HOU HSIAO-HSIEN, Robin Mognetti, Département Cinéma/ cinéma du réel, Haute École d’Art et de Design de Genève, février 2016. Sommaire

Avant propos 3

Introduction 7

L’expérience, une mémoire individuelle et collective

Taiwan : Histoire d’une diaspora chinoise. 11 a) 1986, l’énergie d’une année manifeste aujourd’hui sur le déclin. b) Hou hsiao-hsien, un cinéate soudeur de temps.

Impossibilité d’une reconnection Nord Sud? 18 a) La profondeur de champ : région virtuelle du passé et contraction du présent. b) Taoïsme et détachement : l’existence comme acte. Un héritage.

Du haut d’un arbre...

Le plan ou l’enjeux d’une méthode subversive dans Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo. 26 a) Plan Long : distance gardée et esthétique du vide. b) Plan séquence différentiel : l’essence du passage, un autre rapport au temps.

Bande sonore : Bande son Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo. 33 a) Présence active du non-visible, esthétique de la frustration. b) Une sorte d’anti-matière sonore, un manque.

Un regard perspectiviste

Continent et île, ville et campagne, intérieur et extérieur. 41 a) Taipei : miroir d’ombres sous influence. b) Construction d’une nouvelle histoire à la recherche d’anonymes.

Conclusion 51 Sommaire

Avant propos 3

Introduction 7

L’expérience, une mémoire individuelle et collective

Taiwan : Histoire d’une diaspora chinoise. 11 a) 1986, l’énergie d’une année manifeste aujourd’hui sur le déclin. b) Hou hsiao-hsien, un cinéate soudeur de temps.

Impossibilité d’une reconnection Nord Sud? 18 a) La profondeur de champ : région virtuelle du passé et contraction du présent. b) Taoïsme et détachement : l’existence comme acte. Un héritage.

Du haut d’un arbre...

Le plan ou l’enjeux d’une méthode subversive dans Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo. 26 a) Plan Long : distance gardée et esthétique du vide. b) Plan séquence différentiel : l’essence du passage, un autre rapport au temps.

Bande sonore : Bande son Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo. 33 a) Présence active du non-visible, esthétique de la frustration. b) Une sorte d’anti-matière sonore, un manque.

Un regard perspectiviste

Continent et île, ville et campagne, intérieur et extérieur. 41 a) Taipei : miroir d’ombres sous influence. b) Construction d’une nouvelle histoire à la recherche d’anonymes.

Conclusion 51 Au commencement, une question : Qu’est-ce que le Cinéma du réel pour vous? Une question légitime a priori pour le Département Cinéma Cinéma du réel de la HEAD de Genève. En proie à ma propre subjectivité, je me rappelle m’être demandé si une solution existait pour résoudre cette ambiguité entre le réel et l’imaginaire dans le cinéma du réel.

À l’intérieur de cette question légèrement naive résidait déjà la réponse à savoir qu’il n’y a pas un Réel mais bien une multitude de réels, de réalités. Autrement dit, autant de subjectivités qu’il y a de regards de cinéastes. Comment faire le tri alors et se trouver une place? Justement, je crois que tout l’intérêt de cette formation aura été de saisir l’atout majeur d’un cinéma en perpétuelle mutation, indomptable ou plutôt inépuisable. Si le documentaire peut s’arrêter là où commence la fiction et inversement, je crois qu’il n’y a plus à trancher mais à laisser le sujet choisir. Le sujet, c’est celui ou celle que je filme, celui ou celle qui déterminera ma méthode, le processus de construction du film. Ainsi, peut être que la rencontre avec l’oeuvre d’Hou Hsiao-hsien est venue à temps. Car lui aussi s’intéresse à son prochain.

Goodbye South Goodbye comme Millenium Mambo de Hou Hsiao-hsien font partis de ces films déclencheurs qui ne préviennent pas. De l’épuration de la mise en scène dans son oeuvre et plus particulièrement dans ces deux films, subsiste un souffle vital qui m’a bouleversé. J’ai été traversé par une énergie nouvelle et insolite. Mon implication au cours du film avait été beaucoup sollicité face à une narration très échelonnée et linéaire. Cependant, je n’avais pas prévu de ruminer ces films et ce, bien avant l’écriture de mon mémoire. C’est un travail en amont et en aval du film que Hou Hsiao-hsien construit. La participation du spectateur y est attendue pour donner une suite au regard salutaire du cinéaste qui ne condamne pas mais éclaire. 3 4

Dès son enfance, la singularité de son cinéma, à cheval entre l’héritage d’une culture chinoise et un présent contracté par des rituels vides, est déjà là et l’impreigne. Entre le temple taoïste à côté de chez lui où se transmet des légendes tirées de l’histoire ancienne de la Chine et la rue où il commet ses premiers larcins, Hou Hsiao-hsien vit. Son cinéma en est la marque indélébile. Je n’ai donc pas simplement vu un film mais la retranscription d’expériences à partir de souvenirs. Des tranches de vies à la fois ancrées dans un éclaircissement de son passé et un présent où seule la captation de ce qui se passe compte. J’ai été fasciné par cette approche et plus particulièrement par ces figures de hors-la-loi en voie de disparition qui luttent désespérem- ment contre leur anonymat. Cet angle m’intéresse car c’est un des reflets des grandes villes. Cette ivresse permanente de pouvoir et de notoriété est aujourd’hui jumélée aux nouveaux réseaux de communication redéfinissant sans cesse ces rapports souvent stériles.

Très vite, j’ai compris que l’analyse de ses films serait indissociable de celle d’une culture, ou plutôt d’une philosophie confuséenne basée sur la recherche d’un équilibre entre des énergies opposées. Je suis admiratif du travail de maturation qui a accompagné son oeuvre notamment en observant la symbiose qu’il a su créer entre une étude contemplative très ancrée dans un réel et un détachement de ce qui l’entoure. La distance qui me sépare de l’action laisse place à une réalité impalpable, proche de l’effacement mais qui me touche tout de même.

Ce système formel qui consiste à observer et à ne pas intervenir conditionne un état d’attente qui s’apparente à une inlassable reconquête d’une identité, celle de son île : Taiwan. C’est une des facettes de son oeuvre, un devoir qu’il associe également au financement de films émergants, d’une relève. Au delà de cet attrait que j’ai pour ses partis pris formels qu’il adapte à chacun de ses projets, il m’a donné envie de m’entourer de proches pour élaborer de nouveaux projets. Aux côtés de sa scénariste attitrée : Chu Tien-wen, Hou Hsiao-hsien a développé une complicité qui dépasse la simple collaboration car c’est un échange permanent d’idées et de remaniements décomplexés :

« Aux côtés d’Hou Hsiao-hsien je joue le rôle 3 4 d’un écho. Hou Hsiao-hsien est un très grand créateur, et mon rôle consiste à fixer dans le langage le mouvement de cette immense créativité. La création fait entrer dans une sorte de demi-sommeil ou de demi-rêve : elle pousse à remuer des choses très profondes sans avoir la claire conscience de ce qu’on est en train de faire. Je reste du parti des mots : pour moi, les films de Hou Hsiao-hsien ne sont jamais aussi beaux qu’au stade des discussions préparatoires » 1. Tous les deux sont une seule et même voix dans la ville aux degrés de trivialité divergents certes, mais au regard tendre pour les bas-fonds, d’un amour de jeunesse pour l’école de la rue et leurs outsiders.

« Je trouve que la société taiwanaise est imprégnée de quelque chose de primitif. Au sens où y perdure la lutte entre les mâles. Il faut toujours prouver sa virilité, comme un animal. Je suis fasciné par la force et le panache du monde masculin. La politique est le lieu même du pouvoir et pourtant elle m’intéresse moins. Trop de calcul, trop de bassesses. Le milieu des gangsters, qui est un univers de virilité, est plus romantique, plus droit. À Taiwan, je ressens ce côté primitif. J’ai vécu moi-même dans ce monde viril, dans ma jeunesse (...) Il fallait toujours être le meilleur, réussir à être le patron du quartier, sinon on n’était rien. Un homme doit savoir se comporter en homme. Mais aujourd’hui, l’homme affirme moins sa virilité. La femme sera plus forte que l’homme, le monde va changer, j’en suis sûr. J’ai la nostalgie de ce monde masculin, de ses rivalités » 2.

1 Propos de Chu Tien-wen recueillis par Emmanuel Burdeau à Taipei en août 1999 Extrait de Hou Hsiao-hsien sous la direction de Jean-Michel Frodon, Éditions Cahiers du cinéma, 1999. 2 Propos de Hou Hsiao-hsien tirés du Portrait de Hou Hsiao-hsien par Olivier Assayas, AMIP - ARTE France - INA - France 1997.

5 5 Hou Hsiao-hsien a su ériger à travers ses différentes périodes une esthétique du quotidien à laquelle Tsai Ming Liang, un cinéaste d’une autre génération sera sensible. Chacun à leur façon, ils radiographient en creux le mal être de leur génération et celles qui les précèdent. Cinéastes de l’observation et de l’accompagnement, ils s’improvisent topographes de la ville moderne. Ensemble, ils segmentent les espaces urbains étriqués de ces métropoles grandissantes et tirent un constat inquiet sur leur société. C’est pour moi une vision intelligente, ancrée dans le présent et qui exclue toute morale.

La filmographie de Hou Hsiao-hsien est l’accomplissement d’un cheminement d’une pensée sous la forme de strates. Des blocs compacts de réalités comme autant de glacis, de reconsidérations, de choix. Un géologue à la recherche des eaux troubles de territoires vierges. Comme Jia Zhang-ke, Hou Hsiao hsien requestionne cette légitimité à déterrer le passé pour mieux l’actualiser :

« Je donne une possibilité à ces personnes de s’exprimer sur leur vie, ce qu’ils n’ont pas souvent l’occasion de faire. En Chine le travail de mémoire reste quasi inexistant et cela m’importait de me glisser dans ce territoire immense et inexploré » 1.

Si les films de Jia Zhang-ke, font véritablement oeuvre de mémoire et de résistance contre l’effacement, il est au contraire question de soustraction chez Hou Hsiao hsien. Une méthode soustractive dont parle Anthony Fiant dans le sens d’un déterrement de couches, du resurgissement de périodes oubliées dans le terreau opaque du régime politique de l’île :

7 8 « Soustraire n’est pas éliminer. Subsiste autour du visible, autour du champ représenté, un hors champ particulièrement prégnant, riche, porté sur le monde » 2.

À l’image de souvenirs enfouis dans le temps, ses récits sont elliptiques et fragmentés. Si bien qu’à certains moments j’avais l’impression de me trouver devant une forme vidée à l’extrême où le contenu semblait quasi absent. Mais les apparences sont trompeuses car c’est en réalité une grille de lecture qu’il nous offre, une mise à distance où rien n’est isolé, où tout cohabite. Par projection, il entre en contact avec des individus et arrive à suggérer ce qui s’est joué au sein de leurs existences. Les corps jeunes et bloqués dans ses films semblent condamnés à un vide existentiel. C’est sur un hiatus (dans le sens d’une ouverture, d’un bâillement) sur lequel ils trébuchent. Frustrés de ne pas arriver à prendre en main leurs avenirs, ils redoutent un prochain échec. À force, ils paraissent s’accomoder à ce sentiment de non achèvement voire à s’y complaire, faute de mieux.

Quels sont les facteurs qui lui permettent de sonder ces vies, ces hommes et ces femmes qui ne parviennent pas à se réaliser aussi bien au niveau matériel que spirituel? Comment face à ces destins pathétiques, Hou Hsiao hsein insuffle-t-il de la vie? Voici une de ses réponses :

« Chaque chose, chaque personne est différente. Chaque personne a son propre milieu, son propre environnement. Il est donc inutile et vain de juger. Ce que je veux c’est être au milieu, et simplement voir ce qui se passe à l’intérieur de chaque environnement, sans chercher à porter de jugement. Je sais que je ne suis jamais qu’une subjectivité, mais je peux malgré tout essayer de me situer au milieu des choses sans imprimer la marque de ma subjectivité sur celle des autres. Jusqu’à présent, c’est toujours en ce sens que j’ai travaillé » 3.

Deux films exemplaires de sa période contemporaine : 7 8 Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo m’ont suffisamment fait voyager pour décider d’en faire le nerf central de ce mémoire. Autour de ces deux référents gravite des similitudes et des différences que j’ai tenté prudemment de relever. Dans une première phase d’approche il m’a semblé important d’éclaircir les facteurs qui ont permis l’émergence d’un nouveau cinéma taiwanais libéré des chaînes du Kuomintang et de la loi martiale. Comment certains de ces cinéastes taiwanais comme Hou Hsiao hsein sont allés réévaluer les périodes occultées de l’hisoire de Taiwan pour créer une poétique des êtres et des lieux. Des êtres comme autant de figures en filigrane qui vont accompagner son cinéma et sonder les tréfonds de l’âme taiwanaise à la recherche de voix étouffées, d’une contre-histoire.

De ce premier état des lieux, et pour débuter une analyse comparative entre ces deux films, j’ai tenté de mettre en exergue les enjeux des partis pris sonores et visuels de Hou Hsiao-hsien. Le plan séquence cher à Hou Hsiao-hsien est à appréhender comme une méthode subversive pour expérimenter un temps de l’écoulement, un autre rapport au présent. Il me semble tout aussi important d’éclaicir la source de cette déréliction quasi systématique qui hante les protagonistes. Comment Hou Hsiao-hsien parvient-il à saisir l’influence du Taipei insomniaque par delà ses murs? Comment peut-il être le contemporain d’un temps présent qui le conditionne? Enfin, quel chemin emprunte-t-il pour faire de cette ville une matrice qui puisse repenser à la fois la perte mais aussi la quête d’une identité taiwanaise à travers des rituels contemporains?

1 Jia Zhang-ke “Cannes 2008. Journal du festival”, propos recueillis par Olivier Joyard, Les Inrockuptibles n°651, 20 mai 2008, p.48. 2 Ibid. 3 Propos de Hou Hsiao-hsien recueillis par Emmanuel Burdeau à Taipei les 19 et 20 juillet, puis les 16, 21 et 22 août 1999. Traduit du Chinois (mandarin) par Raphaël Demanesse. Extrait de Hou Hsiao-hsien sous la direction de Jean-Michel Frodon, Éditions Cahiers du cinéma, 1999.

9 9 Taiwan : Histoire d’une diaspora chinoise. a) 1986, l’énergie d’une année manifeste aujourd’hui sur le déclin.

Un siècle aura suffi à faire de la «Belle île», Formose, un refuge transitoire pour deux régimes d’occupation. L’un japonais de 1895 à 1945 ayant apporté un développement rapide mêlé à une politique d’assimilation forcée. L’autre régime est chinois et arrive seulement quatre ans plus tard, lorsque le Kuomintang s’exile sur l’île pour fuir le nouveau régime communiste de Mao Zedong. Deux régimes qui entérinent des politiques contradictoires et troublent une entente générationnelle au sein de l’île. Ce métissage culturel et cette transition sont vécus par les insulaires comme une coupure qui n’a toujours pas cicatrisé depuis. Le régime de terreur qu’imposa le Kuomintang avec la loi martiale réprima tout mouvement indépendantiste d’opposition. Autrement dit, à part un soubresaut vite étouffé en mai1895, la petite soeur émergée ne connaît pas d’indépendance nationale de sa grande soeur continentale.

Au tournant des années 1980, cet effilochage d’un terroir a généré un regain de conscience politique chez des cinéastes taiwanais. Ce n’est que six ans plus tard qu’ils signeront le Manifeste du film taiwanais 1. L’esprit de groupe qui a été exporté avec la Nouvelle Vague française a soudé une première génération de cinéastes tels que Chen Kun-hou, Xu Shu-zhen, Chang Hwa-Kun, Jim Tao, Ke Yi-cheng, Edward Yang, Chang-Yi, Wu Nien-jen, Sylvia Chang et quelques autres comme Hou Hsiao-hsien. Un brasier d’énergies qui mit le feu aux poudres et transforma un cinéma taiwanais écrasé sous une chape de plomb en un cinéma lumineux et festif, prenant à revers l’histoire officielle et ses trous noirs. Mainte- nant, c’est une affaire de survivants nous dit Chen Kuo-fu :

11 12

« C’est un désastre pour ceux qui travaillaient dans l’industrie. Les producteurs indépendants, les techniciens qui, il y a dix ans ou quinze ans, étaient nombreux, sont aujourd’hui chauffeurs de taxi ou dirigeants de chantiers...La fin des années 80 et le début des années 90 ont été cruciaux, mais à l’époque, l’on sentait encore les gens capable de lutter, souffrir, avoir envie de faire des films. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, et il restent des personnes seules » 2. Ling Cheng-sheng, soutenu par la productrice indépendante Peggy Chiao est un cinéaste de la deuxième génération, celle de 1990. Il soutient l’idée que le cinéma d’auteur taiwanais se désagrège, s’effrite face à cet abandon des aînés. Ce fléchissement est dû en partie à la pression d’une industrie aveuglée par l’impérialisme hollywoodien quand ce n’est pas celui de Hong-Kong. Aujourd’hui, ces cinéastes survivent en tutoyant le vide. Pour Ling Cheng-sheng, la solvabilité de leurs films ne permettent pas un soutien confortable de la part des institutions financières taiwanaises qu’elles taxent d‘«invisibles», «de partielles» et «éloignées» 3 de la réalité de Taiwan. Ils se tournent donc vers l’extérieur, le Japon, l’Europe, la Corée, les États-Unis et les chaînes de télévi- sion taiwanaises proche du DPP (Democratic Progressiv Party).

Cet état du cinéma d’auteur taiwanais est la symbiose d’une crise culturelle et étatique taiwanaise. Je pense notamment à Edward Yang qui après sa première société de production indépendante Yang and his Gang créée en 1989 continue à se produire à la marge, dans un ostracisme voulu en réaction à «une alliance entre le capitalisme et une forme délétère de confucianisme» qui est pour lui, «un mariage mortel» 4. C’est une affaire de morale mais aussi une stratégie qui n’enlève rien sinon légitimise une énergie du faire avec, du compromis coûte que coûte.

« Les jeunes sont les seuls à suivre mon rythme. Je les regarde grandir, j’espère leur apporter une inspiration similaire à celle que l’on a pu m’offrir. Comprenez-moi : ma frustra- tion est immense si je ne vis pas dans l’urgence, dans l’ivresse de l’inconnu. Et eux me le permettent, 11 12 ils m’empêche de fuir, ce à quoi j’ai beaucoup pensé » 5.

Il y a chez cette seconde génération un délitement de l’histoire au profit d’une focalisation sur leur présent. Un présent où le passé fragmenté a depuis longtemps implo- sé. Leur Taipei est l’empreinte d’une déréliction identitaire semé par un brassage des cultures sans héritage concret. Depuis l’arrivée de près de deux millions de continentaux après la défaite des japonais, l’île est déjà un réservoir linguistique inestimable mais doit accepter le mandarin continental imposé. Seulement deux dialectes traditionnels ont résisté : le Holu et le Hakka et pas loin de trois langues formosanes assimilables à des sous-groupes sont parlées par seulement 2 de la population. Si le japonais % n’est plus la langue forcée, elle attire en tout cas une génération jeune marquée par la déferlente J-pop (ou pop japonaise) des années 1990. Vicky dans Millenium Mambo en est une figure étant elle-même issue de cette génération.

b) Hou hsiao-hsien, un cinéaste soudeur de temps.

Avant de s’intéresser à cette jeunesse désoeuvrée, Hou Hsiao-hsien s’est confronté à d’autres absences, à d’autres béances de l’Histoire de 1989 à 1998 avec La Cité des douleurs, Le Maître de marionnettes, Good Men Good Women et Fleurs de Shanghai. L’accès aux périodes sombres, oubliées a été l’occasion de replanter de jeunes pousses de rappel dans l’inconscient collectif. En d’autres termes, une fonte de ce qui a été autrefois gêlé. Il ressuscite le passé au présent dans une interpénétration des contraires. Ainsi, c’est un nouvel espace-temps qui éclot, de l’ordre d’une survivance. Une sorte de contraction des temps pour pallier à l’irrémédiable disparition de la mémoire. C’est un acte de résistance et d’embaumement du temps.

Hou hsiao-hsien ne fait pas qu’éclairer des périodes passées sous silence. Je crois qu’il tente dans un geste vain de faire ressurgir un passé millénaire et évanescent. Un héritage fragile, déjà dissout par une nouvelle élite petite bourgeoise taiwanaise à la solde d’un néo-capitalisme occidental. Rien n’est moins sûr dans un Taipei sous influence occidentale. Près de quarante ans en arrière, Roland Barthes pressentait déjà ce qui allait se jouer :

« Le fait que des Orientaux ressentent 13 14 une attirance inconditionnelle pour l’Occident, voilà qui est naturel ; s’ils ne font pas l’effort pour préserver leur culture dans son idiosyncrasie, l’Orient deviendra une colonie spirituelle de l’Occident. Mais comment trouver l’harmonie entre les différents aspects de la société moderne et nos traditions séculaires? Voilà le problème qui me fait question » 6. Ling Cheng-sheng poursuit:

« Pour notre génération, l’état dans lequel se trouve Taïwan, ce mélange de richesse économique et de dévastation culturelle, est dû à une raison obscure, oubliée par l’histoire, et que la censure politique interdit de discuter » 7.

De ce constat, les cinéastes de la Nouvelle Vague taiwanaise des années 1980 vont s’en servir pour explorer ces zones d’ombres du passé par le biais de leur propre expérience. Mais est-il possible de recomposer du passé avec du présent? N’est-ce pas une illusion que d’envisager une concordance de deux états du temps? Dans Un temps pour vivre, un temps pour mourir, Hou Hsiao-hsien revient sur son enfance et nous raconte comment du continent, dans la province de Guangdong (sud de la Chine), sa famille et lui ont rejoint son père muté à Taipei comme Inspecteur de l’Éducation. Aidé de sa scénariste Chu Tien-wen, Hou Hsiao-hsien nous invite à Fengshan, province de Taiwan où son père s’est retiré pour des raisons de santé et où a battu la mesure de son enfance. C’est une terre à deux versants. À la fois d’accueil et de deuil suite à la mort de ses deux parents et de sa grand-mère. La sensation de perte prématurée et de vide, a confirmé sa décision de se détourner de la petite délinquance, «d’un style de vie dissolu» 8.

Cette chronique de son enfance qui commence avec Les Garçons de Fengkuei marque le début d’une contagion dans ses films. En effet, ses souvenirs vont s’introduire dans le présent du film et se propager jusque dans l’intimité de ses protago- nistes. Kao dans Goodbye South Goodbye en est un bon exemple. 13 14 Avec ce film, le cinéaste déplie une autre facette de son oeuvre. Il n’est plus question d’une survivance du passé mais de sa résurgence du dedans au dehors. Ici, le Kao diégétique est amené à rejouer une tranche de son propre passé proche de celui du cinéaste. Subtilement, Hou Hsiao-hsien remonte le temps pour réanimer les démons assoupis de Kao, lui rappelant son incapacité à réaliser ses projets. Il est un résidu d’un Taipei contempo- rain aliénant et vampirisant, d’une terre émergée sans centre car elle est elle-même un centre et autour d’elle le vide qui se déploie. Dans ce geste d’introspection du dedans au dehors, de cette réunion subtile entre le passé de Kao et le présent du film, se créé une brèche dans la narration où un au-delà de la vraisemblance prend forme. Autrement dit, Kao ne joue plus lorsqu’il réalise son incapacité à ouvrir un restaurant à Shanghai mais le revit.

À l’intérieur de ces narrations faussement en friche sommeille toute la poétique du cinéma de Hou Hsiao-hsien. C’est un réalisme rêche au devant duquel un saut s’impose, de l’extérieur vers l’intérieur. Il ne faut pas louper le train en marche. À l’ouverture de Goodbye South Goodbye, déjà le motif du train, concept ozuien cher à Hou Hisao-hsien se fait entendre. Ici, difficile de louper la marche, nous y sommes : Shin Fen et son village disséqué par les rails. Ce n’est pas une percée vers l’inconnu. En réalité, Hou Hsiao-hsien semble fermer un circuit commencé dix ans auparavant avec Poussières dans le vent (1986).

Poussières dans le vent (1986):

(00:00:26) (00:01:14) (00:01:28)

Goodbye South Goodbye (1996):

16 (00:17:14) (00:03w:19) (00:03:37)

Entre ces photogrammes mis en parallèle résonnent deux temps disjoints, elliptiques. Cette gare de campagne, c’est le lieu possible d’un récit ou plutôt d’un retour. Un retour vers le Nord où vers le Sud? A priori, comme l’indique son titre, le train de Goodbye South Goodbye quitte le Sud. En tout cas, dix ans plus tard, le wagon de Poussières dans le vent semble croiser celui de Goodbye South Goodbye. Puis, de nouveau, une autre décennie s’ajoute dans Millenium Mambo. Mais cette fois vers le futur, en parlant au passé. Une nouvelle méthode de concordance des temps pour approcher le présent contemporain d’une jeunesse noctambule. Qu’est-ce que nous raconte cette impression de déjà-vu? Un retour aux sources? Un retour sur soi? Je crois qu’il s’agit moins de creuser une réminiscence entre ces deux tranches de temps éloignés que d’étendre la portée spirituelle du voyage qui agit dans ses films. Un “voyage” qui s’articule davantage autour d’une pensée taoïste déjà théorisée par Tsoung Ping (375-443) aux alentours des Six Dynasties des Song :

« Les formes de la nature, nous dit Tsoung Ping dans cette Préface à la Peinture de Paysage, ne possèdent pas seulement une substance physique mais aussi des qualités immatérielles, une «attirance», une «saveur», et c’est là, bien plus que l’apparence extérieure, ce qui touche l’esprit de l’homme sensible. L’artiste qu’un paysage aura ému de la sorte, et qui aura réussi à transférer son émotion dans sa peinture, qui aura obéi, suivant l’expression même de Tsoung Ping, «à la réaction de ses yeux et à l’accord de son (00:01:28) coeur», verra son oeuvre toucher tous les hommes à son tour; tous les yeux, tous les coeurs seront en «accord» avec elle » 9.

Ces échappées sont méditatives à l’image des massifs montagneux peints au lavis sous la période Song. Dans l’ouverture de Goodbye South Goodbye, la cime des montagnesau loin semble délavée par une lumière diaphane et crépusculaire. Qui a-t-il derrière ce voile brumeux? 16 C’est un paysage que le temps a traversé, un paysage (00:03:37) du passé que l’on redécouvre sous une bande sonore grisante et tapageuse de Lim Giong.

La thématique du film est annoncée : coalescence anachronique de deux temps (le passé et le présent) qui n’avancent pas mais tournent sur eux-mêmes, font du sur place et se laissent déporter à l’intérieur des terres. Lorsque Emmanuel Burdeau demande à Hou Hsiao-hsien de préciser le sens du titre de Goodbye South Goodbye, il lui répond : « Par «sud», ou plutôt «pays du sud», j’entends ceci : Taiwan a longtemps été le sud d’autres pays. Son identité lui toujours plus ou moins été volée par l’extérieur. Maintenant, Taiwan a atteint un certain degré d’indépendance, possède son propre destin, vit sa propre vie, mais malgré tout, ses habitants ont du mal à assumer ce destin, et font très souvent le projet d’émigrer, sans d’ailleurs parvenir à le mener à bien » 10.

Ces départs romantiques sur voies ferrées reviennent par deux fois dans Goodbye South Goodbye. Ils nous invitent à partager le regard du cinéaste sur un présent contemporain qui stagne et nous chuchote, à la fois, les débris du temps. D’ailleurs, ce n’est pour rien que ces départs aux accents d’une renais- sance sont aussitôt étouffés par des figures annonciatrices d’un mal à venir. C’est le cas de Hsi, le cousin qui les accueille à leur arrivée et qui sera très vite la cause de bien d’autres de leur déboires (photogramme 1). Yin, l’amie de Kao en est une aussi. Dans la pénombre d’un karaoké, coiffée d’une perruque blonde, elle nous confie en aparté son mal être (photogramme 2). Elle se fait l’écho de Vicky dans Millenium Mambo lorsqu’elle chante :

« Tu ne dors jamais la nuit, toute en lumière et pleine de bruit, elle danse, elle chante. On la regarde, elle sourit. Qui connaît sa peine? Elle travaille la nuit seulement pour vivre. L’alcool lui tourne la tête. Elle perd sa jeunesse...».

Goodbye South Goodbye (1996), (photogramme 1) : 17 18

(00:04:43 - 00:16:14) Goodbye South Goodbye (1996), (photogramme 2) :

(00:05:28 - 00:18:09)

À travers cette correspondance de temps éloignés, Hou semble être à la recherche de coïncidences et de points de contact dans un paysage sans cesse remodelé par les passages de trains. Tels des dormeurs éveillés, nous entrons et nous sortons par syncope de ces tunnels. Je crois qu’il nous propose ici une façon de relire l’Histoire à savoir qu’elle peut être reparcourue mais surtout, comme le dit James Benning :

« Les paysages physiques et psychiques doivent être considérés ensemble, tout en s’éclairant l’un l’autre, ils incarnent une évolution de l’Histoire » 11.

Plus qu’un croisement espacé de dix ans, c’est une fécondation d’un état du temps. Un retour pour observer une métamorphose, pour prendre la mesure des marques du temps sur son île. En revenant sur ses pas, Hou Hisao-hsien s’approprie un territoire, un repère temporel où il va pouvoir rapprocher et souder des temps éloignés. Mais paradoxalement, Hou Hsiao-hsien dit lui-même que l’idéal du cinéma « doit consister à désouder ce qu’on tient généralement pour soudé». Ainsi, il va enrichir sa mise en scène non pas en rapprochant des temps mais en scindant 17 18 des espaces dans un même mouvement.

Impossibilité d’une reconnection Nord Sud?

a) La profondeur de champ : région virtuelle du passé et contraction du présent. Le saut, la profondeur de champ qu’il y a entre ce qui a été et ce qui advient est très bien résumé par Gilles Deleuze dans son ouvrage Le bergsonisme :

« Le passé et le présent ne désignent pas deux moments successifs, mais deux éléments qui coexistent, l’un qui est le présent, et qui ne cesse de passer, l’autre, qui est le passé, et qui ne cesse pas d’être, mais par lequel tous les présents passent. En d’autres termes, chaque présent renvoie à soi-même comme passé » 12.

Cette notion d’une profondeur de champ d’un passé contractée par un présent se ressent dans certains plans de Goodbye South Goodbye. À la quarante-cinquième minutes du film, alors que Kao et son équipe (Tête d’obus et Patachou) reviennent d’un déménagement. Kao prépare un diner pour son père. Entre eux, il est question de l’achat d’une maison à Shanghai. Nous n’avons pas toutes les informations en main mais il est question d’héritage.

Le terrain semble favorable pour Kao. En effet, plus avant, Kao avait confié à Yin son projet de monter sur Shanghai pour y faire affaires. Hélas, la voix du cousin se fait entendre. La caméra suit son entrée dans un travelling avant. L’irruption du nouvel arrivant coupe court à leur conversation. Kao quitte son père pour écouter Hsi lui parler d’une affaire apparemment facile et juteuse autour d’un refourgage d’une cargaison de deux milles faux porcs reproducteurs. C’est Hsi qui dirige le rythme de la scène et amène Kao vers une autre table plus au Sud. L’absence de raccords sur le père, plus la mise au point focalisant notre attention sur la discussion en cours, nous détourne de l’incident qui se prépare. 19 20

Goodbye South Goodbye (1996):

(00:45:39 - 00:49:41) Le père s’évanouira et Kao tel Orphée se retournera pour faire face au spectacle de son impatience. À cet égard, l’interprétation de David Vasse sur une présence cardinale du temps est particulièrement pertinente :

« (...) au loin le père s’effondre comme l’annonce d’un évanouissement du rêve de Kao d’atteindre le Nord, justement. À l’horizon du plan, progressivement, la promesse d’y accéder se voit physiquement contrariée » 13.

Ici, le parfum prémonitoire d’un échec donne toute sa puissance à la scène. Un compte à rebours chronophage est lancé. La ligne immatérielle de démarcation Nord/Sud se dessine déjà dans le travelling arrière qui accompagne les trois comploteurs à leur table. Tout le tour de force du cinéaste consiste en une dilatation du temps. À mesure qu’ils rejoignent la table au premier plan, une profondeur dans le champ s’étend, matérialisant une frontière invisible. Il ne reste plus qu’à saisir l’instant “t”, le kairos d’où surgira de ces gestes anodins, de ces faits a priori banals, le goût amer d’une tragédie en marche.

Ces fresques houiennes sont à l’image de rouleaux. Elles demandent un travail, un geste pour le spectateur : celui de laisser le temps se dérouler. Car c’est en prenant cette tangente que le cinéma de Hou hsiao-hsien laisse une trace, une mémoire. Ici, à une échelle réduite, Hou hsiao- hsien met à mal un passé proche pour le réactualiser sous une autre forme. Le souvenir du père est soudain contracté. Dans une fulgurance, il disparaît sous la table et passe d’un état de conscience à un état d’inconscience. Le présent auquel doit faire face Kao en se retournant est irrémédiable- 19 20 ment passé.

Dans ce mouvement presque imperceptible d’aller-retour entre deux pôles opposés, Hou Hsiao-hsien semble nous murmurer à l’oreille son inquiétude pour une génération qui le suit de près: celle de l’après 45 et de la loi martiale. C’est aussi celle de Kao. Une génération prise entre deux feux. L’un millénaire, celui d’une assimilation à une culture chinoise ancestrale et l’autre, un Taiwan aveuglé par un essor économique sans précédent. Hou Hsiao-hsien comme d’autres cinéastes de la première vague héritent de ce rapport ambigu à une double culture qu’entretiennent la Chine et Taiwan. Loin de s’y soumettre Hou hsiao-hsien fait corps avec ces contradictions dans une quête d’un équilibre. Un équilibre des contraires.

« Et c’est bien ce qui caractérise le cinéma de Hou Hsiao-hsien depuis ses débuts, à travers une sensibilité et une spiritualité appartenant à la culture chinoise traditionnelle, dans sa façon de contempler le monde avec distance et détachement. Car il s’agit aussi d’affirmer une forme cinématographique spécifiquement chinoise, où le regard ne se borne pas aux limites de l’image et où l’esprit s’aventure dans le hors-champ » 14.

b) Taoïsme et détachement: l’existence comme acte. Un héritage.

La prégnance du taoïsme continue à exister dans la chronique contemporaine du cinéaste qu’il amorce avec le radical Goodbye South Goodbye. Hou Hsiao-hsien fait bifurquer des quêtes individuelles à l’intérieur d’espaces paralysants où un équilibre, malgré tout, se crée. Un équilibre qui ne bascule ni dans le pour ni dans le contre, de l’ordre de l’insoluble. C’est une nouvelle expérience du temps qui n’est pas donnée comme pure objet consommable mais comme un déploiement métaphysique et spirituel. Ce qui a saisi François Jullien dans son ouvrage:Du «Temps», Éléments d’une philosophie du vivre, c’est cette notion d’extention du temps. Il l’a qualifié «d’épaisseur du maintenant» ou plus particulièrement «du moment» (shi). L’hypothèse qu’il se soit agi de cela lors du tournage de Goodbye South Goodbye et de Millenium Mambo m’inspire. Je veux parler de cet instant opportun, de l’attente nécessaire à sa décantation. Une équipe expérimentant l’énergie du passage, tendue, à l’affût d’une intuition à saisir. Est-ce un temps unique qui 21 22 s’inscrit sur la pellicule, un gage d’authenticité? Un rapport plus fort au réel? En tout cas, une fluidité sans accroc traverse le plan. Un battement résonne et semble comme harmoniser dans un même courant une pluralité d’instants. C’est ce qui m’a profondément marqué.

Une poétique des temps semble se dessiner. Elle restera différée, à la limite de la visibilité et de l’entendement car c’est un cinéma du seuil. Du seuil comme détachement, Goodbye South Goodbye (1996):

(00:18:30 - 00:22:40)

comme une prise de distance sur le monde mais qui pourtant donne accès à une ubiquité du moment présent. Chaque séquence semble avoir été saisie d’un éblouissement, d’une opportunité du moment où rien ne semble se passer mais où paradoxalement tout semble avoir eu lieu.

Cette temporalité si particulière qui se déploie à l’infini offrent un tout autre horizon aux protagonistes. En effet, il n’y a pas de chronologie qui tienne dans le film. Les journées semblent déréglées. C’est comme si un décalage horaire avait déréglé le moment du montage. Les intervalles entre les séquences ne sont pas logiques et ne cherchent pas à l’être. Le seul moment où une heure est représentée appa- raît à la 18ème minute. Un réveil nébuleux indique 02:10 am.

Sur le rythme revisité du violoncelle accompagnant La Habanera de Bizet, Yin fait basculer le réveil de droite à gauche, comme un sablier. Tel un prisme, l’objet reflète un monde diffracté, éclaté. Bientôt c’est Kao que l’on devine en transparence. Un air d’opéra après une nuit d’ébat. Je ne peux m’empêcher de penser à une préfiguration de Millenium Mambo, à cette jeunesse menottée au monde de la nuit. Dans ce deuxième opus d’un Taipei contemporain, l’heure, les minutes n’existent pas non plus. Seules des échéances : les 500 000NT$ à dépenser, la montre revendue 21 22 du père pour 80 000NT$ que recherche la police. De l’argent pour acheter un amour qui s’enfuit et revient déjà :

« L’oiseau que tu croyais surprendre battit de l’aile et s’envola; l’amour est loin, tu peux l’attendre, tu ne l’attends plus, il est là. Tout autour de toi, vite, vite, il vient, s’en va, puis il revient; tu ne l’attends plus, il est là. Tu ne l’attends plus, il te tient! » 15. Hou Hsiao-hsien nous donne ces échéances avant qu’elles n’adviennent. Nous suivons donc la trame narrative sachant ce qui va se passer. Ce choix soustractif, d’annuler tout suspense, ne résorbe pas l’intérêt du film. Bien au contraire, ce que nous sussurre Hou Hsiao-hsien ici, c’est que notre attention doit être portée ailleurs, vers notre perception de la durée des plans. Des couches, des strates de temps s’empilent, s’accumulent, qui sont appelées à :

« mourrir puis à renaître sous une forme différente. Ainsi, chaque scène de Hou Hsiao-hsien est une saison, un bref éclat de lumière » 16.

C’est une lecture horizontale mais qui se déplie en profondeur. Tel un archéologue, le cinéaste va à la recherche d’un scintillement, d’une strate, d’une lueur dans les ténèbres de la nuit. Par ce biais, il libère ses films d’une narration classique, figée et codifiée. La structure de ses films semble vaporeuse, sans hiérarchie. Cependant, il ne s’agit pas de hiérarchiser mais de juxtaposer une série d’instants. Ainsi, ses films matérialisent l’essence du passage, d’un présent éphémère que l’on aurait étiré. Hou Hsiao-hsien nous raconte :

« Je restais le plus souvent possible loin de ma maison : quand je n’avais pas classe l’après-midi, plutôt que de rentrer, je traînais dehors. Il y avait dans le quartier une résidence de style japonais avec, à l’arrière, un verger. J’adorais y traîner, grimper dans les arbres, croquer quelques fruits et rester pensivement installé dans les branchages. Dans ces moments-là, je sentais le vent autour de moi, j’entendais la rumeur de la circulation au loin…

Des instants très étranges, très aigus pour moi, des instants qui faisaient écho au sentiment de solitude 23 24 que je ressentais fortement. Je ne saurais l’expliquer mieux, mais ces moments-là dégageaient une sensation très profonde en moi. C’est pour ces instants-là, je crois, que je suis devenu cinéaste : seul le cinéma est capable de capturer ces moments indicibles où l’on sent l’espace autour de soi, où l’on éprouve le sentiment d’être au monde » 17.

Ce souvenir haut perché suspendu à un état du temps, semble avoir marqué son être et son cinéma pour une vie entière. Notes

1 Le manifeste théorique de la Nouvelle Vague sera rédigé à posteriori, alors que l’élan initial a commencé de s’émietter irrémédiablement, lors de la fameuse soirée des 40 ans d’Edward Yang, le 6 novembre 1986. Ce jour-là, les protagonistes du Nouveau Cinéma condamnent ouvertement l’intervention de la CMPC dans le cinéma taiwanais, reprochent publiquement aux grands médias leur ignorance ou leur agressivité envers les jeunes réalisateurs (voir « 100 jours qui ont fait le cinéma «, p. 123, numéro spécial des Cahiers du cinéma, janvier 1995). 2 Propos d’Edward Yang recueillis à Taipei le 12 mars 1999, traduits du manda rin par Mimi Tan en anglais par Olivier Joyard, extrait de l’entretien mené par Olivier Joyard, Made in China,Cahiers du Cinéma numéro hors-série, mars 1999. 3 Propos de Ling Chen-sheng recueillis à Taipei le 12 mars 1999, traduits du mandarin par Mimi Tan en anglais par Olivier Joyard, extrait de l’entretien mené par Olivier Joyard, Made in China, Cahiers du Cinéma numéro hors-série, mars 1999. 4 (2) Op. cit. p. 9.

5 (2) Op. cit. p. 10. 6 Roland Barthes, L’empire des signes, Éditions du Seuil, septembre 2005. 7 Propos de Ling Cheng-sheng recueillis par Bérénice Reynaud, Nouvelles Chines, Nouveaux cinémas, Éditions Cahiers du cinéma, 1999. 8 Propos de Hou Hsiao-hsien recueillis dans HHH Portrait de Hou Hsiao-hsien par Olivier Assayas. 9 James Cahill, Les trésors de l’Asie, La peinture chinoise, Éditions d’Art Albert Skira S.A Genève, 1977. 10 Propos de Hou Hisao-hsien recueillis par Emmanuel Burdeau à Taipei les 19 et 20 juillet, puis les 16, 21 et 22 août 1999. Traduit du Chinois (mandarin) par Raphaël Demasse paru dans Hou Hsiao-hsien sous la direction de Jean-Michel Frodon, Éditions Cahiers du cinéma, 1999. 11 Propos de James Benning, extrait de Jeux sérieux Cinéma et art contemporains transforment l’essai, dirigé par Bertrand Bacqué, Cyril Neyrat, Clara Schul mann et Véronique Terrier Hermann, HEAD-Genève, Haute École d’art et de de sign de Genève, 2015. 12 23 24 Gilles Deleuze, le bergsonisme, Presses Universitaire de France, 1966. 13 David Vasse, Le cinéma de Hou-Hsiao-hsien, Espaces, temps, sons, sous ladi rection de Antony Fiant et David Vasse, Presses universitaires de Rennes, 2013. 14 Morgad Le Naour, Le cinéma de Hou-Hsiao-hsien, Espaces, temps, sons, sous la direction de Antony Fiant et David Vasse, Presses universitaires de Rennes, 2013. 15 Paroles de Carmen, de Georges Bizet, 1875. 16 Adrien Gombaud, «Au soleil chinois de la mélancolie», Positif, n°556, juin 2007, p.110. 17 Propos d’Hou Hisao-hsien recueilli par Serge Kagansky, Les Inrocks, 1997. 26 Le plan ou l’enjeu d’une méthode subversive dans Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo.

a) Plan Long : distance gardée et esthétique du vide.

Nous avons vu que l’expérience du temps est fondamentale dans le cinéma de Hou Hsiao-hsien autant pour les acteurs que pour le spectateur. Cependant, Hou hsiao-hsien reste lucide. Sachant que ses acteurs ne sont pas professionnels, il garde une distance, il leur laisse de la place pour construire leur personnage. Cela doit être une expérience très personnelle pour eux. Chaque individu invoque un temps propre au cours duquel une symbiose se crée entre une énergie spirituelle à invoquer et une énergie de jeu plus rationnelle, à travailler dans un temps imparti. Mais c’est une symbiose encore une fois contractée, lacunaire car il y a un début et une fin. Il ne peut y avoir de continuité absolue. Quel pourrait être le mécanisme au tournage qui permet à Hou Hsiao-hsien de combiner ces deux énergies? Jacques Aumont s’est penché sur cette dialectique de deux états du temps au cinéma:

« Si le cinéma est l’invention d’un continu de la durée écoulée, et contradictoirement l’invention d’un mode d’enchaînement et d’agence- ment, que veut dire chercher l’un et l’autre de ces principes dans l’unité cinématographique elle-même, dans le plan? » 1.

Deux solutions sont alors proposées par Jacques Aumont: un plan «prolongé», «perduratif», «ce n’est pas la quantité 26 de durée qui est augmentée, c’est la qualité de temps qui change». L’autre forme est un plan partagé, du «dédoublement», c’est-à-dire d’une surimpression ou scission. Chez Hou Hsiao-hsien, nous sommes davantage plongés dans la première.

1998. Une tasse de thé à la main, en compagnie d’Olivier Assayas et de sa scénariste Chu Tien Wen, Hou Hsiao-hsien se remémore. Serait-ce l’autobiographie de l’écrivain Shen Tzun wen que lui conseilla Chu Tien Wen? Alors qu’il aborde la réalisation de Les Garçons de Fengkuei, l’inspiration lui manque. Il se met à lire ce livre:

« C’était une structure narrative très intéressante. Le point de vue est «panoramique», observant en retrait le déroulement des évènements. Pour le tournage des Garçons de Fengkuei, je me rappelle avoir sommé mon chef opérateur de reculer encore et encore, d’être détaché le plus possible de la scène ».

Plus loin, il explique à Olivier Assayas que ce point de vue est celui du réalisateur:

« Pour Un été chez grand-père, Edward Yang me fit découvrir Eudipe Roi de Pier Paolo Pasolini. (...) Je compris que pour Un été chez grand-père, il y aurait deux points de vue narratif. Le point de vue du réalisateur : une projection objective de ses idées. L’autre, à travers les yeux des acteurs, projetant leur propre vision ».

À l’entendre, chaque film nécessite un dispositif particulier. Ce parti pris de deux points de vue habite davantage Goodbye South Goodbye que Millenium Mambo. Le franchissement entre ces deux visions est quasi imperceptible. Pour citer un exemple, dans Goodbye South Goodbye trois points de vue subjectifs viennent confirmer ce choix sidérant bien que banal au cinéma d’une caméra subjective.

27 28 Goodbye South Goodbye (1996):

(00:44:00) (00:37:10) (00:50:35)

En effet, à trois reprises, nous voyons ce que Tête d’Obus et Kao voient à tel point que la couleur des verres de leurs lunettes recouvre la totalité de l’écran. Du vert pour Kao, du rouge-orangé pour Tête d’Obus. Deux couleurs, deux énergies différentes. Ce qui est surprenant, c’est qu’aucun sens n’y est rattaché. Lorsque le trio se rend à la célébration de la revente des deux mille porcs reproducteurs, une nouvelle caméra subjective fait son entrée dans un plan étiré de l’extérieur du bâtiment à l’intérieur de la salle où festoient une vingtaine de leurs proches. Qu’est-ce que ce plan amène de plus au récit? Rien, si ce n’est une déambulation légèrement titubante imitant plus un effet de flottement que des pas. Mais nous les suivons quand même.

Irrésistiblement attirés par cet instant de stase. Au seuil de ce vide latent qui accompagne chaque plan, une abstraction menace le film. Tout tient sur un fil. Je risque la métaphore : Hou Hsiao-hsien joue au funambule. Car cette durée dilatée frôle un «temps mort», un vide avant de s’engager pleinement dans l’articulation d’un temps unique, d’une esthétique du vide.

« Certains de mes plans ne sont pas meublés par des actions, ils apparaissent vides. mais c’est une erreur. Car ils continuent à contenir les sentiments et l’espace. Il existe peut-être un parallèle avec les estampes chinoises dans lesquelles on pourrait croire qu’il y a des espaces vides sans sujet particulier. Or, ceux-ci aident à véhiculer les regards. Ils englobent ce qui est effectivement représenté. Je conçois mes plans un peu de la même manière » 2.

27 28 Cette mise au point entre un temps trop long et un temps trop court n’est rendue possible que par cette intuition du moment. Cette capacité de saisir le moment opportun où se réunit à la fois l’énergie «spirituelle» immanente de l’instant présent et l’énergie individuelle des acteurs. C’est une des qualités du cinéaste qui lui a permis de trouver son “style”. Hou Hsiao-hsien a trouvé l’équilibre, le tao 3 comme principe d’une jonction ying yang. (00:50:35) Maintenant, reste à savoir quelle utilisation en fait-il ?

En réalité, le raccord n’existe pas entre les séquences, voire ne semble pas avoir été pensé. Ce qui pourrait passer pour des sautes de raccords criardes sont des ellipses qui, au lieu de destructurer le récit, l’épaississent. Ces absences fragmentent la continuité du récit mais n’enlèvent rien à son intelligibilité. Au contraire, si tout ne nous est pas montré c’est pour que nous puissions faire le liant entre les séquences. Cette invitation à penser cet «entre» n’est qu’un premier palier car il existe un «dedans». En effet, à l’intérieur de la séquence réside des coupes invisibles. Le plan est séquencé, il est découpé. Ainsi, le montage est déjà inscrit en filigrane lors du tournage. Est-ce une «robe sans couture de la réalité»? En tout cas, le temps de travail au montage semble réduit pour laisser place à une empreinte continue du réel qui ne triche pas.

b) Plan séquence différentiel : l’essence du passage, un autre rapport au temps.

Si le réel ne triche pas en soi, les tours de passe passe eux s’y invitent. Dès l’ouverture de Millenium Mambo, le jeune magicien Ding Jianzhong lance les dés ou plutôt des pièces qu’il fait apparaître et disparaître dans ses mains. Un tour pour épater la galerie : une bande d’amis séduit par une cosmétique de plus dans un Taipei surfait. Ces micros absences durant lesquelles les pièces changent de mains sont pour moi, l’expression imagée du syndrôme qui affecte les plans de ce film. Ce n’est pas tant notre capacité à prédire ce qui va arriver. Nous l’avons vu, la voix-off de Vicky (Shu Qi) nous le dit d’avance. C’est plutôt notre propre attention qui est en jeu. Nous savons que nous assistons à de la magie et pourtant nous sommes pris au dépourvu. Que s’est-il passé? La main se réouvre et nous surprend par son contenu. 29 30 Je crois que ce qui nous tient éveillé, c’est le fait d’assister en temps réel au déroulement de notre propre mécanisme de crédulité. L’information est donnée : Vicky nous confie que Hao hao a volé la montre de son père pour la revendre et qu’une procédure judiciare est en marche. Puis, quelques séquences plus loin, comme par enchantement, sonne à la porte de leur studio un inspecteur de police. Nous l’avons vu plus haut, ces indices du «maintenant vous savez» ne gâche pas l’intensité du suspense puisque qu’il n’y en a pas. Hou Hsiao-hsien nous arme pour nous défaire d’un récit qui nous tiendrait en haleine. Ce nouveau parti pris nous offre la possibilité de ressentir la durée, de l’éprouver aux limites du cadre mais surtout de choisir quoi voir. Jean-Michel Durafour parle d’une forme synclinale 3 :

« Un film de défile pas, il creuse. Un plan n’est pas monté après l’autre, il prend la place de la béance que le premier a forée dans son propre développement. Chaque plan est la dérive de son prédécesseur » 5.

Ainsi, Jean-Michel Durafour nous donne à voir une recherche formelle se basant, sur une «transition permanente», c’est «le plan différentiel», «à l’intérieur d’une même scène, chaque distinction d’un plan à un autre ne brise pas la continuité perceptive du spectateur». Dans ce film, Hou Hsiao-hsien opère un dépouillement des enjeux dramatiques au profit d’une jouissance sensorielle adressée au spectateur. Encore une fois, l’abstraction n’est pas loin. Elle est l’ombre du film. Côté clarté, la lumière dans Millenium Mambo n’a jamais été aussi envoûtante, esthétisante. Elle est le halo de visages chlorotiques et lunaires.

Nous sommes aspirés dans le monde confiné d’êtres à fleur de peau, instables et fuyants. C’est d’ailleurs pour ces mêmes traits de caractères que Hou Hsiao-hsien a du renoncer à intégrer pour ce film des non professionnels issus du milieu de la nuit. L’ambition du cinéaste était trop grande : six histoires différentes dans trois films de deux heures. Seulement cent cinq minutes ont pu voir le jour. Je m’arrêterai à la vingt neuvième minute lorsque Hao hao 29 30 et Vicky se disputent pour la première fois. Sous ce prétexte inexpliqué de Hao hao qu’il ne viennent pas du même monde, Vicky assiste impuissante à l’autodestruction de son petit-ami.

Cette scène condense ce qui a été dit jusqu’ici. Au final, le peu d’intérêt que représente cette scène de ménage pour l’avancée dramatique, le gagne dans la violence qui anime leurs corps. Le dispositif est simple. Un lieu réel certainement réagencé et une caméra discrète qui resserre l’action sur des gros plans tout en étant éloignée des sujets. D’après Jean-Michel Durafour, Hou Hsiao-hsien aurait reconnu :

« avoir pratiqué un telle torsion, notamment quand il avoue avoir installé ses acteurs comme pour des plans larges, mais les avoir filmés, par invagination, en plans rapprochés » 6.

La scène est-elle improvisée? A priori, oui puisque Hou Hsiao-hsien dit ne jamais répéter avec ses acteurs. Il les met en condition ou plutôt, c’est l’espace même qui les conditionne. Ainsi, j’ai observé les déplacements des deux acteurs. À eux deux, ils dirigent la durée de la scène. Le plan séquence pourrait atteindre les dix minutes si il n’avait pas été réduit en son centre par un jump cut (00:32:00). Cependant, ce choix d’un seul point de vue comporte aussi des risques. À certains moments (photogramme 8), le cadre se voit obstrué de moitié par la paroie de leur chambre.

Millenium Mambo (2001): 1 2 3

4 5 6

32

8 7 8 9

(00:27:40 - 00:36:36) Était-ce calculé? Là n’est pas la question. Plus qu’une performance technique, c’est une performance de deux corps en miroir qui se synchronisent. En tant que spectateur, nous assistons à l’éclosion d’une réalité recherchée dans un réel conditionné. Ces mises en situation permettent aux acteurs de s’ancrer dans un autre rapport au temps, l’essence d’un passage qui pourrait se prolonger à l’infini. Ici, l’action ne se crée que dans l’idée de son approfondissement. Comme le dit justement Gilles Deleuze dans L’Image-Temps:

« Les liaisons sensori-motrices ne valent plus que par les troubles qui les affectent, les relâchent, les déséquilibrent ou les distraient : crise de l’image-action. (La situation n’est) plus induite par une action, pas plus qu’elle ne se prolonge en actions » 7.

L’oeil du spectateur est constament sollicité. Tels des éthologues nous pouvons disséquer les états changeants des acteurs et choisir dans la continuité du plan quelle perspective nous intéresse. En effet, j’ai compté près 3 de neufs découpes possibles se matérialisant à l’intérieur de la séquence. Contrairement à une pensée godardienne qui voudrait «ressusciter» au montage le tournage, Hou Hsiao-hsien préserve, conserve la vie au tournage.

Pour Goodbye South Goodbye, nous avons vu qu’il y avait une dichotomie bien claire entre deux points de vue : 6 celui des personnages et celui du réalisateur. Ici aussi, deux points de vue se chevauchent. Celui du réalisateur, toujours calfeutré mais où la caméra va être beaucoup plus participative et celui de Vicky, celle du futur, 32 qui ouvre le film. Sa voix nous introduit dans ses souvenirs, nous revivons ce qui a été. Néanmoins, un doute subsiste. A-t-elle bien toute sa tête? Car l’enchaînement 9 des séquences semblent se contredire. Contrairement à Goodbye South Goodbye qui suit une narration linéaire, Millenium Mambo semble faire marche arrière pour mieux rebondir et aller `de l’avant. En effet, Hou Hsiao-hsien a interverti des plans au montage. C’est un tour de plus. Le trucage n’est pas visible, il est auditif et nous empêche de voir ces fautes de raccords voulues. Pour citer un exemple, au moment de la deuxième dispute du couple (00:48:00), Vicky a sur elle un sweet rouge et un haut blanc. La scène se clos lorsqu’elle décide de quitter le studio. Une ellipse s’en suit. Nous sommes toujours dans leur appartement. Vicky rentre cette fois habillée d’une tout autre manière (00:55:26). Une faute de raccord? Non, simplement une saute mémorielle car nous assistons à des souvenirs fragmentés. Une continuité semble avoir lieu quelques séquences plus loin. Nous retrouvons ces mêmes habits (sweet rouge et haut blanc) dans l’appartement de Jack (01:06:04). Le montage prend ici toute son importance. Il n’est pas seulement une juxtaposition de séquences. Non, il vise à créer l’espace mental d’une introspection: celle de Vicky où les souvenirs semblent se mélanger.

Millenium Mambo (2001):

(00:48:00) (00:55:26) (01:06:04)

Une introspection qui nous invite à revivre ses faits, à devenir les témoins d’une mue. Elle se décharge d’un passé dont nous resterons les derniers témoins. La voix-off, source de l’énonciation va rythmer chaque étape de l’his- toire. Elle reviendra par cycles, sur fond de loops binaires technoïdes. Une intervention qui nous retient émergés au dessus du délitement du temps et de l’oubli. 33 34

Bande sonore: Bande son Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo. a) Présence active du non-visible, esthétique de la frustra- tion.

Si dans Millenium Mambo, la voix-off nous repêche par nappe pour échapper à un trou noir, dans Goodbye South Goodbye elle nous maintient dans l’illusion. Je l’ai compris lorsque j’ai repassé pour la troisième fois le moment où Jack se vide dans les toilettes de leur chambre. Cette scène jouxte une soirée commémorative et bien arrosée suite à la vente des porcs. L’ivresse lui délie la langue. Il avoue ne pas se sentir capable d’affronter les cinq prochains obstacles qui l’attendent. Il ne rêve que d’une chose : ouvrir son propre restaurant. Tout porte à croire que cette confidence est enregistrée en direct. Or, la voix de Jack Kao a été apposé au montage. Le trucage est raffiné. Le mixage sonore, excellent. Seulement voilà, pour moi, le ton de la voix dépasse la réalité de la fiction, il semble bien trop sincère pour avoir été joué. Persée à jour, cette utilisation asynchrone de la voix-off trahit un temps hors- champs à l’intérieur du film. Kao revit un épisode de sa vie et le dit ou plutôt l’a dit, à un autre moment. Ce choix éthique est déterminant car il témoigne non pas d’un voyeurisme mais de l’expérience même du tournage agissant sur les protagonistes.

Goodbye South Goodbye (1996):

(00:57:53 - 01:00:39)

Un film dont Chu Tien Wen assure l’absence de scénario lors d’une conférence dirigée par Wafa Ghermani le 27.05.2015 à la Cinematek de Bruxelles. Ce film prend la courbe, 33 34 l’allure d’un jeu de piste reconstitué, à la recherche des identités des protagonistes, de leur réalité. Par le détour de la fiction, on accède à leur intimité au fur et à mesure.

Le film devient un portrait en «trompe l’oeil» ou plutôt en «trompe l’oreille». Le dispositif du film absorbe les protagonistes pour créer un jaillissement du réel. Ici, la bande sonore bien que manipulée en est une trace. Ainsi, des poches de réel vont venir parsemer le film. Ces instants de vérité sont si bien camouflés que l’oreille ne flaire pas l’illusion d’un trucage. C’est je crois, le prix à payer pour accéder à cet état de contemplation que propose le cinéma de Hou Hsiao-hsien. Pour y accéder, la sensibilité et l’intelligibilité du spectateur sont réquisitionnées.

Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a qu’une manière unique de voir son cinéma mais d’après l’expérience que j’ai pu en faire, ses films m’ont travaillé au corps, dans l’après puis dans l’avant. Dans l’avant afin de m’y préparer une deuxième fois, puis une troisième, etc et dans l’après pour vérifier, revoir. C’est une esthétique de la frustration mais d’une frustration positive. Tout ne nous est pas donné au premier abord.

Goodbye South Goodbye et Millenium Mambo sont deux adieux. L’un est un adieu à une terre pour un voyage, une aventure. L’autre est à la jonction de deux millénaires. C’est un film transitionnel. Plus qu’un adieu, c’est une renaissance. Un film à l’aube d’un renouveau où une jeunesse claustrophobe en déshérence se défonce à coup de rythmes mécanique exportés tout droit de Détroit.

D’ailleurs, Lim Giong (Tête d’Obus) dans Goodbye South Goodbye, est avant tout un compositeur. Il créera la bande sonore de ce film et collaborera avec Yoshihiro Hanno pour celle de Millenium Mambo. Ces deux films sont habités par des sonorités sombres et tranchantes se réverbant sur de la tôle. Lorsque l’on s’attarde sur l’un des clips videos de Lim Giong, il est intéressant d’observer un univers visuel en complet décalage. L’esthétique du clip fait clairement référence au mouvement cyber punk lui même revisité par une rythmique drum’n’bass. Peut être Lim Giong s’est-il inspiré de cet univers pour construire son personnage? Les paroles du titre Autodestruction (musique qui figure 35 36 dans le film) sont, une extension, une ramification du thème du film. Lim Giong décrit des «corps-bombes à retardement», «des anesthésies de désirs», «des vies à la dérive». D’autres artistes très prisés de la scène underground taiwanaise sont venus s’y greffer tels que Lei Kuang Hsia ou Sillicon. Récemment, Lim Giong a obtenu le Cannes Soundtrack Award pour le dernier film de Hou Hsiao- hsien : The Assassin en 2015. A pure Person. C’est le titre de la musique qui accompagne Vicky tout au long du film. Du tunnel dès l’ouverture, à Yubari où elle apprend le japonais et lors des trajets en voiture, la rengaine suit Vicky. Elles se répondent mais n’aboutissent jamais à une osmose. En effet, les compositions de Lim Giong aux accents de deep house accompagnent l’héroine dans ses échappées. Cependant, à aucun moment la bande sonore sera utilisée pour venir appuyer ou renforcer une émotion. Contrastant nettement avec les dj’s sets fracassants des boîtes de nuit, elle va souligner des moments de stase, en apesanteur où une libération, un envol se profile.

C’est aussi le cas dans Goodbye South Goodbye. La virée à moto des trois acolytes est également un moment suspendu dans le temps du film et accompagné par une rythmique trip pop. Leur road-trip est tentaculaire et stérile à la fois. Il n’aboutit à rien sinon à une espèce de complaisance narcissique. Derrière cette vraie bouffée d’air pour eux comme pour nous, se cache une errance qui trahit une fuite en avant, une angoisse. Toutes leurs initiatives restent et resteront embryonnaires pour être très vite avortées par la suite. C’est aussi le cas pour Vicky, trop souvent, les espaces fermés autour desquels Vicky gravite semblent résorber toute tentative d’émancipation. Elle nous apparaît comme prisonnière de sa propre vie, séquestrée par une matière environnante qui affecte la pureté de son être et vient prendre possession de son aura, telle une ombre électrique.

b) Une sorte d’anti-matière sonore, un manque.

La bande sonore dans Millenium Mambo est quasi omniprésente et se nivelle sur deux palliers. Le premier est composé par Lim Giong. L’autre, sur lequel j’aimerais m’attarder, 35 36 correspond aux ambiances sonores d’intérieurs notamment dans les boîtes de nuit et le studio où habite Vicky et Hao hao. Ce sont des prises sonores directement enregistrées sur les lieux du tournage et au sein desquelles Vicky est systématiquement oppressée. À l’intérieur de ces boîtes de Pandore, un malheur surgit hors champs. C’est Hao Hao jaloux ou bien Doze qui a trop bu ou encore un appel urgent auquel Jack doit répondre. Face à ces parades de séduction qu’elle doit affronter, Vicky semble suffoquer mais résiste. À deux reprises, elle sera à l’origine de disputes dans deux clubs différents mais prendra l’initiative de les résoudre. Déjà se profile un désir de sortir de ces cocons atemporels traversés par des vies en transit où les frustrations se dissipent en plaisirs libérateurs.

La techno obstrue l’espace, elle déborde d’un plan à l’autre, elle domine les voix, les étouffe parfois. La voix de Vicky en est la preuve. Lorsqu’elle n’est pas écrasée par les caissons de basses des night-clubs, elle s’éteint et reste muette avec Hao Hao, comme accablée par son sort, épuisée de se battre. Sysiphe n’est pas loin, il scrute cette mozaique d’être désarticulés à la recherche d’un nirvana fantasmé. Une jeunesse en manque d’avenir, reflet ambigu d’une métropole en passe de se tourner vers un nouveau millénaire. J’y vois une marche mortuaire. Non pas de l’ordre d’une disparition mais d’une commémoration expiatrice et rédemptrice éternellement renouvellée. Seul moyen de s’extraire d’une réalité trop encombrante.

Au final, le regard que pose Hou Hsiao-hsien sur cette jeunesse dont Vicky est la figure de proue n’est pas si noir. Au contraire, Vicky réapprend à entendre à Yubari. Elle s’autoréconcilie avec ses actes manqués dans cet écart de deux langues : le japonais et le chinois, qu’elle appri- voise à son rythme. Mais ce qui est sous entendu ici, dépasse la simple émancipation. Pour moi, cette espèce d’innocence de Vicky à conquérir de nouveau territoires, de nouvelles expériences autorise la reformulation d’un pacte génération- nel sino-japonais. Vicky se transforme en une figure d’espoir contre la désagrégation d’une fraternité collective et d’une perte de soi. C’est un geste politique, un acte de résistance face à un déterminisme socio-culturel et une politique gouvernementale d’ostracisation. Hou Hsiao-hsien est loin d’un pessimisme sourd. Il donne à Vicky le pouvoir de redéfinir une nouvelle identité taiwanaise. 37 38

Millenium Mambo (2001):

(00:44:53 - 00:46:00) Discrètement, le cinéaste va codifier ce désanchantement d’une emprise de la ville sur son héroine. À travers ce transfert d’un état à un autre s’opère un rite de compensation passant par l’enfance et le jeu. En effet, en jouant dans la neige, elle se laisse guider par son instinct et va y sceller l’empreinte de son visage. Ce masque mortuaire laissé dans la neige est pour moi la marque d’un deuil de l’adolescence, un passage à l’âge adulte. C’est une nouvelle vie qui commence pour elle, avec peut être l’espoir de retrouver Jack à Shinjuku. D’ailleurs des plages de silence annoncent l’arrivée de cette césure. Au seuil de la porte de Jack, l’exacerbation des nuits blanches et des disputes s’évaporent pour laisser place à une plénitude. Leurs rencontres est le début d’une harmonie, d’un retour à un équilibre pour Vicky. Les silences entre eux ne sont pas synonymes de non-dits mais instaurent un climat de confiance et d’entente. Cependant, Jack gardera la figure d’un intermédiaire, d’un passeur qui ne s’engagera pas officielement dans la relation, préférant ses affaires. Ce que nous dit ici Hou Hsiao-hsien, c’est que ce retour sur soi de Vicky ne pouvait prendre forme qu’en dehors de Taipei, lors de ces instants d’évasions à Yubari. En somme, la transition ville campagne, Taipei, Yubari prend son sens ici. Une autre île pour se ressourcer, regagner un centre. Tandis que Vicky s’émancipe de la ville et de ses artères nécrosées, polluées de sons, le trio de Goodbye South Goodbye a déjà quitté la ville.

Dans cet arrière pays, la bande sonore n’a pas la même emprise sur les protagonistes. À la différence de Millenium Mambo, elle n’est pas un personnage à part entière mais prend l’apparence d’une ombre. Une ombre sonore au rythme endiablé qui contraste avec les paysages apaisants du film. À la toute fin, lorsque la voiture quitte la route, la plage de silence qui suit l’accident élargit le paysage et isole la voiture. La nature semble reprendre ses droits sur 37 38 ses inquisiteurs autant que sur la musique qu’ils laissent traîner derrière eux. Dans leur pérégrination les trois anti-héros acquièrent un statut d’intrus. Des étrangers bruyants venus de la ville, du Sud là où fatalement ils devraient se trouver.

À la différence de Vicky, ils n’ont pas pu prendre racine. Au Nord de tout, leur salut ne semble possible que dans la mort. Cependant, une portière finit par s’ouvrir et laisse une fin ouverte.

Notes

1 Jacques Aumont, Matière d’images, Éditions images modernes, 2005. 2 Propos de Hou Hisao-hsien recueillis par Emmanuel Burdeau à Taipei les 19 et 20 juillet, puis les 16, 21 et 22 août 1999. Traduit du Chinois (mandarin) par Raphaël Demasse paru dans Hou Hsiao-hsien sous la direction de Jean-Michel Frodon, Éditions Cahiers du cinéma, 1999. 3 Le tao est la «Mère du monde», le principe qui engendre tout ce qui existe, la force fondamentale qui coule en toutes choses de l’univers. C’est l’essence même de la réalité et par nature ineffable et indescriptible. Il est représenté par le taijitu, symbole représentant l’unité au-delà de la dualité yin-yang. le Tao a été édifié ou systématisé dans le texte Tao To King attribué à Lao Tseu. 4 Un synclinal, est en géologie un pli concave dont le centre abrite un entassement de strates de plus en plus jeunes jusqu’à la surface. 5 Jean-Michel Durafour, Millenium Mambo, Les Éditions de la transparence/ Cinéphilie, 2006. 6 Op. cit. p. 149. 7 Gilles Deleuze, L’Image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, «Critique», 1985, p.13.

39 39 Continent et île, ville et campagne, intérieur et extérieur. a) Taipei : miroir d’ombres sous influence.

De loin c’est un point, de près c’est un cercle inalté- rable, sans début ni fin. Taiwan fait partie des seules zones libres de la République Populaire de Chine avec les îles Penghu, Kinmen, Matsu et les îles Pratas. Son indépendance sur le géant chinois est avant tout administrative. Considérée comme une province renégate, Taipei ne se dévoile pas. Elle reste tapis dans l’ombre. Nous gravitons autour d’elle sans jamais pouvoir affirmé que cette rue, ce rond point, cette autoroute en font partie. Dans Goodbye South Goodbye, nous savons seulement que les trois protagonistes se dirigent vers le Nord, donc logiquement vers la capitale. En tout cas, elle aimante vers elle une nomadie d’ombres insaisissables.

Du tripot où le mahjong échauffe les esprits, à la capture de Jack et Tête d’Obus par son cousin Ding en passant par un jeu d’ombres chinoises entre Patachou et Bian, Hou Hsiao- hsien projette les ombres portées de corps qui luttent pour leur survie. Tel le mythe de la jeune fille de Corinthe, il dessine le contour de ses personnages, leur copie, leur eidolon, leur spectre.

Goodbye South Goodbye (1996):

(00:57:53 - 01:00:39)

41 42

Dans Millenium Mambo, c’est pareil, il faut nous imaginer la ville. À part Yubari, Hou Hsiao-hsien ne nous donne aucun indice, aucun angle d’architectures, pas la moindre ruelles ou recoins de la capitale, rien. Seulement, un emboîtement d’intérieurs, encastrés les uns dans les autres. Il n’y a pas de grands angulaires contrairement à Goodbye South Goodbye, tout est rétréci, notre regard est limité. Nous sommes au coeur de la toile où viennent s’aglutiner des êtres aveuglés par sa lumière. Vicky est d’autant plus vulnérable, qu’elle ne semble pas avoir de chez soi, pas d’espaces intimes. Elle buttine d’un prétendant à l’autre, d’un ami possessif à un père de substitution.

Millenium Mambo comme Goodbye South Goodbye, diagnostique une jeunesse en crise. Une crise de l’expérience, dont même l’aîné, Jack prouve par son incapacité à ouvrir un restaurant, qu’elle est tenace. Cette déréliction serait le syndrôme de Taipei? Une ville en proie à un capitalisme éffréné, à une course au profit exercant sur elle une force centrifuge faisant de son intériorité un vide et de son extériorité un flux en «dévoiement» 7.

Ce terme, extrait de L’empire des signes de Roland Barthes, caractérise un état des villes moderne. C’était en 1970. Il mettait à plat ses impressions lors d’un voyage à Tokyo, mais rien ne semble avoir véritablement changé. Cette circonférence qu’il décrit, est comme inscrite en transparence au-dessus des métropoles. Une ligne fermée sur elle-même, un centre pris dans un maelstrom du progrès. Taipei serait alors comme vidée de sa substance et emporte- rait avec elle sa périphérie. Les hommes qui l’habitent en sont le produit : des êtres recroquevillés, dans leur coquille. À propos de coquilles, Gaston Bachelard dans son ouvrage : La poétique des espaces nous renvoie à Jurgis Baltrusaitis 1 et à son bestiaire fantastique :

« Tout est dialectique dans l’être qui sort d’une coquille. Et comme il ne sort pas tout entier, ce qui sort contredit ce qui reste enfermé. Les arrières de l’être restent emprisonnés dans des formes géométriques solides. Mais à la sortie, la vie est si pressée qu’elle ne prend pas toujours 41 42 une forme désignée (...) la dialectique de l’être libre et de l’être enchaîné : et que ne peut-on attendre d’un être déchaîné ! » 2.

Oui en effet, «que ne peut-on attendre d’un être déchaîné?» tout simplement qu’il se libère. Le regard perspectiviste de Hou Hsiao-hsien va venir ordonner ce flux, ce désastre en allant au centre de Taipei, là d’où viennent les murmures. Dans Goodbye South Goodbye, il prélève ces énergies nerveuses de la ville pour les insérer dans un nouveau terrain d’obser- vation. La campagne devient un laboratoire pour enregistrer des épiphénomènes à partir de situations ordinaires :

« Ce qui me préoccupe, ce sont les intéractions entre les gens, à travers des expressions très quotidiennes, des paroles, des gestes, des choses que l’on sent entre les lignes » 3.

Dans Millenium Mambo, c’est un autre mouvement. Vers l’extérieur cette fois. C’est une émigration choisie, un autre territoire, une autre île : le Japon. Le reflet d’un eldorado pour la jeunesse taiwanaise? Un terreau en tout cas plus fertile aux émulsions des villes ultramodernes où Vicky peut enfin envisager un avenir. Un an après la sortie du film, s’amorce au Japon la sortie d’une déflation persistante suite à la crise économique asiatique de 1997. Deux films pour deux prévisions. Alors que Millenium Mambo (2001), prédit une sortie de crise, Goodbye South Goodbye (1996) annonce l’aube de son commencement. Deux oeuvres prémonitoires à la lisière d’un désastre qui, selon Maurice Blanchot :

« revient, il serait le désastre d’après le désastre, retour silencieux, non ravageur, par où il se dissimule. La dissimulation, effet de désastre » 4.

43 44 Hou Hsiao-hsien inscrit dans son oeuvre, déjà polysémiques, une facette de plus, de l’ordre de l’irreprésentable. Non pas l’irreprésentable durassien dans Hiroshima mon amour, de ce qui a eu lieu. Non, c’est un irreprésentable qui advient, qui est en marche. Hou Hsiao-hsien a, tel L’Angelus novus de Klee analysé par Walter Benjamin : « Le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès » 5.

Pas de vision prophétique ou apocalyptique chez le cinéaste car de toute façon le futur reste invisible, seulement audible. La voix de Vicky nous le rappelle. C’est un présent fragilisé car il émerge du passé mais fort de porter en lui une lumière, une vérité. Ces êtres tapis dans la nuit qui parcourent ses films sont les porteurs de cette lumière.

b) Construction d’une nouvelle histoire à la recherche d’anonymes.

À travers ces épopées Hou raconte un malheur humain sur lequel ses acteurs sont invités à piétiner, à danser dessus pour idéalement, l’éradiquer. S’ouvre alors en nous spectateurs, une blessure qui n’a pas cicatrisé. Celle d’une recherche d’une humanité perdue que le cinéaste parvient à réactiver. En l’an 2000, Alexandre Sokourov réalise Élégie de la traversée. Un voyage de Saint-Pétersbourg à Rotterdam où dit-il :

« Chez tous les gens que je rencontre, je cherche quelque chose dans leurs 43 44 yeux qui relève de la joie, du bonheur et de la consolation. Mais je ne trouve ce que je cherche véritablement que sur deux anciens tableaux… ».

Il est question ici d’interroger quelle part d’humanité a résisté au régime communiste. Quelles en sont les traces tangibles? Hou Hsiao-hsien et Alexandre Sokourov se rejoignent en ce sens qu’ils traquent ce qui reste d’humain chez l’homme. Ce sont des chasseurs autant que des poètes. Chacun à leur manière, ils prennent en main un malheur et le traversent. Sont-ils des utopistes pour autant? Non, certainement pas. Jean Breschand, dans un article pour Vertigo intitulé La voix là 6, nous parle du film de Sokourov comme faisant parti de ces films :

« en rêve du monde, unique façon d’être en éveil. C’est en cela qu’ils sont des utopies, tirant des syncopes du rêve leur force de recomposition ».

Pour lui, Sokourov est un «dormeur éveillé», un insomniaque tout comme Vicky. Elle, lutte contre son propre anonymat, contre sa propre disparition. Lui, tente de combattre un anonymat du «on», un oubli collectif. Hou Hsiao-hsien et Sokourov sont pour moi deux éxilés. Deux déracinés, obligés dans leur enfance à suivre les nouvelles affectations de leur père au détriment d’un arrachement. Aujourd’hui, ils semblent vouloir conjurer l’angoisse d’un silence en redonnant à des témoins muets une parole. Dans Le partage du sensible, Jacques Rancières complète cette idée «d’utopies» de Jean Breschand. Tout d’abord, il précise le caractère contradictoire d’une utopie :

« le mot d’utopie est porteur de deux significations contradic- toires. L’utopie est le non-lieu, le point extrême d’une reconfigu- ration polémique du sensible, qui brise les catégories de l’évidence. Mais elle est aussi la configuration 45 46 d’un bon lieu, d’un partage non polémique de l’univers sensible, où ce qu’on fait, ce qu’on voit et ce qu’on dit s’ajustent exactement » 7.

Plus loin, et c’est précisément cela qui va permettre d’élargir la portée de leurs oeuvres, Rancières confronte «les ingénieurs de l’utopie» aux «ouvriers» : « Ce que font les seconds, ce n’est pas opposer la pratique à l’utopie, c’est rendre à celle-ci son caractère d’«irréalité», de montage de mots et d’images propre à reconfigurer le territoire du visible, du pensable et du possible. Les «fictions» de l’art et de la politique sont ainsi des hété- rotopies plutôt que des utopies » 8.

D’une certaine manière, ils contribuent à délier un peu plus l’Histoire de ses zones obscures. Mais le chemin ne s’arrête pas là. À nous, spectateurs de passer de destinataires passifs, assis confortablement dans une salle de projection à des passeurs d’un récit, d’une parole, d’un mot, afin de partager une manière de faire, une forme de pensée. La forme de pensée sur laquelle j’ai décidé de consacré ce mémoire est chinoise. Elle s’inscrit pleinement dans le cinéma de Hou Hsiao-hsien en cesens qu’elle n’est pas qu’une manière de faire mais aussi une manière de vivre. François Cheng met les mots justes sur ce qui fait la quintessence même de son cinéma :

« À nous de faire nôtre à présent, en interrogeant la suite des temps, le regard de ces artistes qui ont compris, les premiers sans doute (il y a mille ans de cela!) que la vue jamais ne devait cacher la vision. Et qu’atteindre à la vision, c’est être convié à pénétrer la réalité d’un monde dont nous est enfin révélé le coeur : cette part de l’invisible, du mystère » 9.

45 46 Quellle est cette part de l’invisible et du mystère? Plus avant, nous avons vu que les plans séquences qui se suivent dans Millenium Mambo et Goodbye South Goodbye s’entremêlent et créent une sorte de continuité immanente. L’unité du plan disparaît au profit d’une interdépendance. Le plan devient une suite d’embranchements rhizomatiques. Ils dépendent les uns des autres et n’existent qu’en fonction de ce qui les précède et les devance d’où cette sensation de vide et d’inachèvement qui les impreignent. C’est je crois, cette vacuité même qui est l’envers de ce mystère. Le terme littéralement «rien», la «non existence» désigne dans le taoisme cette notion de vacuité. Son équivalent pictographique symbolise un cercle : l’Enso en japonais. Une figure récurrente dans son oeuvre et qui ne cesse de creuser l’écart entre intérieur extérieur, visible et invisible.

Dans Élégie de la traversée, l’avatar de Sokourov, son double est saisit d’un éclat vital, d’une soudaine clarté devant le tableau de Pieter Saenredam datant de 1765. Il ne fait pas que regarder, il revit la scène, s’y projette. Il revoit la Place Sainte Marie dans ses moindres détails et même au delà :

« Et eux...c’est vrai, ils venaient souvent ici.(...) Je me souviens des arbres mais je crois qu’il y en avait plus (...) Cette fenêtre ne s’ouvrait jamais. Pieter l’avait inventée. On ne savait pas qui vivait là » 10.

Élégie de la traversée (2000):

(00:40:00 - 00:45:15)

Mais soudain tout se fige. Les ombres sont immobiles, la peinture a séché. Il se demande comment revenir 47 48 à ce télescopage des temps. La toile est encore «chaude» nous dit-il. C’est le dernier souffle vital du tableau qui rend l’âme. Le voile noir du temps l’englouti dans l’oubli et le tableau avec. Cet instant aussitôt évanoui pourrait tout aussi bien symboliser l’élan du cinéma de Hou Hsiao-hsien. Je veux parler de cette rencontre avec son passé et le passé de l’île. L’histoire d’une expérience unique, le temps d’une fulgurance, d’un flash. Walter Benjamin synthétise exactement ce qui est en jeu ici : « L’image vraie du passé passe en un éclair. On ne peut retenir le passé que dans une image qui surgit et s’évanouit pour toujours à l’instant même où elle s’offre à la connaissance. (...) Car c’est une image irrécupérable du passé qui risque de s’évanouir avec chaque présent qui ne s’est pas reconnu visé par elle » 11.

Heureusement, Sokourov comme Hou Hsiao-hsien étaient là pour sceller ce temps si fragile quitte à l’imaginer, à le mettre en scène. Ce qui reste au final, c’est une image, un souvenir comme les affiches gigantesques qui ornent les toits de la Rue du cinéma de Yubari. À la fin de Millenium Mambo, les portraits peints d’Alain Delon, de Jean Gabin et de Charles Bronson se toisent. Une note d’ironie semble impreigner ces derniers plans. Des figures anachroniques qui persistent à lutter contre leur propre anonymat. Vicky semble avoir résolu ce problème et les laisse derrière elle, dans cette rue dé serte et immaculée,

« À l’orient de tout, là où se souvient La mer, l’orage a dispersé écailles Des dragons, carapaces des tortues Nous nous prosternons vers le pur silence Régnant par-delà la terre exilée À l’heure du soir, à l’orient de tout Où se lève le vent de l’unique mémoire » 12.

47 48 Notes

1 Jurgis Baltrusaitis, né à moscou le 7 mai 1903 et mort à Paris le 25 janvier 1988, est un historien de l’art lituanien d’expression française, fils du poète symboliste lui aussi dénommé Jurgis Baltrusaitis (1873-1944). 2 Gaston Bachelard, La poétique des espaces, Les Presses universitaire de France, 1958. 3 Propos de Hou Hsiao-hsien tirés de Made in China, numéro hors-série des Cahiers du Cinéma, sous la direction de Charles tesson et Olivier Joyard. 4 Maurice Blanchot, L’écriture du désastre, Gallimard, 1980. 5 Walter Benjamin, Oeuvres TOME II, Éditions Gallimard, 2000, p.434. 6 Jean Breschand, La voix là, Vertigo n°26 intitulé Voix-off : qui nous parle?, octobre 2004. 7 Jacques Rancières, Le partage du sensible, Éditions La Fabrique, 2000, p. 64. 8 Op. cit. p. 66. 9 François Cheng, La voie des Fleurs et des Oiseaux dans la tradition des Song, Paris, Phébus, 2000, p.29. 10 Voix off, L’Élégie de la traversée, Alexandre Sokourov, 2000. 11 Walter Benjamin, Oeuvres TOME II, Éditions Gallimard, 2000, p.439. 12 François Cheng, À l’orient de tout, Éditions Gallimard, Collection poésie, 2005, p 290.

49 49 À travers cette étude comparative entre Millenium Mambo et Goodbye South Goodbye, j’ai tenté de composer des liens entre ces deux films. Appartenant à la même période, ils cohabitent et forment un maillage, un dyptique. Réunis, ils ouvrent deux dates, deux incisions dans l’histoire contemporaine de Taiwan afin d’osculter le mal être d’une génération mais pas que. Je crois qu’indépendamment de cet essai, ces deux films s’enchevêtrent inévitablement pour communiquer consciemment ou non une pensée moderne du cinéma. Pour Jean-Michel Frodon, il est évident que Hou Hsiao-hsien fait partie de ces cinéastes, créateurs de nouvelles formes :

« Hou n’est pas un moderne au sens où les modernes héritent du classicisme et le remettent en question : l’univers très riche dont il est issu la civilisation chinoise abordée depuis le point d’intersection entre un lieu (Taiwan) et un moment (aujourd’hui) est pratiquement vierge de passé cinématographique » 1.

En ce sens, Hou Hsiao-hsien est un cinéaste tamiseur. L’Histoire passe au crible d’un regard lucide et concerné sur son présent. Il est à la commissure entre une culture traditionnelle qu’il affectionne et une critique lucide sur ce qui l’entoure. Par cette double posture, ces films déplacent notre regard, ils le décentre vers les quelques grains de réel qui resteront conservés. Ce geste est cosmopolite, il dépasse les frontières sans jamais nous prendre à parti. Simplement, il nous dit que ça a été. Lorsque Emmanuel Burdeau lui demande pour quelles raisons est-il tant attaché à la mémoire de son pays, Hou Hsiao-hsien lui répond : 51 52

« Les jeunes ne sont pas du tout raccrochés au passé de l’île, parce que la culture, aujourd’hui, est à part, sans lien avec l’économie et la politique. J’aimerais rendre cette culture plus proche et plus sensible à la jeunesse. Mon souhait est de faire passer ce patrimoine culturel dans l’image » 2. Bien qu’il se soit désintéressé de la Politique et de ses coup bas, le cinéaste a éminemment un pied dedans. Ses films sont le résultat d’une enquête pointilleuse à la recherche des scories d’un conflit entre deux cultures, d’une réalité archipellique, d’une île repliée et vaincue. Son oeuvre est constellée de périodes, d’étapes comme pour actualiser un nouveau calendrier iconique pour raviver une conscience historique.

Au final, ce qui m’a le plus saisi dans sa pratique de cinéaste c’est cette liberté à repousser une scène au lendemain. Si elle n’opère pas, c’est que le lieu ou le dispositif ne va pas. Dans ce cas, il réajuste et ne force pas les choses. Ce travail de rattrappage et de réajustement au tournage est de l’ordre d’une recherche minutieuse pour tenter d’unifier un rapport au temps qui s’accorde à un espace et à ses acteurs. Pour Goodbye South Goodbye près de trois sessions de tournages de trois mois ont été nécessaire pour mener à bien ce projet. Aujourd’hui, il est impossible d’envisager une telle prise de risque sans avoir sa notoriété et encore, lui-même avoue à Emmanuel Burdeau 3 de ne pas gagner d’argent avec ses films. Et pourtant sa réputation commence sérieuse- ment à le dépasser notamment avec la sortie en 2015 de son dernier film : The Assassin qui a reçu le prix de la mise en scène à Cannes. Ses films ont la forme d’un entonnoir agglomérant dans un même écoulement tous les confluants du temps. La substance qui en découle est une «pâte», un conglomérat d’instants, la réunion d’un embranchements complexe de plusieurs temporalités. Pour moi, c’est un autre rapport au temps et au monde qu’il nous propose, un choix de vie.

Sous la surface tranquille de ce flot de plans allongés, se cache un fond ravageur. Ravageur car il nous prend à revers. Par un détour, nous sommes rattrapés par l’appa- 51 52 rence faussement banale d’une esthétique du quotidien. Nous trébuchons sur un réalisme investi de micros instants de vérités qui agissent rétroactivement. Mais ce paradigme qui a amené son cinéma à être reconnu à l’international n’est possible que par une insatiable recherche formelle. Une recherche joyeuse, une ligne de fuite arborescente nour- rie par quelques maîtres tels que Maurice Pialat, Antonioni, Eli Kazan, Yasujiro Ozu ou Mikio Naruse. D’ailleurs, le livre Nuages flottants de Hayashi Fumiko que Naruse adaptera en 1955, est très proche de la structure dramatique de Millenium Mambo et de Goodbye South Goodbye à cette différence qu’une sorte d’image rédemptrice finit par éclore dans Nuages flottants. À la fin du livre, face à la perte de son amante Yukiko, Tomioka est incapable de se projetter, de décider de son avenir :

« Il imagina sa propre silhouette sous la forme d’un nuage flottant. Un nuage errant au gré du vent qui, un jour, quelque part, insensiblement, disparaîtrait » 4.

La puissance de ce drame est augmentée par cette ultime image symbolique. De nouveau c’est un moyen de fuir une réalité. Une nostalgie pour une autre vie souhaitée. Un désir de ne pas avoir été. C’est aussi la figure d’un couple esseulé que l’on retrouve. Mais à la différence de Millenium Mambo et de Goodbye South Goodbye où la fin reste plus terre à terre, il y subsiste néanmois un chant élégiaque et universel d’une génération en proie à un futur incertain parce qu’incommunicable. Cet écueil, Mikio Naruse et Hou Hsiao-hsien semblent l’avoir développé à travers ce que l’on appelle au Japon des Shoshimin-eiga. Un genre théâtral et cinématographique néo-réaliste japonais s’intéressant à la vie de personnes issues de la classe moyenne. Plus qu’un genre dans lequel il serait facile de l’enfermer, Hou Hsiao-hsien définit avec son cinéma des parcelles d’humanités.

« Mon ambition est de comprendre l’arrière plan de chacun, d’où vient l’assemblage de bons et de mauvais côtés qui le constitue. Je m’intéresse au mouvement général d’une personne, qui seul explique pourquoi elle est ainsi aujourd’hui. 53 54 Beaucoup de cinéastes font de leurs films une sorte de site ou de lieu à part qui draine à lui toutes les forces extérieures et qui exige en quelque sorte qu’on le serve. Je fais plutôt le contraire : ce n’est pas la vie qui est au service du film, mais le film qui est au service de la vie. Il n’y a pas pour moi de réalité hors du film » 5. À force de faire du tournage un dispositif catalyseur d’énergies en quête d’une expérience de l’instant, de véritables fragments de vie finissent par apparaître à l’écran et subjuguent notre regard. Au début de Poussières dans le vent, A Yuan et A Yung rentrent chez eux. Il longent les rails et s’arrêtent à l’entrée de leur village. Un homme tend à la force de ses bras le dernier angle d’un écran de projection. Cet écran a priori banal devient à la fois le reflet d’un avenir qu’il reste à écrire mais qui se voit déjà escamoter par l’approche de nuages de mauvaise augure. Au final, je crois que ce qui fait l’essence de son cinéma se situe précisément dans cet écart entre la promesse d’une éclosion et son imman- quable désertion. Cet écart contamine chaque plan et ne cesse de sublimer un quotidien où chaque personnages fait constam- ment face à un présent qui lui échappe. C’est un cinéma d’orpailleurs, à la recherche d’un cadeau de la nature dans un mouvement circulaire, inlassablement, il sépare le sable de l’or. Cet écart a un nom : c’est le «placer» 6.

Poussières dans le vent (1986):

(00.02.05 - 00.02.17)

1 Jean-Michel Frodon, Hou Hsiao-hsien, Éditions Cahiers du cinéma, 1999, p.24. 2 Propos de Hou Hisao-hsien recueillis par Emmanuel Burdeau à Taipei les 19 53 54 et 20 juillet, puis les 16, 21 et 22 août 1999. Traduit du Chinois (mandarin) par Raphaël Demasse paru dans Hou Hsiao-hsien sous la direction de Jean-Mi chel Frodon, Éditions Cahiers du cinéma, 1999. 3 Propos de Hou Hsiao-hsien tirés de Made in China, numéro hors-série des Cahiers du Cinéma, sous la direction de Charles tesson et Olivier Joyard, p.91. 4 Hayashi Fumiko, Nuages flottants, Éditions du Rocher, 2005, p.302. 5 Op. cit. p. 104. 6 Dans le jargon des orpailleurs, le «placer» (prononcer «placère») est un endroit où l’or a tendance à se concentrer. Bibliographie :

- Patrick Mauriès, Le trompe oeil, Gallimard, Paris, 1996.

- André Gunthert et Michel Poivert, L’art de la photographie, Éditions Citadelle et Mazenod, octobre 2007.

- Hans Belting, Pour une anthropologie des images, Gallimard collection «le Temps des images», Paris 2004.

- Anthony Fiant, Pour un cinéma soustractif contemporain, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, collection « Esthétiques hors cadre », 2014.

- Pascal Bonitzer, Le champ aveugle : essais sur le réalisme au cinéma, Editions des Cahiers du cinéma, Petite Biblio- thèque des Cahiers du cinéma, 1999.

- Collectif, Cinéma engagé , cinéma enragé, collection L’Homme et la société, Editions l’Harmattan, mai 2000.

- Collectif, L’Etat du monde du cinéma. Nouvelle géographie, Petite anthropologie des Cahiers du cinéma, décembre 2001.

- Guy Bedouelle, collection 7eme art, Les Editions du Cerf, 1985.

- Raphael Bassan, Cinéma et Abstraction, Cinéma La Clef, à Pans, mai 2007.

- Jean Epstein, Les écrits sur le cinéma, Tome 1, 1921-1953.

- Reynaud Bérénice, Nouvelles Chines, Nouveaux cinémas, Editions Cahiers du cinéma, Paris, 1999. 55 56 - Le cinéma de Hou Hsiao-hsien : espaces, temps, sons, sous la direction de Antony Fiant et David Vasse, Presses Universitaires de Rennes, 2013.

- François Cheng, À l’orient de tout, Éditions Gallimard, Collection poésie, 2005,

- Jean Breschand, La voix là, Vertigo n°26 intitulé Voix-off : qui nous parle?, octobre 2004. - Hou Hsiao-hsien sous la direction de Jean-Michel Frodon, Éditions Cahiers du cinéma, 1999.

- Jean-Michel Frodon, Le cinéma chinois, Cahiers du cinéma : Scérén-CNDP, Paris, 2006.

- Jacques Rancières, Le spectateur émancipé, Éditions La Fabrique, Paris, 2008.

- Jacques Rancières, Le partage du sensible, Éditions La Fabrique, Paris, 2000.

- David Bordwell, Figures traced in light, University of California Press, 2005.

- James Udden, No Man an Island, the cinéma of HHH, Hong Kong University Press, 2009.

- Caroline Renard : De la prolongation du plan, « Abbas Kia rostami, le cinéma à l’épreuve du réel », Colloque interna tional organisé par le Laboratoire de Recherche Audiovi- suelle (LARA) de l’Université de Toulouse-le Mirail, mars 2007.

- Jacques Aumont et Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, Éditions Armand Collin, 2008.

- Georges Didi Huberman, Phasmes essai sur l’apparition, tome 1, Éditions de Minuit, 1998.

- Hartmut Rosa : Aliénation et accélération vers une théorie de la modernité tardive, La Découverte, collection « Théo rie critique », 2012.

- Roland Barthes, Carnet de voyage en Chine, Édition établie par Anne Herschberg Pierrot aux éditions 55 56 Christian Bourgois / Imec, février 2009.

- Sous la direction de Charles Tesson et Olivier Joyard, Made in China, Numéro hors-série, Cahiers du cinéma, 1999.

- Walter Benjamin, Oeuvres TOME II, Éditions Gallimard, 2000.

- Maurice Blanchot, L’écriture du désastre, Gallimard, 1980. - Gaston Bachelard, La poétique des espaces, Les Presses universitaire de France, 1958.

- Roland Barthes, L’empire des signes, Éditions du Seuil, septembre 2005.

- Gilles Deleuze, L’Image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, «Critique», 1985.

- Jacques Aumont, Matière d’images, Éditions images modernes, 2005.

- Jean-Michel Durafour, Millenium Mambo, Les Éditions de la transparence / Cinéphilie, 2006.

- Adrien Gombaud, «Au soleil chinois de la mélancolie», Positif, n°556, juin 2007, p.110.

- Gilles Deleuze, le bergsonisme, Presses Universitaire de France, 1966.

- Jeux sérieux Cinéma et art contemporains transforment l’essai, dirigé par Bertrand Bacqué, Cyril Neyrat, Clara Schulmann et Véronique Terrier Hermann, HEAD-Genève, Haute École d’art et de design, 2015.

- James Cahill, Les trésors de l’Asie, La peinture chinoise, Éditions d’Art Albert Skira S.A Genève, 1977.

57 58 Filmographie de Hou Hsiao-hsien:

Cute Girl Année de production : 1980 Ta-Yu films Ltd. Réalisation et scénario : Hou Hsiao-hsien. Photographie : Chen Kun-hou. Montage : Liao Ching-sung. Son : Wan Jung-fang. Musique : Zou Hong-yuan. Producteur : Yieh Chen-feng. Producteur exécutif : Lue Da-chwan. Interprétation : Feng fei-fei, Kenny Bee, Chen Yu. Durée : 90 minutes

Cherfull Wind Année de production : 1981 Ta-Yu films Ltd. Réalisation et scénario : Hou Hsiao-hsien. Photographie : Chen Kun-hou. Montage : Liao Ching-sung. Son : Sin Jian-shen. Musique : Zou Hong-yuan. Producteur : Yieh Chen-feng. Producteur exécutif : Yao Pai-hsuie. Interprétation : Feng fei-fei, Kenny Bee, Chen Yu. Durée : 90 minutes

L’Homme-sandwich Année de production : 1983 Central Motion Picture Corporation. Épisode : Son’s Big Doll (La Grande Poupée du fils) Réalisation : Hou Hsiao-hsien. 57 58 Scénario : Wu nien-jen, d’après une histoire originale de Huang Chu-ming. Photographie : Chen Kun-hou. Montage : Liao Ching-sung. Son : Sin Jian-shen. Musique : Wen Loong-jun. Producteur : Ai Yueh-hsin. Producteur exécutif : Ming Chi. Interprétation : Chen Po-cheng, Yang Li-yin.. Durée de l’épisode : 33 minutes Les Garçons de Fengkuei Année de production : 1983 Evergreen Productions Ltd. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen. Photographie : Chen Kun-hou. Montage : Liao Ching-sung. Son : Shin Jian-sheng. Musique : Li Tsung-sheng. Producteur : Lin Jung-feng. Producteur exécutif : Chen Kun-hou. Interprétation : Niu Cheng-tse, Tuo Tsung-hua, Lin Hsiu-ling, Yang Li-yin, Chen Shu-fang, Chang Shih. Durée : 101 minutes

Un été chez grand-père Année de production : 1984 Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen, Hou Hsiao-hsien, d’après un roman de Chu Tien-wen. Photographie : Chen Kun-hou. Montage : Liao Ching-sung. Son : Shin Jian-sheng. Musique : Edward yang, Tu Duu-chih. Producteur : Yu Chen-yen. Producteur exécutif : Wu Wu-fu. Interprétation : Wang Chi-kuang, Li Shu-tien, Ku Chun, Mei Fang, Yen Cheng-kuo, Chen Po-cheng, Lin Hsiu-ling. Durée : 100 minutes

Un temps pour vivre, un temps pour mourir Année de production : 1985 Central Motion Picture Corporation. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen, Hou Hsiao-hsien. 59 60 Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Wang Chi-yang. Son : Shin Jian-sheng. Musique : Wu Chu-chu. Producteur : Lin Teng-fei. Producteur exécutif : Hsu Hsin-chih. Interprétation : Yu An-shun, Hsin Shu-fen, Mei Fang, Tang Ju-yun, Tien Feng. Durée : 125 minutes Poussières dans le vent Année de production : 1986 Central Motion Picture Corporation. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen, Wu Nien-jen. Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Liao Ching-sung. Son : Shin Jian-sheng. Musique : Chen Ming-chang. Producteur : Lin Teng-fei. Producteur exécutif : Hsu Hsin-chih. Interprétation : Wang Ching-wen, Hsin Shu-fen, Mei Fang. Durée : 109 minutes

La Fille du Nil Année de production : 1987 Hsueh-Fu Films Ltd. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen. Photographie : Chu Hwai-en. Montage : Liao Ching-sung. Son : Shin Jian-sheng. Musique : Chen Chih-yuan, Chang Hung-yi. Producteurs : Tsai Chih-yuan, Wang Ying-chieh. Producteur exécutif : Lu Wen-jen. Interprétation : Yang Lin, Jack Kao, Yang Fan, Li Tien-lu, Tsui Fu-sen. Durée : 153 minutes

La Cité des douleurs Année de production : 1989 Era International Ltd. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen, Wu Nien-jen. 59 60 Photographie : Chu Hwai-en. Montage : Liao Ching-sung. Son : Tu Duu-chih, yang Jinn-an. Musique : Naoki Tachikawa. Producteur : Chiu Fu-sheng. Producteur exécutif : Yang Teng-kuei. Interprétation : Tony Leung Chiu-wai, Hsin Shu-fen, Li Tien-lu, Chen Sown-yung, Jack Kao. Durée : 159 minutes Le Maître de marionnettes Année de production : 1993 Era International Ltd. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen, Wu Nien-jen, d’après une histoire originale de Li Tien-lu. Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Liao Ching-sung. Décor : Hung Chang, Lu Ming-ching. Son : Tu Duu-chih. Musique : Chen Ming-chang, Jan Hong-da. Producteur : Chiu Fu-sheng. Producteur exécutif : Yang Teng-kuei. Interprétation : Li Tien-lu, Lim Giong, Vicky Xei, Hwang Ching-ru, Kao Tung-hsiu, Tsai Chen-nan, Yang Li-yin. Durée : 142 minutes

Good Men Good Women Année de production : 1995 Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen,. Photographie : Chen Hwai-en. Montage : Liao Ching-sung. Décor : Huang Wen-ying. Son : Tu Duu-chih. Musique : Chen Hwai-en, Chiang Hsiao-wen. Producteurs : Kazuyoshi Okuyama, Yang TEng-kuei. Producteurs exécutifs: Ben Hsieh, Katsuhiro Mizuno, Shozo Ichiyama, King Jieh-wen. Interprétation : Annie Shizuka Inoh, Jack Kao, Lim Giong, Vicky Wei. Durée : 110 minutes

Goodbye South, Goodbye Année de production : 1996 / 3H Films Ltd. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. 61 62 Scénario : Chu Tien-wen, d’après une histoire originale de King Jieh-wen et Jack Kao. Photographie : Mark Lee Ping-bin, Chen Hwai-en. Montage : Liao Ching-sung. Son : Tu Duu-chih. Musique : Lim Giong. Producteurs exécutifs : Katsuhiro Mizuno, Shozo Ichiyama. Interprétation : Jack Kao, Lim Giong, King Jieh-wen, Annie Shizuka Durée : 112 minutes Les Fleurs de Shanghai Année de production : 1998 / 3H Films Ltd. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen, d’après le roman de Han Ziyun. Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Liao Ching-sung. Son : Tu Duu-chih. Musique : Yoshihiro Hanno. Producteur : Lin Teng-fei. Producteur exécutif : Hsu Hsin-chih. Interprétation : Wang Ching-wen, Hsin Shu-fen, Mei Fang. Durée : 109 minutes (version exploitée en France) et 130 minutes (version initiale).

Millenium Mambo Année de production : 2001 / 3H Films Ltd. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen. Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Liao Ching-sung. Décor : Huang Wen-ying. Son : Tu Duu-chih. Musique : Lim Giong, Yoshihiro Hanno. Producteurs : Chu Tien-wen, Eric Heumann. Producteur exécutif : Huang Wen-ying, Gilles Ciment. Interprétation : Shu Qi, Jack kao, Tuan Chun-hao, Chen Yi-hsuan, Jun Takeuchi, Doze Niu. Durée : 119 minutes.

Café Lumière Année de production : 2003 Shochiku Company. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen, Hou Hsiao-hsien. 61 62 Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Liao Ching-sung. Décor : Huang Wen-ying. Son : Tu Duu-chih. Musique : Inoue Yôsui. Producteurs : Liao Ching-sung, Miyajima Hideji, Osaka Fumiko, Yamamoto Ichirô. Interprétation : Hitoto Yo, Asano Tadanobu, Hagiwara Masato, Yo Kimiko, Kobayashi Nenji. Durée : 103 minutes. Three Times Année de production : 2005 / 3H Films Ltd. Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Chu Tien-wen, Hou Hsiao-hsien. Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Liao Ching-sung. Décor : Huang Wen-ying. Son : Tu Duu-chih. Musique : Inoue Yôsui. Producteurs exécutifs : Huang Wen-ying, Gilles Ciment. Interprétation : Shu Qi, Chang Chen, Mai Fang, Liao Su-jen, Di Mei, Chen Shi-zheng. Durée : 132 minutes.

Le Voyage du ballon rouge Année de production : 2007 Réalisation : Hou Hsiao-hsien. Scénario : Hou Hsiao-hsien, François Margolin. Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Liao Ching-sung, Jean-Christophe Hym. Décor : Paul Fayard. Son : Chu Shih-yi. Producteurs : François Margolin, Kristina Larsen, Rémi Burah. Interprétation : Juliette Binoche, Hippolyte Girardot, Simon Iteanu, Song Fang, Louise Margolin, Anna Sigalevitch, Charles-Elouard Renault. Durée : 115 minutes.

The Electric Princess House Année de production : 2007 Court-métrage réalisé pour le film collectif Chacun son cinéma.

The Assassin Année de production : 2015 Réalisation : Hou Hsiao-hsien. 63 64 Scénario : Hou Hsiao-hsien, François Margolin. Photographie : Mark Lee Ping-bin. Montage : Liao Ching-sung, Jean-Christophe Hym. Décor : Paul Fayard. Son : Chu Shih-yi. Musique : Lim Giong. Producteurs : François Margolin, Kristina Larsen, Rémi Burah. Interprétation : Shu Qi, Chang Chen, Zhou Yun, Satoshi Tsumabuki. Durée : 120 minutes. Remerciements:

Je tiens à adresser mes remerciements à tous ceux qui ont contribué à l’écriture de ce mémoire.

Mon tuteur :

Bertrand Bacqué

Mes amis :

Alice Rabot Sarah Gauthé

Ma famille :

Marie-Jeanne Gauthé Fernand Mognetti

63 64 Robin Mognetti

Bachelor Cinéma / cinéma du réel 65 Imprimé en février 2016 à la Haute École d’Art et de Design de Genève.