Grand oral

17 novembre 2016 Bernard & Louis LUBAT Musiciens de

En partenariat avec le Festival International du Film d'Histoire de « Jury » présidé par Pessac Céline MUSSEAU et avec la librairie Mollat Journaliste à Sud Ouest

Nos partenaires :

Introduction

Qui mieux que pouvait correspondre à la thématique du festival du film d’Histoire de Pessac 2016 : « Culture et liberté » ? Jazzman hors normes porteur d’une utopie musicale, celle de la Compagnie Lubat et du festival Uzeste Musical, improvisateur génial, irréductible résistant au marché de la musique, Bernard Lubat est tout à la fois authentique et talentueux. Il a croisé sur sa route de grands noms du jazz qui sont venus et viennent régulièrement à Uzeste, comme dès les débuts Eddy Louis disparu en 2015, mais aussi , André Minvielle, , ... Chaque été le village d’Uzeste se transforme en espace de concerts, de conférences, d’expérimentation artistique et tout au long de l’année une programmation saisonnière est proposée à l’Estaminet. L’amour des mots qui caractérise aussi Bernard Lubat, son attachement à la culture populaire l’ont conduit à défendre la langue gasconne, à partager des moments créatifs intenses avec le poète gascon Bernard Manciet (1923-2005). L’utopie d’Uzeste pouvait se concevoir sans peine quand l’aventure a pris corps au début des années 1980 dans le village natal de Bernard Lubat et plus précisément dans l’estaminet de son père. Qu’en est-il près de 40 ans plus tard à l’heure d’internet et des industries culturelles? Comment échapper au marché, comment poursuivre, alors que l’engagement public en faveur du spectacle et de la musique est plus mesuré ? Son fils Louis, batteur, partagera avec lui la carte blanche qui leur est offerte par les Rencontres Sciences Po /Sud Ouest ce 17 novembre, car il s’agit sans doute aussi d’une histoire de transmission. A n’en pas douter, le dialogue sera musical et imprévisible.

Colin Cauchois (1A), Helene Dieulot (1A), Bertrand Drumain (4A Fifru), Mathilde Idelot (5A), Emma Lamothe (3A), Lisa Rodrigues (1A), Theo Tournemille (4A Fifru) aidés par Jean-Patrice Lacam, professeur agrégé en Sciences Sociales et docteur en Sciences Politique, et Céline Musseau du journal Sud Ouest. Un grand merci à toute cette équipe !

Françoise Taliano-des Garets Professeure d’Histoire contemporaine Coordinatrice des Rencontres Sciences Po / Sud Ouest

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Biographie

Bernard et Louis Lubat

Bernard Lubat est un poly-instumentiste (batterie, vibraphone, piano, synthétiseur, accordéon) et chanteur de jazz né à Uzeste le 12 Mai 1945. Dans ce village en lisière des Landes et de la Gascogne, son père Alban tient un café ("L’Estaminet") et anime en musicien amateur les bals de la région. Dès 5 ans le fils l'accompagne à l'accordéon, avant d'étudier le piano. En 1957 il entre au conservatoire de Bordeaux où il découvre la batterie, le vibraphone et le jazz. En 1961 il intégre le d'où il sortira avec un 1er prix de percussion. Commence alors une carrière professionnelle éclectique et multiforme: Bernard Lubat travaille aussi bien dans le domaine de la musique contemporaine (Varèse, Xenakis, Berio...) que dans celui de la chanson, où il accompagne Brel, Montand et surtout . Mais c'est principalement dans le jazz qu'il se fait remarquer. En 1965 il est engagé dans le grand orchestre de et participe en parallèle au groupe vocal "". Il joue bientôt avec Jean-Luc Ponty, ou tout en participant à l'émergence du free-jazz en France aux côtés de Michel Portal, Jean-François Jenny-Clark et Jean Pierre Drouet. Jusqu'au milieu des années 70, il travaille beaucoup comme musicien de studio et accompagne les plus grands sur scène ( en 1971). En 1977, il opère un double tournant décisif dans sa carrière: il crée la Compagnie Lubat, collectif de musiciens au personnel modulable, et lance le festival "Uzeste musical" qui marque l'amorce de sa réinstallation dans sa région natale.Dans les années 80 il invente le rap gascon (en occitan), multiplie les happenings musicaux et les feux d'artifice, forme des jeunes musiciens dans sa compagnie et invite les vétérans les plus éclectiques (Archie Shepp ou Hermeto Pascoal) à Uzeste. Durant toutes ces années il collabore aussi avec des poètes (l'occitan Bernard Manciet ou le martiniquais Edouard Glissant), des dramaturges (André Benedetto) et des plasticiens (Ernest Pignon Ernest, Alain Kirili), tout en gardant sur plusieurs décennies une forte amitié avec ses voisins basques BenatAchiary et Michel Portal. Doté d'une formidable énergie créatrice, improvisateur-né, provocateur et amoureux des mots, qualifié par le journaliste Francis Marmande de "synthèse vivante de Lacan et Coluche", Bernard Lubat occupe une place singulière et essentielle dans le jazz hexagonal: il lui a donné le sens des racines, du verbe et de la fête.

Louis Lubat : Fils de Bernard Lubat et de la comédienne et réalisatrice Laure Duthilleul, Louis n’a jamais été réellement contraint de s’orienter vers la musique ; il n’a jamais eu de carrière musicale prédéfinie, mais la passion prenante de son père l’a amené vers la voie de la percussion. Il déclare, en effet, à Sud Ouest que son père n’a jamais établi pour lui cette carrière, il ne pensait même pas le voir devenir musicien un jour. Alors étudiant à Bordeaux, Louis suit, en plus des cours de la compagnie Lubat, 5h de musique en classe-option de son établissement. Il jongle entre ses études de lycéen et les week-ends de répétition à Uzeste, avec la compagnie de son père et également avec son groupe « Los Gojats » ( soit les jeunots dans la langue traditionnelle gasconne) . Il apprend ainsi le Jazz, son histoire, à le détruire pour le mieux le recréer : il apprend à devenir un véritable musicien aux côtés des plus grands notamment grâce au festival qui a lieu dans son village natal. Louis s’affirme dès son adolescence au sein de la compagnie, dans cette solide troupe musicale de Gironde, et se forme un style aussi innovant que celui de son père, relevant de nouveaux défis. En 2013, il accompagne son père sur scène à l’occasion des Victoires du jazz sur le morceau Jazzpanic’, 4 ans seulement après la récompense de Bernard Lubat comme meilleur artiste de l’année 2009. Il apparaît l’année suivante, en 2015, dans le reportage de sa mère, intitulé Œdipe toi-même, dans lequel père et fils s’affrontent à coup de joutes percussionnistes. Le documentaire retrace la profonde relation maître élève, entre les deux musiciens. La rigueur étant de mise, le dégoût de son père pour la "flemmardise" fait de lui un artiste passionné dans le travail. Aujourd’hui, les projecteurs sont tournés vers Louis, âgé de 23 ans, pour savoir ce qu’il en est de la succession à la tête du Festival d’Uzeste, Quid de la quarantième Hestejada de las arts d’Uzeste Musical à venir en 2017 ?

- 7 - Œuvres Livres : « Lubat incendiaire : Entretien avec Jean-Marc Faure » par Jean-Marc Faure et Bernard Lubat (éditions Court Circuit, 2016) « Les UZ-topies de Bernard Lubat (dialogiques) » par Fabien Granjon (éditions Outre Mesure, 2016) « Les soleils de Bernard Lubat » par Christian Laborde (éditions Eche, 1987) « Bernard Lubat - La musique n’est pas une marchandise », entretiens avec Guy Caunègre (éditions Golias, 2001)

Films : « Lubat musique père et fils » de Richard Copans (Les films d’ici, 1989) « Uzeste, Lubat et Cie » de Patrice Rollet, 1996 (Lo Productions / C9 Télévision) « Jazz collection : Bernard Lubat » de Eric Pittard, 1996 (Ex-Nihilo / La Septe Arte) « Uzeste Manifeste » de Thierry Bordes, 1995 (FilmO)

Discographie : « Chansons enjazzées » CD 10 titres, Labeluz / Harmonia mundi, 2008 « Improvista » Michel Portal/Bernard Lubat un film de Pascal Convert, Lubat Jazzcogne Productions, 2006 « Vive l'Amusique » Livre/Cd/Dvd, Artistes & Associés/Lubat Jazzcogne Productions, 2005 « Scatrap Jazzcogne » Compagnie Lubat de Gasconha, Labeluz / Harmonia mundi, 1994 « Conversatoire-Piano Lubat Solo » 1999 Labeluz / harmonia mundi, 1999 « Poiésiques » Manciet/Lubat, Livre/Cd, Labeluz

Comprendre l’esprit Lubat en quelques expressions « Les gens sont perdus parce qu’ils croient que ce qu’ils entendent à la radio, dans les salles d’attente et les gares, c’est de la musique. » . « C’est la musique à vivre contre la musique à vendre ». « la musique que je préfère, c’est le rugby » « Uzeste Musical, c’est une intervalle comme on dit au rugby. Un espace ou on laisse respirer la pensée » « les mélomanes ont été chassés par les compétomanes » Son ami, essayiste bayonnais Francis Marmande dit de lui que c’est « une mixture de Gascon, de Coluche et de Lacan ». « Nous sommes des artistes, des « oeuvriers », pas des organisateurs d’évènementiel. Et l’artistique, c’est le symbole de la liberté gratuite. On veut débattre, expérimenter la parole autant que la musique ». Partie 1 Uzeste un « art-vivre »

Uzeste de folie Dans son village natal de Gascogne, le jazzman Bernard Lubat fait rimer musique, art et poésie. Retour sur une fantaisie qui dure depuis vingt-cinq ans. Chaque été, un vent de créativité souffle sur Uzeste, aucun repère visuel... village gascon de 400 habitants. Depuis trente et un ans, le musicien Bernard Lubat, agitateur politique et poétique, A quelles surprises faut-il s'attendre cette année? attire dans sa forêt landaise jazzmen, philosophes et Je vous en dévoile deux. Tout d'abord, un concert intitulé plasticiens. Un festival unique en son genre, où l'on refait Les Animosiciens: la nuit, sous les étoiles, le public se le monde, entre concerts itinérants, débats au bistrot et réunira au bord d'une rivière en pleine forêt. Sur l'autre performances loufoques. Rencontre avec le chef de ce rive surgiront musiciens, chanteurs et danseurs, tels des village-orchestre. "maquisards des arts". On entendra des solos sauvages de trompette, de saxophone, de bâton de pluie... Dans Peu avant sa mort, Claude Nougaro, l'un des invités des espaces ouverts, les sons deviennent indomptables. permanents du festival, confiait à L'Express: "A Uzeste, L'autre projet, Délibération Orchestra, réunit sur scène 40 nous réinventions notre innocence." Comment cette musiciens, que je dirige sans partition. C'est un exercice aventure a-t-elle débuté? de démocratie participative, où l'on apprend à partager l'espace, le temps, les ego... Je suis né à Uzeste, en 1945, un soir de bal. Pendant que ma mère accouchait à l'étage, mon père, métayer et musicien, Uzeste est aussi un lieu de débats, auxquels ont participé menait la danse à l'Estaminet, le café qu'il a fondé. Vingt- sept ans plus tard, diplômé de percussions et de piano du des plasticiens comme Pignon-Ernest, des poètes comme Conservatoire de Paris, j'enchaînais les festivals avec Claude Manciet... Nougaro, Stan Getz, Eddy Louiss... J'étais un musicien Ces forums ont lieu sur la place de l'église, et tout le monde reconnu, mais je m'installais dans une routine. En 1978, y prend part: le public, les musiciens, les habitants... Cette avec quelques copains - dont Nougaro - j'ai créé ce festival, année, le sénateur Jack Ralite nous parlera du nouveau avec pour manifeste: "Improviser la musique comme le projet de loi contre le piratage, Hadopi 2. Le critique d'art rugby!" Imaginez qu'avant un match les joueurs se disent: Georges Didi-Huberman, qui est aussi un virtuose de "A telle minute, je te ferai une passe..." On s'emmerderait! la guitare flamenco, jouera et fera une conférence sur la Je voulais provoquer un choc, redevenir un artiste! relation entre le jazz et la peinture. J'ai également organisé "La fin des bois?", une performance inspirée de la tempête On a tout entendu, à Uzeste: concerts de casseroles, qui, l'hiver dernier, a détruit une grande partie du massif saxophonistes de free jazz improvisant des joutes avec forestier landais. Elle sera mise en scène par le sculpteur des poètes gascons... Quels furent les moments les plus Daniel Van de Velde et une myriade de musiciens. Je jouerai de la tronçonneuse, à côté des pins couchés au sol! marquants? Je me souviens de malmenant son piano: les Comment gardez-vous la passion intacte? spectateurs, effarés, s'enfuyaient. Ou d'un concert pendant Ce qui me donne l'espoir, c'est de voir participer à ce lequel le clarinettiste Michel Portal et le saxophoniste festival 20 groupes de jeunes âgés de 14 à 20 ans. Leur Archie Shepp s'étaient perchés sur deux chênes immenses: devise: "Chouette, c'est difficile!" Nous sommes sur la ils dialoguaient au-dessus de 1 000 spectateurs allongés même longueur d'onde. Le jazz m'a passionné parce que dans l'herbe. Il y a quatre ans, nous avons fait jouer 20 j'ai tout de suite compris que je n'y arriverais jamais. On ne musiciens dans l'obscurité totale. Le public n'avait plus peut pas en faire le tour. L'Express, Paola Genone, le 18.08.2009

- 11 - Bernard Lubat fait du hors piste à Uzeste En Gironde, le directeur du rendez-vous citoyen fête tous les arts en bonne compagnie. Le bœuf est déjà dans la place en Sud-Gironde. A Uzeste, bal, chaque soirée s’ouvre par une bodéga d’accueil avant dans le fief de Bernard Lubat, toujours entouré de ses de se poursuivre dans les lieux du village comme le Théâtre irréductibles fidèles qui œuvrent à l’année et notamment Amusicien l’Estaminet ou la salle Alban Lubat avec un lors des estivales Hestejadas de las arts, on s’apprête «Cabaret philos’autres» ou des «chansons enjazzées» par à savourer trois semaines de «polyfolies douces» sous Lubat et son fiston, Louis, ainsi que leurs acolytes, comme toutes les coutures : concerts, projections, théâtre, jam le guitariste et bassiste Fabrice Vieira. Une belle idée du sessions, débats, conférences et lectures, ainsi que des jazz dans cette réunion libertaire où excellent l’inventivité expérimentations tant informatiques que numériques. et l’humour de Lubat, qu’il soit au piano, à l’accordéon, Avec la promesse renouvelée de sortir des sentiers battus à la batterie, qu’il joigne le geste à la parole effeuillant : «Du jamais-vu à la télé, du mal entendu à la radio mais de scat, musette, jazz et rap. D’autres volées d’impros sont à la créativité artistique écologique, sans OGM, conservateur prévoir avec les Aventures extraordinaires de Los Gojats, ni colorant, du frais, du vrai, du singulier, de l’authentique collectif de jeunes musiciens qui ne s’en laissent pas conter de la liberté et de la responsabilité. Directement du et où Louis Lubat démontre les bienfaits de son héritage à producteur au spectateur sans intermédiaire», tel que le la batterie. souligne le communiqué de presse avec cette injonction en exergue : «Décembrez, on vous demande ! » La Cie Lubat reçoit aussi son ami et engagé complice Pour cet Uzestival de fin d’année qui se poursuivra jusqu’au basque, le chanteur-vocaliste Beñat Achiary, fondateur 3 janvier, on s’attable dès ce mercredi «pour réfléchir, réalisateur de l’Errobiko festibala d’Itxassou et des penser, agir du local au mondial». Avant de se clore par un Ethiopiques de Bayonne. Libération, Dominique Queillé, 16.12.2014 Le tourbillon des arts agite le Sud-Gironde VIDEO - La 39e édition du festival itinérant en Sud-Gironde Hestejada de las arts, créé par Bernard Lubat, se poursuit jusqu’à samedi, entre performances musicales et rencontres militantes. Quand Bernard Lubat, figure du jazz français depuis près artistes engagés. d'un demi-siècle, fait référence à Albert Camus dans son essai « L'Homme révolté », il s'adresse forcément à un public Tous les âges qui ne veut pas céder à la marchandisation de la culture et Ils habitent à Paris et sont descendus cet été à Bordeaux, aux stéréotypes du prêt-à-penser. À ce titre, son Hestejada avant de faire un crochet dans le Sud-Gironde : Adnan, de las arts, qui a débuté dimanche soir, reste un modèle Pablo, Eddie ont entre 20 et 25 ans : « On écoute tous les unique : un événement croisant concerts, débats, bals ou « styles, du rock au classique. On est venus là pour entendre gueuloirs », qui se balade entre Bernos-Beaulac (dimanche), l'accordéoniste Michel Macias. » Rosalie, 51 ans, vient de Villandraut (hier) et Pompéjac (aujourd'hui) avant de Paris elle aussi. Elle ne rate pas une édition depuis dix-huit s'installer à Uzeste mercredi, jusqu'à sa clôture, samedi. ans : « Ce qui me plaît, c'est la musique, l'endroit, les gens, les Artistes engagés rencontres, le Ciron, la nature resplendissante et les arbres. » Il y a aussi une place pour les autochtones. Jean-Luc, 62 ans, Cela fait trente-neuf ans que Bernard Lubat, enfant habite à Bernos-Beaulac et se souvient, dans sa jeunesse, d'Uzeste, s'obstine à maintenir en milieu rural un d'avoir fréquenté les bals à l'estaminet : « Bernard Lubat est un festival essentiellement basé sur le style jazz et l'art de copain. Il est fort. Croyez-moi, il ne pédale pas à côté du vélo. l'improvisation. On attend cette semaine quelques figures » Ce n'est pas par hasard si des étudiants du Centre d'études comme le comédien Richard Bohringer, l'ancien guitariste sur les médias, les technologies et l'internationalisation de Noir Désir, Serge Teyssot-Gay, la contrebassiste Joëlle mènent actuellement une enquête sur le profil des publics Léandre. Cette édition est aussi dédiée à deux personnes qui suivent le festival d'Uzeste. « Ce qui distingue les gens décédées cette année : Alain Allain, infirmier et militant qui viennent ici, c'est l'ambiance et les copains, mais aussi la CGT, et , compositeur et chef d'orchestre décrit déconnexion par rapport à une société technologique. On comme un artiste avant-gardiste et anticonformiste. Ce qui va jusqu'à leur demander où va leur préférence politique. en dit long sur une connotation militante portée par des Beaucoup nous répondent : “À gauche toute”. » Sud Ouest, Pierre Lacourrèges, 16.08.2016

- 12 - L'artiste Lubat en odeur de sainteté au Printemps d'Uzeste musical L'inauguration de l'Estaminet, quatrième génération, rétablit de meilleures relations entre élus et artistes de la compagnie. Le Printemps d'Uzeste musical s'est clôturé samedi soir dans l'orchestre des Pignadas : « C'était il y a quarante-cinq par l'inauguration de l'Estaminet. Le duo formé par la ans. Il y avait l'omelette de Marie et l'accordéon d'Alban. » chanteuse soprano Lucie Fouquet et le pianiste Bernard Lubat a laissé place à une prise de parole à laquelle se sont Avant-garde joints les élus locaux. On se souvient d'une époque où les Transition parfaite pour Jean-Michel Lucas, président relations entre le politique et l'artiste n'étaient pas des plus d'Uzeste Musical, au moment d'applaudir une fois de plus tendres. Lubat pour son talent et son énergie. Bernard Lubat qui Isabelle Dexpert, vice-présidente du Conseil général a même reconnu dans la salle, Jeanne-Marie Baup, maire en charge de la culture et de la vie associative a tenu à d'Uzeste, ne s'attendait pas à tant d'éloges, au point que dénouer ces tensions. « Je salue et reconnais le talent l'artiste en parut inquiet : « J'ai été mal compris. Je me suis de l'artiste incontournable et insupportable que l'on sait mal expliqué. Je suis mal à droite, mais je reconnais que je capable d'aller au bout de ses idées, de ses envies. » suis gauche, parfois. J'ai dit aussi à un moment donné que la gouvernance à gauche n'était pas assez à gauche. » Rires. « Lubateries uzestiennes » Lubat cite alors Jean Vilar pour se réapproprier la fonction Laurence Haribey, présidente de la Communauté de d'artiste : « Il faut avoir l'audace et l'opiniâtreté d'imposer communes de Villandraut voit en Uzeste, un moyen de ne au public ce qu'il ne sait pas qu'il désire. » Puis Oscar Wilde pas tomber dans un désert culturel : « C'est faire la nique à : « Je m'occupe du goût du public. Je lutte contre. » Lubat l'entêtement des politiques qui soutiennent l'art populaire lui-même : « Il faut être d'avant garde-champêtre, pour d'un côté et l'élitisme de l'autre. Personnellement, je ne résister aux gardes-barrières, aux gardes à vue et aux suis pas assez minoritaire pour être populaire, pas assez garde-à-vous. » majoritaire pour être élitiste. Alors, je me soigne par des Le moment est venu de réfléchir sur une nouvelle ruralité lubateries uzestiennes. » Laurence Harribey s'inquiète pour active : « Il suffit de se souvenir des sons des années 50, dans la suite : « Le problème, c'est qu'Uzeste n'a pas suffisamment une campagne chargée et nourrie des travaux des artisans, essaimé, notamment auprès des jeunes générations. » des agriculteurs, des commerçants. Cela n'a évidemment Jean-Claude Lassalle, maire de Cazalis, a évoqué quelques rien à voir avec cette campagne en friche d'aujourd'hui. » souvenirs, à une époque où son père, accordéoniste, jouait Sud Ouest, 3.05.2010 Le film « Lubat père et fils », ode radieuse à la transmission Le documentaire de Laure Duthilleul explore la passation et l’échange intergénérationnel. Ce soir, avec Bernard Lubat en solo, apothéose finale de l’Uzestival au Théâtre l'Européen. Surprises garanties. Le passionnant documentaire de Laure Duthilleul a été Lubat, Jules Rousseau et Thomas Boudé. projeté, dimanche, dans le cadre de l’Uzestival à l'Européen Quant au documentaire, « Lubat père et fils » (1), magnifique (Paris 18ème), que clôture, ce soir à 20h30, Bernard Lubat. par ses images autant que par la réflexion qu’il attise, il Rappelons que le pianiste, batteur, (dé)compositeur et constitue une réponse édifiante de Laure Duthilleul à la improvisateur a officié auprès de géants comme Stan question, plus que jamais vitale, de la transmission d’une Getz en jazz, Diego Masson en musique contemporaine génération à l’autre. La réalisatrice se saisit de l’exemple ou encore Claude Nougaro pour ce qui est de la chanson. du « mot-sicien » gascon et de leur enfant, Louis, pour L’humble génie uzestois œuvre pour une musique à penser nous emmener jusqu’à une problématique universelle, en autant qu’à danser. On ne sait pas ce que nous réserve s’appuyant sur la phrase de René Char : « Un poète ne doit Bernard pour ce soir. Mais, à coup sûr, ce sera un grand pas laisser des preuves, mais des traces ». moment de création musicale et de fraternité, à l’instar du flamboiement poétique opéré, ces derniers jours, par laCompagnie Lubat aux côtés de Richard Bohringer puis Le film a adopté l’improvisation, dans sa posture comme de Michel Portal. Sans oublier, le subtil et luxuriant solo dans son financement qu’a égrené Fabrice Vieira (guitare, voix) et le septième Louis est filmé de l’âge de dix ans à vingt ans, à Uzeste et swing vers lequel nous ont catapultés la Cie Lubat (www. ses environs. Fruit du choix cornélien parmi la centaine cie-lubat.org) et ses jeunes satellites, les talentueux Louis

- 13 - d’heures de rushes, l’œuvre s’affranchit de toute l’aphorisme que profère avec amour l’artiste philosophe, chronologie, pour nous emporter à travers les situations à la fin, dans sa lettre à son fils Louis: « Improviser, c’est et les années. Concerts au village, dans une salle des s’improviser, rester toujours sur le qui-vive, toujours sur le fêtes ou dans les bois, débats publics, discussions dans qui-suis-je ». les loges ou au bistrot, engueulades même, la vraie vie, Ont été insérées des images d’archives, notamment de quoi. Traversent les images Michel Portal, Martial Solal, Bernard gamin aux côtés de son papa – Alban, fondateur du le chorégraphe Hamid Ben Mahi, Louis Sclavis, Emile café-concert-dancing l’Estaminet et point de départ de la Parisien, Fabrice Vieira, de jeunes musiciens uzestois, transmission filiale –, puis avec Louis encore bébé, dans ses Francis Marmande (chroniqueur et musicien), Charles bras. Jusqu’à l’une des ultimes séquences, bouleversante: Silvestre (des Amis de L'Humanité), Roland Gori, initiateur cette étreinte du père, du fils… et du sain swing. de l’Appel des appels, le légendaire Archie Shepp… Servi par le judicieux montage d’Adrien Pierre, le film traduit une Il importe alors de trouver au plus vite un distributeur à mise en mouvement, en parfaite résonnance avec le sujet. la hauteur du documentaire, pour que le maximum de Il a adopté l’improvisation – dans sa posture comme dans gens s’inspirent de cette ode radieuse à la transmission et son financement. Et, magistralement, met en application ressortent, comme nous dimanche soir (2),émus, éblouis, par ces utopistes debout. L'Humanité, Fara C, 22.04.205 Passage de relais paternel Laure Duthilleul tourne un film dans le village de Bernard Lubat et de leur fils Louis. Le désir et l'engagement de mon père sont que son fils Laure Duthilleul et son équipe de tournage (Rémi Daru, biologique, et Los Gojats, ses fils artistiques, poursuivent Darius Langmann et Magali Silvestre de Sacy) captent la le fabuleux travail commencé il y a plusieurs générations réalité en les accompagnant dans toutes les scènes de vie. à Uzeste », confie Louis au sujet de son père, le jazzman « Ces jeunes sont libres, différents de ceux qui vivent dans Bernard Lubat. La transmission artistique, éducative et un conformisme urbain. Ils n'écoutent pas de la musique politique entre Bernard Lubat, 67 ans, et Los Gojats, six d'ascenseur et ne se bourrent pas la gueule en boîte de jeunes musiciens d'Uzeste, est l'objet d'un film de Laure nuit. Ils créent, explorent, se cherchent au fil des jours. Ce Duthilleul, la mère de Louis, qui s'est séparée de Bernard film est leur histoire. L' ''American Pie'' d'Uzeste ». Lubat en 2000. Bernard Lubat en passeur Ce projet, tourné actuellement à Uzeste durant l'Hestejada de las Arts (18-26 août) s'inscrit dans la lignée d'un Le document cherche également à illustrer l'atmosphère documentaire de Richard Copans, daté de 1986, « Lubat unique qui règne dans le village. « Mon père a isuflé un musique père et fils ». Ce film retraçait la manière dont esprit de résistance par l'art. La création est perpétuelle. Alban Lubat, père de Bernard, a transmis son amour de Notre quête artistique est d'interpeller, faire douter tous la musique à son fils. Contraint par ses parents d'exercer ces gens qui manquent de poésie et de musique en eux » le métier de metayer-gemmeur, Alban, passionné de affirme Louis. musique, a quitté sa ferme pour racheter un café- Bernard Lubat est très heureux du tournage de ce film. restaurant à Uzeste dans lequel il organisait des concerts. Il a gardé d'excellentes relations avec Laure Duthilleul et Bernard Lubat est né dans ce lieu, devenu l'Estaminet, qui maintient avec elle une « fraternité artistique ». l'a vu manipuler ses premiers instruments et apprendre à lire avec l'Humanité. « Aujourd'hui, je veux montrer la « Ce rôle de passeur est une facette peu connue de Bernard, manière dont Bernard couve et accompagne ces jeunes à c'est pourtant un enjeu au cœur de sa vie » assure Laure qui il souhaite passer le relais », raconte Laure Duthilleul. Duthilleul. Certaine qu'elle réaliserait un jour ce film, Laure a tourné « Mon père nous prodigue une infinité de savoirs, mais des images de son fils, Louis, depuis qu'il a découvert la aussi beaucoup de critiques. Il ne faut pas croire que c'est batterie à cinq ans. « J'ai senti, comme Bernard, que cette notre gourou. Les contradictions sont possibles, tant que année était celle de la maturité. Los Gojats, âgés entre l'argumentaire est robuste » avoue Louis. Quoi qu'il en soit, 18 et 24 ans, jouent tous les jours durant l'Hestjada, ils « Louis et Bernard s'admirent. Ils ont dépassé la relation détiennent une vision musicale et politique très ancrée ». paternelle pour devenir complices et associés dans l'aventure magique d'Uzeste ». Sud Ouest, Mario Bompart, 23.08.2012

- 14 - Trace de liberté

Sud Ouest, Yann Saint-Sernin, 12.08.2015

- 15 - Partie 2 L’anticapitalisme et l’institution Partie 2 L’anticapitalisme et l’institution

Bernard Lubat « Ici, on invente de la musique à vivre » Ouverte depuis dimanche, la 39e Hestejada de las arts se poursuit jusqu’au 20 août dans un foisonnement de performances transartistiques et de pensées en mouvement. Entretien avec son œuvrier en chef, Bernard Lubat, qui n’en finit jamais de s’insurger et de résister contre l’industrie du divertissement et la mal-ouïr.

Uzeste musical est loin de n’être qu’un lieu. C’est avant non de la musique à vendre. tout un acte. Pourriez-vous nous rappeler ce qui rend cet Pour cette 39e édition, les musiques et les mots acte si singulier, et quelle en est aujourd’hui la portée ? s’entrelacent avec toujours plus de complicité et Bernard Lubat Uzeste musical est un des rares endroits d’intimité. où la musique se pense, s’expose, s’explore, s’explose. L’on y cultive et encourage les forme les plus libres, Bernard Lubat J’ai appelé la soirée de mercredi « Jeux de les créolisations les plus enjazzées. On y pratique l’art théâtre en attendant Bobo ». On y reçoit Jérôme Rouger, qui de l’improvisation sous toutes les latitudes, musicales, présente un spectacle intitulé Inoffensif (titre provisoire). verbales. Ce qui permet toutes les transartisticités Là ce sont les mots, les mots et l’imaginaire, à travers un possibles et souhaitables. On y mène les débats les moins spectacle formidablement dynamique. académiques. Les enjeux sont artistiques, philosophiques, Cette soirée débute par les Assis debout, une mise en chaise économiques et poïélitiques. On y laisse aller de face et de dialogique en trois actes. Sur deux chaises sont assis deux côté respirer la pensée. personnages, l’un face à l’autre. Thomas Boudé et Louis Aujourd’hui, l’industrie du divertissement prend des Lubat, Fabrice Vieira et Juliette Kapla, Raphaël Quenehen proportions monumentales dans la société. Pour financer et moi-même. Nous improvisons quelque chose qui nous des festivals comme ceux que je qualifie d’épouvantables arrive ou pas. erreurs, ils doivent rassembler 150 000 personnes. Ils La Compagnie Lubat présentera aussi son dernier chantier sont obligés de grossir, sans cela ils n’existent pas. Plus ils amusicien, les mots musique et la musique des mots. coûtent, plus ils sont libéraux, et plus ils finiront dans les Cela s’appelle Mosicans. Sur scène, le musicien ne va pas fonds de pension. jouer que de la musique, il va jouer des mots, il va jouer À Uzeste musical nous sommes un grain de sable qui de sa pensée aussi et de ce qu’il devient. Chaque musicien essaie de réfléchir à toute cette folie furieuse. Alors, debout s’auto-convoque à exprimer autre chose que des notes de les œuvriers ! Dans œuvrier, j’entends avec mon oreille : musique. J’en ai assez d’entendre le discours des musiciens l’œuvre y est ! En chacun de nous, l’œuvre y est, chacun de qui répètent qu’ils n’ont pas à parler car ils expriment tout nous est une œuvre. Malheureusement, on n’arrive pas à avec leur musique. Il s’agit donc de sortir de soi. On joue à l’accomplir car nous sommes rapidement prolétarisés. Sitôt être autre chose que ce qu’on est. C’est-à-dire qu’on joue qu’on se développe un peu, on te fait comprendre que si à devenir. On n’est pas là pour capitaliser ce qu’on croit tu es capable de faire cela c’est bon mais alors restes-y. On qu’on est, on est là pour développer ce qu’on devient… te plafonne et on t’exploite. À Uzeste donc, on essaie de On vient à Uzeste pour remettre les pendules à l’œuvre. réfléchir à ce qui nous plafonne et aux capacités que nous avons de devenir. Nous ne sommes pas. Nous devenons. Si Chyco Jehelmann et Luther François en tête d’affiche. nous ne devenons pas, nous ne sommes pas. Qu’apprenez-vous de ces échanges réciproques avec la Lacan disait : « Il n’y a pas de malentendus, il n’y a que des Martinique ? malentendants. » Nous sommes aujourd’hui confrontés Bernard Lubat Avec la Martinique, je cherche au à une pollution sonore énorme, invisible tout en restant plus profond, d’abord par un questionnement sur la radio-active 24 heures/24. Elle pollue les consciences, les colonisation. Édouard Glissant nous a éclairés là-dessus, imaginaires et détruit les utopies. Elle forme les goûts, les nous a insufflé de l’air : comment s’est constitué ce peuple dégoûts et les couleuvres de la planète. Gare à la mal-ouïr. d’esclaves avec ce qu’ils ont subi et souffert, que leur reste- « Les hommes sont comme des lapins, ils s’attrapent par t-il de leur culture de base, originelle, d’Afrique ? Qu’en ont- les oreilles », disait Mirabeau. ils fait à travers la colonisation et l’exploitation et comment Nous sommes globalement dans une immense boîte à ces traces s’inscrivent dans l’artistique, dans la peinture, la rythme unique, niquante. On est niqué par le même tempo. musique… On marche tous au pas. Tragique ! On balance partout sur Le rythme, cette projection-définition du temps qui nous les ondes de la musique à vendre, industrielle, fabriquée, passe dessus et avec laquelle on vit, m’interpelle comme morte et donc mortifère. musicien. Ce rythme produit de l’imaginaire… Ici à Uzeste, on s’occupe d’inventer de la musique à vivre et Je me suis petit à petit rendu compte que la Martinique,

- 19 - la Guadeloupe, toutes ces petites îles, constituent aussi de laisser les traces d’une œuvre et d’une pensée ? des laboratoires très complexes, un peu comme Uzeste musical. Des laboratoires politiques puis poïélitiques avec Bernard Lubat Les modalités sont différentes entre l’un et des écrivains, des musiciens, des poètes, des résistants, des les autres. Pour les disques de la collection « les Dialogiques textes et des sons qui me touchent de très près, car pour d’Uzeste », produite par nous, c’est l’idée d’un dialogue moi le noir c’est une valeur et non pas une négation. C’est libre entre un artiste invité et moi, l’idée d’une relation qui la plus belle des peintures, on peut écrire sur le noir en tout n’en finit pas. blanc et l’un sans l’autre ça ne marche pas. Après Intranquille avec dans cette collection, J’ai rencontré des musiciens comme Chyco Jehelmann, les prochains invités seront Portal et Sclavis. Cette idée de pianiste incroyable qui joue une musique trop lucide. musique en liberté, on ne l’entend jamais sur des disques Comme Luther François, qui joue du saxophone d’une car ils sont devenus des fabrications pour un style de manière superbe. musique de disque. Entre Uzeste musical et l’association Nomades montée par Avec cette collection, je veux enregistrer la confrontation Luther François, nous installons un chantier d’aller-retour de deux artistes en toute liberté, en toute solidarité. On sur trois ans. se confronte gratuitement. Souvent, quand les artistes produisent un disque, ils sont prisonniers et même auto- prisonniers d’un protocole afin de rester dans la norme. Aux deux ouvrages qui vous sont aujourd’hui consacrés C’est pour résister à cette pression que j’ai voulu réaliser (1) s’ajoute la production sous le label UZ d’un mano a la collection des « Dialogiques d’Uzeste ». Pour laisser des mano musical entre Sylvain Luc et vous. Le moment venu traces de la liberté en marche, de l’œuvre à l’œuvre. L'Humanité, Alain Raynal, 1.08.2016

- 20 - Uzeste musical, un ring de liberté Avant tout du libre, du sensible et des agitateurs pour cette 38e édition d’Uzeste musical qui s’est achevée hier soir. Gironde, correspondance particulière. « Fêtons les noces hongroises ou roumaines. Les lectures de textes superbes du feu, de la musique et de l’espoir. » C’est par ces mots de Di Benedetto, de Manciet, de Soriano, Un qui veut que Bernard Lubat allume la première mèche de l’« artifice traverser, sur le drame des migrants. Ou encore Christelle opéra » Fraternité. La colline du château de Roquetaillade Dubois, jeune et nouvelle invitée d’Uzeste, avec qui l’art de s’embrase alors pendant plus d’une heure grâce aux secrets la contorsion devient poésie. pyrotechnique de la Cie Pyr’Ozié et au blues éblouissant d’Archie Shepp. Bousculer les certitudes, provoquer la réflexion, exciter la Les épousailles sont d’autant plus belles pour cette édition pensée... 2015 qu’une kyrielle d’étoiles et de fusées éclairantes se Lors de la Nuit multicolore en hommage à Eddy Louiss, répand tout au long de la semaine sur le festival d’Uzeste « cette tempête de miel », lance Bohringer alors que musical qui s’est achevé hier soir. Portal, Sclavis, Di Donato et Corneloup composent un admirable quatuor d’improvisation. On ouvre avec un duo Cent vingt manifestations et performances artistiques tout en douceur avec Achiary, on passe avec le Mendy, Mercredi 19 août, pour le manifeste Délibération Orchestra de Bohringer, et on se quitte avec C’est Eddy, d’un Lubat 2015, quinze musiciens se réunissent autour de la figure bouleversé. légendaire de la musique afro-américaine. Des artistes généreux et solidaires dont les saxophonistes Luther François, Roy Nathanson, François Corneloup, Raphaël Festival « des musiques à vivre et non à vendre », Uzeste Quenehen, Julien Dubois, la Compagnie Lubat au grand musical c’est aussi transmettre par l’art et le débat le goût complet et d’autres encore pour un concert qui s’ancrera de la liberté, des confrontations et des résistances. « On ne durablement dans les mémoires et les cœurs. Archie Shepp peut accéder à la conscience du monde que si nous avons aux anges ne veut plus quitter la scène. Il y revient avec véritablement une sensibilité à ce monde », avance Fabien Caravan et Sing Sing Song, de Nougaro, pour un plaisir en Barontini, lors du débat consacré à la problématique de partage entre le public et les musiciens. La soirée débute l’artistique et de la politique. C’est encore bousculer les par une composition libre sous la conduction d’un Lubat, certitudes, provoquer la réflexion, exciter la pensée. Dans jubilatoire, heureux, au-devant de cette scène devenue ce but, les agitateurs d’idées sévissent à Uzeste. Roland ring pour la liberté. Gori cherche comment « rétablir la vie politique dans un monde intellectuellement et moralement ruiné par la Grâce au jazz – « cette musique libre qui nous permet religion du marché ». Charles Silvestre interroge sur le par des émotions esthétiques de revenir au plus intime devenir de la république, à partir de la pensée de Jaurès. de nous-mêmes en nous ouvrant aux autres » – et aux George Didi-Huberman décortique « les forces qui nous cent vingt manifestations et performances artistiques, soulèvent ».Chaque année, Uzeste musical recommence poétiques, politiques, le sensible a pénétré de son souffle sans jamais ressembler à l’édition précédente. « C’est par tout le festival 2015. l’échange qu’on change », assure Lubat. Pour Fabrice Vieira, Parmi tous ces moments remarquables : Frédéric Jouannet vingt ans d’enrichissement collectif avec la Compagnie (violon) et Sébastien Palis (violon) improvisant en duo Lubat, Uzeste musical est avant tout un processus dans sous un immense cèdre du Liban, via des musiques lequel l’échange est plus important que les individus. « Là, on découvre, et on se laisse surprendre. » L'Humanité, Alain Raynal, 24.08.2015

- 21 - Los Gojats, figures libres Los Gojats, composé de six jeunes musiciens, jouent tous les jours durant l'Hestejada. Un groupe ancré dans l'identité créative de la Compagnie Lubat. xplorer, s'explorer, se tester, tester. L'improvisation est laisser exploser un jazz plus « free ». « Le public sent que à la fois l'essence, le leitmotiv et l'adrénaline des Gojats l'harmonie est fragile, notre création risquée. Ce doute les (« les gars » en occitan). Six musiciens du cru gascon qui captive », appuie Louis, qui prend souvent la parole même respirent et s'inspirent de l'air unique d'Uzeste, insufflé par si le groupe refuse de détacher un leader. le jazzman Bernard Lubat. Tout comme la Compagnie Lubat, Los Gojats s'inscrivent Chez les Gojats, il y a Louis Lubat à la batterie, Jaime Chao, à contre-courant des « ouvriers de la musique » qui qui mêle chant, guitare et percussions, et Thomas Boudé récitent leurs acquis au détriment de la création. « Nous au piano et à la guitare. Tous trois sont originaires d'Uzeste. sommes opposés à tous ces festivals où les gens vont Passé par le collège de jazz de Monségur, Thomas a intégré voir les disques », soutient Louis. Écœurés par les grandes l'un de ses camarades de classe, le trompettiste Paolo maisons de disque qui « étouffent la liberté des artistes », Chatet. Tanguy Bernard, tubas et chant, et le bassiste Jules ils n'ont pas l'objectif d'enregistrer et diffuser leur musique. Rousseau ont aussi rejoint Uzeste à l'adolescence. « Parfois, on sent que nos enchaînements sont excellents mais on ne les reprend pas pour autant. Si nous sommes Lorsqu'on demande aux Gojats de définir leur musique, capables de jouer une minute à ce niveau, dans quelques les six se regardent, hésitent, puis Louis lance : « On a années ce sera le cas dix minutes, puis un concert », espère l'habitude de dire que l'on fait du free funky jazz beguin. » Jaime. Les influences des Gojats, tous biberonnés au jazz, vont de Mozart ou Berlioz à Jimmy Hendrix en passant par Marley. S'ils n'arrivent pas toujours à juger leur prestation, plusieurs « On ne sait jamais ce qu'on va jouer, rien n'est précis ni maîtres du jazz prodiguent aux Gojats des critiques et réfléchi », avoue Thomas. Excellents techniciens, ils relaient conseils. Le premier d'entre eux est Bernard Lubat, mais une expression de Bernard Lubat, « on ne s'improvise pas d'autres références comme Louis Sclavis, Michel Portal ou improvisateurs ». François Corneloup viennent les écouter durant l'année à Uzeste. La force du village est de ne jamais laisser la flamme Étrangers au solfège, leurs repères sont instinctifs. « créative s'éteindre. L'improvisation est très intime. Chacun mène son combat face à la peur du vide », ajoute Jaime. Des laboratoires Fragile harmonie Au-delà de l'Hestejada estivale, chaque vacance scolaire est ponctuée d'un Uzetival alliant stages et concerts. « Les Lors de concerts, le groupe « s'adapte au contexte, même Hestejadas sont des laboratoires magiques pour nous. On si n'importe quel public peut et doit tout écouter ». Pour s'enrichit de toutes les disciplines », confirme Louis, avant l'instant, Los Gojats se produisent surtout dans des lieux de reprendre une citation de Cynthia Fleury, chère à son où « la buvette est la star ». Dans ce contexte, le groupe père : « La liberté s'apprend, elle est tout sauf innée. » Los va chercher le public avec des airs entraînants avant de Gojats, eux, la cultivent. Sud Ouest, Mario Bompart, 22.08.2012

- 22 - Le Jazzbal gasconcubin de Bernard Lubat

Sud Ouest, Olivier Escots, 25.12.2008

- 23 - Lubat, le militant d'un jazz truculent

Partie 3 Résistance, optimisme ou pessimisme ?

Sud Ouest, Fabien Rabatel, 31.03.2010

- 24 - Partie 3 Résistance, optimisme ou pessimisme ? L’utopie comme antidote à la catastrophe

Sud Ouest, Cécile Fréchinos, 21.08.2009 - 26 - Une liberté musicale sans aucune concession

Sud Ouest, Olivier Rescots, 22.02.2009

- 27 - Un festival contre l’industrie de la culture

Sud Ouest, Cécile Fréchinos, 23.08.2009

- 28 - La compagnie Lubat entre en résistance

Sud Ouest, Pierre Lascourrèges

- 29 - L’Uzestival réinitialise les vertus du débat politique

Sud Ouest, Pierre Lascourrèges, 23.12.2009

- 30 - Et maintenant, « Debout les œuvriers ! » Bernard Lubat, fondateur d’Uzeste musical, Roland Gori, psychanalyste, président de l’Appel des appels, et Charles Silvestre, journaliste, vice-président des Amis de l’Humanité, ont lancé un appel à la réflexion et à l’échange. Un artiste, un psychanalyste, un journaliste sont à l’origine artistique. « Œuvrier vient aussi d’ouvrier. » En cette année d’une démarche, en forme de manifeste, invitant à refuser 2016, 80e anniversaire du Front populaire, année rebond de la standardisation des actes, de la pensée, et la soumission luttes très dures contre la remise en cause du Code du travail, aux exigences de rentabilité financière à l’origine des crises relance du mouvement social, syndical, ce mot d’ouvrier sociale et culturelle en cours. Ils ont lancé un appel intitulé est ressorti comme un diable du bénitier néolibéral. Debout les œuvriers ! (1). Un mot les rassemble, en espérant Signataires d’un « appel à la réflexion sur un mot, lui, en que d’autres se l’approprient : œuvriers. Bernard Lubat et devenir, œuvrier, sur sa capacité à résister, à rapprocher, les artistes d’Uzeste musical, « libertaires et communalistes à imaginer la convergence des uns et des autres », dans », qualifient, ainsi, ce qu’ils s’efforcent d’être depuis bientôt un monde où les fractures guerrières et obscurantistes quarante ans. Dans leur formule, « ma carrière est derrière s’alimentent dangereusement, Bernard Lubat, fondateur moi, mon œuvre est devant moi », ce qui n’est pas que d’Uzeste musical, Roland Gori, psychanalyste, président chronologique, beaucoup pourraient ou aimeraient se de l’Appel des appels, et Charles Silvestre, journaliste, vice- reconnaître. président des Amis de l’Humanité, invitent à « échanger les expériences et les points de vue ». Après un premier Les professionnels du soin, de l’éducation, de la justice, de rendez-vous, à Avignon, dans le cadre du Festival off, la recherche, de l’information, de la culture, regroupés dans d’autres rencontres sont prévues : le 19 août à Uzeste l’Appel des appels, sont engagés dans leur cœur de métier musical, le 11 septembre 14 h 30 à la Fête de l’Humanité, qui fait leur liberté, leur raison sociale et leur solidarité. Ils le 16 décembre à Montreuil, le 17 décembre à Ivry et le 5 revendiquent le retour à l’œuvre, à la dimension artisanale, janvier à Marseille. L'Humanité, Pierre Chaillan, 28.07.2016

- 31 - Bernard Lubat : « Nous improvisons avec de la pensée libre » La 37e Hestejada de las arts s’ouvre ce samedi 16 août pour huit journées denses de manifestations et de performances transartistiques. Entretien avec son fondateur, œuvrier et chef d’orchestre d’Uzeste musical, qui se révolte et résiste contre la mainmise du marché.

Le directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py, souhaite produit de l’économie locale, puis de l’économie électorale, les municipalités se sont engagées puisque c’est électoral. rapprocher la politique du poétique, et désire que le C’est « popuplaire ». En face, il y a « l’élitriste ». Nous, ici, festival de théâtre questionne beaucoup plus le monde, on essaye d’être entre « élitriste » et « popuplaire ». Ces la république et la démocratie. C’est depuis ses débuts événements ne survivent que s’ils grossissent. Pour grossir, qu’Uzeste musical croise la parole politique et la parole ils deviennent progressivement propriété privée, avec derrière, des fonds de pension. Ils se transforment en poétique. Qu’expriment aujourd’hui ces prises de chantiers de profits qui contribuent à « toxiconologiser » position ? les populations qui se laissent avoir. Évidemment, dans ces BERNARD LUBAT Peut-être un retour à Jean Vilar. lieux il n’y a pas de débats, pas de pensées, pas de mots, « L’origine, comme dirait l’autre, est devant nous. » On pas de poésie. Il n’y a que du loisir pour ­occuper les espaces assiste aux retrouvailles d’une dialectique entre poétique du cerveau disponibles. Je trouve cela tragique. À Uzeste, et politique parce que le politique gouverne en play-back. depuis trente-sept ans que nous existons, on tente de Le poétique permet de prendre les intervalles pour se grandir, sans grossir. On s’essaye au temps long d’en bas. distancier de cette nouvelle religion du marché qu’impose Au temps long de la relation, relation réelle, horizontale et le libéralisme. Il n’y a peut-être plus que le poétique pour verticale. Nous ne sommes pas dans une relation cliente. faire de la vraie politique, c’est-à-dire de la confrontation Nous ne formons pas des publics. Viennent des artistes qui d’idées, de l’analyse, de la mise en pratique, de l’utopie. ont envie de chercher à comprendre et des populations L’utopie, on ne sait pas ce que c’est. Justement, allons-y ! qui ne sont pas obligées de venir. On ne ­dépense pas Aujourd’hui l’os, c’est l’économique qui dirige tout. Le notre argent à faire de la communication. Uzeste, c’est par libéralisme, on sait ce que c’est, on voit les dégâts qu’il le bouche-à-oreille, progressivement. C’est peut-être pour occasionne. Nous sommes d’autant plus mal qu’on ne cela que ça tient depuis trente-sept ans. On est peut-être cesse de nous répéter que c’est fatal. Le poétique ouvre en un peu moins pollué que la moyenne. On essaye d’être revanche une « pratiquance » de la pensée, du rêve, de la éco-muniste. réflexion, de l’inconnu. C’est pour cela que l’improvisation à Uzeste n’est pas que musicale. Nous improvisons aussi Vous soutenez le combat en faveur des intermittents du avec des idées, avec de la pensée libre. Nous sommes dans spectacle. Pour quelles raisons particulières ? une civilisation de l’ultracommercialisation qui, soi-disant, BERNARD LUBAT Les gens de l’expression ­artistique, qu’ils serait le paradis. Non, cela, c’est l’indignité, car ce sont des soient artistes, administratifs, ouvriers, manutentionnaires, rapports marchands et non des rapports humains. On se sont tous indispensables­ à l’activité artistique. Il suffit de parle plus : on se doit. Combien­ je te dois, combien tu me voir le nombre important de personnes ­nécessaires à la coûtes ! Il n’y a plus d’échange qui nous change. C’est le réalisation d’un film, c’est quelque part merveilleux. Tout règne des compétomanes. cela est voué à la disparition car illogique par rapport au libéralisme financier. Au début du cinéma, on faisait des Les festivals ne sont pas à l’abri de la mainmise des films avec de l’argent, maintenant on fait des films pour de marchés et de cette industrie du divertissement que vous l’argent. Ce qui me sidère, c’est que je ne sais pas à quoi critiquez. ont servi nos années d’éducation, de collège, de fac, pour en arriver à cette croyance : l’argent a remplacé dieu. C’est BERNARD LUBAT Les festivals sont devenus des produits le grand deal d’une addiction générale : « N’existez plus, du libéralisme. Des festivals de fabrication de ce que ne créez plus, achetez-le ! » Alors oui, j’ai dit que nous le libéralisme a à vendre. Ce ne sont pas des festivals n’étions plus des intermittents, mais des « intermuttants », artistiques. Les gens ne savent plus ce qu’est la musique. et même avec un peu d’humour des « interminables » du Ils pensent que c’est une grande scène sur un pré avec spectacle, de l’expression, de la relation. Nous sommes les cinquante mille personnes devant qui assistent à une constructeurs du récit de l’histoire de l’art, de la nation, de exposition de technologies avec des sonos puissantes, et l’Europe. Nous sommes les constructeurs de cet imaginaire. des éclairages aveuglants. Le système est terrible car le Sans nous, cet imaginaire passe dans les mains de gens qui capitalisme récupère tout. Au départ, des festivals comme nous vendent des produits qui visent à nous empêcher de les Vieilles ­Verrues ont été créés par des bandes de copains. créer notre propre imaginaire. Puis ils sont devenus organisateurs. D’un seul coup, cela a

- 32 - Retour à l’édition 2014 de l’Hestejada et à son « poïélitique ». Chaque année, nous préparons Uzeste programme. Des nouveaux invités rejoignent les musical d’une manière différente. Nous allons dans les villages, nous cherchons d’autres angles, d’autres lieux, nombreux fidèles d’Uzeste. Aucune édition ne ressemble à la fois dans la nature et le social local. Ces lieux sont à à l’autre. Comment les préparez-vous ? lire, à interpréter, à réfléchir, à critiquer, à improviser. C’est passionnant, nous nous trouvons devant une partition BERNARD LUBAT Elles se construisent petit à petit par le incroyable, probablement complexe et multiple qui n’en temps long des saisons. Suivant les saisons, ce ne sont pas finit pas. Chaque Hestejada nous émerveille et nous les mêmes odeurs, les mêmes saveurs, les mêmes sons, nous inquiète car on ne sait pas comment on y est arrivé. Elle ne sommes pas les mêmes face à nous-mêmes. Dans les résulte des ressources de tellement de gens, de solidarités villes, nous avons quelque part perdu cette conscience. La et de capacités connues et parfois cachées. En allant dans préparation du programme s’achève toujours à la dernière d’autres villages, nous rencontrons d’autres municipalités, minute. Si tout était prévu à l’avance, il n’arriverait rien de d’autres personnes, d’autres associations, d’autres surprenant. On laisse toujours la porte ouverte à l’imprévu. réalités. Nous sommes donc convoqués sans arrêt à notre Je dirais même qu’on provoque l’imprévu pour ne pas se questionnement, notre inconnu, notre inconnaissance. répéter. Dans cette imprévisibilité que nous cherchons à Nous devons apprendre, et sortir d’Uzeste. Uzeste musical préserver réside cet espace de liberté que j’appelle aussi n’est pas un lieu, c’est un acte. L'Humanité, Alain Raynal, 14.08.2014

- 33 - L’Uzeste de Bernard Lubat : un front culturel de résistance populaire Bernard Lubat est l’une des figures emblématiques du jazz engagé aujourd’hui. Fondateur de la Compagnie Lubat et de d’Uzeste musical, il a fait de ses formations une expérimentation politique et esthétique ancrée dans une ruralité de Sud-Gironde. Dans ce texte, issu d’un recueil d’entretiens parus chez Outre Mesure, Fabien Granjon présente la pensée-pratique de Lubat. Dans le prisme de Gramsci et de la théorie de l’hégémonie, Granjon décrit le projet lubatien comme un travail musical éclectique, traversé par les traditions occitanes, paysannes, mais aussi par les musiques improvisées et le jazz. Il en émerge une conception de la musique comme travail collectif de condensation d’un vécu collectif et populaire. « Je serai cru, une fois que je serai cuit. » Bernard Lubat « Ici café l’Estaminet d’Uzeste Ziste zeste, c’est la geste d’Uzeste Village hommage sans âge en nage Aciu Jazz Aciu jazzcogne, occitanique Océanique, l’économique Uzeste manifeste Uzeste manifeste. » Bernard Lubat, André Minvielle « Le spectacle anéantit la perspective historique dans laquelle peut s’inscrire une connaissance de type stratégique. » Daniel Bensaïd, Le Spectacle stade ultime du fétichisme de la marchandise De quoi Uzeste est-il le nom ? Va savoir ! Bernard Lubat tournée vers l’avenir. Et si Uzeste est tout de même un lieu, affirme qu’il ne s’agit pas d’un lieu, mais d’un acte. Il il est peut-être d’abord celui de cette intranquillité . souhaiterait sans doute qu’Uzeste soit le nom de quelque chose qui vient à peine de commencer : une New Thing, un manifeste qui met en mouvement, la maïeutique Le projet lubatien hérite de la culture intranquille qui était Dada d’une ruralité critique dont la Compagnie Lubat celle de l’Estaminet d’Alban et Marie Lubat, sorte de Cabaret et Uzeste Musical (CL/UM) seraient les contra(di)ctions. Voltaire paysan3, où se (dé)jouaient les contradictions Il n’est pas certain d’avoir réussi à inventer l’obstétrique d’une ruralité porteuse de contraintes structurelles, mais poïélitique qu’il estime devoir être la spécialité utile aux aussi d’imaginaires utopiques. Bernard Lubat essaie, accouchements « d’ici d’en bas », mais il n’est, pour autant, aujourd’hui, d’actualiser ces potentiels émancipatoires par pas mécontent de ce qui a été, à ce jour, accompli. Pier Paolo un travail de politisation au principe duquel se trouve un Pasolini diagnostiquait la disparition des Lucioles1, c’est-à- art des mots, du rythme, de l’improvisation, de la Relation dire des résistances ordinaires ; force est de constater que et de la créolisation. L’engagement dans cet art qui se les LUZioles bazadaises, espèces rares et fragiles, semblent veut libératoire est également le précipité d’un parcours rayonner – certes, non sans difficulté –, d’une lumière personnel singulier. À l’instar de la trajectoire du musicien qui tend à nous éclairer. Aussi, y a-t-il quelque chose de brésilien Caetono Veloso4, celle de Bernard Lubat trace une pasolinien ou de leopardien chez Bernard Lubat dans révolte radicale, c’est-à-dire enracinée dans un contexte la persistance qu’il a à déplorer le déclin de son village social régional et une culture locale, mais qui a pour ligne natal, le « génocide » de la culture populaire dont il est de fuite des ailleurs vers le Tout-Monde. Comme la bossa issu (langue d’Oc, traditions rurales, etc.), mais aussi dans nova de João Gilberto, la Musique Populaire Brésilienne et, la mauvaise foi dont il fait montre quand il s’agit de tirer surtout, le mouvement tropicaliste5 qui émerge au Brésil le bilan de ces quarante ans d’engagement amusicien. à la fin des années 1960 – en mélangeant avant-garde et Bernard Lubat est un intranquille qui tend à « inquiéter tradition, samba et jazz cool –, la production artistique son temps par le fait d’avoir lui-même un rapport inquiet à de CL/UM est fidèle à l’esprit frappeur et à l’expressivité son histoire comme à son présent2 », un présent dont les du free ou des expérimentations de la musique nécessités le conduisent à effectuer une relecture du passé contemporaine, sans pour autant renoncer aux idiomes

- 34 - des cultures traditionnelles occitanes. On l’aura compris, conscience des potentiels de transformation de la société. l’ancrage de l’art lubatien dans les traditions populaires d’Occitanie ne relève évidemment pas d’un penchant folkloriste ; il en est même la négation la plus affirmée CL/UM conçoit son intervention comme un travail sur dans la mesure où il s’oppose à ce que Pasolini concevait le sens commun ou ce qu’Antonio Gramsci nommait comme la normalisation de cultures « particulières » qui le folklore philosophique, c’est-à-dire la philosophie seraient autant de « petites patries6 ». L’activité artistique spontanée et plutôt partagée par tout un chacun, via le et citoyenne de CL/UM ne participe aucunement aux langage, les formes de catégorisation, les croyances, les nostalgies déploratoires des passéismes pittoresques et opinions, les dispositions à agir, penser et sentir, lesquelles traditionnalistes. Elle s’attache à réinventer une mémoire s’avèrent historiquement, culturellement et socialement populaire qui refuse d’être déterminée par le haut et qui situées. Parce qu’il n’est jamais entièrement figé, le sens s’efforce de constituer une ressource permettant aux commun constitue une matière culturelle, gnoséologique subalternités uzestoises de s’appuyer sur un passé qui leur et organique, en mouvement, sur laquelle il est possible permettrait de se créer un avenir, c’est-à-dire de ne plus d’intervenir pour lui faire prendre des directions allant dans se considérer comme objets de l’histoire, mais comme un sens qui, pour autant qu’il est commun, est également sujets de celle-ci. La ruralité n’est pas une culture sans progressiste. Ce travail est politique et laborieux. Lubat & valeur, inférieure à la « haute culture » – par ailleurs rendue Cie s’y adonnent dans une attitude polémique qui dénonce caduque par la culture marchande –, dont il faudrait être les modes d’action, de pensée et d’affect qu’ils jugent aller complexé et se défaire, mais une culture historique qui dans le sens d’un statu quo assurant la reproduction des porte des aspirations progressistes, une mémoire des luttes modes de domination. La manière dont ils s’y opposent sociales, au nom desquelles d’autres luttes peuvent être ne relève en rien d’une action de ravalement qui viendrait aujourd’hui menées. Depuis le dispositif CL/UM émerge la combler les fissures de la façade d’un édifice existentiel volonté de créer un lieu de passage d’une identité atavique dont les fondations resteraient entières. Elle tient plutôt qui, parce qu’elle n’est jamais totalement sédimentée, peut à une opération de démolition de ces dernières pour se transformer en identité critique. Faire en sorte que les les reconstruire sur un terrain critique : faire advenir groupes subalternes uzestois « invités à prendre sur eux- un autre sens commun populaire qui envisagerait le mêmes le point de vue des autres, à porter sur eux-mêmes quotidien comme un problème politique. Mais travailler un regard et un jugement d’étrangers […] toujours exposés le sens commun nécessite, en amont, de lutter contre à devenir étrangers à eux-mêmes7 », cessent de constituer le bon sens empirique qui, précisément, invite à ne pas une classe objet pour s’instituer en classe mobilisée : un s’exposer, à ne pas prendre (sa) part, d’une quelconque groupe de résistants forcément intranquilles, parce que manière, à ces activités artistiques qu’un Uzestois nous s’opposant à l’hégémonie dominante passée et présente décrira, amusé, comme lui faisant penser à celles d’un « tout en ayant conscience de leur dépendance vis-à-vis de asile de fous qui travaillent trop du chapeau9 ». Être de celle-ci. l’aventure, rétorquent Bernard Lubat et ses œuvriers, permet pourtant de réintroduire de la créativité dans le quotidien, opération dont il est estimé qu’elle constitue De même, l’intérêt de CL/UM pour la chanson n’est pas possiblement le premier pas vers une conscience politique une concession à la musique « en boîte » des industries et une production culturelle autonomes : « organisation, culturelles, mais une manière de travailler des sensibilités discipline du véritable moi intérieur, […] prise de possession correspondant à la culture de masse par des contenus de sa propre personnalité, […] conquête d’une conscience qui s’en font l’écho, mais qui en déplacent également supérieure grâce à laquelle chacun réussit à comprendre l’actualisation. Il s’agit de travailler « à récupérer des formes sa propre valeur historique, sa propre fonction dans la vie, déjà établies, ou du moins influencées ou infiltrées [par ses propres droits et ses propres devoirs10. » des cultures dominantes]8 » pour en faire le support d’une Depuis cette dialectique mélangeant ruptures et expression critique nouvelle. Se mettre à apprécier quelque attachements, contre-culture et culture traditionnelle, chose qui, relevant d’un identique, porte une différence l’expérimentation artistique pastorale d’Uzeste souhaite, dont il est fait le pari qu’elle peut constituer un exorde en donnant une forme artistique à la totalité sociale, se au sens rhétorique du terme – un (re)commencement et constituer en culture populaire oppositionnelle11 du la captation d’une attention habituellement dirigée vers présent. En se construisant depuis une esthétique de un autre type de cibles –, est le type de médiation qui l’absurde, du scandaleux, de la résistance, des possibles pourrait caractériser l’art lubatien. Un art qui invite celles et de la rencontre ; en proposant un nouveau modèle de et ceux qui s’y exposent à s’interroger sur leurs goûts et, rapport social au cœur de la vie quotidienne, cette culture partant, de faire le pari de nourrir de nouvelles dispositions populaire en résistance cherche à ouvrir une brèche dans qui pourraient les faire se questionner sur ce qu’ils croient, le système dominant des valeurs culturelles qui imprègne la société civile, l’État et les appareils d’hégémonie qui la société uzestoise. Elle se pose systématiquement, depuis leur sont liés en tant que dispositifs organisant rapports l’art, comme « la négation déterminée de ce qui suscite sociaux, imaginaires, sensibilités, etc. ; les faire prendre

- 35 - sans cesse le contraire de la chose possible qu’on espère12 préféré… Aussi, n’est-il pas insensé de considérer que CL/ ». De facto, les créations CL/UM se présentent (au public) UM a l’ambition de se constituer en intellectuel collectif comme des agencement de sons, de bruits, de cris, de (Togliatti), en centre contre-hégémonique de création songes, de réflexions, c’est-à-dire l’expression multiple de artistique, en « Art Ensemble » critique qui, de fait, n’a eu de pensées en acte dont le souci tient à la nécessité critique cesse d’œuvrer, sur une période presque quadragennale, de la conscientisation et de l’émancipation. Depuis leur à faire vivre un « pays » en tentant de mettre en capacité persévérance à organiser stages, Uzestivals, hestejadas de les individus présents dans son périmètre d’action, à s’y las arts, etc., les œuvriers « d’ici d’en bas » écrivent, à leur inventer. À Uzeste, CL/UM joue en quelque sorte le rôle manière, le manifeste qu’évoque Alain Brossat à propos des du Parti chez Gramsci : organisation pratique et idéologie Écrits corsaires de Pasolini, une sorte d’Uzeste manifeste générale de résistance. Il tente de provoquer un intérêt et « en faveur de la défense des espaces politiques, des un engagement politiques de ses adhérents, publics et formes politiques (le débat, la polémique, la lutte) contre concitoyens, d’en faire des intellectuels capables d’exercer l’indifférenciation culturelle. Contre le régime généralisé sur leur vie et les collectifs auxquels ils participent, des de la tolérance culturelle 13 ». fonctions organisationnelles, éducatives, intellectuelles allant dans le sens de la réalisation de soi et de celle du plus grand nombre. CL/UM fait vivre et prospérer un espace Le « pack » CL/UM résiste et proteste donc depuis cet de construction de résistances qui offre les conditions objectif politique, dresse le « procès du monde réel » selon de possibilité d’une intellectualité nouvelle, d’un pouvoir les mots d’André Breton et tente de fertiliser l’imaginaire culturel populaire pouvant conduire à une réforme pour en faire une arme d’intervention sur la réalité sociale. intellectuelle et morale (Renan), donnant donc les moyens À l’instar de ce qu’avance Édouard Glissant quant à la prise d’une conscience politique élargie. S’opposant notamment de conscience du peuple antillais, Bernard Lubat mène, aux intellectuels traditionnels, petits fonctionnaires des à Uzeste, une révolution culturelle, c’est-à-dire conduit « superstructures sociales, politiques et culturelles qui, à un combat pour déclencher la participation initiative de Uzeste et en ses entours, ressemblent pour une bonne part tous à une expression réellement collective14 ». Le théâtre à ces intellectuels moyens du « bloc agricole » que Gramsci du poète martiniquais et la « mosique » de l’Amusicien décrivait dans son étude sur la région du Mezzogiorno d’UZ se fondent, il est vrai, sur des attendus relativement (techniciens et fonctionnaires publics, élus locaux, identiques : bourgeois ruraux exerçant des professions libérales, etc., commis organiquement reliés aux propriétaires fonciers, dont le vote est conservateur, mais qui se vivent comme – se dégager des « folklores vécus » pour se diriger vers une indépendants du groupe social dominant et représentants conscience représentée de soi, une expression du peuple d’une continuité historique), les œuvriers-tauliers de CL/ ; proposer une critique globale des situations vécues et UM apparaissent, en contrepoint, comme les intellectuels subies ; organiques d’un combat politique visant la construction critique des individualités et des subjectivités uzestoises. – l’articuler à des dynamiques collectives visant des changements concrets : un peuple politique qui agit15 ; En s’appuyant toujours sur le philosophe sarde, on peut considérer que les « poly-vaillants » de CL/UM essaient de mettre en œuvre un front culturel en faisant travailler « – « ne revêtir aucun caractère d’apparat social mais être moment artistique » et « moment politique » : d’une part, doté de solennité populaire16 » : se prendre au sérieux. « en donnant aux artistes avec lesquels ils (se) produisent, À Uzeste, la meilleure des accusations c’est “Pour qui vous la conscience de leur propre fonction critique dans les prenez-vous ?”, comme si nous ne pouvions pas nous domaines économique, politique et social ; d’autre part, en prendre. Mais bien sûr, nous nous prenons ! Nous nous en essayant de construire, par leurs activités artistiques, une prenons plein la gueule, mais nous nous prenons. Nous volonté collective de « formation polyvalente de l’individu aussi nous sommes des intellectuels » ; », en faisant prendre conscience au peuple qui manque (Deleuze/Glissant), qu’il a la responsabilité de s’inventer, car chaque homme est bien « un “philosophe”, un artiste, un – partir des existences concrètes pour y puiser les cadres homme de goût, il participe à une conception du monde, il a formels d’un art à produire et à théoriser depuis une une ligne de conduite morale consciente, donc il contribue critique interne. à soutenir ou à modifier une conception du monde, c’est- à-dire à faire naître de nouveaux modes de penser17 Bernard Lubat a aussi lu Gramsci – certaines des pensées du ». Les activités de CL/UM proposent, ainsi, des actes de philosophe italien sont, en bonne place, reproduites sur la parole « pro-vocateurs » constituant les aspects sensibles façade de l’Estaminet. Peut-être est-ce même son batteur et théoriques du lien critique théorie-pratique. Toutefois, de la même manière que les culturèmes marchandisés

- 36 - ne sont pas directement aliénants ou réifiants, en tant l’initiative d’une volonté collective permettant d’unir ses qu’ils auraient des effets plus ou moins directs sur les publics, soutiens et concitoyens autour d’une conception comportements – mais sont agissants en tant qu’ils font du monde qui, en l’occurrence, ne relève pas d’un plutôt correspondre des dispositions utiles à la rationalité programme politique d’ensemble, mais d’un programme d’un système (sensibilités, valeurs, manières de penser, etc.) micropolitique d’individuation pour chacun et dont avec des productions symboliques qui les maintiennent l’improvisation serait en quelque sorte l’attitude décisive, en quelque sorte actives18–, la culture populaire ne l’acte libérateur par excellence. Pour Bernard Lubat, peut être immédiatement émancipatrice. On « ne passe l’improvisation est une proposition incontestablement pas de la vision d’un spectacle à une compréhension politique en ce qu’elle appelle une attitude qui conduit du monde et d’une compréhension intellectuelle à une à la transformation de soi et, idéalement, de son décision d’action19 ». Les effets attendus d’une culture en environnement social ; une proposition qui est faite « à des résistance relèvent également de la mise en résonance de populations macérées de devenir un peuple à inventer ». ferments ou de penchants critiques avec des esthétiques, L’intellectuel collectif est censé unir la pensée et l’action, des pratiques et des théories qui en maintiennent ou en élaborer une pédagogie et organiser la lutte collective. développent l’efficience, en en faisant des ressources au CL/UM s’y livre avec grande efficacité en ces situations principe desquelles se créent des relations sociales, des très particulières, liées aux attaques étatiques qui visent mobilisations, des identités collectives, des raisonnements, à retirer à l’artiste une partie toujours plus grande de sa des désirs, etc., susceptibles de s’opposer à l’hégémonie capacité à mettre en œuvre le processus de production dominante. La terre arable composée de critiques duquel il relève. Les hestejadas, par deux fois en grève, ont esthétiques, théoriques et sociales a besoin, pour produire par exemple, en ces occasions, mobilisé et fédéré autour des résistances désindividualisées, d’être fertilisée par un des « artistisants » uzestois développant une critique du autre politique qui organise, tranche et met en marche. grand partage entre travail intellectuel de conception et travail manuel d’exécution, cette division sociale du travail qui institue une séparation entre ceux qui sont censés Bernard Lubat a pleinement conscience, dans le sillage savoir/parler/représenter/décider et ceux qui ignorent/ de l’auteur des Cahiers de prison, que si l’orientation se taisent/sont représentés/subissent. Mais en dehors de la culture intellectuelle et morale est l’un des leviers de ces périodes de conflictualité sociale spécifiques, de l’organisation du changement social, les luttes qui y qui organisent le collectif autour du travail artistique et prennent corps sont des plus difficiles à mener, indexées produisent des modes de subjectivation singuliers par qu’elles sont à un bloc historique, notamment constitué l’invention d’une unité, la résistance d’UZ entend plutôt de rapports socio-économiques et d’appareils d’État instaurer des logiques individuelles de subjectivation (de gouvernance territoriale). Le défi d’organiser la vie critiques. Si ces dernières restent articulées à un collectif quotidienne à partir d’un sens commun constitué de pour celles et ceux qui évoluent au sein de CL/UM (artistes, valeurs alternatives et d’édifier une émancipation par la techniciens, etc.), elles relèvent, en dehors de cette culture des arts à l’œuvre n’est donc, de fait, répétons-le, communauté professionnelle relativement restreinte, pas simple à relever, tant il est difficile de faire avancer les de processus individuels de libération qui ne participent consciences, depuis cet engagement dans l’art, par-delà d’aucun appareil contre-hégémonique susceptible de les les bases réelles de la vie sociale. La constitution d’une faire converger en une puissance sociale plus générale. La société civile uzestoise/sud-girondine fondée sur des formation de l’individu par l’élévation de la conscience et cohésions et des solidarités de groupe nouvelles, se heurte la culture des imaginaires personnels, les micro-résistances aux hégémonies locales organisant le consentement d’un quotidiennes et les détournements spontanés du pouvoir nombre non négligeable d’habitants aux valeurs et à en ses marges sont une (bonne) chose ; l’organisation des l’arbitraire culturel de l’ordre social hérités de la ruralité de diverses subalternités uzestoises en un ensemble politique servage/métayage et retravaillés par l’idéologie des classes cohérent et agissant à une échelle collective, et non plus dominantes actuelles. Toutefois, cette servitude structurée seulement individuelle, en est une autre. par le poids des identités ataviques et des mythologies marchandes se voit également fragilisée par la « cultivature » de capacités de résistance. La connivence culturelle La dialectique organique qui instaure une relation entre les groupes locaux, dominants et subalternes, qui pédagogique réciproque entre l’intellectuel collectif qui naturalise et légitime des rapports sociaux largement apprend de ceux auxquels il s’adresse et qu’il « instruit » asymétriques, est mise à mal par la guerre de position dans le même mouvement semble à tout le moins délicate que mène Bernard Lubat et ses œuvriers, même s’il faut à instituer : « ce processus d’unification est long, difficile, constater que celle-ci n’a pas conduit à une crise profonde plein de contradictions, de marches en avant et de retraites, et durable de l’hégémonie locale. de débandades et de regroupements20 ». Le cas uzestois illustre bien cet embarras à unifier les intérêts et le champ d’action privilégié (artistique) des pratiques de résistance CL/UM n’est arrivé que partiellement à se trouver à de l’intellectuel collectif CL/UM avec ceux des sujets

- 37 - sociaux qu’il « représente », en un « bloc socioculturel ». porter des subjectivités rebelles qui nécessitent d’être Pour fonctionner, la relation doit être organique, composée prise en compte pour s’accomplir. de sentiments (« régionaux-populaires ») partagés, nourrie de passions conjointes et d’analyses communes. C’est à ces conditions seulement que des formes collectives de En tant qu’intellectuel collectif, CL/UM propose bien un « résistance, de « nouvelles façons de sentir, penser et vivre faire ensemble » politique, mais dont les acteurs principaux » peuvent être envisagées en lien avec une stratégie de sont pour l’essentiel constitués des « artistisants » uzestois changement social de portée collective : et de leurs publics. Dans ce cadre, se développe sans nul doute un modèle-du-devenir-soi-en-commun23 – qu’il faudrait analyser précisément au regard des formes L’erreur de l’intellectuel consiste à croire qu’on peut d’individuation issues des relations entre artistes et entre savoir sans comprendre et surtout sans sentir et sans être artistes et publics24–, mais celui-ci ne sort pas des limites passionné (non seulement du savoir en soi, mais de l’objet d’une configuration artistico-centrée. On peut faire, à du savoir) c’est-à-dire à croire que l’intellectuel peut être l’instar du projet lubatien, l’hypothèse que ce qui est un véritable intellectuel (et pas simplement un pédant) expérimenté dans ce cadre puisse servir de modèle ou de s’il est distinct et détaché du peuple-nation, s’il ne sent ferments à d’autres processus de libération/singularisation, pas les passions élémentaires du peuple, les comprenant, mais il s’agit là d’un pari dont le dénouement positif les expliquant et les justifiant dans la situation historique semble ne pouvoir se passer d’un politique qui tranche déterminée, en les rattachant dialectiquement aux lois de précisément entre les possibles. Or le politique dont il l’histoire, à une conception du monde supérieure, élaborée est ici question ne saurait se contenter d’être celui de la suivant une méthode scientifique et cohérente, le « savoir mise en « sCène » de la représentation de la liberté et de » ; on ne fait pas de politique-histoire sans cette passion, la « résurrection de soi ». La création artistique libre et c’est-à-dire sans cette connexion sentimentale entre collective dessine bien les contours d’une politique de intellectuels et peuple-nation. En l’absence d’un tel lien, les l’individuation par la confrontation à la différence de l’autre/ rapports de l’intellectuel avec le peuple-nation se réduisent de soi. Elle ouvre effectivement des espaces locaux et à des rapports d’ordre purement bureaucratique, formel ; momentanés d’autonomie ; elle enjoint à un engagement les intellectuels deviennent une caste ou un sacerdoce dans et par la pratique, mais diffère la question – qui n’est (qu’on baptise centralisme organique). Si le rapport entre pas, à proprement parler, de son ressort –, de la mise en intellectuels et peuple-nation, entre dirigeants et dirigés disposition de cet engagement et de son éventuel déport – entre gouvernants et gouvernés – est défini par une vers des situations et des épreuves relevant d’autres adhésion organique dans laquelle le sentiment-passion domaines que celui de l’art, et pouvant conduire à des devient compréhension et par conséquent savoir (non formes libératoires plus générales et pérennes. Si des pas mécaniquement, mais d’une manière vivante), on a changements dans l’ordre intérieur des corps (des artistes alors, et seulement à cette condition, un rapport qui est de et auditeurs) sont à l’œuvre, de quelle manière viennent-ils représentation et c’est alors qu’a lieu l’échange d’éléments heurter l’ordre extérieur des choses ? Par ailleurs, CL/UM individuels entre gouvernés et gouvernants, entre dirigés ne peut prétendre (et il n’en a pas la prétention !) produire et dirigeants, c’est-à-dire que se réalise la vie d’ensemble ou porter à lui seul les esthétiques et identités culturelles qui seule est la force sociale ; c’est alors que se crée le « naissant des mobilisations « d’ici d’en bas ». bloc historique »21.

Aussi, l’unité entre les subalternités uzestoises débouchant Pour Gramsci, le « nouvel intellectuel » doit ainsi se mêler sur du politique conçu comme forme élaborée d’échange concrètement de la vie pratique en tant qu’organisateur culturel ne saurait faire l’économie d’alliances, d’ententes, et non simplement en tant que producteur de « discours de compréhension mutuelle, seules capables de » sur cette vie ou simplement articulé à celle-ci. L’artiste, permettre la création de ce substrat idéologique/éthique en tant qu’il endosse le rôle d’intellectuel organique doit conduisant à la formation locale d’un nouveau bloc contre- développer des pratiques concrètes d’organisation de la hégémonique. Celui-ci s’organise sur un plan idéologique vie quotidienne depuis son propre espace de production, autour de la question de l’exercice du pouvoir culturel, mais aussi depuis d’autres lieux de la vie sociale qu’il lequel ne saurait être, à Uzeste, le fait unique de l’art et entend mobiliser à sa cause. Sa participation à la mission des œuvriers de CL/UM, bien que ces derniers y jouent à de promotion d’une réforme intellectuelle et morale l’évidence le rôle le plus central et qu’il s’agit donc de les visant à faire accéder le plus grand nombre au statut envisager depuis cette hauteur de vue : « Toute action d’intellectuel « en brisant l’ancienne subordination du culturelle doit ouvrir ici à l’action politique, seule en mesure peuple à la culture traditionnelle et en le réconciliant avec de réaliser cette union des foyers, implicites ou déclarés, de sa propre culture22 », ne porte qu’à la condition de tenir résistance. [Et] l’action politique ne sera capable d’opérer compte de formes de conscience préexistantes, lesquelles une telle jonction qu’à partir des analyses assemblées dans ne sont pas seulement subordonnées, mais peuvent aussi une théorie de ce réel25. »

- 38 - ? Plus spécifiquement, le sensible que produit CL/UM est-il en adéquation avec les subalternités populaires uzestoises L’organicité se travaille dans un partage du sensible26, ? Pas nécessairement, puisque ce décalage est précisément dans l’épreuve d’un mode d’être au monde commun qui théorisé comme essentiel à la provocation d’une rupture est apporté par le fait de partager les réalités d’une même dispositionnelle avec les goûts et cultures dominants. localité, mais elle doit aussi s’enraciner plus profondément Toutefois, de par les imaginaires qu’il ouvre, peut-on dans les existences, les aspirations et les problèmes penser qu’il intensifie le présent par des possibles dont ces individuels et collectifs. Aussi, l’expérience politique subalternités peuvent se saisir ? CL/UM se trouve-t-il en ne saurait dissocier sensibilité et savoir27 : l’inscription capacité de porter le répertoire varié des revendications d’un sens critique dans la communauté ne peut en effet uzestoises ? A priori, pas davantage, dans la mesure où s’envisager sans la médiation d’un vécu sensible dont ce sont les mondes de l’art qui l’occupent en premier lieu l’art peut évidemment être un véhicule utile, permettant et qu’il envisage l’artiste comme figure emblématique d’instaurer du jeu – i.e. de l’imaginaire en composition du résistant. Sa position d’intellectuel collectif tend à lui avec un futur –, dans le rapport qu’entretient le perçu et faire endosser le battledress du combattant montant le pensé et que les logiques hégémoniques tendent à au front (culturel), mais sa vocation est moins celle d’un fixer dans un consensus qu’elles naturalisent. LeRoi Jones formalisateur des expériences de lutte collectives que insiste par exemple sur le fait que la musique « est le fruit celui d’un opérateur précieux d’individuation critique de la pensée. D’une pensée parachevée dans ce qu’elle a qui arme les fantassins d’un équipement intellectuel de plus empirique, c’est-à-dire transformée en attitude ou et sensible (une micro-politique), mais n’organise ni ne état d’esprit ». Aussi, ajoute-t-il, il s’agit de « considérer la dirige stratégiquement les armées que ceux-ci pourraient musique [noire] comme le produit de certains modes de constituer : « logique émancipatrice de la mise en capacité pensée spécifiques appliqués au monde (et seulement » et formation d’une nouvelle personnalité, davantage que par la suite aux moyens de créer de la musique)28 ». La « logique de la captation collective »29 et formation d’une musique se présente donc, selon Jones, comme une forme nouvelle direction. « La guerre de l’art plutôt que l’art de la d’expression sensible de la raison, une transcription dont guerre » aime à répéter Bernard Lubat ! il faut questionner l’efficacité avec laquelle celle-ci joue son rôle de représentante de la vision du monde (de la préoccupation fondamentale) dont elle est le précipité. Avec l’aimable autorisation de l’auteur, Fabien Granjon. La musique peut être critique dans ses formes sur le plan Orignellement paru dans Les UZ-topies de Bernard Lubat, strictement esthétique, mais cette charge spécifique la paru chez Outre Mesure (coll. « Jazz en France » – 2016). rend-elle critique au regard d’autres champs de l’existence Période, Fabien Granjon, http://revueperiode.net/luzeste-de-bernard-lubat-un-front-culturel-de-resistance-populaire/

- 39 - Sommaire

Biographie...... 5

Uzeste un « art-vivre »...... 9 Uzeste de folie...... 11 L'Express, Paola Genone, le 18.08.2009

Bernard Lubat fait du hors piste à Uzeste...... 12 Libération, Dominique Queillé, 16.12.2014

Le tourbillon des arts agite le Sud-Gironde...... 12 Sud Ouest, Pierre Lacourrèges, 16.08.2016

L'artiste Lubat en odeur de sainteté au Printemps d'Uzeste musical...... 13 Sud Ouest, 3.05.2010

Le film « Lubat père et fils », ode radieuse à la transmission...... 13 L'Humanité, Fara C, 22.04.205

Passage de relais paternel...... 14 Sud Ouest, Mario Bompart, 23.08.2012

Trace de liberté...... 15 Sud Ouest, Yann Saint-Sernin, 12.08.2015

L’anticapitalisme et l’institution...... 17 Bernard Lubat « Ici, on invente de la musique à vivre »...... 19 L'Humanité, Alain Raynal, 1.08.2016

Uzeste musical, un ring de liberté...... 21 L'Humanité, Alain Raynal, 24.08.2015

Los Gojats, figures libres...... 22 Sud Ouest, Mario Bompart, 22.08.2012

Le Jazzbal gasconcubin de Bernard Lubat...... 23 Sud Ouest, Olivier Escots, 25.12.2008

Lubat, le militant d'un jazz truculent...... 24 Sud Ouest, Fabien Rabatel, 31.03.2010

Résistance, optimisme ou pessimisme ?...... 25 L’utopie comme antidote à la catastrophe...... 26 Sud Ouest, Cécile Fréchinos, 21.08.2009

Une liberté musicale sans aucune concession...... 27 Sud Ouest, Olivier Rescots, 22.02.2009

Un festival contre l’industrie de la culture...... 28 Sud Ouest, Cécile Fréchinos, 23.08.2009 La compagnie Lubat entre en résistance...... 29 Sud Ouest, Pierre Lascourrèges

L’Uzestival réinitialise les vertus du débat politique...... 30 Sud Ouest, Pierre Lascourrèges, 23.12.2009

Et maintenant, « Debout les œuvriers ! » ...... 31 L'Humanité, Pierre Chaillan, 28.07.2016

Bernard Lubat : « Nous improvisons avec de la pensée libre »...... 32 L'Humanité, Alain Raynal, 14.08.2014

L’Uzeste de Bernard Lubat : un front culturel de résistance populaire...... 34 Période, Fabien Granjon, http://revueperiode.net/luzeste-de-bernard-lubat-un-front-culturel-de-resistance-populaire/