RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQUE (WEST INDIES)

Henry Petitjean Roget

L'île de la Dominique est située entre les îles de la Guadeloupe au nord et de la Martinique au sud. De la côte nord de la Dominique, Marie-Galante et l'archipel des Saintes sont en vue et à quelques heures de canot. De l'extrême sud du village de Kachucru on aperçoit les côtes de la Martinique distantes d'une trentaine de kilomètres. L'île dont la longueur est proche de quarante kilomètres pour une largeur d'environ vingt-cinq kilomètres est très montagneuse et recouverte de forêts. Les rivières sont très nombreuses et riches de poissons et d'écrevisses. La côte ouest sous le vent, côte caraïbe présente une succession de baies séparées les unes des autres par les contreforts des montagnes. Cette côte a été fortement déboisée le long du rivage et assez loin sur les versants montagneux. Dans les anses, où vient souvent se jeter un ruisseau ou une petite rivière, sont bâtis des hameaux. La mer sur la côte ouest, protégée des vents dominants, est calme. La côte atlantique, située au vent, est d'un aspect très différent. Elle est découpée de nombreuses criques entre des falaises et sur des plages de galets viennent se briser les vagues de l'Atlantique. Les seules plages de sable de cette côte se rencontrent entre Woodfort Hill Bay et Hampstead Beach. Dans les relations des chroniqueurs français du 17è et du 18è siècle , il est souvent fait mention des anciens habitants caraïbes de cette île. Quelques des­ cendants très métissés de ces Caraïbes vivent encore dans une réserve sur la côte nord-est. Mais l'évidence d'un passé préhistorique n'a pas entraîné beaucoup de recherches archéologiques. Très peu de publications sont disponibles sur la préhis­ toire de la Dominique. Lors d'un voyage aux Petites Antilles en 1912, Walter Fewkes s'était arrê­ té à , capitale de la Dominique et avait pu voir une collection d'objets pré­ historiques de pierre présentés a la "Public Library" de Roseau (Fewkes, 1912-1913), pp. 124-128). En 1959, Marshall McKusick fit l'étude d'un site archéologique situé à , village de la côte nord (McKusick, 1959). Quelques années plus tard, en 1966, une équipe de biologistes du Smithsonian Institute de Washington à laquelle s'était joint un archéologue, le Docteur Clifford Evans, passa un mois dans l'île. Le Docteur C. Evans découvrit quelques sites archéologiques et dans une communication présentée lors du deuxième Congrès International d'Etudes des Civilisations Précolombiennes des Petites Antilles, il a exposé les résultats de ses recherches (Evans, 1968, pp.93-102). En 1976, lors de travaux de terrassement effectués pour l'aménagement d'une zone à urbaniser au-dessus du village de Soufrière au sud de la Dominique de très nombreux fragments de poteries ont été mis à jour par le conducteur du bulldozer, Monsieur Cari Winston. Il recueille des adornos des tessons peints de blanc et de rouge et montre quelques échantillons au Docteur Douglas Taylor, spécialiste de langues amérindiennes. Celui-ci identifie ces fragments comme des restes de pote­ ries précolombiennes et prévient le Docteur Irving Rouse de l'Université de Yale, qui â son tour avisait les chercheurs proches de la Dominique de cette découverte. C'est ainsi que je me suis rendu à la Dominique en mai 1976 pour examiner le site 82 RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQUE

de Soufrière (1), Durant trois jours j'ai fouillé sans grands moyens ce gisement qui avait déjà presque entièrement disparu lors de travaux antérieurs à ceux qui ont permis la découverte du site par Cari Winston en 1976. En mars 1977 je suis revenu à la Dominique pour examiner à nouveau le ma­ tériel de Soufrière et pour visiter un autre gisement qui avait été découvert dans le lit de la rivière Boeri au lieu-dit . Monsieur Christopher Maximea, Directeur général des Eaux et Forêts, qui s'intéresse au passé précolombien de l'île a eu l'extrême amabilité de me fournir un véhicule et de mettre à ma dispo­ sition, comme guide, Monsieur Cyprien Vigilent, agent des Eaux et Forêts. Grâce à ces facilités, j'ai reconnu la côte ouest, du village de Cachucru à l'extrême sud à Toucari, au nord (planche I). Sur la côte ouest, nous avons exploré les endroits facilement accessibles de Pagua Bay jusqu'au lieu-dit Au Parc. Un ingénieur cana­ dien m'a mené sur le site archéologique découvert par Evans à Saint-Sauveur et j'ai visité par la même occasion la baie de Good Hope située immédiatement au nord de Saint-Sauveur. Enfin, Monsieur et Madame Honnychurch, botaniste attachée au Parc Naturel National de la Dominique, m'ont conduit jusqu'au village de La Plaine sur la côte sud-est. Au cours de cette prospection de l'île, en compagnie de Monsieur Vigilent, j'ai relevé des traces d'occupations amérindiennes en vingt-deux (22) endroits. Ces indices de sites archéologiques viennent enrichir la carte dressée par C. Evans en 1966, présentée lors du Congrès de Barbade (C. Evans, 1968, p.95). Les sites découverts par Evans se trouvent tous sur la côte nord-est à 1'exclusion de celui de Saint-Sauveur, situé â l'est. Nulle part je n'ai fait de sondage et les indices d'occupations que j'ai repérés sont en majeure partie situés sur la côte ouest. Tout le matériel ramassé au cours des sorties sur le terrain a été remis au Parc National à Roseau.

LES SITES DE LA COTE OUEST

Site 1 - Kachacru Il semble que tout le village de Kachacru ait été construit à l'emplace­ ment d'une ancienne installation amérindienne. On trouve des tessons et des co­ quillages en surface près de la langue de sable et de galets qui conduit à Scott's Head. Ailleurs, en remontant dans le village vers l'est, on peut ramasser d'autres vestiges. Les tessons paraissent être arawak tardif; ils sont peints en rouge; la pâte est grossière. Je n'ai trouvé qu'un seul adorno qui représente une tête de chauve-souris traitée de façon très grossière. Les fragments de platines à manioc proviennent de platines apodes et je n'ai trouvé qu'un seul fragment de pied trian­ gulaire de "platine à pieds". Non loin de l'école, en suivant le chemin entre les maisons, j'ai dégagé un morceau de vase peint en "blanc sur rouge". En mai 1976, j'avais ramassé un petit fragment de poterie peint en "blanc et rouge" (Horizon I ou II ancien) au pied du gros arbre qui domine l'école. Dans le jardin potager clos à l'est de l'école on trouve encore des tessons arawak tardif. L'impression générale est que le village de Kachacru a abrité à une époque tardive (700 après J.C.) une communauté arawak de pêcheurs et d'agriculteurs.

1. Auparavant, qu'on me permette de remercier Monsieur et Madame Ted Honnychurch pour leur accueil, Monsieur Lennox Honnychurch pour l'aide qu'il m'a apportée pour la fouille de Soufrière, le Révérend Père Villeneuve pour son hospitalité et le Docteur Douglas Taylor qui s'est dépensé sans compter pour faciliter ma recherche. HENRY PETITJEAN ROGET 83

Sans aucun moyen de relevés topographiques, ni temps suffisant je ne pou­ vais pas dresser de carte. Ceci pour expliquer l'absence d'échelle et d'indica­ tions topographiques précises sur les croquis de sites (site 1 - Kachacru, plan­ che II).

Site 2 - Soufrière Dans le village de Soufrière, j'ai reconnu trois zones archéologiques d'é­ poques différentes: -Derrière l'église, dans le cimetière, on trouve des fragments de poterie de style "Suazey". (Au pied de la falaise qui ferme la baie de Soufrière à l'ouest de l'église s'ouvre une grotte importante en partie fermée par des effondrements de la voûte. Selon toute vraisemblance c'est de cet abri que provient l'énorme pierre à trois pointes trouvée au cours du siècle dernier par le Père Vergnes, cu­ ré de Soufrière, donnée en 1903 au Musée de L'Homme a Paris, puis décrite en 1935 par Jacques Soustelle. Référence de l'objet: Musée de L'Homme, no.02.23.32). -Dans la rue principale qui conduit à la mer à environ 250 mètres du riva­ ge autour des maisons, on trouve des tessons arawak de l'Horizon II. (J'ai prélevé des échantillons sur le chemin d'accès à la maison de Mrs. Donal Charles). -La troisième zone archéologique est celle qui a été découverte par les travaux de terrassement de 1976. Elle est située à plus de 400 mètres à l'inté­ rieur des terres sur un plateau qui domine une rivière. Les vestiges de cette oc­ cupation se rattachent à l'Horizon I et au début de l'Horizon II. De très nombreux fragments de poteries tranchent par leur aspect sur l'ensemble du matériel sauvé. La pâte de ces vases est blanche ou légèrement grisâtre, rugueuse au toucher. Elle évoque fortement par le style des peintures les céramiques du gisement de Fond Brû­ lé (Horizon I) près du village du Lorrain sur la côte nord-est de la Martinique. On peut penser qu'elles ont été importées avec les premiers arrivants car la loca­ lisation du site de Soufrière à l'extrême sud de l'île en fait le lieu possible de la première installation humaine à la Dominique dont on aurait retrouvé les cérami­ ques (photo 1).

Site 3 - En mai 1976, j'avais trouvé quelques fragments de poteries arawak autour de l'église de Pointe Michel. Un peu au-delà de l'église vers l'intérieur, dans un fossé creusé pour l'écoulement des eaux le long de la route, j'ai ramassé dans un niveau archéologique peu marqué, un adorno qui représente une tête de Lamentin. Il est du style Horizon II ancien. Au cours de mon séjour de mars 1977, j'ai prospec­ té le village qui s'étend en longueur sur un plateau qui domine la mer d'une dizai­ ne de mètres. On trouve des fragments de poterie autour des maisons. Les environs de celle de Mrs. Daisy Victor, au nord du village, sont riches en fragments de po­ terie. Dans l'ensemble ils se rattachent à l'Horizon II ancien (300 - 400 après J.C.?) (voir croquis site 3 - planche II).

Site 4 - Canefield (Boeri River) Lors d'un ramassage de graviers alluvionnaires dans le lit de la rivière Boeri, à plus de trois-cents mètres du rivage, l'excavatrice a ramené des tessons à la surface. Des fragments ont été portés au Parc National. Le niveau archéolo­ gique se trouve sous une couche de graviers et de cailloux de plus de deux mètres d'épaisseur. La partie mise à jour par les travaux et le passage des eaux est si­ tuée dans le lit même de la rivière vers la berge nord. La céramique récoltée est 84 RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQUE

arawak et appartient à l'Horizon I ou à l'Horizon II ancien (tessons peints en "blanc et rouge", décors en treillis gravés) (croquis site 4, planche II). Site 5 - Macucheri River Des remblaiements importants effectués pour relever le niveau de l'ancien­ ne route ont recouvert une bonne partie du fond de la vallée non loin de la mer. J'ai trouvé des tessons dans les déblais poussés par les bulldozers lors de l'ara­ sement d'une zone pour la construction de la porcherie de Monsieur Shillingford. L'aspect des tessons est blanchâtre; leur épaisseur est de cinq (5) millimètres environ. Quelques-uns portent des restes de couleur rouge. On peut être sûr de leur appartenance à un horizon amérindien mais je ne suis pas en mesure de dater ces vestiges en l'absence de toute ornementation sur les fragments et de leur fai­ ble nombre (15).

Site 6 - Salisburry Le village de Salisburry s'étend d'ouest en est à flanc de montagne au- dessus d'une petite baie. Au pied du village au niveau de la mer se trouve une co­ coterale où coulait une rivière maintenant à sec. Un poste de police a été cons­ truit non loin de la mer en bordure de cette cocoteraie. Derrière le bâtiment dans un petit jardin potager, j'ai ramassé quelques tessons. Mais la plupart des trou­ vailles ont été faites au sud du poste de police autour des tombes du cimetière. Un petit adorno représente une tête de pélican (photos 2 et 3). Les tessons pa­ raissent se rattacher à plusieurs périodes: arawak terminal, caraïbe ancien, ou caliviny? Cet endroit est très favorable à un sondage compte-tenu de la concen­ tration des tessons dans le cimetière et à proximité. (Voir croquis site 6, plan­ che II).

Site 7 - Batali La petite baie de Batali est limitée au nord et au sud par une rivière. L'ancienne route aujourd'hui hors d'usage longeait la mer à une trentaine de mè­ tres du rivage. J'ai récolté des tessons en surface autour des trous de crabes vers le rivage et à l'est de la route au pied des cacaoyers. La plupart des tes­ sons sont "crus". Quelques-uns sont peints en rouge. L'ensemble, qui me paraît homogène, pourrait se rattacher à une phase arawak tardive (voir croquis site 7, planche II).

Site 8 - Coulibistri Le village de Coulibistri est construit au milieu d'une baie largement ou­ verte. Je n'ai pas exploré, faute de temps, les environs du plateau au nord du vil­ lage à l'endroit ou est construit le poste de police. Toutefois j'ai ramassé quel­ ques tessons probablement arawak tardif derrière l'église, dans le cimetière.

Site 9 - Le village de Colihaut est l'un des plus anciens de la Dominique. Le vil­ lage qui s'étend vers le nord est limité au sud par une rivière. Il semble qu'une grande partie de Colihaut ait été construite sur l'emplacement d'une occupation amérindienne. Quelques tessons récoltés proviennent de l'esplanade au nord de l'é­ glise; d'autres ont été ramassés au sud de la rue qui longe la rivière et conduit à la mer. On peut voir des morceaux de poteries qui dépassent de la terre autour des maisons et sur le tracé des sentiers entre les maisons (voir croquis site 9, HENRY PETITJEAN ROGET 85

planche III). Il est difficile de déterminer sur les quelques tessons ramassés leur appartenance culturelle. Un tesson provient sûrement d'un "vase à ouicou" et il porte un décor incisé typique de cette forme de vase. Un autre fragment est orné d'un décor incisé qui cerne une zone peinte en noir. L'aspect du maté­ riel évoque fortement celui des tessons du gisement saladoïde terminal (arawak) de Pointe Baham à la Martinique.

Site 10 - Il ne reste probablement que peu de vestiges archéologiques à Dublanc. Le site s'étendait à l'emplacement du terrain de cricket au sud du village et dans la zone de la cacaoyère actuelle au sud-est du village. On peut encore apercevoir de la poterie dans une petite coupe de terrain le long du chemin d'accès au village sur le côté droit de la route au-delà d'un gros manguier. Les tessons paraissent être arawak tardif (Horizon II tardif ou Horizon III saladoïde terminal) (voir croquis site 10 - planche III).

Site 11 - Ti Bay Cette baie, très large, est bordée d'une plage, la mer y est calme et des ruisseaux viennent s'y jeter. Le site a peut-être été occupé dans les temps pré­ historiques. Malheureusement aucun indice apparent et l'étendue des lieux ne per­ mettent de définir à priori une zone plus convenable qu'une autre à une installa­ tion humaine. Nous n'avons trouvé que deux fragments de poteries amériendiennes non décorés dans la bananeraie au sud de Ti Bay, non loin du rivage près d'un pe­ tit ruisseau au nord de Cario River. On ne peut donc parler de site, mais tout au plus d'un "indice" d'occupation.

Site 23 - Douglas Bay Douglas Bay est limitée au nord par la Pointe Douglas qui sépare cette baie de Toucari Bay. Un peu avant le lieu-dit Tanetane coule un ruisseau qui se termine en marigot. Quelques maisons sont construites au nord du marigot. A environ cinquan­ te mètres du rivage vers l'est, j'ai ramassé quelques tessons arawak tardif et des fragments de poteries analogues à celles qui sont fabriquées à l'île de Nevis de nos jours ou à Sainte-Lucie. Il s'agit de coupes de trente-cinq à quarante centi­ mètres de diamètre qui ont deux petites oreilles diamétralement opposées en des­ sous du bord. Le fond, troué de plusieurs ouvertures, est soudé à un support cy­ lindrique percé verticalement d'un trou d'une dizaine de centimètres de diamètre. Ces poteries servaient autrefois de réchaud à charbon.

Site 12 - Toucari La baie de Toucari est limitée au nord et au sud par des falaises. Quel­ ques maisons sont édifiées le long de la plage. Au nord de l'anse se trouve une petite rivière saisonnière. Sur la pente qui remonte vers la falaise, au pied d'une case isolée, au-delà du cimetière, j'ai récolté quelques tessons (arawak tardif?) et plusieurs fragments de poterie historique analogue à celle de Douglas Bay. Notre reconnaissance de la côte ouest a été rapide, car je voulais longer la côte sur toute son étendue et m'arrêter dans les endroits susceptibles d'avoir abrité un village ou une station amérindienne. Faute de temps et de moyens adéquats, je n'ai fait aucun sondage. L'ensemble du matériel collecté a été trouvé en surfa­ ce. Il apparaît clairement que presque toutes les baies de la côte ouest ont été occupées à des époques différentes par des Amérindiens. 86 RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQUE

J'ai été frappé de ne pas retrouver de vestiges de poteries de la période proto arawak ou arawak ancienne au nord de Canefield. Le manque de vestiges ratta- chables à l'Horizon I ou II ancien est probablement imputable à un ensevelissement profond provoqué par les débordements et les déplacements du cours des rivières (cf. site de Canefield). Dans cette île qui a été occupée par les Caraïbes jus­ qu'à une époque tardive et qui avait accueilli leur première migration vers les îles, selon le récit qu'ils ont fait aux chroniqueurs français, on est surpris du peu de vestiges non arawak que l'on rencontre sur la côte ouest.

Les sites de la côte Est Après avoir suivi la côte Ouest, j'ai essayé de trouver quelques anciens habitats sur la côte Est. Il est impossible d'explorer l'intérieur de l'île et les trouvailles de haches qui ont été autrefois faites loin des côtes étaient tou­ tes isolées et sans contexte archéologique (Henry Petitjean Roget, 1977, 7ème CIECPPA). La côte Est, beaucoup plus découpée que la côte Ouest, a des baies ou des criques qui ne sont pas accessibles en voiture. Il m'aurait fallu beaucoup de temps pour me rendre dans tous les endroits repérés sur la carte ou vus d'avion qui me paraissaient être d'excellentes zones archéologiques éventuelles. En compagnie de Monsieur Cyprien Vigilent, mon guide, j'ai examiné les endroits rapidement accessi­ bles car la route ne longe pas toujours la côte. Nous avons suivi la côte entre Pa­ gua et Vieille Case au nord. Vers le sud, je suis allé voir le site de Saint-Sau­ veur découvert par C. Evans en 1966 (Evans, 1968) et au-delà j'ai été jusqu'à La Plaine.

Site 13 - La Plaine Au nord du village de La Plaine au lieu-dit Corrossol se trouve l'embouchu­ re d'une rivière, la ravine Jokriss. A proximité au sud sur le plateau qui s'étend vers l'intérieur fonctionne une distillerie artisanale de feuilles de bois d'Inde dont le propriétaire est Monsieur Telemaque Allan. A l'est de la route qui longe le rivage dans la pente qui descend à la mer, en face de la distillerie au pied d'un bosquet de pandanus, j'ai ramassé des fragments de vase campanuliforme peints en "blanc et rouge". Une partie du gisement a été probablement détruite par la construction de la route. Il peut subsister des traces de ce gisement proto ara­ wak à l'ouest de la route sur le plateau (voir site 13 - planche IV).

Site 14 - Rosalie A Rosalie, à flanc de coteau au nord de l'embouchure de la rivière il y a une église non loin d'une ancienne distillerie. Une allée de cocotiers conduit à une maison de ciment construite sur le sommet du plateau qui domine la distillerie. Au milieu de l'allée, à même le sol, j'ai ramassé deux petites herminettes de pier­ re brisées au niveau du tranchant. Elles sont de forme triangulaire et leur épais­ seur est de six (6) millimètres environ. J'ai cherché des tessons sans succès dans la cocoteraie et dans la bananeraie au-dessus de la distillerie (voir site 14 - planche IV).

Site 15 - Saint-Sauveur Ce site archéologique a été découvert par C. Evans qui l'a rattaché à la période caraïbe historique et à une autre phase. La baie de Saint-Sauveur est lar­ gement ouverte aux vagues qui viennent déferler sur une plage de galets. Dans la partie sud de la baie un haut-fond de madrépores forme une sorte de lagon peu pro- HENRY PETITJEAN ROGET 87

fond où la mer est calme, ce qui permet aux pêcheurs de Saint-Sauveur de rentrer à terre. A moins de trente mètres du rivage à l'emplacement où l'on a construit le bâtiment de la nouvelle école, j'ai récolté des morceaux de poterie et un frag­ ment d'adorno. Dans les trous de fondation de l'école, j'ai vu qu'il y avait des tessons peu nombreux sur une dizaine de centimètres d'épaisseur. Dans les niveaux archéologiques et au-dessus la présence de galets indique que la mer a recouvert le site à plusieurs reprises. Une exploration des environs et d'une petite grotte située au nord-ouest du pont sur la rivière n'a fourni aucun autre vestige. Je pense que le matériel archéologique de Saint-Sauveur, dans son intégralité, est arawak II ancien (voir croquis site 15 - planche IV).

Site 16 - Good Hope Le village de Good Hope domine une baie étroite. Il est situé immédiate­ ment au nord de Saint-Sauveur. La rivière qui coule au fond d'une gorge resserrée va se jeter au milieu de l'anse. Près de la mer, au pied du cône d'éboulis qui pro­ viennent du plateau, j'ai ramassé quelques débris de faïence française (Rouen, vers 1780) et des tessons préhistoriques. Un seul provient d'un vase campanuliforme. Good Hope a été peut-être une petite station arawak en relation avec Saint-Sauveur. Il se pourrait qu'il existe un site plus important qu'il faudrait rechercher sur le plateau au-dessus de l'anse (voir croquis site 16 - planche IV).

Site 17 - Mellville Hall (a) L'aéroport de Mellville Hall se trouve placé dans l'axe d'une vallée assez large orientée est ouest. Après avoir dépassé l'extrémité est de la piste d'envol, la route remonte vers un plateau qui domine la mer d'une dizaine de mètres environ. Au croisement entre la route principale et une route qui part perpendiculairement vers l'intérieur de la vallée, on voit des morceaux de poterie dans la coupe de terrain sur le côté gauche de la chaussée. Les fragments sont très localisés et ré­ partis sur deux mètres de long environ. L'ancien établissement amérindien a été traversé et détruit par la construction de la route. En contrebas de la route sur deux niveaux nettement séparés dans la falaise qui surplombe le rivage, on rencon­ tre d'autres fragments de poteries. Les tessons dans la zone située à gauche de la route sont d'un style homogène - peints en rouge, la pâte est très rouge, quelques tessons sont peints en "blanc et rouge". Ce type de peinture laisse penser qu'il s'agit de vestiges de l'Horizon I proto arawak. Ceux de la falaise à l'est de la route sont arawak car on a ramassé dans la couche la plus récente des fragments de platines à manioc apodes (voir croquis site 17 - planche IV).

Site 18 - Mellville Hall (b) Après avoir atteint le plateau au niveau de la première zone archéologique (Melville Hall (a)) la route continue sur le plateau en ligne droite en suivant le rivage. En remontant vers le nord, cinq-cents mètres après la première zone archéo­ logique, le plateau s'abaisse jusqu'au niveau de la mer. La route s'incurve vers l'ouest et sur le côté gauche de la chaussée s'étend un marécage. Avant d'arriver à cette zone marécageuse à l'endroit où le plateau s'abaisse vers le niveau de la mer, soit environ cent mètres avant le virage de chaque côté de la route, on peut ramasser à la surface du sol des fragments de poteries (voir photo 4). Je n'ai pu rattacher à aucune période précise ces tessons dont aucun n'est peint. Les pâtes sont noirâtres, les surfaces bien brunies; une oreille de vase paraît être arawak. Un tesson (photo 4) montre un petit relief appliqué sur la panse du vase qui évo­ que le style Cayoïd de Saint-Vincent (Kirby, 1974 et 1976, p.17) (voir croquis si- Ce 18 - planche IV). 88 RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQUE

Site 19 - Wood Fort Hill River Peu avant l'embouchure de la rivière de Woodfort Hill, la route redescend des hauteurs vers une plage de sable blanc. La mer est relativement calme à cet endroit. En arrivant près de la plage que longe la route un pont enjambe la ri­ vière qui, en mai 1977, obliquait parallèlement au rivage pour le suivre sur une centaine de mètres. Le cours de la rivière a creusé une coupe de terrain dans le talus qui la borde à l'ouest. A une profondeur de -80 centimètres, par rapport â la surface du sol, j'ai trouvé des traces d'ossements (sépulture?) entre les raci­ nes d'un cocotier. Au même niveau se trouvaient des tessons. Plus loin (voir cro­ quis site 19 - planche V), au pied d'une maison située en bordure de l'eau, dans la coupe de terrain sous la chaussée, on trouve encore des tessons. Dans la zone marécageuse derrière la maison à l'ouest de la route, on peut récolter des tessons autour des trous de crabes. Le gisement a été en partie détruit par la construc­ tion de la maison et de la route et par le recul du rivage. Il reste une partie du gisement à proximité du pont qui est peut-être non perturbée. La plupart des tessons ramassés en surface sont peints en rouge et ils évoquent par leur pâte les céramiques de Marie-Galante que l'on aperçoit au loin (voir photo 5).

Site 24 - Anse Noire (Evans, 1968, p.95) Au lieu-dit "Anse Noire" se jette la rivière Eden. La baie est fermée par deux petits îlots qui sont très près de la côte. La plage est limitée au nord et au sud par des pentes abruptes qui remontent vers un plateau. Sur la pente nord, en allant vers une maison de ciment, nous avons trouvé des tessons. Je n'ai pas été capable de les rattacher à un horizon culturel particulier vu leur faible nom­ bre et l'absence de toute ornementation (voir croquis site 24 - planche V).

Site 20 - Petit Baptiste Bay La plage de Grand Baptiste Bay n'est accessible qu'à pied. Au nord et au sud elle est limitée par des pentes très raides. Sur cette plage j'ai trouvé sous les arbres quelques morceaux de poterie de facture arawak. Je m'étais rendu à cet endroit car le Révérend Père Villeneuve, vicaire de Soufrière m'avait indiqué que des prêtres catholiques avaient effectué des fouilles à Pointe Baptiste. Malgré la bonne description des lieux qu'il m'avait faite je n'ai pas trouvé le gisement qui serait de type Suazey, (Caraïbe). Il y aurait en surface de très nombreux tes­ sons sur une petite pointe à Petit Baptiste Bay qui est la plage au sud de Grand Baptiste Bay.

Site 21 - Calibishi Le village de Calibischi est bâti entre deux rivières tout le long d'une baie protégée des vagues de l'Atlantique,à l'est par un plateau corallien qui s'é­ tend vers le large sur une centaine de mètres. Au sud du village la falaise qui le domine est séparée de la route par une succession de jardins vivriers. Entre les plans de bananiers, il y a de la poterie en face d'une petite boutique qui appar­ tient à Mrs. E.F. Bryant. Cette boutique est située sur le côté droit de la chaus­ sée, cent mètres avant l'église. Je n'ai pas eu le temps d'aller prospecter au pied de la falaise et sur toute la longueur de la baie. Il apparaît que la baie de Por- te-la-Faim où est bâti Calibishi est un bon endroit pour rechercher un site archéo­ logique éventuel. HENRY PETITJEAN ROGET 89

Site 22 - Au Parc (McKusick, 1959 - Evans, 1968) Au lieu-dit Au Parc, déjà reconnu par M. McKusick et C. Evans, les contre­ forts de la montagne descendent selon une pente abrupte pour se terminer par un petit plateau limité par une plage de galets. Au milieu de la baie un éperon ro­ cheux surplombe une crique au sud du plateau tandis qu'au nord coule une rivière saisonnière, voie d'accès naturelle vers l'intérieur des terres où les paysans ont leur jardin. Au pied de l'éperon et dans la coupe de terrain vers la crique, Monsieur Cyprien Vigilent a trouvé des fragments de poteries dont une anse en ru­ ban (arawak) et un adorno très plat qui représente un visage humain. Certains fragments de poterie à pâte très rouge m'ont paru être des importations de Marie- Galante qui est très proche (voir croquis site 22 - planche V).

L'archéologie de la Dominique est encore très mal connue, mais les travaux de Marshall McKusick et ceux du Docteur Clifford Evans ont montré qu'il y avait un passé préhistorique à rechercher et à étudier. Au cours de deux séjours en Domini­ que, j'ai eu l'occasion de prospecter la côte ouest et en grande partie la côte est. Mes reconnaissances sur le terrain ont été rendues possibles grâce à l'ai­ de de Monsieur Christopher Maximea, Directeur Général des Eaux et Forêts (Chief Forest Officer) qui avait mis à ma disposition un garde forestier et son véhicule. Sans l'aide de Monsieur Maximea, que je tiens à remercier, il ne m'aurait pas été possible d'effectuer de reconnaissances archéologiques, sur une telle étendue. A la suite de la découverte des gisements de Soufrière, au sud et de Cane- field sur la côte ouest, dont j'avais été averti, j'ai eu la chance de découvrir en plusieurs endroits différents, en surface des fragments de céramiques amérin­ diennes qui sont pour la plupart "Saladoïde modifié tardif" ou "Saladoïde termi­ nal". Cette estimation ferait remonter l'âge de ces traces d'occupation amérin­ dienne à une époque comprise entre 600 et 800 après J.C. probablement. J'ai trou­ vé des tessons qui sont apparemment Suazey (Caraïbes) en trois endroits seulement. Il s'agit du village de Kachacru et dans la terre autour des tombes des cimetiè­ res de Soufrière et de Salisburry. La recherche de sites sur la côte est a été limitée par le temps dont je disposais et par le manque d'accès carrossable pour atteindre rapidement les petites baies de cette côte montagneuse et très découpée. En sept (7) endroits de la côte est, j'ai localisé des fragments de poteries pré­ historiques. On nous avait signalé un gisement important à Petit Baptiste Bay et la des­ cription que le Révérend Père Villeneuve nous a faite de la poterie laisse penser qu'il s'agit d'un site Suazey, à moins que les restes d'occupation ne soient ceux d'un village de Caraïbes historiques? Je n'ai pu me rendre sur ce gisement à cau­ se d'une erreur de localisation de ma part. Dans la partie de la côte est que j'ai visitée les restes de poterie pa­ raissent se rattacher à des périodes d'occupations bien antérieures à celles de la côte ouest. Il faut exclure toutefois les sites de Soufrière et de Canefield qui sont proto arawak et arawak ancien (Horizon I et Horizon II ancien) et celui de Pointe Michel qui recouvre au moins un moment de l'Horizon II ancien. Quelques morceaux de poteries trouvés dans la zone Mellvill Hall (b) au nord de l'aéroport de Mellvill Hall sont d'un type particulier et évoquent par leur aspect la poterie Cayoïde de Saint-Vincent étudiée par le Docteur Earl Kirby. Plus au nord sur la côte est, le matériel des sites de Woodfort Hill et de Au Parc atteste des contacts avec l'île de Marie-Galante. Cette hypothèse, qui de­ manderait à être confirmée ou infirmée, repose sur l'aspect des pâtes et la pra­ tique que je possède de la céramique. Les argiles de Marie-Galante qui est entiè- 90 RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQUE

rement calcaire, sont très différentes des argiles des terrains volcaniques du nord de la Dominique. J'espère me rendre à nouveau à l'île de la Dominique pour y poursuivre une reconnaissance qui n'a été que superficielle et contribuer à l'étude et à la mise en valeur de ce patrimoine archéologique dont on devine l'importance.

BIBLIOGRAPHIE

EVANS, Clifford, 1968, "The lack of archeology on ", 2ëme Congrès Inter­ national d'Etudes des Civilisations précolombiennes des Petites Antilles, pp.93-102, Barbados 1968.

FEWKES, W.F., 1912-1913, 34th Annual Report of the Bureau of American Ethnology to the secretary of the Smithsonian Institution, Washington Gvt. Printing Office, 1922.

HONNYCHURCH, Lennox, 1977, "Découverte arawak à la Dominique, Extrait de Carib­ bean Conservation News, 1er trimestre 1977, published by the Caribbean Conservation Association, Savanah Lodge, The Garrisson, Barbados.

KIRBY, Earl, 1974, "The Cayo Pottery of St.Vincent. A pre-calivigny series", 5ème CIECPPA, pp.61-74, Antigua.

McKUSICK, M.B., 1960, Distribution of ceramic styles in the Lesser Antilles, West Indies, Yale University, Ph.D. (Anthropology).

PETITJEAN ROGET, Henry, 1977, "Note descriptive de la collection d'objets lithi- ques de la Librairie Publique de Roseau, Dominique, W.I.", 7ème CIECPPA.

SOUSTELLE, Jacques, 1934-1935, "Une pierre à trois pointes de la Dominique, Bul­ letin no.8 du Musée d'Ethnographie du Trocadéro (Muséum d'Histoire Natu­ relle) , juillet 1934 - décembre 1935, pp.12-14. HENRY PETITJEAN ROGET 91

PLANCHE I

(12} Toucari iAu Parc (22 © ) Douglas Bay\* Pointe Baptiste (Petit Baptiste Bay) (2l) Calibishi» *~\Anse Noir ¿^ (Evans, 1968, p. 95) (Í?) Woodfort Hill Rive*r

jMelville Hall (b) V(O^ ) 11) Ti Bay. •Melville Hall (a) 0)

Pagua 10) Dublanc

(?)Colihaut"

Ji) Coulibis tr ie ' (^Batal^J

Ç£) Salisbui, . QjjMacoucheri Rivei

^Good Hope (16; ,Saint Sauveur Qj) (Evans, 1968, p.95)

¿Rosalie (14

Canefielc © [La Plaine (13,

1 ROSEAU

(T) Pointe Michel

(Y) Soufrière] LA DOMINIQUE Sites archéologiques -mars 1977- ÇlJ Cachaczou 92 RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQUE

PLANCHE II. Sites archéologiques de la côte Ouest

Cfr BcLtcuLl HENRY PETITJEAN ROGET 93

PLANCHE III. Sites archéologiques de la côte Ouest.

© CoLlW^fc

O DaWLn-nt. t 94 RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQUE

PLANCHE IV. Sites archéologiques de la côte Est.

^0§ fà T\i,LviU«- Ha.CC C fl/i X\Çj\

[»s te ¿L'ewooL ^~vT

O HENRY PETITJEAN ROGET 95

PLANCHE V. Sites archéologiques de la côte Est. 96 RECONNAISSANCE ARCHEOLOGIQUE A L'ILE DE LA DOMINIQl

PHOTO 1

PHOTO 2 97 I PETITJEAN ROGET

PHOTO 4 HOTO 3 '*wrí

ici

PHOTO 5 o

Û o o