Des îles dans la Grande Ile : isolement et risque sanitaire dans le Moyen-Ouest malgache.

P. HANDSCHUMACHER ’, L. BRUTUS 2, F. MAUNY ’, H. ANDRIANTSEHENO ‘, V. RA JAONARIVELO ’, B. SELLIN 3

’ Géographe, ORSTOM, Programme RAMSE, BP 434, Antananarivo, Médecin, ORSTOM, Programme RAMSE, (même adresse) Biologiste, ORSTOM, Programme RAMSE, (même adresse) Géographe,étudiant de 1’Ecole Normale Supérieure d’Antananarivo, Programme RAMSE, (même adresse) Biologiste, étudiante de la Faculté des Sciences d’Antananarivo, Programme RAMSE, (même adresse)

Mots clés : Madagascar, Moyen-Ouest, isolement, environnement rural, malnutrition, paludisme, peste

Résumé : de nombreux risques sanitaires à Madagascar apparaissent plus comme des problèmes environnementaux que médicaux. Le programme RAMSE (Recherche Appliquée à Madagascar sur la Santé et l’Environnement) vise à identifier l’origine des principaux problèmes de santé publique dans le Moyen-Ouest malgache, l’objectif étant de développer des stratégies de prévention et de lutte adaptée aux conditions environnementales. Mais les problèmes de santé à Madagascar sont, de même que les conditions environnementales, extrêmement hétérogènes. Ainsi, il est extrêmement difficile de développer des stratégies au niveau national car cette diversité entraîne la constitution de petites ‘’ îles épidémiologiques ” à l’intérieur même des terres de l’île de Madagascar particulièrement en ce qui concerne la malnutrition, le paludisme et la peste. Les stratégies de prévention et de lutte que nous pouvons alors élaborer en tenant compte de ces fortes spécificités locales présentent une bonne adéquation aux priorités locales.

Key-words : Madagascar, Middle-west, isolation, rural environment, malnutrition, malaria, plague

Abstract : many health hazards in Madagascar are more environmental problems then real medical risks. The RAMSE (Recherche Appliquée à Madagascar sur la Santé et l’Environnement) program tries to identify the origin of the main health problems in the middle west of Madagascar. The goal is to develop health strategies upstream of the health problems in relation with environmental conditions. But health problems in Madagascar are very heterogeneous, like environmental conditions are. So, it is very difficult to develop national strategies because it looks like the Island of Madagascar would be a lot of little islands inside a dry land. The interest of these results is that we can explain the origin of little epidemiological “ islands ” especially in the field of health problems like malnutrition, malaria and plague. The strategies we can elaborate will then take care of local conditions with good adequation according to local priorities. Introduction

I - , Parlei de Madagascar et de l’insularité des problèmes de santé qui touchent sa population est 8- - une gageure en même temps qu’un excès tant cette île s’apparente à un mini-continent. Par sa O00 g-!g ’ tailleid’abord, 587 Kmz, par la diversité de ces paysages ensuite tout au long des 1580 km ,- 2-a qui deparent le Cap d’Ambre au Nord du cap Sainte Marie au Sud, par l’altitude enfin qui , :-r passe; du niveau de la mer à 2876 m au sommet du massif de Tsaratanana. En s’étendant ainsi 1 Gm-0o==.=!==o II 0-r .o-“-0 entreÍ le 12e et le 25e parallèle sud, cette île offre aux régimes des alizés et de la mousson la c- c- Y=0- divedsité de son relief pour former des milieux extrêmement contrastés (VERIN, 1990). - I I Fonds Documentaire ORSj-ODi Comment dans ces conditions pouvoir réduire les spécificités épidémiologiques de la Grande Île à sa seule condition de terre isolée dans l’océan indien ? Et pourtant cette insularité a bien conduit à une spécificité du paysage épidémiologique malgache, fruit de son histoire et reflet de sa biodiversité et de l’endémisme de sa faune. Mais cette échelle d’analyse, pour intéressante qu’elle soit du point de vue de la connaissance n’a qu’une dimension opérationnelle réduite. Aujourd’hui Madagascar souffre de sa situation économique, de l’absence de maîtrise de la vie publique par 1’Etat conduisant à une dégradation de ses infrastructures et de la cohésion de sa société. Cette situation ne fait alors que renforcer une tendance déjà forte à la dispersion, au maintien de spécificités locales, voire à la recherche volontaire de l’isolement malgré ce fait partout souligné de l’unité de la langue par delà les divisions ethniques. Ainsi l’histoire récente, s’appuyant sur les paysages humanisés patiemment construits depuis plusieurs siècles entraîne des particularismes déterminants dans la circulation des maladies à l’intérieur des mêmes strates biogéographiques. Pourrait-on alors parler d’archipel épidémiologique dans les terres de la Grande Île ? Cette question, s’appuyant sur 1’expérience de recherches géographiques, biologiques et médicales menées conjointement, des marges de 1’Ankaratra aux confins du Moyen-Ouest n’a rien de gratuit mais conditionne la réponse que l’on peut apporter aux problèmes de santé qui frappent la population de cette zone rurale de Madagascar. I - Insularité et maladies dans la Grande Ile ou la rencontre l’histoire et de la biologie

A) Circulation des hommes et risques sanitaires

Le peuplement de Madagascar est récent, mais il est difficile de discuter de cet apport initial de population indonésienne puis bantou sur les spécificités sanitaires de la Grande Île, car les données manquent pour voir quel rôle il a pu jouer dans le portage d’agents pathogènes. Par contre, la rencontre des Occidentaux et des Arabes avec l’île de Madagascar est beaucoup plus riche en terme d’analyse, car les descriptions laissées par les chroniqueurs de l’époque constituent des témoignages souvent précis sur les conditions sanitaires rencontrées. Bien sûr, il est alors surtout question des maladies qui touchent ces nouveaux venus, la santé des

“ indigènes ” n’étant que rarement citée. Madagascar n’offrira que tardivement ses rivages à ces nouveaux colonisateurs malgré les passages répétés et fréquents des navires en route pour les Indes. Sous des noms changeant au fil des époques, l’Île Maurice, la Réunion, les Comores et les Seychelles recueillaient les faveurs des nations occidentales malgré le mythe de la richesse de l’île de Madagascar qui a très tôt émergé. L‘Île de Madagascar était considérée comme inhospitalière pour deux raisons majeures. La première résidait dans le fait que ces confrontations de civilisation n’étaient pas toujours pacifiques et tournaient régulièrement à l’avantage des populations malgaches autochtones. La seconde était, elle, sanitaire. De FLACOURT en 1661, cité par J. JULVEZ dans sa thèse sur l’éco-épidémiologie historique du paludisme dans les archipels du sud-ouest de l’Océan Indien (J. JULVEZ, 1993) explique ainsi dans une phrase édifiante l’échec de l’installation des Hollandais dans la baie d’Antongil : “ une partie sont morts de maladie, pour le lieu qui est très malsain ; les autres ont été massacrez pour avoir esté trop insolens aux gens du pai’s.. . ”. Cet exemple peut être reproduit maintes fois, la première citation des fièvres de Madagascar étant faite lors de l’expédition de Diégo Diaz sur les côtes du sud ouest de Madagascar en août 1501 (J.JULVEZ, op.cit.). Portugais, Hollandais, Français, Anglais, tous subissent les mêmes cuisants échecs au point de conclure comme Martin et Pyrard partis en

1601 que pour s’implanter sur cette île “ il serait nécessaire d’y avoir 400 ouvriers ..., mais

I.- I_ Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 .z: 4 I 534 I

4 qu’il faudrait y en erivoyer 1200, un tiers devant mourrìr et un autre tiers devant être J. malade ” (in JULVEZ, op.cit.). Pourtant, dès le milieu du XVIIe siècle, la Couronne de France veut développer son emprise sur le sud ouest de l’Océan Indien et cède à la Compagnie des Indes Orientales une concession à perpétuité sur Madagascar et les îles avoisinantes (1664). Tout au long de la période qui suit et jusqu’à ce que démarre véritablement la colonisation de Madagascar par les Français dans la deuxième moitié du XMe siècle, les écrits comparant la clémence sanitaire de l’Île Maurice et de la Réunion à l’insalubrité des côtes malgaches sont nombreux. Lorsqu’elles s’en vont de Majunga conquérir l’ensemble de la Grande Île en 1895, les troupes du général Duchesne payent dans leur marche victorieuse un lourd tribut au paludisme et aux dysenteries. Pourtant la réputation terrible de Madagascar résultait d’un constat fait à partir des fièvres qui sévissaient sur les côtes. Tous les observateurs du XMe siècle s’accordaient à souligner le fait que les hautes terres étaient des milieux beaucoup plus sains.

B) Spécificité écologique et spécificité épidémiologique

Mais malgré cette image apocalyptique qu’ont pu avoir les vagues successives de colons posant le pied sur les côtes malgaches, la Grande Île est victime de moins de maladies (en terme de diversité spécifique) que le continent africain tout proche ou l’Asie d’où est originaire une partie de la population. La fièvre jaune, la trypanosomiase et l’onchocercose, trois des principaux problèmes de santé en Afrique et à un degré moindre les leptospiroses, loase et I dracunculose sont absentes. Par ailleurs le choléra qui fait de nombreuses victimes en Asie et en Afrique ne s’est jamais installé (E. BRYGOO, 1967). F. RAISON-JOURDE (1991) montre que l’isolement des villes côtières (Majunga, Tamatave) et l’interdiction de descente à terre ” pour les équipages et les voyageurs des bateaux soupçonnés d’être touchés par la maladie a pu réduire le risque de façon drastique, seul Nosy Be apparaissant régulièrement dans les chroniques. Cependant, malgré ces mesures de police sanitaire, elle soupçonne cette maladie 2 d’avoir été notablement sous-estimée, notamment au moment du voyage royal à Andevoranto en 1867 qui aurait fait 10 O00 morts sur 60 O00 participants. BRYGOO (op.cit.) attribue les particularités des maladies de l’homme à Madagascar à 4 faits majeurs : l’absence des ongulés sauvages, la présence des lémuriens, le déséquilibre de la faune des rongeurs et enfin les caractères particuliers du peuplement de Madagascar par l’homme. C’est ainsi qu’il attribue à l’absence des grands ongulés sauvages l’impossibilité pour les glossines (ou mouches tsé-tsé) de s’installer et donc pour le trypanosome responsable de la maladie du sommeil celle d’accomplir son cycle. Ainsi malgré les mouvements de populations qui ont pu avoir lieu régulièrement de part et d’autre du canal du Mozambique et potentiellement générateurs de risque, la maladie du sommeil n’a jamais réussi à s’implanter à Madagascar. De même, l’absence des singes et l’occupation de leur niche écologique par les lémuriens empêcheraient, selon lui, toute circulation selvatique du virus de la fièvre jaune par absence de l’hôte et donc toute endémisation de la maladie malgré la présence du vecteur, un moustique du genre Aedes. Enfin, l’absence de grands mouvements d’invasion avant 1895 a préservé Madagascar des maladies qui circulaient par ailleurs, qu’il s’agisse du choléra qui n’a jamais pu véritablement s’installer à Madagascar ou de la variole dont l’éradication a été obtenue sans mal grâce aux mêmes caractéristiques insulaires. Ces exemples sont les plus marquants, l’auteur les complétant par l’évocation de l’absence des leptospiroses, des bilharzioses asiatiques, etc.. . dont l’analyse aboutit à des conclusions similaires sur le rôle majeur du phénomène insulaire. Par contre, comme pour toute autre île, les ports constituent le maillon faible, porte d’entrée potentielle de toute intrusion et en particulier des maladies. La peste en est probablement l’exemple le plus marquant. Elle est apparue à Madagascar en 1898 jusqu’à 1900 d’abord à

Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 535 Tamatave sur la côte Est puis 5 Diégo-Suarez en 1899 et enfin à Majunga en 1902 et 1907. Puis elle réapparaît en 1921 et sévit sporadiquement jusqu’en 1947, principalement dans ces villes côtières mais également sur les plateaux centraux qui étaient désormais touchés (BRYGOO, 1966). Les cas diagnostiqués en 1921 à Tananarive auraient été la conséquence de la propagation de la peste par la voie de chemin de fer qui relie Tamatave à la capitale. Depuis cette date la peste se serait étendue sur les hautes terres centrales de Madagascar à partir de Tananarive pour s’endémiser avec de régulières bouffées épidémiques. BRYGOO n’exclut cependant pas la possibilité de l’existence antérieure de la peste sur les hautes terres et circulant grâce à l’abondante population de rats noirs (Rattus rattus), son réservoir le plus commun. Les exemples de circulation de maladies selon les axes de circulation des hommes sont presque un truisme. F. RAISON-JOURDE (op.cit) cite ainsi la circulation de l’épidémie de variole qui en partant de Majunga en 1874 s’est répandue vers diverses villes de la cSte Nord-Est et Est en 1875, avant de remonter sur Tananarive et de poursuivre vers Fianarantsoa en 1876, 77, 78. Elle attribue la rapidité de transmission du mal sur de vastes étendues à la densification des échanges. Mais ces circuits de diffusion constatés couvrent-ils l’ensemble du domaine dans lequel la maladie a circulé ? N’est-elle pas le reflet de la localisation des populations européennes ? On sait que les chroniqueurs de l’époque relatent principalement les cas proches des Européens, à la fois parce que l’information circule encore relativement mal et surtout parce que leurs intérêts propres sont alors en jeu. Mais nous avons vu que malgré sa gravité ce mal a été éradiqué relativement rapidement toujours en raison de l’isolement.

C) Histoire et biologie pour une géographie des maladies à l’échelle de l’île. Et si on changeait d’échelle ?

A travers ces exemples nous voyons qu’histoire et biologie ont donné à l’Île de Madagascar ses spécificités épidémiologiques. Ces constats ont leur importance en santé publique. Les actions de police sanitaire au niveau des villes portuaires, les mesures de lutte contre la variole, le contrôle de l’importation de faune extérieure et la protection de la biodiversité malgache pour éviter l’intrusion de vecteurs ou d’hôtes de maladies? sont toutes des mesures qui n’ont été rapidement couronnées de succès (ou qui préservent le territoire de l’intrusion de pathologies nouvelles) qu’en raison de l’insularité même de Madagascar. Cependant, il ne suffit pas de souligner le caractère insulaire pour élaborer des stratégies efficaces et opérationnelles en matière de santé publique. I1 ne suffit pas même d’insister sur la variation des systèmes écologiques pour recouvrir la diversité des systèmes épidémiologiques. En insistant sur l’opposition entre des côtes funestes (pas autant qu’on veut bien le dire) et des hautes terres accueillantes (bien moins que la tradition ne le colporte); en soulignant la dichotomie des côtes sous le vent et de celles sur le vent (notamment en matière d’épidémiologie des schistosomoses humaines et de la filariose de Bancroft), on ne perçoit qu’une fraction réduite de la réalité. Aujourd’hui, c’est méconnaître la rapidité de la circulation des hommes et surtout, c’est méconnaître l’hétérogénéité des espaces ruraux qui par des processus historiques anciens ou par l’évolution politique récente (ces deux niveaux se prolongeant le plus souvent), aboutissent à la construction d’ensembles bien individualisés à l’intérieur des mêmes zones biogéographiques. Cette constante des approches géographiques de s’interroger sur les homogénéités? les limites, les espaces de transition n’aboutit que rarement à la définition de sous-ensembles spatiaux véritablement isolés. Cela paraît même complètement anachronique dans une époque oh il est de bon ton de souligner la mondialisation de toute chose. Par contre, ce constat est souvent porté en biologie pour définir des sous-populations 5 l’intérieur d’une même espèce en raison de l’absence de mélange du matériel génétique pour des raisons qui,

pour être variables, ont toutes trait à l’isolement. Si l’on a pu parler de “ villes dans la ville ”

536 Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 (SALEM, 1995)’ de “ villages dans la ville ” (HANDSCHUMACHER, à paraître), il ne s’agit que de souligner l’hétérogénéité d’un espace à différentes échelles d’analyse et de perception. Mais même si cela peut paraître abusif et constituer un excès de langage, les situations malgaches offrent une ressemblance importante avec des situations insulaires à l’intérieur même des terres de ce mini-continent, ces situations d’isolement étant bien sûr à considérer d’un point de vue social. Peut-être faudrait-il d’ailleurs plutôt parler d’archipels, car l’isolement relatif que connaissent certaines communautés villageoises ne se vit pas sans contacts avec l’extérieur, mais au prix de petites expéditions comme cette vie de relation que l’on peut observer dans certains archipels du Pacifique. Dans certains cas, cet isolement aboutit à des spécificités épidémiologiques fortes, à des risques particuliers qui obligent à repenser les stratégies en matière de santé publique. On est dès lors en droit de se demander si la réflexion en terme de santé publique en zone rurale malgache ne gagnerait pas à intégrer la prise en compte de la diversité en intégrant ce concept de l’isolement que l’on pourrait désigner par la formule d’ “ archipel épidémiologique ”. II - Isolement des hommes dans les terres, insularité des risques sanitaires ? Une contradiction en pleine zone de colonisation ?

A) Régionalité des problèmes de santé dans le Moyen-Ouest malgache.

Dans le cas de Madagascar, vouloir agir dans le milieu rural en essayant de toucher le plus, grand nombre suppose de s’intéresser en priorité à ces régions rurales où les évolutions sont le

fruit de petits ajustements, car les opérations de “ développement ” de grande ampleur comme celles que l’on peut rencontrer ailleurs en Afrique sont notoirement minoritaires. Si les interventions dans le milieu rural existent sous forme de création ou d’amélioration de petits ouvrages d’irrigation, de développement de crédit rural, d’introduction de nouvelles techniques pour ne citer que quelques exemples, elles ne représentent que rarement un programme suffisamment visible pour que les aménageurs s’interrogent sur l’impact de cette gestion de l’environnement sur la santé des populations. Et pourtant, cette gestion rurale de l’environnement dans laquelle les structures et les pratiques “ traditionnelles ” sont déterminantes, a un impact certain en matière de santé publique. Dans ces espaces où se faire soigner constitue un dilemme économique important et parfois une impossibilité physique, la prévention par le biais d’une gestion raisonnée de l’environnement constitue la base d’une action de santé publique durable. Le Moyen-Ouest malgache, dans sa partie sud entre et , avec son histoire, ses problèmes et ses potentialités a alors été retenu (carte 1) pour essayer de comprendre les liens qui unissent l’environnement rural à la santé et bâtir des programmes de prévention et de lutte. 2 Sur une région couvrant 5600 km et représentant une population d’environ 230 O00 personnes des marges occidentales des Hautes-Terres (Betafo) au Moyen-Ouest proprement dit (Mandoto, Miandrivazo), 5498 personnes ont participé à une enquête médicale. I1 s’agit de l’ensemble de la population résidant dans 61 hameaux qui ont été retenus après un tirage au sort. Le recensement général de population effectué en 1993 par la Direction du Recensement a servi de base de sondage. La technique retenue a été celle du sondage aléatoire à deux degrés, avec probabilité proportionnelle à la taille. La subdivision administrative retenue a été celle du fokontany, division destinée à rappeler les liens historiques (Fukonulona) existants entre les différents hameaux d’une communauté basée originellement sur des liens familiaux.

Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 537 Carte 1 :Localisation des villages enquêtés

Trois endémies majeures vont permettre d'illustrer la dimension régionale des problèmes de santé publique tout en montrant la forte hétérogénéité qui les affecte : la malnutrition, le paludisme et la peste. I1 est apparu rapidement que les villages des marges occidentales .des Hautes-Terres connaissaient des taux de malnutrition infantile plus importants que les villages du Moyen- Ouest, chacun de ces espaces étant par ailleurs caractérisés par une disparité interne importante. Ainsi, l'analyse de la situation nutritionnelle des enfants de 6 à 59 mois montre qu'elle est particulièrement dégradée (54% de malnutrition chronique et d'insuffisance pondérale et 9% de malnutrition aiguë) sur l'ensemble de la région étudiée. De tels taux de malnutrition pourraient-être responsables d'une mortalité infantile importante (PELLETIER et al. y 1995). Mais l'indice taillehge est d'autant plus critique que les enfants proviennent de régions des Hautes-Terres (autour de 1500 mètres d'altitude) caractérisées par de longues durées de soudure et de forts potentiels migratoires. Le rôle de I'ascaridiose, pourtant significatif, apparaît alors secondaire pour expliquer la malnutrition dans ces marges des Hautes-Terres contrairement à ce qui est observé dans la zone de Mandoto. Le schéma général de la répartition du paludisme est classique pour la région (Mouchet et al., 1993). Le paludisme à Plasmodium faleiparum prédomine et apparaît hyper-endémique vers l'ouest (c 1000 m) (Indices plasmodiques des enfants de 2 9 ans supérieurs à 50%). Entre

Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les tropicaux - pp. 538 pays 533-546 1000 et 1500 mètres d’altitude, l’ensemble des villages de la région ont fait l’objet d’aspersions intra-domiciliaires de D.D.T. depuis 3 ans dans le cadre du programme national de lutte contre le paludisme. Pourtant, entre 1000 et 1300 mètres, la transmission semble se maintenir (Indices plasmodiques des enfants de 2 à 9 ans entre 10 et 50% et présence à l’état résiduel du principal vecteur anthropophile et endophile, Anopheles funestus) malgré les pulvérisations. Au-delà de 1500 mètres, les mouvements migratoires vers l’ouest et le retour de porteurs de gamétocytes dans ces villages semblent assurer la circulation des parasites. Cependant, les indices plasmodiques sont inférieurs à 3% dans les villages de cette strate témoignant de l’absence probable de transmission (seul A. arabiensis y a été récolté). La mobilité spatiale de la population des Hautes-Terres pourrait alors constituer, comme au Brésil (CRUZ MARQUES, 1987), un risque important dans la zone comprise entre 1000 et 1500 mètres et actuellement sous contrôle anti-vectoriel. Selon LAVENTURE & al (1996), c’est la rizière qui explique l’importance du paludisme sur les Hautes-Terres donnant ainsi au problème toute sa complexité, car elle constitue la principale ressource des populations paysannes de cette région rurale. Lorsque l’on s’intéresse plus précisément à la zone de transition entre le paludisme stable et instable, les systèmes de cultures prennent une importance accrue, la transmission se trouvant fortement modifiée par le passage de la simple à la double culture de riz irrigué. La peste est une maladie qui était absente de la zone de Mandoto au début de ce siècle. Pourtant, lors des enquêtes géographiques, le questionnement sur les faits de santé majeurs a permis d’identifier les villages victimes de la peste essentiellement dans un triangle Mandoto, , , et ce principalement depuis le début des années 90. Une vérification ultérieure à partir de l’étude des rongeurs et de sérologies humaines a permis de confirmer la bonne sensibilité du questionnaire à l’échelle des communautés villageoises. Des pourcentages de sérologies positives à 11 et 16 % dans deux villages où respectivement 1 et 2 cas avaient été déclarés officiellement (LEROY F., 1996) montrent que le risque inhérent à cette pathologie est sous-estimé. Le nombre total de cas déclarés officiellement à l’OMS en 1996 pour l’ensemble de la Grande Ile n’était que de 222 (malgré tout, l’un des plus élevés au monde) en 1996 (Laboratoire Central de la Peste, Ministère de la santé-IPM. 1996). En fait, les analyses en cours sur l’ensemble des villages étudiés (CHANTEAU S. com. pers.) confirment l’importance de la circulation du bacille mais en identifiant très nettement les zones d’arrivée actuelle des migrants comme zones où le risque est le plus important. Ces trois pathologies ou syndromes illustrent toutes le même phénomène d’ensemble : une dichotomie séparant les marges occidentales des hautes terres du Moyen-Ouest proprement dit. Ces marges des Hautes-Terres seraient ainsi plus saines du point de vue du paludisme mais présenteraient un risque accru en matière de malnutrition. Contrairement à ce qui est observé par ailleurs, la peste semblerait circuler de manière plus intense dans le Moyen-Ouest de colonisation que dans le reste de l’espace considéré. Ces diverses observations concourent à favoriser une conception globalement déterministe des risques sanitaires qui seraient conditionnés par les caractéristiques biogéographiques des milieux. Or la relocalisation des niveaux d’endémicité des différents indicateurs sanitaires utilisés à l’échelle des villages montre une très grande disparité interne à chaque zone. La recherche des facteurs explicatifs des disparités médicales a alors montré la très grande variabilité des déterminants des risques sanitaires. Par-delà les mouvements de population humaine qui lient ces grands ensembles bio-géographiques entre eux, on observe donc la présence de paysages et de modes de vie spécifiques liés à des processus de mise en valeur de l’espace sinon individuels, au moins villageois, mais où la dimension régionale s’estompe très fortement.

Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 539 B) Isolement physique, isolement social, isolement économique.

Le Moyen-Ouest représente 2 la fois une zone de colonisation (militaire, administrative et agricole) et une zone de peuplement ancien (J-P RAISON, 1984). C’est un exutoire aux densités de population humaine élevées des Hautes-Terres centrales de Madagascar en même tant que le continuum des terroirs gérés par ces mêmes populations qui l’ont aujourd’hui structurellement intégré dans leur espace de production agricole. Mais dans la zone qui nous intéresse entre Betafo et Mandoto, c’est aussi un “ pays ”) occupé par des villages qui ont voulu et su se ménager un espace de liberté. Ce Moyen-Ouest malgache, caractérisé par des densités de population décroissantes au fur et à mesure de la progression vers l’ouest, terre des éleveurs Bara, permet d’importants mouvements de population conduisant à des processus de mise en valeur de terres comparativement sous-exploitées. Agriculteurs Merina et Betsileo constituent une population qui s’est intégrée progressivement dans l’espace du Moyen-Ouest, en devenant les groupes majoritaires. Le terme de colonisation est d’ailleurs bien souvent excessif, voire impropre pour désigner les mouvements actuels. En effet, le tombeau familial, signe de résidence durable et d’appartenance à la terre des ancêtres, reste souvent implanté dans le village d’origine du migrant montrant le caractère précaire et fragile de ces déplacements. Par ailleurs, la fraction la plus importante de la mobilité spatiale actuelle des populations humaines est due 2 des migrations temporaires d’une main-d’oeuvre saisonnière qui loue sa force de travail pour les travaux agricoles, ou qui cherche un revenu d‘appoint dans la quête de l‘or ou la conduite de troupeaux vers les marchés (carte 2). Ces déplacements ne sont cependant pas contradictoires avec le constat de l’isolement. A l’est d’abord, l’isolement est en premier lieu physique. Autour de Betafo, le relief est d’autant plus accentué que l’on monte vers 1’Ankaratra. Ce relief a favorisé le développement d’un habitat constitué de petits hameaux implantés dans les vallons. D’après le recensement effectué par la Direction de la population, le nombre moyen de hameaux par fokorztany varie de 25 à 35 dans lesfiraisuna situés autour de Betafo alors que ce nombre est inférieur à 10 autour de Mandoto. Le corollaire est que le nombre d’habitants par hameau est en général inférieur iì 50 autour de Betafo mais passe à plus de 150 autour de Mandoto. Ceci facilite l’individualisation des communautés villageoises au moins à I’échelle des fokonolona basés “ sur la parenté et la territorialité ” (Ch. BLAhC-PAMARD, 1997). Ainsi, on a beau se revendiquer d’une appartenance territoriale, les “ Vakinunkuratru ” par exemple, la gestion de la communauté s’appuie en définitive sur les règles et les espaces propres au fokonolonn. Bien sûr, la superposition de niveaux de décisions rend ce schéma bien plus complexe qu’il n’est résumé ici, mais l’histoire des communautés explique l’image de mosaïque que l’on peut avoir à 1’observation des modes de gestion de l’espace. Cependant, l’isolement physique n’est pas seulement causé par le découpage du relief. La dégradation du réseau routier n’est pas étrangère à ce fait. Si la circulation est possible toute l’année sur la route nationale 37 qui relie à Morondava, dès que l’on quitte cet axe bitumé elle devient extrêmement aléatoire. Certains centres comme ou Fidirana qui ont une importance économique majeure dans la zone peuvent être coupés de la RN 37 pendant de longues semaines en saison des pluies, seuls les quelques tracteurs existants pouvant encore emprunter les pistes détrempées et défoncées. La faiblesse des moyens mis à disposition de l’entretien et de la réhabilitation du réseau tend à augmenter les difficultés de circulation au cours des saisons et au fil des ans. Cette situation illustre la difficulté qu’a 1‘Etat de jouer son r61e d’aménageur et de gestionnaire du territoire en délaissant ses attributions au profit de collectivités locales qui ne sont que trop rarement en mesure de les assumer.

540 Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 i I

Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 541 I1 est difficile d’établir des relations de cause à effet entre isolement physique et isolement social. Sans ,doute ces deux niveaux interagissent-ils pour faire de l’enclavement une réalité quotidienne des communautés du Moyen-Ouest. Mais faut-il pour autant en conclure qu’il s’agit dans tous les cas d’une contrainte ? L’exemple du fokontany d’Ambohitrananana situé dans le firaisana de Mahaiza est à ce titre révélateur. Les habitants de la vingtaine de hameaux qui constituent ce fokontany n’ont que peu de relations avec l’extérieur. Seuls les déplacements au marché hebdomadaire de Betafo constituent des sorties hors du territoire du fokontany. Relief abrupt, voies mal entretenues semblent à première vue être les raisons explicatives de cet isolement. Mais il est très vite apparu que cet isolement relatif, subi lorsqu’il s’agit d’écouler les produits agricoles était par ailleurs souhaité, et défendu, en raison de. la présence d’exploitations de pierres semi- précieuses et en particulier de béryl. Pour préserver cette ressource, les habitants d’ Ambohitrananana préfêrent limiter les arrivées d’étrangers (ce terme étant compris au sens le plus restrictif) et leurs propres déplacements. L’autre versant de l’isolement économique est la difficulté d’une innovation à pénétrer ces campagnes de manière homogène. Au sein d’un même fokontany de la zone de Betafo, il n’est pas rare d’observer des hameaux dont l’économie agricole est uniquement basée sur les cultures vivrières alors que le hameau voisin est rentré dans le circuit des cultures agro- industrielles (blé, orge) développé à partir d’antsirabe. Les raisons de ces choix dans l’orientation donnée aux systèmes de production sont souvent difficiles à identifier : faiblesse de la taille des parcelles ou au contraire disponibilité en terre, facteurs individuels (une personne dynamique peut suffire à entraîner un village à sa suite comme dans le cas de Tombaboanjo), possibilité de circulation et de commercialisation de la production, présence de l’encadrement rural, etc.. . En raison des liens forts avec l’environnement des pathologies citées comme indicateurs médicaux, ces constats sont loin d’être anodins.

C) Isolement et enclavement créent-ils des systèmes épidémiologiques spécifiques ?

Des trois maladies ou syndromes décrits plus hauti (malnutrition, paludisme et peste) nous pouvons identifier trois ensembles de relations entre les faits de santé et les problèmes d’isolement. Dans le premier cas, le morcellement de l’espace et l’isolement de communautés humaines entraînent des répercussions sur les variations des niveaux d’endémicité. Nous allons l’illustrer essentiellement par l’exemple de la malnutrition. Le deuxième concerne les problèmes liés à la mise en oeuvre de stratégies de prévention et de lutte. Les aspersions intra- domiciliaires de D.D.T. et le passage de cette action du niveau central au niveau des districts sanitaires pose clairement ce problème. Enfin le troisième niveau concerne le recours même aux structures de soins et la réponse que celles-ci peuvent apporter et la possibilité d’établir un diagnostic, problème qui est loin d’être résolu pour une maladie comme la peste, L’analyse croisée des variables géographiques et médicales montre que sur les Hautes-Terres, la variabilité inter-villageoise des taux de malnutrition semble en grande partie liée à la variabilité des systèmes de production et notamment à la part prise par les cultures vivrières dans la balance de la production et l’intégration dans des circuits agro-économiques. L’importance de la malnutrition est très étroitement corrélée à la durée de la soudure. Or cette durée de soudure est très largement dépendante des systèmes de culture mis en oeuvre. Encore faut-il s’accorder sur la signification recouverte par ce terme de soudure qui dans certains villages peut couvrir 6 à 7 mois. Dans le Moyen-Ouest, est considérée comme période de soudure le temps durant lequel le stock de riz (aliment de base) cultivé par l’exploitation est épuisé. Dans la plupart des cas, la présence d’aliments de substitution dans les stocks de

les 542 Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans pays tropicaux - pp. 533-546 l’exploitation ne suffit pas compenser l’absence de riz, sinon dans la réalité des faits, du moins dans la perception vécue au sein des unités de production-consommation que sont les exploitations agricoles. Or cette durée de soudure est éminemment variable. Dans les deux fokontany voisins de Tritriva et d’Ambalakatra-Anjanapara situés au sud de la ville de Betafo, on peut observer des durées de soudure qui vont jusqu’à 6 mois dans le cas de Tritriva mais rester inférieur à 3 mois pour Ambalakatra-Anjanapara. Mais dans ce dernier cas, au sein du même fokontany on peut observer une variation interne allant de 2,5 à 4 mois. Or la durée de soudure apparaissant comme le principal déterminant de l’importance de la malnutrition dans cette zone il est primordial de s’interroger sur les causes de cette disparité. A l’échelle de la zone, la durée de la soudure est étroitement dépendante de deux facteurs principaux : la double ou la simple riziculture irriguée et la pratique des cultures agro-industrielles (blé et orge) développées sous l’influence des industries d’Antsirabe, la grande ville voisine. Les villages des contreforts occidentaux de Hautes terres sont le plus souvent situés à une altitude trop élevée (entre 1500 et 1900 m) pour satisfaire aux exigences de la culture du riz irrigué en contre-saison froide. Par contre, dans cette situation d’altitude les cultures du blé et/ou de l’orge ont pu se développer dans les bas-fonds utilisés en saison chaude et pluvieuse par la riziculture irriguée. Cette pratique de la culture du blé et/ou de l’orge apparaît alors paradoxalement comme le principal facteur du risque de malnutrition pour cette zone. Mais s’agit-il réellement d’une ressource supplémentaire ? J. Ramamonjisoa (1994) annonce un revenu supplémentaire de 500 O00 Fmg pour le paysan cultivant 20 ares d’orge, à peine moins pour le blé, résultats que nous avons pu confirmer dans nos propres enquêtes. En s’interrogeant sur la balance des bénéfices (financiers et autres) et des contraintes, il semble que le bilan pose un certain nombre de problèmes pouvant expliquer l’impact en matière de nutrition. Le bilan des stocks disponibles pour l’autoconsommation détermine la bonne santé de l’exploitation. Or, quand les stocks alimentaires manquent, c’est très souvent en raison de la faiblesse des moyens de production et de la taille réduite des parcelles consacrées aux cultures vivrières. Les revenus issus de petits métiers ou de la location de la force de travail dans les parcelles des voisins ou dans le Moyen-Ouest ne jouent alors seulement que comme un pis-aller, jamais comme le dégagement d’une ressource excédentaire. Une activité spécialisée non rizicole (artisanat, ouvrier, cultures agro-industrielles, etc.. .) constitue bien sûr un plus non négligeable, mais la pénétration des cultures agro-industrielles est trop faible pour assurer un revenu monétaire conséquent pour la plupart des exploitations. Dans ce cas, elle semble jouer comme un facteur limitant en conduisant à la réduction des parcelles consacrées au vivrier, car les agriculteurs laissent certaines parcelles au repos mais également en appauvrissant les sols, ce qui suppose d’avoir recours à des engrais rarement disponibles. Par ailleurs, la difficile collecte de la production en raison de la médiocrité du réseau routier constitue un facteur de blocage supplémentaire. La mise en place des cultures agro- industrielles peut-elle ainsi conduire à des effets pervers péjorant un potentiel de développement important à partir des agro-industries ? L‘augmentation des risques de malnutrition est-elle le signe d’une insuffisance des échanges marchands ? Est-elle l’expression d’une mauvaise gestion des revenus monétaires en raison du réinvestissement des revenus issus de l’agro-industrie non dans des biens d’équipement ou dans l’acquisition de produits alimentaires, mais dans des dépenses d’ordre social et en particulier les famadihana ? Or ces cultures agro-industrielles étant distribuées très inégalement dans la zone, il en résulte, sur la base d’un bruit de fond de malnutrition chronique important ( 54 % de prévalence moyenne), de très grandes variations. Par ailleurs, certains villages sont le reflet d’initiatives qui réduisent les risques de la production. Ces pratiques de réduction des risques plutôt que de meilleure productivité ont été récemment montrées par RAKOTO RAMIARISON H.( 1996) et sont caractérisées par

SociCtés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 543 une très forte disparité inter-villageoise. Ainsi le développement de la double récolte de riz apparaît dans certains villages plus comme la sécurisation de la ressource disponible sur l’année (moins de stocks à la fois, donc moins de pertes) que comme une recherche d’augmentation de la production. Ces actions sont cependant peu fréquentes et souvent le résultat d’une personnalité forte (ou d’un groupe de personnes) capable de dicter une ligne de conduite à l’ensemble d’un village. Malheureusement, ces cas restent le plus souvent isolés et sans impact sur les hameaux voisins. Ceci pose d’importantes questions sur la vie de relation qui sous-tend ces villages de la région de Betafo et souligne la difficulté de faire passer des messages d’innovation, de prévention ou de développer des mesures de lutte dans le contexte morcelé des marges occidentales des Hautes-Terres malgaches. Avec le paludisme, le risque apparaît de. nature différente. Dans une même région bioclimatique, il existe de fortes disparités au niveau de l’endémie palustre. Cette variation est fortement influencée par les stratégies paysannes qui sont d’autant plus variables que . l’isolement est fort. L’endémie palustre varie ainsi selon les systèmes de culture et le passage d‘une simple culture de riz irrigué à une double culture. Elle est entretenue dans les villages les plus élevés de notre zone d’étude par le phénomène migratoire. Cependant la stratégie de lutte par aspersion intradomiciliaire de D.D.T. (1 ’O.P.I.D.) est développée au niveau national et son efficacité aurait dû se manifester de façon homogène à l’échelle de chaque ensemble bio- climatique. Or il n’en est rien et l’hypothèse la plus probable résulte de l’isolement physique et social qui entraîne une couverture non homogène. C’est ainsi que dans la zone de transition de l’endémie palustre, les villages d’Alatsinainy et de Tsarazaza ou de Fenoarivo et Lazana pourtant éloignés à peine de quelques kilomètres offrent un profil palustre très différent (BRUTUS, 1998). Mais le risque majeur est peut être à venir. Après les épidémies qui ont lourdement frappé la population des Hautes-Terres entre 1986 et 1988, les pouvoirs publics ont repris les aspersions intradomiciliaires de D.D.T. dans un but de lutte anti-anophélienne pour l’ensemble des hameaux situés entre 1000 et 1500 m oÙ la transmission est réputée saisonnière et plus ou moins épidémique (Laventure S. et al., 1996). Le but de cette opération est de prévenir une nouvelle flambée épidémique. En-dessous de 1000 m où l’endémie est considérée comme stable, il devient extrêmement difficile de casser la chaîne de transmission par le biais d’opérations du même type. Cependant, il est envisager de faire passer l’opération de lutte anti- anophélienne intradomiciliaire d’un niveau de gestion centralisé par la division de la lutte contre les maladies transmissibles (D.L.M.T.) à l’entière responsabilité des districts sanitaires. L’insuffisance de moyens qui caractérise souvent les différentes formations sanitaires, les difficultés de circulation liées à l’état du réseau routier peut alors représenter une difficulté insurmontable pour mener avec succès l’opération dans le futur. Par contre si ces moyens sont mis à disposition des districts de santé, l’opération de décentralisation peut aboutir à une meilleure adéquation aux spécificités locales. Concernant la peste, il a été possible d’identifier comme espaces à risque les zones d’arrivée des migrants et en particulier l’espace de colonisation de Mandoto, Fidirana, Ankazomiriotra, très peu morcelé. I1 semble cependant que l’espace fragmenté que l’on observe sur les marges occidentales des Hautes-Terres entraîne une séparation de l’espace nuisible à une circulation en nappe du bacille. La modification de la circulation d’un agent pathogène variant suivant des milieux sociaux ouverts ou fermés avait déjà été mise en évidence à l’échelle locale par HERVOUËT (1990) 2 propos de la trypanosomiase en Côte d’Ivoire, pathologie pour laquelle, comme pour la peste, une seule piqûre infectante suffit à transmettre la maladie. Mais les déplacements, de même que pour le paludisme ne sauraient suffire à expliquer le risque lié à la peste, étant donné notamment la courte durée d’incubation de cette maladie. La dynamique de population des rongeurs réservoirs du bacille et celle des puces vectrices fait donc l’objet d’études spécifiques destinées à préciser les modalités de la circulation de cette maladie dans les villages du Moyen-Ouest (DUPLANTIER et al., 1996).

544 Sociétés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 La compréhension de 1’ épidémiologie de la peste dans le Moyen-Ouest se heurte cependant à bien d’autres questions dont une des plus importantes est la détection même des cas et leur confirmation bactériologique. La faiblesse des moyens dont dispose le personnel soignant (médecins, infirmiers, sages-femmes) rend difficile 1’ accès au malade. Comment dans ce cas faire le traitement qui doit systématiquement suivre tout diagnostic suspect de peste ainsi que les traitements prophylactiques de tous les “ sujets contacts ” ? Par ailleurs, les familles dont l’un des membres présente des symptômes faisant penser à la peste (et que les villageois connaissent bien) peuvent avoir de très fortes réticences à le déclarer et ce au moins au début de l’apparition de la maladie dans une communauté villageoise. En effet, ce diagnostic entraîne des obligations qui en cas de décès, ne sont pas compatibles avec les pratiques traditionnelles en matière d’inhumation. Ces deux raisons combinées, la détection des cas réels reste très difficile. Lorsqu’un personnel de santé est en mesure de faire un prélèvement, il se heurte enfin au problème de l’acheminement de celui-ci vers le laboratoire central de la peste situé à l’Institut Pasteur de Madagascar implanté à Tananarive. Le laps de temps écoulé entre le prélèvement et l’analyse peut alors suffire à rendre tout diagnostic bactériologique extrêmement difficile voire impossible et donc à interdire tout diagnostic confirmé ou probable de peste.. Ainsi l’isolement, qu’il découle de la difficulté de circulation, de la difficulté d’acheminement, ou de l’incompréhension du risque encouru, est à la base des difficultés à prendre en charge ce grave problème de santé publique. Conclusion 1 L’isolement est une des contraintes majeures auxquelles se heurtent les paysans malgaches en général et ceux du Moyen-Ouest en particulier. Cet isolement n’est cependant pas une fatalité physique immuable, mais découle en grande partie des pratiques de l’espace des communautés paysannes et du manque d’emprise de 1’Etat sur le contrôle et la gestion du territoire. Des opérations d’aménagement et de développement, l’introduction d’innovations voient le jour sous l’impulsion d’organismes le plus souvent non étatiques pour améliorer l’accès au crédit, la gestion des stocks ou l’introduction de nouvelles espèces végétales. Si pour le moment la cartographie montre une distribution très inégale de ces interventions extérieures (Carte 3) dans les communautés villageoises (le long de la route essentiellement et de manière décroissante au fur et à mesure que l’on s’éloigne d’Antsirabe), il faut encourager la pénétration des innovations au niveau local, mais en s’appuyant sur la spécificité des lieux. Les maladies ou syndromes qui nous ont servi de fil directeur tout au long de ce texte ont montré leur origine multifactorielle modulée par la mosaïque des paysages humanisés décrits. La résolution de ces problèmes de santé, ou au moins leur prise en charge efficace, est quant à elle éminemment politique et dépendante de l’aménagement du territoire, que 1’opérateur soit national ou local. Le niveau de cohésion sociale pouvant servir de référent et de point d’appui pour une politique de santé publique efficace reste à identifier. Glossaire

Famadihana : retournement des morts. Cérémonie rituelle d’exhumation donnant lieu à des fêtes où la communauté se retrouve. Firaisana : unité administrative qui sans equivalence véritable peut être rapprochée d’un canton. Remplacée comme unité administrative par la commune. Fokonolona : communauté villageoise basée sur le lignage et le territoire Fokontuny : plus petit ensemble de gestion territoriale administrative par laquelle le pouvoir central a voulu rappeler l’unité traditionnelle du fokonolona.

Socidtds et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 545 Bibliographie

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546 Soci6tés et espaces littoraux et insulaires dans les pays tropicaux - pp. 533-546 A s et littoraux E picauI

Actes des VIPesJournées de Géographie tropicale du Comité National de Géographes francais - U.G.I.

(Commission a Espaces tropicaux et leur Développement B) Brest, 11 -12-13 septembre 139 7

sous la direction de Guy MAINET professeur de Gdographie Universitd de Bretagne Occidentale

DGPARTEMENT DE GCOGRAPHIE GcOLIlTOMER - Brest - UMR 6554 UNIVERSITE DE BRETAGNE OCCIDENTALE INSTITUT UNIVERSITAIRE EUROPCEN DE LA MER

OUEST ÉDITIONS Presses Académiques Ouvrage publié avec le concours de : Conseil Régional de Bretagne * Conseil Général du Finistère Communauté urbaine de Brest Université de Bretagne Occidentale * Faculté des Lettres et Sciences sociales Victor Segalen Département de Géographie Laboratoire de géographie de la Mer - G~OLITTOMER- Brest, CNRS-UMR 6554

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COMITE DE LECTURE Guy MAINET, Universite de Bretagne Occidentale Nicole MAINET-DELAIR,Docteur en Geographie tropicale Nicolas BERNARD, Universitt! de Bretagne Occidentale

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Nous tenons 2. remercier particulisrement Valerie MOREL et Alain HENAFF qui ont assure la reprise cartographique de nombreux documents de ce volume, et Isabelle BIORET qui a effectue la mise en page des textes et des des illustrations. Chaque auteur est responsable du contenu de sa contribution ; cependant, le coordinateur scientifique de ces Actes a parfois jug6 necessaire de modifier la forme du texte.

ISBN 2-908261-86-3

O OUEST ÉDITIONS/Presses Acadkmiques 1, rue de la Not5 - B.P. 52106 -44321 NANTES Cedex 3 Td.: 02 40 14 34 34 -Fax :02 40 14 3636 - eMail :http:llwww. ouesteditwns.com et GBOLIITOMER- Brest - UMR 6554 /Institut Universitaire Europtien de la Mer B.P. 817 -29285 BREST Cedex -FRANCE Tkl. :02 98 O165 18 -Fax :02 98 O1 66 29 - e.Mai1: @univ-brest.fr TOUSdroits de traduction, de reprgduction et d'adaptation rbervb pour tous pays.

COUVERTURE ,I conception : Jean-Piene Raison. illustrations : premihre de couverture :LÆS grandes pirogues de mer à Tiko (échanges avec le port nigérian de Calabar) - Cameroun. [cliché de Guy Mainet] quatrième de couvemre :en haut, L'attente des piroguespar les épouses des pêcheurs d Mbow - Sénégal. [cliché de G. M.] ; en bas, Fermes uquacoles d Rukup -Côte occidentale malaise. [cliché de Joël Le Bail]