Haut Commissariat au Plan

Institut National de Statistique et d’Economie Appliquée (INSEA)

La pauvreté au Maroc : perceptions, expériences et stratégies

Rapport final de l’enquête qualitative

Par

Fatima BAKASS MIMAP-Maroc

INSEA, B.P. 6217, -Instituts Rabat, Maroc Tél : (212) 37 77 06 15/26 Fax : (212) 37 77 94 57 www.insea.ac.ma

Sommaire

1. Contexte et justification de l’étude ...... 3 2. Objectifs de l’étude...... 5 3. Instruments méthodologiques ...... 5 • Population cible...... 6 • Les outils de collecte des données...... 7 • L’échantillon de l’enquête...... 8 • Formation des collaborateurs ...... 8 • La réalisation sur le terrain...... 9 • Supervision...... 9 4. Description des communes ciblées par l’enquête ...... 9 • La commune de M’rirt (Province de Khénifra) ...... 10 • La commune d’Ait Ishak (Province de Khénifra)...... 10 • La Municipalité de (Province de Larache) ...... 11 • La commune de Sahel (Province de Larache)...... 11 • La commune de Sidi Youssef Ben Ali (Province de Marrakech)...... 12 • La commune Oulad Hassoune (Province de Marrakech)...... 12 • La commune d’Al Youssoufia (Préfecture de Rabat) ...... 13 • La commune de Sidi Yahya Zaër (Préfecture de Skhirate- ) ...... 14 • La Municipalité de Tissa (Province de Taounate) ...... 14 • La commune de Ouardzagh (Province de Taounate)...... 15 • La commune d’Ait Iazza (Province de Taroudant)...... 17 • La commune d’Ait Igass (Province de Taroudant) ...... 17 5. Résultats des analyses qualitatives...... 18 Définitions, typologie et tendances de la pauvreté...... 18 Causes de la pauvreté et sources de vulnérabilité ...... 25 Les conséquences de la pauvreté...... 31 La lutte contre la pauvreté...... 34 Synthèse et conclusions...... 43 Bibliographie...... 45 Annexes ...... 46 Annexe 1 : Grilles des questions...... 47 Annexe 3 : Journée de formation sur les axes et les outils d’enquête...... 52 Annexe 4 : Programme de formation ...... 53 Annexe 5 : Les superviseurs ...... 54 Annexe 6 : Le nombre de personnes enquêtées par commune et Province ...... 54

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« Le pauvre n’est jamais consulté, ni valorisé et sent l’amertume, même les gens qui passent ne lui disent pas bonjour. »

Focus group de jeunes femmes, Ait Ishaq (Province de Khénifra)

« La valeur qu’on te donne est fonction de ce que tu possèdes.»

Focus group de femmes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

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1. Contexte et justification de l’étude

En dépit des efforts et des programmes nationaux et internationaux de lutte contre la pauvreté, le dernier rapport de la Banque Mondiale (2003) estime à 1,2 milliard de personnes dans le monde vivant en dessous du seuil de pauvreté (dépensant moins d’un dollar par jour1). Par ailleurs, plus de la moitié de la population des pays en développement vit avec moins de deux dollars, ce qui représente 2,8 milliards de personnes et cette pauvreté de masse est nettement plus marquée en milieu rural où vivent aujourd’hui les trois quarts des pauvres, sapés par l’isolement, la maladie, l’analphabétisme et la malnutrition. L’Afrique subsaharienne demeure la plus touchée avec un taux de pauvreté de pratiquement 50%.

La reconnaissance par la communauté internationale de l’intolérable pauvreté à grande échelle qui caractérise le monde d’aujourd’hui et l’adoption de nouvelles stratégies pour la réduction de la pauvreté sanctionnent inéluctablement l’échec des politiques d’ajustement structurel menées depuis les années 1980 (De Cling et al., 2003). Le fait que des organismes internationaux comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international revoient leurs politiques de financement du développement reposant désormais, non sur le modèle unique, mais sur des politiques propres à chaque pays, atteste de la diversité des situations et de la complexité du phénomène de pauvreté qui se manifeste différemment d’un pays à un autre, d’une région à une autre, d’une localité à une autre.

La pauvreté en effet n’a pas une définition absolue, étant donné qu’elle s’intègre dans le système social au sein duquel les individus évoluent (Gongard-Delcroix, 2001). Autrement dit, il y a un rapport social à la pauvreté qu’il convient de mettre en exergue en précisant les spécificités locales. La nature complexe et multidimensionnelle de la pauvreté amène à la multiplicité des approches pour une meilleure connaissance de ce phénomène. C’est une des considérations clés pour que les stratégies de lutte contre ce phénomène puissent être ciblées et diversifiées (Okigegbe, 2001).

Or, l’un des problèmes fondamentaux dans les approches et les mesures de la pauvreté est la difficulté ou l’impossibilité pratique de capter simultanément toutes ses facettes. Il existe plus d’une approche pour mesurer le niveau de vie et le degré de pauvreté des ménages, qui sont en général les unités statistiques des différentes enquêtes disponibles. En pratique, les mesures monétaires basées sur le revenu ou sur la dépense sont utilisées pour approcher ce niveau de vie. Elles retiennent le concept de l’utilité objective pour définir les seuils de pauvreté. Plusieurs aspects du bien-être sont ainsi ignorés par ces mesures. Il s’agit en particulier de l’accès à certains services comme la santé, l’éducation formelle, l’eau potable ou encore la satisfaction de ce qui est communément dit besoins essentiels. Ces mêmes mesures échouent clairement lorsqu’il s’agit de rendre compte de l’accès à de tels services ou encore de la consommation de biens distribués par l’État et qui ne nécessitent pas de paiements directs, c’est-à-dire qui n’apparaissent ni dans le revenu ni dans la dépense des ménages mais qui constituent incontestablement des éléments de bien-être et augmentent le niveau de vie. L’analyse de la pauvreté doit donc s’inscrire dans un espace bien plus large que l’espace monétaire

Au Maroc, l'intérêt de plus en plus grandissant que suscite le phénomène "pauvreté" de la part des pouvoirs publics ne remonte qu'à la fin des années 80, voire même au début

1 Considéré comme le seuil de pauvreté absolue. 3 des années 90, suite aux conséquences sociales du Programme d'ajustement structurel sur les catégories les plus défavorisées de la société marocaine. C'est ainsi que ce phénomène a fait l'objet de nombreuses publications ces quelques dernières années. Elles ont fait état de ce phénomène sur la base d'enquêtes quantitatives réalisées au Maroc sur la consommation et les dépenses des ménages en 1984/85 et sur les niveaux de vie des ménages en 1990/91 et en 1998/99. Ces enquêtes ont en effet permis la quantification de différents indicateurs de pauvreté. Elle n’ont cependant donné aucune information sur les perceptions et les opinions de ce phénomène qui touche, d'après la plus récente de ces enquêtes, plus de 5 millions de marocains, soit 19% de la population totale.

Lutter contre la pauvreté, c'est avant tout définir ses différentes facettes pour mieux qualifier le pauvre et donc le mieux cibler. C’est une tâche fondamentale qui reste difficile, voire même impossible, à cause des difficultés à cerner toutes les dimensions du phénomène qui relèvent du culturel, de l’économique, du social et du politique. Ainsi, si la pauvreté a des aspects absolus, force est de constater que ce phénomène a également des aspects relatifs qui tiennent compte des normes et des coutumes qui varient d'une localité à une autre, d'une région à une autre et d'une société à une autre. Mettre l'accent sur la réalité des pauvres, leurs besoins et leurs priorités, revêt, en toute évidence, une importance capitale dans l'élaboration d'une politique ayant pour objectif de réduire son étendu.

Dans le même ordre d’idées, on peut avancer sans grand risque de se tromper, étant donné les nouvelles orientations des politiques actuelles de développement, que les pauvres ont besoin d’être des partenaires actifs dans le processus de lutte contre la pauvreté. Le temps de politiques verticales importées et imposées est bien révolu puisqu’elles ont montré leurs limites. En donnant la parole aux pauvres, en les écoutant s’exprimer sur leurs vies et expériences spécifiques, nous visons à apprendre un peu plus sur eux et sur leur vie en termes de difficultés, d’insatisfaction des besoins fondamentaux et vitaux, de marginalisation et d’exclusion, mais aussi en termes de solidarité et d’espoir au sein de la société marocaine. De pareilles connaissances ne manqueront pas d’apporter des éclairages sur la pauvreté et permettront de tirer les enseignements nécessaires à de meilleures stratégies de réduction de la pauvreté dans lesquelles ceux qui la vivent au quotidien devraient occuper la place de véritables partenaires.

Dans ce sens, nous considérons qu’une approche qualitative sur les représentations sociales de la pauvreté permettra de mieux comprendre le pourquoi et le comment de ce phénomène. Certes, les enquêtes quantitatives sur les niveaux de vie des ménages menées au Maroc ont le mérite de fournir une connaissance plus objective de la pauvreté à l’aide de mesures chiffrées, il est indéniable qu’elles restent insuffisantes pour en cerner la complexité, en expliquer les dynamiques et pour élaborer de meilleures stratégies de lutte contre ce phénomène. Par ailleurs, comme le dit Javeau (1992), l ’idée selon laquelle seul le « chiffre » peut conférer le « statut de vérité » attribué « aux propositions qui se veulent scientifiques » est actuellement révolue. Au-delà donc des chiffres, ce sont les perceptions et les opinions de ceux qui vivent dans la pauvreté et la précarité qui importent dans l’approche qualitative que nous adoptons ici. En conséquence, elle sert à la construction d’une connaissance de la pauvreté, entachée certes de la subjectivité réflexive des individus, mais dans laquelle ces derniers mettent en avant la réalité pluridimensionnelle de leur vécu.

Etant donné le caractère multidimensionnel de la pauvreté, cette recherche qualitative devrait permettre de mieux cibler les populations défavorisées et de comprendre d’autres facettes de la pauvreté que les enquêtes sur les niveaux de vie des ménages n’appréhendent

4 pas. Elle devrait donc fournir aux chercheurs et aux responsables marocains en complément quelques éléments de réflexion et de travail originaux pour des politiques plus efficaces de lutte contre la pauvreté.

2. Objectifs de l’étude

S’inscrivant partiellement dans la même logique méthodologique que celle de l’étude comparative « consultation with the poor »2, réalisée par la Banque Mondiale, cette étude se veut une amélioration des connaissances disponibles sur la pauvreté au Maroc. L’idée est de proposer un autre type de lecture de ce phénomène, à savoir l’approche qualitative sous l’angle de la réalité vécue et les points de vue des pauvres eux-mêmes.

L’enquête vise en effet à mettre en évidence les opinions et les perceptions des personnes pauvres à propos du phénomène « pauvreté », à reconstruire leurs parcours ou un épisode de leurs parcours vécus en tant que pauvres et à identifier leurs stratégies et partenaires de lutte contre la pauvreté ainsi que leurs perspectives d’avenir. Le souci final est d’aider à construire des indicateurs, autres que ceux collectés par les approches quantitatives, sur les différents domaines jugés prioritaires dans le cadre des programmes de lutte contre la pauvreté au Maroc. Autrement dit, il s’agit d’élaborer des indicateurs qualitatifs de la pauvreté au Maroc à travers des critères, des concepts « crus » et un vocabulaire et des termes « locaux », spontanément utilisés par les enquêtés pour qualifier leurs situations locales.

Plus spécifiquement, l’étude qualitative sur la pauvreté au Maroc se veut, et ce à travers les perceptions et le vécu des personnes en situation de pauvreté, une contribution à :

- la description de la pauvreté par les pauvres eux-mêmes : définition, catégorisation et tendances - L’identification des causes de la pauvreté à l’aide notamment des expériences vécues : les sources de vulnérabilité, mécanismes d’appauvrissement, itinéraires, chocs,… - L’exploration des conséquences de la pauvreté avec une attention particulière à l’accès aux services sociaux de base et l’évolution des rapports du genre (distribution des rôles, prise de décision, dépenses, violence domestique,…) et intergénérationnels (tensions entre parents et enfants,…) en situation de pauvreté - L’identification des stratégies et des partenaires de lutte contre la pauvreté

Soulignons que l’étude qualitative ne vise pas à valider les données obtenues en les comparant à d’autres données produites dans d’autres contextes mais bien de fournir un pouvoir de compréhension que permettent les approches qualitatives.

3. Instruments méthodologiques

Il s’agit de la réalisation et du traitement d’une enquête qualitative sur les représentations locales de la pauvreté auprès d’un nombre restreint de marocains et marocaines préalablement identifiés comme « pauvres ».

2 Cette étude consiste en deux parties : 1) une revue de littérature basée sur des études participatives conduites dans les années 1990 et couvrant 40.000 hommes et femmes dans 50 pays au niveau mondial et 2) une série de nouvelles études réalisées en 1999 dans 23 pays en développement qui a engagé 20.000 hommes et femmes. Le Maroc n’en faisait pas partie. 5

• Population cible

Bien que le taux de pauvreté au Maroc avoisine les 20%, l’identification des personnes à enquêter était une tâche assez difficile. Certes, l’enquête cible les « pauvres », mais elle se veut aussi qualitative dans le sens où elle doit se démarquer de l’approche quantitative. Autrement dit, durant l’opération d’identification, les indicateurs monétaires devaient être évités ou du moins partiellement utilisés. Une voie à explorer était l’utilisation des moyens officiels, que ce soit dans le milieu urbain ou dans les zones rurales.

En effet, durant le mois de Ramadan, la fondation Mohammed V pour la solidarité3 octroie aux ménages démunis des dons en denrées alimentaires de base à consommation fréquente. Cette opération accompagne les campagnes nationales de solidarité et de lutte contre la pauvreté.

Dans ce cadre, des commissions provinciales en milieu urbain et locales en milieu rural, présidées par le délégué de l’entraide nationale, ont été instaurées pour mener à bien cette opération de rupture du jeûne. Elles veillent notamment à l’établissement de listes des bénéficiaires et à leur actualisation. Plusieurs paramètres sont observés dans le choix de la population cible, notamment le critère du besoin, sans aucun autre dessein. La Commission prends en ligne de compte des prioritaires en l’occurrence les femmes veuves/divorcées et sans ressources, les familles nombreuses, les habitants des bidonvilles, les personnes âgées, les chefs de familles infirmes et sans soutien,…

Ce sont donc ces listes des bénéficiaires de l’opération de rupture du jeûne pendant le mois de Ramadan de 2003, menée par la fondation Mohammed V pour la solidarité, qui ont constitué la base de données pour la construction de l'échantillon enquêté.

Les associations de développement local et de bienfaisance ont été également associées à cette opération d’identification. Précisons aussi que les délégations régionales du Haut Commissariat au Plan (ministère de tutelle de l’INSEA) dans les Provinces ayant fait l’objet de l’enquête, ont été informées de cette opération de collecte qualitative, pour qu’elles facilitent le travail des enquêteurs en cas de besoin, dans le choix des zones et des personnes à enquêter. Il convient toutefois de souligner qu’une certaine marge de manœuvre a été laissée au terrain. L’idée est de laisser celui-ci guider le pas des enquêteurs par le tissage d’un réseau de participants.

3 ONG marocaine instituée en 1999 et reconnue d’utilité publique, la fondation Mohamed V pour la solidarité a pour mission de contribuer, avec les autres acteurs sociaux, à la redynamisation de la solidarité et à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. 6

• Les outils de collecte des données

De par sa nature qualitative, l’enquête utilise les techniques de collecte des données qualitatives : les groupes de discussion, les récits de vie et les entretiens individuelles.

Les groupes de discussion

Devenue populaire durant les années 1970 et 1980, la technique des focus groups sert à explorer une problématique spécifique (planification familiale, nutrition, santé, maladies mentales, pauvreté,…) à travers les opinions et les expériences d’un nombre restreint d’individus. Elle va dans le sens d’une activité collective et sert donc notamment à expliciter l’interaction et la confrontation des idées (silence, points chauds, réactions face aux opinions des autres,…) qui ont lieu au cœur de la discussion.

Dans notre enquête, chaque groupe de discussion est constitué d’une dizaine de personnes identifiées préalablement sur le terrain comme pauvres par les enquêteurs. La composition des groupes tient compte du milieu de résidence, de l'âge et du sexe étant donné que des enquêtes représentatives sur la pauvreté au Maroc ont montré que la pauvreté touche différemment les citadins et les ruraux, les hommes et les femmes, les jeunes et les moins jeunes.

Les récrits de vie

Cette démarche consiste à donner la parole dans un entretien individuel à une personne afin qu’elle décrive, explique et évalue un épisode quelconque de son expérience vécue en rapport avec la problématique traitée ici à savoir la pauvreté. Le but est de recueillir des éléments biographiques individuels qui serviront à construire progressivement à travers les divers témoignages une représentation sociale de la pauvreté. L’entretien prendra donc une forme narrative dans laquelle viennent se greffer des personnages, des situations, des événements, des choix, des actions et des raisons d’action, ainsi que les relations réciproques qui jalonnent l’existence des individus, la structurent et en modifient parfois le cours.

Là, nous avons respecté la parité et le milieu de résidence.

Les entretiens individuels avec des personnes-ressources

Pour avoir une idée plus globale de la situation des pauvres, une grille de questions spécifiques a été élaborée pour mener des interviews individuelles avec des personnes- ressources à savoir les enseignants, les professionnels de la Santé publique et les membres de la société civile.

La fiche de renseignements sur la commune

Par ailleurs et afin de construire le contexte historique, économique et culturel de la commune enquêtée, nous avons prévu également la collecte d’informations générales sur la commune à l’aide d’une fiche de renseignements, obtenue auprès des autorités locales ou toute autre personne-ressource. Les grilles des questions et la fiche de la commune sont rapportées dans l’annexe 1.

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• L’échantillon de l’enquête

Lors de l’enquête, on a tenu à respecter la parité, l’âge et le milieu de résidence dans l’échantillon. Dans chaque site sélectionné, qu’il soit urbain ou rural, 4 groupes de discussion sur une base thématique ont été menés :

¾ 1 groupe de 8 à 10 hommes : des chefs de ménages de plus de 25 ans ¾ 1 groupe de 8 à 10 femmes : des chefs de ménages ou épouses de CM de plus de 25 ans ¾ 1 groupe de 8 à 10 jeunes hommes de 18-25 ans ¾ 1 groupe 8 à 10 Jeunes femmes de 18-25 ans

Au total, 48 groupes de discussion ont été réalisés.

De même, les récits de vie ont concerné :

¾ 3 femmes de 18 ans et plus ¾ 3 hommes de 18 ans et plus.

La priorité a été donnée aux femmes et aux hommes chefs de ménages. Au total, 72 récits de vie ont été reconstitués.

Pour avoir une idée de l’impact de la pauvreté sur l’accès aux services sociaux de base, des interviews individuelles avec des personnes-ressources ont été également menées :

¾ 1 enseignant (e) ¾ 1 professionnel de santé ¾ 1 membre d’une ONG/ADL.

Au total, 36 personnes-ressources ont interviewées.

Au final, l’enquête a réalisé 156 questionnaires : 48 groupes de discussion, 72 récits de vie et 36 interviews individuelles de personnes-ressources.

Ces résultats se ventilent comme suit :

¾ Par Province : 8 groupes de discussion, 12 récits de vie et 6 interviews individuelles, soit 26 questionnaires ¾ Par commune : 4 groupes de discussion, 6 récits de vie et 3 interviews individuelles, soit 13 questionnaires

Finalement, l’enquête a concerné environ 500 personnes (80 par Province et 40 par commune) tous profils confondus (population et personnes-ressources). L’annexe 6 donne un récapitulatif de l’échantillon enquêté.

• Formation des collaborateurs

L’opération de collecte des données a été menée par 6 enquêteurs confirmés. Il s’agit de cadres et acteurs de la société civile exerçant le plus important de leurs activités dans la Province qui leur a été attribuée, maîtrisant le dialecte local (dans les zones berbères), ayant beaucoup d’expériences du terrain et travaillant en étroite liaison avec des ONGs et des

8 associations de développement local sur la problématique de la pauvreté et du développement.

Pour garantir un encadrement uniforme aux enquêteurs, une formation a eu lieu le mercredi 21 janvier 2004, à l’INSEA. Le programme de travail a porté essentiellement sur les objectifs de l’étude, les outils de collecte et les axes thématiques4.

Il convient de souligner que pour les activités d’élaboration des grilles des questions, le recrutement des collaborateurs, la formation et la supervision, un auxiliaire de recherche a été impliquée. Il s’agit de Aziz Chaker, socio-économiste et professeur-chercheur à la faculté de Droit à Fès.

• La réalisation sur le terrain

L’opération de collecte s’est déroulée du 5 au 25 février 2004. Les données qualitatives ont été ensuite retranscrites, traduites, puis saisies sous la version informatique. Afin de faciliter le travail de retranscription, les collaborateurs à la recherche ont utilisé des magnétophones pour enregistrer les discussions, à chaque fois que la situation le permettait.

• Supervision

L’équipe chargée de l’enquête a également prévu une période de supervision de 3 à 4 jours dans les sites enquêtés. La supervision s’est déroulée dans de bonnes conditions et a permis aux superviseurs d’un côté d’apporter leur aide aux enquêteurs en cas de nécessité et d’un autre côté de s’imprégner du terrain.

4. Description des communes ciblées par l’enquête

Partant de la nature qualitative de cette étude, nous n’avons pas cherché à construire un échantillon représentatif de la population des « pauvres ». L’objectif de cette enquête n’est pas de généraliser les résultats obtenus, mais bien de mettre en évidence les recoupements et donc les idées récurrentes. Comme l’échantillon de toute enquête qualitative est restreint et vu que la pauvreté au Maroc, à des degrés différents, existe dans toutes les Provinces du royaume, le choix des Provinces peut être arbitraire. Cependant, nous avons pris garde à respecter une certaine représentativité géographique et socioculturelle des grandes régions du pays (Le Nord, le Centre et le Sud). Dans chacune de ces grandes régions, nous avons opté pour deux Provinces où l’enquête couvre une commune urbaine et une commune rurale. Au total, 6 Provinces et 12 communes ont été visitées. Leur choix a été laissé aux enquêteurs, étant donné leur connaissance parfaite du terrain, aidés quand cela est nécessaire, par les autorités locales et les cadres de la délégation du Haut Commissariat au Plan dans les Provinces visitées.

L’enquête s’est déroulée dans les communes consignées dans le tableau 1.

Tableau 1. Liste des Provinces et des communes (urbaines et rurales) ciblées par l’enquête Province/Préfecture Commune urbaine Commune rurale

4 Voir l’annexe 2 pour l’équipe de recherche et les formateurs et l’annexe 3 pour le contenu du programme de formation

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Khénifra M’rirt Ait Ishak Larache Larache Sahel Marrakech Sidi Youssef Ben Ali Oulad Hassoune Rabat et Skhirate/Temara Al Youssoufia Sidi Yahia Zaër Taounate Tissa Ourdzagh Taroudant Ait Iazza Ait Igass

• La commune de M’rirt (Province de Khénifra)

Créée en 1992, la commune de M’rirt constituait auparavant une commune rurale appelée El Hammam qui a été découpée administrativement en trois communes. Elle est située au Nord–Est de la Province de Khénifra sur l’axe Khénifra–Fès et compte une population totale de 25.942 habitants, principalement d’origine bérbère, avec 5423 ménages (1994), sur une superficie de 4,5 km2. L’habitat, de type clandestin, est groupé, les logements sont dotés de l’eau et de l’électricité et bien qu’elle son état peut faire l’objet de critiques, la commune dispose de l’infrastructure de base (écoles, lycée, formation sanitaire, souk hebdomadaire,…). Les principales activités économiques sont axées sur l’élevage, l’apport des émigrés nationaux et étrangers et le petit commerce et l’artisanat.

Sur le plan économique, la commune a connu un événement marquant à savoir la fermeture de la mine de Jbel Aouam. Elle connaît également le phénomène de sécheresse. Quant aux migrations internes et internationales, elles sont présentes avec une certaine ampleur, mais sans effet sur l’investissement.

• La commune d’Ait Ishak (Province de Khénifra)

La naissance de la commune d’Ait Ishak remonte au début des années 60. Elle est située au sud-ouest de la Province de Khénifra et chevauche les plateaux centraux et la chaîne du Moyen Atlas. Sa population totale est de 18.645 avec 3664 ménages (1994). Plus de la moitié de la population et les deux tiers des ménages sont localisés au centre. Sa superficie totale est de 43.300 ha (433 Km2) dont uniquement 18% est utile à l’agriculture. La population, majoritairement berbère, est occupée dans les activités agricoles, en particulier l’élevage, l’artisanat. La commune bénéficie de quelques apports émanant des émigrés nationaux et du petit commerce.

Les douars ainsi que les habitations sont de nature dispersée. Le type d’habitat le plus courant est la construction en pisé, suivie de celle en dur et en dernier lieu celle du tabout. Les moyens de transport fréquemment utilisés sont les équidés, en raison de la topographie du terrain, de l’enclavement et de l’insuffisance des voies de communication. En dehors du centre, chef lieu de la commune et d’un douar nommé Sidi Said, les autres zones de la commune ne sont pas électrifiées. L’eau potable est desservie par le réseau communal et se caractérise par une insuffisance accrue (2 h/j). les routes et les ruelles souffrent de dégradation. Les ruraux sont desservis par des puits privés pour leur alimentation et le breuvage du cheptel. Les minoteries et les unités de trituration sont abondantes. le centre est doté d’un lycée, de deux écoles, d’une formation sanitaire et d’un souk hebdomadaire.

La sécheresse est le phénomène le plus marquant en plus de la construction du barrage d’Ahmed Al Han Sali à l’aval de la commune qui isole davantage la population. La

10 migration interne est assez importante avec peu de retour pour les cadres et les émigrés de l’étranger.

• La Municipalité de Larache (Province de Larache)

La Province de Larache est située dans la zone Nord du Maroc. Elle relève de la région Tanger-Tétouan et couvre une superficie de 27.83 km² avec une population de l’ordre de 500.000 habitants environ. Administrativement, la Province de Larache est composée de deux villes (Larache et Ksar El Kébir ) et 17 communes rurales.

Selon le RGPH de 1994, la population de Larache s’élève à 90.000 habitants, repartis sur un territoire de 54 km². A l’heure actuelle, et en attendant les résultats du prochain recensement de septembre 2004, la population de Larache est estimée à 120.000 habitants dont presque le tiers vit dans des bidonvilles en l’absence d’une politique claire de résorption de l’habitat précaire et en raison aussi des spéculations sur les terrains dans les quartiers limitrophes de la ville. La ville reste caractérisée par la dégradation des équipements de base : routes, accès, réseaux d’assainissement, collecte des ordures ménagères,… L’absence d’équipements sociaux dans les quartiers accentue les conditions de précarité des populations démunies notamment dans les quartiers des bidonvilles .

Du point de vue économique, la Province de Larache recèle beaucoup de potentialités notamment l’agriculture moderne irriguée qui reste le pourvoyeur principal d’emplois. La pêche contribue également dans ce sens. Malgré ces potentialités, le secteur industriel, axé sur l’agro-alimentaire, reste peu développé.

A l’instar des autres parties du Nord du Maroc, la Province de Larache est caractérisée aussi par son label d’exportateur de population émigrée en Europe (environ 100.000 émigrés officiellement sans parler des émigrés clandestins).

Il faut noter que l’inégalité des chances de développement des zones rurales ont favorisé un exode massif des populations vers les villes et par conséquent, les villes de Larache et Ksar El Kébir sont considérées parmi les villes les plus ruralisées au Maroc. Le constat est simple : le nombre de bidonvilles n’a cessé d’augmenter durant les deux dernières décennies et on compte actuellement plus de 35.000 habitants dans les bidonvilles de Larache, soit le tiers de la population, sans compter les non recensés qui viennent d’autres régions cherchant un emploi saisonnier dans les zones agricoles limitrophes.

L’enquête s’est déroulée dans le quartier Wafa situé dans la zone sûr de la ville et caractérisée par la présence de bidonvilles à l’instar des autres quartiers avoisinants. Le quartier Wafa se trouve à la périphérie de la ville de Larache. C’est un quartier où résident 10.000 habitants environ. Il reste démuni de la majorité des équipements sociaux de base et dans lequel, plus de 200 familles vivent encore dans des baraques. La population vit principalement du travail saisonnier et du commerce informel (marchants ambulants,…).

• La commune de Sahel (Province de Larache)

La commune de Sahel se trouve au Nord de la ville de Larache, couvrant une superficie de 183 km², avec une population de l’ordre de 15.000 habitants selon le RGPH 94. Du point de vue habitat, la population est repartie dans 13 douars en majorité enclavés, en raison de l’état dégradé des pistes les desservant. En ce qui concerne la couverture en

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équipements sociaux, il faut signaler l’existence d’une centre de santé au chef-lieu de la commune et des écoles primaires au niveau des différents douars. Sur le plan économique, la population vit principalement de l’agriculture de subsistance, en plus de quelques aides de certains membres des familles émigrés en Europe.

L’enquête a eu lieu à Dchar Rouah, un des douars les plus enclavés de la commune. Le douar est situé à 10Km du chef-lieu de la commune. L’analphabétisme et le chômage sont deux phénomènes très répandus. La plupart des habitants vivent dans la misère, dépourvus de toute opportunité d’améliorer leurs conditions de vie. Ce qui pousse, souvent, les jeunes du village et même des familles entières à s’évader vers les villes ou dans les meilleurs cas vers l’étranger (émigration clandestine).

Malgré sa proximité du chef-lieu de la commune, la population du douar Dchar Rouah vit dans un enclavement prononcé en raison de la dégradation de la piste menant au douar, inaccessible durant la période hivernale. Le transport se fait à dos d’âne ou mulet, même en cas de problème d’urgence (maladies, accouchement,…). Les revenus sont de plus en plus faibles, notamment après les longues années de sécheresse. La situation des équipements de base laisse à désirer : les sources d’eau sont rares, l’accès est difficile à cause de l’état de dégradation avancée des pistes surtout durant la période pluviale et à l’exception d’une école et deux mosquées, le madchar ne possède ni dispensaire ni d’autres équipements collectifs.

• La commune de Sidi Youssef Ben Ali (Province de Marrakech)

Ayant vue le jour il y a moins de 15 années, la commune du Sidi Youssef Ben Ali est assez peuplée et très dense (118770 habitants). Elle constitue une sorte de ville dortoir qui est en train de vivre un essor important ces dix cinq dernières années avec notamment la mise en œuvre (en cours) d’un nouveau quartier (où se trouve le siège de la commune) avec des espaces verts et surtout des institutions importantes dans le cadre de la politique de proximité (Trésor préfectoral, Tribunal de première instance, Tribunal de commerce, Délégation jeunesse et sports, banque, Sûreté nationale, Conservation foncière et les télécommunications, complexe commerciale). La commune dispose également d’équipements qui offrent des services de base pour les habitants (Ecoles, Collèges, Lycée, centres de santé, maternité, souks.)

Sur le plan économique, la population active exerce le petit commerce ainsi que des activités saisonnières, la localité de Sidi Youssef ben Ali n’abrite en effet aucune unité industrielle d’envergure, hormis un « quartier industriel » constitué de petites sociétés et entreprises, qui génèrent peu d’emploi. Depuis septembre 2003, la commune est devenue un arrondissement, parmi les cinq qui composent le conseil municipal de Marrakech (nouveau régime pour les villes de plus de 500.000 habitants).

• La commune Oulad Hassoune (Province de Marrakech)

Bien plus ancienne que la commune de Sidi Youssef Ben Ali puisque sa création date de 1963 sous la dénomination Jnanat, la commune rurale Oulad Hassoune n’abrite qu’une population de 16573 personnes. La commune est constituée de 32 douars de type dispersé, avec 2780 familles. La commune ne manque pas d’équipements collectifs (commune, poste, centre de mise en valeur agricole, centres de santé, médecin privé, garderies, écoles, pharmacie, 12 collège). Elle est dotée également d’infrastructure routière (route nationale, régionale, provinciale et communales). Par ailleurs, un effort a été fait récemment sur le plan de l’équipement : une opération d’électrification a touché 15 douars dont 4 sont seulement en cours. Mais le problème qui reste posé est l’insuffisance de l’eau pour la consommation domestique et l’agriculture. Aucun effort n’a été fait pour l’adduction de l’eau et les habitants continuent d’utiliser les puits collectifs comme source d’eau potable et d’irrigation.. Quant au système d’assainissement, il n’est pas généralisé. Certains ménages disposent de fausses sceptiques, d’autres utilisent les puits perdus.

Sur le plan économique, la région est à vocation agraire : les principales productions sont les olives et les légumes. La surface de terrains agricoles est de 76.000 ha dont seulement 4.700 sont irriguées. La population est occupée dans les activités agricoles qui l’emportent sur toutes les activités exercées, en plus de l’élevage.

• La commune d’Al Youssoufia (Préfecture de Rabat)

La commune urbaine d’Al Youssoufia est composée de 6 arrondissements et caractérisée par des habitations regroupées sauf à l'Oulja et Akrach et Ain Khalwiya5. Deux types d’habitations coexistent : les constructions en dur et les bidonvilles. La langue couramment parlée est l'arabe, mais aussi le berbère dans une moindre mesure.

A l'Oulja, l’agriculture constitue la principale activité économique. Ailleurs se sont le commerce, l’artisanat (poterie), le travail dans les usines et la fonction publique qui prévalent. Le type d'habitation le plus courant sont les maisons économiques à un ou à deux étages. La proximité relative de cette commune au centre de la ville fait que les moyens de transport jusqu'au centre de la commune sont assez développées : il y a des lignes de bus dans la commune toute entière, des taxis, des mobylettes, des bicyclettes. Par contre, à l'Oulja, on se déplace encore à dos d'âne.

Du point de vue des équipements, toute la commune est alimentée en eau et en électricité sauf l'Oulja, Akrach et Ain Khalwiya où les fontaines publiques constituent les sources d’eau des ménages. Les rues sont goudronnées sauf encore une fois à l'Oulja, à Akrach et à Aïn khalwiya où il n'y a que des pistes.

La commune n'est pas reliée à la ville de Salé qui ne se trouve pourtant pas loin. Il manque un pont qui permettrait aux habitants de la commune de se rendre à Salé directement du côté des usines, sans être obligé de passer par la ville de Rabat. Il y a six minoteries dans la commune. Partout il y a des écoles, mais il en faut d'autres et surtout des collèges et des lycées inexistants à l'Oulja, à Akrach et à Aïn khalwiya. D’autres équipements collectifs existent : le préscolaire moderne sauf dans les bidonvilles, quelques écoles privées, des mosquées, un seul souk hebdomadaire le dimanche à Akrach et un dispensaire au quartier Al Wahda.

La commune a connu des séismes, légers certes mais qui ont pourtant causé un glissement de terrain à Akrach. Les gens qui habitaient dans les hauteurs ont été évacués et logés dans des écoles. Il y a eu aussi des périodes de sécheresse et dans les années 70, une crue : le Bouregreg est sorti de son lit et a inondé le Bidonville du Chellah.

5 Relevant de la commune Al Youssoufia, ces quartiers se trouvent à la périphérie de la ville de Rabat et constituent les quartiers les plus dégradés sur le plan des infrastructures de base. 13

Comme partout au Maroc, les migrations internes sont assez fréquentes notamment vers Témara, la ville contiguë à celle de Rabat, parce que les lots de terrains et le coût de la vie ne sont pas chers et l'environnement est meilleur (les infrastructures sanitaires, les denrées alimentaires sont abondantes,…). Les migrations externes sont aussi importantes : les jeunes vont vers l'étranger pour y travailler et faire vivre leurs familles.

• La commune de Sidi Yahya Zaër (Préfecture de Skhirate-Temara )

Les douars composant la commune sont de type dispersé dans la périphérie et groupé dans les zones attenantes au centre. Ce dernier est constitué de bidonvilles et de deux quartiers en dur. Cependant les bidonvilles dominent. Sur le plan des équipements collectifs, il faut dire que la situation est déplorable :

¾ Seul le centre est doté de l'électricité ¾ Les maisons en dur sont alimentées en eau potable mais les habitants des bidonvilles se limitent aux fontaines et à la campagne des puits. ¾ La commune est équipée de routes goudronnées et de pistes, dans un état moyen, qui relient le centre aux régions. ¾ Quant à l’offre éducative, il y a six écoles primaires centrales plus leurs extensions dans la région et un collège, mais il n’y a pas de préscolaire moderne, ni des écoles privées ¾ Un seul dispensaire de santé dans le centre de la commune. La distance entre le centre de santé et les habitations varie de 0 à 50 kilomètres. ¾ Plusieurs mosquées existent dans la commune. ¾ Un souk hebdomadaire

La localité est caractérisée par de grandes fermes, la réserve royale de chasse, une ferme d'élevage de chevaux pur-sang et de larges forêts.

Commune très récente, les principales activités économiques sont l’agriculture et l’élevage. Les migrations sont peu développées, les deux destinations privilégiées des habitants sont la ville de Témara (destination interne) et l'Italie (destination externe).

• La Municipalité de Tissa (Province de Taounate)

Cette commune est caractérisée par des habitations groupées au centre et dispersées au niveau de deux douars dépendants de la municipalité. La grande partie de construction est en béton au centre de la commune. Au niveau des deux douars, les habitations sont en pisé. Par ailleurs, les habitants dans leur totalité parlent l’arabe.

Pour arriver au centre de Tissa, les habitants des régions avoisinantes utilisent le transport clandestin, devenu une des principales sources de revenu pour beaucoup de familles. Pour se déplacer vers Fès les gens utilisent les grands taxis.

En tant que municipalité, le centre de Tissa, ainsi que certains douars, est doté en eau potable et électricité. En comparaison avec d’autres municipalités de même potentiel économique et démographique, l’offre éducative, sanitaire et culturelle dans la municipalité de Tissa est assez développée. Il y a en effet un lycée, deux collèges, un internat pour 200 filles, un internat pour 300 garçons, deux écoles primaires, cinq garderies et une école coranique. Une route goudronnée de 3 Km relie le centre de Tissa à la route principale Fès-

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Taounate. La commune est aussi reliée avec la route principale Fès-. Le centre de Tissa est également doté d’un hôpital régional, d’un centre de santé avec trois médecins permanents et du personnel paramédical et une maternité intégrée à l’hôpital, une maison des jeunes, une maison d’étudiant (Dar Talib) pour 143 enfants venant des régions avoisinantes. Les pauvres et les orphelins sont pris en charge gratuitement.

Quelques événements naturels et culturels ont marqué l’histoire de la municipalité de Tissa :

- d’importantes inondations (débordement de la rivière Oued Lben) qui ont causé beaucoup de dégâts en 1966. - Des périodes de sécheresse durant les années 1980. - Le Moussem des chevaux est organisé chaque année durant 3 jours lors du mois d’Octobre. Grâce à cette manifestation, Tissa est nommée « Mère des chevaux » - Les grandes familles de la région sont des éleveurs des chevaux et amateurs de la fantasia.

Malgré le fait qu’elle se situe au Nord du pays (zone pourvoyeuse de migrants), Tissa se démarque des régions voisines par :

- une migration internationale moins importante - une migration interne moins abondante notamment ces dernières années en raison de l’amélioration qu’a connu le centre en matière d’équipement en eau et électricité et infrastructures (surtout collèges et lycée) .

Culturellement, les habitants de cette région pré-rifaine connus sous le nom de « Jbala » (montagnards), parlent arabe avec un accent des Jbalas et ont un rapport particulier avec les habitants des autres régions du pays. Ainsi par exemple, le nom de « Dakhla » (venu de l’extérieur) a été attribué au quartier où se sont installées les familles venant de régions périphériques.

La période d’été est marquée par le retour des ressortissants marocains à l’étranger (qui ne sont pas très nombreux). Il n’y a pas d’investissements locaux à l’exception de quelques projets de petits cafés. Deux tribus importantes composent la population de Tissa : « Ouled Alyane» et « Ouled Amrane». Il n’y a pas de conflits apparents entres ces deux tribus mais pour la petite hsitoire, on dit qu’ils se traitent mutuellement de têtus. La commune dispose d’une seule usine de traitement de sel car le sol de la région est connu par son importante teneur en cette matière.

• La commune de Ouardzagh (Province de Taounate)

La commune est située au sud-est de Taounate et est limitrophe de la Province de . La population est de 15.266 habitants répartie sur 3 fractions : Ourdzagh6, Al Khandak et Laksil et se compose de 56 douars. Les particularités de cette commune peuvent se résumer en ce qui suit :

- Les habitations sont groupées au centre et dispersées au niveau de certains douars - La grande partie des constructions sont en pisé

6 Qui a été divisée en deux suite à la construction du barrage Al Ouahda 15

- La langue couramment parlée est l’arabe avec l’accent de JBALA - Les principales activités économiques sont l’élevage, la production des olives et la petite agriculture traditionnelle. - La région était connue par les grandes fermes d’orangers qui ont disparu avec l’installation du barrage. Ces fermes offraient beaucoup d’emploi aux habitants. - La poterie est très développée dans une localité appelée Ain Bouchrik. - Le moyen de transport le plus courant est le transport clandestin - A dos de mulets, les habitants viennent au centre le jour du souk - Le centre de la commune est électrifié et doté en eau potable - Neuf autres douars de la commune sont électrifiés - les eaux des sources et de puits sont les plus disponibles pour les habitants de la commune. - La commune est reliée par une route goudronnée avec Fès, Taounate et Ghafsai. Avant l’ouverture du barrage, une route goudronnée liait la commune avec et les habitants accédaient facilement à la région du Gharb. - Les pistes sont très rares - Le pont de Hajria est un pont très ancien, il a été refait ces derniers temps pour desservir et relier 3 communes avoisinantes : Ouardzagh, Bouarouss et Mezrane. - Un grand pont a été construit avec le barrage en 1994

Par ailleurs, le centre de la commune est doté d’un lycée, d’un collège, d’une école primaire au centre, de trois garderies, d’une maison de jeunes et d’un foyer féminin non opérationnel, faute d’équipements et de ressources humaines. On trouve également un centre de santé au douar Bab Zriba mais sans médecin, un centre de santé et une maison d’accouchement (avec une seule sage femme) au chef-lieu de la commune accessibles surtout pour les habitants du centre. Un centre de santé est en cours de construction au niveau de la localité Béni Moumen.

Comme pratiquement dans toutes les communes marocaines, on trouve un hammam et une mosquée. Le souk se tient une fois par semaine et constitue un espace d’échanges économiques et socio-culturels.

La mémoire de la commune est chargée d’histoires. Au temps du protectorat, elle était un centre militaire. Au lendemain de l’indépendance, elle reçoit la visite du Roi Mohamed V qui selon les habitants lui donna le nom de Ouardzagh qui signifie les « fleurs nombreuses » en raison de la verdure impressionnante de la région. Les habitants se rappellent encore de la famine de 1945

La construction du barrage continue de susciter la désapprobation des habitants. En effet, cela n’a pas seulement découpée Ouardzagh en deux fractions mais a été la cause de la disparition du festival de Sidi M’Hamed Ben Lahcen qui était la manifestation culturelle la plus connue.

La localité reste très attrayante avec le développement de mouvements de migrations des autres localités vers le centre de la commune. Les population des zones enclavées par le barrage préfèrent vendre leurs terres et s’installer au centre. On note aussi une migration des jeunes vers les grandes villes comme Fès, et Tanger. La plupart de ces jeunes pratiquent la couture traditionnelles et rejoignent Ouardzagh pendant les fêtes ou la cueillette des olives.

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• La commune d’Ait Iazza (Province de Taroudant)

La Province de Taroudant appartient à la région de Souss-Massa-Draa, située au sud, à 80 km d’. Elle est caractérisée par son expansion spatiale (89 communes urbaines et rurales) et sa difficile géographie montagneuse qui représente plus de 75% de sa surface. Créée en 1992, la commune Ait Iazza est située à 8 km de la ville de Taroundant et est composée de douars avec des habitations groupées en pisé. La population dans sa majorité arabophone, exerce dans l’agriculture, l’élevage et dans des cas rares le commerce et l’artisanat.

Ait Iazza était un petit village, qui a été promu depuis quelques années en un centre urbain. Ceci en a fait un centre commercial assez important. La création des coopératives agricoles, les efforts fournis pour la réhabilitation des nouvelles terres et la mise en valeur des terrains agricoles par l’emploi de matériels modernes (le tracteur et la batteuse) et la création des fermes modernes se basant sur l’irrigation ont permis de créer des emplois. Sur le plan de l’équipement, la commune est dotée de certaines infrastructures de base telles que l’eau potable, l’électricité une route goudronnée, un établissement scolaire public et préscolaire moderne, structures sanitaires (l’hôpital est à 1 km du centre) et d’autres équipements collectifs (pharmacie, mosquée, minoterie,…).

Toutefois, le manque d’infrastructures se fait encore sentir dans des domaines prioritaires. Ainsi l’inexistence d’un lycée à Ait Iazza oblige les élèves, qui ont les moyens, d’aller à Taroudant, se séparant ainsi de leurs familles, mais ceux qui n’en ont pas quittent l’école et arrêtent de suivre leurs études. Par ailleurs, le manque d’un réseau d’assainissement bloque l’investissement, constituant un obstacle pour le développement local dans une commune qui connaît un retour massif de ses ressortissants à l’Etranger qui espéraient investir dans leur région d’origine.

L’économie de la région est en décadence perpétuelle à cause de l’éclatement démographique, l’exode et le chômage. Les habitants se plaignent également de l’absence d’un souk hebdomadaire qui pourrait constituer une source intéressante pour l’économie. Par ailleurs, aucune activité culturelle n’a été signalée.

• La commune d’Ait Igass (Province de Taroudant)

Située à 16 km de la ville de Taroudant, la commune d’Ait Igass a été créée elle aussi en 1992. Les types de douars constituant la commune sont des habitations groupées construites en terre pressé (tabia). Composée d’une population majoritairement berbérophone, exerçant essentiellement dans l’agriculture et l’élevage, la commune souffre de la faiblesse de ses recettes. Ce qui influe sur son développement. Certes des efforts sont fournis dans le domaine de l’électricité et de l’eau potable (la plupart des douars de la commune rurale sont électrifiés et la majorité des ménages profitent de l’eau potable). Cependant, l’obstacle majeur reste l’insuffisance d’eau potable et d’irrigation.

Elle est caractérisée par l’existence des fermes agricoles, les usines d’emballage et les coopératives agricoles. Elle connaît également un fort mouvement d’exode rural qui dépasse les postes de travail existantes ; chose qui mène au chômage du sexe masculin étant donné que les propriétaires des fermes préfèrent la main d’œuvre féminine.

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Les équipements dont elle est dotée sont des plus élémentaires : l’électricité, l’eau potable, une piste rurale, routes goudronnées, des puits qui compensent le manque d’eau, une école coranique, un établissement scolaire public, une mosquée, un souk hebdomadaire, un dispensaire rural à distance 20 km,…

Comme les autres régions du sud, la commune a connu aussi des périodes successives de sécheresse et l’invasion des criquets. Les habitants parlent cependant d’une faible amélioration de niveau vie après deux années de bonne récolte.

Chaque année et en saison estivale se tiennent deux festivals, le Moussem Sidi Moussa et le Moussem R’ma qui constituent des activités culturelles importantes pour la région.

5. Résultats des analyses qualitatives

Les axes utilisés lors de la collecte des données ont été regroupés selon les proximités entre les thèmes abordés dans chacun des axes. La grille d’analyse proposée s’est faite à deux niveaux : un niveau global pour faire ressortir les logiques sociales communes et un niveau détaillé (Province par Province) pour mettre en relief, éventuellement, les spécificités régionales de la problématique étudiée. Les analyses ont porté sur Le premier traite des définitions et des catégories de la pauvreté. Le deuxième est consacré aux causes et aux conséquences de la pauvreté. Les stratégies et les partenaires (y compris les institutions) de lutte contre la pauvreté sont examinés dans le troisième et dernier point.

D’autres éléments d’analyse seront présentés dans le rapport final en plus bien évidemment de ceux traités ici. Il s’agit de la perception de l’évolution des conditions de vie dans les localités visitées, de la reconstitution des processus d’appauvrissement reposant sur les récits de vie, les rapports du genre et intergénérationnels en situation de pauvreté, et enfin les attentes des pauvres en matière de lutte contre la pauvreté. Des suggestions seront également dégagées à partir de l’analyse complète des données qualitatives.

Définitions, typologie et tendances de la pauvreté

Malgré le fait qu’il est difficile de définir et de reconnaître le « pauvre » parce que chaque personne a ses propres besoins, tous les enquêtés s’accordent à dire que la « pauvreté » est « une réalité qui se voit, qui est sentie » au quotidien et que le « pauvre » est généralement celui qui « n’arrive pas à satisfaire ses besoins fondamentaux ou ceux de sa famille » dans la société marocaine.

• Définitions de la pauvreté

Les données qualitatives attestent d’une certaine variabilité des appellations de la pauvreté d’une région à une autre, liée essentiellement au langage et les termes locaux couramment utilisés pour caractériser ce phénomène, mais aussi au degré de pauvreté vécue. Par ailleurs, toutes ces perceptions versent dans le même sens, et ne sont pas sans cohérence avec les aspects matériels de la pauvreté telle que définie par les enquêtes quantitatives reposant sur les dépenses de consommation ou les revenus. Le vocabulaire local utilisé montre toute sa richesse et dénote en effet d’une diversité dans les situations se manifestant cependant sous un même visage : le manque et la privation. On relève ainsi pour le concept de la « pauvreté » :

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- Kalt al madda : le manque de moyens matériels - Alhaja : le besoin ou Kalt chi : le manque de beaucoup de choses - Azalt, miziria: la misère - Alazma : la crise - Tamara : la dureté de la vie ou Aladab : la souffrance - Albitala : le chômage - Mararat al aich : amertume de la vie

Quant au terme « pauvre », la population utilise des termes locaux :

- Meskine ou fakir : il s’agit du terme de l’arabe classique, utilisé également dans l’arabe dialectal et en berbère qui signifie « pauvre ». On le retrouve dans tous les sites visités. - Pobre : terme espagnol signifiant pauvre, couramment utilisé dans la région de Larache (cette Province fait partie de la grande région du Nord du pays).

D’après les définitions de la pauvreté, il apparaît clairement que les perceptions des enquêtés, qu’ils soient citadins ou ruraux, hommes ou femmes, jeunes ou plus âgés, vont d’abord vers des aspects économiques et matériels ou du moins monétaires en rapport avec le travail et le revenu. Ainsi, dans les discours recueillis, ce sont les termes, traduisant le manque de moyens, de biens et de revenus, de ressources pour subvenir à des besoins vitaux (alimentation, habillement, santé, éducation,…), qui sont en premier lieu avancés. Comme le souligne une femme pauvre de Ouardzagh dans la province, « le pauvre est celui qui n’a rien dans la poche » en référence à de l’argent, à un revenu. Par définition, le pauvre :

- est privé de tout/ne possède rien7/n’a rien à dépenser/n’a rien à manger/ n’a pas de quoi vivre - manque de beaucoup de choses8/d’argent/ de ressources ou dont les ressources sont limitées même quand elle sont régulières (le fonctionnaire « moyen » qui a une lourde charge familiale par exemple) - cherche de quoi survivre/vit continuellement dans la crise9/ peine chaque jour pour sa survie10 - vit au jour le jour parce qu’il n’a pas les moyens de stocker les ressources - vit dans la précarité11

Encadré 1 Focus groups de femmes, Al Youssoufia (Préfecture de Rabat)

« La pauvreté c'est le fait de ne pas pouvoir se loger, ni manger à sa faim, ni pouvoir payer des études à ses enfants. C'est aussi ne pas pouvoir se soigner quand on est malade.»

Focus groups de jeunes femmes, M’rirt (Province de Khénifra)

« On reconnaît le pauvre quand il est au marché : il regarde les légumes par exemple mais il ne peut pas les acheter et en face de lui, les autres les achètent sans problèmes.»

7 Maandouch ou mazloute en arabe dialectal et walou ghors en berbère 8 Makhssouss en arabe dialectal 9 En arabe dialectal mzaier 10 Mkarfess 11 Darwich 19

Focus groups de jeunes femmes, Al Youssoufia (Préfecture de Rabat)

« La pauvreté, c’est quand on achète l'huile, la farine, le sucre à crédit chez un épicier et qu'on change d'épicier parce qu'on n'a pas pu payer le premier et qu'on a encore besoin de crédit. C'est quand on achète 5 dh (1/2 dollar) de poulet pour toute une famille.»

Focus groups d’hommes, Ait Igass (Province de Taroudant)

« La pauvreté de premier degré est quand on ne possède pas un terrain agricole, ni un troupeau.»

Soulignons que dans le milieu rural et même dans les communes urbaines récemment crées ou peu urbanisées comme Ait Igass (Province de Taroudant), les hommes de plus de 25 ans définissent la pauvreté extrême par le manque de terre et du bétail.

La vie des pauvres est caractérisée par une attitude fataliste : « le pauvre n’a rien et vit grâce à Dieu.» ou encore « « On connaît personne qui peut nous sortir de cette situation, on a confiance en Dieu, chacun pour soi et personne ne peut nous aider», déclarent deux jeunes hommes à Ouardzagh et à Tissa.

Cependant, la pauvreté n’est pas perçue uniquement par rapport à sa dimension économique. Nos interlocuteurs du terrain ont confirmé le caractère multidimensionnel de ce phénomène, en mettant également en exergue des perceptions de la pauvreté d’ordre physique, social, intellectuel et même psychologique.

La pauvreté est d’abord «physique ». Elle est visuelle, tangible et les signes peuvent être :

- La ration alimentaire déséquilibrée et insuffisante - L’habillement de mauvaise qualité - La maladie et l’impossibilité de se faire soigné - Le logement insalubre, sans les équipements de grande nécessité - L’oisiveté et le chômage

La pauvreté se manifeste également sur le plan socio-psychologique et se traduit par un état d’esprit où se mêlent plusieurs sentiments. La pauvreté est en effet vécue comme un rejet, une marginalisation et une exclusion par les autres. Il règne chez la majorité de nos interlocuteurs pauvres un sentiment de menace, de perte, d’insécurité, de désespoir, d’humiliation, avec comme corollaire, qui accentuent encore de pareils sentiment, les difficultés d’accès à certains services sociaux de base comme le disent si bien les hommes et les femmes lors des focus groups (voir encadré 2). C’est que Chambers (1995) appelle « l’infériorité sociale »

Encadré 2 Focus group de femmes, Ait Ishaq (Province de Khénifra)

« Le pauvre est marginalisé. Quand il se présente pour demander un papier administratif, on le fait attendre. Il n’est jamais consulté, ni valorisé et sent l’amertume, même les gens qui passent ne lui disent pas bonjour. Regardez par exemple quelqu’un qui revient de

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l’Etranger, on court pour le saluer parce qu’il a de l’argent.»

Focus group de femmes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

« La valeur qu’on te donne est fonction de ce que tu possèdes.»

Focus group de jeunes filles, M’rirt (Province de Khénifra)

« La pauvreté c’est quand tu n’as pas de travail, quand tu es vulnérable et qu’on te rejette parce que tu ne possèdes rien »

Focus group de jeunes hommes, Al Youssoufia (Province de Rabat)

« Le pauvre est le blessé dans son amour propre»

Focus group des hommes, Oulad Hassoune (Province Marrakech)

« Le pauvre est le laissé pour compte, il n’y pas personne qui lui vient parler.»

Sur le plan psychologique, il semble que la pauvreté est mal vécue surtout par les hommes dans les localités avoisinant les grandes agglomérations comme Marrakech et Rabat. Alors que les femmes se montrent tantôt résignées, tantôt optimistes mais rarement désespérées, les hommes s’expriment de manière amère comme le montrent leurs discours réciproques lors des focus groups (encadré 3).

Encadré 3 Focus groups de femmes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

« …, moi je me dis parfois même si je n’ai rien je suis encore capable de me débrouiller et donc parfois je sens que je ne suis pas pauvre. » Focus groups de femmes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

« Malgré notre pauvreté, nous vivons dignement, nous ne tendons jamais la main. » Focus groups des hommes, Sahel (Province de Larache)

«La pauvreté c’est vivre comme un animal. »

Focus group des hommes, Al Youssoufia (Province de Rabat)

« La pauvreté c’est addaya (le fait de se sentir perdu), et le pauvre c’est al mahgour (le blessé, l’humilié), c’est le réprimé (al makmoue) »

Focus group de jeunes hommes, Al Youssoufia (Province de Rabat)

« La pauvreté, c’est "al malal mina al hayat » (le fait de ne plus avoir envie de vivre) surtout pour les hommes, c’est al yaes (le désespoir), c’est al kohra (l’humiliation ).»

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Focus groups des hommes, Oulad Bouhassoune (Province de Marrakech)

«El Meskine maandou kima (le pauvre n’a pas de valeur), Mkemech (froissé, plié, ridé)»

Focus group de jeunes hommes, Oulad Bouhassoune (Province de Marrakech)

« El meskine bgha ghir lmout (le pauvre ne veut que la mort)»

Ces différences de perceptions trouvent probablement leur origine dans les représentations sociales des rôles des hommes et des femmes dans la société marocaine qui assignent aux hommes la responsabilité de la cellule familiale. Il n’est donc pas étonnant de constater que ce sont plus les hommes qui ont tendance à parler de pauvreté en tant qu’incapacité de subvenir aux besoins de sa famille et comme dépendance des autres.

Encadré 4 Focus group de jeunes hommes, Ait Ishaq (Province de Khénifra)

« Le pauvre est celui qui a besoin de l’autre pour subsister, qui n’a rien pour couvrir les dépenses de sa famille ».

Focus group de jeunes hommes, Al Youssoufia (Province de Rabat)

«Le pauvre est celui qui ne peut subvenir aux besoins de sa famille »

Le manque d’ordre intellectuel est aussi perçu par certains enquêtés comme une forme de « pauvreté », tout en restant une de ses causes. A ce propos, sont considérées comme intellectuellement pauvres, les personnes analphabètes, non scolarisées, ou inconscientes.

Encadré 5 Focus group d’hommes, Al Youssoufia, (Préfecture de Rabat)

« La pauvreté c’est l'analphabétisme : pour trouver du travail, il faut être instruit.»

Focus group de jeunes femmes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

« Les analphabètes sont aussi pauvres mais malheureusement il y a des gens analphabètes mais qui n’osent pas le dire et ils ne demandent pas l’aide des autres.»

Récit de vie d’un jeune homme, Ait Ishaq (Province de Khénifra)

« Pour moi l’analphabétisme est l’origine de tous les problèmes.»

Les significations de la pauvreté chez les marocains vivant en situation de pauvreté se repèrent également à travers des expressions très significatives sur le plan socioculturel. Ainsi, on entend parler du « pauvre » en ces termes :

- Celui qui n’a ni quoi avancer, ni quoi retirer 22

- la poche trouée12 - Si le pauvre parvient à déjeuner, le dîner est une autre histoire - Se le pauvre achète un pantalon, il lui faudra beaucoup pour avoir la chemise - Le pauvre est malchanceux (maandou zhar)

• Typologie de la pauvreté

La cohabitation des « riches » et des « pauvres » semble être une réalité sociale assez acceptée, traduisant une certaine fatalité face à la précarité, à la marginalisation et à la pauvreté. Toutefois, les témoignages recueillis attestent d’une aigreur et d’une amertume ressenties par les pauvres face aux énormes inégalités sociales et le hiatus différenciant les familles pauvres vivant dans des conditions précaires et les familles aisées vivant dans des logements décents et bien équipés. Nous y reviendrons dans le point sur les conséquences de la pauvreté.

Focus groups des hommes, Ouardzagh (Province de Taounate)

«Il faut revenir à ce que Dieu a dit : j’ai différencié entre vous tous dans les ressources.»

Focus groups de jeunes filles, quartier Wafa (Province de Larache)

«La situation devient pire après avoir habité dans des baraques dans ce quartier de riches. La vie devient plus chère notamment avec l’obsession de la nécessité de construire une maison en béton.»

D’après les différents témoignages, la pauvreté n’est pas ressentie avec la même acuité, ni la même sévérité.

Il y a d’abord la pauvreté telle qu’elle est catégorisée en se référant à la comparaison entre le revenu et les dépenses. Cette typologie ressort clairement dans la région de Taroudant : - La première catégorie de pauvres : composée de personnes qui ne possèdent pratiquement aucun bien, n’ont aucun revenu et vivent des aides, dans un logement précarisé. - La deuxième catégorie de pauvres : il s’agit de personnes à revenu instable ; celui-ci ne couvre pas les dépenses pour les besoins sociaux de base. - La troisième catégorie de pauvres : les personnes appartenant à ce groupe ont un revenu stable mais qui couvre à peine les dépenses pour les besoins sociaux de base.

A notre sens, cette dernière catégorie pourrait être assimilée à la classe sociale des familles vulnérables. Au moindre choc (naturel, économique, familial,..), les personnes appartenant à cette catégorie peuvent basculer dans la « vraie pauvreté ».

D’autres typologies sont mis en évidence dans les autres régions. Il s’agit d’une description d’un certain nombre de catégories sociales vivant en pauvreté.

12Jib Matkoub en arabe dialectal 23

- Le chef d’une famille nombreuse qui n’a pas de quoi subvenir à ses besoins - Les familles monoparentales (les femmes veuves ou divorcées) - Les personnes sans aucune ressource : celui qui n’a pas de travail, de métier/qui ne trouve rien à faire13, ou qui perd brusquement son travail ou encore qui refuse de travailler avec un salaire dérisoire - Les personnes qui font travailler leurs enfants chez les autres comme bonne, apprenti,… - Les personnes que l’on découvre notamment à l’occasion de l’opération de distribution des denrées alimentaires (les mendiants, les personnes âgées sans soutien matériel ni familial (abandonnées par leurs enfants par exemple),…) - Le malade qui n’a pas les moyens de se faire soigner - Les personnes handicapées - Les jeunes diplômés chômeurs

Encadré 6 Focus group de jeunes hommes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

« Le pauvre est celui qui est marié, a des enfants et n’a pas de bien, il veut travailler mais il ne trouve pas de travail, si tu veut quitter pour travailler ailleurs combien tu vas gagner ?est ce que ça va te suffire pour loger, manger et envoyer aux enfants.»

Focus groups, de femmes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

« Pour moi, ce sont les personnes âgées qu’on doit considérer comme pauvres et qu’on doit aider. Je connais une femme aveugle. Elle vit toute seule et personne ne l’aide.»

• Evolution des conditions socio-économiques

Le sentiment général relevé auprès de nos interlocuteurs sur le terrain sans distinction de sexe, de l’âge, du milieu ou de la région, est la dégradation des conditions socio-économiques comparativement au passé, en raison notamment du déclin du pouvoir d’achat. Les besoins se sont diversifiés et ont augmenté avec « la modernisation » de la société, tandis que les revenus ont stagné et les ressources se sont amoindries. Tout en restant dans la comparaison passé-présent, les pauvres pensent qu’aujourd’hui la vie est plus difficile, plus dure en l’absence de solidarité familiale/sociale, de l’amitié et des bons rapports de voisinage qui jadis permettaient aux pauvres de surmonter leurs difficultés.

Les enquêtés reconnaissent cependant des changements positifs visibles grâce à une certaine amélioration dans l’infrastructure de base (électricité, eau potable, routes, structures hospitalières, infrastructure éducative,...). Les ruraux pauvres constatent en effet que des efforts conséquents ont été déployés pour la réhabilitation des routes et des pistes dégradées et la construction de nouvelles routes, dans l’électrification des campagnes, dans la modernisation des moyens de production agricoles

Par ailleurs, selon les jeunes hommes et femmes, la dégradation des conditions de vie semble beaucoup plus forte comparativement à ce qui est exprimé par leurs aîné(e)s. Ces derniers pensent vivre moins mal cette évolution que les jeunes générations qui sont plus

13 Chomour ou makhadamch en arabe dialectal et walou massi tigh en berbère 24 exigeantes en matière d’alimentation, d’habillement, de loisirs,… Cette idée est partagée également par les jeunes.

En revanche, les perceptions des femmes sont différentes de celles des hommes quand il s’agit de comparer l’évolution des conditions de vie en termes du genre.

Ainsi, les femmes pensent que leur situation socio-économique est bien plus rude que celle de leurs homologues masculins. Elles pensent en effet qu’elles trouvent difficilement un travail et lorsqu’elles sont embauchées, elles travaillent beaucoup plus que les hommes mais à des revenus bien plus bas. Dans tous les cas, elles dépendent souvent du revenu des hommes.

Focus groups de jeunes femmes, Ait Iazza (Province de Taroudant)

« La situation socio-économique des femmes est pire que celle des hommes. Les femmes sont exploitées dans les usines et les fermes parce que leurs salaires sont toujours inférieurs à ceux perçus par les hommes.»

De leur côté, les hommes constatent que les patronats agricole ou industriel préfèrent embaucher les femmes parce qu’elles sont assidues, n’adhèrent que rarement aux syndicats et sont satisfaites de leurs salaires aussi dérisoires qu’ils soient.

Causes de la pauvreté et sources de vulnérabilité

Avant d’aborder ce point, il convient de souligner que les personnes enquêtées ont souvent tendance à confondre les définitions et les catégories de la pauvreté avec les causes et les manifestations avec les conséquences. Nous citons ici quelques unes de ces idées récurrentes concernant les facteurs qui fragilisent les personnes.

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• Causes générales de la pauvreté

Sans exception aucune, il s’est avéré selon cette enquête qualitative que la principale cause de la pauvreté est le manque d’opportunités de travail/l’instabilité du travail ou la saisonnalité/la faiblesse/l’incertitude des revenus. Pour tous nos interlocuteurs, même si l'emploi n’est pas vraiment le garant de l'intégration sociale et de la lutte contre la pauvreté, sans la création du travail et l’éradication du chômage, la pauvreté ne peut que s’aggraver. Autrement dit, malgré l’instabilité du travail et/ou des revenus, l’emploi est la pierre angulaire de tout édifice qui vise la lutte contre la pauvreté.

Encadré 7 Focus groups de femmes, M’rirt (Province de Khénifra)

« La pauvreté est liée au travail. Si tu travailles, tu peux manger, sinon cela devient un problème.»

Focus groups d’hommes, Oulad Hassoune (Province de Marrakech)

« La cause de la pauvreté, c’est l’absence d’emploi.»

Viennent ensuite d’autres causes qui ne sont pas sans importance :

- les parents proches de la pauvreté à savoir l’analphabétisme, l’ignorance et l’abandon précoce de l’école qui limitent les connaissances et l’accès à des activités économiques plus rémunérées.

Encadré 8 Récit de vie d’un jeune homme, Ait Ishaq (Province de khénifra)

« Pour moi l’analphabétisme est l’origine de tous les problèmes dans cette commune,…Nous avons besoin d’opportunités de travail, je refuse la charité. Pour les générations futures je crois qu’il y aura un changement, mais moi je veux juste manger et boire.»

Focus group de jeunes hommes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

« L’analphabétisme et l’ignorance sont aussi des causes de la pauvreté, les personnes instruites connaissent beaucoup de choses et par conséquent elles font bien attention»

- Les chocs naturels : la sécheresse en autres - Les chocs sociaux : maladie ou décès du chef du ménage, éclatement de la famille, perte d’emploi, hospitalisation, maladie chronique d’un membre de la famille, handicap,… - La transmission intergénérationnelle de la pauvreté : issues de parents pauvres, certaines personnes sont obligées de partager la misère non seulement avec les parents mais avec un grand nombre de frères et sœurs. - L’enclavement - L’inexistence ou du moins la réduction de l’équipement de base (eau, électricité, routes, transport,…)

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- La charge familiale que constitue une descendance nombreuse est aussi une cause de la précarité et de la pauvreté. - L’exode rural

Encadré 9 Focus group d’hommes, Wafa (Province de Larache)

« La cause de la pauvreté c’est l’exode rural pour fuir la pauvreté rurale qui est pire que celle vécue en ville.»

Pour les ruraux pauvres en particulier, la campagne est « l’oubliée » des politiques publiques et c’est cela qui explique la pauvreté.

• A la recherche des processus de la pauvreté

Etant donné que la pauvreté est plus un processus qu’un état stagnant, nous avons jugé pertinent de faire ressortir les points de rupture (moment et critères) qui entraînent un individu dans la précarité et la pauvreté. A travers quelques récits de vie qui retracent les expériences vécues par les pauvres, nous avons pu reconstituer quelques itinéraires-types de pauvres qui ont permis d’apporter des éclairages sur la question. Les récits de vie permettent l’enchaînement des causes et des effets de la pauvreté.

Appréhender le processus d’appauvrissement revient à mettre en exergue ses éléments constitutifs : parcours, causes, conséquences et stratégies de survie.

Les expériences vécues en tant que pauvre sont différentes selon qu’on est femme, homme, citadin, rural, jeune ou plus âgé. A travers quelques récits de vie, nous avons pu reconstruire quelques itinéraires-types de pauvres. Ils incarnent probablement les parcours de milliers de personnes pauvres et vulnérables au Maroc.

Commençons d’abord par analyser la situation dans les zones périphériques urbaines.

Les femmes pour leur majorité chefs de ménage ou épouses de chefs de ménage et qui ont fait l’objet de l’enquête viennent souvent de régions où les conditions de vie étaient rudes (montagnes, zones enclavées, zones arides,…) et où elles s’occupaient quasiment de tout (travaux domestiques, ramassage de bois de chauffe, labour de la terre, récolte, bétail, traite, corvée de l’eau,…), notamment quand les hommes ont émigré pour travailler ailleurs. Pour fuir cette réalité, dont les difficultés se sont accentuées avec la succession des années de sécheresse, ces femmes, sans aucun niveau d’instruction, sont contraintes de trouver des solutions. Leurs parcours sont ainsi jalonnés d’événements successifs qui n’ont fait qu’augmenter leur vulnérabilité : 1) un mariage précoce avec comme corollaire une descendance nombreuse, des difficultés de scolariser tous les enfants et/ou une croissance des risques de leur déscolarisation avant terme, 2) l’exode rural ou la migration rural/rural en famille à la recherche d’une région plus clémente, d’opportunités de travail ou pour rejoindre le mari qui vient d’une autre région ou parti seul dans un premier temps, ou encore pour habiter dans un bidonville dans l’espoir qu’un jour l’Etat leur donnera une terre/un logement, 3) la scolarisation des enfants dans les cycles supérieurs (collège, lycée, université,…).

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Pour les femmes, qu’elles soient issues de la migration ou natives de la région, ce sont des chocs sociaux spécifiques qui constituent le point de rupture derrière la dégradation de leurs conditions de vie : divorce, veuvage, maladie du mari,… Souvent dépendantes des revenus de leurs époux, elles se retrouvent du jour au lendemain sans ressources et responsables de toute une famille. Du statut de « femmes au foyer », totalement dépendantes mais vivant dans des conditions qu’elles jugent relativement acceptables, elles deviennent chefs de ménage, exerçant des métiers de survie en tant que petites commerçantes, bonnes, ouvrières,…), s’adonnent à la prostitution ou sont complètement à la merci des aides des bienfaiteurs.

Une spécificité propre aux localités urbaines se situant dans les environs des moyennes et grandes villes comme Larache, Marrakech et Rabat, les femmes même mariées exercent des activités génératrices de revenus essentiellement commerçantes pour augmenter les ressources de subsistance. On ne retrouve pas cette spécificité à Khénifra, Taounate ou Taroudant. Dans les deux dernières provinces où les traditions pèsent de toute leur pesanteur, la femme doit rester au foyer. Dans la région de Khénifra, c’est le manque de travail qui explique ce constat.

Malgré les conditions difficiles, une partie non négligeable de ces femmes expriment le sentiment d’avoir gagné leur indépendance (ne plus habiter ou travailler chez les autres) et le fait d’avoir évité les problèmes avec les familles et les belles-familles.

Tableau 2. Origine des pauvres, événements ayant marqué leur parcours et stratégies de survie, Milieu urbain Origine Hommes Femmes - la localité et les diverses régions rurales du - La localité et les diverses régions rurales pays, mais souvent les plus proches de la du pays, mais souvent les plus proches de région de résidence actuelle la région de résidence actuelle Evénements - Déscolarisation précoce - Enfance/adolescence difficile (décès de marquants - Travail rémunéré : ouvriers de bâtiments, la mère, remariage du père, grossesse graisseur, apprenti, hors mariage, fugue,…) - Succession de périodes de sécheresse - Mariage précoce - Migrations de type rural/rural ou - Migrations de type rural/rural ou rural/urbain rural/urbain - Mariage - Famille nombreuse - Famille nombreuse - Divorce/veuvage/Polygamie du mari - Vieillesse/maladie/handicap - Maladie/chômage du mari - Maladie chronique de la progéniture - Problèmes familiaux : alcoolisme du mari, violence conjugale, délinquance,.. Stratégies - Retraite/Rente en nature ou en espèces : - Revenus du mari : petits métiers de survie location de sa terre à des tiers en contrepartie - Retraite d’un loyer ou d’une partie de la récolte,… - Activités agricoles : fermes, oliveraies,… - Métayage - Activités commerciales : vaisselle, - Activités commerciales : vente des ferrailles produits consmétiques, vêtements, ramassées dans les décharges, produits électroménager, produits artisanaux,… alimentaires, cafetier de fortune, serveur de - Services : ménage, couture,… café,… - Micro-crédit - Services : transport de marchandises, - Crédit informel journaliers (en tant que maçon, plombier, - Aide familiale : nature (blé, huile,…), peintre,…),… espèce - Solidarité : famille, amis, collègues, voisins, - Travail des enfants petits/adultes bienfaiteurs - Prostitution - Recours au travail des enfants - Mendicité

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Pour les hommes, la sécheresse constitue le point de rupture avec une situation jadis prospère (terres agricoles fertiles, pluviométrie abondante, diverses activités économiques,…) pour les fils de propriétaires de terres ou moins difficiles pour les métayers, les ouvriers agricoles et les bergers. Mais il y a aussi l’insuffisance des revenus. Avec l’âge et l’augmentation de la taille de la famille (du fait du mariage et de la fécondité), les rentrées d’argent ne peuvent plus nourrir toute une famille. La migration semble être l’action à entreprendre en situation de survie.

Devant l’instabilité de l’emploi informel, ces hommes accumulent déplacements (entre différentes régions du pays) et petits métiers (métayer, ouvrier agricole/non agricole, chauffeur de taxi, maçon, marchant ambulant, transport de marchandises,…). Par ailleurs, pour certains, la survie est assurée par les rentes des terres ou les transferts d’argent et des biens de consommation agricoles (blé, huile,…) provenant de la région d’origine (parents, frères, locataires des terres,…).

Parmi les citadins pauvres, nous avons rencontré également des plus jeunes, célibataires vivant seuls. Exprimant souvent une pauvreté d’origine héréditaire, ils appartiennent à des familles rurales nombreuses. Souvent issus de la migration, ils ont fui eux aussi les zones rurales arides et leurs conditions de vie difficiles pour la ville.

Il ressort clairement que malgré les parcours assez différents, l’objectif reste le même : la recherche de régions plus clémentes sur le plan climatique, plus économiquement attractives et surtout avec une infrastructure de base minimum (routes, moyens de transport, électricité, eau potable, école, hôpital,…).

Venant-en maintenant aux ruraux pauvres.

Si bon nombre de ruraux pauvres décident d’émigrer vers la ville, il existe d’autres, femmes et hommes, qui choisissent de rester sur place ou du moins rester dans les environs ruraux, parce qu’ils désirent continuer à vivre dans le douar dont ils sont natifs, mais aussi très souvent parce qu’ils ne savent pas comment, ni où aller.

L’explication commune à la pauvreté rurale demeure sans conteste la sécheresse qui a rendu improductives les terres dans leur totalité de type pluvial. Cette situation, cependant, n’explique pas tout mais elle en constitue le contexte d’évolution.

Les autres explications de la pauvreté rurale sont diverses. Il y a d’abord le fait que professions et les métiers traditionnels exercés par les maris et qui il y a une quinzaine d’années permettaient à des familles de vivre décemment, ne sont plus compétitifs sur le marché. Comme le coût de la vie a augmenté, les revenus de plus en plus réduits ne peuvent plus répondre aux besoins des familles. Ainsi parlent les femmes dont les maris étaient ou sont encore par exemple propriétaire d’une minoterie, d’un four, d’un hammam,…

Pour d’autres, l’inactivité du mari (perte d’emploi, faiblesse de l’offre du travail notamment pour les occasionnels, les journaliers et les ouvriers) est la cause principale. On identifie également dans ce groupe, une sous-catégorie particulière. Celle des femmes mariées avec des hommes beaucoup plus âgées qu’elles. Quelques années de mariage suffisent pour que leur situation se dégrade rapidement, parce que la santé de leur mari, dont elles dépendent, se dégrade aussi vite (handicap, cécité, maladie, vieillissement,…). En

29 l’absence de rentes ou de transferts, les difficultés s’accumulent avec comme conséquences la déscolarisation des enfants encore jeunes, la mendicité, le travail des enfants,…

Il y a également comme en milieu urbain le divorce et le veuvage. Les femmes sont alors livrées à elles-mêmes sans pension alimentaire avec une charge familiale. Ce sont souvent les enfants qui prennent le relève. Mais là encore la précarité de leur emploi et leurs revenus dérisoires ne permettent pas de vivre convenablement.

D’autres femmes sont des parcours assez particuliers. Il s’agit de profils rencontrés dans la région de Khénifra. Femmes mariées puis divorcées ou encore célibataires, elles pratiquent la prostitution pour élever leurs enfants et/ou s’occuper des autres membres de la famille (parents, frères ou sœurs). Pour elles, les zones rurales ne créent pas de l’emploi. Par conséquent, le seul moyen de survie reste la prostitution. On sent chez elles un sentiment de culpabilité parce qu’elles reconnaissent que la prostitution est interdite par la religion.

Soulignons que la pratique de la prostitution a été rapportée comme conséquence de la pauvreté dans tous les focus groups et les interviews individuelles et dans toutes les régions visitées.

Chez les hommes, souvent natifs de la localité visitée, les difficultés surviennent avec l’incertitude de l’emploi et des revenus. A cela s’ajoute la diversification des besoins notamment avec l’âge des enfants : « plus ils grandissent, plus ils deviennent exigeants ».

Pour les hommes plus âgés, la vie était meilleure avant parce que les métiers exercés que ce soit dans l’agriculture ou dans le commerce ou encore dans les services, étaient rentables. Mais la lourdeur de la charge familiale (frais de scolarisation, de santé,…) les a empêchés de constituer des ressources pendant cette période de relative prospérité.

Aujourd’hui les ruraux pauvres multiplient les métiers qui n’exigent pas de qualifications (manœuvriers, ouvriers non qualifiés, marchant ambulant,…) ou se rabattent sur ceux qui n’en demandent pas beaucoup (cordonnier, plombier,…) pour survivre. Leur sort reste donc liée à la demande locale en main d’œuvre. Mais devant la faiblesse de l’offre d’emploi et les opportunités de travail, les logiques qui sous-entendent l’action en situation de pauvreté ne sont plus salutaires.

Tableau 2. Origine des pauvres, événements ayant marqué leur parcours et stratégies de survie, Milieu rural Origine Hommes Femmes - Région - Région Evénements - Mariage - Mariage marquants - Sécheresse - Sécheresse - Migrations de type rural/rural - Chômage/maladie du mari - Migrations de type rural/rural Stratégies de - Retraite - Travail/retraire du mari survie - Activités agricoles : culture de la terre, - Activités agricoles : culture de la terre, élevage,… élevage - Rente agricole - Rente agricole - Activités commerciales : bétail, produits - Travail des enfants jeunes et adultes agricoles,… - Aides de l’Etat et des bienfaiteurs - Services : minoterie, hammam, four traditionnel, réparation de divers articles,… - Travail saisonnier des enfants petits adultes

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Les conséquences de la pauvreté

Parmi les conséquences les plus insupportables de la pauvreté, il y a d’abord la perte de l’estime de soi et du respect des autres qui nourrissent une fatalité exacerbée. Nous l’avons déjà mis en exergue dans les perceptions émises dans le point sur les manifestations de la pauvreté. Nous y revenons ici avec plus de détail et quelques exemples, notamment en rapport avec l’accès aux services sociaux de base.

Le pauvre se sent négligé, marginalisé,… en un mot, tout simplement oublié, livré à lui-même. Il pense que le manque de ressources est la raison principale qui pousse les autres à le fuir, y compris les responsables et les autorités qui officiellement sont là pour lui venir en aide et lui rendre les services nécessaires. En effet, les rapports entretenus avec le personnel de la santé, de l’éducation ou des autres organismes (entraide nationale, les autorités locales, les élus,…) sont basés sur la méfiance, voire le rejet et le mépris.

Devant les difficultés des parents à subvenir aux besoins de la famille, le travail des enfants apparaît alors comme une lueur d’espoir. La non scolarisation et la déscolarisation des enfants en âge d’être à l’école prédominent d’un côté comme le résultat du manque de moyens à octroyer aux besoins éducatifs et de l’autre comme la solution d’urgence pour avoir une rentrée d’argent en faisant exploiter sa fille comme « bonne » ou son fils comme « apprenti ».

Les femmes estiment que la difficulté des parents à subvenir aux besoins de leurs enfants entraîne une perte de contrôle de la gestion de la famille. Celui se manifeste par la délinquance des enfants (prostitution, agressions, vols, alcoolisme, tabagisme,…).

Par ailleurs, l’idée que partagent les enquêtés à l’unanimité est que la situation de pauvreté conduit à la multiplication des difficultés et à la prolifération des fléaux sociaux. On cite à ce propos :

- Les problèmes économiques : le chômage,… - Les problèmes de santé : la malnutrition, les maladies, difficultés d’accéder aux services de soins de base,… - Les problèmes d’habitat : difficultés de posséder un logement/répondre aux charges du loyer, l’habitat clandestin et insalubre (bidonvilles) avec incapacité de se raccorder au réseau d’électricité et de l’eau potable ou de payer les frais de ce raccordement - Les problèmes de l’éducation : l’échec scolaire, la déscolarisation ou la non scolarisation des enfants en âge de scolarité notamment quand ils arrivent au collège (en milieu rural plus particulièrement) - Les problèmes sociaux : difficulté de fonder une famille (célibat forcé), les problèmes au sein de la famille (notamment les rapports conjugaux et parents/enfants) avec comme corollaire les divorces, la violence conjugale, les conflits,…, - Les fléaux sociaux : la mendicité, la délinquance juvénile, la prostitution, la drogue, la criminalité et par conséquent le sentiment d’insécurité - L’absence de solidarité sociale et familiale - La marginalisation et la privation - La migration clandestine - Les problèmes environnementaux : la dégradation de l’environnement,…

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Encadré 10 Focus groups de jeunes, Ait Ishaq (Province de Khénifra)

« Le manque conduit à plusieurs fléaux tel que le crime, le vol, la prostitution. Le jour du souk par exemple, les ruraux sont agressés et victimes de vols.»

Focus groups de jeunes femmes, Sidi Yahya Zaër (Préfecture de Skirate-Temara)

« Sans la pauvreté, il n’aurait pas la clochardisation, le crime, le vol, la mendicité, la prostitution, et l'enfance et l'adolescence volées (on ne vit pas notre enfance, notre adolescence, on nous les arrache). »

Focus groups de jeunes hommes, Sidi Yahya Zaër (Préfecture de Skirate-Temara)

« Sans la pauvreté, il n'y aurait pas de délinquance, de mendicité. Les gens ne se ruineraient pas en crédits pour satisfaire leurs besoins primaires. Les jeunes se marieraient, fonderaient une famille et il n’aurait pas de criminalité comme on commence à le constater ici.»

Personnel de la Santé publique, M’rirt (Province de Khénifra)

« Les conséquences de la pauvreté : les vols, les jeunes sans emplois, les drogues, le vide, la prostitution, la mendicité, l’habillement déchiré, les paniers vides. Les gens vous disent qu’ils n’ont rien. A l’hôpital dès leur arrivée, avant même l’examen médical, les patients pauvres vous demandent d’abord si vous avez des médicaments à donner.»

Parmi les conséquences de la pauvreté, l’accès aux services sociaux de base constitue une question importante. Les difficultés d’accéder à la santé, à l’éducation, au logement,… réduisent les chances des pauvres pour changer leur situation et limitent leurs possibilités d’exercer leurs droits et d’avoir plus de contrôle sur leur destinée.

Il y a d’abord la difficulté des pauvres de subvenir à leurs besoins alimentaires. Une bonne partie dépend des aides provenant des institutions, des bienfaiteurs,… Ceux qui ont un salaire ou un revenu, tentent de bien le gérer en se limitant au strict minimum. Mais ils ne sont pas pour autant à l’abri de mauvaises surprises. L’incertitude des ressources combinée aux probables chocs économiques, démographiques, sociaux ou naturels augmentent indéniablement leurs risques de vulnérabilité.

Quant à l’éducation et la santé, les perceptions recueillies montrent que les pauvres les considèrent comme des biens de luxe. Or la mauvaise santé et l’analphabétisme, non seulement classent les individus parmi les groupes aux faibles potentialités, mais elles réduisent par la même occasion les opportunités qui leur sont offertes. Ceci a pour conséquence de conditionner leurs capacités et les possibilités de choix.

La difficulté de l’accès des pauvres aux soins de santé de base s’est renforcée notamment depuis que la santé est devenue payante. Car si les consultations sont parfois gratuites pour les personnes indigentes, celles-ci sont obligées d’acheter les médicaments. A ce propos, les familles pauvres restent à la merci de la solidarité familiale/communautaire ou des crédits informels.

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Pour la scolarisation, les charges deviennent de plus en plus insurmontables. Par ailleurs, en milieu rural, les parents constatent que souvent les enfants scolarisés ont un niveau d’étude très bas puisque les enseignants profitent des difficultés d’accès au village pour s’absenter pour de longues durées. Les personnes pauvres recourent souvent à la déscolarisation de leurs enfants, d’autant plus qu’elles peuvent tirer profit de leur travail comme apprenti ou ouvrier ou comme main d’ouvre gratuite dans l’exploitation familiale dans les zones rurales.

A ces difficultés, s’ajoutent les discriminations et les traitements humiliants que vivent les personnes pauvres quand elles désirent un service social de base : favoritisme, clientélisme, corruption,... sont autant de fléaux qu’elles rencontrent pour bénéficier du moindre service. Les pauvres constatent en effet que les patients ne sont pas tous égaux devant les services.

Encadré 11 Focus groups de jeunes filles, Al Youssoufia (Province de Rabat)

« Les parents d’élèves sont traités avec irrespect. Si on avait l’argent, ce serait différent. L’argent ouvrirait la route même dans la mer (lflouss kaddir attrik f’labhar). » Focus groups de jeunes filles, Oulad Hassoun (Province de Marrakech)

- « Le médecin ne me consacre pas de consultation, il ne fait que me prescrire l’ordonnance et je dois me débrouiller pour trouver de quoi acheter le médicament. » - « Les élèves de l’école n’ont pas leur enseignant de français depuis le début du mois. » - Focus groups de jeunes garçons, Oulad Hassoun (Province de Marrakech)

- « Les fonctionnaires traitent les gens avec un air de supériorité et pensent que nous sommes de retardés. En revanche, les riches sont bien servis.» - « A l’école, les élèves n’ont pas le même niveau que celui des enfants en ville. En plus, on subit l’éloignement du seul collège de la région (6 km piste) et l’absence de moyens pour continuer des études à Marrakech »

Focus groups de femmes, Oulad Hassoune (Province de Marrakech)

- « Même si tu passes la nuit dehors, il n’y a personne qui t’aide.». - « Personne ne nous connaît à l’exception des aides reçues dans le cadre de la Fondation Mohammed V pour la solidarité pendant le mois de Ramadan - Jadis, il y a avait l’hôpital. Maintenant c’est fini. Les enfants vont à l’école mais dès qu’ils auront atteint le collège, nos charges vont augmenter parce qu’il faut leur trouver un foyer d’accueil. Cela va être difficile parce qu’on ne parvient même pas à subvenir aux besoins de nourriture »

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Focus groups de femmes, Centre de Tissa, (Province de Taounate)

- « Pour les services sociaux, c’est le vrai clientélisme. » - « Une fois, un membre de la famille est tombé malade. Pour avoir un lit à l’hôpital, il a fallu donner de l’argent. » - « Tu dois toujours acheter les médicaments et parfois les médicaments de l’hôpital sont vendus au niveau de la pharmacie. » - « Les riches sont beaucoup plus favorisés que nous ils sont bien accueillis. » - « Si tu donnes de l’argent on te donne le numéro 1 ou 2 pour voir le médecin »

Focus groups de jeunes filles, Al Youssoufia (Province de Rabat)

« A l’école, les parents d’élèves sont traités avec irrespect. Si on avait l’argent, ce serait différent. L’argent ouvrirait la route même dans la mer (lflouss kaddir attrik f’labhar). » Focus groups d’hommes, M’rirt (Province de Khénifra)

«A l’hôpital on vous remet l’ordonnance mais nous on a pas de quoi s’acheter le traitement donc ça sert à rien d’y aller.»

Focus groups de femmes, Wafa, (Province de Larache)

« S’il n’y a avaient pas la pauvreté : - « Les enfants auraient pu poursuivre leurs études.» - « Les filles auraient pu apprendre des métiers au lieu de se marier à un âge précoce et par conséquent auraient pu éviter les familles nombreuses qui ne font qu’augmenter les charges. » - « Les femmes n’auraient pas été obligées de subir des accouchements dans des conditions déplorables (plusieurs femmes ont accouché sur le dos des ânes ou bien dans des voitures ou pire sur le chemin difficile qui mène à Larache. »

La lutte contre la pauvreté

L’enquête qualitative sur les représentations sociales de la pauvreté au Maroc apparaît bien plus intéressante que les enquêtes sur les niveaux de vie des ménages pour mettre en évidence les stratégies surtout personnelles de lutte contre la pauvreté ainsi que les perceptions du rôle des acteurs locaux. Toutefois, étant donné que les besoins sont considérables et touchent tous les domaines, ces actions paraissent dérisoires aux yeux de nos interlocuteurs. Ceux-ci pensent qu’ils ne peuvent pas lutter contre la pauvreté mais simplement se débrouiller pour répondre à leurs besoins ponctuels sans penser à demain. Ils ont bien des mécanismes de réponse à la pauvreté mais aucune stratégie à adopter pour s’en sortir et vivre une vie décente.

Encadré 12 Focus group d’hommes, Oulad Hassoune (Province Marrakech)

« On ne pense pas à l’avenir parce que les possibilités ne le permettent pas »

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Autrement dit, la pauvreté se révèle effectivement un cercle vicieux, comme c’est souvent rapporté dans la littérature. C’est un cumul de désavantages Pour sortir de la pauvreté, les pauvres estiment nécessaire de travailler et d’avoir des revenus pour pouvoir satisfaire au moins leurs besoins sociaux de base. Mais d’un autre côté, la situation de pauvreté est vécue comme l’absence de pouvoir, ce qui limite les choix et affaiblit la qualité des rapports entretenus avec les organisations, les institutions, les acteurs et les individus dont dépendent les pauvres pour leur survie.

• Stratégies de lutte contre la pauvreté

La lutte contre la pauvreté reste un dilemme. La complexité de ce phénomène se voit d’abord dans la dépendance de la population des services de l’Etat et dans la notion de gratuité qui les a longtemps caractérisées et qui ont instauré une passivité chez le citoyen. Les pauvres se considèrent incapables de développer des stratégies de lutte contre la pauvreté. Pour eux, seule l’intervention de l’Etat et donc une politique nationale de lutte contre la pauvreté peut changer réellement les choses.

Encadré 13 Présidente d’une ADL, Ait Ishaq (Province de Khénifra)

« Les gens attendent l’Etat providence.»

Récit de vie d’une femme, Oulad Hassoune (Préfecture de Marrakech)

« Il faut que les responsables pensent à offrir des emplois aux gens.»

Récit de vie d’une jeune femme, Ouardzagh (Province de Taounate)

« On mérite de vivre dans des condition meilleures que celles que nous vivons actuellement, l’Etat doit penser aux compagnes par l’approvisionnement de l’eau pour nous et notre bétail et par l’encouragement des gens par l’octroi des petits crédits pour financer quelques petits projets.

Récit de vie d’une femme, Al Youssoufia, (Préfecture de Rabat)

« Je ne peux rien faire, nous avons des projets mais pas les moyens pour les réaliser. La seule solution serait que l'Etat nous aide.»

Récit de vie d’un homme, Al Youssoufia, (Préfecture de Rabat)

« Les bienfaiteurs se font très rares. Depuis 17 ans, le quartier est comme un cimetière oublié. Nous n’avons aucune stratégie, nous ne nous débarrasserons de notre pauvreté qu’après notre mort.»

Récit de vie d’une femme, Al Youssoufia, (Préfecture de Rabat)

« Les habitants du quartier se sentent abandonnés et vivent individuellement leurs problèmes quotidiens : aucune participation de la part de qui que ce soit dans la résolution des problèmes.»

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En même temps, Les données qualitatives montrent que les pauvres luttent au quotidien pour subvenir à leurs besoins essentiels mais l’absence de moyens matériels, la mauvaise santé et l’analphabétisme réduit leur capacité d’échapper à la pauvreté. Un certain nombre d’actions est mené mais ces initiatives personnelles relèvent plus du système de « débrouillardise » pour la survie que de véritable stratégie pour s’échapper à la pauvreté.

Les stratégies de réponses à la pauvreté en termes d’activités économiques sont :

- En milieu rural : l’agriculture de subsistance et l’exploitation de petits lopins de terre cultivable, le travail saisonnier comme ouvrier agricole, le métayage,… - En milieu urbain : le travail dans les usines quand elles existent, les petits commerces dans le secteur informel (marchand ambulant,…) et l’exercice de quelques petits métiers (cordonnerie, maçonnerie, menuiserie, artisanat,…) - Dans les deux milieux : les aides provenant des membres de la familles et des bienfaiteurs relativement plus nantis, la mendicité, l’exercice d’emploi proposé par l’entraide nationale et la promotion nationale

Encadré 14 Récit de vie d’un homme, Wafa (Povince de Larache)

« J’ai une famille de 14 membres et je n’ai pas de travail fixe. Je « dépanne » parfois en vendant des légumes dans une charrette.»

Récit de vie d’une femme, Sahel (Povince de Larache)

« je travaille comme ouvrière dans les champs de fraise. Chaque jour je me présente à 5 h du matin au – moukef- pour attendre un camion partant. Je dois payer 10 DH au chauffeur sinon je peux pas monter dans le camion. Je gagne normalement 40 à 50 DH. Avec çà je dois faire vivre ma famille de 7 personnes. Mon mari est malade et ne travaille pas. Les 10 dh que je paie, j’en ai besoin; de plus je ne travaille pas chaque jour.»

Récit de vie d’un homme, Al Youssoufia, (Préfecture de Rabat)

« A 6h30 du matin, je vends des croissants aux jeunes filles qui travaillent dans les usines. Après je rentre prendre mon petit déjeuner, je me repose un peu, puis je me rends à la mosquée où je reste jusqu'à la prière du dohr. Je rentre chez moi pour déjeuner, je me repose et je retourne à la mosquée.J'ai un demi hectare de terre à Zaër, je le cultive et j'en vends le produit. Nous avons aussi, une fois par mois, le salaire de ma fille qui travaille dans une usine et le peu d'argent que nous gagnons mon fils et moi, lui en vendant des crêpes, moi en vendant des croissants.»

Ajoutons à cela que face au déclin de leur pouvoir d’achat, les individus essaient de lisser leur consommation en retirant leurs enfants de l’école pour les impliquer dans des activités génératrices de revenus.

Encadré 15 Récit de vie d’une femme, Ait Iazza (Povince de Taroudant)

« Je cherche du travail et en même temps j’ai envoyé mon enfant pour apprendre le métier de forgeron.»

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Encadré 16 Focus groups de jeunes garçons, Al Youssoufia (Province de Rabat)

« Même les usines de bois n'emploient que les filles. Les garçons devraient travailler à la place des filles»

En milieu rural, les pauvres vivent de la terre en aidant les propriétaires des terres. Il s’agit essentiellement d’activités économiques saisonnières (oliveraie, cueillette de fruits,…). Ils estiment que l’agriculture n’est plus rentable, notamment pour les paysans sans terres, en raison des années successives de sécheresse.

A Taounate, les hommes travaillent dans les orangeraies et les oliveraies. Les hommes pauvres chefs de famille sont des petits agriculteurs qui souffrent de l’absence des terres. Cette souffrance est accentuée par un sentiment de perte parce que les colons ont procédé à la vente des terres confisquées à des parents pendant la colonisation, privant ainsi leurs enfants, qui ne connaissent que le métier d’agriculteur, d’un moyen de survie, pour les vendre à des familles très aisées,. La majorité des jeunes sont sans travail, n’acceptant de travailler chez les propriétaires « riches » qu’en cas de force majeure parce qu’ils se sentent exploités.

Dans cette région pré-rifaine largement dominée par un contexte traditionaliste conservateur, les femmes n’exercent aucune activité, dépendant entièrement des revenus des hommes. Cette dépendance est doublement mal vécue. D’un côté, elles doivent se débrouiller avec les salaires modestes et saisonniers des hommes pour répondre aux besoins des membres de la famille et de l’autre, elles n’ont pas de métier et ne sont pas autorisées par les hommes (maris, frères, fils) à travailler et ne peuvent donc aider financièrement.

En milieu péri-urbain, les pauvres vivent des petits commerces à revenus saisonniers (artisanat, maçonnerie, ou du travail dans les champs et les fermes). Les revenus sont instables et faibles. L’absence d’un capital ne permet pas de démarrer une activité de commerce en tant qu’indépendant.

En plus de l’agriculture, l’élevage et les petits commerces dans le marché informel, les Provinces du Nord (Larache et Taounate) se démarquent des autres Provinces enquêtées, par des activités spécifiques à la région au nord du pays en milieu urbain.

- Dans la Province de Larache, les familles vivent du travail des hommes dans la pêche comme marins pêcheurs et du travail des femmes dans les usines de chaussures (même si on assiste de plus en plus à leur fermeture, ce qui augmente les licenciements et le chômage) - Dans la Province de Taounate, la survie des familles repose essentiellement sur le travail dans l’unique usine de traitement de sel et du travail à Ketama (ville connue pour la culture du cannabis mais les habitants de Taounate ne le disent que rarement. Ils préfèrent dire Ketama et cela suffit pour révéler l’activité exercée.)

Encadré 17 Focus group d’hommes, Wafa (Province de Larache)

La survie se fait grâce :

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- « au travail temporaire des maris, ou des fils comme marins, maçons, vendeurs de légumes et de fruits sur des charrettes ou par terre,...» - « au travail temporaire des femmes dans quelques usines (chaussures, fraises, confection,…) ou en tant que femmes de ménages (par jour ou par mois) ou bien vendeuses ambulantes.» - « à la mendicité. (avouent des femmes très âgées» - « au travail des enfants dans la vente des cigarettes, des sachets de plastiques, bonnes chez des familles ,...»

Récit de vie d’une femme, Centre de Tissa (Province de Taounate)

- « nous vivons avec ce que nous apporte mon fils qui travaille dans l’usine de transformation du sel. Avant, il gagnait 35 dh par jour et maintenant il travaille à 50 dh par jours. Et puisque ce travail n’est pas régulier, il arrive des fois où nous trouvons sans rien pour vivre. Nous ne bénéficions pas d’appui et pas d’aide nous nous débrouillons tous seul (c’est devenu exigé que chacun travaille pour soi et c’est ça la vie d’aujourd’hui). Lors de la période de récolte de blé et bien sûr quand la saison est bonne, on fait le circuit douar par douar pour ramasser le blé des gens qui font encore « Laachour14». Cela nous permet d’avoir une quantité de blé pour couvrir nos besoins en pain. Quand parfois la quantité est importante, on peut vendre un peu de blé pour acheter autre chose.»

A Taounate, les enquêtés ont souligné que le travail dans l’usine de sel et dans les champs du cannabis sont très pénibles, pouvant avoir des retombées négatives importantes sur la santé physique, voire mentale (le cas du cannabis). Par ailleurs, les salaires sont tellement dérisoires que les familles sont obligées de diversifier leurs sources de revenus.

14 Impôts dans la religion musulmane, c’est une sorte d’aumône distribuée aux pauvres. 38

Encadré 18 Focus group d’hommes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

- «Parfois tu es à plat et tu n’as rien, tu es obligé d’aller à Ketama , c’est dans les moments les plus difficiles. On reste une semaine à Ketama et ça passe très difficile, parfois je laisse mes enfants sans rien et je pars travailler une semaine à 40 dh la journée et je reviens rapidement en vitesse parce que je dis que mes enfants n’ont rien à manger. A Ketama on travaille soit le Kif soit le « GHANCHOU » c.à.d. on creuse les faussés » - « mes deux enfants travaillent maintenant à Ketama, ils me donnent un coup de main, parce que moi je ne fais rien ici »

Focus group de jeunes femmes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

«Beaucoup de jeunes aussi et par manque de travail ont quitté Tissa pour se rendre à Ketama et là c’est les grand danger parce que dès qu’ils arrivent ils commencent à se donner au Kif. Et une fois il y a plus de travail à Ketama ils reviennent à Tissa avec des maladies surtout respiratoires.»

Dans ce système de « débrouillardise », les femmes semble jouer un rôle important, notamment quand elles parviennent à trouver des moyens de démarrer une activité génératrice de revenus (micro-crédits par exemple), comme en témoigne le récit de vie suivant.

Encadré 19 Récit de vie d’une femme, Centre de Tissa (Province de Taounate)

- « On doit rembourser le crédit de l’argent qu’on nous donne l’entraide nationale à tissa. on nous donne des crédits de 1500DH, et 2000 DH et parfois jusqu’à 3000 DH qu’on doit rembourser à raison de 75 DH par semaines. Ça fait une année que je bénéficie de ces crédits, ça me permet de faire le petit commerce, je voyage à Nador pou acheter des petits produits et les revendre à tissa, d’ailleurs j’allais voyager ce matin mais à cause de l’argent que je n’ai pas je ne l’ai pas fait et c’est pour ça que je suis ici (pour avoir le prêt). Je veux avoir 1500DH et j’ai sur moi 1000 DH , je partirai demain. - J’achète des couvertures, des parfums, des magnétophones et… et parfois selon les demandes des clients, je me déplace chez les gens à leurs maisons pour leur remettre les produits qu’ils ont demandés. - Je sais que ce que je fais c’est de la contrebande, d’ailleurs beaucoup de personnes le font bien que c’est interdit, et il m’est arrivé plusieurs fois d’être arrêtée par les douaniers ou les gendarmes, j’étais habillées de 3 jaquettes, il me les a retirées et j’ai perdu la somme de 4500 DH - Ce travail m’aide à couvrir mes besoins et ceux de mes filles scolarisées, ça me permet aussi de payer le loyer. Ce qui m’encourage à travailler c’est que je vois que mes filles ont un bon rendement scolaire, la petite fille a eu dernièrement 12 de moyenne, je suis bien entourée par mes filles elles me consolent et me disent que ce n’est pas grave, et ça va passer cette situation. - Je me suis consacrée pour mes enfants, je n’ai pas voulu me remarier une deuxième fois à cause de mes enfants. »

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Pour ce qui est des stratégies communautaires, pratiquement tous nos enquêtés, et particulièrement les ruraux, ont parlé en premier lieu des aides perçues lors de l’opération du mois de Ramadan menée par la Fondation Mohamed V pour la solidarité. Mais ils ont tous insisté sur le fait que son caractère ponctuel rend son apport insuffisant et attendent que l’Etat fasse plus d’efforts. Ils ont fait allusion également, dans une moindre mesure cependant, à l’intervention de l’Entraide Nationale et de la Promotion Nationale15. Ces actions ont été confirmées également par des personnes-ressources. Même si les pauvres, notamment dans la région au nord du pays, ont rapporté qu’il existe toujours des dérapages.

Encadré 20 Récit de vie d’un homme, Ouardzagh, (Province de Taounate)

« J’ai eu la chance de bénéficier d’une aide de la commune. J’ai eu 10 kg de farine et une boite de thé sans sucre.»

Récit de vie d’une femme, Ait Igass, (Province de Taroudant)

« La fondation Mohamed V nous offre ses aides chaque ramadan (sac de farine 25 kg, 5 litres d’huile, 2 pins de sucre et 250g de thé).»

Encadré 21 Focus group d’hommes, Centre de Tissa (Province de Taounate)

« Il n’y a plus d’aide, avant et à l’occasion du ramadan, la municipalité fait des petites aides pour les pauvres c’est presque rien, un pin de sucre et du thé et encore il y a des pauvres qui n’ont jamais eu cette aide. Par contre les personnes qui travaillent dans la commune et qui sont des proches du président ou des élus bénéficient d’aide.»

Un professionnel de santé, Sidi Yahya Zaër (Province de Skhirate-Temara)

« Il n'y a rien ni personne qui joue un quelconque rôle pour sortir la population de la pauvreté. Même les rares bienfaiteurs sont dégoûtés car lors de la distribution de dons, on ne laisse pas la priorité aux plus pauvres. Tout le monde veut se servir. Ils ne pensent qu'à prendre.»

Un cadre de la Santé publique, Al Youssoufia, (Préfecture de Rabat)

« La commune organise des chantiers de travail à travers la Promotion Nationale. Elle distribue des aides alimentaires provenant de la Fondation Mohamed V. Il y a aussi des bienfaiteurs qui aident la population de temps à autre.»

Par ailleurs, et à quelques exceptions près, les discours montrent une absence quasi- totale d’initiatives associatives comme solutions alternatives à la précarité des conditions de vie et à la pauvreté. L’affaiblissement des réseaux de solidarité familiale et sociale atteint actuellement des dimensions alarmantes qui accentuent le désarroi des pauvres. Mais encore une fois, la pauvreté semble expliquer cela : comment être solidaire quand on voit que sa propre condition socio-économique commence à décliner ?

15 Deux organes de l’Etat destinés à aider les familles pauvres et précarisées. 40

Encadré 22 Récit de vie d’un homme, Centre de Tissa, (Province de Taounate)

« Il n’y pas de solidarité, parce que la solidarité a disparu avec nos anciens.»

Récit de vie d’un homme, Al Youssoufia, (Préfecture de Rabat)

« Ici on est solidaire seulement quand quelqu'un meurt. Il n'y a pas de confiance entre les habitants pour créer des réseaux de solidarité, pour faire des projet et établir des stratégies pour leur réalisation. La culture associative et coopérative est absente. Les gens ne sont pas conscients de son importance.»

• Rôle des acteurs locaux

Devant la chronicité de leur situation de pauvreté, la majorité des enquêtés ont exprimé leur mécontentement et leur mépris vis-à-vis des institutions et les responsables et notamment les élus qui, selon les discours, avancent des promesses sans jamais les tenir. Il semble que la communication entre les différents acteurs locaux et la population est rompue, devant l’impossibilité des responsables à satisfaire aux besoins urgents de la population. Il y a un véritable problème de gouvernance locale. A cela s’ajoute les conflits d’intérêt entre les associations et les personnes influantes locales. Par ailleurs, le déficit des structures de base accentue les difficultés : la population augmente et évolue et les moyens sont restés les mêmes. En résumé, deux discours prévalent :

- Celui de la population qui se sent négligée, marginalisée, oubliée - Celui des autorités, des certains professionnels de santé ou de l’éducation et des associations qui déclarent faire le possible avec les « moyens de bord ».

Encadré 23 Récit de vie d’un homme, Ait Iazza, (Province de Taroudant)

« Les rapports entre la population et les acteurs locaux sont caractérisés par la négligence et la passivité. Personne ne demande après nous les pauvres (makayne lli swel fina)»

Récit de vie d’une femme, Ait Iazza (Province de Taroudant)

« Personne n’exerce aucun rôle pour lutter contre la pauvreté, ce sont les pauvres eux- mêmes qui se débrouillent avec leurs propres moyens à l’exception de quelques bienfaiteurs de la famille.»

Focus group de femmes, M’rirt (Province de Khénifra)

« Il manque les gens qui font bouger la localité, nous nous sommes que des femmes on y peut rien. on nous nous offre même pas l’occasion de parler.»

Focus group d’hommes, Al Youssoufia (Préfecture de Rabat)

« Notre élu est inefficace et ignore la population du quartier.»

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Récit de vie de femme, Sidi Yahya Zaër (Province de Skhirtae-Temara)

« Les rapports avec les autorités et les élus sont des rapports de force. Pour éviter les problèmes, nous ne réagissons pas.»

Focus group de jeunes femmes, M’rirt (Province de Khénifra)

« Les relations entre les institutions et la population sont déséquilibrées. Il y a beaucoup de corruption.»

Encadré 24 Entretien avec un professionnel de santé, M’rirt (Province de Khénifra)

« Les acteurs pour moi font leur travail selon leur moyen. Au centre de santé par exemple, on reçoit la population de la commune urbaine plus celles des communes rurales d’Oum Erbiâ, El Hammam, El Borj, Aguelmous et Oued Ifrane pour deux médecins. Les relations entre les populations et les acteurs sont liées aux personnes (si tu satisfais à leurs besoins, ils te respectent, si non ils t’insultent) il y a aussi les problèmes de compréhension et de communication.»

Un représentant d’une ADL, Sidi Yahya Zaër (Province de Skhirate-Temara)

« La population ne s'intéresse qu'à un certain type d'activités par lequel elle se sent concernée en premier lieu. Par exemple si une association agit au niveau des établissements scolaires, au niveau du transport en commun, il y a un intérêt de la part de la population. Mais si on organise par exemple une conférence sur le code de la famille ou sur l'environnement, ils ne s'y intéressent pas parce qu'ils ne sentent pas encore concernés par ces thèmes. Ils ne sont pas conscients que s'ils prennent soin l'environnement, ils tomberaient moins malades. Tout ce qui les intéresse, c'est si on va les soulager d'une dépense ou leur donner quelque chose.»

Quelques témoignages ont été exprimés pour parler de l’apport bénéfique de certains organismes mais ils demeurent rares et insignifiants, avec une action très limitée devant l’ampleur des problèmes et des besoins. Il s’agit dans leur majeure partie d’associations et d’organisation à caractère religieux.

En dehors des services administratives rendues à la population, la commune semble avoir un rôle très limité même si la population locale lui reconnaît l’aménagement des routes, l’adduction de l’eau potable et l’électrification.

Parmi les structures qui aident la population, on cite l’entraide nationale qui permet aux jeunes filles d’apprendre un métier (broderie, tapisserie,…), la promotion nationale qui organise des chantiers de travail, la maison des jeunes qui s’occupe d’activités sportives et culturelles, des chantiers de boisement, des campagnes de sensibilisation à l'hygiène, des colonies de vacances pour les jeunes et propose des services payants (ours de soutien scolaire, internet,…) et des cours d'alphabétisation pour les moins jeunes.

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Mais c’est à Larache que les actions de la société civile sont plus visibles. Ainsi une coopérative d’habitat a été créée au profit des habitants des bidonvilles enquêtés. Cette coopérative travaille en coopération avec une association locale. Elles aident les habitants à construire leurs maisons. Les habitants ont rapporté également le rôle d’une association de micro crédit au profit des femmes. Une autre association de tendance religieuse mène des actions de charité (distribution de moutons pour l’aïd, fourniture scolaire, …), même si les femmes révèlent que leur action est d’ordre politique. En Milieu rural, il existe une association du douar qui a aménagé la source d’eau du douar et puis il y a la jmaa (collectivité du douar) qui aide aussi les pauvres du douar surtout en cas de maladie, de décès ou durant les fêtes.

Synthèse et conclusions

En complément des enquêtes quantitatives de la pauvreté au Maroc, la deuxième lecture faite de ce phénomène à l’aide de l’approche qualitative met en exergue des résultats intéressants dont certains sont nouveaux et d’autres classiques. Commençons d’abord par ces derniers. L’enquête sur les perceptions de la pauvreté apporte des éléments intéressants qui confirment la tendance vers une dégradation de plus en plus croissante des conditions de vie de la population locale. Quant aux éléments nouveaux, ils consistent dans la définition et la catégorisation des pauvres que les enquêtes sur les niveaux de vie ne permettent pas d’appréhender. La pauvreté s’avère un cumul des désavantages qui s’emboîtent les uns dans les autres, figeant les individus dans la situation de pauvreté. Aux yeux des pauvres, la pauvreté est certainement d’abord matérielle et ceci corrobore la dimension du manque de moyens monétaires et de revenus pour subvenir aux besoins les plus vitaux (nourriture, habillement, logement, santé,..) que l’on retrouve dans les mesures de la pauvreté monétaire et donc du seuil de pauvreté. Cependant, les résultats qualitatifs attirent l’attention sur d’autres indicateurs qui vont dans le sens d’un manque d’ordre intellectuel et socio- psychologique.

L’analphabétisme, le manque d’instruction, l’ignorance,… qui sont souvent cités comme causes de la pauvreté, sont également souvent repris comme étant une forme de pauvreté. Le manque de sécurité, la peur de demain et de ce qu’il va apporter comme lots de misère, la crainte de nouveaux chocs qui plongeront les familles dans plus de pauvreté,… expriment également le désarroi dans lequel vivent les pauvres. L’enquête qualitative n’a pas manqué non plus de mettre le doigt sur ce sentiment de frustration des personnes vivant dans la pauvreté et la précarité qui revêt parfois chez eux, notamment les plus jeunes, la forme d’un désespoir évident et de révolte camouflée contre une situation d’injustice sociale.

Sur un autre plan, l’enquête qualitative, bien que de modeste portée, montre que la question de la pauvreté au Maroc devrait être considérée à deux niveaux : - Le niveau national qui veut dire que certaines régions n’ont jamais bénéficié de programmes de développement social et restent exclues par rapport à d’autres régions.

- Le niveau local caractérisé par le comportement passif du citoyen qui ne s’interroge pas pour définir sa responsabilité dans cette question. La majorité des communes sont pauvres, sans ressources avec énormément de problèmes notamment au niveau de l’infrastructure de base (routes, eau, électricité, enclavement, analphabétisme dominant, l’arrière pays qui constitue la ressource agricole est détruit, explosion démographique, absence de programmes d’éducation,…) En milieu rural par exemple, la situation a stagné et parfois même s’est détériorée (l’analphabétisme est passé de 90% à 80%, une

43 diminution de 10%. C’est insignifiant !). Par ailleurs, les projets de la commune sont parfois mal conçus : quand on veut désenclaver on renforce l’enclavement (cas du barrage d’Ahmed El Hansali dans la Province de Khénifra et du barrage Al Ouahda dans la Province de Taounate). Les régions ont des potentialités mais celles-ci sont non ou mal orientées (comme si on greffe un organe sur un corps qui le rejette.)

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Bibliographie

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De Cling, Jean-Pierre, Philippe De Creyer et al., (2003), La croissance ne suffit pas pour la réduire la pauvreté : le rôle des inégalités, Document de travail, DIAL, Unité de recherche CIPRE, IRD, Paris

Direction de la Statistique, (1992), Enquête Nationale sur les Niveaux de vie de 1990/91, Rabat

Direction de la Statistique, (2000), Enquête Nationale sur les Niveaux de vie de 1998/99, Rabat

Javeau, Calude, (1992), L'enquête par questionnaire, Les Editions de l'Organisation, Paris

Gondard-Delcroix, Claire, (2001), « Les analyses qualitatives de la pauvreté : continuité ou rupture ? », Centre d’Economie du Développement, Université Montesquieu-Bordeaux IV, Bordeaux

Ravallion, Martin, 2001, On the urbanization of poverty, Development Research group, The World Bank, New York

World Bank, 2003, Reaching rural poor. A renewed strategy for rural development, The International Bank for Reconstruction and Development, Publication, Report n°26763, vol.1, The International Bank for Reconstruction and Development, New York

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Annexes

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Annexe 1 : Grilles des questions

A1.1. Grille des questions pour les groupes de discussion

Axe 1 : Prise de contact 1. Présentation de l’équipe de recherche 2. Présentation des objectifs de la recherche

Consigne : Se rappeler à chaque instant qu’il s’agit d’un groupe spécifique (H, F, JH, JF)

Axe 2 : la vie dans la localité (description/exploration) 1. Comment et de quoi vit-on dans la localité ? : sources de revenu et leur stabilité, type d’activité économique, réseaux de solidarité,… 2. Evolution de la situation socio-économique dans la localité, comparativement à celle des autres groupes sociaux : générations plus jeunes/générations plus anciennes, femmes/hommes, ruraux/citadins,… (pour relever des questions en rapport avec le genre, les générations et le milieu avec éventuellement des évolutions différentiées au sein du groupe (typologie dans le groupe)) 3. Facteurs explicatifs d’une telle situation

Remarque : On récapitule ce qui vient d’être dit

Axe 3 : Définition et catégorisation de la « pauvreté » 1. Signification des termes «pauvreté » et « pauvre » (trouver des termes arabes, berbères, locaux, crus utilisés par la population) 2. Les catégories de « pauvres » (typologie de la pauvreté)

Axe 4 : causes et conséquences de la pauvreté 1. Les facteurs qui expliquent la « pauvreté » 2. Autres problèmes qui n’existeraient pas si la situation socio-économique est plus confortable (des exemples concrets ou vécus) 3. Qualité des services sociaux de base : cas précis vécus …

Consigne : la qualité des services en tant que cause (difficulté d’accès, mauvaise qualité des prestations,…) et conséquence de la pauvreté (mettre en évidence les aspects non matériels de la pauvreté tels que dignité/humiliation, citoyenneté/marginalisation, écoute/oubli,)

Axe 5 : Rôle des institutions et acteurs locaux 1. Identification des acteurs locaux qui existent dans cette localité 2. leurs rôles 3. Type et qualité des rapports entre ces acteurs et la population

Consigne : L’animateur ne doit rien suggérer

Axe 6 : Priorités sociales (individuelles et collectives) et Perspectives d’avenir 1. Les changements à apporter et les raisons poussant à croire que c’est ce qu’il faut faire (priorités) 2. Perspectives d’avenir : migrations, déplacements, changement d’activités,…

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Axe 7 : Thème spécifique à définir par le groupe des participants

Caractéristiques démographiques et socio-économiques des enquêtés 1. Age 2. Sexe 3. Etat matrimonial 4. Niveau d’instruction, 5. Activités économiques 6. Taille du ménage 7. Autres

A1.2. Grille des questions pour les récits de vie

Axe 1 : Prise de contact 1. Présentation de l’équipe de recherche 2. Présentation des objectifs de la recherche 3. Les caractéristiques socio-démographiques des membres la famille : âge, sexe, activité économique, niveau d’instruction, taille du ménage, conditions d’habitat (propriété, loyer, conditions de logement,…)

Axe 2 : Origine et itinéraires

1. Région d’origine : quelle région ?, particularités de la région, conditions de vie,… 2. Itinéraires depuis la naissance : différentes localités de résidence, raisons de la sédentarité/fixation dans la localité, raisons des déplacements, une migration prochaine ?, raisons ?

Axe 3 : Conditions de vie 1. Activités quotidiennes 2. Sources des revenus du ménage : salaires, transferts, autres revenus à préciser, stabilité des revenus et des transferts,… 3. Les principales charges et dépenses 4. Les problèmes généraux auxquels sont confrontés les membres de la famille (réponses spontanées) 5. Accès aux services de base : qualité des services de l’éducation, de la santé,..., (cas vécus) 6. Sources de vulnérabilité : dégradation ou amélioration des conditions de vie de la famille (description de l’évolution dans le temps de la situation socio-économique du ménage, description d’un épisode de vie avec précision des événements, des personnages, des choix et des raisons des choix, facteurs explicatifs, conséquences, transfert intergénérationnel de la situation, questions genre (degré de contrôle de la femme de son destin, planification familiale par exemple/famille nombreuse, prise de décision,…)

Axe 4 : Stratégies immédiates de lutte contre la pauvreté 1. Rôle des institutions et des acteurs locaux actifs dans la localité : autorité communale, autorité administrative, autorité religieuse, coopérative, association,… 2. Type de rapport : participation dans la résolution des problèmes, communication, coopération, confiance, réceptivité aux doléances ou rejet, marginalisation, conflits,…

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3. Stratégies de réponses à la pauvreté : initiatives individuelles, familiales et locales, réseaux de solidarité, migrations,… Axe 5 : Priorités sociales et perspectives d’avenir 1. Les changements à apporter et comment les expliquer 2. Perspectives d’avenir (migrations, changements d’emploi,…)

A1.3. Grille des questions pour les interviews individuelles des personnes- ressources

Axe 1 : Prise de contact 1. Présentation de l’équipe de recherche 2. Présentation des objectifs de la recherche 3. Profil et parcours professionnel dans la localité et ailleurs

Axe 2 : Description des conditions de vie dans la commune 1. Evolution de la situation socio-économique de la commune et des conditions de vie : les atouts et les insuffisances 2. Facteurs derrière cette évolution

Axe 3 : Définition et catégorisation de la « pauvreté » 1. Signification des termes «pauvreté » et « pauvre » (trouver des termes arabes, berbères, locaux, crus utilisés par la population) 2. Les catégories de « pauvres » (typologie de la pauvreté)

Axe 4 : Impact sur l’accès aux services sociaux de base 1. Impact de cette évolution sur la vie des habitants de la commune de manière générale 2. Impact spécifique sur la scolarisation, sur la santé et sur d’autres services sociaux de base (mettre l’accent sur un service en rapport avec la personne-ressource)

Axe 5 :Situations genre et intergénérationnelles en tant que causes et conséquences 1. Exemples concrets vécus : violence conjugale, divorce/pension alimentaire, conflits familiaux,…

Axe 6 : Rôle des acteurs locaux 1. Qui sont les acteurs locaux existants dans la localité ? 2. Rôle des institutions et de la société civile 3. Rapports entre ces acteurs locaux et la population Conclusions à faire en termes de gouvernance

Axe 7 : Attentes et recommandations 1. Changements à apporter et comment les expliquer

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A1.4. Fiches descriptives des communautés visitées (à obtenir à partir de la monographie de la ville ou auprès d’une personne-ressource )

Axe 1 : Identification

1. Nom de la Province 2. Nom de la commune 3. Nom du quartier/douar

Axe 2 : Informations générales

1. Type de quartiers ou douars composant la commune : habitations dispersées/groupées ? 2. Type d’habitation le plus courant 3. Langue couramment parlée parmi les habitants : arabe/berbère ? 4. Principales activités économiques au niveau de la commune : agriculture, élevage, services, commerce, artisanat,… ? 5. Moyens de transport jusqu’au centre de la commune : à pied, animal, charrette, tracteur, voiture, bicyclette, mobylette, autobus,… 6. Equipements : électricité, eau potable, route goudronnée, piste rurale, pont, puits public, fontaine publique, hammam, minoterie, école coranique, le préscolaire moderne, établissements scolaires publiques ou privés, mosquée, souk hebdomadaire,… 7. Formations sanitaires existantes : type, distance,… 8. Autres

Axe 3 : Histoire récente de la commune

1. Evénements naturels particuliers depuis l’indépendance (sécheresses, crues,…) 2. Evénements socioculturels (moussem, festival, autres activités culturels,…) 3. Migrations internes et internationales (ampleur, destinations, causes et conséquences, mouvements de retour des originaires de la région,…) 4. Eventuellement des conflits 5. Autres

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Annexe 2 : L’équipe de recherche

Chargée de l’étude

¾ Prof. Fatima Bakass (statisticienne-démographe )

Les cochercheurs ont pour tâche :

- L’élaboration de l’approche méthodologique (choix des zones à enquêter, questionnaires et autres documents,…) - Le recrutement et la formation des enquêteurs - Le contrôle et la supervision de l’opération de collecte des données - La centralisation de l’information recueillie par l’enquête - Le contrôle de l’opération de transcription des données collectées - L’harmonisation et la centralisation des données - L’analyse des données recueillies - La rédaction du rapport final.

Les collaborateurs à la recherche

¾ Mme Naima El Madkouri (Rabat) ¾ M. Mohamed Ahlibou (Khénifra) ¾ M. Jilali Krissou (Taounate) ¾ M. Lahcen El Omrani (Marrakech) ¾ M. Brahim Bakbir (Taroudant) ¾ M. Mohamed Aouad (Larache)

Il convient de souligner que pour les activités d’élaboration des grilles des questions, le recrutement des collaborateurs, la formation et la supervision, l’équipe de recherche a fait appel à un auxiliaire de recherche. Il s’agit de Aziz Chaker, socio-économiste et professeur- chercheur à la faculté de Droit à Fès.

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Annexe 3 : Journée de formation sur les axes et les outils d’enquête

Equipe d’encadrement

- Touhami Abdelkhalek - Fatima Bakass - Aziz Chaoubi - Aziz Chaker - Abdesselem Fazouane - Nouzha Zaoujal

Equipe des collaborateurs - Mohamed Ahlibou (Khénifra) - Mohamed Aouad (Larache) - Brahim Bakbir (Taroudant) - Lahcen El Omrani (Marrakech) - Naima El Medkouri (Rabat) - Jilali Krissou (Taounate)

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Annexe 4 : Programme de formation « Pauvreté au Maroc : perceptions, expériences et perspectives » INSEA, Mercredi 21 janvier 2004

Programme de travail

9h-9h30 - Présentation de l’équipe de recherche et des enquêteurs - Présentation succincte de l’enquête - Présentation du programme de la formation Intervenants : Fatima Bakass

9h30-10h30 - La pauvreté : problématique et concepts - La pauvreté au Maroc : mesures, niveaux et tendances Intervenant : Touhami Abdelkhalek

10h30-10h45 - Pause-café

10h45-12h - Présentation de l’enquête : problématique et objectifs - Présentation de l’enquête : outils méthodologiques (échantillon, focus groups, entretiens individuels, récits de vie, fiche de renseignements) - Les activités et produits attendus Intervenants : Fatima Bakass

12h-14h30 Pause-déjeuner

14h30-16h - Examen approfondi du guide des focus groups - Examen approfondi du guide des récits de vie Intervenants : Fatima Bakass, Aziz Chaker et al.

16h-16h15 - Pause-café

16h15-18h15 - Examen approfondi du guide des récits de vie (suite et fin) - Examen approfondi du guide des interviews avec des personnes-ressources - Fiches de renseignements sur la commune - Discussion et synthèse - Répartition par équipe, organisation sur le terrain et calendrier - Recommandations Intervenants : Fatima Bakass, Aziz Chaker et al.

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Annexe 5 : Les superviseurs

La supervision a été assurée par :

¾ Khénifra et Taounate : Fatima Bakass (INSEA) ¾ Rabat : Abdelaziz Chaoubi (INSEA) ¾ Larache : Nezha Zaoujal (INSEA) ¾ Marrakech : Abdesselam Fazouane (INSEA) ¾ Taroudant : Aziz Chaker (Université de Droit, Fès)

Annexe 6 : Le nombre de personnes enquêtées par commune et Province Type d’outil de Hommes Femmes Effectif des Effectif des Total des 6 collecte personnes personnes Provinces (et (commune) (Province) donc des 12 communes) focus groups 2 2 32 64 384 (8 personnes) (8 personnes) Récit de vie 3 3 6 12 72

Interview individuelle 3 3 6 36 avec une personne- ressource Total - 41 82 492

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