauport.

Enfin, après les consultations publiques, le MTQ était dorénavant « surveillé » par le nouveau MENV, mais la planification demeurait sous sa gouverne. Durant l’année 1978- 1979, le MTQ devait effectivement remettre une étude d’impact au MENV et attendre d’obtenir une certification de ce dernier. Cependant, il décida seul du tracé final de l’autoroute. Bref, on pouvait empêcher le MTQ d’aller trop loin, mais tant le MENV que 74 les citoyens n’avaient pas de moyens légaux pour participer à la planification de l’autoroute.

De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon D’abord, le MTQ et la ville de Québec ont davantage agi comme des partenaires dans le cas du prolongement de Du Vallon. Le MTQ fut le maître d’œuvre du projet Dufferin- Montmorency alors que la ville apparut comme son employée se chargeant d’exproprier pour éclaircir le chemin. Pour ce qui est du prolongement de Du Vallon, la ville prit l’initiative dès 1991 (Le Soleil, juin 1992) de faire de cet axe un boulevard urbain. Après avoir voulu, au départ, partager également les responsabilités avec la ville, le MTQ entreprendra finalement de construire entièrement l’axe Du Vallon en respectant les conditions de la ville, mais en exigeant également un remboursement de la moitié du coût du projet plus tard (Le Soleil, 4 décembre 2004).

Ensuite, au conseil de ville de Québec, l’opposition et les citoyens ont la possibilité de manifester durant le projet Du Vallon. Sous le PCQ, les citoyens ne pouvaient questionner le parti au pouvoir lors des conseils de ville (Paré, 1980), alors que ce sera le cas sous le parti de L’Allier, une période de question étant réservée au public (Ville de Québec, 2005b). Pourtant, les partisans de Du Vallon se serviront de ce privilège bien davantage que les citoyens opposés en multipliant leur présence aux réunions des conseillers municipaux (Le Soleil, 9 juin 1992). Une opposition politique au projet se fera aussi entendre durant le projet Du Vallon. La ferme opposition du conseiller indépendant Réjean Lemoine, faisant auparavant partie du RPQ, a démontré que les enjeux environnementaux suscitent des débats dans l’arène politique municipale. Au conseil municipal, il se prononça formellement contre mais restera minoritaire et même éphémère dans le débat. Néanmoins, le conseil municipal donne lieu à un débat qui n’avait pas lieu sous le PCQ où la protection de l’environnement n’avait pas de voix. La naissance du RPQ a sonné l’arrivée au pouvoir d’un groupe plus sensible à cette question (Bhérer, 2003 :171). Une certaine opposition environnementale est donc passée de l’arène extérieure à l’arène politique dans la ville de Québec. 75

La naissance du BAPE entre Dufferin-Montmorency et Du Vallon a aussi permis d’institutionnaliser davantage le débat au niveau provincial. Les consultations générales sur l’autoroute Dufferin-Montmorency en 1978 ne se firent pas sous l’égide du BAPE qui fut instauré quelques mois plus tard. Il s’agissait donc à la fois d’un prélude et d’une expérience pour les consultations publiques des années à venir. Les procédures et les règles semblaient d’ailleurs quelque peu improvisées. Le MTQ n’eut pas à présenter d’étude d’impact avant les audiences publiques. Les citoyens ne profitèrent pas davantage d’une période d’information clairement définie avant d’exprimer leurs points de vue. Alors que la demande de tenir des consultations vint à ce moment de l’ABQ, tout citoyen peut à présent en faire la demande durant la période d’information de 45 jours qui oblige cette fois le MTQ à déposer une étude d’impact. L’audience publique sur le prolongement de Du Vallon dura six jours, contrairement à trois jours pour Dufferin-Montmorency. Ainsi, la durée et les procédures de la consultation publique du BAPE en 2004 s’adaptèrent davantage au public que dans le cas des consultations générales sur le projet Dufferin- Montmorency. La séparation claire entre l’information provenant des promoteurs et les opinions permit de faire un débat avec des exposés contradictoires. Cela évita que les promoteurs puissent prendre trop de place et permit d’isoler les avis des participants (Parenteau, 1988 : 17). Enfin, le MTQ sait dorénavant qu’il doit faire ses devoirs en (Directeur de partenariat, de la modélisation et de la géomatique, 2005) présentant l’étude d’impact avant les audiences publiques. Toutefois, il apparaît important de noter que contrairement à la procédure ontarienne et fédérale, les participants ne peuvent se prononcer sur la conformité de l’étude d’impact (Parenteau, 1988 :19). Ils s’engagent sur un document fini et reconnu par le ministre seulement.

Bien que le BAPE se retrouva cette fois en amont du projet, la participation du public à l’élaboration du projet est restée encore hors de sa portée. Les consultations publiques arrivèrent trop tardivement dans le cas de Dufferin-Montmorency et apparurent passablement improvisées. Pour ce qui de Du Vallon, les consultations publiques se firent bien avant le projet, mais les citoyens ne purent qu’exprimer un point de vue sur un tracé déjà élaboré par la ville de Québec et le MTQ. Les consultations publiques du BAPE n’ont pas changé depuis leur création en 1978 après Dufferin-Montmorency (Québec, 1982). Les citoyens et les groupes opposés ne sont pas davantage assimilés aux premières étapes du 76 projet. Ils demeurent, par conséquent, en état de réaction face au projet. Ils n’ont pas davantage de pouvoir sur la décision finale. Sur l’échelle de Arnstein (tableau 4), il s’agit de conciliation (degré 5). Elle permet au public de traiter de la décision, mais elle reste finalement dans les mains de ceux qui détiennent le pouvoir (Parenteau, 1988 : 25). Le BAPE reste donc loin des associations ou d’un certain pouvoir délégué aux citoyens qui pourraient participer à l’élaboration du projet et à la décision finale. Le tracé de Du Vallon a ainsi été choisi par la ville et le MTQ sans obstruction légale.

Ressources informationnelles Les opposants ont-ils développé une contre-expertise en la matière? Est-ce que les acteurs ont un accès égal et facile à l’information nécessaire, à une compréhension juste des problématiques tout au long du conflit?

L’autoroute Dufferin-Montmorency Le savoir des ingénieurs et des spécialistes du MTQ fut contesté à partir du milieu des années 70. Au départ, durant l’élaboration du projet, dans les séances d’informations et les « consultations publiques », les spécialistes du MTQ n’étaient pas ouvertement contestés. Les choses changèrent lorsque l’autoroute dut passer sur les battures. Tel qu’il fut mentionné auparavant, les ingénieurs du MTQ firent les frais de critiques dans la phase finale du projet. Leurs connaissances et leurs compétences furent questionnées. Le député Richard Guay parla d’une erreur à ne plus jamais répéter en aménagement du territoire (Le Soleil, 4 décembre 1977). Des citoyens critiquèrent également les ingénieurs du MTQ qui ne purent prévenir les dégâts d’un premier tronçon sur les battures après la montée des hautes marées (ibid.).

Alors que l’expertise des ingénieurs est critiquée, une contre-expertise citoyenne apparaît dans la région de Québec. En 1974, le Comité de l’aire 10 dans St-Roch dénonça le monopole du savoir des ingénieurs du MTQ. Il déplora les incohérences de la ville par rapport au schéma d’aménagement (Le Soleil, 4 avril 1974). Plus tard, la LCC prit la relève du comité de l’aire 10 lorsque les battures de Beauport étaient menacées. Après les consultations publiques, leur contre-expertise et leurs critiques sont plus précises vis-à-vis des méthodes trop autoritaires du MTQ. Ils voulurent un meilleur accès à l’information et 77 une ville plus active face au MTQ. En d’autres termes, cette contre-expertise apparut comme une réaction face aux méthodes du MTQ et des municipalités.

Au bout du compte, les biologistes opposèrent sans doute la contre-expertise ayant le plus d’effet dans le débat. Lors des consultations publiques, l’expertise des biologistes apparaîtra effectivement plus crédible que celle des citoyens et des groupes écologistes. Le quotidien Le Soleil fit notamment paraître leurs revendications avant les consultations publiques (Le Soleil, 4 août 1978) tandis que la majorité de leurs recommandations furent reprises par les commissaires. Ces derniers jugèrent cependant les propositions de d’autres groupes et de nombreux citoyens comme incompatibles avec l’aménagement des battures ou ayant un caractère trop global pour s’appliquer (Québec, 1978b : 121). Enfin, l’apparition des biologistes et leurs revendications initiales contribuèrent à enclencher une diffusion d’information opposée au projet tant dans les médias que lors des consultations publiques.

Les consultations publiques sur Dufferin-Montmorency entraînèrent en effet une large diffusion d’information sur le projet. Ces premières consultations publiques générales permirent à des citoyens et à des groupes environnementaux d’accéder à de l’information qui leur était refusée auparavant. Pour des groupes environnementaux comme les Amis de la terre les, consultations publiques furent plus longues que les trois jours officiels. Il y eut notamment de nombreuses rencontres entres les groupes écologistes, les biologistes et les fonctionnaires du MTQ (Président de l’UQCN, 2005; ancien ministre des Transports, 2005). En dépit du fait que les documents fournis manquaient de synthèse et de classement, selon certains acteurs, (Québec, 1978b : 134), ceux-ci permirent néanmoins aux participants de s’informer plus que jamais auparavant sur le projet. De plus, bien que les consultations publiques ne se firent pas sous l’égide du BAPE, son rapport fut conservé et constitue le premier mémoire rendu disponible au public par le BAPE. Enfin, Le Soleil diffusa beaucoup d’information sur les consultations. Il fit un portrait relativement juste des divisions qui régnaient entre les promoteurs du projet et les opposants (Le Soleil, 11 octobre 1978).

Ainsi, Le Soleil est à la fois un reflet et un acteur de cette diffusion d’information progressivement plus large, accessible et variée sur le projet Dufferin-Montmorency. Le 78 quotidien s’éloigna du « progrès » au milieu des années 70, il diffusa les critiques naissantes sur les ingénieurs du MTQ. En isolant le maire Bédard et sa vision du développement, Le Soleil sembla même critiquer la vision que le quotidien véhiculait lui- même au début de la construction de l’autoroute. En diffusant les critiques et la contre- expertise des citoyens du Comité de l’aire 10 et des groupes de spécialistes lors des consultations publiques, il contribua sans doute à créer une vision négative du projet, qui se perpétuera dans l’histoire de la ville de Québec. Toutefois, tout comme les commissaires des consultations publiques, il releva peu les questions plus fondamentales portant sur le type d’aménagement voulu à Québec ou le choix automobile.

Bien qu’une contre-expertise apparut finalement, son intégration dans la décision du gouvernement fut limitée. Certes, la grande courbe élaborée par le gouvernement concéda le territoire où fluctuent les marées, tel que le demanda l’ABQ (Ancien président de l’ABQ, 2005). Le gouvernement fit aussi des points d’accès comme le demandèrent des groupes de citoyens, dont la LCC. Cependant, le MTQ fit le plan des derniers tronçons seul sans le MENV et les groupes opposés au projet initial. De plus, les mesures d’atténuation furent presque nulles selon le président de l’ABQ à l’époque (ibid.).

Enfin, malgré l’entrée de spécialistes dans le débat du côté des opposants, les sources d’information « positives » qui servirent à élaborer le projet, provinrent du MTQ. Celui-ci produisit ou mandata les études sur la circulation et l’ingénierie, comme le rapport Vandry- Jobin (1965). La contre-expertise ne se retrouva donc pas en amont dans ces domaines. La municipalité de Beauport, pourtant parmi les instigateurs constants du projet, se fit elle- même critiquée par la LCC qui voulait que la ville fasse ses propres études (Ancien président de la LCC, 2005). Des conseillers municipaux donnèrent d’ailleurs raison aux citoyens (Le Soleil, 4 août 1982). Ils exigeaient ainsi un rôle plus proactif de la part de leur ville dans de tels projets d’envergure.

De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon Le débat sur Du Vallon donna rapidement lieu à de l’information diversifiée. Contrairement au projet Dufferin-Montmorency, le débat sur le prolongement de Du Vallon révéla promptement de l’information montrant deux facettes au projet. Au tout début du conflit, 79

Le Soleil diffusa surtout les arguments de la coalition pro-Du Vallon, particulièrement ceux de Bruno Deshaies. Toutefois, les écologistes et le conseiller indépendant Réjean Lemoine arrivèrent rapidement dans le portrait. En se basant sur des études publiques, comme le rapport Bédard (Québec, 2000) et le rapport Des Rosiers (1987), ils ont montré que le projet était porteur de contradictions par rapport aux objectifs de la ville. Il apparaît d’ailleurs pertinent de souligner que l’organisation Vivre en ville, tout comme le Comité de l’aire 10 en 1974 (Le Soleil, 4 avril 1974), se fit remarquer dans le conflit en soulevant les actions incohérentes des dirigeants par rapport au schéma d’aménagement de la ville de Québec.

Les groupes écologistes ont également eu plus de visibilité dans le débat portant sur le prolongement de l’axe Du Vallon. Certes, les groupes écologistes étaient jeunes et peu nombreux dans les années 70 dans la région, mais on pouvait tout de même en compter sept lors des consultations publiques sur Dufferin-Montmorency (Québec, 1978b). Avant celles- ci, ces groupes écologistes ne se firent pourtant pas entendre dans le quotidien Le Soleil. De plus, tel qu’il fut mentionné plus haut, on reprit peu les conclusions des groupes écologistes lors des consultations publiques. Pour ce qui est du projet Du Vallon, tant avant les consultations publiques que durant celles-ci, les opinions de groupes écologistes, comme Vivre en ville ou Transports Viables, furent reprises. À Vivre en ville on mentionne d’ailleurs que les médias contactent régulièrement l’organisme pour connaître leur avis sur les projets touchant l’écologie urbaine (Chargé de projet à Vivre en ville, 2005).

Au moment de l’acceptation du projet, le parc de l’Escarpement a amené une contre- expertise plus spécialisée dans le débat tout comme le fit l’enjeu lié à la protection des battures de Beauport. En effet, dans les deux cas, la défense d’un milieu précis a attiré des gens précis dans le débat! Des professeurs et des spécialistes critiquèrent le gouvernement et parurent dans les journaux pour protéger le parc de l’Escarpement lorsqu’il devint, comme les battures, concrètement en danger après l’acceptation du projet. Le Soleil diffusa alors largement l’information sur le parc de l’Escarpement, davantage même que les battures. Il présenta les espèces et sa composition forestière (Le Soleil, 29 septembre 2001). Les experts sont toutefois cantonnés au parc de l’Escarpement. Aucun dit « expert » ou professionnel, telle que la Corporation des urbanistes, n’ont diffusé publiquement une 80 contre-expertise au projet. Les ingénieurs et les urbanistes de la ville et du MTQ n’ont pas eu de concurrence « crédible » dans le domaine. La contre-expertise est venue de groupes, tels Vivre en ville ou Accès transport viables, étiquetés comme des groupes écologistes.

Les sources d’informations ont encore été publiques ou contrôlées par les instances publiques dans le prolongement de Du Vallon, mais le municipal a cette fois eu son mot à dire dans la diffusion du savoir. La municipalité de Québec a eu un rôle moins passif que dans le cas de Dufferin-Montmorency. Elle produisit elle aussi ses études et envoya ses propres experts lors des consultations publiques (BAPE, 2005 : 76). Toutefois, les groupes environnementaux n’ont pas eu, quant à eux, la possibilité de produire leurs propres études approfondies sur le même domaine. Vivre en ville critiquera d’ailleurs ce monopole du savoir de la ville de Québec et du MTQ (Chargé de projet à Vivre en ville, 2005).

Cependant, les consultations publiques sur le prolongement de Du Vallon ont diffusé plus d’information et l’ont rendue plus accessible à tous, comparativement à celles sur Dufferin- Montmorency. Les consultations publiques du BAPE sur Du Vallon ont facilité l’accès à toute l’information disponible sur le projet en utilisant largement Internet pour la diffuser. Son site a ainsi mis à la disposition du public les transcriptions des séances, le rapport des commissaires, les études d’impact, les mémoires du public, etc. Dans le cas de Dufferin- Montmorency, le gouvernement hésita avant de sortir le rapport des commissaires (Le Soleil, 13 octobre 1978) et l’étude d’impact ne fut pas rendue publique après les consultations publiques. La transparence que cherchait notamment la LCC dans le cas de Dufferin-Montmorency est davantage visible dans les consultations publiques sur le prolongement de Du Vallon. La loi d’accès à l’information, qui est apparue entre-temps, a certainement joué son rôle dans cette transparence. Il ne faut pourtant pas conclure que les gens ont profité davantage des ressources du BAPE…

Les consultations publiques sur Du Vallon ont aussi mis en scène des groupes écologistes plus techniques que dans celles de Dufferin-Montmorency. Alors que les Amis de la terre soulevaient davantage de grandes questions de valeurs en 1978, les groupes écologistes opposés à Du Vallon font des mémoires plus spécialisés avec des solutions concrètes. Le commissaire en chef du BAPE (Président de la commission du Bape sur le prolongement de l'axe Du Vallon, 2005) est d’ailleurs impressionné par le mémoire de Vivre en ville. Il 81 mentionne que les groupes écologistes sont devenus plus proactifs en rendant leurs concepts plus applicables (ibid.).

Ressources sociales Le nombre de participants au « débat autoroutier » a-t-il augmenté durant les conflits entourant le prolongement de Du Vallon? Les opposants ont-ils plutôt bénéficié d’alliances momentanées avec des acteurs influents?

L’autoroute Dufferin-Montmorency Par l’enthousiasme qu’il démontra vis-à-vis le projet et l’idéologie qu’il véhicula au début des années 70, le quotidien Le Soleil participa à la promotion du projet Dufferin- Montmorency et, inévitablement, au rapport de force vis-à-vis ceux qui s’opposaient à l’autoroute. En effet, « les médias qu’ils le veuillent ou non, exercent du pouvoir dès qu’ils «couvrent» un événement ou s’emparent d’un problème «sous la pression de l’actualité»» (Gilbert et Brosseau, 2002 : 518). Sans appuyer formellement le PCQ et le MTQ, Le Soleil supporta l’idéologie du progrès que ceux-ci véhiculaient dans les premières années du projet. Bien qu’il refléta sans doute également l’opinion générale de l’époque, il participa néanmoins au rapport de force de l’aménagement urbain puisqu’une minorité, principalement dans la basse-ville, s’opposait au projet. Ainsi, de 1970 à 1974, il renforça sans doute l’acceptabilité du projet des promoteurs aux yeux du public. Il consolida leurs actions en rappelant l’accord de la majorité vis-à-vis le projet. Toutefois, lorsque la brèche s’ouvra, Le Soleil donna une grande place aux opposants, dont le nombre avait augmenté. Il sembla même prendre le parti des opposants dans les consultations publiques alors que le maire Bédard fut décrit négativement. Il refléta cette fois l’opinion de la majorité qui se questionnait sur le prolongement de l’autoroute sur les battures. Il présenta un débat qui passionnait et divisait beaucoup de citoyens, et non plus les seuls expropriés.

À différents moments du conflit, les opposants bénéficièrent d’alliances et de rapprochements momentanés avec des acteurs politiques. Au départ, les représentants politiques apparaissaient loin des gens, les conseillers municipaux restaient silencieux ou se conformaient aux demandes du MTQ (Quesnel-Ouellet et Bouchard, 1979 : 225). Les promoteurs du projet combinèrent durant cette période beaucoup d’alliances importantes. Les municipalités de la région, les Chambres de commerce et le MTQ étaient en effet liés 82 entre eux. L’élection du PQ marqua cependant des rapprochements momentanés entre des citoyens et des députés. Les représentants Péquistes, tels Richard Guay ou Clément Richard, reflétèrent les inquiétudes des citoyens en 1976-77 (Le Soleil, 6 juin 1977). De même, le RPQ, qui se forma en 1977, supporta les quartiers touchés par le projet (Bherer, 2003 : 171) et dénonça les méfaits de l’autoroute Dufferin-Montmorency. Ainsi, comme dans le cas de la construction de l’autoroute Spadina à Toronto dans les années 1960 (Gonen, 1970), les appuis de représentants politiques aux citoyens opposés au projet contribuèrent sans doute à faire entendre ceux qui étaient marginalisés par les instances publiques auparavant. En définitive, les représentants Péquistes s’enlignèrent cependant sur la position du MTQ après les consultations publiques alors que le RPQ ne s’y impliqua pas.

Par ailleurs, la période des consultations publiques fut, plus qu’à tout autre moment du conflit, génératrice d’alliances momentanées. L’alliance éphémère formée par des groupes écologistes, de l’ABQ et de certains membres de la LCC, fut profitable pour les opposants au projet. De nombreuses rencontres à l’extérieur des consultations publiques eurent lieu entre ces groupes afin d’évaluer les forces réunies et de se préparer aux consultations publiques (Président de l’UQCN, 2005). L’alliance fut d’autant plus forte que certains biologistes comptaient parmi des fonctionnaires des gouvernements provincial et fédéral. La coalition prit ainsi du poids face aux ingénieurs, aux compagnies et au maire Bédard qui apparaissaient cette fois plus faibles. Il faut également noter que des citoyens formèrent des groupes provisoires spécialement pour les audiences publiques; c’est le cas du comité provisoire pour l’environnement des Trois-Saults. En somme, l’ampleur de l’événement généra des alliances éphémères qui donnèrent une puissance momentanée aux citoyens et aux groupes écologistes à ce moment. L’ABQ s’éloignera notamment des groupes écologistes par la suite puisqu’elle ne voulait pas s’associer à des positions biaisées (Ancien président de l’ABQ, 2005; président de l’UQCN, 2005).

Les consultations publiques contribuèrent aussi à former un nouveau groupe écologiste d’importance au Québec et solidifier l’alliance entre les biologistes. Pour certains groupes et individus opposés au projet, les consultations publiques dépassèrent amplement les trois jours officiels. Les rencontres et les discussions à l’extérieur de celles-ci furent l’occasion de lier les individus et les groupes ayant les mêmes intérêts. L’Union du Québec pour la 83 conservation de nature (UQCN) fut ainsi créée suite à ces consultations publiques en 1981 (Président de l’UQCN, 2005). Harvey Mead fonda l’organisation en s’associant à d’autres écologistes s’opposant au développement industriel et autoroutier sur les battures. De plus, pour l’ABQ, qui était récemment formée (1973), les consultations publiques représentèrent un premier dossier d’importance qui leur permit d’apprendre à présenter des documents crédibles devant le public. Ils défendirent peu de temps après d’autres milieux humides d’une grande richesse dans la région de Kamouraska (Ancien président de l’ABQ, 2005).

Néanmoins, que ce soit des alliances momentanées ou plus durables, elles révélèrent dans les deux cas un repositionnement global face à la question environnementale. Les groupes écologistes et les citoyens opposés n’ont pas acquis un pouvoir réel, mais les rapprochements d’acteurs politiques influents vis-à-vis ces groupes indiquèrent que la question environnementale gagna du terrain chez les dirigeants de l’époque. En touchant plus de sphères, l’environnement ne devint plus l’affaire d’une seule minorité, elle commençait à se diffuser davantage dans la culture québécoise. Les idées des écologistes se répandirent et furent récupérées dans les instances gouvernementales. La création du BAPE et du MENV peu de temps après cette première expérience le démontre bien. Dorénavant, le MTQ se devait d’être plus rigoureux et les citoyens pouvaient s’assurer d’une nouvelle voix à travers le BAPE.

De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon Tout au long du conflit, la résistance active contre le prolongement de l’axe Du Vallon a crû chez les écologistes, alors que les citoyens opposés ont été plutôt discrets. Après la décision de construire le prolongement de l’axe Du Vallon, les écologistes ont gagné en nombre. Ils augmentèrent leur coalition de quatre à seize groupes durant l’année 2003 (Le Soleil, 10 mai 2003) et treize d’entre eux se présentèrent aux consultations publiques (BAPE, 2004). Certains citoyens signifièrent quant à eux leur désaccord à la décision du MTQ par une pétition de 110 noms (op.cit., 1 février 2001) et d’autres par des lettres aux lecteurs dans le quotidien Le Soleil. Autrement, il furent très peu actifs. Outre ceux qui seront regroupés dans les groupes écologistes « reconnus », trois citoyens du secteur Lebourgneuf ou de l’extérieur rédigeront des mémoires pour s’y opposer, alors que 84 seulement deux se présenteront aux audiences publiques (BAPE, 2004). Ils laisseront donc une grande place aux bruyants citoyens de la coalition pro-Du Vallon, la plupart provenant du secteur est de Québec. Dans le cas de Dufferin-Montmorency, un plus grand nombre de citoyens s’opposèrent au projet à la fin des années 70. Durant les consultations publiques, plus de vingt groupes de citoyens ou individus déposèrent des mémoires ou firent des présentations pour proposer l’arrêt des travaux (Québec, 1978b).

Bien qu’un bon nombre de groupes écologistes de la région se soient mobilisés pour s’opposer à Du Vallon, ils n’ont pas compté sur l’appui d’acteurs « influents ». Chez les représentants politiques, les opposants compteront seulement sur l’appui de Réjean Lemoine dans les années 90. Par la suite, tant du côté municipal, provincial que fédéral, aucun politicien ne s’opposera ouvertement au projet tandis que plusieurs appuieront le comité pro-Du Vallon. Le concept de boulevard urbain tant voulu par la municipalité apparaît comme le seul signe de rapprochement avec les opposants. Si la Corporation professionnelle des urbanistes appuya la Commission Des Rosiers, imposant un moratoire sur le développement autoroutier (Le Soleil, 12 décembre 1991), aucun membre de la Corporation ne s’est présenté aux audiences publiques. La ville a elle aussi appuyé Du Vallon en dépit des conclusions de l’étude qu’elle avait commandée (la Commission Des Rosiers). Les opposants auraient certes bénéficié d’une alliance avec une association « d’experts reconnus », comme l’ABQ le fit en 1978 avec les groupes écologistes. Enfin, les commissaires du BAPE, qui auraient pu faire contrepoids aux instigateurs en appuyant les opposants, ont fourni une proposition ambiguë qui sera reprise comme un oui par Thomas Mulcair du MENV (Le Soleil, 3 septembre 2004). Le commissaire en chef des audiences publiques, mentionnera plus tard que la recommandation finale aurait peut-être du s’accorder d’avantage avec les écologistes qui voulaient des mesures concrètes et efficaces pour diminuer l’usage de l’automobile avant de prolonger l’axe Du Vallon (Président de la commission du Bape sur le prolongement de l'axe Du Vallon, 2005).11

11 Leur recommandation suite aux audiences publiques était la suivante : « la commission est d’avis que le projet de prolongement de l’axe Du Vallon atteindrait pleinement les objectifs du promoteur, s’inscrirait dans les Orientations gouvernementales en matière d’aménagement pour le territoire de la Communauté métropolitaine de Québec et serait acceptable dans la mesure où il est accompagné de moyens concrets et efficaces pour réduire l’utilisation de l’automobile, en assurant notamment un service de transport en commun concurrentiel dans le secteur Lebourgneuf » (BAPE, 2005 : 2) 85

En définitive, les opposants sont apparus socialement isolés au terme des consultations publiques sur Du Vallon. La coalition pro-Du Vallon et un des promoteurs du projet à la ville de Québec ont réduit les opposants à une bande de groupes écologistes provenant de la rue Salaberry, au centre-ville de Québec (Membre de l’UCDR, 2005; directeur du transport à la ville de Québec, 2005). Des écologistes ont, quant à eux, gardé un goût amer du débat en y voyant une autre victoire des banlieues et du mode de vie qui leur est associé.

Ressources stratégiques Les opposants ont-ils développé de nouvelles stratégies d’un conflit à l’autre?

L’autoroute Dufferin-Montmorency Durant le débat sur l’autoroute Dufferin-Montmorency, on assista à une remise en question de la notion de progrès. De 1970 à 1974, les promoteurs justifièrent le projet au nom du seul progrès. Le développement économique et le développement autoroutier étaient nécessairement synonymes d’évolution et les problèmes qui surgissaient entre-temps constituaient des maux nécessaires. Pourtant, au milieu des années 70, de nombreux problèmes fissurèrent peu à peu cette notion. Le progrès n’était plus seulement lié au développement économique, mais aussi à la qualité de vie. Il ne légitimait plus la destruction de certains milieux naturels et la division de la basse-ville de Québec. D’autres cas semblables à l’extérieur de la région, tels l’autoroute Est-Ouest à Montréal (Joubert, 1971) et l’axe Spadina à Toronto (Gonen, 1970), contribuèrent à alimenter cette remise en question.

Les consultations publiques de 1978 donnèrent d’ailleurs lieu à une bataille idéologique. Le Soleil souleva en effet la division entre les tenants du progrès traditionnel et « le nouveau progrès » (Le Soleil, 11 octobre 1978). Marcel Bédard sembla plus archaïque avec sa notion de progrès lors des consultations publiques. Les promoteurs ne pouvaient plus récupérer le projet au nom d’une évolution nécessaire de la région. Les expropriés et les riverains étaient désormais appuyés par d’autres « producteurs d’intérêt général », comme l’ABQ. Alors que le bon sens était auparavant de laisser la voie libre au développement

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économique, le bon sens, pour la majorité, exigeait cette fois de conserver la vocation naturelle du fleuve.

Ce « nouveau progrès » s’appuya donc sur l’éloquence de certains acteurs influents. Les sorties publiques des députés Péquistes contre cette « cicatrice dans le fleuve » (op. cit., 6 juin 1977) donnèrent effectivement du poids à la critique des opposants. De même les réclamations des biologistes alimentèrent cette contre-idéologie d’un contenu scientifique élaboré.

Par ailleurs, le groupe compact représenté par les promoteurs de Dufferin-Montmorency eut le dessus sur le groupe dispersé qu’était les environnementalistes. Tel que démontré au tableau 5, selon les théories du Public Choice (Weck-Hannemann, 2004 : 93), le gouvernement aura davantage tendance à contenter un groupe compact qui exige des projets régionaux amenant des coûts diffus (situation B) plutôt que de répondre aux demandes des groupes dispersés, comme les environnementalistes, qui demandent des changements structurels qui coûtent au total plus chers au gouvernement (situation C).

Tableau 5 : Intervention et non intervention gouvernementale

Concentrés les coûts Diffus C o A B n c Gouvernement porté à intervenir A e n v t a r n é t s a C D g D Gouvernement porté à ne pas intervenir e i f s f u s

Source : WECK-HANNEMANN, H. (2004) Environmental Politics, The Encyclopedia of Public Choice, Vol. I.

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Dans le premier cas, il en résulte souvent un appui clair pour le gouvernement puisque le groupe compact se partagera des avantages concentrés. Dans le second cas, les bénéfices sont difficiles à cerner pour les dirigeants car, malgré les coûts élevés de la protection de l’environnement, les écologistes obtiendront des avantages diffus et n’assureront pas leur appui au gouvernement. De plus, les groupes compacts auront tendance à persévérer davantage dans les étapes institutionnelles que les groupes diffus (ibid.). Ce fut ainsi le cas de la Chambre de commerce et des municipalités de l’est de la région qui persévérèrent et cognèrent sur le même clou durant tout le débat Dufferin-Montmorency. Le gouvernement pouvait ainsi rapidement voir un avantage à leur répondre. Aux consultations publiques le gouvernement dut toutefois écouter une alliance plus solide de groupes qui demandaient communément au gouvernement d’éviter les battures, ce qui représentait également un coût diffus pour le gouvernement (situation B). Cependant, outre cette requête précise, les demandes de nombreux opposants furent plutôt dispersées, ambiguës et difficilement applicables, particulièrement chez les citoyens. Un certain Monsieur Girard demanda notamment « […] de faire une pause et de mieux considérer les besoins de la population en … gardant un peu de poésie dans notre vie » (Québec, 1978b : 100). Donc, les alliances éphémères et les intérêts divers des opposants ne purent pas faire un contrepoids suffisant pour faire cesser complètement le projet.

Les opposants ont cependant pu obtenir une visibilité certaine en utilisant l’arène extérieure. Tant des individus, des groupes de citoyens que des écologistes ont dénoncé Dufferin-Montmorency en passant à l’extérieur du système de participation fourni par le gouvernement. Des écrits, tel Une Ville à vendre (1972) et des documentaires, comme Est- ce qu’on est chez nous (Desmeules, 1977), furent diffusés dans les années 70 pour dénoncer Dufferin-Montmorency qui faisait souvent partie d’une plus vaste critique de la façon dont le PCQ gérait la ville de Québec. Des opposants se firent aussi remarquer dans la rue. Le Comité de l’aire 10 fit une marche symbolique et déposa des couronnes pour les « victimes du progrès » (Le Soleil, 4 décembre 1976). Après les consultations publiques, les groupes écologistes se firent quant à eux remarquer en louant un bulldozer en signe de destruction des battures (Président de l’UQCN, 2005). 88

De l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon Tout au long du débat sur Du Vallon, les instigateurs du projet ont tenté de s’approprier le discours environnemental au même titre que les groupes écologistes. Le comité pro-Du Vallon dira que le projet permettra, au bout du compte, à des gens d’utiliser davantage l’autobus pour aller au centre-ville de Québec. Il répondra aussi aux critiques sur l’étalement urbain en disant qu’au contraire le projet est structurant puisque l’axe se ferait à l’intérieur même de la trame urbaine. Chez les politiciens, le maire L’Allier parlera d’un boulevard avec un agencement vert (Le Soleil, 15 février 2000) alors que Bellemare dira que la pollution qui résulte du trafic dans le secteur suffit pour justifier le projet (op.cit., 8 janvier 2004).

Inversement, les écologistes ont sans doute accru l’importance du parc de l’Escarpement afin d’arrêter le projet Du Vallon. Avant l’entente entre la ville et le MTQ en 2000, le parc de l’Escarpement ne faisait pas l’objet d’un débat. Selon le directeur du service de transport de la ville de Québec (2005), personne ne parlait de ce boisé alors que la priorité était de prolonger l’axe Du Vallon jusqu’au boulevard Chauveau au début des années 90. Lorsque l’axe projeté pris de l’ampleur en étant rallongé jusqu’au boulevard Bastien et fut plus tard accepté, les écologistes brandirent alors le parc de l’Escarpement. Il devint d’ailleurs la « forêt de l’Escarpement » (Le Soleil, 22 juillet 2001) ou même la « forêt enchantée » pour Normand Provencher, chroniqueur du quotidien Le Soleil (Le Soleil, 21 juin 2003). Les opposants ont d’ailleurs été taxés « d’enflure verbale » à maintes reprises par les partisans de Du Vallon. Les écologistes n’ont cependant pas réussi à donner au parc de l’Escarpement la même importance symbolique que les battures de Beauport.

Toutefois, au BAPE, le discours écologiste du comité pro-Du Vallon culmina encore davantage lorsque certains membres de la coalition pro-Du Vallon formèrent le Groupe environnemental progressiste. Les citoyens pro-Du Vallon arrivèrent avec ce titre, car ils se disaient eux aussi écologistes, mais également parce qu’ils voulaient, et veulent toujours, faire de ce nouvel axe un « boulevard écologique» avec beaucoup d’espaces verts et des édifices limités à six étages (Membre de l’UCDR, 2005). Tel qu’il fut mentionné auparavant, leur projet irait, en partie, à l’encontre des recommandations du BAPE qui veut un axe très dense pour rentabiliser les nouvelles infrastructures collectives qui seront mises 89 en place (Directeur du transport à la ville de Québec, 2005). Est-ce dans le but de rendre le projet socialement acceptable comme le mentionnera le commissaire en chef des audiences publiques(2005)? La technique apparaîtra malhabile autant pour les opposants que certains instigateurs (Directeur du transport à la ville de Québec, 2005; président de la commission du Bape sur le prolongement de l'axe du Vallon, 2005). Un ancien conseiller indépendant à la ville de Québec (2005), plus radical, mentionne : « on enrobe le projet d’un paquet de niaiseries en sachant qu’il est injustifiable. »

Néanmoins, les membres du comité pro-Du Vallon chercheront à modifier certaines de leurs habitudes de vie suite aux consultations publiques. L’Union des citoyens des deux rivières (UCDR), qui fit suite au Groupe environnemental progressiste, s’engagera dans divers projets afin de sensibiliser le quartier à l’environnement, spécialement au protocole de Kyoto. L’UCDR emploie déjà quatre étudiants pour engager 2000 résidents du secteur à réduire l’émission de leur gaz à effet de serre d’une tonne (Membre de l’UCDR, 2005). De même, les citoyens de l’UCDR demanderont au gouvernement de laisser beaucoup de place aux piétons et aux cyclistes sur le nouveau boulevard urbain. Un membre de l’organisation (2005) mentionne qu’ils ont appris des consultations publiques et ont pris des idées des écologistes, ce malgré les divisions apparentes avec ces derniers. Le débat sera donc formateur pour le comité pro-Du Vallon. Les citoyens y gagneront une certaine expertise. L’ancien porte-parole de la coalition pro-Du Vallon admettra enfin que la longueur du débat permit au bout du compte de changer leur vision en préférant finalement le boulevard urbain à l’autoroute.

Quant aux politiciens impliqués dans le projet Du Vallon, ils récupérèrent la recommandation mitigée du BAPE. L’ambivalence de ce dernier à l’égard du projet sera, en effet, interprétée comme un appui par le ministre de l’Environnement et celui-ci parlera des conditions des commissaires comme des « détails » (Le Soleil, 3 septembre 2004). Avec cette « certification », le projet apparaîtra ainsi comme acceptable aux yeux du public et le gouvernement pourra rapidement procéder aux autres étapes devant mener au projet.

Alors que chaque parti tentait d’imposer son idéologie en 1978, dans le cas de Du Vallon, on a plutôt cherché à savoir qui avait raison sur une seule et même idée. Dans le cas de Dufferin-Montmorency, il y avait effectivement les tenants du développement économique 90 plutôt pur et dur et les autres, partisans d’un développement plus harmonieux avec la nature. En ce qui concerne le prolongement de Du Vallon, l’importance de la cause environnementale fait en apparence consensus. Aucun acteur n’osa diminuer publiquement son importance. Tant le maire L’Allier que les autres représentants politiques du secteur en question tentèrent de donner un aspect vert au projet. Bref, bien que les solutions environnementales soient complexes et porteuses de contradictions, l’environnement fut, de toute évidence, galvaudé dans le conflit portant sur le prolongement de l’axe Du Vallon.

Il apparaît également intéressant de soulever l’importance de l’argument du « non-retour » dans les deux débats. En effet, après les consultations publiques de 1978, le gouvernement Péquiste affirma que l’axe était trop avancé pour arrêter les travaux, alors que dans le cas de Du Vallon, les instigateurs mentionnèrent, cette fois, que ça faisait trop longtemps qu’on en parlait pour annuler le projet (Le Soleil, 31 mai 2004). Pourtant, certaines villes nord- américaines, telle Portland, iront quant à elles jusqu’à détruire leurs autoroutes (Le Soleil, 22 octobre 2005) afin d’améliorer leurs milieux de vie…

Comme dans le cas des promoteurs de Dufferin-Montmorency, la coalition pro-Du Vallon forma un groupe compact avec des intérêts (avantages) concentrés (tableau 5). Le groupe de promoteurs de l’autoroute Dufferin-Montmorency était de plus grande envergure et avait une influence certaine dans les coulisses du gouvernement. Ce fut le cas de Marcel Bédard qui était l’adjoint au ministre des Transports. Toutefois, la coalition pro-Du Vallon représentait un groupe pouvant amener des bénéfices électoraux au Renouveau municipal de Québec et au parti provincial au pouvoir. Les politiciens avaient donc aussi avantage à se lier avec la coalition puisque leurs intérêts concentrés étaient faciles à satisfaire et les bénéfices étaient immédiats pour les gouvernements, soit des appuis politiques (situation B). D’autre part, les groupes écologistes ont formé cette fois un groupe plus compact avec une position commune. Ils ont essentiellement milité pour annuler le projet pour investir plutôt dans le transport en commun. Cependant, les coûts d’investissement dans un système de transport plus écologique demeurent élevés et n’amènent pas nécessairement des votes aux gouvernements provincial et municipal (situation A).

Dans l’ensemble, les protestants à Dufferin-Montmorency furent davantage visibles dans l’arène extérieure que les opposants à Du Vallon. Les groupes écologistes opposés à Du 91

Vallon s’exprimèrent par les médias et les consultations publiques de 2004, mais firent peu de manifestations notables et influentes à l’extérieur de ces voies traditionnelles, rien de l’ampleur des opposants à Dufferin-Montmorency. Les consultations publiques du BAPE, qui étaient cette fois clairement prévues, ont peut-être canalisé des tentatives de résistance qui auraient pu se passer à l’extérieur du système établi.

Retour sur les questions de recherche À la lumière de l’analyse, on peut affirmer que de nombreux changements se sont produits de l’autoroute Dufferin-Montmorency au boulevard urbain Du Vallon. Cependant, les deux questions de recherche de ce travail vont plus loin que cette constatation car elles cherchent globalement à savoir si l’on peut tisser des liens entre ces changements. En d’autres termes, si les conflits portant sur l’autoroute Dufferin-Montmorency ont laissé un héritage visible au débat portant sur le prolongement de l’axe Du Vallon. Pour discuter de cette question, il convient donc de répéter chacune des questions de recherche.

Les conflits entourant la construction de l’autoroute Dufferin- Montmorency ont-ils contribué à élargir le « débat autoroutier » et favorisé la progression d’un apprentissage collectif accordant plus d’importance aux enjeux environnementaux dans les processus décisionnels des cas subséquents, tel le prolongement de l’axe Du Vallon?

D’abord, les conflits portant sur l’autoroute Dufferin-Montmorency ont directement contribué à la première consultation publique générale en 1978 qui fut un prélude à l’institution du BAPE durant la même année. Cette nouvelle tribune officielle a permis d’amener à l’avant-plan des citoyens et des groupes d’intérêts dont les opinions divergent de celles véhiculées par les promoteurs des projets autoroutiers. Les opinions de certains groupes écologistes opposés au prolongement de Du Vallon ont d’ailleurs été valorisées et reprises par les commissaires du BAPE. Enfin, si elle demeure une institution suggestive, le BAPE exige cependant du MTQ une plus grande transparence. 92

Ensuite, le conflit autour de l’autoroute Dufferin-Montmorency alimenta sans doute la position ferme de la ville de Québec et l’ouverture du MTQ vis-à-vis le boulevard urbain plutôt que l’autoroute. Décrite par le député péquiste Richard Guay comme une erreur d’aménagement à ne plus jamais répéter dans la région de Québec (Le Soleil, 4 décembre 1977), cette infrastructure semble être devenue un anti-modèle pour certains dirigeants de la ville de Québec dont le maire L’Allier qui a persévéré à exiger une « entrée civilisée » dans la ville avec des « agencements verts » (Le Soleil, 15 février 2000).

D’autre part, il apparaît plus facile de relever un apprentissage des citoyens de la région de Québec à l’intérieur d’un seul débat, plutôt que de tracer une évolution d’un conflit à l’autre. L’analyse des deux cas nous démontre effectivement que les citoyens ont évolué à l’intérieur de chacun des conflits. Cependant, alors que l’on critiquait au tournant des années 80 les torts causés par une autoroute en milieu urbain, la coalition pro-Du Vallon milita pourtant pour cette forme d’axe routier au début des années 90. Ce n’est qu’au moment de l’acceptation du projet en 2000 que les citoyens appuyant le projet voudront un projet plus écologique prenant la forme d’un boulevard urbain. Ils chercheront même à participer à l’aménagement de l’axe.

Enfin, la création de l’UQCN suite aux consultations publiques de 1978 peut être reliée à un apprentissage collectif de certains écologistes de la région. En effet, la fondation de l’UQCN démontre que la période de rencontres et d’échanges provoquée par le débat sur la construction des derniers tronçons de l’autoroute Dufferin-Montmorency a été propice, pour certains opposants, à trouver un terrain d’entente commun et à former une organisation durable qui continue de militer pour la cause environnementale dans la région de Québec. L’UQCN fit ainsi partie de l’alliance des groupes écologistes qui s’opposèrent au prolongement de l’axe Du Vallon.

Les groupes environnementaux, les comités de citoyens et la population opposés à la construction du boulevard urbain Du Vallon ont-ils profité de l’émergence d’opportunités politiques, économiques et sociales, conjoncturelles et peut-être éphémères, leur conférant momentanément plus d’influence qu’à l’époque de la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency?

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L’analyse des deux conflits démontre que cette question de recherche doit être partiellement rejetée. Il semble plutôt approprié d’affirmer que les opposants au projet Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport ont momentanément bénéficié de plus d’opportunités sociales, politiques et conjoncturelles que les opposants à Du Vallon. Quand est venu le temps de construire les derniers tronçons de l’autoroute Dufferin-Montmorency, une majorité d’acteurs trouvait cette fois que le coût environnemental était trop élevé. Les opposants ont alors profité de nombreuses alliances éphémères et des rapprochements avec des politiciens qui les ont aidés à obtenir les consultations publiques et, plus tard, la construction de l’autoroute à l’écart des battures de Beauport. Si les groupes écologistes opposés à Du Vallon ont réussi à former une coalition entre eux, peu de citoyens s’y sont associés alors que les politiciens et les associations professionnelles leur ont tourné le dos. De plus, bien que les consultations publiques sur Du Vallon ont été plus structurées et accessibles que celles sur le projet Dufferin-Montmorency, la voix des opposants n’a, quant à elle, pas changé les plans initiaux du MTQ et de la ville de Québec.

Finalement, la longueur du débat sur Du Vallon laisse supposer que le budget de plus en plus serré du MTQ a pu retarder la construction du projet et a pu jouer en faveur des opposants pendant un temps. L’entente avec la ville a toutefois signifié la fin de la quiétude pour les opposants au projet.

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Conclusion

En conclusion, l’analyse comparative de la construction de l’autoroute Dufferin- Montmorency et le prolongement de l’axe Du Vallon a permis de relever de grands changements d’un conflit à l’autre. Bien qu’il ne soit pas devenu déterminant, l’enjeu environnemental a certainement été un vecteur de ces changements. Si la question environnementale gagnait déjà une nouvelle légitimité à la fin des années 70, le débat sur le prolongement de l’axe Du Vallon a consacré encore davantage d’importance à cet enjeu. Ce dernier a d’ailleurs surgi beaucoup plus tôt dans le conflit sur le boulevard urbain Du Vallon. Dans cette foulée, certains groupes écologistes, tel Vivre en ville, ont aussi acquis une nouvelle légitimité dans la région de Québec. Cependant, ce sont d’autres enjeux qui déterminèrent finalement la progression de chacun des projets. Les intérêts politiques et économiques des représentants des gouvernements provincial et municipal ont certainement été décisifs. L’importance grandissante de la question environnementale dans les débats s’est donc peu reflétée sur le terrain. Alors que certains écologistes virent un gain dans l’évitement des battures de Beauport en 1978, les opposants au prolongement de l’axe Du Vallon n’ont pas l’impression d’avoir obtenu des concessions de la part des maîtres d’œuvre du projet.

Une reconfiguration de la scène de décision institutionnelle, d’un débat à l’autre, indique néanmoins que le MTQ a cédé du pouvoir à des acteurs prônant une meilleure conciliation entre le développement du réseau routier et l’environnement. Bien que la recomposition de la scène de décision s’est principalement déroulée à la fin du conflit Dufferin-Montmorency avec l’arrivée du MENV et du Bape en 1978, le débat sur Du Vallon a démontré que la ville de Québec tenait à être davantage impliquée dans la planification de ce type de projet qu’elle ne l’était dans les années 70. Elle insista auprès du MTQ de 1990 à 2004 afin de construire conjointement avec celui-ci un boulevard urbain. Alors que le MTQ aurait préféré à un certain moment la construction d’une autoroute, le maire L’Allier a persévéré à demander un boulevard « avec agencement vert » (Le Soleil, 15 février 2000) qui serait plus civilisé que les autoroutes urbaines construites dans les années 70.

L’analyse des deux débats a également démontré que les défenseurs de l’environnement dans le cas du prolongement de l’axe Du Vallon ont bénéficié ou ont acquis certaines 95 ressources que leurs compères n’avaient pas 30 ans auparavant. Premièrement, les opposants au prolongement de Du Vallon ont profité de nouvelles ressources institutionnelles. L’institutionnalisation du BAPE représente, de toute évidence, une évolution par rapport aux consultations publiques générales de 1978. Les consultations publiques sur le prolongement de l’axe Du Vallon sont mieux structurées pour informer et recueillir l’opinion des citoyens et des groupes écologistes. Contrairement au PCQ dans les années 70, il est aussi important de noter que la ville de Québec, sous la direction du maire L’Allier, donne des voies d’opposition au projet qu’elle promeut, les questions du public au conseil de ville en sont un exemple. Deuxièmement, les ressources informationnelles ont favorisé davantage les opposants à Du Vallon que ceux qui s’opposaient à l’autoroute Dufferin-Montmorency. Les groupes écologistes ont démontré une expertise plus applicable qu’auparavant tandis que le BAPE a rendu l’information sur le projet Du Vallon plus accessible en mettant notamment à son profit l’utilisation d’Internet. Troisièmement, les groupes écologistes opposés à Du Vallon ont acquis une ressource stratégique importante en se montrant capable d’adopter une position plus commune face aux promoteurs du projet. Enfin, ces mêmes groupes écologistes disposent de plus de ressources matérielles que dans les années 70. Ils ont pu, en effet, compter sur un financement de base du gouvernement leur permettant de « travailler » à la défense de certaines causes comme l’opposition au prolongement de l’axe Du Vallon.

Malgré ces avancements, les groupes écologistes et les citoyens récalcitrants aux projets autoroutiers sont demeurés en état de réaction face aux promoteurs du projet Du Vallon. Ainsi, les nouvelles ressources matérielles et informationnelles des groupes écologistes ne leur donnent pas pour autant les moyens de s’associer au MTQ dans la planification ou de produire leurs propres études. De plus, lors des consultations publiques du BAPE de 2004, les groupes écologistes ont discuté sur des études d’impact et des plans déjà déterminés par le MTQ et la ville de Québec. Tandis que les opposants à la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency se servirent de l’arène extérieure pour protester, on peut même supposer que le BAPE a pu canaliser l’opposition vers une voie « trop courtoise ».

D’autre part, il faut aussi souligner que les changements qui se sont produits dans les parts du budget du MTQ, d’un conflit à l’autre, l’ont aussi empêché de développer le réseau 96 routier actuel au même rythme que dans les années 60 et 70. En effet, les groupes écologistes auront « profité » indirectement du déclin du budget du MTQ par rapport aux autres ministères, mais aussi pour la construction de nouvelles routes. Par ailleurs, la part croissante que le MTQ a consacré aux évaluations et aux impacts de ses projets sur l’environnement révèle que les préoccupations environnementales se sont également introduites dans ce Ministère. En somme, ces raisons financières peuvent partiellement expliquer les attitudes plus « grippe-sou » du MTQ vis-à-vis la ville de Québec qui ont pu faire traîner le conflit.

Ensuite, les groupes écologistes opposés à Du Vallon se sont finalement retrouvés plus isolés que ceux qui résistaient contre la continuation de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures du fleuve. Les nombreuses alliances de ces derniers étaient plus imposantes que celles de la coalition de seize groupes écologistes contre Du Vallon. Ils n’ont pas davantage compté sur des citoyens nombreux et engagés à lutter contre le projet ou sur des acteurs influents telle l’ABQ, qui hésite dorénavant à s’associer aux positions « biaisées » des écologistes. Alors qu’à la fin des années 70, les groupes écologistes étaient appuyés par une majorité de personnes qui remettaient, elles aussi, en question la notion de progrès, ces groupes se sont confrontés, cette fois, à une majorité d’acteurs qui ont récupéré les arguments écologiques afin de justifier le prolongement de l’axe Du Vallon.

Si la notion de « protection de l’environnement » a été apparemment galvaudée dans le débat sur Du Vallon, il ne faut pourtant pas conclure que les promoteurs du projet ont seulement présenté une façade écologique. D’anciens membres de la coalition pro-Du Vallon formeront une organisation (UCDR) qui insistera notamment sur l’implantation de pistes cyclables sur le nouvel axe routier et la réduction de l’émission de gaz à effet de serre dans le secteur Lebourgneuf.

L’héritage de l’autoroute Dufferin-Montmorency Après l’analyse de ces deux débats, il importait d’aller au-delà de ces seuls changements afin de répondre aux deux questions de recherche contradictoires du départ. Celles-ci cherchaient à savoir si l’on pouvait globalement cerner un apprentissage collectif d’un cas à l’autre et ce, en s’attardant spécialement à la question environnementale. Il fut déterminé 97 que le débat sur l’autoroute Dufferin-Montmorency a contribué à la création du BAPE, de l’UQCN ainsi qu’à l’accent mis sur la construction d’un boulevard urbain. Par ailleurs, l’analyse a permis de constater qu’il apparaît plus facile d’observer une évolution chez les citoyens à l’intérieur de chacun des conflits plutôt que d’un conflit à l’autre. Ainsi, malgré les torts causés par les autoroutes urbaines dans les années 70, ce n’est qu’au moment de l’entente en 2000 que la coalition pro-Du Vallon préféra le boulevard urbain à l’autoroute.

À l’opposé, l’analyse a aussi démontré que les opposants à la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency sur les battures de Beauport ont profité de circonstances particulières les favorisant par rapport à leurs homonymes 30 ans plus tard. En 1978, des écologistes et des citoyens ont lutté pour des battures possédant une grande signification iconique, et ce, à n’importe quelle époque. Dans une situation qui sembla alors plus excessive, ceux-ci ont bénéficié de rapprochements éphémères avec des acteurs influents. Ceci n’a manifestement pas été le cas pour les opposants au boulevard urbain Du Vallon. En somme, bien que l’on puisse relever un apprentissage collectif entre les deux conflits, le contexte est demeuré un facteur déterminant dans le déroulement et l’issu des deux conflits.

Limites de l’étude Les conclusions établies par cette analyse furent tirées à partir de l’illustration de deux cas isolés dans le temps et dans l’espace. Elles ne peuvent pas définir de façon générale l’apprentissage collectif de la population de Québec vis-à-vis l’implantation d’infrastructures autoroutières dans la région. Une étude quantitative couvrant un grand nombre de cas semblables qui se baserait sur des critères d’apprentissage précis ajouterait une nouvelle dimension à la problématique. Finalement, on peut toutefois s’aventurer et prédire qu’un projet d’autoroute de la forme et de l’ampleur de Dufferin-Montmorency ne sera plus accepté dans la ville de Québec. La persévérance de cette dernière à demander un boulevard urbain laisse croire que les autoroutes urbaines ne sont définitivement plus appréciées dans la région de la capitale. .

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Annexe 1 Réseau routier de l’agglomération de Québec en 2005

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