Un joli village d Auvergne Saint - Martin - V almeroux A la mémoire Je ma chère femme, à mes chers enfants et petits-enfants. L. J. Louis J ALENQUES PROFESSEUR à la Faculté de Droit de Clermont-Fd

Un j oli village a Auvergne Saint - Martin -Valmeroux

ORNÉ DE 29 GRAVURES

ÉDITIONS U.iS.H.A. 19 5z

CHAPITRE PREMIER Saint - Martin-V almeroux Sa description - Ses origines Ses seigneuries - Son château de Crèvecœur Son bailliage royal

DESCRIPTION ET ORIGINES Nombreuses sont, en , les communes qui portent le nom de Saint-Martin. Plus nombreuses encore sont les églises qui ont adopté ce saint pour patron. A cet égard, saint Martin détient certainement, en France, le record de la popularité. Dans sa Géographie humaine de la France, notre éminent compatriote, M. Jean Brunhes, nous apprend que ces églises sont au nombre de 3.672, tandis que 485 localités sont connues sous le nom de ce grand apôtre de la Gaule. La raison de cette particulière dévotion est que, comme l'a très bien dit son historiographe récent, Paul Monceaux: « Saint Martin a été pendant bien des siècles, le grand Saint de la France, le Saint national, le Saint vénéré de tous, des rois comme des artisans ou des paysans, et plus aimé encore que vénéré. Son souvenir est resté partout, dans les monuments, comme dans les proverbes et les' usages, dans les noms des hommes, comme dans ceux des rues, des fontaines, des pierres, des villages et des bourgs (1). t) C'est l'histoire d'un de ces modestes bourgs et de la commune dont il est le centre, que j'entreprends ici, non sans demander d'avance l'indulgence du lecteur pour un aussi mince sujet... Saint-Martin-Valmeroux est une commune du départe- ment du , située dans le canton de , arrondis- sement de Mauriac. Mais tandis que la moyenâgeuse cité de Salers est perchée comme un nid d'aigle, à près de mille mètres de hauteur, sur un rocher basaltique dominant la vallée de la , le bourg de Saint-Martin se mire tout au fond de la vallée, sur les bords riants de cette rivière, à 650 mètres d'altitude. La commune de Saint-Martin-Valmeroux possède une population d'environ mille habitants. C'est donc à ce point de vue une commune moyenne. Elle occupe une superficie de 1.750 hectares, chiffre inférieur à celui de la plupart des communes du département, dont la moyenne est de 2.500 hectares. Elle se divise en deux parties bien distinctes : la vallée

(1) Je ne veux pas, dans cette étude, retracer, même en abrégé, l'histoire de saint Martin de Tours. Elle est suffisamment connue. Je tiens seulement à dire : tout d'abord qu'il y a, parmi les historiens, beaucoup d'incertitude et de divergences relativement à l'année de sa naissance. M. Paul Monceaux déclare qu'il a dû naître à Sabaria (Pannonnie) entre 315 et 335 ; mais cet auteur ajoute qu'on est cer- tain que ce fut en 371, qu'il fut acclamé Evêque de Tours, et qu'il mourût en 397. En second lieu, je désire signaler ici une opinion peu connue, mais fort curieuse, donnée au Collège de France, par M. Camille Jullian. dans une de ses leçons de 1928, relativement à l'histoire du fameux manteau que notre saint coupa un jour, à Amiens, pour en donner !.t moitié à un pauvre grelottant de froid. Des ergoteurs ont prétendu que le fait devait être controuvé, parce que, ont-ils dit, les deux moi- tiés d'un manteau, qui, réunies, protégent un homme contre le froid, ne peuvent, séparément, empêcher deux hommes de grelotter. A ceîn M. Jullian a répondu : « On sait que les manteaux des officiers romains étaient dans le bas frangés d'or pur. En coupant son man- teau dans le sens de la largeur, Saint Martin aurait abandonné au pauvre, avec la plus précieuse moitié du vêtement, le moyen de se défendre contre la faim autant que contre le froid. Il et le plateau. Dans la vallée, à proximité ou sur les bords mêmes de la Maronne, s'étagent du nord au sud les villages du Theil, Lacoste, Salles, le bourg de Saint-Martin, les

L'arrivée sur la place de Saint-Martin villages de Nozières et d'Ambials. Sur le plateau se trouvent les villages de Laborie, Giroux, Tronchy et Bournazel. Voulez-^vous d'abord que je vous présente le bourg ? Arrivant à Saint-Martin-Valmeroux par la route qui vient d'Aurillac, nous sommes, dès notre approche, salués par le gai sourire du groupe des maisons de la « Cité Chanut » qui nous montrent leurs façades variées, enso- leillées dans un cadre de verdure et de fleurs. Franchissons la jolie rivière, la Maronne, sur un pont bien établi, et aussitôt, sur la droite, notre curiosité est sollicitée par la vue d'une fabrique aux bâtiments cossus ; c'est la ganterie de M. Chanut. A sa suite, nous voyons une maison ancienne, de noble allure, solidement assise au fond d'un parc planté de grands arbres : c'est l'hospice de Saint-Martin — legs de Mme Salvage à la commune — dont je parlerai dans un chapitre spécial, comme je le ferai aussi de l'industrie voisine. En face et à gauche de la route, deux bâtiments d'aspect récent, couverts en ardoise bleue, abritent la Mairie et les écoles publiques de garçons et de filles. Plus loin et tou- jours à gauche, se dresse une belle tour hexagonale, admi- rablement appareillée et desservie par une porte gothique fort agréablement moulurée. En avançant dans la rue et à notre droite, nous aperce- vons, placée en sentinelle à l'entrée de la place de Saint- Martin, une solide tourelle paraissant faire le guet des arrivants. Son cul-de-lampe en escargot surplombe la route d'une façon curieuse. Nous voici sur la place. Plus d'un artiste s'y est arrêté pour en contempler les divers aspects, pour peindre ou des- siner sa vieille halle à la toiture rouge et moussue, ses maisons anciennes, l'élégante nef gothique de son église classée, son impressionnant monument aux Morts, bien posé dans l'encadrement de deux tilleuls séculaires. A cer- tains de ces beaux morceaux de sculpture ou d'architec- ture, je consacrerai plus loin de plus copieuses lignes, qui me dispensent pour l'instant d'en dire davantage. Poursuivant notre visite, nous arrivons devant l'église, dont nous admirons le clocher robuste, évocation du sou- venir des églises fortifiées du moyen âge. J'en parlerai plus loin aussi avec d'abondants détails. Au-devant de l'église, une longue rue, sans embarras, sans fumier — chose rare dans les villages d'Auvergne — déploie à droite et à gauche une série de maisons bourgeoises ou de commerce sans caractère, mais bien construites et bien tenues. Il en est ainsi d'ailleurs, de toutes les autres rues qui

Porte de l'ancienne maison de Montjoly-Lacoste s'embranchent sur elle et qui vont dans la direction de , de Mauriac ou de . Au point de vue économique, le bourg de Saint-Martin offre à ses habitants toutes les ressources que l'on peut trouver dans une localité importante : deux boucheries (1), (1) Une délibération du Conseil municipal, du 6 brumaire an XII, nous révèle qu'à cette époque Saint-Martin n'avait pas de boucherie. A l'heure actuelle, malgré les deux boucheries locales, des bouchers de Salers et de Fontanges viennent, chaque semaine, offrir leur mar- chandise aux Saint-Martinois. un plus grand nombre d'épiceries, plusieurs hôtels et cafés, un excellent atelier de réparations d'autos — industrie précieuse à l'époque actuelle, — des ouvriers de tous les corps de métiers, des services d'autobus, matin et soir, sur Aurillac, Mauriac et sur la gare de Loupiac pour assurer la correspondance avec les trains de Paris. Il ne manque rien vraiment à Saint-Martin, au point de vue des facilités de la vie. Le bourg est éclairé à l'élec- tricité depuis plus de vingt-cinq ans, grâce à un enfant du pays, M. Magne, aujourd'hui maire de Salers, qui, il y a un quart de siècle, eut l'idée de capter la force d'une chute d'eau de 30 mètres située à quelques kilomètres en amont, pour éclairer Saint-Martin, Salers et Fontanges. Saint- Martin possède enfin une perception et une brigade de gendarmerie. Permettez-moi maintenant de vous présenter la vallée. Je crois pouvoir dire qu'elle est une des plus belles de la Haute-Auvergne. Il en est certes de plus larges, de plus grandioses ou de plus pyrénéennes, telles que celles de la Cère, du Lioran, de Saint-Cernin, de ou du Fal- goux, je ne crois pas qu'il y en ait de plus riante. Voulez-vous en juger ? Venez à Saint-Martin et prenez la peine de monter avec moi sur la côte, en suivant la vieille route, actuellement déclassée, qui sort du bourg pour aller à Mauriac. Après avoir fait trois cents mètres environ sur cette voie jadis fréquentée par la diligence à six chevaux, tellement caillouteuse aujourd'hui que les autos refusent de l'aborder, arrêtons-nous une minute aux abords du premier grand tournant, pour souffler un peu. Nous voyons déjà un tableau charmant. Laissons le vil- lage et tout le haut de la vallée, que je décrirai plus loin, et contentons-nous pour l'instant de regarder ce que nous avons sous nos yeux. Dominée par d'épais bois de hêtres qui étoffent somptueusement son flanc nord, la vallée élargie est tapissée de grasses prairies que la Maronne irrigue de ses eaux vives. A nos pieds, sur la rive droite de la rivière, une tour émerge au-dessus d'un bois d'essences variées ; c'est le château de Montjoly, nom tiré du site agréable dans lequel il est placé (1). Un peu plus loin, sur la rive opposée, une petite construction abritée sous des tilleuls deux ou trois fois séculaires, indique le voisinage de la source miné- rale, à laquelle je consacrerai un chapitre spécial. Plus

Vieille tour de l'ancienne maison de Montjoly-Lacoste loin encore, sur la même rive et très à droite, un château domine le village de Nozières : c'est le manoir de Sainl- Paul, qui dresse sa coquette architecture Renaissance sur

(1) Le château de Montjoly a longtemps appartenu à la famille de ce nom ; il est actuellement la propriété de M. Antoine Roche. une éminence heureusement choisie (1). Tout au fond de la vallée, nous apercevons le village d'Ambials, jadis siège d'un prieuré, la commune de Sainte-Eulalie. Enfin l'œil se perd sur les plateaux de Pleaux et du Limousin... Mais poursuivons notre ascension et, arrivés au second grand tournant de la route, arrêtons-nous au pied de la Croix qui domine l'ensemble de la vallée. C'est un spectacle vraiment grandiose qui se déroule devant nous. A nos pieds, le bourg de Saint-Martin, étale en rayons, autour de son clocher monumental, l'ensemble de ses habi- tations. Couvertes en tuiles roses ou en ardoises bleues, ses maisons serties de tous côtés par la verdure des jardins et des prés avoisinants, offrent le plus charmant aspect. Puis ce sont les prairies, qui à l'Est comme à l'Ouest tapis- sent du vert le plus tendre ou le plus foncé, suivant les saisons, le lit de la vallée. Bordées à l'exposition du Nord par le riche manteau vert sombre des pentes boisées de Saint-Rémy, elles sont égayées de distance en distance, par la note claire de quelques bâtiments de ferme ou par celle des villages de Salles, de Lacoste et du Theil qui se succèdent en remontant le cours de la rivière. Rien ne rend vivant un paysage, rien ne l'égayé comme la multiplicité des habitations. lei, c'est en remontant du Sud au Nord, un échelonnement ininterrompu de groupes de maisons jusqu'au château de Palemont, dont on aper- çoit le sommet du donjon féodal et même jusqu'au bourg de Fontanges, dont on voit l'entrée. L'œil inondé de la lumière de ce vaste espace s'amuse à scruter tous les détails du tableau, à suivre les méandres de la Maronne qui s'attarde paresseuse — elle si torrentueuse en général, — entre Salles et Lacoste. Il s'élève et se fixe sur le sommet altier qui paraît commander la vallée : le Puy Violent. Ce sommet n'a que 1.594 mètres de hauteur; il est donc bien inférieur au Puy Mary, haut de 1.780 mètres, qui se trouve

(1) Le château de Saint-Paul appartient à Mme Maury, née Laden. à une dizaine de kilomètres plus loin et qu'il nous cache; mais, bien détaché, conique, régulier, il a de l'allure et en impose. Ses flancs tapissés d'une herbe abondante servent de pacage à de nombreuses vacheries ; ils sont générale- ment d'un vert jaune ; mais le soir, en automne et en hiver, ils prennent une coloration mauve et parfois rose, d'une infinie douceur. Au-dessous se trouvent les bonnes prairies du Vielmur, du Chaumeil, de Lapierre, de la Fau- velie. Une barre d'argent verticale apparaît dans un creux, c'est la cascade du Vielmur. Plus à l'est, la vue s'égare sur les pentes abruptes et très souvent neigeuses de Cabrespine et du Chavaroche. Ce dernier puy, massif, en forme de croupe et qui a 1.744 mètres de hauteur, commande la vallée de la Bertrande, qu'on devine derrière le plateau de Saint-Rémy et dans laquelle se trouvent les deux communes de Saint-Projet-de- Salers et de Saint-Chamant. Oui, le panorama que je détaille est bien beau, vu de l'observatoire d'où nous le contemplons; mais je dois dire qu'il le serait encore plus, si, pour l'admirer, nous nous étions portés un peu en amont, à deux ou trois kilomètres environ, sur la route de Salers et en un point connu sous le nom d'Embrauzelle. De ce point de vue incomparable, auquel j'ai bien sou- vent conduit des visiteurs et qui a toujours provoqué leur enthousiasme, la vallée de la Maronne et celle de l'Aspre qui arrose Fontanges s'ouvrent toutes deux d'une façon à la fois large, opulente par la richesse de leurs prairies, infiniment gracieuse enfin, tant par le chatoiement des couleurs dont le velours des verts caresse délicatement les yeux, que par la parfaite harmonie de l'ensemble des lignes du paysage. Aussi je me permets de recommander aux touristes se rendant à Salers par la route de Pleaux, de mettre pied à terre au sommet de la côte d'Embrauzelle, de faire même une cinquantaine de mètres à droite de la route, pour mieux apercevoir le fond de la vallée. Ils ver- ront à leurs pieds la rivière qui serpente mollement, les villages de Salles. Lacoste, le Theil qu'elle encadre de son ruban argenté, le gros bourg moyenâgeux de Fontanges dominé par les puys de la Bastide et les contreforts du Puy Violent ; ils apercevront plus loin la croupe du Cha- varoche. Bref, je suis sûr qu'ils ne regretteront pas les quelques minutes d'arrêt que je leur conseille. Mais si la vue que l'on a d 'Embrauzelle est plus impres- sionnante que celle que l'on peut admirer du point où nous nous sommes rendus, celle-ci a cette supériorité : celle du tout premier plan, qu'il nous faut maintenant détailler. C'est un vrai charme que de regarder de notre poste d'observation, le gros bourg de Saint-Martin qui vit à nos pieds. Nous ne verrions pas mieux, du haut d'un avion, son clocher trapu surmonté de sa flèche disproportionnée, ses toitures roses ou grises à grande pente, leurs monumentales cheminées, le dessin de ses rues partant en rayons de l'église, point central, dans les quatre directions d'Aurillac. de Mauriac, de Pleaux et de Fontanges. Nous apercevons les gens qui y circulent, les autos qui les parcourent, rom- pant le silence de la vallée du bruit de leur moteur ou des appels de leur klackson. C'est un spectacle vraiment capti- vant et dont on a de la peine à se détacher. Il y a quelques années, j'étais un jour monté à ce même poste d'observation avec un Américain habitant Grenoble. Ça n'était point la première fois que mon compagnon de promenade visitait Saint-Martin. Il y avait séjourné à diverses reprises, attiré, par les bonnes relations qu'il avait avec le Directeur de notre ganterie. Nous venions de faire le tour, par la vue et par la parole, si je puis ainsi parler, du beau panorama que j'ai essayé de dépeindre, lorsqu'il me dit : — « Monsieur Jalenques, votre Saint-Martin est un vrai paradis ! Il) ■ . — « Oh ! répliquai-je, vous êtes bien aimable. Vous voulez me faire plaisir en me parlant de la sorte, car vous savez mon amour pour ma petite patrie. Mais combien de villages plus beaux ivous connaissez, sans doute en Amé- rique, dans les pays de rêve du Nouveau Monde, et pour sûr en Dauphiné, dans cette admirable vallée du Grési- vaudan, par exemple, à côté de laquelle vous résidez aujourd'hui. — « Non, reprit-il, je ne parle pas pour vous flatter. Je dis la pure vérité. Je n'ai, je crois, nulle part trouvé de village plus coquet, plus riant, plus plaisant et enfin plus « complet » que le vôtre. » Ajoutai-je une foi sans réserve à ce compliment qui me touchait à un si bon endroit? Je n'oserais l'avouer, de peur de faire railler ma naïveté. Je sais trop bien que chaque oiseau trouve son nid plus beau que celui des autres, et que, par exemple, dans notre chère France, il n'est pas, pour Henry Bordeaux, de pays comparable à la Savoie, pour René Bazin, de province plus prenante que la Bre- tagne, de contrée plus enchanteresse que celle du Sud- Ouest, pour Joseph de Pesquidoux. Que m'importe ! Ce que je puis dire, c'est que je rentrai chez moi, ce jour-là, un peu plus amoureux de mon Saint-Martin et de mon Auvergne ; c'est que je m'appliquai encore plus fort qu'avant la pensée que Mau- rice Barrès avait de sa Lorraine, lorsqu'il écrivait dans ses Cahiers : « Tu as la chance d'avoir une patrie locale, une des plus belles du. monde. » Mais aujourd'hui, que n'ai-je, hélas ! pour chanter mon joli coin d'Auvergne, la lyre vibrante d'un Vermenouze, d'un de Nolhac, ou d'un Gandilhon-Gens-d'Armes ! Que n'ai-je la plume élégante et diserte d'un Ajalbert ou d'un Farges ! !

Quelles sont les origines de Saint-Martin-Valmeroux ? S'il fallait en croire une charte souvent citée, dite Charte de Clovis (1), elles seraient des plus anciennes. Cette charte, qui place le monastère de Mauriac et ses dépendances sous la suprématie de l'abbaye de Saint-Pierre le Vif et qui énumère les biens donnés, dans la province (1) Son vrai nom est le suivant : charte de fondation de Saint Pierre le Vif, de Sens. d'Auvergne, par Clovis à sa fille, la princesse Théodechilde, contient le passage suivant : « Dans la province d'Auvergne se trouve une certaine église édifiée en l'honneur de saint Paul, dans la vallée de la Maronne (Saint-Paul-de-Salers) ; dans ce village sont trois métairies habitées par six hommes qui paient annuellement une mesure de blé et une journée de charroi, dont ils peuvent se racheter. Au village de Védrines (1), il y a une métairie ; elle est habitée par Frodoald, serf de Saint Pierre ; il paie annuellement un mouton et sept deniers. Dans la même vallée, est l'église de Saint Martin qui dépend du domaine (royal); il y a trois métairies occupées par Hunald et HUdegaire, serfs de Saint Pierre, ils paient cinq sous de cens et une vache tous les cinq ans. » Si ce document était bien de Clovis, ou de son temps, la preuve serait faite que déjà, à la fin du Ve siècle, il y avait une église à Saint-Martin-Valmeroux et sans doute autour une agglomération d'habitants plus ou moins importante. Mais on sait que rien n'est moins authentique que la soi-disant Charte de Clovis; ou mieux nul n'ignore qu'on doit la tenir pour apocryphe. Sa fausseté résulte de preuves nombreuses, entr'autres celle-ci, qu'il y est fait mention d'événements qui ne se sont produits que plusieurs années et même plusieurs siècles après la mort du premier de nos rois. M. Delalo, le très érudit historiographe de la ville de Mauriac, déclare néanmoins que « toute fausse qu'elle soit, cette Charte n'est pas sans valeur historique et qu'en tout cas, il résulte de l'écriture d'une copie que l'on en possède, qu'elle était connue au moins au XIIe siècle (2). » Saint-Martin-Valmeroux existait donc à cette dernière époque; mais cette localité est très certainement antérieure. Je n'en veux pour preuves que les faits suivants : 1° Dans un manuscrit Crouzeix (3), nous lisons « qu'en (1) Védrines, hameau situé à 1 kilomètre au nord de Saint-Martin- Valmeroux. (2) Dict. du Cantal, Vo Mauriac, p. 212. (3) Bibl. de Clermont, Catal. des mss. p. 28. 1261, Pierre de Fontanges, chevalier, rendit hommage à l'Evêque de Clermont pour le château de Saint-Martin- Villemeroux (sic) mouvant DE TOUTE ANTIQUITE de son église. » Ces termes ne révèlent-ils pas, pour Saint-Martin, une existence déjà à cette époque plus que séculaire ? 2° Si nous regardons l'église de Saint-Martin, nous voyons qu'elle est composée d'un clocher roman et d'une nef gothi- que. Or, ce joli clocher à baies géminées remonte au moins au XII" siècle ; il accompagnait primitivement une nef romane. Celle-ci fut, au XV" siècle, remplacée par la nef gothique actuelle, tandis que le vieux clocher était conservé. Mais celui-ci atteste bien, par son existence et son impor- tance, que déjà, au XIIe siècle, il y avait à Saint-Martin- Valmeroux une agglomération d'habitants assez sérieuse pour motiver la présence d'un aussi bel édifice religieux. Et cette communauté d'habitants groupés autour de leur église romane, ne s'était évidemment pas formée tout d'un coup et spontanément, au XIIe siècle, lors de l'érection du monument roman; son existence remontait sans doute bien en arrière. Mais de quelle époque datait-elle ? Existait-elle déjà sous les rois Francs, comme le dit la fausse Charte de Clovis, dont toutes les allégations ne sont pas mensongères ? Remonte-t-elle bien plus haut, à l'ère gallo-romaine ? Aucun document précis ne permet de l'établir; pas plus qu'aucune preuve de l'existence d'une ville à Aurillac n'existe avant la fondation de l'abbaye de Saint-Géraud, vers 894 ; pas plus qu'aucune preuve directe non plus de l'existence de la ville de Salers n'existe avant le XII" siècle. Cependant en faveur de l'existence de Saint-Martin à l'époque gallo-romaine, on peut invoquer ce fait qui cons- titue bien un document probant, c'est la découverte faite sur le sol, ou non loin de cette localité, de différents objets de provenance romaine. Il y a 60 ans environ, dans son Guide du département du Cantal, M. Henri Durif a écrit : « Divers objets d'antiquité furent trouvés, il y a trente ans, dans le champ appelé Couderc (ce champ est situé à 500 mètres environ au Nord de Saint-Martin). Ils consistaient en tuiles romanes, couteaux sacrificateurs, poteries et médailles ». Et dans son bel ouvrage, la Haute-Auvergne, M. Louis Farges a mentionné Saint-Martin-Valmeroux, au nombre des localités du haut pays, où des trouvailles ^archéologiques sont venues attester l'occupation romaine. Il est donc certain que le territoire de Saint-Martin était habité, dès les premiers siècles de notre ère, et il est permis de penser que ce fut sous l'influence du renom immense qui se propagea, jusqu'en Au/Vergne, des miracles sans nombre opérés par l'illustre Evêque de Tours, que les habi- tants de ce coin de terre donnèrent à leur résidence, vers la fin du IVe siècle ou dans le cours du Ve siècle, le nom de celui qu'on a pu appeler le grand Saint national. On sait que ce glorieux thaumaturge est fréquemment sorti de ses monastères et de son évêché de Tours, pour aller évangéliser diverses contrées de la France. A-t-il mis le pied sur le sol de la Haute-Auvergne? Le doute est permis. Cependant sa popularité fut telle dans notre pays, que quatre localités de notre département voulurent lui emprunter son nom : Saint-Martin-Cantalès, Saint-Martin- sous-Vigouroux, Saint-Martin-de-Valois et enfin Saint- Martin-Valmeroux (1). Dans cette dernière appellation, le sens du mot de com- plément est des plus clairs, malgré les déformations suc- cessives qu'il a subies avec le temps. Saint-Martin est en effet bâti dans la vallée et sur les bords de la Maronne (2). Aussi, depuis que nos ancêtres résolurent de donner à leur localité le nom de S,aint-Martin. cherchèrent-ils à la distinguer des autres lieux du même nom, en indiquant sa position dans la vallée de la Maronne, et voici successivement les variantes de nom, qu'à travers (1) Je dois ajouter que plus de vingt paroisses, dans le diocèse ont Saint Martin pour patron. (2) Saint Paul de Salers, qui est également bâti sur les bords de la même rivière, a été dénommé Saint-Paul de Valmeroux dans l'acte de ' nomination de son curé Marion, le 7 mai '1003. (A travers l'histoire de la Hte-Auvergne, par le Dr de Ribier). Cependant il semble qu'il y ait eu là un fait isolé, dont nous ne connaissons en tout cas aucun autre exemple. les âges, a connues notre localité. Elles nous sont pour la plupart indiquées par le Dictionnaire topographique des noms des lieux habités du Cantal, d'Amé : Ecclesia Sancti Martini, XIIe siècle (Charte dite de Clovis) ; — Sanctus Martinus de Valle Marant, 1293 (Spicileguim Brivatense); — Sanctus Martinus de Valmaron (1447, Arch. dép. S. E.) ; — Sainct Martin de Valmarons, 1504, (terrier de la duchesse d-Auvergne) ; — Sanctus Martinus Vallisma- ronne, 1535 (Pouillé de Clermont, dons gratuits) ; — Saint Martin de Valmiron (dans un arrêt du Parlement de Paris, signé Lizet, de 1548); — Sainct Martin de Vaulx-Marans, 1552 (Min, de Guy de Vayssiera, notaire) ; — Sainct Martin de Valmeroux, 1583 (terrier de ) ; — Saint Martin de Valmirans 1586 (Min. de Lascombes, notaire) ; — Sainct Martin Valmorons, 1632 (Etat civil d'Aurillac) ; — Sanctus Martinus de Valmaroux, 1649 (Gallia Christ, T. II c. 300) ; Saint Martin Valmayroux, 1659 (Etat civil de Tourniac) ; — Saint Martin Marmaron, 1674 (Etat civil d'Ally) ; — Sainct Martin de Varmaran, 1681 (Etat civil «Aurillac) ; — Saint Martin Valmeroux, 1688 (pièces du col. Bonnefous). » Depuis le XVIIIe siècle, le nom a paru fixé dans ces trois derniers mots. Pour être complet, j'ajoute qu'une légère modification y fut cependant apportée pendant une courte période de la Révolution. Il y eut, en effet, à cette époque, des gouver- nants assez fous, pour avoir l'idée de changer tous les noms de communes qui avaient le malheur de porter un nom de saint. C'est ainsi que dans notre région, la commune de Saint-Projet reçut le nom de Haute-Bertrande, celle de Saint-Chamant celui de Basse-Bertrande, celle de Sainte- Eulalie, le nom de Basse-Maronne, celle de Saint-Martin- Cantalès, le nom de Gilbert-le-Cantalès (1). A Saint-Martin- Valmeroux, on fit moins de frais d'imagination; à partir du 1er pluviôse de l'an II, les registres de l'état civil biffent (1) Ce dernier nom, Gibert-le-Cantalès, vient, d'après ce que m'a dit l'érudit Curé de , M. l'abbé Burin, de ce que le village de Saint-Martin Cantalès est adossé à une petite élévation appelée le puy Gibert, actuellement défiguré en petibert ! purement et simplement le mot « Saint » et portent Martin- Valmeroux tout court ; mais dès le 3 thermidor an III. J'appellation de Saint-Martin-Valmeroux reparaît pour ne plus disparaître. LES SEIGNEURIES DE SAINT-MARTIN Quoiqu'il en soit du plus ou moins d'ancienneté de Saint- Martin-Valmeroux, son histoire reste obscure, inexistante jusqu'au XIIIe siècle, c'est-à-dire jusqu'à l'époque, où, déjà depuis trois cents ans, la France était découpée en une multitude de petits Etats féodaux, dans lesquels la souve- raineté n'appartenait plus au roi, mais bien à des seigneurs locaux. Saint-Martin-Valmeroux était, dès le XIIIe siècle, sous la domination de deux de ces seigneurs, l'un ecclésiastique, l'autre laïque. Avant de dire quels ils étaient, je crois qu'il est bon de rappeler comment, dès le IXe siècle, s'était opéré le démem- brement de la souveraineté royale auquel je viens de faire allusion, comme s'était créée, au détriment du roi, la puis- sance féodale ou seigneuriale. Tout le monde sait qu'à la fin de la monarchie carolin- gienne, la France avait eu à subir une longue et cruelle suite d'invasions étrangères : invasions des Hongrois, à l'Est, des Sarrazins, au Sud-Est, des Normands partout. Notre malheureux pays, pendant près de deux siècles, fut foulé, pillé, incendié par des hordes barbarets de races diverses, ivres de butin et de carnage. Occupés, par le fait de la déplorable règle franque de l'égalité successorale dans le partage du royaume, à se livrer entr'eux à des guerres intestines, les fils de Louis le Débonnaire et de ses successeurs se montrèrent inhabiles à défendre le pays contre ces invasions. Menacées par les envahisseurs et abandonnées par la déficience du pouvoir royal, les populations des diverses contrées de la France, s'étaient organisées elles-mêmes pour leur défense, comme elles l'avaient pu, selon les moyens les plus naturels qu'avait su leur suggérer l'imminence du péril. Les rois étant inaptes à les secourir, elles s'étaient recommandées, confiées corps et biens à des patrons locaux, généralement qualifiés par leur situation de hauts fonctionnaires ; elles leur avaient demandé de leur servir de chefs, leur promet- tant en revanche de leur être à tout jamais entièrement dévouées, de les reconnaître pour leurs seigneurs et d'être leurs hommes. « Protégez-nous et nous serons vos hommes », toute l'essence du régime féodal est condensée dans cette formule. Or, les personnages qui, dans ces conjonctures, devinrent ainsi les seigneurs locaux et souverains de leurs compa- triotes, furent tantôt des laïques, tantôt des ecclésiastiques. Le recrutement des laïques s'opéra surtout parmi les comtes de la monarchie carolingienne. Ceux-ci avaient géné- ralement été choisis par le monarque, parmi ses sujets les plus aptes à administrer habilement. Ce furent eux, qui, le plus souvent, usurpèrent à leur profit les fonctions souve- raines que précédemment ils exerçaient pour le roi, et devin- rent les chefs et les protecteurs de leurs administrés. Mais parfois aussi les seigneurs laïques se recrutèrent parmi des personnages qui, quoique dépourvus de toute fonction officielle, surent, au jour du péril public, s'imposer par leur intelligence et leur valeur morale et physique, à la foule apeurée qui demandait un chef capable de la sauver. On fait fi, à pareil moment, des titres et des galons, comme aujourd'hui encore, pendant une guerre nationale, on regarde peu à l'ancienneté, pour promouvoir un géné- ralissime à la tête des armées ; on se voue au plus habile, on lui dit : Commandez, nous vous obéirons. Parmi les ecclésiastiques, c'est aux évêques très souvent, que, du consentement général, le Séniorat fut attribué sur les hommes de telle ou telle partie de leur diocèse. A cette époque, les évêques étaient choisis à clero et populo, c'est- à-dire par le clergé et le peuple réunis dans la principale église du diocèse. Ils jouissaient donc d'une très grande popularité. La preuve en est qu'officieusement, si non offi- ciellement, on les qualifiait de protecteurs des cités, defen-. sores civitatum. Les services que les évêques de la monarchie franque avaient rendus à leurs ouailles, en se portant leurs défen- seurs auprès des rois barbares, étaient si éclatants, si nombreux, que lorsque se produisit l'anarchie du IXe siècle, d'instinct les populations tournèrent leurs regards et leurs bras vers eux, les supplièrent de prendre l'autorité sou- veraine que les mains débiles du roi carolingien étaient incapables d'exercer, bref les revêtirent de la puissance seigneuriale ou féodale. D'autres fois, l'on vit des seigneuries, des fiefs, des comtés, attribués par les rois aux évêques, à titre de libé- ralités. Les rois, en effet, comme le peuple, connaissaient la haute valeur morale de ces chefs d'église ; ils sentaient de quelle autorité ils jouissaient auprès de leurs adminis- trés. Les évêques étaient les meilleurs appuis de la monar- chie, lui rendaient parfois de signalés services. De là vinrent des donations fréquentes de seigneuries par les rois aux chefs des diocèses. Ces idées générales étant exposées, je suis bien obligé de dire que l'embarras de l'historien est grand, lorsqu'il s'agit pour lui de déterminer comment tel ou tel laïque, tel ou tel ecclésiastique est devenu seigneur d'une terre plus ou moins étendue. Le plus souvent il se voit contraint, s'il veut être franc, de reconnaître qu'il ne le peut, ce qui confirme une fois de plus la parole de Pascal, d'une appli- cation fréquente en histoire : « L'homme ne sait le tout de rien. » Prenons, par exemple, l'Evêque de Clern10nt. Au XIII* siècle, nous le trouvons possesseur en Haute-Auvergne, à Saint-Martin-Valmeroux, d'une Seigneurie assez impor- tante, si nous en jugeons d'après un état de ses fiefs dont nous trouvons la liste dans le Dictionnaire statistique du Cantal (1) et dont nous parlerons plus loin.

(1) Dict du Cantal, VI St-Martin-Valmeroux. A la même époque, nous constatons aussi que cet Evêque est Comte de la ville de Clermont. Or, comment est-il devenu comte ici, d'une part, seigneur en Haute-Auvergne, de l'autre ? Commençons, si vous le voulez bien, par le Comté de la Ville de Clermont. Ce Comté, comme son nom l'indique, ne portait que sur la ville épiscopale ; le reste, c'est-à-dire la plus grande partie de la province d'Auvergne, était au XIII8 siècle, divisé en trois grandes seigneuries : la terre d'Auvergne, donnée en apanage à Alphonse de Poitiers, frère du roi saint Louis et qui avait Riom pour capitale ; le Comté de Clermont, institué par ce roi en faveur de Guil- laume X d'Au^-rgne et dont le siège central était à Vic-le- Comte ; et enfin le Dauphiné d'Auvergne, dont le siège était à Vodable. L'Evêque, je le répète, n'était seigneur que de la ville de Clermont. Comment avait-il acquis cette seigneurie ? Certains historiens ont dit que le fait remontait à l'an 1202, date à laquelle Guy II, comte d'Auvergne, l'avait donnée — au moins à titre de dépôt — à son frère Robert, évêque de Clermont. Telle est notamment l'opinion de Jehan de Vernyes, le conseiller de Henri IV, dans ses mémoires. D'autres croient que les évêques de Clermont possédaient la seigneurie de cette ville depuis une époque bien anté- rieure. Cela résulterait, affirment-ils, d'un traité intervenu, en 1121, entre Guillaume VI, comte d'Auvergne et Aymeric, évêque de Clermont, traité stipulant que « l'église serait rendue à Dieu, les tours au clergé et la cité à l'Evêque ». Donc, incertitude sur l'origine de la seigneurie de l'Evê- que de Clermont sur la capitale de son diocèse. Mais l'absence de renseignements est encore plus grande en ce qui concerne la seigneurie de ce personnage sur Saint-M artin- aimer oux et les fiefs en dépendant. Il est d'abord essentiel de faire remarquer que, lors de la féodalité, — comme d'ailleurs jusqu'à la fin de l'ancien régime — Saint-Martin, avec tout l'archiprêtré de Mauriac, faisait partie du diocèse de Clermont. L'Evêque de Clermont était donc déjà, de par ce seul fait, le grand chef ecclésias- tique de la paroisse et un personnage très en vue. Oui, mais comment en est-il devenu le seigneur féodal ? Nous nageons ici en pleine ignorance et, en l'absence de tous documents historiques, nous en sommes réduits à faire des hypothèses. Voici la première : A une date que nous ne connaissons pas, au Xe, au XIe ou au XIIe siècle, l'Evêque de Clermont a pu recevoir d'un roi, cette seigneurie et les fiefs en dépen- dants, à titre de don. Ce fait n'était pas rare. Les Eivêques au début de la féo- dalité, étaient des personnages puissants, et lorsqu'ils avaient rendu quelque service au roi, ainsi que je l'ai déjà dit, celui-ci les en récompensait par l'octroi d'une sei- gneurie plus ou moins importante. En veut-on un exemple ? Au mois de novembre 1220, le roi Philippe Auguste expédia - un mandement à Béraud de Mercceur, puissant seigneur de Haute-Auvergne, pour l'inviter à rendre hommage à l'évê- que de Clermont, à raison des fiefs de Gerzat et de Lignat qu'il venait de donner au dit évêque (1). En voici un autre : Dans la chronologie des Evêques de Clermont par M. Gonod, nous lisons page 36 : « En 1229, le roi Saint Louis augmenta les domaines de l'évêché. » Une donation du même genre portant sur la seigneurie de Saint-iMartin-Valmeroux peut avoir été faite par le même roi, ou un de ses prédécesseurs, au chef du même évêché. Deuxième hypothèse. — L'époque féodale a continué à pratiquer, d'une façon tout à fait particulière le système de la recommandation, si en honneur sous les monarques francs. Tout homme, fort ou faible, devait se placer sous la pro- tection d'un plus puissant que lui. La chaîne des hommes ainsi recommandés les uns aux autres partait des plus humbles roturiers jusqu'au roi, en passant par des sei- gneurs plus ou moins titrés. A une époque, en effet, où, (1) Arch. dép. P.-de-D. Fonds de l'Evêché. Liasse 6, cote 42. par le fait des invasions étrangères continuelles d'un côté, des guerres civiles intérieures de l'autre, l'insécurité géné- rale régnait dans le pays et rendait précaire le sort de tous, chacun éprouvait le besoin de se placer sous la dépendance et protection d'un personnage fort, qui serait capable de le défendre utilement. Si l'on était propriétaire et si l'on crai- gnait de ne pouvoir défendre son bien, on en transférait fictivement la propriété à ce potens qui en devenait le senior, le maître apparent ; celui-ci en laissait la jouissance au donateur et s'engageait à le défendre, à la seule condition que l'autre se reconnût à tout jamais son vassal. Ce n'était donc pas seulement de pauvres paysans, qui se dépouillaient ainsi de leur petite propriété, en faveur de seigneurs féodaux, pour n'en garder que la jouissance pré- caire, c'était parfois de riches, de très riches propriétaires d'alleux (terres libres), qui faisaient ce geste, qui appor- taient leurs beaux domaines, à titre de fiefs, à un haut per- sonnage qu'ils jugeaient capable à un moment donné de les défendre utilement contre certains ennemis redoutables. En veut-on un exemple ? Je l'emprunterai aux Chartes et franchises d'Ambert, de notre très regretté compatriote, M. Marcellin Boudet (1). Voici ce qu'il dit : « Depuis que les comtes s'étaient rendus indépendants, dans la seconde moitié du Xe siècle, les Baffie (riche famille de la région d'Ambert), ne connaissaient pas de maîtres en Livradois. Il n'y avait point de subordination féodale entr'eux et les comtes locaux; leur terre était réputée alleu (libre). Guillaume de Baffie en offrit la suzeraineté à l'évêque de Clermont par un traité du 6 février 1219. Dans ce traité, Guillaume se reconnaît le vassal de l'Evêque dans les cinq membres de sa terre de Baffie, savoir les châtellenies de Baffie, Viverols, Marsac, Riols et Ambert. Il lui donne en outre le domaine éminent de tout ce qu'il possède dans le diocèse de Clermont ». Pourquoi ces dons volontaires ? Voici : « J'ai fait cela, dit Baffie, à cause de mon affection

(1) Chartes et franchises d'Ambert, par M. Boudet, p. 57. pour l'évêque Robert en qui j'ai pleine confiance et pour la défense de Clermont ». Etait-ce là la vraie raison ? Non, la meilleure, la voici, Baffie ajoute en effet : « L'évêque et ses successeurs seront tenus de me défendre, moi et ma terre, comme leur homme lige. » Voilà le vrai but utilitaire poursuivi par ces terriens importants de la région d'Am- bert, lorsqu'ils consentaient à devenir les vassaux de l'évê- que de Clermont. « Somme toute, a écrit M. Boudet, ce traité était avantageux pour les, Baffle. Se faire le vassal direct de l'évêque, les dispensait de l'être du roi, des Dam- pierre, du comte d'Auvergne ou du comte de Forez (car il fallait l'être de quelqu'un). L'évêque de Clermont leur apportait, en cas de guerre avec ce dernier, dont ils étaient voisins, le maximum de sécurité pour leurs domaines, avec le maximum d'indépendance de fait. » Cet exemple me paraît typique. Il nous montre combien grande était jugée la puissance de l'évêque de Clermont, à l'époque de la féodalité, combien sa protection était recher- chée et par conséquent il est possible qu'à une date et par des actes de nous inconnus, tous les vassaux relevant de la seigneurie de Saint-Martin-Valmeroux aient un jour pro- cédé, au profit de l'évêque de Clermont, qui était leur évêque, comme le firent postérieurement les Baffie du Livradois. Encore une fois, ça n'est qu'une hypothèse, à mes lec- teurs de dire si elle est invraisemblable... Mais laissons le champ des hypothèses pour aborder le domaine des réalités. Il est certain qu'au XIIIe siècle, l'évêque de Clermont était le seigneur féodal de Saint-Martin-Valmeroux et que de cette seigneurie relevaient un assez grand nombre de fiefs. Voici la liste de ces fiefs telle que la donne le Diction- naire statistique du Cantal (1). 1° Pierre d'Albars, seigneur de Clavières, fit hommage à l'évêque de Clermont, en 1284, pour divers objets; (1) Ve St-Marlin-Vaimeronx, tome 4, p. 161. 2° Guy de Salers lui fit hommage, en 1327, pour toutes les terres situées entre la Maronne et le ruisseau de Mal- rieux ; 3° Géraud de la Charreyre de Chaussenac, en 1327, pour le village des Boys ; 4° Raymond d', en 1327, pour le château de Grossaldet ; 50 Aymeric de Ribier, en 1330, pour un fief à Saint- Martin-Valmeroux ; 6° Pierre de Tournemire, en 1331, pour un fief situé à Saint-Martin-de-Valois ; 7° Pierre et Guy de Salers, en 1331, pour la terre de Navaste ; 8° Begot de Pleaux, en 1332, pour Bourcenac, Chameyrac et autres lieux ; 9° Raymond de Miramont, en 1340, pour le château de Miramont ; 10° Guillaume Lafarge, pour les fiefs des Chaumeils, à Anglards et de Soursac, à Méallet ; 11° Bertrand d'Escorailles et Guillaume de Mauriac, sei- gneur de Miramont, pour des rentes à Saint-Chamand ; 12° Guy des Champs, pour une seigneurie située à Saint- Bonnet ; 13° Raoul d'Escorailles, pour moitié du village de la Vigne ; 14° Aymeric de Tournemire, pour une seigneurie située à Saint-Bonnet ; 15° Benoit de Saint-Christophe, Pierre de Saint-Bonnet, Hugues de Ribier et Guillaume Marion, pour des fiefs situés à Saint-Martin-Valmeroux. 16° Pierre de Lagarde, pour un fief situé à Saint-Cernin ; 17° Bernard de Saint-Bonnet, pour un fief situé à Saint- Bonnet ; 18° Guy de Navaste, pour un fief situé dans la ribeyre de Claviers ; 19° Pierre de Nozières, pour l'affar de Nozières ; 20° Rigal de la Tour, pour les fiefs de Vigier et de Cha- meyrac ; 21° Rigal de Fontanges, pour un fief à Nozières et l'affar de Malasarte. 22° Robert d'Albars, pour un fief inconnu ; 23° Guillaume de Nozières, pour le château de Nozières, près , et pour le village du Bousquet, près de Prunet ; 24° Guillaume de Tournemire, pour les fiefs de Core, de la Rivière et de la Vergne, situés dans les environs de Saint- Chamant ; 25° Aymeric de Fontanges, pour Bourcenac ; 26° Géraud de Saint-Cirgues, pour un fief situé à Saint- Cirgues ; 27° Géraud de Montel, baron de la Roquebrou et de Car- bonnières pour son château et un grand nombre de villages ; 28° Gilbertie, femme de Durand de Montai, pour le châ- teau de la Roquebrou, le village d'Alquier et autres lieux ; 29° Guilelme, veuve d'Aimery de Fontanges, pour une maison à Saint-Cirgues-de-Malbert et le droit de construire une forteresse dans le même lieu ; 30° Hugues de Fontanges, pour un fief situé à Cushalet et des rentes à Tougouzes, Bazolles, Fau, etc. 31° Guillaume de Sailhans, pour des terres situées au Falgoux et à ; 32° Le doyen de Mauriac, pour le village d'Angles, échangé pour moitié avec Besson, chevalier de Marcenat. Il avait pris l'engagement de fournir deux perdrix à l'évêque, lors de sa première venue à Mauriac et de lui payer en outre six deniers. 33° Guy de Salers, pour la forteresse de Saint-Paul et parce qu'il tenait près de l'église de ce village ; 34° Raoul de Pleaux, pour plusieurs fiefs ; 35° Jean de Fontanges, pour Custrac ; 36° Rigal de Saint-Christophe, pour des dimes et de la cire à percevoir dans plusieurs paroisses ; 37° Aimery de Murat-la-Rabe, pour un village ; 38° Galienne, abbesse de , pour la ville de Bra- geac et ses appartenances ; 39° Olivier d'Albars, pour la moitié de ce qu'il tenait au pont de Saint-Cirgues et pour d'autres lieux ; 40° Pierre de Pleaux, pour ce qu'il tenait de l'abbé de Charroux, à Pleaux ; 41° Béraud de Montai, pour divers objets ; 42° Hugues de Fontanges, pour le repaire de la Vozeyras; 43° Le vicomte de Ventadour, 1° pour le château de Charlus, avec ses appartenances ; 2° pour Mauriac et ses dépendances ; 3° pour Telde ; 4° pour le château de Mira- mont ; 6° pour celui de Montclar; 6° pour Beauclair; 7° pour Morlat ; 8° pour ce qu'il avait sur les bords de la Dor- dogne, du côté d'Auvergne, allant de Clermont à Saint- Martin ; 44° Béatrix d'Olliergues, veuve de Bertrand de la Tour et tutrice de ses enfants mineurs : 1° pour le château de Savène ; 2° pour celui de Rignac et pour tout ce qu'elle tenait depuis le pont de Saint-Thomas, du côté de Pleaux, Salers, et Escorailles, en allant à Clermont ; 3° pour le château de Fleurac et de ses dépendances ; 4° pour les maisons fortes de , de Courdes, de la Goustade, de Montbrun et leurs appartenances ; 5° pour le château de Claviers, avec ses dépendances et pour ce que tenait Géraud, comptour de Saignes ; 6° pour la ville de Riom, ses dépen- dances et les propriétés que le seigneur de la Tour arvait à Saignes, à l'exception du château et de la ville qu'il tenait du dauphin d'Auvergne ; 45° Astorg de la Tour, pour le village de Tarrieux, situé aux environ d'Ally et pour d'autres lieux ; 46° Guillaume de la Garde, pour un fief situé à Saint- Chamand ; 47° Henri, comte de Rodez, pour ce qu'il avait à Vie et à Polminhac ; 48° Pierre de Montclar, pour Chastenet, dans les apparte- nances de Saint-Bonnet ; 49° Astorg de la Tour, pour ce qu'il avait à Barriac ; 50° Hugues de Guillem, pour la forteresse du Fayet, à Chamblat, et pour ce qu'il avait sur la rivière de Marlhollx; 51° Benoit de Marlat, pour ce qu'il tenait à Marlat ; 52° Guillaume d'Albars, pour Saint-Cirgues ; 53° Brun de Claviers, pour son fort du Fayet ; 54° Hugues de Fontanges, pour Custrac, Cisternes, Nozières, Marlhac, Védrines, Saint-Rémy, Plagnes et autres lieux ; 55° Ebles, vicomte de Ventadour, pour Charlus et autres lieux ; 56° Foulques de Montalan, pour divers objets. Ainsi qu'on peut le constater par cette longue liste de 56 personnages des environs plus ou moins proches ou éloignés de Saint-Martin-Valmeroux, qui, au XIIIe siècle, se reconnaissaient vassaux de l'évêque de Clermont, il y en avait un certain nombre qui lui faisaient hommage pour plusieurs fiefs. C'est sans doute ce qui a porté réminent et très regretté historiographe de notre province, M. Mar- cellin Boudet, dans son ouvrage sur Eustache de Beau- marchais, à dire que « vers le milieu du XIIIe siècle, Ouy de la Tour, évêque de Clermont, était suzerain, dans les montagnes d'Auvergne, de trois à quatre cents fiefs nobles, et que (je prie mes lecteurs de retenir ce qui suit) le centre de son administration, au delà des monts du Cantal, par rapport à Clermont, était établi à Saint-Martin-Valme- roux (1) ». Une contestation a cependant été élevée, au sujet de la seigneurie de Saint-Martin-Valmeroux, par M. Delalo. Dans son très remarquable article sur Salers, qu'a donné le Dic- tionnaire statistique du Cantal, cet historien faisant allu- sion au deuxième des hommage de la liste ci-dessus, celui de Guy de Salers portant sa foi à l'évêque de Clermont, à raison de tout ce qu'il tenait entre la rivière la Maronne et le ruisseau de Malrieu, déclare : « Je dois dire ici que ce n'était pas comme seigneur de Saint-Martin que cet hom- mage était rendu à l'évêque, mais bien en sa qualité d'évê- que de Clermont. C'est par erreur que M. Déribier, à l'arti- cle sur Saint-Martin-Valmeroux, de son dictionnaire, a dit que le grand nombre d'hommages qu'il cite étaient rendus à l'évêque comme seigneur de Saint-Martin-Valmeroux. J'ai

Cl) Eustache de Beaumarchais, p. 66. vu aux archives de la préfecture, à Clermont, quelques-uns de ces hommages, et il n'en est pas un qui soit rendu à cause de la seigneurie de Saint-Martin-Valmeroux, comme on n'aurait pas manqué de l'exprimer. Ils sont tous faits à l'évêque de Clermont, même celui du 15 juillet 1337, rendu par Géraud Marion, pour l'affar de Lalo et autres à Saint- Martin-Valmeroux (1) » La contestation suscitée par Delalo me paraît subtile. Sans doute, on ne saurait nier que tous les hommages pré- cédemment cités n'aient été faits à l'évêque de Clermont, plutôt qu'au seigneur de Saint-Martin-Valmeroux, mais les deux qualités ne reposaient-elles pas sur la même tête, et l'évêque de Clermont n'était-il pas obligé d'avoir en Haute- Auvergne, pour ses relations avec ses nombreux vassaux, un point central d'administration ? Il est évident que si, et - comme le dit M. Boudet, ce point central d'administration « était établi à Saint-Martin-Valmeroux » Et ce lieu avait été sans doute choisi par l'évêque de préférence à tout autre, comme étant déjà le siège du bailliage royal des montagnes d'Auvergne. D'ailleurs, du bien fondé de notre opinion, nous trouvons la preuve formelle dans un document que nous citerons plus loin, mais que nous pouvons d'ores et déjà faire con- naître en partie. Lorsqu'au milieu du XVIE siècle, l'évêque de Clermont aliéna sa seigneurie de Saint-Martin-Valme- roux, au profit de Jean de Rillac, voici en quels termes il énumérait les biens et droits vendus : « Entr'autres les châteaux, ville et faubourgs, baronnies, cens, rentes, hom- mes sujets en toute justice haute, moyenne et basse du mandement, ressort et bailliage de Saint-Martin-Valmeroux des montagnes d'Auvergne, ainsi qu'il se comporte avec les fiefs, aveux, hommages, droits et devoirs ressortissant immédiatement par les seigneurs féodaux au dit seigneur évêque ET AYANT ACCOUTUMÉ ÊTRE APPELÉS ET RÉPONDRE A LA DITE SEIGNEURIE DE SAINT-MARTIN-VALMEROUX (2). »

(1) Diet. stat. du Cantal, voir Salers p. 177. (2) Arch. dép. P.-de-D. Fonds de Ribier-Sartiges, L. Pourrait-on valablement soutenir qu'une formule aussi compréhensive s'appliquât au seul fief de la paroisse de Saint-Martin ? Je crois que la réponse n'est pas douteuse et par conséquent que la contestation opposée par M. Delalo à M. Déribier n'était pas fondée.

Château de Saint-Paul

Donc, un fait est certain : Au XIIIe siècle, l'évêque de Clermont, en vertu d'un titre, dont l'origine ne nous est pas connue, était seigneur féodal de Saint-Martin-Valme- roux ; non de toute la paroisse cependant, car je dirai dans un moment, qu'à la même époque, il existait, dans cette même paroisse, une autre seigneurie,. Parmi les vassaux de l'évêque de Clermont, autour de Saint-Martin, on trouve les familles les plus importantes de la région, les Fontanges, les Salers, les Scorailles, les Tournemire, les Ribier, les Miramiont, les Montclar, les Ventadour etc. Je ne parlerai que de l'une d'elles, celle dont par le fait du voisinage, les intérêts paraissent avoir été le plus étroi- tement liés à ceux de la seigneurie de Saint-Martin. C'est la famille de Fontanges. Le plus ancien document que je connaisse relativement aux hommages faits à l'évê- que de Clermont, à raison de cette seigneurie, est celui que Jean de Fontanges rendit à ce prélat, en 1261, pour le château de Saint-Martin-de-Villemel'oux (sic) mouvant de toute antiquité de son église (1). Au XVe siècle, nous trouvons un Guillaume de Fontanges qui est chancelier au bailliage royal de Saint-Martin-Val- meroux et seigneur de Nozières. Or, cette seigneurie était tout proche dudit Saint-Martin, à deux kilomètres envi- ron (2) et pour elle, nous avons vu, dans la longue liste des hommages à l'évêque de Clermont, donnée plus haut, Rigal de Fontanges d'abord, Hugues de Fontanges ensuite, se déclarer vassal de cet évêque. Le fief de Nozières, au XV8 siècle, passe de la famille de Fontanges dans celle des Rillac, du Limousin, par le fait du mariage d'Hélène de Fontanges avec Louis de Rillac. Voici donc les Rillac devenus vassaux de l'évêque de Cler- mlonÍ, à raison de la seigneurie de Nozières, dépendante de celle de Saint-Martin-Valmeroux. Et enfin, en 1563, Jean l'r de Rillac deviendra titulaire de cette seigneurie épiscopale. Comment s'est faite, par ce Rillac, l'acquisition de la seigneurie de Saint-Martin ? C'est un point de notre histoire locale, qui, jusqu'à ce jour, semble avoir été ignoré où du moins laissé de côté. (1) Manuscrit Crouzeix, p. 28, à la Blbl. de Clermont. (2) Le siège de la Seigneurie de Nozières se trouvait dans le coquet petit château que l'on aperçoit à 2 kilomètres au sud de Saint-Martin joliment perché sur une éminence dominant la vallée, et qui porte le nom de château de Saint-Paul. Son dessin figure page 34. Les historiens qui ont écrit sur notre région se bornaient à constater qu'au XVIe siècle, en 1566, disaient-ils, l'évêque de Clermont, Cardinal Salviati, avait cédé sa seigneurie de Saint-Martin-Valmeroux à Jean de Rillac. Mais pourquoi cette cession ? Fut-elle faite à titre oné- reux ou à titre gratuit ? Et pour quel motif cet abandon ? De tout cela ils ne disaient rien. Il m'a paru désirable, dans une étude sur les seigneuries de Saint-Martin, de ne pas laisser un point de cette impor- tance sans essayer de l'éclaicir. Voici ce qu'après pas mal de recherches je suis parvenu à découvrir : ça n'est point tout ce qu'on pourrait désirer ; je crois que c'est au moins l'essentiel. Et tout d'abord qu'était ce cardinal Salviati qui prit sur lui de céder à prix d'argent la seigneurie de Saint-Martin- Valmeroux appartenant aux évêques de Clermont, depuis au moins le XIIIe siècle, alors qu'il était de principe que les biens d'église ne se vendaient pas ? Ses biographes nous apprennent qu'il était né à Florence, en 1492 et qu'il mourut à Rome en 1568. D'abord chevalier de Saint-Jean-de-Jérusalem, Bernardo Salviati, prit part à diverses expéditions contre les Corsai- res barbaresques et parvint même au grade de général des galères. Las de cette vie aventureuse, il se souvint qu'il avait une cousine sur le trône de France, qui pourrait lui être utile. Il se rendit donc à Paris auprès de cette illustre parente, qui n'était autre que Catherine de Médicis. Celle-ci l'ayant engagé à embrasser l'état ecclésiastique, notre florentin n'hésita pas à écouter sa puissante cousine. Cathe- rine commença par en faire son premier aumônier ; puis, elle le fit nommer par le roi évêque de Saint-Papoul (dans l'Aude) ; enfin elle le recommanda au Pape Paul IV pour un chapeau de Cardinal : « Je veux vous supplier, écrivait- elle à ce Pontife, de me faire cette grâce que mes cousins l'évesque ee Saint-Papoul et celui de Béziers soient Cardi- naux ». Mais, nous apprend Lucien Romier, dans ses très inté- ressantes Origines politiques des guerres de religion, la chose n'alla pas toute seule et faillit même un moment brouiller la Cour de France avec Paul IV. Voici en effet, ce que nous lisons dans cet ouvrage : « En 1557, parmi les candidats au chapeau de cardinal, l'un Bernardo Salviati, évêque de Saint-Papoul, était très cher à Catherine de Médicis, sa cousine. Or, dans la promotion du 15 mars de cette année, Paul IV ne nomma ni cet évêque, ni la plupart des protégés français... Nous verrons quelle fureur déchaîna cette promotion à la Cour de France, de la part surtout de la reine se jugeant personnellement offensée (1). » Et plus loin le même auteur reprenant la question écrit: « La promotion des cardinaux du 15 mars 1557 provoqua, nous l'avons dit, la plus vive irritation. Henri II, Catherine, le Connétable se montrèrent indignés. « La reine, écrivait le nonce, était dans une telle fureur qu'à peine a-t-elle voulu m'entendre ». Elle criait qu'on s'était moqué d'elle et que le Pape lui avait fait un grand affront, car son pro- tégé, Bernardo Salviati, trop confiant dans les promesses de Paul IV, était parti d'avance pour aller à Rome, recevoir le chapeau qu'on ne lui avait pas donné (2). » Cependant Paul IV étant mort en 1559 et ayant été rem- placé par Pie IV, celui-ci, en 1561, nomma Salviati, évêque de Clermont et lui donna le chapeau si désiré. Le cardinal Salviati ne résida pas dans sa ville épis- copale. Il préférait le soleil de Rome au climat rigou- reux des montagnes d'Auvergne ; aussi fit-il gouverner son diocèse par un de ses neveux, Julien Salviati. qu'il avait choisi pour son vicaire général. Or, à cette époque, la France était en proie au terrible fléau des guerres de religion. Ces guerres qui semaient la discorde entre Français, et faisaient couler le sang d'un si grand nombre d'entr'eux, épuisaient aussi les ressources

(1) Les origines politiques des guerres de religion, par L. Romfer, page 154. (2) Les origines politiques des guerres de religion. par L. Romier, page 171. des contribuables, saignés à blanc par les demandes conti- nuelles de subsides nécessaires pour l'entretien des combat- tants. En mai 1555, Simon Renard écrivait : « Le roi de France a condescendu à la trêve de Vaucelles et cessation d'armes par nécessité, ne trouvant plus moyen de tirer de son peu- ple argent ou finance pour soudoier la guerre plus long- temps ; estant le peuple si appauvri des exactions et con- tributions, estant les églises et les ecclésiastiques si rechas- trés par les décimes et accrues de décimes et autres impo- sitions, estant la noblesse si pauvre et si désacréditée par les contributions, qu'on ne peut plus trouver de ressour- ces (1). » Lucien Romier, toujours dans l'ouvrage cité plus haut, rapporte cette annonce faite par Dalmatio au cardinal Farnèse, le 13 mars 1558 : « Les provisions de guerre se font icy (en France) plus grandes et gaillardes que ne furent jamais et surtout d'argent extraordinaire. Entre autres provisions, on a fait un impôt des poudres et salpê- tres, et pareillement l'on couche au ban et à l'arrière-ban les biens d'église amortis et autres qui n'y avaient jamais été compris (2). » Et plus loin le même auteur écrit : « Ce qui rendit plus graves et plus apparents les excès de la fiscalité de Henri II fut qu'ils lésèrent le clergé... Les années de 1552 et 1553 apportèrent aux bénéficiers beau- coup d'ennuis. Dès l'automne 1552, parmi les préparatifs de la défense de Lorraine, le roi songeait à demander au clergé en don la moitié de ses revenus. Quelques semaines après, au mois de décembre, on résolut d'imposer les im- meubles de l'Eglise de France; vendre toutes les maisons que possédaient à Paris les Eglises du royaume, maisons qui étaient fort nombreuses, sous réserve que le clergé rece-

(1) Les origines politiques des guerres de religion, par L. Romier, page 229. (2) Les origines politiques des guerres de religion, par L. Romier, p. 234. vrait annuellement une rente égale à celle représentée par la valeur marchande de ces immeubles. Le nonce fit une vive opposition à cette mesure qui eût abouti à une simple confiscation. De fait, la mise en pratique fut retardée. Mais en février 1553, un édit chargea les -officiers de finances de dresser une liste de tous les biens, immeubles, censives et fiefs que possédaient les Eglises, afin de s'en servir au besoin. » Ces faits historiques étant rappelés, il me parut dès lors, sinon évident, du moins bien probable, qu'il fallait ratta- cher la vente, par l'évêché de Clermont, de tous ses droits sur la seigneurie de Saint-Martin-Valmeroux, à quel- qu'une de ces mesures fiscales prises par le roi pour parer aux frais des guerres de religion. Et il y en eut plusieurs à partir de mai 1553, notamment l'édit de mai 1563. Mais où en trouver la preuve ? C'est alors que ma bonne fortune me fit mettre la main sur un document dormant depuis longtemps sous la poudre des Archives départemen- tales du Puy-de-Dôme, dans le fonds, non inventorié, de Ribier-Sartiges. J'y trouvai la preuve que c'était bien à l'exécution du projet de l'édit de mai 1563 prescrivant la vente de certains biens d'église, qu'était due la cession de la seigneurie de Saint- Martin- Valmeroux par le car- dinal Salviati à Jean de Rillac. De ce document, qui n'est malheureusement pas .l'acte de cession lui-même, mais seulement un procès-verbal de saisie des justices dépendant du fief de Saint-Martin par son acquéreur, Jean de Rillac, il ressort que cette acquisition date, non de 1566, comme les historiens d'Auvergne l'avaient cru jusqu'à ce jour, mais bien de 1563. Leur erreur est provenue sans doute de ce que le procès-verbal dont je parle porte sur sa cou- verture la date de 1566. Faute d'analyser le contenu de ce grimoire, on a attribué cette dernière date à la cession elle- même. De ce procès-verbal, j'ai extrait textuellement les lignes suivantes : « ... A été exposé que le bon plaisir du roy, peut avoir trois ans (donc en 1563). pour ses urgentes et grandes affai- res à lui survenues aurait fait prendre et saisir par MM. les baillis et sénéchaux de son royaume, les justices, chevances, domaines, châteaux, terres, cens et autres droits et devoirs appartenant à MM. les gens d'église d'iceluy royaume, pour les faire vendre, pour les deniers en provenant être employés à la volonté et bon plaisir de Sa Majesté. Et aussi par autres lettres patentes, le dit roi ayant considération à la dite aliénation, aurait permis aux dits seigneurs du clergé, afin qu'ils pussent plus aisément recouvrer parti des rentes qui leur auraient été vendues, leur fut permis par mêmes et autres lettres pouvoir vendre de leur propre fonds encore restant de leurs dits chevances, justices, châteaux, dîmes, perciaires et droits en dépendant. » Après cet exposé, dont je n'ai pas besoin de souligner l'archaïsme du style, le document ajoute que « le cardinal Salviati, .évêque de Clermont, pour subvenir au rachat de plusieurs aultres bons devoirs appartenant au dit évêché, aurait fait exposer et proclamer en vente plusieurs autres menus droits et devoirs d'icelui évêché, entr'autres les châteaux, ville et faubourgs, baronnies, cens, rentes, hom- mes sujets en toute justice haute, moyenne et basse du mandement ressort et bailliage du lieu et paroisse de Saint- Martin-de-Valmeroux des montagnes d'Auvergne ainsi qu'il se comporte avec les fiefs, aveux, hommages, droits et devoirs ressortissant médiatement par les seigneurs feu- daux sujets au dit seigneur évêque, faits et ayant accou- tumé être appelés et répondre à la dite seigneurie de Saint- Martin. » Le procès-verbal enfin déclare que « le seigneur Jean de Rillac, AYANT ÉTÉ LE PLUS OFFRANT, a été mis en possession de la séigneurie vendue par le cardinal Salviati. » Il résulte du titre ci-dessus — qui n'est pas l'acte de vente lui-même, je le répète, — qui n'est qu'un procès- verbal de saisie opérée par Jean de Rillac, le cessionnaire du cardinal Salviati, sur certains de ses nouveaux vassaux, que nous sommes maintenant fixés approximativement sur la date de cette cession. Le procès-verbal qui est de 1566, dit qu'elle a eu lieu en suite de la saisie des biens et droits des gens d'église ordonnée par le roi « peut avoir trois ans », donc vers 1563. Il nous renseigne aussi sur la cause de la cession : l'obligation de satisfaire au ordres du roi en vue de lui fournir les subsides nécessités par ses urgentes et grandes affaires, qui sont évidemment les guerres de religion. Nous y voyons encore que le roi, pour faire plus facile- ment accepter par les chefs de l'Eglise la mesure excep- tionnelle qu'il leur imposait à son avantage, leur permettait d'en tirer un personnel profit, puisque le document porte que « le roi ayant égard à la dite aliénation (faite en sa faveur) leur aurait permis par d'autres lettres de vendre de leur propre fonds encore restant de leurs dits chevances, justices, châteaux, dîmes, perciaires et droits en dépen- dants », pour dédommagement de l'opération faite en faveur du roi. Le procès-verbal de 1566 que j'analyse nous fournit aussi la preuve, contrairement à l'assertion de M. Delalo, rela- tée ci-dessus, que de la seigneurie épiscopale de Saint- Martin-Valmeroux dépendaient un très grand nombre de seigneuries mentionnées plus haut. En effet la cession faite par le cardinal Salviati à Jean de Rillac portait sur « les châteaux, ville et faubours, baronnies, cens, rentes, hom- mes sujets en toute justice haute, moyenne et basse du mandement ressort et bailliage de Saint-Martin-Valmeroux, ainsi qu'il se comporte avec les fiefs, aveux, hommages, droits et devoirs ressortissant médiatement par les sei- gneurs feudaux au dit seigneur évêque et ayant accoutumé être appelés et répondre à la dite seigneurie de Saint-Mar- tin-Valmeroux. » Il nous renseigne enfin sur le caractère de la cession faite par le cardinal Salviati à Jean de Rillac. Elle n'a pas lieu à titre gratuit, mais bien à titre onéreux, et par voie d'enchères, puisqu'il est dit que le seigneur de Rillac a été le plus offrant. Malheureusement le procès-verbal ne nous fait pas connaître le montant de l'adjudication que seul pourrait révéler l'acte de vente lui-même, qui persiste à demeurer caché. Ta ble d es Gravures

Tourelle ; L'arrivée sur la place 9 Porte de la tour Montjoly il Tour de la tour Monitjoly 13 Château de St-Paul 34 Cha'stel del Peuch 44 Château de Branzac 75 Vue de S al e rs 91 Ruines de Crévecœur 93 Porte de la Martille, à Salers 94 Façade de l'église 96 Clocher vu des jardins 98 Nef de l'église 102 Armoiries de J. de Comborn 103 Tireur d'épine 105 La Licorne 110 Buste de Saint Martin (horsi texte) .. 117 Portrait de M. Salvage (hors texte) 141 Un coin de la place à St-iMartin .... 147 L'hospice 168 Vieille maison (Cour) .. 172 Monument aux morts de St-Martin (hors texte) 187 La statue de la Vierge 191 Pierre-mesure de la harle 197 Le pêcheur 213 La cascade 223 La ganterie 233 Le vieux fermier 249 La traite des vaches 279 Halle et vieille maison 385

AURILLAC. — IMP. MODERNE

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