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24 images

La force du destin The New World de Marcel Jean

Jean Pierre Lefebvre Number 126, March–April 2006

URI: https://id.erudit.org/iderudit/25483ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Jean, M. (2006). Review of [La force du destin / The New World de Terrence Malick]. 24 images, (126), 53–53.

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La force du destin < par Marcel Jean

Si le projet dégage une réelle grandeur, si l'ambition de l'artiste d'exception qui en est aux commandes nous procure d'authen­ tiques moments de vertige (en particulier lors des scènes situées chez les Powhatans), Un film qui semble tout droit sorti des songes d'une divinité. The New World n'atteint jamais la beauté cristalline de Days of Heaven. Et s'il faut saluer ce pur geste de cinéma dans l'atmos­ uel est donc ce nouveau monde The New World est l'œuvre d'un grand phère raréfiée de la production hollywoo­ que nous montre Terrence auteur en ce qu'elle porte sa signature dans dienne, on ne peut que regretter que sa Malick? Certainement pas chaque plan, dans cette précision ethno­ puissance soit diluée dans quelques relents Q l'Amérique, habitée depuis des graphique qui donne une véritable épaisseur romanesques. C'est que le caractère intros- millénaires lorsque les colons venus fonder aux images, dans cette construction ellip­ pectif du cinéma de Malick - l'aventure Jamestown y accostent, en 1607. Ce monde, tique, ce montage défiant la chronologie, intérieure à laquelle il convie le spectateur - c'est peut-être celui qui s'ouvre à dans ce si caractéristique recours à de mul­ repose sur une fine distanciation qui permet (Q'Orianka Kilcher), ou encore tout sim­ tiples voix intérieures, dans cette écriture de créer le décalage sur lequel se fonde la sin­ plement celui qui émerge de la terrible col­ distanciée et lyrique à la fois. Malick est gularité de l'expérience. Or, Malick peine ici lision entre une petit groupe d'Européens là, indemne, intègre, obsédé par les mêmes clairement à préserver cette distance, l'anec­ déracinés et une terre immense, occupée par questions : Pourquoi y a-t-il du mal sur la dote s'imposant tout à coup pour briser la des hommes et des femmes qui y vivent en terre ? Quel est le sens de toute cette agita­ toile méditative si patiemment tissée. Je une sublime communion. tion ? Malick fouille l'âme humaine, observe pense notamment aux scènes qui suivent le Daniel Canty, dans le numéro 125 de la complexité de Pocahontas, sa curiosité et retour de dans la colonie, après 24 images, rappelait que Malick a écrit, sa vivacité, sa fidélité qui paradoxalement son séjour chez les Powhatans. The New il y a de cela plusieurs années, un scéna­ la poussera à trahir, son aptitude à aimer World tend alors à devenir un film histo­ rio jugé «infilmable» intitulé Q, «où une autant qu'à souffrir. rique de plus, quoique conçu avec davantage divinité endormie dans les eaux antédilu­ Si le film, dans toute sa splendeur visuelle, de soins et certes mieux tourné. viennes rêve d'une guerre à venir»1. The dans l'ampleur étourdissante de sa mise en De Terrence Malick on ne voudrait rien New World, comme The Thin Red Line scène, n'a toutefois pas la force des opus renier, d'où la déception qui accompagne avant lui, semble tout droit sorti des songes précédents de Malick, c'est que l'histoire la mort annoncée de Pocahontas. The New de cette divinité. Alors que se font enten­ de Pocahontas - de sa rencontre avec le Worlds'acheve de manière presque triviale, dre les premières notes de L'or du Rhin de capitaine John Smith () à son en panne d'élévation. C'est la marque d'un Wagner et que vibre une nature dense et union avec le cultivateur de tabac John Rolfe film dont l'envolée spirituelle est épisodique. sensuelle, les voiles des bateaux transpor­ (Christian Baie) - se prête difficilement au Restent les moments de grâce, qui nous han­ tant les colons semblent se matérialiser de refus du cinéaste de céder à la sacro-sainte teront longtemps. ^î manière soudaine, magique. Cette sur­ progression dramatique. Présenté de manière 1. Daniel Canty, «Les pastorales iconoclastes de Terrence prenante image vient briser la quiétude discontinue, ce récit est inconfortablement Malick»,24 images, n" 125, décembre 2005-janvier 2006, immémoriale d'un horizon dont le sens campé entre la fresque et la destinée indivi­ p. 8-9. s'en trouve transformé à jamais. Le regard duelle. The New World est donc un grand Etats-Unis,2005.Ré.etscé. :TerrenceMalick.Ph. : Emmanuel incrédule des Powhatans ajoute alors à l'as­ film, mais un grand film malade, handicapé Lubezki. Mont. : Richard Chew. Int. : Q'Orianka Kilcher, Colin Farrell, Christian Baie, Chtistophet Plummer, pect surnaturel de cette scène troublante, par une distribution inégale (Colin Farrell, David Thewlis, Ben Chaplin, August Schellenberg, Raoul naissance d'un monde et mort d'un autre, tout en surface, est malheureusement inadé­ Trujillo. 135 minutes. Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm. moment de passage fragile dont aucun des quat) et par l'opacité générée par ce contraste acteurs y prenant part ne soupçonne les entre l'histoire de Pocahontas et le regard terrifiantes conséquences. englobant de Malick.

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