Françoise Van Haeperen

AUSPICES D’INVESTITURE, LOI CURIATE ET LÉGITIMITÉ DES MAGISTRATS ROMAINS

Dans un ouvrage paru en 1968 (Recherches sur l’. La loi curiate et les auspices d’investiture), A. Magdelain proposait une reconstitution serrée de l’accession au pouvoir des magistrats romains, autour de la loi curiate, des auspices d’investiture et de l’imperium1. L’élection des magistrats ne constituait, selon lui, qu’un choix. L’attribution des pouvoirs – imperium et auspicium – dépendait des comices curiates, réunis par un des consuls sortants, avant le jour d’entrée en fonction des futurs consuls. Dotés de leur loi curiate et des pouvoirs qu’elle leur conférait, ces derniers pouvaient dès lors, à l’aube de leur entrée en charge, demander l’approbation de Jupiter, autrement dit prendre leurs auspices d’investiture. Le titre du présent article reprend, en les inversant, deux des éléments du titre du livre du savant français. Un examen attentif des sources et une orientation méthodologique différente m’ont en effet conduite à suggérer une interprétation nouvelle de la loi curiate ; un de ses aspects réside dans l’antériorité des auspices d’entrée en charge par rapport à la lex curiata, ces deux actes restant cependant intimement liés. Rappelons brièvement que les curies correspondent à la plus ancienne division du peuple romain. Au nombre de trente, elles étaient chacune dirigées par un curio et servaient de cadre aux plus anciennes assemblées romaines. Elles auraient toutefois perdu une bonne part de leurs attributions au profit des comices tributes et centuriates. Si tout citoyen était inscrit dans une curie, il semblerait qu’une partie d’entre eux ne connaissaient plus la leur à l’époque d’Auguste. Les curies ont cependant conservé tout au long de la République, et même sous l’Empire, des attributions en matière religieuse (certaines fêtes leur sont spécifiquement dévolues) ainsi que des compétences en matière de

1. Magdelain 1968, passim, p. 12, 16. Cet article a bénéficié des commentaires de J. Scheid et d’un relecteur anonyme, que je remercie. Errors are mine.

Cahiers Glotz, XXIII, 2012, p. 71-112. 72 Françoise Van Haeperen droit familial (testament et adoptions). Les comices curiates étaient également amenés à voter la loi curiate des magistrats2. Cette loi qui, selon les modernes, confirmait ou attribuait les pouvoirs des consuls et des autres magistrats est l’une de celles qui ont provoqué le plus de maux de têtes parmi les spécialistes du droit et de l’histoire romaine3. Elle reste particulièrement difficile à traiter, pour diverses raisons. D’une part, les sources qui la mentionnent sont assez peu nombreuses, peuvent sembler contradictoires et demeurent fort laconiques, dans la mesure où leur objectif premier n’est pas de présenter la loi curiate dans les détails4. D’autre part, la loi curiate des magistrats a fait l’objet d’un grand nombre de théories modernes, dont aucune ne semble émerger même si l’on distingue certaines tendances en fonction des époques. Un état de la question en a récemment été dressé par B. Stasse5 ; je ne reprendrai donc pas le détail des diverses hypothèses. Rappelons simplement quelques grandes tendances. À la suite de Th. Mommsen, plusieurs savants ont interprété cette loi comme une sorte de serment d’allégeance des curies : « la proposition était habituellement adressée au peuple par le magistrat même dont les pouvoirs devaient être confirmés […] lorsqu’il possédait le droit d’agir avec le peuple, tandis qu’elle était faite par les magistrats supérieurs pour ceux à qui ce droit faisait défaut ». Cet acte avait généralement lieu « immédiatement après leur entrée en fonction […]. On ne peut pas le regarder comme une loi en forme ; c’est plutôt un engagement à la formation duquel les citoyens ne peuvent se refuser en face d’un magistrat régulièrement arrivé à ses fonctions ; et c’est pour cela qu’il suit nécessairement l’entrée en fonctions. […] Rigoureusement cet acte ne donne au magistrat aucun pouvoir qu’il n’ait déjà »6. Se détachant de l’autorité de Mommsen, d’autres savants ont défendu l’idée que la lex curiata octroie au magistrat partie ou totalité de ses pouvoirs : imperium et imperium militiae7 (pour les magistrats supérieurs) et/ou auspicium8, ou encore auspicium ‘militiae’9 – diverses nuances étant apportées à la palette de ces interprétations. Certains maintiennent cependant que la lex curiata ne représente qu’une simple confirmation des pouvoirs que les magistrats détiennent dès l’élection10, cet acte leur conférant cependant une « forme supplémentaire de reconnaissance »11. Ce rapide aperçu suffit pour illustrer la multiplicité des hypothèses, dont aucune ne semble avoir emporté l’adhésion, ceci s’expliquant en partie par le fait que les sources – peu nombreuses et en apparence parfois contradictoires – peuvent

2. Voir Cornell 1996, p. 414 ; Linke 2003. 3. Vaahtera 2001, p. 120 ; Brennan 2000, p. 18. 4. Kunkel 1995, p. 96. 5. Stasse 2005. 6. Mommsen 1887, p. 609-611 ; Mommsen 1892, p. 279-281 ; dans le même ordre d’idée, avec des nuances : Botsford 1909, p. 183-200 ; Siber 1937 ; De Martino 1972, p. 155-159. 7. Heuss 1944 ; von Lübtow 1952 ; Bleicken 1981, p. 269-275 ; Hermon 1982 ; Rüpke 1990, p. 49-51. 8. Staveley 1956 ; Develin 1977 ; Humm 2012. 9. Catalano 1960, p. 431 ; Bleicken 1981, p. 271 ; Giovannini 1983, p. 52 ; Brennan 2000, p. 18-20. 10. Rüpke 1990, p. 50-51.

11. Nicholls 1967 ; Stasse 2005, p. 400. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 73

faire l’objet d’interprétations fort divergentes12. Notons aussi à ce propos que plusieurs chercheurs n’ont pas hésité à disqualifier des témoignages antiques ne rentrant pas dans le schéma qu’ils proposaient13. Un autre biais méthodologique peut être souligné : nombreux sont les savants à avoir tenté de reconstituer la loi curiate des origines ou à avoir interprété la loi curiate en fonction d’origines ou d’un lointain passé royal ou républicain, comme un vestige mal compris d’une institution archaïque14. Il s’agissait pour eux d’expliquer la loi curiate en référence aux origines de Rome et à l’évolution supposée des institutions et de l’attribution du pouvoir. Mais, on le sait, l’étude des origines de Rome – et plus particulièrement encore de ses institutions – se heurte à un écueil fondamental : les textes littéraires qui y sont consacrés ont été écrits de nombreux siècles après les événements qu’ils sont censés relater ; il apparaît désormais clairement à bon nombre de savants que ces textes sont avant tout le reflet des conceptions que les Romains avaient de leurs origines mais qu’ils peuvent difficilement nous fournir des renseignements utiles sur les institutions de la Rome royale. Si les recherches des dernières décennies ne permettent pas de dégager un consensus, elles ont cependant réhabilité un texte fondamental de l’augure Messala, transmis par Aulu-Gelle. Ce passage avait longtemps été considéré comme corrompu et a, dès lors, été manipulé, afin de correspondre aux théo- ries défendues par ses pourfendeurs. Depuis la démonstration d’A. Magdelain, l’interprétation de ce passage semble acquise (même par ceux qui ne suivent pas le savant français sur d’autres points de sa théorie)15. également fondamentaux pour la discussion, deux passages du discours De lege agraria, prononcé par Cicéron en 63 au début de son consulat, continuent de poser problème. L’Arpinate y affirme que les comices curiates ont été conservés auspiciorum causa. Ces textes peuvent, me semble-t-il, recevoir un tout nouvel éclairage, si on les examine à la lumière de la prise d’auspices initiale des magistrats. Sur cette base, il est dès lors possible de revisiter l’ensemble du dossier relatif à la lex curiata. Pour ce faire, je me détacherai de la question des origines réelles ou supposées de la lex curiata. Je ne traiterai cette dernière qu’aux époques pour lesquelles elle est documentée par des sources fiables (grosso modo à partir de la fin du iiie s. a.C.). Il n’en reste pas moins que les sources relatives aux origines de la lex curiata sont tout à fait intéressantes : elles reflètent en effet les représentations que les Romains se font de leur passé – un passé qui peut en quelque sorte servir de mythe étiologique pour expliquer le présent. Ce type de démarche s’est déjà révélé fructueux pour une série d’enquêtes – portant notamment sur les sacerdoces romains16. Il a par contre très rarement été appliqué à la lex curiata,

12. Voir Giovannini 1983, p. 49 : « ces textes semblent tellement contradictoires qu’on comprend sans peine la perplexité des savants ». 13. Voir par ex. Magdelain 1968, p. 31 : à propos de la manière dont Cicéron rend compte de la loi curiate : « Ces élucubrations ne font pas honneur à Cicéron ou à sa source ». Develin (1977, p. 50, 52) se montre beaucoup plus respectueux des textes ; voir le paragraphe ci-dessous à propos du texte de Messala. 14. Voir par ex. Catalano 1960, p. 415-437 ; La Rosa 2000 (et bibliographie citée). 15. Brennan 2000, p. 19 ; Humm 2012, p. 65-66 ; voir infra p. 81-82.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 16. Scheid, 1990, p. 14-17 ; Van Haeperen 2002, p. 11-45. 74 Françoise Van Haeperen malgré cette remarque très pertinente de E. Badian, réagissant à un article de A. Giovannini : les récits sur la loi curiate des rois « ont été modelés sur la pratique des consuls romains, à l’époque où ils ont été inventés ; et, effectivement, il semble que les consuls aient agi de cette manière »17. De même, nous le verrons, la prise d’auspices de , précédant son accession au pouvoir, permet à Denys d’Halicarnasse de rendre compte de pratiques toujours d’actualité à son époque. Il me paraît en outre essentiel d’éviter de disqualifier telle ou telle source du dossier, sous prétexte qu’elle ne rentrerait pas dans une théorie préétablie. Je souhaite davantage les « com-prendre », en traitant l’ensemble de la documentation : celle-ci permet-elle de dégager une cohérence globale ? Chaque pièce du dossier peut-elle s’éclairer à la lumière des autres, si l’on adopte la perspective que je proposerai à la suite de mon interprétation des passages de Cicéron mentionnés ci-dessus ? Afin d’aborder sous un nouvel angle la lex curiata, un détour par les auspices que devait prendre un magistrat entrant en fonction se révèle utile. Comme l’avaient perçu Th. Mommsen et A. Magdelain, loi curiate et auspices d’investiture représentent deux facettes, profondément liées, de l’accession au pouvoir des consuls, même si ce rapport a souvent été négligé dans les études sur la loi curiate.

Prise d’auspices initiale

Le jour de son entrée en charge, le futur consul prenait, à l’aube, les auspices. Cet acte était fondamental, à tel point que l’expression auspicari consulatum et plus largement auspicari en vint à signifier « initier, commencer »18. Pourtant, les sources s’y rapportant sont rares. Seul l’historien d’époque augustéenne, Denys d’Halicarnasse, fournit un récit détaillé de ce rite qui fut institué par le premier roi de Rome19 – rappelons que ce n’est pas l’historicité de l’épisode qui nous intéresse mais bien l’image théorique d’un rite qu’il donne à voir, en le situant aux origines. Après que les Romains eurent choisi comme forme de gouvernement la royauté, Romulus déclara qu’il

« n’assumerait pas [cette fonction] tant que la divinité n’aurait pas à son tour confirmé leur choix par un présage favorable »20. Il choisit dès lors « un jour au cours duquel il se proposait de prendre les auspices au sujet de son règne. Lorsque le moment fut

17. Badian 1990, p. 467. Sur la base de ces considérations, il juge inconcevable que les consuls aient été dépourvus des auspicia quand ils présentaient leur lex curiata (censée, selon A. Giovannini, conférer les auspices). 18. Ps.-Ascon., p. 247 éd. Stangler : auspicari dicuntur ineuntes magistratus ; Val. Max., 4, 4, 1 ; 8, 15, 8. 19. Pour une analyse détaillée du passage, Vaahtera 2001, p. 113-120. 20. Dion. Hal. Ant. 2, 4, 2 : οὐ μέντοι γε λήψεσθαι τὴν τιμὴν πρότερον, ἐὰν μὴ καὶ τὸ δαιμόνιον ἐπιθεσπίσῃ δι´ οἰωνῶν αἰσίων. (trad. V. Fromentin, J. Schnäbele, La Roue à Livres,

1990). 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 75

venu, il se leva au point du jour et sortit de sa cabane21. Il se plaça en plein air, en un lieu bien dégagé, et procéda au sacrifice préalable que réclamait le rite. Puis il invoqua Zeus Basileus et les autres dieux qu’il avait choisis comme protecteurs de la colonie, les priant, s’ils approuvaient qu’il fût roi de la cité, de faire paraître dans le ciel quelque signe favorable. Après cette prière, un éclair parcourut le firmament de la gauche vers la droite (…). Ayant ainsi obtenu de la divinité la confirmation de son choix, Romulus convoqua le peuple en assemblée, lui fit part des auspices, et tous le proclamèrent roi »22.

La prise d’auspices concerne donc le pouvoir de celui qui les prend. Jupiter doit marquer par un signe favorable son approbation sur le choix fait par la communauté des citoyens. Une fois confirmé par Jupiter, Romulus réunit le peuple pour lui communiquer ce résultat positif et est proclamé roi. Denys poursuit en précisant que Romulus établit « une coutume selon laquelle nul n’assumerait la royauté, ni aucune autre charge, si la divinité ne confirmait à son tour le choix par quelque présage »23. Cette pratique relative aux auspices, continue-t-il, fut maintenue « pour l’élection des consuls, des préteurs et des autres magistrats prévus par la loi ». Outre les magistrats supérieurs, les autres (sans qu’on puisse cerner précisément lesquels) sont donc aussi concernés par la prise d’auspices initiale, visant à demander à Jupiter s’ils lui « agréent comme magistrats »24. Toutefois, ajoute l’historien, « de nos jours ils ont cessé de l’observer, mais en ont conservé la forme par égard pour son caractère sacré ». Cette dernière précision n’est guère évidente à comprendre à première vue. Elle gagne, me semble-t-il, à être mise en rapport avec une observation de Cicéron : « Allons, ne penses-tu pas que ceux qui prenaient les auspices observaient eux-mêmes le ciel ? Maintenant, ils en donnent l’ordre au pullaire ; il annonce un éclair à

21. Le terme grec utilisé, σκηνῆς, désigne selon toute vraisemblance le tabernaculum (Vaahtera 2001, p. 114). 22. Dion. Hal. Ant., 2, 5, 1-2 ; 2, 6, 1 : [2,5] V. 1. Ὡς δὲ κἀκείνοις ἦν βουλομένοις προειπὼν ἡμέραν, ἐν ᾗ διαμαντεύσασθαι περὶ τῆς ἀρχῆς ἔμελλεν, ἐπειδὴ καθῆκεν ὁ χρόνος ἀναστὰς περὶ τὸν ὄρθρον ἐκ τῆς σκηνῆς προῆλθεν· στὰς δὲ ὑπαίθριος ἐν καθαρῷ χωρίῳ καὶ προθύσας ἃ νόμος ἦν εὔχετο Διί τε βασιλεῖ καὶ τοῖς ἄλλοις θεοῖς, οὓς ἐποιήσατο τῆς ἀποικίας ἡγεμόνας, εἰ βουλομένοις αὐτοῖς ἐστι βασιλεύεσθαι τὴν πόλιν ὑφ´ ἑαυτοῦ, σημεῖα οὐράνια φανῆναι καλά. 2. Μετὰ δὲ τὴν εὐχὴν ἀστραπὴ διῆλθεν ἐκ τῶν ἀριστερῶν ἐπὶ τὰ δεξιά. (…) [2,6] VI. 1. Τότε δ´ οὖν ὁ Ῥωμύλος ἐπειδὴ τὰ παρὰ τοῦ δαιμονίου βέβαια προσέλαβε, συγκαλέσας τὸν δῆμον εἰς ἐκκλησίαν καὶ τὰ μαντεῖα δηλώσας βασιλεὺς ἀποδείκνυται πρὸς αὐτῶν. 23. Dion. Hal. Ant., 2, 6, 1-2 : καὶ κατεστήσατο ἐν ἔθει τοῖς μετ´ αὐτὸν ἅπασι μήτε βασιλείας μήτε ἀρχὰς λαμβάνειν, ἐὰν μὴ καὶ τὸ δαιμόνιον αὐτοῖς ἐπιθεσπίσῃ, διέμεινέ τε μέχρι πολλοῦ φυλαττόμενον ὑπὸ Ῥωμαίων τὸ περὶ τοὺς οἰωνισμοὺς νόμιμον, οὐ μόνον βασιλευομένης τῆς πόλεως, ἀλλὰ καὶ μετὰ κατάλυσιν τῶν μονάρχων ἐν ὑπάτων καὶ στρατηγῶν καὶ τῶν ἄλλων τῶν κατὰ νόμους ἀρχόντων αἱρέσει. 2. Πέπαυται δ´ ἐν τοῖς καθ´ ἡμᾶς χρόνοις, πλὴν οἷον εἰκών τις αὐτοῦ λείπεται τῆς ὁσίας αὐτῆς ἕνεκα γινομένη. 24. Mommsen 1892, p. 279. Un passage de Varron, extrait des tabulae censoriae, a parfois aussi été interprété comme se rapportant aux auspices d’entrée en charge des censeurs (Varro ling. 6, 86 : Mommsen 1889, p. 92 ; contra Magdelain 1968, p. 49-51 ; Linderski 1986, p. 2189, n. 157) ; il demanderait un examen approfondi. La prise d’auspices d’entrée en charge semble s’être répandue dans le monde romain, puisqu’une inscription d’Apisa Maior en Afrique représente un éclair avec l’inscription : deo loci,

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers ubi auspicium dignitatis tale. CIL VIII 774 ; Mommsen 1889, p. 92. 76 Françoise Van Haeperen gauche, que nous considérons comme le meilleur auspice pour tout, sauf pour les comices »25. Les magistrats entrant en fonction auraient ainsi cessé d’observer eux-mêmes le ciel, à l’aube de leur entrée en fonction, mais en auraient donné l’ordre à leur appariteur. La suite du récit, décrivant le déroulement du rite, autorise – me semble-t-il – une telle interprétation.

« Ceux qui s’apprêtent à revêtir une magistrature passent la nuit à l’extérieur, se lèvent au point du jour et prononcent en plein air certaines prières. On raconte que des ornithoskopoi présents, payés par l’état, leur indiquent un éclair venu de la gauche, un éclair qui n’a pas eu lieu. Les futurs magistrats acceptent sur parole ce présage et s’en vont assumer leur charge »26.

La majorité des traducteurs et commentateurs de ce texte reconnaissent des augures dans les ὀρνιθοσκόπων27. Si les auteurs grecs emploient fréquemment des dérivés de ionôs/ornis pour désigner ces prêtres romains, le substantif ornithoskopos est toutefois uniquement utilisé par Denys, et ce à deux reprises seulement28. La précision μισθὸν ἐκ τοῦ δημοσίου φερόμενοι invite également à la prudence. Les augures n’étaient pas, à notre connaissance, payés par l’état. Il conviendrait donc plutôt d’identifier ces ὀρνιθοσκόπων aux appariteurs, et plus précisément à des pullarii29. L’autre passage où Denys utilise le terme ornithoskopoi se rapporte à l’entrée en fonction de Numa : après avoir été choisi par le peuple et confirmé par les patriciens, « et, en dernier lieu, les augures ayant fait savoir que la divinité manifestait des signes favorables, il fut investi du pouvoir »30. Il faut noter que dans l’économie du récit de Denys, les augures sont créés par Numa, après son entrée en fonction31. Ceci explique sans doute pourquoi, il ne peut ou ne veut évoquer des augures sous le(s) terme(s) qu’il utilisera par la suite. Sans chercher à trancher si Denys fait allusion ou non à des auspices dans ce passage, relevons quelques éléments utiles pour notre propos :

25. Cic. Div. 2, 74 : Iam de caelo seruare non ipsos censes solitos, qui auspicabantur ? Nunc imperant pullario ; ille renuntiat fulmen sinistrum, auspicium optumum quod habemus ad omnis res praeterquam ad comitia (trad. J. Kany-Turpin, GF, 2004). 26. Dion. Hal. Ant. 2, 6, 2 : Ἐπαυλίζονται μὲν γὰρ οἱ τὰς ἀρχὰς μέλλοντες λαμβάνειν καὶ περὶ τὸν ὄρθρον ἀνιστάμενοι ποιοῦνταί τινας εὐχὰς ὑπαίθριοι, τῶν δὲ παρόντων τινὲς ὀρνιθοσκόπων μισθὸν ἐκ τοῦ δημοσίου φερόμενοι ἀστραπὴν αὐτοῖς μηνύειν ἐκ τῶν ἀριστερῶν φασιν τὴν οὐ γενομένην. 3. Οἱ δὲ τὸν ἐκ τῆς φωνῆς οἰωνὸν λαβόντες ἀπέρχονται τὰς ἀρχὰς (…). 27. Voir la traduction de V. Fromentin dans la Roue à Livres et celle de E. Cary (Loeb, 1968) ; Mora, 1995, p. 251-252. 28. Vaahtera 2001, p. 69. 29. Cic. Div. 2, 74. Voir déjà en ce sens, Mommsen 1889, p. 92, n.2 ; Wissowa 1912, p. 533, n. 3 ; Linderski 1986, p. 2191, n. 164 ; Vaahtera 2001, p. 69. 30. Dion. Hal. Ant. 2, 60, 3 : Ἐκκλησίας δὲ μετὰ τοῦτο συναχθείσης, ἐν ᾗ διήνεγκαν ὑπὲρ αὐτοῦ τὰς ψήφους αἱ φυλαὶ κατὰ φράτρας καὶ τῶν πατρικίων ἐπικυρωσάντων τὰ δόξαντα τῷ πλήθει καὶ τελευταῖον ἔτι τῶν ὀρνιθοσκόπων αἴσια τὰ παρὰ τοῦ δαιμονίου σημεῖα ἀποφηνάντων παραλαμβάνει τὴν ἀρχήν. Voir Liv. 1, 18, 9.

31. Dion. Hal. Ant. 2, 64. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 77

. des témoins sont présents à la prise d’auspices de Numa, comme à celle des magistrats évoqués dans le passage cité. Il s’agit très vraisemblablement d’appariteurs dans le second cas. . ces témoins jouent un rôle dans le cas de l’investiture de Numa, puisqu’ils rendent compte des signes positifs transmis par la divinité. . le recours à des appariteurs dans la prise d’auspices des magistrats (auquel fait référence Denys) semble correspondre à une évolution de pratique, si l’on en croit Cicéron : « Du temps de nos ancêtres, cet assistant était un expert », identifié à un augure, « maintenant, c’est n’importe qui »32.

Quoi qu’il en soit, l’historien grec, qui semble suivre une source excellente33, fournit donc un schéma théorique de la prise d’auspices initiale du futur magistrat. C’est uniquement après cette prise d’auspices et l’approbation des dieux, qu’il peut assumer sa charge. Et Denys est fidèle à son schéma théorique quand il décrit, dans la suite de son récit, l’accession au pouvoir des différents rois34, mais aussi des premiers consuls35. Après l’élection, la personne choisie par le peuple36 consulte les dieux en prenant les auspices ; si ceux-ci marquent leur approbation par un présage favorable, confirmant donc le choix des hommes, cette personne peut alors endosser les insignes de sa fonction, devenant ainsi magistrat. Denys insiste donc fortement sur le fait que roi ou magistrat doit être agréé et par les hommes et par les dieux. À propos de l’accession des rois au pouvoir, l’historien observe que si l’une des formalités vient à manquer – choix du meilleur par l’interrex, approbation du Sénat, confirmation par le vote du peuple, signes favorables des dieux –, un autre candidat est choisi et accède au pouvoir, à condition qu’il soit irréprochable aux yeux des hommes et des dieux37. Cette conviction bien ancrée apparaît également dans les réflexions qu’il propose à propos de la mort de Tullus Hostilius38. Celle-ci ne peut, selon Denys, être attribuée à son successeur, Ancus Marcius, comme le pensent certains. En effet, poursuit-il, à supposer qu’il ait été coupable et malgré tout choisi par les hommes ignorant son impiété, les dieux n’auraient pas confirmé un tel candidat à la royauté : « un homme impur et souillé du sang de tant de meurtres, lequel des dieux ou des divinités voudrait le laisser accéder aux autels (…) et accomplir

32. Cic. Div. 2, 71 : ‘Q. Fabi, te mihi in auspicio esse uolo’ ; respondet : ‘audiui’. Hic apud maiores adhibebatur peritus, nunc quilubet. En Div. 2, 72, Cicéron identifie formellement à un augure cet expert, capable de reconnaître le silentium nécessaire à la prise d’auspices. Voir Linderski 1986, p. 2191. 33. Mommsen 1889, p. 92, n.1 ; Magdelain 1968, p. 37 ; Vaahtera 2001, p. 114. 34. Dion. Hal. Ant. 2, 60, 3 (Numa) ; 3, 1, 3 (Tullus Hostilius) ; 3, 35-36 (Ancus Marcius) ; 3, 46, 1 (Tarquin l’Ancien) ; 4, 40, 2 (). 35. Dion. Hal. Ant. 4, 75, 2. 36. Plus précisément, sous la royauté, Denys présente le mode d’élection du roi de la manière suivante : l’interrex propose un candidat, qui est ensuite confirmé par le Sénat puis par le peuple. Servius Tullius rompt cette tradition. 37. Dion. Hal. Ant. 4,40, 2 : μὲν οὖν ἥ τε βουλὴ τὸν αἱρεθέντα ὑπ´ αὐτῶν ἐδοκίμασε, καὶ ὁ δῆμος ἐπεψήφισε καὶ τὰ μαντεύματα ἐπεκύρωσε, παρελάμβανεν οὗτος τὴν ἀρχήν· ἐλλείποντος δέ τινος τούτων ἕτερον ὠνόμαζον, καὶ τρίτον, εἰ μὴ συμβαίη μηδὲ τῷ δευτέρῳ τά τε παρ´ ἀνθρώπων καὶ τὰ παρὰ τῶν θεῶν ἀνεπίληπτα.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 38. Dion. Hal. Ant. 3, 35-36 (trad. J.-H. Sautel, CUF, 1999). 78 Françoise Van Haeperen les autres actions du culte injustement ? Pour ma part donc, je n’impute pas, pour cette raison, l’affaire à un complot humain, mais à la volonté du dieu : que chacun juge comme il veut ». Pour Denys donc, les dieux n’auraient pas approuvé comme roi un individu dont l’impiété n’aurait pas été connue des hommes qui l’avaient élu. Qu’arrive-t-il alors quand les dieux ne donnent pas de présages heureux au futur magistrat ou, pire, manifestent un signe défavorable ? Selon Denys toujours39, « certains considèrent qu’il suffit qu’aucun présage contraire ne vienne s’opposer à leur élection ». D’autres, en présence de signes défavorables, passent outre la volonté du dieu et s’emparent malgré tout de leur charge. C’est à cause de tels hommes, continue-t-il, que l’armée romaine essuya tant de désastres40. Mais certains magistrats respectent la volonté défavorable des dieux : telle est manifestement l’attitude du consul Marcellus en 215 av. n.è. Élu pour remplacer un consul mort sur le champ de bataille, celui-ci devait entrer en charge immédiatement après son élection. Mais, écrit Tite-Live, il tonna alors qu’il entamait son consulat : la formule utilisée par l’historien (cui ineunti consulatum cum tonuisset) doit à mon avis être interprétée comme se référant à sa prise d’auspice initiale. Selon les augures qui furent alors consultés, ce signe manifestait « que l’élection [du consul] leur paraissait viciée et les patriciens allaient disant que, pour la première fois, deux consuls plébéiens avaient été nommés et que cela ne plaisait pas aux dieux »41. Prétexte pour ne pas avoir à la tête de l’État un homme qui déplaisait ? Telle a parfois été l’interprétation donnée par les Modernes ; actuellement, on insiste sur le constat que Marcellus fut réélu consul l’année suivante sans le moindre problème ; le fait d’avoir deux consuls plébéiens constituait à l’époque une entorse par rapport à la coutume et peut avoir réellement été interprété comme un mauvais présage par une tranche de la population42. Remarquons en outre que, si l’on accepte l’explication véhiculée par les patriciens, le signe négatif que constitue le tonnerre ne peut avoir eu lieu qu’après le choix. Ce n’est donc pas tant la procédure d’élection qui serait « viciée » que son résultat, non conforme à la tradition : les dieux manifestent donc, semble-t-il lors de la prise d’auspices de Marcellus, leur désapprobation quant au choix posé par les comices. Marcellus se démet alors de sa fonction. Il devait aussi garder le souvenir du consul Flaminius, qui deux ans auparavant avait trouvé la mort, après avoir méprisé rites et auspices43.

39. Dion. Hal. Ant. 2, 6, 3 : παραληψόμενοι οἱ μὲν αὐτὸ τοῦθ´ ἱκανὸν ὑπολαμβάνοντες εἶναι τὸ μηδένα γενέσθαι τῶν ἐναντιουμένων τε καὶ κωλυόντων οἰωνῶν, οἱ δὲ καὶ παρὰ τὸ βούλημα τοῦ θεοῦ κωλύοντος, ἔστι γὰρ ὅτε βιαζόμενοι καὶ τὰς ἀρχὰς ἁρπάζοντες μᾶλλον ἢ λαμβάνοντες. 40. Dion. Hal. Ant. 2, 6, 4. 41. Liv. 23, 31, 12-14 : 13. Creatur ingenti consensu Marcellus qui extemplo magistratum occiperet. Cui ineunti consulatum cum tonuisset, uocati augures uitio creatum uideri pronuntiauerunt ; uolgoque patres ita fama ferebant, quod tum primum duo plebeii consules facti essent, id deis cordi non esse. (trad. P. Jal, CUF, 2001). 42. Voir Linderski 1986, p. 2168-2171.

43. Liv. 21, 63, 5-12 ; 22, 1, 5-8 ; 22, 9. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 79

Dans le cas du premier consulat d’Octavien, le 19 août 43 av. n.è., la prise d’auspices initiale, à laquelle font allusion Suétone et Appien, s’apparente à un présage extraordinaire44 : au nouveau consul qui vient d’entrer dans Rome, apparaissent, lorsqu’il prend les auspices, douze vautours, comme autrefois à Romulus alors qu’il fondait la Ville. Cette prise d’auspices est certes conforme au modèle romuléen de fondation de la Ville, par observation des oiseaux45 mais s’éloigne sur ce point des prises d’auspices précédant l’accession au pouvoir des rois puis des magistrats, basées sur l’observation du ciel et plus précisément de la foudre. Quoi qu’il en soit, l’auspication d’Octavien donne lieu à un signe exceptionnel, destiné à frapper les esprits, qu’il s’agisse d’un récit gonflé a posteriori mais révélateur de l’importance accordée à cette cérémonie ou, plus machiavélique, d’une mise en scène imaginée par Octavien, dont on connaît d’ailleurs les volontés à cette époque de s’assimiler à Romulus. Quant au sacrifice qu’accomplit Octavien après la prise d’auspices, il s’avère également exceptionnel : l’apparence des foies des victimes annonce grandeur et prospérité. Notons – nous y reviendrons – qu’Appien ajoute la précision suivante : une fois ces actes religieux accomplis, Octavien « entreprit de nouveau de se faire adopter par son père, selon une loi curiate – ce qui veut dire que l’adoption a lieu devant le peuple ».

Loi curiate des magistrats

Reprenons maintenant l’examen de la loi curiate, à la lumière de cette prise d’auspices initiale qu’accomplissent les magistrats entrant en fonction. Tentons ainsi de comprendre quelle était la fonction de cette loi, quels en étaient les magistrats bénéficiaires, quelles étaient les modalités de sa rogatio et quels en étaient les effets. Le tableau ci-dessous présente un relevé des sources qui mentionnent explicitement la loi curiate des magistrats, ainsi que la période sur laquelle porte le passage, les magistrats concernés par la loi et les informations principales qui s’y rapportent46. Je n’y ai pas inclus deux passages mentionnant une lex de imperio, parfois identifiée à la lex curiata47. Le premier, concerne Pomptinus à qui on refusait le triomphe en 54, sous prétexte qu’une lex de imperio n’avait

44. Suet. Aug. 95 : Primo autem consulatu et augurium capienti duodecim se uultures ut Romulo ostenderunt et immolanti omnium uictimarum iocinera replicata intrinsecus ab ima fibra paruerunt, nemine peritorum aliter coiectante quam laeta per haec et magna portendi ; App. 3, 94, 388 : ἐς τὴν πόλιν αὖθις ὡς ὕπατος ἐσῄει, καὶ ἔθυε, δώδεκά οἱ γυπῶν φανέντων, ὅσους φασὶ καὶ Ῥωμύλῳ τὴν πόλιν οἰκίζοντι ὀφθῆναι. Ἀπὸ δὲ τῶν θυσιῶν ἑαυτὸν εἰσεποιεῖτο τῷ πατρὶ αὖθις κατὰ νόμον κουριάτιον. Ἔστι δ‘ ἐπὶ τοῦ δήμου γίγνεσθαι τὴν θέσιν· κουρίας γὰρ ἐς μέρη τὰς φυλὰς ἢ τοὺς δήμους διαιροῦντες καλοῦσιν, ὡς Ἕλληνες, εἰκάζοντι φάναι, φατρίας. Voir à ce propos, Scheid 1999, p. 43-47 ; Hurlet 2001, p. 156 et n. 5. 45. Ennius in Cic. Div. 1, 107 ; Liv. 1, 7, 1. 46. Ces sources ont fait l’objet d’une étude récente par B. Stasse (2005), à laquelle je renvoie pour une présentation systématique des textes et des commentaires dont ils ont fait l’objet.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 47. Voir aussi Kunkel 1995, p. 97. 80 Françoise Van Haeperen pas été votée48 : la loi à laquelle fait ici allusion Cicéron est beaucoup plus vraisemblablement celle « qui autorise le triomphe des promagistrats, en leur conférant l’imperium dans l’urbs pour le jour de la cérémonie », loi qui d’après Dion Cassius avait été votée pour Pomptinus dans des conditions contestables49. Le second texte, plus complexe, sera discuté dans un paragraphe relatif à l’absence de loi curiate des consuls de 4950. Je n’ai pas repris non plus dans ce tableau le passage de Tite-Live relatif à une loi curiate en rapport avec Camille51. Celle-ci se rapporte en effet non à sa (future) dictature mais à son retour d’exil, comme l’ont déjà souligné plusieurs savants52.

Période Magistrat(s) Sources concernée par concerné(s) Type d’information l’information par la l.c.

Cic. Rep. 2, 25 ; période royale rois lex de imperio, votée par les curies, après l’élec- 31 ; 33 ; 35 ; 38 tion Cic. Leg. agr. 2, 63 av. n.è.-époque magistratures l.c. = 2e « choix » 26-31 républicaine ordinaires (patriciennes) comitia curiata conservés auspiciorum causa

magistrats ex- l.c. indispensable pour que les décemvirs aient traordinaires la potestas (décemvirs) l.c. nécessaire au consul pour la conduite des affaires militaires

l.c. peut faire l’objet d’une intercession tribuni- cienne Cic. Att. 4, 17, 54 av. n.è. consuls l.c. nécessaire au consul pour partir dans sa 2 ; Quint. Fr. province 3, 2, 3 ; Att. 4, 18, 4 ; Fam. 1, 9, 25

48. Cic. Att. 4, 18, 4 : negant enim latum de imperio et est latum hercule insulse. Certains avaient reconnu dans cette loi la lex curiata (Botsford 1909, p. 192-193 ; Nicholls 1967, p. 285; Develin 1977, p. 50-51 ; Giovannini 1983, p. 47-48). 49. Magdelain 1968, p. 23, citant Dion Cass. 39, 65, 2 ; Stasse 2005, p. 380, n. 27. 50. Caes. Bel. ciu. 1, 6, 5 : voir infra p. 104-106. 51. Liv. 5, 46, 10-11 : Accepto inde senatus consulto ‘uti comitiis curiatis reuocatus de exsilio iussu populi Camillus dictator extemplo diceretur militesque haberent imperatorem quem uellent’, eadem degressus nuntius Veios contendit ; missique Ardeam legati ad Camillum Veios eum perduxere, seu – quod magis credere libet non prius profectum ab Ardea quam compererit legem latam, quod nec iniussu populi mutari finibus posset nec nisi dictator dictus auspicia in exercitu habere – lex curiata lata est dictatorque absens dictus. 52. Mommsen 1896, p. 44, n. 1 ; Siber 1937, p. 266 ; Nicholls 1967, p. 262 ; De Martino 1972, p. 295, 440, n. 127 ; Stasse 2005, p. 385. En effet, le vote de la loi curiate du dictateur suit

la dictio (voir infra), tout comme celle des rois ou des magistrats suit l’élection. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 81

Période Magistrat(s) Sources concernée par concerné(s) Type d’information l’information par la l.c.

Messala ap. époque magistrats l.c. rend iustus le magistrat qui a d’abord été élu Gell. 13, 15, 4 républicaine inférieurs dans les comices tributes

[magistrats supérieurs] Liv. 9, 38, 15 310 dictateur l.c. de imperio, présentée par le dictateur aux curies Fest. p. 480 L. 214 modification dans la procédure de l.c. Tac. 11, 22, 4 509 av. n.è. questeurs l.c. proposée par le consul Dio Cass. 39, 56 av. n.è. tous ? l.c. nécessaire pour mener les affaires importantes 19, 3 et les procès Dio Cass. 41, 49-48 av. n.è. consuls l.c. non proposée par les consuls de 49 43, 3

Quelles informations nous livre un premier aperçu global ? D’une part, aucun des textes à notre disposition n’est spécifiquement consacré à la lex curiata : celle-ci est mentionnée « en passant », dans des développements consacrés à d’autres thématiques. D’autre part, l’importance numérique des sources portant sur les dernières décennies de la République est assez frappante : si l’on connaît un peu la loi curiate, c’est parce que des problèmes se sont alors posés à son propos. Enfin, un rapide examen de ces sources montre, dans le sillage de la plupart des études, qu’il s’agit bien d’une loi, en bonne et due forme53. Le prouvent à suffisance le vocabulaire employé pour la qualifier : lex, legem ferre54 etc. mais aussi le fait que le vote de cette loi pouvait faire l’objet d’une intercession tribunicienne55.

Fonction de la loi curiate

Pour tenter d’éclairer quelle était la fonction de la loi curiate, basons-nous d’abord sur deux textes presques contemporains, dont le contenu, « théorique », revêt une portée générale. Le premier, transmis par Aulu-Gelle, est un extrait d’un traité De auspiciis de l’augure Messala56. Le passage cité par Aulu-Gelle concerne la distinction entre

53. Magdelain 1968, p. 2. (en revanche pour Mommsen [1892, p. 279], la loi curiate n’aurait pas été une véritable lex mais aurait davantage constitué une sorte de serment d’allégeance) ; Kunkel 1995, p. 97. 54. Cic. Leg. agr. 2, 26 ; 2, 28-2, 30 ; Att. 4, 17, 2 ; Fam. 1, 9, 25 ; Rep. 2, 25 ; 2, 33 ; 2, 35 ; 2, 38 ; Fest. p. 480 L. 55. Cicéron (Leg. agr. 2, 30) le dit explicitement ; on peut le supposer avec grande vraisemblance à partir de Dio Cass. 39, 19, 3 (voir infra). D’autres lois émises par les curies étaient sujettes à l’intercession, comme celles liées à l’adrogatio (adoption d’un sui iuris) : voir Dio Cass. 45, 5, 3-4. 56. Broughton 1952, p. 227-228, 255, 630 ; Rüpke 2005, p. 1153. M. Valerius Messala Rufus (c. 103-c. 27/26 a.C.) a été augure pendant 55 ans (Macr. Sat. 1, 9, 14 ; 1, 16, 28),

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers vraisemblablement depuis les réformes de Sylla ; il accède au consulat en 53, alors que l’année 82 Françoise Van Haeperen les magistrats supérieurs et inférieurs et leurs auspices. Il se termine par la phrase suivante :

Minoribus creatis magistratibus tributis comitiis magistratus sed iustus curiata datur lege ; maiores centuriatis comitiis fiunt.

« Les magistrats inférieurs une fois élus par les comices tributes, la magistrature légitime/conforme au leur est donnée par une loi curiate ; les supérieurs sont élus par les comices centuriates »57.

Ce texte a longtemps été considéré comme suspect par certains modernes mais pour des raisons peu glorieuses… il entrait en effet en contradiction avec leurs propres théories de la loi curiate58. J. Nicholls et A. Magdelain ont démontré que ce passage devait être accepté comme tel – sans lui faire subir des modifications pour le couler dans le moule d’une théorie moderne59. Mais, poursuivait le savant français, il est vraisemblable que ce texte ne soit pas complet (Aulu-Gelle n’aurait pas copié toute la citation) ou qu’il pèche par élision. En effet, si les magistrats inférieurs, après avoir été élus par les comices tributes, se voyaient conférer le magistratus iustus par une loi curiate, il est évident qu’une loi curiate similaire devait concerner les magistrats supérieurs, comme l’indiquent d’autres sources60. Ainsi, selon l’augure Messala, la loi curiate confère non pas la magistrature en tant que telle mais un surcroît de légitimité : elle rend la magistrature attribuée lors de l’élection pleinement conforme au ius, au droit61. Telle semble également l’opinion de Cicéron, dans le discours qu’il prononce, au début de son consulat en 63, contre le projet de loi agraire présenté par le tribun Rullus62. Il y dénonce notamment le mode de désignation des décemvirs qui seraient chargés d’appliquer la loi63.

précédente les consuls en charge n’avaient pas eu de loi curiate et avaient tenté d’y remédier en cherchant de faux témoignages (voir infra p. 95-98). On ne peut établir quand il a écrit son traité De auspiciis. 57. Gell. 13, 15, 4. Sur ce passage, voir le commentaire de R. Marache (CUF, 1989, p. 200). 58. Latte 1934, p. 60-61 ; Heuss 1944, p. 75-133 ; von Lübtow 1952, p. 170-171 ; Staveley 1956, p. 86. 59. Magdelain 1968, p. 14-17. Voir avant lui, Catalano 1960, p. 471 ; Altheim 1953, p. 460. Cf. aussi Nicholls 1967, p. 271-274 ; Stasse 2005, p. 382-384 et Humm 2012 pour un état de la question récent. 60. Cic. Leg. agr. 2, 26 ; voir infra p. 84. 61. Jusqu’à ce point, je suis, sans hésitation, Magdelain. En revanche, le savant surinterprète ce passage, en affirmant que « Messala se place au point de vue des auspices et de leur acquisition. Ils sont la fine fleur du pouvoir et ne sont pleinement acquis que par le vote des curies ». Cette lecture est conditionnée par sa théorie de la loi curiate, « qui limite la désignation à un simple choix, et attribue à la loi curiate la collation de l’imperium, de l’auspicium et de la iurisdictio. C’est abuser de l’extrait que de voir ici la confirmation d’un lien étroit entre la loi curiate et les auspices » (Stasse 2005, p. 383-384). 62. Cic. Leg. agr. 2, 29. 63. Sur ce projet de loi tel qu’on peut le reconstituer, voir Ferrary 1988 (et plus particulièrement

p. 147-148) ; Crawford 1996, p. 757-760. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 83

Le tribun de la plèbe proposait en effet que ceux-ci soient élus par 17 des 35 tribus, tirées au sort – ce que conteste Cicéron, dans la mesure où l’ensemble du peuple ne serait pas appelé à se prononcer. Cette élection serait ensuite suivie par le vote d’une loi curiate, présentée par le préteur élu en premier ou, par le dernier (2, 26-28)64. Le projet de Rullus précisait en outre qu’il serait interdit d’intercéder contre le préteur proposant la loi curiate des décemvirs et que, si celle-ci n’était pas votée, les décemvirs seraient néanmoins considérés comme ayant été pleinement investis.

Quid postea, si ea lata non erit ? Attendite ingenium. ‘Tvm ei xviri’ inquit ‘eodem ivre sint qvo qvi optima lege’.

« Que s’ensuivra-t-il s’il n’obtient pas le vote de la loi ? Remarquez bien son ingéniosité. “Dans ce cas” dit-il “ils seront décemvirs au même titre/droit que les magistrats qui le sont selon toutes les formes légales” »65.

Et Cicéron de tourner en ridicule le manque de cohérence de son adversaire :

quid attinet tertio capite legem curiatam ferre iubere, quoniam quarto permittas ut sine lege curiata idem iuris habeant quod haberent, si optima lege a populo essent creati

« à quoi bon prescrire dans le troisième article la proposition d’une loi curiate, quand dans le quatrième tu permets que, sans loi curiate, ils aient le même droit que s’ils avaient été nommés par le peuple selon toutes les formes légales ? »

Selon cette citation du projet de loi et le commentaire qu’en fait Cicéron, la loi curiate revêtait le magistrat élu d’un ius particulier, d’une légitimité propre à ceux qui sont magistrats optima lege, « selon toutes les formes légales ». Même si l’on manque d’une étude récente approfondie sur le sens précis, guère aisé à saisir, d’optima lege et d’optimo iure, ces formules attestées dans une série de textes juridiques66 semblent indiquer qu’une action ou un magistrat « est parfaitement conforme au droit »67. Un autre passage de Cicéron laisse entendre que l’expression optima lege pourait, au moins dans certains cas, signifier le droit public, humain et divin68. En outre, deux passages, malheureusement mutilés, de Festus contiennent cette formule, en rapport avec la création de magistrats69.

64. Si l’orateur attaque le mode de nomination que Rullus a proposé pour les décemvirs, sa critique porte d’abord sur le fait qu’ils puissent n’être élus que par 9 tribus (la majorité absolue des 17 tribus tirées au sort). Qu’une loi curiate les confirme ensuite n’est pas, en tant que tel, remis en cause par Cicéron, qui ne se serait vraisemblablement pas privé de porter ses critiques sur ce point, s’il n’avait pas été conforme au droit. 65. Cic. Leg. agr. 2, 29 (trad. à partir de A. Boulanger, CUF, 1960). 66. Botsford 1909, p. 186-188 (p. 187 : “In this connection iustus does not signify legal as opposed to illegal, but legally or technically perfect, correct”). 67. Ducos 1984, p. 223, à propos d’optima lege optimo iure. 68. Cic. Har. resp. 14 : nego esse ullam domum aliam priuato eodem quo quae optima lege, publico uero omni praecipuo et humano et diuino iure munitam. Sur le lien profond entre le ius et la sphère religieuse, voir par ex. Behrends 1970, p. 13-25.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 69. Fest. p. 216 L. (texte ci-dessous) ; Fest. p. 204 L. 84 Françoise Van Haeperen

Dans l’un d’eux, l’optima lex concerne le dictateur et est liée à l’octroi d’un ius plenissimum70. Dans l’autre, relatif à la création de certains magistrats, on retrouve une formule très proche de celle proposée par Rullus, ut qui optima lege : peut-être s’agit-il là aussi d’une dispense, soit de loi curiate, soit d’une des étapes de la procédure menant à l’attribution d’une magistrature71. Ainsi, Messala et Cicéron se rejoignent : la lex curiata confère au magistrat préalablement élu un surplus de légitimité, le rend magistratus iustus. Autrement dit, la personne élue par les comices centuriates ou tributes est certes un magistrat mais n’est pas un magistratus iustus ou optima lege : pour le devenir, une loi curiate est nécessaire (à moins qu’une dérogation ne soit explicitement prévue, comme dans le projet de Rullus). Dans son discours, Cicéron fournit également une justification de la loi curiate des magistrats – qui a donné lieu à un grand nombre de spéculations.

« Vos ancêtres ont voulu que pour chaque magistrature vous exprimiez deux fois votre avis. Jadis en effet on portait une loi centuriate pour les censeurs et une loi curiate pour les autres magistratures patriciennes ; on exprimait ainsi une seconde fois son suffrage à l’occasion des mêmes candidats, de sorte que le peuple était maître de se rétracter s’il se repentait de son choix. Aujourd’hui, Quirites, vous n’avez gardé que la première sorte de comices, par centuries et par tribus ; les comices curiates n’ont subsisté qu’à cause des auspices (curiata tantum auspiciorum causa remanserunt) »72.

Notons d’abord que la plupart des modernes estiment que Cicéron propose ici sa propre reconstruction d’un système désuet que les Romains ne comprenaient plus73 : la première raison du double vote que donne Cicéron serait, selon les Modernes, artificielle et refléterait la perplexité des Romains devant une survivance archaïque. Ce genre d’explication, à la fois simpliste et légèrement condescendante, conduit ainsi de nombreux modernes à évacuer ce témoignage ou à tout le moins à ne pas l’examiner de manière approfondie.

70. Fest. p. 216 L. : Optima lex [---] in magistro populi faciundo, qui vulgo dictator appellatur, quam plenissimum posset ius eius esse significabatur, ut fuit Mani Valerii M. f. + Volusuinae genis, + qui primus magister a populo creatus est. Postquam vero provocatio ab eo magistratu ad populum data est, quae ante non erat, desitum est adici “ut optima lege”, ut pote imminuto iure priorum magistrorum. La lacune du début comporte un espace de 20 lettres, qui, selon Voigt, pourrait être complété de la manière suivante: dicebatur in lege curiata de imperio, qua (ce qui est trop long mais on pourrait supprimer sans problème les trois derniers mots). Sur ce passage, voir Jehne 1989, p. 557-572. 71. Fest. p. 204 L.: “Vt qui optima lege fuerint” adici solet, cum quidam magistratus creantur [---]. 72. Cic. Leg. agr. 2, 26-27 : Maiores de singulis magistratibus bis uos sententiam ferre uoluerunt. Nam cum centuriata lex censoribus ferebatur, cum curiata ceteris patriciis magistratibus, tum iterum de eisdem iudicabatur, ut esset reprehendendi potestas, si populum benefici sui paeniteret. Nunc, Quirites, prima illa comitia tenetis, centuriata et tributa, curiata tantum auspiciorum causa remanserunt (trad. à partir d’A. Boulanger, CUF, 1960). Voir aussi : Cic. Leg. agr. 2, 31 (texte cité infra). 73. Voir par ex. Mommsen 1892, p. 281, n. 3 ; Magdelain 1968, p. 1 ; Versnel 1970, p. 320. Botsford 1909, p. 185, Develin 1977, p. 50, Stasse 2005, p. 389 rendent par contre davantage justice à l’auteur “’s opinion, but one based on knowledge of how the system worked in his

own day” (Develin). 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 85

Notons ensuite que Cicéron présente l’accession des rois au pouvoir de manière conforme à son modèle : d’abord une élection, puis le vote de la lex curiata de imperio – loi que le roi proposait aux curies à propos de son pouvoir74. Ce passage de Cicéron a en outre été abondamment utilisé par les Modernes. Il prouve, selon les uns, que la loi curiate conférait l’auspicium aux magistrats75. Ce n’est toutefois pas ce que dit, stricto sensu, Cicéron. Si l’on admet, au moins à titre d’hypothèse de travail, que sa conception de la loi curiate des rois reflète la pratique en vigueur à son époque76, on devrait conclure que les consuls sont déjà en possession des auspices quand ils présentent leur loi curiate et que celle-ci ne peut donc leur avoir attribué ce droit. L’exemple des consuls de 54, dépourvus de loi curiate, appuie cette suggestion : ceux-ci ont en effet rempli leurs fonctions – impliquant auspicium (et imperium, avec convocation de l’assemblée centuriate), sans être contestés sur ce point77. Quant aux adversaires de la théorie selon laquelle la loi curiate transmettait les auspices aux magistrats, ils ont essayé d’expliquer cet extrait de la manière suivante : si les comices curiates sont maintenus, c’est à cause d’auspices qui leur seraient propres. Leurs justifications sont rapides, guère compréhensibles et ne convainquent donc guère78. Les termes auspiciorum causa ont donc généralement été compris comme se référant à une action à venir, dans le sens « en vue des auspices », « en raison des auspices » (qui seraient attribués aux magistrats). Mais un substantif suivi de causa peut aussi se rapporter à une cause passée, préexistante. Tel est le cas par exemple dans des passages de Tite-Live rapportant que telle cérémonie eut lieu prodigiorum causa – à cause de prodiges (qui s’étaient manifestés)79 ou religionis causa – pour tenir compte d’un scrupule religieux80. Une autre interprétation du texte de Cicéron se révèle dès lors possible, comme l’avait déjà perçu J. Vaahtera. Tentons de répondre aux questions suivantes, en prenant au sérieux l’orateur – qui connaissait très bien les institutions romaines, et sûrement mieux que nous. À cause de quels auspices les comices curiates devaient-ils être assemblés pour exprimer leur avis sur un magistrat qui avait été précédemment élu par les comices centuriates ou tributes ? En raison de quels auspices donc le peuple était-il amené à se prononcer une nouvelle fois sur un magistrat déjà élu, afin de pouvoir, s’il le souhaitait, revenir sur son choix ? Une piste de réponse se trouve à mon avis dans le texte de Denys d’Halicarnasse que nous avons examiné précédemment. À l’aube du jour de son entrée en charge, le futur magistrat consulte Jupiter à propos de son pouvoir – prend donc les auspices d’entrée en charge –, tout comme le fit Romulus qui instaura cette coutume. Romulus qui, après avoir reçu les signes favorables des dieux, fit part de la nouvelle au peuple assemblé, qui le proclama ensuite roi.

74. Voir infra, n. 89. 75. Magdelain 1968, p. 19-20 ; Humm 2012, p. 67-68. 76. Badian 1990, p. 467. 77. Voir infra p. 96. 78. Voir par ex. Nicholls 1967, p. 259-260 ; Versnel 1970, p. 327-329 ; Stasse 2005, p. 390 : « Il s’agirait donc plutôt ici des auspices propres à l’assemblée curiate, pris dans le cadre de ses prestations. La survivance de l’assemblée trouverait ainsi une justification dans la volonté qui fut celle des Romains de maintenir leurs traditions ». 79. Liv. 25, 7, 9 ; 27, 23, 4 ; 32, 1, 13 ;

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 80. Liv. 39, 22, 1. Voir aussi Fest. p. 424, 13 L. 86 Françoise Van Haeperen

Et si Cicéron faisait ici allusion à ces auspices d’entrée en charge ? Les comices curiates auraient été maintenus à cause des auspices que prend, à l’aube du jour de son entrée en fonction, le futur magistrat. Cette prise d’auspices se révèle en effet indispensable pour que celui-ci n’ait pas seulement été choisi par un vote favorable du peuple mais bénéficie aussi de l’approbation des dieux81. Sur cette double base, le magistrat peut donc désormais être considéré comme iustus, cette « qualité » lui étant conférée ou reconnue par les comices curiates. Ces derniers auraient donc subsisté à cause des auspices d’investiture. A contrario, cela signifierait qu’un magistrat élu dans les formes, par les comices tributes ou centuriates, pourrait ne pas obtenir le vote de sa loi curiate, s’il n’était pas approuvé par des signes divins favorables lors de sa prise d’auspices. Tel semble avoir été le cas de Marcellus en 215 – qui dès lors démissionna, ou encore des magistrats dénoncés par Denys d’Halicarnasse, qui s’emparent malgré tout de leur charge, pour le plus grand malheur de l’État.

Si l’on accepte mon interprétation, un magistratus iustus serait donc un magistrat élu par le peuple, confirmé par les dieux lors de la prise d’auspices initiale, et, sur cette double base, revêtu d’une loi curiate : un magistrat « irréprochable aux yeux des hommes et des dieux »82. Il pouvait arriver qu’un consul ne soit pas considéré comme iustus. Ainsi, en 217, Flaminius ne rentre pas en charge à Rome. Craignant l’hostilité des sénateurs, il est parti furtivement pour sa province, afin d’éviter, s’il restait dans la Ville, d’être retenu par les obstacles qu’ils auraient pu brandir, tels des auspices défavorables. Quand ils découvrent la supercherie, ceux-ci, furieux, lui reprochent de fuir les rites qui incombent à un nouveau consul, qu’il s’agisse de l’acquittement et de la formulation des vœux sur le Capitole le jour d’entrée en fonction, du sacrifice des Féries latines ou encore des rites préalables au départ en campagne (prises d’auspices et prononciation de vœux sur le Capitole)83. Aux ides de mars, jour de l’entrée en charge des consuls, la colère gronde au Sénat : on avait élu deux consuls, un seul était présent à Rome. Et l’autre, Flaminius, quelle est la légitimité de son imperium, qu’en est-il de son auspicium ? Un magistrat emporte ces droits hors de Rome, seulement après avoir célébré les Féries latines, sacrifié sur le mont Albain, prononcé solennellement les vœux au Capitole ; un simple particulier, les auspices ne l’accompagnent pas, et une fois qu’il est parti sans auspices, il ne peut en prendre de nouveaux qui soient légitimes sur un sol étranger84. Certes, Tite-Live n’évoque pas une seule fois la loi curiate dans ces

81. Voir supra p. 75-78. 82. Voir supra p. 77 et n. 37. 83. Liv. 21, 63, 4-14. Voir Van Haeperen 2007. 84. Liv. 22, 1, 5-8 : Per idem tempus Cn. Seruilius consul Romae idibus Martiis magistratum iniit. Ibi cum de re publica rettulisset, redintegrata in C. Flaminium inuidia est : duos se consules creasse, unum habere ; quod enim illi iustum imperium, quod auspicium esse ? Magistratus id a domo, publicis priuatisque penatibus, Latinis feriis actis, sacrificio in monte perfecto, uotis rite in Capitolio nuncupatis secum ferre ; nec priuatum auspicia sequi, nec sine auspiciis profectum in externo ea solo noua atque integra concipere posse. Augebant metum prodigia ex pluribus simul locis nuntiata (…). Entre le sacrifice au Mont Albain et la formulation des vœux au Capitole avant un départ en campagne, le consul devait également se rendre à Lavinium pour y sacrifier aux pénates

(Dubourdieu 1989, p. 355-361). 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 87

passages. Il fait par contre mention d’auspices défavorables que peuvent opposer les sénateurs au consul ; mais faute de précision, il est difficile de déterminer s’il s’agit d’auspices liés aux comices de l’élection85 ou de ses auspices d’investiture. Quoi qu’il en soit, il n’a pas pu prendre ces auspices à l’aube du jour de son entrée en fonction, puisqu’il n’était pas à Rome ; il n’a pas non plus fait voter sa loi curiate. C’est pour cette double raison, si l’on suit l’hypothèse ici présentée, que son imperium ne peut être considéré comme iustum par les sénateurs, alors que ses auspicia en tant que chef militaire lui font même défaut, puisqu’il ne les a pas pris, sur le Capitole, ni formulé les vœux d’usage avant de partir en campagne : à ce titre, il n’est rien d’autre qu’un priuatus. Denys précisait que la prise initiale d’auspices par le futur magistrat était une coutume ancestrale – qui n’était plus observée comme telle – mais cependant maintenue en raison de son caractère sacré. Quant à Cicéron, il nous informe que les comices curiates sont maintenus à cause des auspices, pour continuer un antique usage (ad usurpationem uetustatis)86. Cicéron et Denys d’Halicarnasse semblent donc évoquer une même réalité, l’accession au pouvoir d’un nouveau magistrat, selon des angles d’approches bien différents87 : le premier insiste sur le rôle des comices curiates, le second sur l’importance des auspices d’investiture. C’est de manière similaire qu’on pourrait expliquer leur présentation de l’investiture des rois : ici aussi les deux auteurs aborderaient une même réalité selon des perspectives bien distinctes88. Chez Denys, l’élection est suivie de la prise d’auspices (et ensuite, pour Romulus du moins, par une acclamation du peuple, que je serais tentée de rapprocher de la loi curiate)89. Tandis que, chez Cicéron, à l’élection succède la présentation par le roi de sa loi curiate (qui – en filigrane – suppose, selon mon hypothèse, la prise d’auspices initiale). Enfin, les deux auteurs mentionnent des témoins à propos de l’investiture des rois ou des magistrats. Selon Denys d’Halicarnasse, des ornithoskopoi sont présents lors des prises d’auspices de Numa et des magistrats. D’après Cicéron, les consuls de l’année 54, dépourvus de loi curiate, cherchaient, par l’intermédiaire de candidats au consulat, à soudoyer trois augures qui devraient produire un faux témoignage, selon lequel ils avaient assisté au vote de leur loi curiate90. Il est tentant de rapprocher ces informations et de proposer la reconstruction suivante :

85. Or ceux-ci avaient été vicieux dans le cas de la première élection de Flaminius au consulat en 223. Quand les sénateurs avaient découvert ce uitium, ils avaient voulu rappeler Flaminius du champ de bataille mais il avait refusé de répondre à leurs injonctions, suscitant ainsi une première fois leur mécontentement. (Liv. 21, 63, 7). 86. Cic. Leg. agr. 2, 31. « Voilà donc des décemvirs qui ne seraient nommés ni par de véritables comices, c’est-à-dire par le suffrage du peuple, ni par ces comices représentés par trente licteurs, pour la forme et pour maintenir un usage du passé, à cause des auspices » (Sint igitur xviri neque veris comitiis, hoc est, populi suffragiis, neque illis ad speciem atque ad usurpationem uetustatis per xxx lictores auspiciorum causa adumbratis constituti). 87. Vaahtera 2001, p. 120-121. 88. Plutôt donc que de parler d’une tradition dont deux versions s’opposent (Magdelain 1968, p. 30), je préfère considérer qu’il s’agit d’une tradition dont les versants reçoivent un éclairage différent. 89. Vaahtera 2001, p. 122. 90. On notera en outre que des augures participent aux comices curiates, réunis en d’autres occasions. Ainsi, Pompée est présent, en tant qu’augure, aux comices curiates qui voteront

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers l’adoption de Clodius (Cic. Att. 8, 3, 3) ; cf. Linderski 1986, p. 2193. 88 Françoise Van Haeperen des augures ou des pullarii, assistant au nom de l’état à la prise d’auspices, auraient également été présents lors du passage de la loi curiate conférant ensuite le magistratus iustus, afin d’attester que la prise d’auspices du futur magistrat s’était bien révélée favorable. On pourrait ainsi proposer le schéma théorique suivant à propos de l’élection et de l’entrée en charge d’un consul : . le futur magistrat est élu par les comices centuriates, après que le consul présidant les comices eut pris les auspices (ceux-ci portent sur l’approbation de l’assemblée et non pas sur l’issue du vote) . aux premières heures du jour de son entrée en fonction, le magistrat prend les auspices au sujet de sa charge, peut-être en présence d’augures et avec l’assistance d’un appariteur. Si les signes sont favorables, si Jupiter donc marque son assentiment, il peut entrer en fonction. En cas contraire, il devrait y renoncer, afin d’éviter de grands malheurs pour l’état. . une fois que la divinité a signifié son accord, les hommes, réunis en comices curiates, peuvent alors « se prononcer une seconde fois » et conférer à l’élu le magistratus iustus, en présence des augures qui pourraient avoir aussi assisté à la prise d’auspices. Autrement dit, si les signes sont défavorables, le peuple (cette fois réuni en curies) pourrait, au moins théoriquement, revenir sur sa décision (prise lors des comices centuriates de l’élection).

Magistrats bénéficiaires de la lex curiata

Quels sont les magistrats qui ont besoin d’une loi curiate pour être considérés comme iusti ou optima lege ? Messala et Cicéron s’accordent sur ce point également : il s’agit des magistrats inférieurs et supérieurs ou encore patriciens – à comprendre ici comme les magistrats du peuple, par opposition à ceux de la plèbe91. Sont donc concernés les magistrats ordinaires. Un passage de Tacite est parfois considéré comme se référant à la loi curiate des questeurs92. Selon l’historien qui entend prouver que les questeurs existaient déjà à l’époque royale, ceux-ci étaient mentionnés dans la loi curiate reprise par Brutus en 509. Reste à savoir s’il s’agit d’une loi curiate des questeurs93 ou d’une loi curiate mentionnant les questeurs, qui correspondrait – du moins aux yeux de Tacite – à la loi curiate des consuls modelée sur celle des rois94. Celle-ci aurait contenu, d’après les tenants de cette seconde hypothèse, une clause relative au pouvoir des consuls de nommer les questeurs (avant que cette fonction ne devienne élective). Dans la mesure où la lex curiata ne portait pas, me semble-t-il, sur le contenu des pouvoirs des magistrats mais sur le caractère iustus de leur magistrature, j’aurais tendance à comprendre ce passage de Tacite de la manière suivante. Peu importe l’historicité de la notice, celle-ci montrerait que le consul, suivant l’exemple des

91. Mommsen 1892, p. 283 ; Magdelain 1968, p. 12-13 ; Kunkel 1995, p. 100. 92. Tac. Ann. 11, 22, 4 : Sed quaestores regibus etiam tum imperantibus instituti sunt, quod lex curiata ostendit ab L. Bruto repetita. Mansitque consulibus potestas deligendi, donec eum quoque honorem populus mandaret. 93. Voir en ce sens Mommsen 1892, p. 283, n. 4 ; Stasse 2005, p. 381.

94. En ce sens Magdelain 1968, p. 8, n. 1 ; Bleicken 1981, p. 273, n. 50. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 89

rois, proposait une loi curiate relative aux questeurs – illustrant ainsi les propos de Messala et de Cicéron. Il est intéressant de noter que, selon Denys d’Halicarnasse, la prise d’auspices initiale – qui précède selon moi le passage de la loi curiate – est requise « pour l’élection des consuls, des préteurs et des autres magistrats prévus par la loi ». Ici aussi, les auteurs latins et l’auteur grec évoqueraient une même réalité – l’accession au pouvoir des magistrats – selon des angles d’approches différents. Les censeurs, en revanche, précise Cicéron, sont dotés non d’une loi curiate mais d’une loi centuriate. Selon Magdelain, la raison n’en est pas chronologique mais relève du fait que « la loi centuriate des censeurs paraît plutôt une conséquence du cens. Le lien très étroit qui existe entre le censeur et les centuries le fait investir par elles »95. D’autres magistrats pouvaient-ils ou devaient-ils être pourvus d’une loi curiate ? Tel était le cas des dictateurs comme le révèle un passage de Tite-Live96. En 310 av. n.è., Papirius, le dictateur nommé par le consul, désigna son maître de cavalerie mais ne put proposer la loi curiate de imperio à cause d’un mauvais présage qui différa le jour du vote. En effet, « la curie appelée à voter la première, la curie Faucia, s’était signalée par deux désastres : la prise de Rome et la paix de Caudium. Or, ces deux années-là, c’était la curie Faucia qui avait voté la première ». Le lendemain, poursuit Tite-Live, il fit passer la loi, après avoir repris les auspices. Au-delà de l’historicité douteuse de l’anecdote, la pratique juridique qu’elle présente est selon toute vraisemblance conforme à la règle97. Le dictateur présente lui-même sa loi curiate. C’est ainsi aussi que procédaient les rois, selon Cicéron : depuis Numa, ils proposaient eux-mêmes aux comices curiates leur lex de imperio98, après avoir été choisis (sur proposition du sénat ou de l’interroi) par ces mêmes comices. Ainsi, l’Arpinate fait-il remonter à l’époque royale le système du double vote qu’il décrivait dans son De lege agraria. D’après les images que les Anciens projetaient de leurs origines, ce système fut repris dès l’aube de la République (comme l’atteste Tacite à propos des questeurs) et maintenu pendant de longs siècles. D’autres magistrats extraordinaires que les dictateurs pouvaient également bénéficier d’une loi curiate, comme le montre le projet de loi de Rullus,

95. Magdelain 1968, p. 14. 96. Liv. 9, 38, 15-39, 1 : en 310 : Papirius C. Iunium Bubulcum magistrum equitum dixit ; atque ei legem curiatam de imperio ferenti triste omen diem diffidit, quod Faucia fuit principium, duabus insignis cladibus, captae urbis et Caudinae pacis, quod utroque anno eiusdem curiae fuerat principium. 16. Macer Licinius tertia etiam clade, quae ad Cremeram accepta est, abominandam eam curiam facit. Dictator postero die auspiciis repetitis pertulit legem. (trad. d’après A. Flobert, GF, 1996). 97. Voir en ce sens (et seulement pour ce point) Magdelain 1968, p. 28. 98. Cic. Rep. 2, 25 (Numa) : quamquam populus curiatis eum comitiis regem esse iusserat, tamen ipse de suo imperio curiatam legem tulit ; 2, 31 (Tullus Hostilius) : Mortuo rege Pompilio Tullum Hostilium populus regem interrege rogante comitiis curiatis creauit isque de imperio suo exemplo Pompili populum consuluit curiatim ; 2, 33 (Ancus Marcius) : Post eum Numae Pompili nepos ex filia rex a populo est Ancus Marcius constitutus itemque de imperio suo legem curiatam tulit ; 2, 35 (L. Tarquin) ; 2, 38 (Servius Tullius arrive au pouvoir sans décision populaire mais se fait ensuite reconnaître par le peuple et lui soumet sa lex curiata de imperio) : Tarquinio sepulto populum de se

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers ipse consuluit iussusque regnare legem de imperio suo curiatam tulit. 90 Françoise Van Haeperen combattu par Cicéron. Les décemvirs que souhaitait faire élire le tribun de la plèbe seraient en effet non seulement élus par une partie des comices tributes mais aussi confirmés par une loi curiate99. Selon une hypothèse de L. R. Taylor, reprise par J.-L. Ferrary100, tel aurait aussi été le cas des deux commissions de IIIuiri colon. deduc. en 194101. Pour leur creatio, relate Tite-Live, le préteur tint, au Capitole, bina comitia : ces doubles comices pourraient effectivement correspondre aux comices tributes suivis des comices curiates – remarquons que Cicéron utilise également cette expression à propos de la procédure de choix des magistrats, entendant très clairement par-là l’élection par les comices tributes, suivie par le vote des curies102. On ne peut toutefois exclure que Tite-Live signifie par ces mots que l’assemblée fut réunie deux fois, afin d’élire les deux commissions de triumuiri. Reste à savoir si les magistrats extraordinaires étaient généralement pourvus d’une loi curiate. Faute de sources, il est difficile de se prononcer. Selon A. Magdelain103, l’exemple des décemvirs de Rullus constitue une exception : en effet, les magistratures extraordinaires sont basées sur une loi de circonstance, rendant ainsi « inutile une loi curiate, qui ferait double emploi ». Cette interprétation est bien sûr liée au rôle que ce savant assigne à la loi curiate des magistrats ordinaires : pallier le manque de loi constitutive de leur magistrature, en leur attribuant leurs pouvoirs. Si l’on suit ma suggestion par contre, une loi curiate resterait nécessaire104 afin de conférer le magistratus iustus, après que la personne choisie eut obtenu l’assentiment des dieux. Des dispenses pouvaient cependant être prévues, comme le montre le projet de Rullus : même sans loi curiate, les décemvirs seraient magistrats eodem iure quo qui optima lege. On peut se demander si les expressions similaires qui se retrouvent dans des sénatus-consultes votés durant les premiers mois de l’année 43 à propos des pouvoirs d’Octavien et de Crassus se rapportent à de telles dérogations105. Cicéron propose au Sénat, d’une part, au début du mois de janvier, d’attribuer à Octavien l’imperium proprétorien eo iure quo qui optimo ; d’autre part, en février-mars, que C. Cassius gouverne la province de Syrie ut qui optimo iure eam prouinciam obtinuerit. Dans ce contexte de guerre civile, ces précisions s’expliquent peut-être par le fait que le peuple n’a pas été appelé à se prononcer sur leur imperium respectif : malgré cela, ils

99. Cic. Leg. agr. 2, 26 : Hic autem tribunus plebis quia uidebat potestatem neminem iniussu populi aut plebis posse habere, curiatis eam comitiis quae uos non initis confirmauit, tributa quae uestra erant sustulit. 100. Taylor 1963, p. 65-66 ; Ferrary 1988, p. 147. 101. Liv. 34, 53, 1-2. 102. Cic. Leg. agr. 2, 27. 103. Magdelain 1968, p. 25. 104. Telle est l’opinion de Mommsen (II, 1892, p. 283) : la loi curiate concernait « les magistrats extraordinaires, au moins lorsqu’ils reçoivent l’imperium militaire », qui nuance cependant p. 284, n. 2 : « mais l’interrogation des curies a certainement été mise de côté, à l’époque récente de la République, pour les magistrats extraordinaires qui ne recevaient qu’une simple potestas ». 105. Cic. Phil. 5, 45 : Demus igitur imperium , sine quo res militaris administrari, teneri exercitus, bellum geri non potest : sit pro praetore eo iure quo qui optimo. Voir aussi le cas de C. Cassius : Cic. Phil. 11, 30 : senatui placere C. Cassium, pro consule, prouinciam Syriam obtinere, ut

qui optimo iure eam prouinciam obtinuerit. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 91

seraient considérés comme pleinement conformes au droit. Mais ces formules pourraient aussi pallier le manque d’autres actes habituellement obligatoires pour un magistrat : n’étant pas à Rome, Octavien et Crassus n’auraient pu y prendre leurs auspices d’entrée en charge ni donc y bénéficier d’une lex curiata106.

Rogatio de la lex curiata

D’après Cicéron, les rois proposaient eux-mêmes, après avoir été élus, leur lex de imperio aux comices. Tel était aussi le cas des dictateurs, selon le passage de Tite- Live cité ci-dessus, même si l’on se situe, là aussi, au niveau des représentations que les Romains se font de leur passé. La formule de imperio appliquée à la loi curiate ne se retrouve que dans ces textes relatifs à des périodes anciennes. L’expression lex curiata de imperio est, en tant que telle, une création moderne ; nombreux sont d’ailleurs les savants à avoir attiré l’attention sur le fait qu’il ne s’agissait très vraisemblablement pas de l’appellation technique de cette loi, qui concernait aussi des magistrats non dotés d’imperium107. Cette précision de imperio pourrait, en revanche, être mise en parallèle avec le texte de Denys d’Halicarnasse relatif à la prise d’auspices de Romulus, περὶ τῆς ἀρχῆς. La loi curiate confirme que le pouvoir du magistrat, reconnu des hommes et des dieux, doit désormais être considéré comme iustus. L’identité du rogator de la lex curiata sous la République reste une question débattue chez les Modernes : la réponse apportée varie selon les fonctions que l’on attribue à cette loi. Ainsi, selon les partisans d’une loi curiate conférant ses pouvoirs au magistrat, celle-ci était proposée aux curies peu avant l’entrée en charge, par un des consuls en fin de mandat108. Inversement, les tenants d’une lex curiata, correspondant à un acte de confirmation, considèrent que celle-ci était proposée par le(s) consul(s) peu après leur entrée en fonction109. Si l’on accepte mon hypothèse sur le rôle de la loi curiate, ce sont les nouveaux consuls qui proposent le vote de leur loi curiate, tout comme les rois et les dictateurs. C’est aussi ce que laisse penser un passage de Dion Cassius que nous détaillerons ci-dessous : les consuls de 49 n’avaient pas proposé la loi curiate (et il s’agit manifestement là de la leur). Les consuls entrants, ou l’un d’eux, proposent en outre le vote de la loi curiate des autres magistrats ordinaires, à tout le moins de ceux qui étaient dépourvus d’imperium, comme on pourrait le déduire du passage laconique de Tacite relatif à la loi curiate reprise par Brutus en 509110. Une fois le vote acquis, ces magistrats sont donc iusti, conformes au droit, pleinement revêtus de leurs fonctions.

106. Octavien prendra ses auspices à Spolète le 7 janvier de cette même année ; rapidement, cet acte fait l’objet de commémorations et est parfois considéré comme le début de son imperium orbis terrarum (RG 1 ; CIL XII 4333 ; Degrassi 1963, p. 279, l. 9. Voir Spannagel 2009, p. 38-40). 107. Mommsen 1892, p. 279, n. 2 ; Magdelain 1968, p. 17 ; Stasse 2005, p. 380-381. 108. Magdelain 1968, p. 26-28. Cette hypothèse soulève, me semble-t-il, une difficulté majeure : que se passe-t-il si le consul sortant ne veut pas faire passer la loi curiate de ses successeurs ou s’il se voit opposer une intercession tribunicienne ? Ceux-ci ne seraient pas revêtus de leurs pouvoirs (puisque selon les partisans de cette théorie, la loi curiate confère imperium et auspicium) ? 109. Mommsen 1892, p. 280.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 110. Tac. Ann. 11, 22, 4 ; voir supra p. 88. 92 Françoise Van Haeperen

Qu’en est-il du moment exact où la loi curiate est présentée ? Dans le cas des rois et des dictateurs, le vote semble suivre immédiatement l’entrée en fonction111. Pour ces derniers, cela se comprend aisément, dans la mesure où ils sont nommés pour parer à un danger pressant et doivent donc être très rapidement revêtus du surcroît de légitimité que représente la loi curiate (indispensable, semble-t-il, pour partir en campagne)112. Le trinundinum, de règle pour la convocation des comices tributes et centuriates, ne semble alors pas respecté. Pour les consuls, il n’est guère aisé de se prononcer sur le moment exact du vote de la lex curiata. Selon A. Magdelain, celui-ci n’aurait pu avoir lieu le jour de l’entrée en charge, puisque « les magistrats supérieurs tout au long de la République entrent en fonction soit aux calendes soit aux ides, ces jours ne sont jamais comitiaux », même si la règle du trinundinum n’était pas d’application113. Le savant n’apporte toutefois pas d’éléments appuyant ces considérations. Le cas des consuls de 54, dépourvus de loi curiate, offre en filigrane quelques indications114. Le vote de la loi curiate doit précéder le départ des magistrats pour une campagne militaire ou pour une province. En outre, semble-t-il, ce vote devait être obtenu dans des temps impartis : à la fin de l’année 54, ce délai semble largement dépassé115. Enfin, ce vote apparaît alors comme un préalable à l’allocation par un sénatus-consulte (de ornandis prouinciis) de crédits pour le gouvernement de la province attribuée au consul : or, ces mesures semblent à l’époque en général prises très rapidement après l’entrée en charge des consuls, souvent le jour même, lors de la première séance du Sénat116. L’anecdote relative aux auspices extraordinaires obtenus par Octavien en 43 av. n.è. offre un autre indice intéressant117. Appien nous apprend en effet qu’après la prise d’auspices et un sacrifice, Octavien entreprit de se faire adopter, à titre posthume, par César, selon une loi curiate118. Les curies avaient en effet dans leur compétence des questions liées au droit familial, dont les adoptions. Octavien attendait en outre depuis de longs mois cette adoption puisque, pendant son consulat en 44, Antoine avait empêché le vote de cette loi (par l’intermédiaire de tribuns qui opposaient leur veto à la réunion des comices)119. Le jour de son entrée en fonction, Octavien se fait donc adopter par une loi curiate. Ce qui permet aussi de supposer que les curies étaient déjà sur place pour le vote de la loi curiate du nouveau consul120. Autrement dit, si l’on accepte le récit d’Appien (dont il n’y a pas de raison de douter), il semblerait que les comices curiates étaient – au moins dans

111. Mommsen 1892, p. 281. 112. Voir infra p. 95 et 98. 113. Magdelain 1968, p. 26. 114. Voir textes infra p. 95-97. 115. On ne comprendrait pas pourquoi, dans le cas contraire, ces consuls auraient cherché des faux témoignages prouvant que cette loi avait été passée.Voir infra. 116. Willems 1883, p. 616 ; Bonnefond-Coudry 1989, p. 262-268 ; Pina Polo 2011, p. 18-19, 20, 331. 117. Voir texte supra. 118. Schumacher 1999, p. 49-70. 119. Dio Cass. 45, 5, 3-4.

120. Voir Scheid 1999, p. 44. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 93

certains cas – réunis le jour même de l’accession au pouvoir d’un consul, vraisemblablement pour voter la lex curiata du nouveau magistrat. On observera en outre que le jour d’entrée en charge d’Octavien correspond à un jour FP ou F121 et que les comices curiates (à tout le moins les comices de l’adoption) ne sont donc pas réunis un jour comitialis. Selon A. Michels, rien n’indique que les réunions des comitia curiata aient été limitées par le caractère des jours. La seule date d’assemblée qu’elle repère correspond au 9 des kalendes de septembre de l’année 69, qui était un dies intercisus, durant lequel Cornelius Lentulus Niger a été inauguré flamen Martialis122. Ainsi, propose-t-elle, “since the comitia curiata was concerned with matters very different from those which came before the other comitia, mainly matters of religion, I suggest that it would usually be held on days other than comitiales”123. Devant ces indices, je proposerais dès lors que les consuls aient pu réunir les comices curiates, le jour même de leur entrée en fonction, après avoir pris leurs auspices et avant sans doute de procéder au tirage au sort de leur province respective. Autrement dit, une fois reconnue leur qualité de magistratus iustus par les comices curiates, ils peuvent entrer pleinement dans leurs fonctions et se voir attribuer une province précise. Dès lors, les vœux qu’ils formuleront pour l’année à venir porteront sur un état bien défini de la respublica et du partage des responsabilités en son sein124. Cette hypothèse permettrait d’expliquer le cas du consul M. Marcellus en 210. Celui-ci « avait pris ses fonctions de consul aux Ides de mars, réunit le sénat ce jour-là, et cela seulement pour se conformer à la coutume, car il déclara qu’en l’absence de son collègue, il ne traiterait ni de la situation de l’État ni de celle des provinces »125. En l’absence de son collègue qui n’aurait donc pas pris ses auspices d’entrée en charge, il aurait préféré différer le vote de la loi curiate (qui semble avoir porté sur l’ensemble des magistrats ordinaires) et n’aurait dès lors pas souhaité mettre à l’ordre du jour des questions nécessitant des magistrats iusti. Par qui était votée la loi curiate des magistrats ? Sans le discours virulent de Cicéron contre le projet de loi agraire, nous n’aurions jamais appris que celle-ci était proposée aux curies représentées par trente licteurs126. Il n’en a cependant pas toujours été ainsi. Dans sa présentation de l’époque royale, Cicéron précise que la loi est votée par les curies. C’est aussi le cas pour le dictateur de 310 av. n.è. : les curies sont appelées au vote – et l’ordre de celui-ci peut varier d’année en année, nous révèle le récit de Tite-Live. Quand le changement s’est-il produit ? Pour répondre à la question, certains ont fait appel à une notice de la lettre T du dictionnaire de Verrius Flaccus, résumé par Festus127 :

121. Degrassi 1963, p. 497. 122. Macr. Sat. 3, 13, 11. 123. Michels 1967, p. 46-47. 124. Scheid 1998, p. 214. Sur la base d’une analyse serrée de Liv. 41, 14, 7 ; 41, 15, 1-4, J. Scheid a montré que cette formulation des vœux par les consuls, le jour de leur entrée en charge, a lieu après la répartition des provinces entre les divers magistrats. 125. Liv. 26, 26, 5 : M. Marcellus cum idibus Martiis consulatum inisset, senatum eo die moris modo causa habuit, professus nihil se absente collega neque de re publica neque de prouinciis acturum (trad. P. Jal, 1991, CUF). 126. Cic. Leg. agr. 2, 31.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 127. Fest. p. 480 L. Sur ce texte, Magdelain 1968, p. 23-24, n. 4. 94 Françoise Van Haeperen

...... ex curiata fertur, quo Hanni- . . . . Romae cum esset nec ex praesidi- ...... Q. Fabius Maximus Verru- rcellus cos. facere in . . .

De ce passage malheureusement fragmentaire, on retient généralement que les consuls de 214, Q. Fabius Maximus et M. Claudius Marcellus, introduisent une nouvelle procédure dans la loi curiate, justifiée par la présence d’Hannibal à proximité de la Ville et par la difficulté à s’absenter des postes de défense. « Cette procédure semble avoir été maintenue par la suite »128, comme l’indique l’usage du présent fertur. Diverses restitutions ont été proposées : les plus importantes concernent le début de la notice, consacré à la nature du changement qui intervient alors129. L’une d’elles, suggérée par J. Rubino et maintes fois reprise130, nous intéresse particulièrement ici : le début du texte correspondrait aux mots Triginta lictoribus. En raison de la proximité d’Hannibal, il aurait ainsi été décidé que la loi curiate soit votée par les trente licteurs afin que les hommes ne soient pas obligés de quitter leurs postes. Cette hypothèse a suscité plusieurs objections liées notamment au fait qu’aucun quorum n’était obligatoire pour qu’une assemblée soit valable131. C’est tout à fait exact mais encore fallait-il que chaque unité de vote soit représentée132. Dans l’état actuel de nos connaissances, il ne semble donc guère possible de déterminer à partir de quelle date les trente licteurs ont « figuré » les curies lors de ces comices maintenus « à cause des auspices », même si la suggestion de Rubino reste tentante. Le texte de Cicéron pourrait en outre faire l’objet d’une interprétation un peu différente : dans ce passage où il rappelle la procédure d’élection des décemvirs, prévue par Rullus, le consul oppose les comices tributes – qui expriment un vrai suffrage du peuple – aux « comices représentés par trente licteurs, pour la forme et pour maintenir un usage du passé, à cause des auspices »133. Son intention est évidemment polémique : en faisant élire les décemvirs par 17 des 35 tribus,

128. Stasse 2005, p. 387. 129. Selon Mommsen, ce texte évoquait une dispense de loi curiate en cas de renouvellement de l’imperium. Mommsen 1879, p. 407-408 ; Mommsen 1892, p. 284, n. 1, qui supplée : [Transit imperium nec denuo l]ex ciuitata fertur, quod Hanni[bal in uicinitate] Romae cum esset, nec ex praesidi[is tuto decedi posset], Q. Fabius Maximus Verru[cossus M. Claudius Ma]rcellus cos. facere in[stituerunt]. Son hypothèse a été battue en brèche par Magdelain 1968, p. 23-24, n. 4, qui rappelle la restitution Triginta lictoribus et propose très rapidement l’hypothèse Trinundino omisso. Il faudrait donc, si on le suit, supposer que les circonstances auraient poussé les consuls à suspendre la règle du trinundinum, afin, en ces temps troublés, de rendre possible (à eux ou à leurs successeurs) un départ en campagne rapide. Toutefois, à cette époque, le trinundinum ne semble pas avoir été de règle pour le vote des lois (ce délai est appliqué à partir de la lex Caecilia Didia en 98 ; voir Lintott 1965, p. 281-285) et rien ne prouve qu’il s’appliquait au vote de la loi curiate. 130. Rubino 1839, p. 381-383. 131. Botsford 1909, p. 196 ; Stasse 2005, p. 387. 132. Cic. Sest. 51, 109. 133. Cic. Leg. agr. 2, 31 : Sint igitur xuiri neque ueris comitiis, hoc est, populi suffragiis, neque illis

ad speciem atque ad usurpationem uetustatis per xxx lictores auspiciorum causa adumbratis constituti. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 95

Rullus retire au peuple une partie de ses prérogatives, puisque les citoyens se rendent encore à ces assemblées, tandis qu’il laisse ses droits à l’assemblée curiate où le peuple ne se rend plus (2, 27)134, à ces comices qui – affirme Cicéron – sont représentés par 30 licteurs. Cela signifie-t-il qu’il s’agit là d’un usage établi et que le peuple n’y participe plus, pas même les responsables des curies qui auraient eu là l’occasion de côtoyer les consuls ? Ou faudrait-il plutôt supposer que, lors de ces comices, les curies sont au minimum représentées par les 30 licteurs (cette mesure ayant éventuellement été prise pendant la deuxième guerre punique, afin d’assurer une représentation minimale de chaque unité de vote) ? Malgré les doutes exprimés par Mommsen135, il est très vraisemblable d’identifier ces licteurs aux licteurs curiates, attestés tant par des sources littéraire squ’épigraphiques136. Ceux-ci convoquaient les comices curiates137 et, comme l’indique leur titre, étaient au service des sacra du peuple romain138, soit qu’ils aient fonctionné comme licteurs des prêtres dans les cérémonies publiques, soit que ces sacra désignent les rites propres aux curies139. Les licteurs mentionnés par Cicéron n’ont pu représenter les curies que si chacun d’entre eux était bien affecté (au moins en théorie) à une curie différente.

Conséquences de la loi curiate et de son absence

Si la fonction de la loi curiate des magistrats est de les rendre iusti, pleinement conformes au droit, quels sont, dans la pratique, les effets de cette loi et, inversement, que signifie pour un magistrat, cependant élu dans les formes, l’absence de celle-ci ? Dans une incise de son deuxième discours sur la loi agraire, Cicéron affirme qu’il n’est pas permis au consul dépourvu de loi curiate de toucher aux affaires militaires140 : la loi curiate est ainsi posée comme un préalable indispensable au départ en campagne d’un consul. Un exemple concret permet de mieux saisir la portée de cette affirmation générale.

Le scandale de 54 En octobre 54 éclate un scandale : les consuls en exercice, nous apprend Cicéron :

« sont complètement déshonorés, C. Memmius, un des candidats [au consulat], ayant donné lecture au Sénat du pacte que lui et son compétiteur Domitius ont fait

134. Cic. Leg. 2, 27 : Hic autem tribunus plebis quia uidebat potestatem neminem iniussu populi aut plebis posse habere, curiatis eam comitiis quae uos non initis confirmauit, tributa quae uestra erant sustulit. 135. Mommsen 1892, p. 282, n. 1 : « nous ne savons si ces licteurs sont ceux des magistrats supérieurs ou ceux des curies ». 136. Sur les licteurs curiates, Scheid, Granino Cecere 1999, p. 92-93. Voir un état de la question dans Van Haeperen 2002, p. 287-288. 137. Gell. 15, 27, 1-2. 138. CIL VI 1892 : curiat(ius) [a] sacris publiciis (sic) p(opuli) R(omani) Quiritium ; CIL XIV 296 : lictor dec(uriae) curiatiae, quae sacris publicis apparet. 139. Scheid, Granino Cecere, 1999, p. 92-93.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 140. Cic. Leg. agr. 2, 30 : consuli, si legem curiatam non habet, attingere rem militarem non licet. 96 Françoise Van Haeperen

avec eux : il y est stipulé qu’ils donneront l’un et l’autre 4 000 000141 sesterces aux consuls s’ils sont eux-mêmes nommés consuls et s’ils ne fournissent pas trois augures pour déclarer qu’ils étaient là quand on a passé une loi curiate dont il n’a pas été question, ainsi que deux consulaires pour déclarer avoir été témoins de la rédaction d’un sénatus-consulte portant allocation de crédits pour les provinces consulaires, quand il n’y a pas eu la moindre séance du Sénat à ce sujet »142.

Au-delà du scandale politique que suscite cet accord électoral entre les consuls en exercice et deux des candidats, relevons d’abord que l’absence de loi curiate ne semble avoir en rien entravé jusqu’alors les consuls en fonction. Rappelons ensuite que ce texte atteste que des augures – trois, semble-t-il – assistaient au vote de cette loi. Les consuls de 54 ne sont pas seulement dépourvus de loi curiate ; ils souffrent également du manque d’un sénatus-consulte sur l’octroi de fonds pour la province qui leur serait dévolue. Ils tentent de remédier à ces deux irrégularités, en demandant aux deux candidats au consulat de trouver des faux témoins, augures et consulaires, prêts à déclarer que ces actes ont été passés. Commentant quelques jours plus tard la situation politique, Cicéron rapporte les propos d’un des consuls : « Appius se fait fort de succéder à notre ami Lentulus sans loi curiate »143. À la fin du mois d’octobre, il tient le même discours à Atticus, en ajoutant toutefois un élément : « Appius pense à aller en Cilicie sans loi curiate, à ses frais »144. À nouveau apparaît un lien implicite entre loi curiate et octroi d’allocations pour le gouvernement d’une province145. Remarquons, avec B. Stasse, que malgré l’absence de loi curiate, les consuls procèdent aux préparatifs d’usage pour les élections consulaires. Si celles-ci n’ont finalement pas lieu en 54, ce n’est pas à cause de l’absence de loi curiate mais parce que l’annonce de mauvais présages les retarde146. Vers la mi-décembre, Cicéron s’adresse en ces termes à Lentulus, gouverneur de la province de Cilicie :

« Appius se plaisait à dire, il y a quelque temps, dans des conversations privées, puis il a dit au Sénat même, ouvertement, que s’il était permis de faire voter la loi curiate,

141. Pour la somme promise par les candidats (extrêmement basse), la leçon des manuscrits (40.000, reprise par l’édition des CUF) doit être corrigée, comme l’a montré Shackleton-Bailey (1965, p. 213-214 et 1987, p. 159). 142. Cic. Att. 4, 17, 2 (Rome, 1er oct. 54): Consules flagrant infamia quod C. Memmius candidatus pactionem in senatu recitauit quam ipse et suus competitor Domitius cum consulibus fecisset, uti ambo HS quadragena consulibus darent, si essent ipsi consules facti, nisi tris augures dedissent qui se adfuisse dicerent cum lex curiata ferretur, quae lata non esset, et duo consulares qui se dicerent in ornandis prouinciis consularibus scribendo adfuisse, cum omnino ne senatus quidem fuisset. (trad. L.-A. Constans, CUF, 5e éd. revue et corrigée, 1960). 143. Cic. Quint. fr. 3, 2, 3 (Rome, 11 oct. 54) : Appius sine lege curiata confirmat se Lentulo nostro successurum. 144. Cic. Att. 4, 18, 4 : Appius sine lege suo sumptu in Ciliciam cogitat. 145. Voir aussi Mommsen 1892, p. 282, n. 2 : « le sénatus-consulte relatif à cet objet (scil. l’équipement du gouverneur) subordonnait la concession des fonds accordés au vote de la loi curiate ». 146. Stasse 2005, p. 395, 397, qui cite Cic. Quint. fr. 3, 3, 2 (21 oct. 54) : Comitiorum cotidie singuli dies tolluntur obnuntiationibus magna uoluntate bonorum omnium. Voir aussi Magdelain

1968, p. 21. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 97

il tirerait au sort sa province avec son collègue ; s’il n’y avait pas de loi curiate, il s’arrangerait avec son collègue et irait te succéder ; le vote de la loi curiate pour un consul était chose utile, mais non indispensable ; puisqu’il était pourvu d’une province par sénatus-consulte, il aurait l’imperium en vertu de la loi Cornélia, jusqu’au moment où il serait entré dans la ville. Je ne sais ce que peut t’écrire là-dessus chacun de tes amis : les opinions, je m’en doute, sont diverses. Il y a ceux qui pensent que tu peux ne pas t’en aller, parce qu’on te succède sans loi curiate ; il y a aussi ceux pour qui, si tu t’en vas, tu peux laisser quelqu’un avec mission de gouverner la province. Quant à moi, la question de droit (bien que là non plus il n’y ait guère de doute) me paraît moins certaine que ceci : ton rang, ta dignité, ton indépendance, dont je te sais jaloux, exigent que tu remettes sans aucun retard ta province à ton successeur, surtout quand tu ne peux barrer la route à sa cupidité sans encourir toi- même le soupçon de cupidité. J’estime que j’ai le double devoir de te dire nettement ma façon de penser et de soutenir le parti que tu auras pris »147.

Dans ce passage, Cicéron rapporte d’abord le point de vue du consul Appius, qui semble bien embarrassé. Il tient à ce que la loi soit votée – il pourra ensuite procéder au tirage au sort de sa province ; se dessine donc un lien entre le passage de la loi curiate et le tirage au sort d’une province. Mais Appius ne semble guère convaincu que ce vote soit autorisé. Pourquoi148 ? Pense-t-il, comme on l’a parfois affirmé, à une intercession tribunicienne ? Ou, plus simplement, les délais habituels pour le vote de cette loi sont-ils depuis longtemps dépassés ? Je pencherais plutôt pour cette deuxième solution, qui cadre avec sa tentative d’obtenir de faux témoignages afin de prouver que la loi avait été votée. Appius envisage d’ailleurs tout autant l’alternative : « s’il n’y avait pas de loi curiate, il s’arrangerait avec son collègue » et succéderait donc à Lentulus – un accord entre magistrats-collègues pouvait effectivement remplacer la sortitio, le tirage au sort. Comme pour se justifier, le consul estime le vote de cette loi comme nécessaire pour un consul mais non indispensable. Même sans loi curiate, il pourra exercer

147. Cic. Fam. 1, 9, 25 : Appius in sermonibus antea dictitabat, postea dixit etiam in senatu palam sese, si licitum esset legem curiatam ferre, sortiturum esse cum collega prouinciam ; si curiata lex non esset, se paraturum cum collega tibique successurum ; legemque curiatam consuli ferri opus esse, necesse non esse ; se, quoniam ex senatus consulto prouinciam haberet, lege Cornelia imperium habiturum, quod in urbem introisset. Ego quid ad te tuorum quisque necessariorum scribat nescio ; uarias esse opiniones intellego. Sunt qui putant posse te non decedere, quod sine lege curiata tibi succedatur ; sunt etiam qui, si decedas, a te relinqui posse qui prouinciae praesit. Mihi non tam de iure certum est (quamquam ne id quidem ualde dubium est) quam illus, ad tuam summam amplitudinem, dignitatem, libertatem, qua te scio libentissime frui solere, pertinere te sine ulla mora prouinciam successori concedere, praesertim cum sine suspicione tuae cupiditatis non possis illius cupiditatem refutare. Ego utrumque meum puto esse, et quid sentiam ostendere et quod feceris defendere (trad. L.-A. Constans, CUF). 148. Les partisans de la théorie selon laquelle la loi curiate conférait des pouvoirs effectifs et était donc proposée par le prédécesseur estiment que, dans cette affaire, les consuls en fonction ne pouvaient proposer leur propre loi curiate. Il serait cependant surprenant, au vu de l’abondante documentation dont on dispose pour ces années, que, si la loi curiate octroyait effectivement des pouvoirs, les consuls de 54, qui en étaient dépourvus, n’aient pas été contestés. Voir en ce sens,

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Stasse 2005, p. 397. 98 Françoise Van Haeperen son imperium dans sa province : il le détiendra en vertu de la lex Cornelia149, jusqu’à ce qu’il revienne dans la Ville. Appius affirme donc avoir trouvé un expédient pour pallier l’absence de loi curiate. Cicéron exprime ensuite les opinions qui circulent à ce propos : selon les uns, Lentulus doit rester en poste, parce que son successeur est dépourvu de loi curiate, pour d’autres, il peut s’en aller s’il laisse quelqu’un qui gouvernera la province. Enfin, il donne son propre point de vue, plutôt alambiqué, et dicté non tant par des considérations juridiques que par les relations amicales qui le lient à Lentulus. Cicéron affirme qu’au niveau du droit, il n’y a guère de doute mais… n’explicite pas son point de vue, malheureusement pour nous. Le contexte me laisserait penser que Cicéron sacrifie ici le respect strict du droit à l’amitié qu’il porte à Lentulus. Autrement dit, cette affaire révèle plusieurs informations. La loi curiate ne semblait absolument pas obligatoire à l’exercice des fonctions consulaires domi. Son absence posait par contre de réels problèmes dès qu’il s’agissait d’exercer l’imperium hors de Rome150. Dans ce cas, la loi curiate, conférant selon moi un magistratus iustus, reconnu par les hommes et les dieux, semblait alors indispensable. En outre, cette loi apparaît comme un préalable essentiel pour l’octroi des moyens destinés au gouvernement d’une province151. Pourquoi les consuls de 54 étaient-ils dépourvus de loi curiate ? Avaient- ils négligé de prendre leurs auspices d’entrée en fonction ? Cela me semble peu vraisemblable, vu l’importance que revêtait la cérémonie, destinée à obtenir l’accord des dieux. Appius, qui était en outre augure, devait bien en être conscient… N’auraient-ils pas obtenu de signes favorables ? Auraient- ils « oublié » de faire passer leur loi curiate ou un tribun aurait-il opposé son intercession ? Autant de questions auxquelles les sources ne permettent pas de répondre directement. On peut simplement constater que les consuls sortis de charge, Pompée et Crassus, étaient défavorables à Appius et à son collègue152, qu’ils auraient pu dès lors empêcher le vote de la lex curiata par l’intermédiaire d’un tribun. Il ne s’agit certes que d’une hypothèse mais qui pourrait être appuyée par le constat suivant : la lex curiata semble être devenue une arme « politique », dont Clodius avait usé en 56 av. n.è., contre Pompée153. Ce dernier aurait-il été tenté de l’utiliser à son tour contre des adversaires ?

149. La lex Cornelia ici mentionnée a pendant longtemps été identifiée à une loi de Sylla réformant en profondeur le gouvernement provincial (les magistrats supérieurs n’auraient plus été autorisés de partir pour leur province durant l’année de leur magistrature), voir par ex. Mommsen 1889, p. 54-55, Magdelain 1968, p. 22-23, Hermon 1982, p. 305-306 ; pour une réfutation en règle de l’existence de cette supposée lex Cornelia de prouinciis ordinandis, voir Giovannini 1983, p. 73-102 ; Girardet 2001, p. 155-157 ; Barrandon, Hurlet 2009, p. 40-41 ; Pina Polo 2011, p. 225-248 ; Humm 2012, p. 62. La lex Cornelia évoquée par Claudius correspond ici à la lex Cornelia maiestatis (Ferrary 2001, p. 103). 150. Cet épisode est l’un des seuls sur lequel tous les chercheurs s’accordent à propos de la lex curiata : il prouve l’importance que revêt cette loi pour l’exercice d’un commandement militaire. Voir par ex. Mommsen 1892, p. 284-285 ; Magdelain 1968, p. 21-22 ; Brennan 2000, p. 18 ; Humm 2012, p. 6162. 151. Stasse 2005, p. 398. 152. Dio Cass. 39, 60. 153. Voir infra p. 100-103. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 99

En gardant à l’esprit que la loi curiate est considérée comme un préalable indispensable pour qu’un magistrat exerce une fonction hors de Rome, examinons deux autres affaires, légèrement antérieures, qui permettent également d’évaluer la portée de la loi curiate ou les conséquences de son absence.

Portée de la loi curiate des décemvirs de 63 C’est d’abord la question de la portée de la loi curiate des décemvirs de 63, qui mérite d’être affrontée. Selon Cicéron qui l’affirme à deux reprises, le tribun Rullus a bien compris que « sans loi curiate les décemvirs ne pourront exercer leurs fonctions »154. Il a en outre prévu que, même si leur loi curiate ne pouvait être votée, ils seraient magistrats eodem iure quo qui optima lege. Il supprime malgré tout le droit d’intercession tribunicienne – ce qui fournit une nouvelle fois à Cicéron l’occasion de tourner son adversaire en ridicule :

« Et, s’il y a lieu de trouver répréhensible qu’un tribun de la plèbe porte atteinte à la puissance tribunicienne, il y a lieu surtout de trouver ridicule – quand un consul ne saurait, sans loi curiate, prendre possession de ses fonctions militaires – qu’un décemvir, contre qui Rullus interdit de faire intercession, soit investi, au cas même où l’intercession aurait lieu, de la même potestas que si la loi avait été votée. Je ne comprends donc pas pourquoi il interdit l’intercession, ou comment il peut s’imaginer que quelqu’un usera de ce droit, quand l’intercession ne ferait que manifester la sottise de l’opposant, sans rien empêcher »155.

Si le contenu de l’incise relative au pouvoir du consul revêtu d’une loi curiate a fait l’objet de nombreux commentaires, sa place dans le développement des arguments présentés par l’orateur n’a guère été analysée par les modernes. Selon B. Stasse, « ce n’est pas une comparaison entre le cas des consuls et celui à venir des décemvirs qui semblerait à l’auteur ridicule, mais le fait à la fois d’interdire l’intercession et de prévoir une mesure annulant les effets d’une éventuelle intercession. C’est dans ce même sens que se conclut ce paragraphe. En somme, la place de cette proposition est difficile à justifier : elle intervient incidemment, brisant quelque peu l’effet du discours »156. Il me semble au contraire que cette incise est parfaitement à sa place dans le développement : si un magistrat supérieur dépourvu de loi curiate ne peut exercer son commandement hors de Rome, il serait à plus forte raison absurde d’autoriser un magistrat extraordinaire revêtu d’un pouvoir moindre d’exercer sans loi curiate ses pouvoirs hors de Rome. Or, il était prévu par Rullus que ces décemvirs soient revêtus d’une potestas certaine,

154. Cic. Leg. agr. 2, 28 : Videt sine lege curiata nihil agi per xuiros posse. Voir aussi un peu plus haut dans le même paragraphe : Vidit et perspexit sine curiata lege xuiros potestatem habere non posse, quoniam per VIII tribus essent constituti. Selon Stasse 2005, p. 391, le vote de la loi curiate est ici destiné à « donner un vernis de légitimité », puisque la première élection, par les 17 tribus n’est pas régulière. 155. Cic. Leg. agr. 2, 30 : Atque hoc cum in eo reprehendendum est quod per tribunum plebis tribunicia potestas minuitur, tum in eo deridendum quod consuli, si legem curiatam non habet, attingere rem militarem non licet, huic, cui uetat intercedi, potestatem, etiam si intercessum sit, tamen eandem constituit quam si lata esset lex, ut non intellegam qua re aut hic uetet intercedere aut quemquam intercessurum putet, cum intercessio stultitiam intercessoris significatura sit, non rem impeditura. , 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 156. Stasse 2005, p. 392-393. 100 Françoise Van Haeperen la potestas praetoria : ils devaient notamment, pour l’établissement des colonies, détenir les auspicia et disposer de pullarii, d’appariteurs, de scribes etc.157. Dans ce cadre, on comprend pourquoi une loi curiate leur serait indispensable pour exercer ce pouvoir hors de Rome. Rullus prévoit cependant le risque d’une intercession tribunicienne contre la loi curiate des décemvirs, qui ruinerait ses projets ; il imagine donc que le texte de la loi soumise aux tribus comporterait un article précisant que, même sans loi curiate, ces décemvirs seraient considérés comme eodem iure quo qui optima lege.

En quoi le retard de la loi curiate de 56 embarrassait-il Pompée ? C’est maintenant la question du vote de la loi curiate de 56, empêché par Clodius, qu’il convient d’examiner. Selon Dion Cassius,

« Pour en faire davantage, Clodius ne permettait pas que la loi curiate soit proposée ; or, avant qu’elle ne soit promulguée, il n’était pas permis de traiter des affaires importantes de la communauté et d’instaurer des procès »158.

Ce texte a fait l’objet de nombreux commentaires qu’il serait trop long de développer ici. Certains savants refusent toute crédibilité à l’affirmation de Dion Cassius, sans nécessairement développer leurs raisons159. La plupart acceptent cependant l’assertion de l’historien grec. Pour la majorité d’entre eux, l’intervention de Clodius concerne la loi curiate de tous les magistrats ; Clodius en empêcha le vote par l’intermédiaire d’un tribun dévoué à sa cause ; son but était de bloquer le fonctionnement de la res publica et de suspendre le cours de la justice160. Peu nombreux sont les savants à s’interroger sur le contexte et l’efficacité de l’obstruction de Clodius : tout au plus certains relèvent-ils que celle-ci n’empêcha pas l’instauration de procès retentissants161 ; cet épisode illustre ainsi, à leurs yeux, le peu de poids accordé désormais par les Romains à la loi curiate162. Une nouvelle lecture de ce passage me semble possible, à la lumière de mon hypothèse relative à la loi curiate des magistrats d’une part, mais aussi d’un

157. Cic. Leg. agr. 2, 32. 158. Dio Cass. 39, 19, 3: Ὁ γὰρ Κλώδιος, ὅπως ἐπὶ πλεῖον ποιοίη, οὐκ εἴα τὸν φρατριατικὸν νόμον ἐσενεχθῆναι· πρὶν γὰρ ἐκεῖνον τεθῆναι, οὔτ’ ἄλλο τι τῶν σπουδαίων ἐν τῷ κοινῷ πραχθῆναι, οὔτε δίκην οὐδεμίαν ἐσαχθῆναι ἐξῆν. 159. Siber 1937, p. 241243 ; Heuss 1944, p. 75 ; Nicholls 1967, p. 270 ; Stasse 2005, p. 393- 394. Cette position apparaît comme dictée par la conception qu’ils se sont forgée à propos du contenu de la loi curiate des magistrats. Ce passage contredirait en effet l’idée défendue par la plupart de ceux-ci que cette loi se rapportait uniquement à l’imperium des magistrats. 160. Mommsen 1892, p. 280 ; Magdelain 1968, p. 1820 ; Develin 1977, p. 52 ; Hermon 1982, p. 302 ; Giovannini 1983, p. 48. 161. Magdelain 1968, p. 19 : « La manœuvre de Clodius échoua. La pratique constitutionnelle se révéla moins exigeante pour la iurisdictio que pour le commandement militaire ». Voir Dio Cass. 39, 18, 1 pour le procès intenté par Clodius contre Milon, sans mention d’une absence de légitimité. D’autres procès ont lieu en ce début d’année. Ainsi, par exemple, P. Sestius est accusé de brigue et de violence le 10 février 56 (Cic. Quint. fr. 2, 3, 5), et défendu par Cicéron (acquittement le 11 mars : Cic. Quint. fr. 2, 4, 1) ; le 11 février 56, Cicéron plaide pour L. Calpurnius Bestia (Quint. fr. 2, 3, 6) ; Sex. Clodius est acquitté vers la fin du mois de mars 56 (Cic. Cael. 78).

162. Magdelain 1968, p. 19-20 ; Hermon 1982, p. 302. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 101

examen attentif du contexte dans lequel Dion évoque l’action de Clodius, bloquant ce vote, afin de gêner Pompée. Présentons d’abord la narration de l’historien grec. Parmi les événements qui émaillent le début de l’année 56 av. n.è., Dion Cassius évoque notamment l’accusation en justice portée contre Milon par Clodius, à peine élu édile ; il avait brigué cette charge, en intriguant, afin d’échapper à un procès que voulait lui intenter Milon163, qui pouvait compter sur l’appui de Cicéron et de Pompée. Ce dernier est également pris pour cible par le nouvel édile. Ainsi, chaque fois que Clodius demandait dans l’assemblée, « qui a dit ou fait cela », tous ses partisans répondaient en chœur : « Pompée ». L’édile posait donc une série de questions susceptibles d’irriter Pompée, qui ne savait comment réagir. « Pour en faire davantage », continue Dion Cassius, « Clodius ne permettait pas que la loi curiate soit proposée ; or, avant qu’elle ne soit promulguée, il n’était pas permis de traiter des affaires importantes de la communauté et d’instaurer des procès ». Cet épisode a lieu, selon Cicéron, lors de la comparution de Milon devant l’assemblée, à l’audience du 7 février164. En quoi les manœuvres de Clodius empêchant le vote de la loi curiate pourraient-elles embarrasser Pompée ? Une réponse très simple consisterait à considérer que la loi mentionnée par Dion se rapportait directement à Pompée. Il faut dès lors se demander à quel titre ce dernier aurait pu ou dû bénéficier d’une loi curiate en ce début d’année 56. Pompée, on le sait, n’est, à ce moment, revêtu d’aucune magistrature ordinaire. Il est par contre chargé, depuis septembre 57, du ravitaillement en blé pour une durée de cinq ans165. La loi curiate à laquelle Clodius fait obstruction pourrait-elle donc être celle de Pompée, en tant que curator annonae ? Pour tenter de répondre à cette question, rappelons d’abord que des magistrats extraordinaires pouvaient être revêtus d’une loi curiate, comme nous le montre Cicéron à propos des décemvirs chargés de l’application de la loi agraire, que voulait instituer Rullus en 63 av. n.è.166. Retraçons ensuite les étapes de la « carrière » de Pompée en tant que responsable de l’approvisionnement de Rome167 et les épisodes qui pourraient y être liés, en les examinant à l’aune de notre hypothèse. Lors de son retour d’exil à Rome, au début du mois de septembre 57, Cicéron se voit accuser par Clodius et ses partisans d’avoir provoqué une disette de blé. Rome connaissait effectivement depuis plusieurs mois une difficulté d’approvisionnement. Sur proposition de l’Arpinate est alors voté, le 8 septembre 57, un sénatus-consulte proposant le vote d’une loi par laquelle on confierait à Pompée la charge du ravitaillement en blé (potestas rei frumentariae) dans le monde entier168. Ce dernier disposerait en outre de quinze légats pour

163. Dio Cass. 39, 18-19, 1-3. 164. Cic. Quint. fr. 2, 3, 2. 165. Broughton 1952, p. 203-204, 211. 166. Cic. Leg. agr. 2, 26-28. 167. Sur Pompée, responsable de l’annone, Virlouvet 1985, p. 15-16, 42-44 ; Garnsey 1996, p. 264-265 ; Girardet 2001, p. 187190 ; Seager 2002, p. 107-109. 168. Cic. Att. 4, 1, 6-7 ; Dom. 16 ; Liv. Per. 104 ; Plut. Pomp. 49, 4-50, 1 ; Dio Cass. 39, 9,

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 3. Voir Rotondi, 1912, p. 402 ; Broughton 1952, p. 203-204, 211. 102 Françoise Van Haeperen accomplir sa mission, parmi lesquels Cicéron, à titre purement honorifique, et son frère Quintus169. La correspondance de Cicéron, bien fournie pour les derniers mois de l’année 57, n’offre guère de renseignements sur la nouvelle charge de Pompée. Elle apprend simplement que son frère Quintus est en partance pour la Sardaigne au début du mois de décembre, vraisemblablement pour s’acquitter de sa mission de légat du grand homme170. Il s’y trouve le 17 janvier 56171 et Pompée l’y rencontrera en avril 56172. Si la loi curiate mentionnée par Dion Cassius concerne la charge de Pompée, on constate dès lors les points suivants. D’une part, celle-ci n’aurait pas été votée immédiatement après la lex lui attribuant ce pouvoir, peut-être à cause du contexte politique troublé qui empêcha également l’élection des édiles173. D’autre part, l’absence de loi curiate n’empêcherait cependant pas Pompée de nommer des légats et de les envoyer, ou du moins l’un d’entre eux, en mission (Quintus Cicero en Sardaigne). Malgré l’absence de loi curiate, Pompée est considéré, en janvier 56, comme revêtu de l’imperium174. Cet imperium ne peut que se rapporter à sa charge de curator annonae, seule fonction publique qu’il revête à cette époque. En février 56, date obtenue par le recoupement entre les données fournies par Dion Cassius et Cicéron, Clodius cherche à gêner Pompée par différents moyens, notamment en empêchant le vote de ce que l’on suppose ici être sa loi curiate : on remarque que l’une des pointes de Clodius contre lui concerne précisément l’approvisionnement de Rome (« Qui affame le peuple ? » demande l’édile à ses bandes, qui répondent en chœur « Pompée »)175. Apparemment, à cette date, la question du ravitaillement est toujours pressante et Clodius présente Pompée comme impuissant ou incapable de la résoudre, en le tournant en dérision. Sans loi curiate, Pompée ne pourrait donc s’occuper efficacement des « affaires importantes de la communauté », relevant de sa compétence – et nécessitant une présence hors de Rome. Or, nous l’avons vu, la loi curiate semble indispensable pour toute charge exercée hors de la Ville. La première mention dans nos sources relative à une mesure concrète liée au ravitaillement est celle d’un sénatus-consulte attribuant à Pompée 40 millions de sesterces le 5 avril 56176. Peu de temps après, Pompée quitte Rome pour

169. M. Tullius Cicero : Cic. Att. 4, 1, 7 ; 4, 2, 6 ; Cic. Quint. fr. 2, 1, 3 ; 2, 2, 1 ; 2, 3, 7 ; Fam. 1, 9, 9 ; Scaur. 39. Broughton 1952, p. 205. 170. Cic. Quint. fr. 2, 1, 3. 171. Cic. Quint. fr. 2, 2, 1. 172. Cic. Fam. 1, 9, 9. 173. Cic. Att. 4, 3, 2-5 ; Quint. fr. 2, 1, 2-3 ; Dio Cass. 39, 7. 174. Cic. Fam. 1, 1, 3 (13 janvier 56). Crassus propose en effet de nommer trois plénipotentiaires chargés de reconduire le roi Ptolémée en Égypte ; il n’en exclut pas Pompée, puisque, « selon lui, ils doivent être choisis même parmi ceux qui sont revêtus de l’imperium » (trad. L.-A. Constans, CUF, 1935). 175. Cic. Quint. fr. 2, 3, 2. 176. Cic. Quint. fr. 2, 5, 1. Cicéron ajoute que cette même séance du Sénat a été troublée par les « clameurs de la place publique. Le manque d’argent et la cherté des vivres (annonae caritas) envenimaient le débat (…) » (2, 5, 3). Ces éléments indiquent bien que les problèmes de

ravitaillement sont toujours d’actualité. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 103

rencontrer César à Lucques. Il embarqua ensuite pour la Sardaigne et l’Afrique177. Ces indications fournies par Cicéron sont bien évidemment à mettre en rapport avec la mission de curator annonae de Pompée, qui vient d’obtenir un budget important à cette fin178. Serait-il possible que ce sénatus-consulte soit lié au vote de la loi curiate, qui aurait été acquis peu de temps auparavant ? Les sources ne permettent pas de répondre avec certitude à cette question. Relevons cependant quelques éléments dignes d’intérêt. D’une part, Clodius n’est plus à cette date aussi opposé à Pompée179 ; il concentre plutôt ses attaques contre Cicéron et a donc pu, finalement, laisser ce vote avoir lieu. D’autre part, le cas des consuls de 54, dépourvus de loi curiate mérite d’être rappelé : il apparaissait en filigrane de cette affaire, que la loi curiate d’un consul conditionne l’obtention de fonds publics destinés à l’exercice d’une fonction proconsulaire. Dans le cas de Pompée aussi, le vote de la loi curiate s’avérerait un indispensable préalable à l’obtention de deniers publics lui permettant de mener à bien sa mission. Mais la loi curiate serait aussi indispensable, si l’on revient au texte de Dion Cassius, pour pouvoir intenter, des procès, dans le cadre de sa fonction : vraisemblablement en Italie et dans les provinces, à des negotiatores qui en ces temps de disette auraient misé sur la spéculation, en attendant la hausse des prix pour vendre leurs stocks180.

Il n’est pas impossible cependant que le vote de la loi curiate contré par Clodius ait en fait concerné la totalité des magistrats (dont les édiles qui venaient d’être élus le 20 janvier). Dans la mesure où celle-ci n’est pas indispensable pour un magistrat restant à Rome (en suivant toujours mon hypothèse), on comprend pourquoi les autres magistrats n’étaient guère gênés. Mais on comprendrait aussi pourquoi certains problèmes se posaient au début du mois de février 56. Selon Cicéron, « on aborda [au sénat] la répartition des questeurs dans les provinces et les indemnités de gouvernement des préteurs. Mais plusieurs orateurs intervinrent pour se plaindre de la situation politique, et aucune question ne fut réglée »181. La difficulté à résoudre ces questions liées à des fonctions de magistrats exercées hors de Rome pourrait bien être liée à l’absence de loi curiate182.

177. Cic. Quint. fr. 2, 5, 3 ; Fam. 1, 9, 9. 178. Voir aussi en ce sens Plut. Pomp. 49-50. Remarquons en outre que Rome semble toujours connaître une carence d’approvisionnement, ou à tout le moins une cherté des vivres, au printemps 56 et que le « ramassage des céréales » effectué sous la direction de Pompée a dû avoir lieu après les moissons (Virlouvet, 1985, p. 43. Cic. Quint. fr. 2, 5, 1 ; Har. 31 ; Balb. 40). 179. Tatum 1999, p. 212-214 ; Seager 2002, p. 116-119. 180. Sur ce type de procès en cas de disette, voir Virlouvet 1985, p. 46-47, 101-102. Voir aussi Cic. Dom. 11. 181. Cic. Quint. fr. 2, 3, 1 (Rome, 12 et 15 février 56) : Interim reiectis legationibus in Idus referebatur de prouinciis quaestorum et de ornandis praetoribus; sed res multis querelis de re publica interponendis nulla transacta est.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 182. Voir en ce sens Magdelain 1968, p. 19-20. 104 Françoise Van Haeperen

Absence de loi curiate pour les consuls de 49 Dans son récit de l’année 48, Dion Cassius rapporte que les Romains avaient, cette année-là, des « magistratures doubles » 183. À Rome, les élections avaient eu lieu selon la coutume : César et Publius Seruilius avaient obtenu le consulat. À Thessalonique par contre, où Pompée avait fui avec plus de 200 sénateurs et les consuls, « on n’avait pas pris de dispositions de ce genre ». Pourtant, ajoute l’historien, des mesures avaient été mises en œuvre pour préparer les élections : on avait ainsi « consacré un espace pour prendre les auspices afin qu’ils parussent l’être légalement, de façon à donner le sentiment que, par ces moyens, c’était le peuple et la Ville entière qui se trouvaient là ». Si les élections n’ont finalement pas lieu, c’est parce que « les consuls n’avaient pas fait voter de loi curiate ». Le plus-que-parfait indique bien que l’historien pense à la loi curiate des consuls de 49, qu’ils auraient dû faire passer avant de quitter Rome dans la hâte184. Si Dion Cassius rapporte le motif invoqué pour ne pas tenir les élections, il rappelle tout autant la volonté affichée de ne pas rompre avec les « coutumes ancestrales ». Il n’en est pas moins conscient des motivations profondes qui animent alors les chefs deux camps opposés : « dans les faits, Pompée et César qui, pour la propagande, détenaient un titre légal, l’un de consul, l’autre de , faisaient entièrement non pas ce que leur imposait leur charge, mais ce qu’ils voulaient ». La raison brandie pour éviter de tenir des élections s’apparente davantage à un prétexte qu’à un réel empêchement185. Je ne m’y arrêterai donc guère. D’une part, Pompée préférait vraisemblablement ce cas de figure, qui lui permettait de ne pas être flanqué de consuls. D’autre part, devant la situation d’urgence en 49, aucun des Pompéiens ne semble avoir prêté attention, avant ces élections manquées, à l’absence de loi curiate des consuls, qui exercèrent dès lors leur imperium militiae pendant une bonne partie de la durée de leur charge. La question qui m’intéresse ici est plutôt la suivante : pourquoi les consuls de 49 n’ont-ils pas fait voter la loi curiate ? Rappelons d’abord les circonstances tumultueuses de ce début d’année : le processus de guerre civile est accéléré depuis qu’une lettre de César a été lue au Sénat le 1er janvier : il y proposait que Pompée et lui déposeraient leur commandement en même temps ; si Pompée refusait, il rentrerait rapidement pour se défendre. Des discussions violentes s’ensuivent. Le sénat décide le 7 janvier de destituer César de son commandement et vote un ultimum ; les tribuns Marc-Antoine et Q. Cassius, désormais menacés, quittent Rome. Apprenant que César a franchi le Rubicon, Pompée décide, le 17 janvier, de laisser Rome, avec les consuls et le Sénat, pour

183. Dio Cass. 41, 43, 2-5 : (…) οἱ δὲ ἐν τῇ Θεσσαλονίκῃ, τοιοῦτο μὲν οὐδὲν προπαρεσκευάσαντο, καίτοι τῆς τε ἄλλης βουλῆς (ὥς φασί τινες) ἐς διακοσίους, καὶ τοὺς ὑπάτους ἔχοντες· καί τι καὶ χωρίον ἐς τὰ οἰωνίσματα (τοῦ δὴ καὶ ἐν νόμῳ δή τινι αὐτὰ δοκεῖν γίγνεσθαι) δημοσιώσαντες, ὥστε καὶ τὸν δῆμον, δι’ αὐτῶν, τήν τε πόλιν ἅπασαν ἐνταῦθα εἶναι νομίζεσθαι. Αἴτιον δὲ, ὅτι τὸν νόμον οἱ ὕπατοι τὸν φρατριατικὸν οὐκ ἐσενηνόχεσαν (…). 184. Kunkel 1995, p. 100 suggère que Dion a pu mal comprendre sa source, selon laquelle il y aurait eu une impossibilité à élire des magistrats à Thessalonique, dans la mesure où leur loi curiate n’aurait pas pu être présentée puisque les curies devaient se réunir à Rome. Cette hypothèse, reconnaît-il, reste sans fondement. 185. Nicholls 1967, p. 270 ; Catalano 1960, p. 424, n. 125 ; Stasse 2005, p. 399. Magdelain

1968, p. 18 penche davantage pour un scrupule juridique. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 105

la Campanie186. On comprend dès lors que le vote de la loi curiate n’ait pas constitué une priorité pour les consuls. D’autre part, il semble intéressant de mettre l’information livrée par Dion Cassius en rapport avec un passage de La Guerre civile de César : après avoir dénoncé les nominations, en ce début d’année (peu après le 7 janvier), de particuliers au gouvernement des provinces, César ajoute,

« Et, sans attendre (ce qui s’était fait jusqu’alors) que leurs pouvoirs soient ratifiés par le peuple (ut de eorum imperio ad populum feratur), ils revêtent le paludamentum, prononcent leurs vœux et partent. Les consuls, chose inouïe jusqu’à ce jour, sortent de la ville… et de simples particuliers ont des licteurs dans Rome et au Capitole, contrairement à toutes les traditions »187.

Ce passage est bien sûr polémique188. Il s’agit pour César de dénoncer le manque de légitimité de ses adversaires. Que des particuliers soient nommés au gouvernement des provinces ne constituait cependant pas une irrégularité, puisque la lex Pompeia de prouinciis avait introduit un intervalle de cinq ans entre l’exercice d’une magistrature urbaine et celui d’une promagistrature ; seuls pouvaient être nommés gouverneurs de province des magistrats sortis de charge depuis 5 ans, et donc priuati189. Que le peuple ne soit pas appelé à leur attribuer l’imperium, voilà qui représentait par contre un manquement. Depuis la lex Pompeia, les futurs gouverneurs n’étant plus magistrats depuis cinq ans, il était nécessaire de leur faire octroyer l’imperium, par le peuple, vraisemblablement réuni en comices centuriates. Cette hypothèse défendue avec de solides arguments par A.J. Marshall190 cadre avec la mienne, selon laquelle la lex curiata n’attribue ni imperium ni auspicium mais rend « simplement » les magistratures parfaitement légitimes. Il est cependant possible que ces promagistrats, une fois désignés par le Sénat et revêtus de l’imperium par le peuple, aient en outre été pourvus d’une lex curiata, les rendant parfaitement iusti – mais on ne peut exclure que la lex Pompeia ait prévu une dispense de celle-ci191. L’affirmation de César selon laquelle le peuple ne s’était pas prononcé sur l’imperium de ces promagistrats semble cependant contredite par Cicéron qui les considère comme détenteurs de l’imperium192. Il est possible aussi, comme

186. Voir par ex. Wiseman 1994, p. 422-423 et Rawson 1994 p. 424. 187. Caes. Bell. ciu. 1, 6, 5-7 : Neque exspectant, quod superioribus annis acciderat, ut de eorum imperio ad populum feratur, paludatique uotis nuncupatis exeunt. Consules, quod ante id tempus accidit nunquam, … ex urbe proficiscuntur, lictoresque habent in urbe et Capitolio priuati contra omnia uetustatis exempla. 188. Sur ce passage, Linderski 1996, p. 164-167. 189. Sur cette loi Marshall 1972, p. 892-895. Voir le récent état de la question de Barrandon et Hurlet 2009, p. 41-42. 190. Marshall 1972, p. 893-895 ; voir aussi en ce sens Magdelain 1968, p. 24. Précédemment, certains reconnaissaient une loi curiate dans la lex mentionnée par César : Mommsen 1893, p. 277, n. 4. 191. Linderski 1996, p. 166 considère que, en vertu de la lex Pompeia, les gouverneurs choisis par le Sénat recevaient l’imperium par une loi de l’assemblée centuriate ou tribute, suivie par une lex curiata de imperio. 192. Cic. Att. 8, 15, 3 : Nam aut cum imperio sunt ut Pompeius, ut Scipio, Sufenas, Fannius,

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Voconius, Sestius, ipsi consules quibus more maiorum concessum est uel omnis adire prouincias, aut 106 Françoise Van Haeperen le note subtilement J. Linderski, que César joue ici avec des « semi-vérités »193. Peut-être ces promagistrats ont-ils bien reçu l’imperium du peuple (on conçoit mal qu’ils se soient passés de ce vote), entre leur nomination qui intervient peu après le 7 janvier et le départ de Rome vers le 17 janvier194, mais peut-être ne bénéficiaient-ils pas de la lex curiata que les consuls n’avaient pu faire passer en ce début d’année extrêmement troublé. Or César semble attaquer non seulement la légitimité des promagistrats mais aussi celle des consuls : Consules, quod ante id tempus accidit nunquam, … ex urbe proficiscuntur. Certains modernes considèrent cependant que ce passage comporte une lacune après nunquam, même si les manuscrits sont unanimes : on ne comprendrait pas, en effet, en quoi il serait inouï que les consuls sortent de la ville195. Par contre, point n’est besoin de supposer une lacune si l’on considère que le vote de imperio mentionné par César concerne non seulement les promagistrats qui viennent d’être nommés mais aussi les consuls, qui, selon Dion Cassius, n’avaient pas fait voter la loi curiate. Autrement dit, le vote dont César dénonce l’absence pourrait correspondre à celui de la lex curiata que proposaient les consuls en début d’année. Si tel était le cas, il serait effectivement sinon inouï du moins très inhabituel que des consuls quittent la Ville sans loi curiate196 : des entorses avaient déjà eu lieu quelques années auparavant, en 54, quand Appius partit pour sa province – sans loi curiate, semble-t-il197. Selon Cicéron toutefois, qui écrit en mars 49, les consuls qui fuient Rome sont revêtus de l’imperium ; certes, tel est le cas en vertu de leur élection mais, sans loi curiate198, ils ne pouvaient être considérés comme magistratus iusti et, en droit strict, ne pouvaient dès lors quitter Rome199. À en croire César d’autre part, les promagistrats aussi souffraient d’un manque de légitimité, lié à l’absence de lex de imperio. Malgré tout, ils respectent certaines des formes d’usages : revêtus de l’habit de général, ils prononcent les vœux sur le Capitole, rite traditionnel, préalable indispensable au départ en campagne. Ils n’en restent pas moins, aux yeux de leur adversaire, des priuati, à l’instar de Flaminius qui était rentré en fonction dans sa province et dont l’imperium ne pouvait être considéré iustum…200. « Toutes les lois divines et humaines » étaient ainsi « bouleversées », écrit César, après avoir rappelé que même l’argent des temples était réquisitionné201. legati sunt eorum. Parmi les gouverneurs cités par César, Cicéron mentionne Scipio ; César évoque également de manière générique des préteurs, là où Cicéron cite Sufénas (Broughton 1952, p. 262 mais qui est déjà promagistrat en 50 donc ne compte pas), Fannius (Broughton 1952, p. 262), Voconius (Broughton 1952, p. 264) et Sestius (Broughton 1952, p. 264). 193. Linderski 1996, p. 166-167. 194. Quelques dies comitiales figurent dans ce laps de temps : les 8, 12 et 16 janvier. Degrassi 1963, p. 392-398. 195. Voir l’édition et le commentaire de P. Fabre dans la CUF (1936), p. 78. 196. Cf. supra p. 97-98. 197. Voir Pina Polo 2011, p. 235. 198. Comme on le sait par Dion Cassius. 199. Cic. Leg. agr. 2, 30. 200. Ils « négligèrent » aussi la célébration des Féries latines (tout comme Flaminius pour d’autres raisons). Peut-être est-ce afin de réparer ce manquement que César les célébra-t-il à la fin de l’année 49 (Bell. ciu. 3, 2, 1) ? Voir en ce sens Stewart 1998, p. 35.

201. Caes. Bell. ciu. 1, 6, 8. 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers Auspices d’investiture, loi curiate et légitimité des magistrats romains 107

Dans ces mois de guerre civile, la question de la lex curiata importait sans doute peu. Celle-ci pouvait cependant, à l’occasion, servir de prétexte – comme à Thessalonique pour éviter la tenue des élections – ou être brandie par après pour prouver l’illégalité de ses adversaires – comme le fait vraisemblablement César dans son De bello ciuile.

Au terme de cet article, il apparaît que la loi curiate peut faire l’objet d’une interprétation profondément renouvelée, si on l’examine à la lumière des auspices d’entrée en charge des magistrats. Ainsi, les passages de Cicéron, selon lesquels les comices curiates auraient subsisté auspiciorum causa ne feraient pas référence à un droit d’auspices qu’aurait attribué la loi curiate (droit que les magistrats semblent avoir possédé, même en l’absence de cette loi202). Ces mots se rapporteraient bien plutôt aux auspices que prenait tout magistrat à l’aube de son entrée en charge. Selon Messala et Cicéron, la loi curiate conférait aux magistrats une légitimité totale : cet acte était possible après l’élection mais aussi, ai-je suggéré, après que les dieux avaient, lors des auspices d’entrée en charge, confirmé le choix posé par le peuple. Dès lors, le magistrat pouvait être considéré comme iustus et convoquer les comices pour faire voter sa lex curiata. Si l’on accepte cette interprétation, au moins à titre d’hypothèse de travail, il apparaît que les textes relatifs à la loi curiate – qui jusqu’alors semblaient en partie contradictoires – peuvent recevoir un nouvel éclairage et faire l’objet d’une lecture cohérente. Le surcroît de légitimité que confère la lex curiata semble un préalable indispensable à l’exercice d’une magistrature hors de Rome, comme l’indique le cas des consuls de 54 : sans loi curiate, pas d’allocations de fonds pour le gouvernement des provinces attribuées aux consuls. Cette loi semble aussi nécessaire à des magistrats extraordinaires, devant accomplir une mission hors de Rome, tels les décemvirs du projet de loi de Rullus en 63 ou, semble-t-il, Pompée, revêtu de la fonction de curator annonae. Les magistrats extraordinaires pouvaient toutefois être dispensés de loi curiate, si la loi ou le sénatus-consulte d’attribution de leur fonction contenait une clause en ce sens. Ce n’est peut-être pas un hasard si, en janvier 43, Octavien reçoit l’imperium proprétorien eo iure quo qui optimo (n’étant pas à Rome, il n’aurait pu y prendre ses auspices d’entrée en charge – qu’il prendra à Spolète – ni donc y bénéficier d’une lex curiata)203. La loi curiate des magistrats était un acte tellement habituel qu’il ne fait guère l’objet de l’attention des auteurs. Si nous en sommes informés, c’est parce que, durant les années troublées de la fin de la République – particulièrement dans les années 50 –, plusieurs entorses à la tradition semblent avoir eu lieu. En 56, Clodius empêche le vote de la loi curiate pour gêner Pompée ; en 54, les consuls en sont dépourvus pour des raisons qui nous échappent (mais qui pourraient

202. Selon de nombreux textes, auspicium et imperium dérivent d’ailleurs de l’élection (sans aucune mention de la lex curiata). Voir par ex. Cic. Leg. agr. 2, 17 : omnes potestates, imperia, curationes ab uniuerso populo profiscisi conuenit ; Cic. Diu. 2, 76 : a populo auspicia accepta ; Liv. 26, 18, 9 ; Paul.-Fest. p. 43 L. : cum imperio dicebatur apud antiquos, cui nominatim a populo dabatur imperium.

, 23, 2012 © Editions de Boccard 2013 de Boccard , 23, 2012 © Editions Gustave-Glotz du Centre Cahiers 203. Cic. Phil. 5, 45. 108 Françoise Van Haeperen

être liées à des inimitiés politiques) ; en 49, les consuls ne la font pas voter, avant de quitter Rome vers le 17 janvier. La loi curiate semble ainsi être devenue une des armes politiques à opposer à ses adversaires pour entraver leurs actions, ou un prétexte à brandir pour dénoncer le manque de légitimité de ses ennemis. Le passage d’Appien relatif aux auspices extraordinaires que prend Octavien pour initier son consulat indique aussi qu’il réunit ce jour-là les comices curiates, pour faire voter son adoption posthume par César – mais aussi vraisemblablement pour faire passer sa loi curiate. Octavien se serait dès lors posé, à ce niveau aussi, comme un restaurateur de coutumes ancestrales bafouées pendant la décennie précédente.

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