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Association de l’Inspection générale de l’administration

L’HISTOIRE

DU QUARTIER

DE BERCY

"Qui n'a entendu le nom de Bercy, la ville des vins, qui renferme plus de tonneaux que Gargantua n'en aurait vidé en cent ans, Bercy, la grande coupe rouge où boit ? (…) En vérité, Bercy est pour vous une terre étrangère. Écoutez donc et instruisez-vous, si bon vous semble." Aristide FRÉMINE

MARS 2017

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Avertissement

La présente monographie est un travail d’ « historien-amateur », dont la seule prétention est d’offrir aux membres de l’Inspection générale de l’administration, pour une utilisation strictement interne, une vue d’ensemble sur l’histoire du Quartier de Bercy.

Le choix a été fait de laisser la plus grande place à la citation de textes anciens ou d’analyses modernes.

Remerciements

Merci à Damien REBERRY, Eric FERRI et Guy HAMON pour leur relecture attentive et leurs précieux conseils.

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SOMMAIRE

1 - LE PÉRIMÈTRE DE BERCY ...... 9 2 - BERCY À LA PRÉHISTOIRE, UN DES PLUS ANCIENS LIEUX DE PEUPLEMENT DE PARIS ...... 11 E 3 - LA SEIGNEURIE DE BERCY, DE L'ÉPOQUE MÉDIÉVALE AU XVII SIÈCLE . 15 3.1. Une mosaïque de seigneuries médiévales ...... 15 3.2. Un lieu de séjour au plus près du roi ...... 17 3.3. Aux XVIE et XVIIE siècles, la constitution progressive du domaine Malon de Bercy ...... 18 E 4 - AU XVIII SIÈCLE, UN LIEU DE VILLÉGIATURE FORT PRISÉ PAR L'ARISTOCRATIE ...... 19 4.1. Le château de Bercy ...... 19 4.2. Le "Pâté-Pâris" ...... 23 4.3. La Grande Pinte, refuge du bandit Cartouche ...... 26 4.4. Les hôtels particuliers du "Petit Bercy"...... 27 4.5. Le quartier de la Râpée ...... 30 E 5 - LA TRANSFORMATION PROGRESSIVE DE BERCY AU XIX SIÈCLE ...... 33 5.1. L'instauration de la Commune de Bercy en 1790 ...... 33 5.2. Le développement du commerce de vins à Bercy au début du XIXe siècle ...... 36 5.3. La problématique des limites administratives et fiscales de Paris ...... 41 5.4. Le développement des entrepôts de Bercy à la fin du XIXe siècle ...... 45 5.5. Le développement des infrastructures au service des entrepôts de Bercy ...... 49 5.6. Une ville dans la ville ...... 51 5.7. La disparition du domaine Malon de Bercy...... 56 6 - BERCY, PRÉSENT ET FUTUR ...... 63 6.1. La mort progressive des entrepôts de Bercy ...... 63 6.2. Premiers projets et premières réalisations : le Palais omnisports de Paris- Bercy (POPB) ...... 64 6.3. La ZAC de Paris-Bercy ...... 66 6.4. Le désenclavement du quartier de Bercy ...... 70 6.5. De l'immeuble "Bercy-Expo" à l'immeuble "Le Lumière" ...... 71 6.6. Les projets pour l'avenir : retrouver l'unité perdue de Bercy ...... 74

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L’immeuble « Le Lumière », qui accueille l’Inspection générale de l’administration (IGA), est situé avenue des Terroirs de France, dans le XIIe arrondissement.

Extrait du plan cadastral du XIIe arrondissement (2016)

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Il occupe plusieurs parcelles des anciens entrepôts de vins de Bercy.

Localisation de l’immeuble « Le Lumière » sur le plan des entrepôts de Bercy (vers 1950)

Il se trouve exactement sur la parcelle, qui, au XVIIIe siècle, accueillait, le long de la rue de la Grange aux Merciers, la propriété des frères Pâris de Monmartel (ou « Montmartel »)1

Localisation de l’immeuble « Le Lumière » sur le plan de Bercy au XVIIIe siècle

1 Financiers du Régent et de Louis XV. Jean Pâris de Monmartel est le parrain de la marquise de Pompadour. 6

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Cette propriété était, vers la , agrémentée du pavillon Pâris de Monmartel, construit en 1727 et surnommé le « Pâté Pâris » 2.

Le Pavillon Pâris de Monmartel, dans la propriété des Frères Pâris à Bercy

Située à l’extrémité Sud de l’immeuble « Le Lumière », l’IGA se trouve exactement à l’emplacement de ce pavillon qui faisait l’admiration de ses contemporains.

Pâris de Monmartel, banquier de la cour, receveur des rentes de la Ville de Paris, 1690-1766, par Robert Dubois-Corneau, Ed. Meynial (Paris), 1917

« (…) Le pavillon bâti par Antoine Pâris était construit de pierre de taille "à la romaine". Par allusion à sa forme massive, le peuple le désignait sous le nom de "Pâté Pâris" ; on le nomma aussi "Pavillon Martel", quand il passa à Pâris de Monmartel (…). "Cet édifice, dit Germain Brice, qui n'a que dix toises de face ne présente à la vue qu'un étage bien qu'il en ait cinq... La distribution en est singulière : il est terminé par une plate-forme qui fournit une belle vue, et il n'y paraît aucune cheminée." Toute cette construction somptueuse était rayée de refends et de bossages. (…) On accédait à l'entresol - en fait le premier étage - par de grands perrons en pierre garnis de rampes de fer forgé et divisés en paliers à la française dont le pourtour formait une première et vaste terrasse dominant la Seine. Deux salons se faisant suite occupaient le milieu du pavillon dans le sens de la longueur, chacun éclairé par trois baies cintrées. L'un avait vue sur le jardin, l'autre sur le fleuve. Du dernier, on descendait sur la grande terrasse par un perron de huit degrés aux courbes harmonieuses ; un magnifique balcon de fer forgé décorait la balustrade de ce côté. Ces deux salons étaient ornés de la plus riche manière. (…) »

2 Voir section 4.2. 7

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1 - LE PÉRIMÈTRE DE BERCY

Bercy est aujourd’hui le 47e quartier administratif de Paris. Il forme, avec les quartiers de Picpus, de Bel-Air et des Quinze-Vingts, le 12e arrondissement de Paris.

Localisation du quartier contemporain de Bercy

Le quartier contemporain de Bercy est d’une dimension nettement plus réduite que la « seigneurie de Bercy », telle qu’elle existait encore au XVIIIe siècle, ou que la « commune de Bercy » instituée de 1790 à 1859.

Il présente une superficie de 190,3 hectares (avec 13 987 habitants. en 1999), soit les deux tiers seulement de l’ancienne commune de Bercy.

Si on se réfère aux voies modernes de circulation, le périmètre de la commune de Bercy était délimité : - au Nord-Ouest, depuis le pont de Bercy (ancienne barrière de la Râpée), par le boulevard de Bercy jusqu’à la place du Bataillon-du-Pacifique (ancienne barrière de Bercy) ; - au Nord, par le boulevard de Bercy de la place du Bataillon-du-Pacifique jusqu’à la station de métro Dugommier (ancienne barrière de Charenton) ; puis par le boulevard de Reuilly, jusqu’à l’actuelle place Daumesnil-Félix Éboué (ancienne barrière de Reuilly), puis jusqu’au croisement du boulevard de Reuilly et du boulevard de Picpus (ancienne barrière de Picpus) ; puis par la rue de Picpus, jusqu’à l’avenue Daumesnil (ancien carrefour de la Croix-Rouge) ; puis par l’avenue Daumesnil, jusqu’au boulevard périphérique (au niveau du Palais de la Porte dorée) ; - à l’Est, par le boulevard périphérique (du Palais de la Porte dorée jusqu’à la route de Paris à Charenton) ; - au Sud-Est-Est, par l’avenue de la Liberté et par la rue de l’Arcade à Charenton, jusqu’à la Seine (au pont Nelson Mandela) ; - au Sud-Ouest, par la Seine.

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Plan de la commune de Bercy inscrit sur le plan de Paris fortifié, dressé par J. Andriveau-Goujon en 1845

Lors de la suppression de la commune de Bercy par la loi sur l’extension des limites de Paris du 16 juin 1859, son territoire est réparti entre la Ville de Paris (arrondissement de Reuilly) et la commune de Charenton.

Paradoxalement, l’actuel ministère de l’Économie et des Finances, portant surnommé « Bercy », est situé en dehors de limites historiques de la seigneurie, puis du quartier de Bercy…

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2 - BERCY À LA PRÉHISTOIRE, UN DES PLUS ANCIENS LIEUX DE PEUPLEMENT DE PARIS

Bercy constitue un des plus anciens lieux de peuplement de Paris.

La Seine préhistorique (entre le Paléolithique et le Néolithique, soit entre 3 millions et 6500 ans av. J.-C.) occupe plusieurs kilomètres de largeur. Elle s’étend jusqu’au pied des 7 collines de Paris3.

Après son retrait, apparaît une vaste zone de marécages entre l’actuelle et , d’où émergent des monceaux de terre cultivables. La Seine est ainsi longée par des collines de 70 à 130 mètres de haut et des vallées et marécages plus ou moins étroits.

Les pirogues néolithiques de Paris-Bercy - Traces de travail et techniques de façonnage, par Béat Arnold, in revue Archaeonautica, volume 14, CNRS Éditions, 1998

« La plaine de Bercy qui repose sur un ancien lit de la rivière est située sur la rive droite au fond de la vallée de la Seine et à environ 2,5 km en aval de la confluence avec la Marne. Cet ancien tracé et l’activité de son écoulement pourraient s’étendre de 100 000 ans au XVIIIe siècle et a conservé les alluvions de 3 lits successifs partiellement emboîtés. Les alluvions grossières (galets de silex et blocs de calcaire) du lit le plus ancien se rapportent à la dernière époque glaciaire comprise entre 100 000 ans et 10 000 ans. Le deuxième lit, constitué d’un dépôt fin, date du début du Postglaciaire (entre -7500 et -5500), surmonté d’un troisième lit creusé au début de la période climatique de l’Atlantique (entre -8000 et -4800). Après les derniers remaniements climatiques de la période subboréale (entre -4800 et -2700), il est décrit jusqu’en 1758, date de son dernier comblement, comme un bras mort. (…) »

Ces vallées alluviales bénéficient d’un sous-sol d’argile, de calcaire, de sable et de gypse, tous matériaux utiles pour les constructions.

Conduites entre 1991 et 1996, les fouilles de Bercy ont permis de mettre au jour des occupations remontant au Néolithique (entre 4500 à 3600 av. J.-C.) et même au Mésolithique (entre 8200 à 7500 av. J.-C.). Les populations se sédentarisent et s’organisent autour des îles et des berges de la Seine, propices à l’approvisionnement en eau, en nourriture (poissons, coquillages, loutres, castors et tortues d’eau) et en matières premières.

Il s’agit, pour les plus anciennes découvertes archéologiques, des restes d’un campement de nomades correspondant à l’apparition des forêts tempérées (pins, noisetiers, chênes). Les fouilles de Bercy ont exhumé des arcs, des flèches (petits silex pointus ou tranchants, armatures microlithiques constituant la pointe des flèches), utilisés pour la chasse des sangliers, cerfs, chevreuils et aurochs, des grattoirs et des lames destinées au travail des peaux et à la découpe de la viande, attestant d’un traitement et d’une consommation sur place, des traces de foyers et des restes de repas.

Le premier village de Paris est également retrouvé sur le site de Bercy, en 1991-1992. Il s’agit d'un village de la période chasséenne (entre 4 000 et 3 800 av. J.-C.), établi sur la rive

3 Colline de Chaillot, colline de Champ-l'Évêque (correspondant aujourd'hui au cimetière du Père-Lachaise), Montsouris, Montmartre, Butte aux Cailles, Ménilmontant et . 11

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - gauche d’un ancien bras de la Seine, et composé des traces de trois bâtiments et d’une palissade longeant la rivière, conservés sous 3 m de limon.

Le site a révélé un matériel archéologique exceptionnel.

Dix pirogues, dont certaines à l’état de fragments, y ont été découvertes. Cet ensemble d’embarcations préhistoriques, exposées au Musée Carnavalet, est l’un des plus anciens conservés au monde. Les deux plus complètes sont une pirogue qui date de 4 800-4 300 av. J.-C. (culture dite « de Cerny »4, spécifique à la Seine et à la Marne) et une pirogue de 2 700 av. J.-C. Elles étaient utilisées par les pêcheurs du Néolithique.

Pirogue dite « P03 » de Bercy (2 700 av. J.-C.) exposée au Musée Carnavalet

Les pirogues néolithiques de Paris-Bercy - Traces de travail et techniques de façonnage, par Béat Arnold, in revue Archaeonautica, volume 14, CNRS Éditions, 1998

« La fouille d'un ancien bras de la Seine à Paris, au Sud-Est du Palais omnisports de Bercy, en 1991-1992, a permis de mettre au jour trois habitats néolithiques sur la berge Sud : deux du Néolithique moyen (l'un correspondant au groupe de Cerny, dernier faciès de la civilisation du Rubane, vers 4 500-4 200 av. J.-C. ; l'autre du Chasséen, vers 4 200-3 400 av. J.-C) et un du Néolithique final ou Chalcolithique (vers 3 000- 2 600 av. J.-C). Au pied de ces sites, dix pirogues en chêne ont été découvertes, associées à du mobilier néolithique en position secondaire. (…) Le poids des sédiments recouvrant ces vestiges, qui les a substantiellement déformés, et leur état parfois très fragmenté ne permettent pas, actuellement, de réaliser une étude des formes. (…) Par contre, il était impératif de procéder, avant toute autre opération, à l'analyse

4 La « culture de Cerny » est un groupe de la fin du Néolithique ancien (deuxième moitié du Ve millénaire av. J.-C), qui occupait le Bassin parisien et se caractérisait par l'édification d'enceintes et de nécropoles monumentales et par l'élevage de grand bétail. 12

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - des marques laissées par des outils (ou traces de travail), en raison de leur aspect très discret et superficiel. L'apport fondamental des pirogues néolithiques de Paris-Bercy ne se situe pas tant dans leur forme, car elles sont incomplètes, que dans les processus de fabrication. Le problème majeur dans ce type d'analyse est que les charpentiers enlèvent toujours les traces antérieures, au fur et à mesure que le façonnage, et surtout l'évidement, progressent. On ne pourra donc plus observer que la ou (plus rarement) les dernières phases, à moins d'être en présence d'une ébauche. En ce qui concerne les dimensions, il est vraisemblable que les longueurs devaient se situer entre 6 et 8 m et que les largeurs, importantes, devaient avoisiner 0,8-1 m, voire 1,2 m. (…) Il est ainsi possible de prouver que, dès le début du Néolithique moyen, voire dès la fin du Néolithique ancien, les hommes préhistoriques pratiquaient avec maîtrise l'évidage au feu. La technique consistait donc à progresser par couches successives, de l'ordre du centimètre. C'est la plus rationnelle et la plus rapide : dès que des cubes de charbon sont obtenus au fond de l'esquif, on les gratte pour permettre de réactiver le processus de l'évidement, tout en contrôlant la régularité de l'opération. (…) L'épaisseur exceptionnellement faible des pirogues les plus anciennes de Paris-Bercy nécessite encore quelques remarques complémentaires : il est, en effet, difficile de maîtriser la dernière phase de l'évidage d'une coque si mince (de l'ordre du centimètre). Aussi pourrait-on voir, dans les processus du façonnage, une dernière étape consistant à affiner la coque non par l'intérieur mais par des enlèvements extérieurs, l'épaisseur étant localement contrôlée en frappant la coque comme un tam-tam, la différence de son indiquant les emplacements où une partie du bois devrait être encore enlevée. Quant au but recherché, il ne consistait évidemment pas à augmenter la solidité de la coque, donc à utiliser la pirogue pour transporter de lourdes cargaisons, mais probablement à alléger l'esquif au maximum, pour pouvoir, par exemple, le porter aisément d'un plan d'eau à un autre. Grâce à l'analyse des traces de travail, parfois très émoussées, les pirogues de Paris-Bercy (bien qu'incomplètes) ouvrent des perspectives nouvelles quant à leur fonction et aux techniques de fabrication, montrant en particulier une maîtrise remarquable dans l'évidage au feu, et cela dès le début du Néolithique moyen, voire dès la fin du Néolithique ancien. (…) »

L’arc découvert à Bercy constitue également un témoignage rare de la « culture de Cerny ».

Des chasseurs Cerny ?, par Philippe Chambon et Jean-Marc Pétillon, in Bulletin de la Société préhistorique française, numéro 106, 2009

« À notre connaissance, l’unique arc attribué au Cerny est l’exemplaire entier retrouvé à Bercy en 1991 : il s’agit d’un arc en if, long de 154 cm, symétrique, à courbure simple. Cette pièce s’inscrit pleinement dans la tendance générale des arcs néolithiques d’Europe de l’Ouest. (…) »

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Arc de Bercy (2 700 av. J.-C.) exposé au Musée Carnavalet

Dans le site de Bercy, plus de 100 000 restes osseux ont été récoltés. Même si une bonne partie du matériel se réduit à des fragments, les activités cynégétiques en relation avec les autres activités domestiques sont loin d’être négligeables. 13 taxons renvoient à des espèces de grande et de moyenne taille fréquentant des milieux divers. Le cerf élaphe prédomine, suivi, entre autres, du chevreuil et de l’auroch, du sanglier, du cheval, du chat sauvage, de la martre et du lapin. De même, ont été retrouvés différents types d’hameçons, façonnées dans des dents de sangliers ou dans un os de grand ruminant, et un flotteur en écorce percé.

Quatre-vingt plantes sauvages ont été identifiées à Bercy. Parmi celles-ci on retrouve des semences exploitées par les villageois ; d’autres sont des semences déposées naturellement. Les plantes de cueillette sont le noisetier, la vigne sauvage, le jonc des tonneliers, les ronces des bois, le prunellier…

Des pots de terre cuite utilisés pour la cuisine sont également exposés au Musée Carnavalet.

Les âges du Bronze et du Fer, dont la transition se situe entre 700 et 400 av. J.-C., sont également représentés sur le site de Bercy, avec de nombreux objets en bronze, outils et une barre-lingot en étain.

Bercy, encore très marécageux, n’est plus habité aux époques gauloise et gallo-romaine. Il ne le sera que bien plus tard, après qu’il aura été asséché.

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3 - LA SEIGNEURIE DE BERCY, DE L'ÉPOQUE MÉDIÉVALE AU XVIIE SIÈCLE

L’origine du nom « Bercy »

Selon la légende, l’origine du nom de « Bercy » remonte à la fondation, aux alentours de 850, de quelques maisons par des Celtes venus de la petite île normande de Belsinaca, située sur la Seine, près de Vatteville (actuelle commune de Villequier dans le canton de Caudebec-en- Caux).

Ces Celtes, fuyant les Normands, seraient venus s’établir auprès des Parisiis, sur un îlot à proximité de Lutèce.

Le nom de l’île normande de Belsinaca varie, selon les époques, en « Belcinnaca », « Belcixata », « Belcinaca » ou « Belcinac »… Elle semble avoir été définitivement submergée au XIVe siècle, bien qu'elle figure encore sur la carte de Cassini, cette fois sous le nom d’« Isle Bersignac ».

3.1. UNE MOSAÏQUE DE SEIGNEURIES MÉDIÉVALES

Au Moyen-Âge, le territoire de Bercy au sens large (périmètre de la « commune de Bercy » du XIXe siècle) est divisé en plusieurs seigneuries : - la seigneurie de Bercy proprement dite, au centre ; - la terre et seigneurie du Bourg du Pont-de-Charenton, à l’Est ; - la seigneurie de Conflans5, également à l’Est ; - la seigneurie de la Grange aux Merciers, à l’Ouest...

Plusieurs textes anciens citent ces seigneuries.

Ainsi, la seigneurie de Conflans, qui compte alors la Râpée et la Grange-aux-Merciers, est attribuée, en 1098, au prieuré de Saint-Martin-des-Champs.

Le nom de la seigneurie de Bercy apparaît officiellement, en 1134, dans un acte de donation de Louis VI le Gros aux moines de l’abbaye de Montmartre, où Bercy est appelé « Insula de Berciliis ». Cette donation, exempte de tout droit de coutume, est confirmée en 1294 par Louis VII.

Confirmation des donations de Louis VI, par le roi Louis VII, certifiée par le garde de la prévôté de Paris, 1294

« (…) Eisdem insuper sanctimonialibus dedimus hospites tres in foro nostro Parisius prorsus liberos ab omni exactione et quietos, et terram quam emi a Roberto filio Gemardi que vocatur Puncta, liberam et quietam, et piscaturam quam Parisius in Secana habebamus, et terram in insula de Berciliis ab omni consuetudine liberam (…) »

5 Également appelé « Conflans-l’Archevêque ». Conflans est aujourd’hui un quartier de la commune de Charenton. 15

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Elle apparaît également dans une pièce de décembre 1316 : alors qu'il réside au château de Vincennes, Philippe V le Long fait don, à sa belle-mère Mahaut, comtesse d'Artois, comtesse de Bourgogne, de sa garenne allant du pont de Charenton jusqu'à la Tour de Bercy, et depuis la rivière de la Seine jusqu'à la route de Saint-Maur.

La Tour de Bercy

La première mention du nom de Bercy dans un plan apparaît dans le « plan de la gouache » de 1535 ; ce nom est donné à un donjon carré, sans toiture, entouré d'une enceinte de murailles avec une porte fortifiée, situé non loin de la Seine, entre deux chemins devenus peut-être les rues de Bercy et de Charenton.

Dans le plan dit « de Bâle », d'Olivier Truschet et Germain Hoyau, vers 1552, cette tour, coiffé d'une poivrière, est dénommé « Perci », nom qui figure également dans le plan dit « de Saint- Victor », attribué à Jacques Androuet du Cerceau (1555).

La Tour de Bercy est également mentionnée dès 1316 dans le don de Philippe V le Long à Mahaut d’Artois.

Elle est occupée par les Anglais après la prise de Paris en 1420, comme en témoigne cet acte de 1523 : « avec les pêcheries, îles, gors6 appartenant à ladite seigneurie, étant en la rivière de Seine, lesquels gors et pêcheries furent rompus par les Anglois quand ils furent chassés de France, lesquels tenoient alors par force ledit châtel et tour de Bercy ».

La Tour de Bercy est détruite en 1658.

Plan de Truschet et Hoyaux, 1552

6 Gors ou Gours : sorte de barrages pour faire remonter le poisson et le prendre comme dans une nasse. 16

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3.2. UN LIEU DE SÉJOUR AU PLUS PRÈS DU ROI

Le séjour régulier du roi au château de Vincennes ou au château de Conflans incite ses vassaux à s’installer à proximité, sur le domaine de Bercy.

D’une rive à l’autre. Histoire de la Seine dans le Val-de-Marne, par Karine Berthier, Conseil général du Val-de-Marne, 2009

« Dès le XIIIe siècle, les abords du et du palais de la Cité sont occupés par les demeures des princes et des grands officiers. A la fin du XIVe siècle, ce centre de gravité se déplace à l’Est de Paris et dans les secteurs de l’hôtel de Saint-Pol et du . Ces propriétés aristocratiques se développent dès la fin du XIIIe siècle autour du bois et du château de Vincennes. Outre la position stratégique de l’Est parisien situé à un carrefour routier et fluvial, les bords de la Seine et de la Marne permettent de jouir des bienfaits de la campagne très recherchés par la noblesse appréciant les forêts giboyeuses et soucieuse de se tenir à l’écart de l’air vicié de la capitale favorisant les épidémies. Ces grandes résidences servent de cadre aux cérémonies (mariages et funérailles), aux conférences et pourparlers. Elles prennent la forme de somptueux hôtels pourvus de jardins. L’itinérance de la cour conduit les grands du royaume à disposer de plusieurs lieux de résidence afin d’assurer leur présence auprès du roi. Philippe VI (1293-1350) séjourne plusieurs fois au cours de son règne à Vincennes mais aussi, dans une moindre mesure, à Conflans. A partir de l’année 1349, la cour quitte Vincennes où une épidémie de peste apparaît, pour des domaines plus éloignés, comme Fontainebleau, Melun, etc. (…) Jean II (1319-1364) fait de brefs séjours à Vincennes et à Conflans. A partir de 1361, il relance le chantier de construction au château. Suite à l’installation du roi à Vincennes, un réseau de domaines satellites se développe autour du manoir. Dès Philippe le Bel (1268-1314), les proches de la famille royale s’établissent dans les communes environnantes. Mahaut d’Artois, petite-fille d’un frère de Saint Louis et femme du comte de Bourgogne Otton IV, possède le manoir de Conflans (…). Elle y réside régulièrement dans les premières décennies du XIVe siècle, et utilise souvent la Seine pour se déplacer. Dans le jardin, planté de cerisiers et de rosiers de diverses couleurs, est aménagé un vivier pour conserver les poissons. Le domaine passe ensuite dans les mains de sa fille Jeanne, femme du duc Eudes IV de Bourgogne. Les deux époux y demeurent lorsque Philippe VI réside à Vincennes. Des bourgeois de Paris s’établissent aussi, non loin, de la cour. (…) A partir de Charles V (1338-1380) et lors du règne de Charles VI (1368-1422), les longs séjours du roi à Vincennes font revenir les membres de la famille royale à Conflans et dans les environs. Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, hérite du manoir de Conflans. Jean de Berry, oncle de Charles VI (1368-1422), achète l’hôtel de la Grange-aux-Merciers en 1397. Ce domaine se compose de granges, vignes, prés, saussaies, terres arables. Ce site se trouve, en rive droite de la Seine, en aval du manoir de Conflans. Propriété de Philippe V (1293-1322), puis à partir de 1316 de Mahaut d’Artois, le domaine de Bercy appartient en 1383, à la noblesse. Clos de murs, il se compose d’un grand hôtel, manoir, cave, four, colombier, granges, étables, bergeries. Il est à noter que les domaines de Bercy et de Conflans sont alimentés en eau par une dérivation du ru de Montreuil. (…) Le décès de Philippe le Hardi et de son frère, le duc de Berry, marque la fin de la présence princière dans le Val-de-Marne. (…) »

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - A partir de 1383, l’essentiel du domaine de Bercy relève de la seigneurie d'Yerres, aux mains de la famille de Montmorency ; il appartient à la dame Pernelle de Villiers, troisième femme du maréchal Charles de Montmorency, qui l’a reçu en dot ; selon l'aveu qu'elle en fait, le 16 mai 1383, à Jean de Courtenay, seigneur d'Yerres-le-Châtel, cette terre se compose d'un grand hôtel, d’un manoir, d’une grange, d'étables…., clos de murs.

Au centre du domaine de Bercy, la Grange aux Merciers, sur laquelle est aujourd’hui construit l’immeuble « Le Lumière », est le siège de hauts (et de petits) faits.

Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris. Table analytique, volume 2, par l'abbé Jean Lebeuf, Éd. Féchoz et Letouzey (Paris), 1883

« La Grange aux Merciers sera le nom sous lequel je rapporterai le reste de ce qui se présente à dire, puisque ce nom a prévalu, quoique sans beaucoup de fondement. Les grandes Chroniques de Saint Denis marquent que, le 11 juillet 1358, les troupes du Roi de Navarre quittant la montagne de Charonne allèrent à la Grange aux Marchez (lisez « Merciers ») d'où elles délogèrent pour s'approcher du Duc Régent qui était campé vers Carrières, et que là il y eut un grand escarmouche. (…) Les Princes qui faisaient la guerre à Louis XI, l'an 1465, étaient logés aux environs de Charenton, et il fut tenu, à Bercy ou à la Grange aux Merciers, diverses assemblées de ces princes qui furent inutiles, aussi bien que le Traité. Le Roi alla pour cela en personne à la Grange aux Merciers, le 22 octobre. La chronique qui marque cette circonstance, fait mention à la même année d'un Bourguignon qui fut pendu à Charenton à la Justice, près le Pont, par ordre du Comte de Charollais ; et à l'an 1467, elle parle d'un capitaine ou prévôt d'Auxerre nommé Sevestre le Moine, lequel après avoir été longtemps dans les prisons de la rue Tiron à Paris, fut noyé dans la Seine proche la Grange aux Merciers, par ordre de Louis XI. (…) »

La seigneurie de Bercy est achetée à la fin du XVe siècle, à la famille Montmorency, par Antoine Robert, notaire et secrétaire de Louis XI. Elle est reçue en succession par Nicole de Malon7, neveu d’Antoine Robert et greffier criminel au Parlement.

E E 3.3. AUX XVI ET XVII SIÈCLES, LA CONSTITUTION PROGRESSIVE DU DOMAINE MALON DE BERCY

Les seigneurs Malon de Bercy agrandissent leur domaine au fil du temps ; ainsi, la seigneurie de Bercy acquière : - le domaine de Conflans, acheté en partie par Nicole Malon, en 1545 et 1557, en partie par Claude de Malon, en 1567 ; - les terre et seigneurie de Charenton, acquises en 1605 des héritiers du Chancelier Olivier, par Charles de Malon ; - les fief et seigneurie de la Grange aux Merciers, qui appartenait alors au duc de Berry ; ils sont achetés en juillet 1624 par Charles de Malon II, conseiller à la Cour des Aides, puis conseiller au Parlement...

Le domaine des Malon de Bercy, qui perdurera jusqu’au milieu du XIXe siècle, réunit donc en son sein l’essentiel du territoire de Bercy.

7 La famille de Malon, qui descend d’un grenetier de Vendôme, a été anoblie en 1468 par Louis XI. 18

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4 - AU XVIIIE SIÈCLE, UN LIEU DE VILLÉGIATURE FORT PRISÉ PAR L'ARISTOCRATIE

Le domaine de Bercy compte plusieurs espaces distincts : - à l’Ouest, la « Râpée » au bord de la rivière ; - au centre, la vallée de Fécamp ; ses maisons étaient groupées autour du carrefour de la Croix- Rouge, au croisement du chemin de la Croix-Rouge (aujourd'hui rue de Picpus) et du chemin des Marais (aujourd'hui avenue Daumesnil). On ignore l'origine de ce nom « Fécamp » (parfois orthographié également « Fécan » ou « Féquant ») conservé aujourd'hui à une voie qui part de la rue des Meuniers pour aboutir à l'avenue Daumesnil ; - au Nord-Est, la Grande Pinte de Bercy, située à l'angle ouest du parc, au point où la rue de la Vallée de Fécamp (aujourd'hui rue de Charenton), rejoint le château ; - au Sud, le « Petit-Bercy », quartier circonscrit entre l'extrémité de la rue de la Vallée-de- Fécamp, la rue de Bercy et le ru de Montreuil ; - un Ponceau jeté sur le ru de Montreuil à l'endroit où traversait le Chemin des Meusniers (actuelle rue Claude Decaen). Le ru de Montreuil, à ciel ouvert, coulait à partir du chemin de la Croix-Rouge, passait sous le Ponceau, coupait la rue de la Vallée-de-Fécamp, traversait le Petit Bercy et se jetait dans un petit étang au milieu des dépendances du domaine de la Râpée ; - la Grange aux Merciers, dont la rue principale, détruite en grande partie par le chemin de fer de Lyon et l'entrepôt des vins, est devenue l’avenue des Terroirs de France ; - à l’Est, sur Charenton, le domaine du château de Bercy.

4.1. LE CHÂTEAU DE BERCY

Charles Henri de Malon de Bercy, marquis de Nointel, intendant des finances, qui a épousé la fille du secrétaire du Roi, fait clore le domaine en 1658 et raser le manoir médiéval situé en contrebas ; il charge François Le Vau8 de construire, un peu plus sur les hauteurs, un château dans le goût classique9.

Ce château, détruit en 186110, se trouvait à l'emplacement actuel du boulevard périphérique, entre les portes de Charenton et de Vincennes.

Mes voyages aux environs de Paris. Tome 2, par J. Delort, Éditeur Picard- Dubois (Paris), 1821

« (…) le plus joli château des environs et qui dépend de Conflans, est sans doute celui de Bercy ; bâtiment d'une forme régulière, élevé sur les dessins et sous la conduite de F. Mansart. Il appartenait à feu M. de Bercy, intendant des finances, et par le don qu'il en fit à son filleul, il se trouve appartenir aujourd'hui à M. de Nicolaï. On y voit de charmants jardins, de magnifiques avenues et une terrasse sur les bords de la Seine, terminée par un pavillon, d'où la vue jouit d'une perspective des plus agréables. (…) »

A la mort de Charles Henri, en 1676, seuls l’aile vers Conflans et le corps du château sont construits. Son fils Anne-Louis Jules de Malon fait bâtir le côté du château qui regarde Paris, et

8 Frère de l’architecte Louis Le Vau. 9 Contrairement à une légende tenace, le château de Bercy n’a pas été construit sur des plans de François Mansart. 10 Voir section 5.6. 19

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Carte topographique des environs de Versailles, dite "carte des Chasses du Roi", levée en 1764

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - fait déplacer, grâce à Louvois, le grand chemin de Paris à Charenton, ce qui augmente singulièrement l'avant-cour et le parc.

Toutefois, en 1706, à la mort Anne-Louis Jules de Malon, le château est en très mauvais état.

Topographie historique de la Seigneurie de Bercy, par Charles Henri II de Malon, 1735

« (…) Le château menaçait d'une ruine prochaine en dedans et au dehors : en dedans, parce que les pluies avaient endommagé les planchers et les principales poutres, faute de vitres et de couvertures entretenues ; au dehors, parce que le fronton du côté de la rivière surplombait de près d'un pied et demi et faisait craindre à tout moment sa chute ; les portes et les fenêtres fermaient à peine ; presque point de meubles, nulles commodités, pas même les nécessaires, pour les logements et pour les besoins les plus indispensables. (…) »

Charles Henri II de Malon le fait restaurer et achever, en 1712, par Jacques de la Guépière. Suivent, de 1712 à 1714, la construction de la chapelle, des communs, écuries, basses cours, la redistribution intérieure du château et l’aménagement de la grande terrasse du bord de l’eau.

Détail du château de Bercy, par Pierre-Denis Martin, vers 1725-1730

La décoration intérieure est confiée aux sculpteurs Jules Degoullons, Pierre Taupin, Marin Bellan et Le Goupil. Les jardins sont dessinés par Le Nôtre.

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La duchesse du Maine en visite au château de Bercy, anonyme (XVIIIe siècle)

Si les Malon de Bercy dépensent sans compter pour leur château, certains sont également connus pour leur avarice, qui inspira Molière…

L’Avare de Molière, inspiré par Nicolas-Charles de Malon

La scène 2 de l’acte II de L’Avare (1668) oppose Harpagon à son fils Cléante, qui découvre que l’usurier auquel il envisage d’emprunter de l’argent n’est autre que son père : « Maître Simon. - Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ai parlé. Harpagon. - Comment, pendard, c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables extrémités ? Cléante. - Comment, mon père, c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions ? Harpagon. - C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables ? Cléante. - C'est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles ? Harpagon. - Oses-tu bien, après cela, paraître devant moi ? Cléante. - Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ? (…) Harpagon. - Ôte-toi de mes yeux, coquin, ôte-toi de mes yeux. Cléante. - Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que faire ? Harpagon. - Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles. Je ne suis pas fâché de cette aventure ; et ce m'est un avis de tenir l'œil, plus que jamais, sur toutes ses actions. »

Cette scène est directement inspirée de la scène 8 de l’acte I de La belle plaideuse (1655) de François de Boisrobert, qui oppose Amidor, le père, à Ergaste, son fils : « Ergaste - Quoi, c’est celui qui fait le prêt ? Barquet - Oui Monsieur. Amidor - Quoi, c’est là ce payeur d’intérêt ? Quoi, c’est donc toi méchant filou, traine potence, c’est en vain que ton œil évite ma présence ; je t’ai vu. Ergaste - Qui doit être enfin le plus honteux, Mon Père, et qui paraît le plus sot de nous deux ? (…) Quoi ? Jusqu’à son sang étendre son usure ? Amidor - Débauché, traitre, infâme, vaurien. » 22

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Or François de Boisrobert s’inspire d’un fait réel, une mésaventure arrivée à Nicolas- Charles de Malon, président au Grand Conseil en 1740, qui se trouve avoir prêté à son propre fils par l’intermédiaire d’un notaire…

Gédéon Tallemant des Réaux raconte l’anecdote dans « Les historiettes : mémoires pour servir à l'histoire du XVIIe siècle » : « En quelques endroits, c'était le feu président de Bercy et son fils, qui a été autrefois débauché, et qui maintenant est plus avare que son père. (…) ; là entrait la rencontre du président de Bercy chez un notaire, avec son fils qui cherchait de l'argent à gros intérêt. Le père lui cria : « Ah ! débauché, c'est toi ? ». « Ah ! vieux usurier, c'est vous ? » dit le fils. Bois-Robert, étourdi à son ordinaire, alla dire en plusieurs lieux que c'était le président de Bercy qu'il entendait. Bercy, qui est un brutal, alla prendre cela de travers, et en fit du bruit au lieu d'en rire. Le Roi voulait que la pièce se jouât, et Bois-Robert le voulait prier de le lui commander en présence du président. Cependant il n'osa la faire jouer. Je pense que M de Matignon, beau-frère de Bercy, l'en pria (…). Le Roi voulut savoir pourquoi la pièce ne se jouait point ; Bois-Robert dit que le président de Bercy, qui avait livré tant de combats contre la Fronde, s'en trouverait offensé, et ainsi il lui fit faire sa cour en son absence. Bercy en remercia Bois-Robert. »

4.2. LE "PÂTÉ-PÂRIS"

La façade du pavillon Pâris de Monmartel

Les frères Pâris, financiers qui jouèrent un rôle considérable sous la régence et sous Louis XV, acquièrent la propriété mitoyenne, à l’est, du parc du château de Bercy, le long de la rue de la Grange aux Meuniers. La parcelle correspond exactement à l’emprise de l’actuel immeuble « Le Lumière » …

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Études sur le Vieux Paris, par Henri Cordier, in Journal des savants, volume 14, numéro 4, 1916

« (…) Bien curieuse est l'histoire des frères Pâris, dont les communs étaient limités par les propriétés Le Chanteur au nord, de Béthune à l'ouest, la rivière au sud et la rue Grange aux Merciers à l'est ; leur maison, construite de l'autre côté de cette rue, n'était qu'une portion du domaine des Bercy. Les quatre frères Pâris étaient les fils d'un aubergiste de Moirans, dans le Dauphiné (…) Le 28 mai 1711, Charles-Henri de Malon vendait à Antoine et à Claude Pâris l'extrémité de son parc vers Paris, désignée sous le nom de fief du Vernay ; ils y firent construire une maison terminée en 1725, que sa forme massive fit nommer le Pâté-Pâris ou Pavillon- Monmartel. (…) »

Portrait d'Antoine Pâris, par Hyacinthe Rigaud, 1724

Le « Pâté-Pâris » reçoit régulièrement Louis XV, dont il aurait abrité certaines galanteries, et de nombreux visiteurs de marque.

Pâris de Monmartel, banquier de la cour, receveur des rentes de la Ville de Paris, 1690-1766, par Robert Dubois-Corneau, Ed. Meynial (Paris), 1917

« Des hôtes illustres vinrent lui faire visite à Bercy. Il semble même que, pour augmenter la faveur dont l'honorait Louis XV, il n'ait pas craint de prêter son pavillon à quelque galant usage. (…) Le 6 juillet 1748, Louis XV partit de Choisy pour se rendre à Compiègne, descendit la Seine en gondole et s'arrêta à Bercy où l'attendaient ses carrosses. Il prit une collation chez Monmartel où il resta un bon quart d'heure, "ce qui va bien augmenter le crédit de ce financier", constate d'Argenson. (…) Le roi de Pologne était aussi grand ami des deux frères. A chacun de ses voyages à Paris, il

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - comprenait le pavillon de Bercy dans la série des maisons qu’il honorait de sa présence. (…) Le pavillon Martel était pour les Parisiens et les étrangers de passage dans la capitale, un but de promenade à la mode. Les princes de Bavière l'allèrent voir en 1725 ; et le duc de Croy, que nous avons vu à Brunoy, ne manqua pas de s'y rendre : "Le 16 juin au soir, consignait-il sur ses tablettes, j'allai à cheval voir le superbe et singulier pavillon de M. de Monmartel, où, sur quarante toises de large, il y a deux millions de dépense. C'est un des morceaux des environs de Paris où il y a le plus de goût, et neuf appartements de maîtres. La distribution mérite d'être étudiée et les porcelaines d'être admirées". (…) »

La propriété est vendue, en 1779, au frère de la marquise de Pompadour, Abel-François Poisson, marquis de Ménars, de Marigny et de Vandières, pour le prix de 124 000 livres ; les meubles garnissant les appartements et les dépendances sont compris dans cette somme, pour 6 000 livres. Le marquis de Ménars y réunit une collection de curiosités. Après son décès survenu deux ans plus tard, le « Pâté-Pâris » est revendu pour seulement 76 200 livres. Il est détruit en 1878 et remplacé par un dépôt d’eaux-de-vie.

Les petites maisons galantes de Paris au XVIIIe siècle : folies, maisons de plaisance et vide-bouteilles, d'après des documents inédits et des rapports de police, par Gaston Capon, Éd. Daragon (Paris), 1902

« En 1789, la propriété passa à un architecte, Guillaume-Elie de Foulon. (…) Plus tard, l'enceinte des fortifications et le chemin de fer de ceinture séparèrent la propriété du parc même de Bercy ; enfin, en 1878, le Pâté-Pâris est démoli entièrement et à sa place on installe le dépôt des eaux-de-vie (…) »

Ses dépendances, au nord, côté rue de Bercy, sont vendues, en 1814, à l'État, qui y fait construire une caserne de cavalerie, puis de gendarmerie, plus tard des magasins à fourrages pour la garnison de Vincennes La caserne est enfin occupée par le train des équipages, avant d’être détruite vers 1883.

Pâris de Monmartel, banquier de la cour, receveur des rentes de la ville de Paris, 1690-1766, par Robert Dubois-Corneau, Ed. Meynial (Paris), 1917

« L'État acquit, en 1814, les dépendances pour y établir une caserne. En 1830, la partie où se trouvait l'orangerie fut affectée à de l'artillerie. Quand plus tard, l'enceinte des fortifications et le chemin de fer de ceinture séparèrent la propriété du parc même de Bercy, la rue de la Grange-aux-Merciers changea de nom pour devenir la rue de Nicolaï, et la caserne devint la caserne Nicolaï. En 1860, le pavillon même était occupé par un commissionnaire en vins. En 1883, la Ville de Paris fit l'acquisition du Pâté-Pâris et des dépendances pour agrandir l'entrepôt. Sur le plan de Bercy, par Rousselle, figure une rue du nom de "Monmartel", aujourd'hui englobée dans l'entrepôt ; et sur le plan de Lefèvre la rue parallèle à la rue Grange- aux-Merciers est désignée "avenue Martel". (…) Enfin, il reste encore quelques vestiges intéressants du pavillon bâti par Pâris l'aîné. A l'extrémité de l'entrepôt de Bercy, du côté des fortifications, on peut voir rue Nicolaï, en venant du quai et sur la droite, une partie des anciens murs, enterrés par suite de l'exhaussement du sol ; et l'on remarque, dans la pierre, un n° 5, qui était précisément celui de la porte d'entrée du Pavillon sur la rue Grange-aux-Merciers. En faisant le tour de ces pans de murs utilisés pour établir un magasin de vins, on distingue également des départs de voûtés et des jambages en pierre d'une porte ayant donné accès dans le jardin. Une salle basse fort 25

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - étendue où les tonneaux s'alignent en files régulières, voilà ce qui a remplacé les cuisines, l'office et les passages souterrains d'une des plus fastueuses constructions du XVIIIe siècle, ou, pour parler le langage de l'époque, d'une des "folies" les plus réputées. (…) »

4.3. LA GRANDE PINTE, REFUGE DU BANDIT CARTOUCHE

Au Nord du territoire de Bercy, le quartier de la Grande Pinte tire son nom du cabaret de la Grande Pinte de Bercy, qui est un des refuges de Cartouche.

Le Véritable portrait de Cartouche tiré d'après nature étant dans les cachots, gravure anonyme, XVIIIe siècle.

Une ouverture pratiquée dans un puit du jardin du cabaret permettait à Cartouche de fuir la maréchaussée par un souterrain.

Bercy, son histoire, son commerce, par Alfred Sabatier, Éd. Gayet (Paris), 1875

« Vous voyez encore dans la rue de Charenton-Bercy, au coin de la rue Nicolaï, la maison d'un marchand de vin détaillant, qui porte pour enseigne une grande pinte : de là le nom de Grand'Pinte donné au voisinage. La pinte, - chacun le sait, - était le litre de nos pères. Cette maison appartenait, en 1720, à Cartouche, ce prototype du voleur-assassin. Sur le derrière de la maison, existe une petite cour qui a été témoin de bien des crimes. Penchez-vous sur la margelle du puits, et vous y apercevrez intérieurement, à la distance d'un mètre, une ouverture, maintenant interceptée par une barre de fer scellée dans la pierre, qui 26

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - pouvait alors livrer passage à un homme. Cette ouverture était l'entrée d'une voie souterraine se perdant dans les marais. C'est là que se réfugiait Cartouche quand la maréchaussée envahissait son repaire. Il avait fait acquisition de cette maison pour y mettre en sûreté le produit de ses brigandages et présider dans les grandes occasions le conseil de ses complices. Le 27 septembre 1720, Cartouche et plusieurs des membres de sa redoutable bande, hommes et femmes réunis dans une salle basse, buvaient à une table, tandis que, à une autre table, causaient et trinquaient un sieur Mondelot, garçon tanneur, et quelques ouvriers de ses amis. Un joueur de violon était entré par hasard dans la salle, et comme sa recette de la journée avait de quoi allécher les vide-goussets du quartier, et que la nuit était déjà avancée et fort sombre, il avait témoigné l'intention de se retirer. Les Cartouchiens s'étaient opposés à sa sortie, soutenant qu'il était à leur service et qu'il devait continuer à jouer aussi longtemps qu'il leur plairait de le payer. Mondelot et ses amis avaient pris fait et cause pour l'artiste ambulant, et une querelle s'en était suivie. Les ouvriers n'avaient d'autres armes que leurs poings : les Cartouchiens firent usage de leurs pistolets et de leurs poignards, et le pauvre garçon tanneur tomba mortellement frappé. Les femmes, dans cette lutte inégale et sanglante, ne s'étaient pas montrées moins féroces que les hommes, et l'une d'entre elles, Marion Le Roy, anguilleuse de son métier, avait tiré deux coups de pistolet sur les archers, quand ceux-ci étaient accourus pour se saisir des assassins de Mondelot. Grâce à son puit, Cartouche réussit cette fois encore à dépister les limiers de M. le lieutenant de police; mais, malgré le nom de guerre et le déguisement dont il s'était affublé après sa fuite, il ne tarda pas à être reconnu et arrêté, un soir qu'il traversait la rue Guénégaud. Peu de temps après, dirons-nous en terminant, à la suite d'un procès qui fait époque dans les annales du Châtelet, ce rusé et hardi brigand, l'effroi de Paris et de ses alentours, subit devant une foule immense, en place de Grève, le supplice de la roue dans toute son épouvantable horreur. (…) »

4.4. LES HÔTELS PARTICULIERS DU "PETIT BERCY"

Au-delà de la Râpée et jusqu'au domaine des Malon de Bercy, le long de la rue de Bercy et de la rue de Charenton, se trouve un ensemble de demeures de plaisance, construites par la noblesse et la bourgeoisie. Elles disposent de jardins qui descendent jusqu'à la Seine, agrémentés de terrasses et de belvédères dominant le fleuve. Cet ensemble est appelé le « Petit Bercy ».

Études sur le Vieux Paris, par Henri Cordier, in Journal des savants, volume 14, numéro 4, 1916

« (…) A la fin du XVIIe et au cours du XVIIIe siècles, des maisons de plaisance furent construites entre la rue de Bercy et la Seine, jusqu'à la rue de la Grange aux Merciers11, ou pour mieux dire jusqu'au parc des seigneurs de Bercy. (…) »

11 Actuelle rue des Terroirs de France, sur laquelle est situé l’immeuble « Le Lumière ». 27

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Plan du « Petit Bercy » en 1728, par Jean Delagrive, 1744

Parmi ces hôtels particuliers, le « petit château » de Bercy correspond à l’ancienne « folie de Gesvres », construite par le duc de Gesvres, puis partagée, en 1708, entre M. de la Croix et le futur contrôleur général des finances Philippe Orry. Il est racheté plus tard par le duc de Penthièvre.

Le « petit château » accueille des fêtes somptueuses.

Les petites maisons galantes de Paris au XVIIIe siècle : folies, maisons de plaisance et vide-bouteilles, d'après des documents inédits et des rapports de police, par Gaston Capon, Éd. Daragon (Paris), 1902

« (…) Il y avait également en 1714 la vigne du duc de Gesvres dont l'habitation était (…) du côté de l'eau et les jardins sur la rue de Bercy. Elle fut occupée ensuite en partie par M. Orry, ministre d'État et contrôleur général des finances qui (…) modifia la maison qu'on appela depuis le Petit-Bercy ou le Petit-Château. Il s'y donnait de grandes fêtes où toute la maison était illuminée avec la plus grande magnificence, puis on tirait le feu d'artifice sur l'eau et ensuite on soupait magnifiquement. Les ambassadeurs étrangers étaient invités à ces fêtes, ainsi qu'un grand nombre de personnes de distinction. A la mort de M. Orry la maison fut vendue au fermier général Beauregard, la cédant lui-même à M. le duc de Penthièvre qui la désirait fort, il la paya 10 000 livres et y dépensa 83 000 livres de réparations, plus 30 000 livres de meubles ; un an après, une crue subite de la Seine inonda sa maison ; les meubles se trouvèrent gâtés ; les lambris et les dorures perdus ; devant ce désastre, M. de Penthièvre acheta une autre propriété et vendit celle de Bercy (…) »

De l’autre côté de l’étang de Bercy, se trouve l’hôtel Pajot d’Ozembray, ou ancienne « folie de Chaulnes », et son cabinet de curiosités.

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, tome 3, par Charles Lefeuve, Ed. Reinwald (Paris), 1875

« (…) Charles d'Albert, duc de Chaulnes, filleul de Charles Ier, roi d'Angleterre, et de Henriette de France, qui fut trois fois ambassadeur à Rome, pour assister aux élections de Clément IX, de Clément X et d'Alexandre VIII, avait à la Râpée de Berci la Vigne de Chaulnes. Entre ces deux propriétés s'étalait l'étang de Berci, dont l'eau presque dormante descendait de Montreuil pour s'écouler, comme à regret, dans la Seine. C'était une pièce d'eau toute faite pour l'agrément d'un jardin dessiné dans la vigne de Chaulnes par Lenôtre. Un buffet d'eau et des bassins y furent établis par un carme, Sébastien Truchet, mécanicien très distingué, membre de l'académie des Sciences. Louis-Léon Pajot d'Ons-en-Bray, intendant général de la poste aux lettres, qui ne succédait pas directement au duc de Chaulnes, réunit là des oiseaux aquatiques. Une ménagerie, une orangerie, un laboratoire de chimie et un cabinet de curiosités donnaient alors de l'importance à cet hôtel de campagne ; le bâtiment en était placé du côté de la rue de Berci, c'est-à-dire au fond du jardin, et il était simple, mais plus grand que les pavillons du même genre qui se suivaient, les uns près de la rue, les autres près du quai de la Râpée, appelé chemin le long de la Rivière. (…) M. Pajot, qui laissait au roi, par testament, les curiosités de toute sorte qu'il avait rassemblées, cessa de vivre en 1754. (…) »

En 1717, le cabinet est visité par le Régent, puis par le Tzar Pierre le Grand.

Éduquer un roi ou l’histoire d’une modification progressive du projet pédagogique pour Louis XV (1715-1722), par Pascale Mormiche, in la revue Histoire de l’éducation, numéro 132, 2011

« (…) Le Régent introduit pourtant des nouveautés. Il est toujours intervenu à la marge, afin d’écarter les bornes fixées par la Vieille Cour. Il est responsable de l’intérêt que Louis XV porte à la géographie, ce qui n’est pas traditionnel dans une éducation royale (…). Le Régent lui fait visiter les cabinets scientifiques de ses amis. Par exemple, le 25 juillet 1717, la Gazette est chargée d’informer la population qu’ils sont allés au château de Bercy visiter le cabinet scientifique de M. Pajot d’Ons en Bray. Le roi fut tellement passionné que la Gazette signale qu’il est rentré vers les huit heures du soir. (…) »

Séance du 7 octobre 1896, tenue en présence de leurs majestés l'Empereur et l'Impératrice de Russie, Académie française, Éd. Firmin-Didot (Paris), 1896

« (…) Si simple que fût son ajustement, il lui arrivait presque toujours d'être reconnu, grâce à un certain air de majesté naturelle, et la foule qui s'attachait à ses pas l'importunait souvent. C'était chez des ouvriers de réputation qu'il se faisait de préférence conduire, et il se plaisait à les voir travailler. Duclos ajoute : "Les choses de pur goût et d'agrément le touchaient peu ; mais tout ce qui avait un objet d'utilité, trait à la marine, au commerce, aux arts nécessaires, excitait sa curiosité, fixait son attention, et faisait admirer la sagacité d'un esprit étendu, juste, et aussi prompt à s'instruire qu'avide de savoir." En effet, on voulut lui faire admirer la collection des pierreries du Louvre, mais il avoua qu'il s'y connaissait peu. En revanche, il prit beaucoup d'intérêt à voir à Bercy le cabinet de physique de Pajot d'Ons en Bray, le directeur des postes (…) »

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - L’hôtel La Vieuville accueille la marquise Marie-Madeleine de Parabère, née Coatker de la Vieuville, maîtresse en titre du Régent.

Portrait de la marquise Marie-Madeleine de Parabère

Le duc de Rohan a lui-même un hôtel dans le Petit-Bercy.

4.5. LE QUARTIER DE LA RÂPÉE

A l’extrême Ouest du domaine de Bercy, se trouve le quartier de la Râpée, qui doit son nom à Jean de la Râpée, commissaire général des troupes et locataire d’un terrain, qui y fit construire, au XVIe siècle, le long de la Seine, l'hôtel de la Râpée.

Études sur le Vieux Paris, par Henri Cordier, in Journal des savants, volume 14, numéro 4, 1916

« (…) Plus rapproché de Paris se trouvait un clos dont la maison était en bordure de la rue de Bercy, qui avait été constitué soit par Jean le Cop, commissaire général des troupes, soit par son fils Thomas, sieur de la Râpée (…) »

La Râpée a principalement une fonction de port pour les pierres et le bois. Toutefois, des maisons s’y construisent, à proximité du « Petit Bercy ».

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, tome 3, par Charles Lefeuve, Ed. Reinwald (Paris), 1875

« (…) La rue de Bercy se qualifie en ce temps-là de la Râpée (…). Le port de Râpée commence nominativement à la hauteur de la rue Traversière, point où l'on cesse de l'appeler port au plâtre. Il s'y décharge une quantité de pierres de taille et de moellons, venant de Charonne et de Montreuil, qu'on transporte ·plus loin, par eau, à la remonte ou à la descente ; ça et là, des piles de bois de charpente et à bruler, fraichement débarqué, séparent aussi la Seine du chemin. (…) Un commissaire général des. guerres fit reconstruire la maison de la Râpée, qui fut, de plus, à son profit, une savonnette à vilain12. (…) Des marronniers, devant la porte, avaient sans doute été plantés par les religieux de Saint- Martin-des-Champs. Aussi, la maison de la Râpée devint•elle postérieurement la guinguette des Grands Marronniers, où 1'on buvait surtout et l'on dansait. Raynal y donnait, à l’occasion, autre chose à boire que du râpé13 ; il servait déjà des matelotes et des fritures qui rivalisaient avec celles des traiteurs du Port-à-l’Anglais14. Pas si sot que d'arborer encore· l'enseigne de la râpe, surtout si cette image représentait une grappe de raisin sans ses grains. (…) »

La Barrière de Bercy au Nord-Ouest de la Râpée, dessin de Palaiseau, 1819

12 Une « savonnette à vilain » est, sous l'Ancien Régime, la charge ou la terre qu'un roturier achète pour être anobli. Elle permet à un parvenu de faire oublier ses origines roturières. 13 Le « râpé » (ou la « râpure ») désigne une piquette servie aux halles. 14 Le Port-à-l'Anglais est un petit port sur la Seine, situé à Vitry-sur-Seine. 31

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Ainsi, l’hôtel de la Râpée est transformé, à la fin du XVIIIe siècle, en une guinguette, dite « Les Marronniers », toujours célébrée par les connaisseurs en 1851.

Le Nouveau conducteur dans Paris et dans les environs, indiquant tout ce qui peut intéresser l'étranger au sein de cette capitale du monde civilisé, Éd. Ruel aîné (Paris), 1851

« (…) La maison des Marronniers est une des plus anciennes de la Râpée. Du temps des vieux us, lorsque les cartes par trop catégoriques et parfois ambitieusement menteuses des restaurateurs étaient encore ignorées aux barrières, la maison des Trois-Marronniers était en parfaite odeur ; jamais il n'y avait assez de sièges et de tables sous l'ombrage des arbres séculaires, et le chef sollicité de toutes parts ne savait à qui répondre ; aujourd'hui il n'éprouve plus pareil embarras. A qui la faute ? Est-ce à la carte ? Non, mais à la concurrence. Toutefois la trois fois estimable maison des Trois-Marronniers ne laisse pas d'être une des plus suivies. (…) »

D’autres guinguettes s’installent, dont le « Rocher de Cancale ». Chaque année, des joutes sur l’eau sont organisées, qui opposent les ouvriers du port de Bercy, ainsi que des courses en chaloupes, des courses à pied, des mâts de cocagne, un feu d'artifice et un bal champêtre...

Paris vu du quai de la Râpée (fin XVIIe siècle - début du XVIIIe siècle)

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5 - LA TRANSFORMATION PROGRESSIVE DE BERCY AU XIXE SIÈCLE

5.1. L'INSTAURATION DE LA COMMUNE DE BERCY EN 1790

Avant la Révolution, la partie occidentale du territoire de Bercy (la Grande-Pinte, le Ponceau, la Vallée de Fécamp, la Râpée, la Grange aux Merciers, le Petit-Bercy) faisait partie, du point de vue administratif et édilitaire, de la Généralité de Paris, et appartenait au quartier du Faubourg Saint-Antoine. Il représente 9 rues, 136 maisons, pour 1 358 habitants15.

Sur le plan fiscal, le décret du 6 juin 1790 dispose que tout le territoire renfermé dans la ligne de l’enceinte des murs de Paris sera soumis aux droits d’entrée dans cette ville ; le territoire qui était antérieurement soumis à ces droits et qui se trouve placé hors de l’enceinte sera soumis au régime des impositions ou perceptions établies dans la banlieue, dont il fera désormais partie.

La loi des 21 mai et 27 juin 1790 sur l’organisation de la municipalité de Paris parachève cette séparation en précisant que cette municipalité sera renfermée dans l’enceinte des nouveaux murs. En revanche, la situation des citoyens logés extra-muros n’est pas définie.

Dès le 7 août 1790, le maire de Conflans propose que le territoire de Bercy situé hors les murs soit réuni à sa municipalité, dans une préoccupation moderne de regroupement communal.

Lettre de M. Masson, maire de Conflans, à M. Fréteau de Saint-Just, président de l’Assemblée constituante, lui demandant de faire voter la réunion à la Commune de Conflans, des territoires de La Râpée, du Petit-Bercy, du Ponceau, de la Grande Pinte et de la Vallée de Fécamp, 7 août 1790

« (…) Il reste à décréter quelles sont les municipalités qui doivent régir les citoyens habitants hors des nouveaux murs de Paris, et je présume que, sur votre motion, l’Assemblée nationale décrétera sans peine que : "Les citoyens qui habitent le terrain hors les murs de la nouvelle enceinte de Paris, depuis la barrière de la Râpée au bord de la rivière de Seine, jusqu’à la barrière de Picpus, sont réunis de droit à la municipalité de Conflans". (…) Il ne peut arriver que les habitants de La Râpée, du Petit Bercy, du Ponceau, de la Grande Pinte de la Vallée de Fécamp ne soient d’aucune municipalité et demeurent privés des droits qui appartiennent aux citoyens actifs. (…) Il est plus intéressant de fortifier les municipalités que de les diviser ; les charges locales en deviennent moins onéreuses, et les communications plus faciles et plus immédiates. (…) »

Pour leur part, les citoyens de Bercy, désireux de rester indépendants, adressent, le 28 août 1790, une pétition à l’Assemblée constituante, sollicitant l’autorisation de se constituer en municipalité chargée de faire le rôle des impositions et de nommer les juges municipaux, civils et criminels, de paix et de commerce. Ils demandent aussi l’érection en paroisse de la chapelle de la rue de Bercy, la création d’une garde nationale et enfin l’autorisation, pour la future municipalité, de jouir de tous les droits et prérogatives conférés aux autres municipalités du Royaume. Le refus de rejoindre la municipalité de Charenton se fonde sur le fait que cette dernière est éloignée de plus d’une lieue.

15 Ainsi détaillées par les actes de recensement : 446 hommes, 441 femmes, 207 garçons, 191 filles et 73 domestiques. 33

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Le Comité de Constitution de l’Assemblée reconnaît que les municipalités sont d’ores et déjà trop nombreuses et envisage de les réduire ultérieurement à une par canton. Toutefois, en attendant, il propose de créer, à Bercy, une « municipalité provisoire ».

Une mission d’enquête, comprenant 4 commissaires du Roi, est instituée pour examiner la répartition, entre les municipalités voisines, des territoires détachés de Paris. Contre l’avis de la mission, l’Assemblée décrète, le 19 octobre 1790, que les maisons et terrains du territoire de Bercy « formeront provisoirement le territoire d’une municipalité particulière ».

Les communes de Bercy et de Conflans se déchirent sur leurs frontières, qui n’ont pas été précisément définies. L’Assemblée clarifie les limites de la commune de Bercy le 10 décembre 1791, en y intégrant notamment la Grande Pinte et le château de Bercy.

Plan de la commune de Bercy inscrit sur le plan de Paris fortifié, dressé par J. Andriveau-Goujon en 1845

Faute de ressources suffisantes, la commune de Bercy ne fera construire une maison commune qu’en 1845, se contentant, pendant plus de 50 ans, de louer une maison particulière. La mairie de Bercy est située à l’angle de la rue de Bercy et de la place de la nativité (actuelle place Lachambeaudie).

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La mairie de Bercy

Devenue mairie du XIIe arrondissement en 1860, elle est incendiée en 187116.

La mairie de Bercy détruite par la Commune

La commune de Bercy, qui comptait 1 656 habitants en 1793, en compte 14 239 en 1856.

16 La nouvelle (et actuelle) mairie du XIIe arrondissement est construite à l’angle de l’avenue Daumesnil et de la rue de Charenton. 35

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5.2. LE DÉVELOPPEMENT DU COMMERCE DE VINS À BERCY AU DÉBUT DU XIXE SIÈCLE

Il existait, depuis 1663, une « halle aux vins », sur le quai Saint-Bernard, en bordure de la de la Seine. Au XVIIIe siècle, des entrepôts de vin commencent également à s’installer, sur la rive droite, à l'extérieur du mur des Fermiers généraux afin d'éviter les barrières d'octroi.

La légende de la fondation des entrepôts par Louis XIV

En 1704, Louis XIV écoute la messe à Notre-Dame-de-Bercy. Lors de la cérémonie, où tous les fidèles sont agenouillés pour rendre grâce à leur souverain, le roi remarque un homme resté debout. Le garde envoyé pour faire cesser ce crime de lèse-majesté s’aperçoit que l’homme est bien agenouillé et que c’est sa taille de géant qui a fait croire qu’il était debout.

À la fin de la messe, le monarque intrigué fait mander son sujet, vigneron à Joigny. Le solide Bourguignon en profite pour se plaindre des mille tracasseries qu’il rencontre dans son commerce.

Amusé par le bagout du commerçant, Louis XIV lui assure qu’à partir de ce jour il pourra venir chaque année débiter ses vins sur la grève de Bercy, affranchie des droits. Le premier entrepôt de Bercy est né…

Les chais se développent. Les tonneaux à destination de la capitale arrivent par bateaux sur la Seine et sont débarqués et entreposés à la Râpée ; le vin en fût est mis en bouteille sur place.

Le Nouveau conducteur dans Paris et dans les environs, indiquant tout ce qui peut intéresser l'étranger au sein de cette capitale du monde civilisé, Éd. Ruel aîné (Paris), 1851

« (…) Bientôt toute la partie de Bercy qui s'étend depuis la barrière de la Râpée jusqu'à la rue de la Grange-aux-Merciers, fut achetée, louée et couverte de magasins et de hangars. Les parcs, les jardins, les avenues plantées d'arbres disparurent presque entièrement, et furent remplacés par des caves, des celliers et des maisons appropriées aux besoins des commerçants. Voilà ce que devinrent les dépendances du grand château. Le château du Petit- Bercy avec son parc passa dans les mains d'une compagnie qui y loue des emplacements aux marchands. Le corps du château et son jardin anglais ont été conservés. Tous ces établissements formèrent au bord de la Seine un quai nouveau d'une longueur de 1 200 mètres ; mais, le 31 juillet 1820, dans l'après-midi, ces nombreuses constructions, la plupart en planches et couvertes en chaume, devinrent la proie des flammes. Le vin s'échappait des tonneaux brûlés et coulait par torrents ; la perte fut immense ; plusieurs marchands furent entièrement ruinés. Cependant, en peu de temps, il n'y parut plus ; Bercy sortit de ses cendres plus vaste, plus commode, plus solide, moins combustible et surtout plus prospère que jamais. Bercy, comme la Râpée, c'est Maçon, c'est Dijon, c'est Beaune, c'est Auxerre, c'est Joigny, c'est aussi la Champagne et Bordeaux, oui, Bordeaux ; (…) Si vous voulez boire du bon vin qui vous soit un velours sur l'estomac, ne vous échauffe point la gorge, ne vous la dessèche jamais et vous mette en belle humeur, à la Râpée comme à Bercy, à Bercy comme à la Râpée, on ne saurait trop vous le répéter, allez où va le tonnelier. (…) »

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Le « petit château » de Bercy (ancienne « folie de Gesvres ») est acheté par Louis Gallois17. Il y crée des entrepôts et percent des voies auxquelles il donne des noms très personnels…

Histoire des communes annexées à Paris en 1859 - Bercy, par Lucien Lambeau, Éd. Leroux (Paris), 1910

« (…) En 1815, M. Gallois, négociant en vin, fit l'acquisition de tout le domaine (…) et compléta la destruction du parc et des jardins de la maison de M. Orry, en y perçant des rues où l'on construisit des magasins définitifs pour le commerce des liquides. Étant propriétaire du sol, M. Gallois donna aux voies qu'il ouvrait ainsi des noms qui devaient lui être précieux, et destinés à lui rappeler dans l'avenir, - à lui seulement, ce qui était un égoïsme assez bourgeois - d'agréables souvenirs de famille. Il y eut naturellement la rue Gallois, qui était son propre nom : charité bien ordonnée ne doit-elle pas commencer par soi-même ? Puis la rue Louis, qui était son prénom - le brave marchand de vin ne s'oubliait pas. Puis la rue Laroche, du nom de son pays natal. Son aimable épouse fut la marraine de la rue Sainte-Anne, comme son fils fut le parrain de la rue Léopold. De ces cinq noms, trois subsistent encore aujourd'hui : Gallois, Laroche et Léopold. C'est tout ce qu'il reste de la fastueuse demeure seigneuriale du duc de Gesvres, auquel ne pensa vraisemblablement pas le bon M. Gallois, lors du baptême familial de ses terrains. (…). »

Le baron Joseph-Dominique Louis, ministre des Finances, acquiert en 1810, à titre personnel, de nombreux terrains à Bercy. Il en tire, dans des conditions très contestables, une fortune considérable.

Le baron Joseph-Dominique Louis

17 Louis Gallois sera maire de Bercy de 1815 à 1821. Un de ses descendants est co-fondateur des cognacs Courvoisier. 37

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - En effet, il organise, à son avantage, le négoce du vin à Paris et en banlieue. Les vins destinés à Paris arrivent dans les entrepôts de la Râpée et sont soumis au paiement d’un droit d’entrepôt et surtout de l’octroi ; les vins destinés à la banlieue parisienne arrivent dans les entrepôts de Bercy (propriété du baron) et ne sont soumis qu’au paiement d’un droit d’entrepôt. Le développement des banlieues et de leur consommation en vin assure au baron Louis un marché dynamique, exempt d’octroi… Les négociants de la Râpée dénoncent régulièrement la concurrence déloyale que leur fait Bercy…

Les héritiers du baron réalisent une juteuse spéculation lorsqu’ils revendent, à prix d’or, aux pouvoirs publics parisiens, les terrains de Bercy qui ont été, entre temps, bonifiés par les aménagements que ces mêmes pouvoirs publics ont financés ; aménagements dont le baron ne pouvait rien ignorer…

Journal des débats politiques et littéraires, 14 septembre 1819

« (…) Les ministres sont si mal payés, leur vie est si courte, et ils font si peu de chose pour leurs parents et amis qu'il est indispensable que quelque honnête trafic assure en peu de mois leur fortune : les plus prudents sont ceux qui se hâtent le plus. Nous ne blâmons donc pas S. Exc. M. l'abbé Louis de s'être fait entreposeur de vins à Bercy, et nous lui souhaitons des locataires et des emprunteurs ; mais nous voudrions que le ministre ne fût pas le commis et le serviteur de l’entreposeur (…) P. S. : Au moment où cet article était sous presse, on nous apporte le Mémoire des marchands de vins. Nous nous bornerons à en extraire quelques phrases qui justifient complètement les réflexions précédentes : "Nous ne pouvons nous dispenser de voir, dans le ministre des Finances, deux personnes bien distinctes, M. le baron Louis, propriétaire du plus bel établissement de la Râpée, et le ministre chargé des grands intérêts de l'État. Il nous en coûte de toucher une corde aussi délicate, mais la vérité doit jaillir tout entière. Nous dirons donc au propriétaire : l’établissement que vous avez formé à la Râpée a décuplé la valeur de vos propriétés… Vous avez pour ainsi dire élevé autel contre autel… Pour vous maintenir dans cet état de prospérité, pour l’augmenter même, il est de votre intérêt de voir maintenir certaines mesures… Vous devez lutter de toutes vos forces pour rendre impuissantes nos démarches. Mais nous dirons au ministre : notre demande a été favorablement accueillie par M. le préfet, par le conseil municipal, par le directeur des octrois, par S. Exc. le ministre de l'intérieur, et par un fils de France S. A. R. M. le duc d'Angoulême. Nous avons appris avec la douleur la plus profonde que, renvoyées à V. Exc., nos réclamations avaient éprouvé un accueil tout contraire. Nous aimons à penser que, juge et partie, dans cette affaire, le grand fonctionnaire n’aura point fait céder des considérations du plus haut intérêt public à de simples considérations d’intérêt privé ; que le ministre, n’écoutant que la voix du devoir, aura imposé silence à celle du propriétaire (…) A quoi songent MM. les marchands de vins de présenter de pareilles considérations à un homme d État, de la force de M. l'abbé baron Louis ? Il pourrait, s’il voulait être sincère, leur répondre, par cette phrase de leur propre mémoire : il est malheureusement dans la nature de l’homme de ne voir d'abord que soi en toutes choses." »

Toutefois, par-delà les bénéfices personnels que lui ou ses héritiers en tire, le baron Louis fait remettre en état les entrepôts de Bercy, en 1825, par les architectes Archimède et Phidias Vestier.

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Pour répondre à une consommation de plus en plus importante de Paris et de la région18, de nouveaux entrepôts et halles sont construits, tout au long du XIXe siècle, à la place des demeures de la Râpée et du « Petit Bercy ».

Promenades à Bercy, par Alfred Sabatier, 1878

« (…) Un parc superbe entourait le bâtiment, appelé le Petit-Château. Ce parc fut acheté par une compagnie qui louait des emplacements aux négociants en vins. MM. de Chabons et de Cussy firent acquisition de la partie afférente au Petit-Château, et la revendirent, en 1815, à M. Gallois père. Aujourd'hui, le Petit-Château est occupé par plusieurs locataires, pour lesquels on a construit, à gauche, à droite, au milieu, des magasins qui ressemblent à des hangars et sous lesquels on doit étouffer en été. Le magnifique jardin qu'on apercevait au n° 45 du quai a disparu ; seul, un cèdre séculaire, resté debout au milieu du terrain, semble protester contre l'envahissement des futailles, qui ont remplacé la verdure, les fleurs et les bosquets, ces bien- aimés témoins de mon enfance; car je te l'ai déjà dit, mon cher Maxime, le Petit-Château m'est cher, malgré les douloureux souvenirs qu'il me rappelle (…) »

Le parc du château de Bercy n’est pas épargné par le développement progressif des chais.

Histoire des communes annexées à Paris en 1859 - Bercy, par Lucien Lambeau, Éd. Leroux (Paris), 1910

« (…) Parmi les causes qui contribuèrent à la disparition de cet immense domaine, le plus beau, le plus vaste certainement des environs de Paris, il faut d'abord compter l'envahissement, dès 1804, du commerce des vins, achetant tous les terrains disponibles de la contrée, les convertissant en magasins, en entrepôts, en écuries. Toutes les rues et tous les chemins, la berge dans toute sa longueur, étaient sillonnés de camions, encombrés de montagnes de tonneaux, habités par une population laborieuse, mais bruyante, de charretiers et de tonneliers. Quel châtelain aurait pu s'accommoder d'un pareil charivari ? (…). »

Les moyens de stockage se révèlent rapidement insuffisants, pour faire face à la croissance de la consommation et à un acheminement facilité par le chemin de fer.

Par ailleurs, les inondations ne sont pas rares dans les entrepôts de Bercy, tout comme les incendies dévastateurs.

Journal du Loiret, n°188, 8 août 1860

« L’ancienne commune de Bercy vient encore d'être le théâtre d’un incendie considérable. Avant hier dimanche, vers trois heures et demie du soir, plusieurs détonations successives et très fortes mirent en émoi les nombreux habitants d'une grande maison à cinq étages qui forme l’angle du quai et de la rue Gallois. Les caves et le rez-de-chaussée sont occupés par d'importants magasins d'un marchand de spiritueux en gros, et ils contenaient une grande quantité de liqueurs alcooliques. On reconnut promptement que les détonations étaient occasionnées par l'explosion de pipes d’eau-de-vie, explosions déterminées par le feu qui dévorait l’intérieur des magasins.

18 Entre 1800 et 1865, elle passe de 1 à 3,55 millions d’hectolitres. 39

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Immédiatement l'alarme fut donnée de tous côtés ; mais lorsqu’arrivèrent les premiers pompiers accourus du poste de la rue Soulage, des ruisseaux d'alcool enflammé s’étaient répandus par toutes les issues. Les portes, les fenêtres du rez-de-chaussée étaient en feu, et les flammes s'élevant à une hauteur considérable alimentées par les liquides spiritueux, entouraient le grand bâtiment, pénétraient dans les escaliers et y allumaient l’incendie. Les pompiers commencèrent la première, mais impuissante attaque, et l'incendie eut bientôt atteint d’effrayantes proportions. Les maisons voisines étaient sérieusement menacées ; le grand bâtiment dont nous avons parlé commençait à brûler de toutes parts ; à chaque instant, on entendait les explosions des tonneaux ; une lave immense, incandescente, sortait de la maison, traversait le quai dans toute sa largeur, pour aller se précipiter dans la Seine, où elle communiquait le feu à un bateau chargé de vins, amarré en face de la rue Gallois. Telle était la situation, lorsqu’arrivèrent, avec un grand nombre des habitants de Bercy, les sapeurs-pompiers des casernes de Poissy, Culture Sainte-Catherine, du Vieux-Colombier, puis M. le colonel de Lacondamine, avec son capitaine ingénieur, son adjudant-major et ses adjudants. D’un autre côté, étaient accourus de forts détachements de la garde de Paris, des 7e, 57e, 62e régiments de ligne, les pompiers de l’ancienne commune d’Ivry, les équipes et les pompes des chemins de fer de Lyon et d’Orléans, et les pompes du magasin à fourrages. (…) En quelques instants, dix-huit pompes furent mises en manœuvre (…). Tous les habitants du bâtiment incendié avaient réussi à fuir, emportant leurs plus précieux effets, leurs bijoux et leur argent. Personne n’étant en danger de périr, il ne restait plus qu’à combattre le feu ; on sait que l’extinction de l’huile et des alcools est extrêmement difficile. Les manœuvres des pompes parvinrent promptement à éteindre le feu qui embrasait les bâtiments, mais les liquides enflammés et inextinguibles par l’eau ranimaient sans cesse l’incendie. On eut alors recours aux soldats du train des équipages de la caserne de Bercy, qui ne tardèrent pas à arriver avec vingt voitures chargées de fumier, de sable et de terre. On parvint, non sans peine, avec ces matières, à éteindre l’alcool enflammé. A six heures du soir, l’incendie était complètement maîtrisé et tout danger avait cessé pour le voisinage. (…) Cet incendie a occasionné un dommage considérable. (…) »

Le cimetière de Paris-Bercy accueille, encore aujourd’hui, la tombe de Théodore Dehaese, jeune pompier mort au feu à l'âge de 24 ans, lors d’un incendie des commerces de vin de Bercy en 1853 ; les pompiers de la caserne de Chaligny lui rendent hommage chaque année.

Tombe du pompier Théodore Dehaese (1829-1853) au cimetière de Paris-Bercy. 40

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5.3. LA PROBLÉMATIQUE DES LIMITES ADMINISTRATIVES ET FISCALES DE PARIS

Bercy constitue, à partir de 1790, une commune, dans laquelle les régimes fiscaux parisiens (notamment le droit d’octroi) ne sont pas applicables. C’est notamment ce qui explique que les chais de Bercy s’y sont fortement développés au début du XIXe siècle.

La création de l’enceinte fortifiée de Thiers redessine les limites physiques de la capitale.

D’une longueur de 33 kilomètres, l'enceinte est large, puisqu’elle comprend : une rue militaire intérieure, un parapet de 6 mètres de large, un mur d'escarpe de 3,5 mètres d'épaisseur et de 10 mètres de hauteur, un fossé sec de 40 mètres, une contrescarpe en pente légère et un glacis non constructible (zone « non aedificandi ») de 250 mètres de large19. Elle est complétée par 95 bastions.

L’enceinte de Thiers coupe la commune de Bercy en deux et traverse le parc du château de Bercy.

Plan de Paris fortifié, par Andriveau-Goujon, 1845

Le bastion n° 1 est un des 5 bastions qui subsistent de l'ancienne enceinte de Thiers. Inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis le 21 mai 1970, il est visible en contrebas du boulevard Poniatowski, depuis l’échangeur de la porte de Bercy.

19 L’annexion au territoire parisien de la zone non aedificandi sera réalisée par des décrets de 1930. Y seront alors construits des équipements sportifs et des logements sociaux sur le côté pair du boulevard Poniatowski. 41

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Vue actuelle du bastion n° 1, boulevard Poniatowski.

La création des fortifications redessine profondément les limites physiques de Paris. Toutefois, elle n’est pas accompagnée d’une redéfinition juridique du périmètre de la capitale. Ainsi, les communes périphériques, maintenues, sont coupées en deux ; au sein du périmètre des fortifications, des régimes juridiques et fiscaux différents selon que les territoires relèvent de la Ville de Paris ou des communes périphériques. 42

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Chronique d’une mort annoncée ; l’annexion par Paris de sa banlieue en 1860, par Nathalie Montel, in revue Recherches contemporaines, n° 6, 2000-2001

« La décision de construire des fortifications ceinturant Paris au-delà des limites des fermiers généraux eut pour effet de délimiter physiquement une couronne de terrains, qui se retrouvait située entre les deux murs et comprenait des territoires appartenant à 24 communes distinctes. Dans son Histoire et dictionnaire de Paris, Alfred Fierro, suivant en cela la majorité des historiens qui se sont exprimés sur ce sujet, fait la même analyse que Louis Girard quand il écrit : “La Monarchie de Juillet, par faiblesse politique, n’ose pas décider l’annexion de cette auréole de territoires à Paris. C’est le second Empire qui porte logiquement les frontières de la ville sur les fortifications.” (…) Survient le vote de la loi du 3 avril 1841 sur les travaux de fortifications de Paris, une loi motivée par un contexte international préoccupant. La question épineuse des moyens à adopter pour assurer la défense de la capitale, débattue depuis la fin de l’Ancien Régime, se trouve alors tranchée : un système mixte combinant des forts détachés et une enceinte continue située au-delà des actuelles limites de la ville doit être mis en place. Au moment des discussions, pour ne pas rendre plus difficile un accord sur le meilleur système de défense à adopter, la question d’une éventuelle future extension des limites de Paris jusqu’à la nouvelle enceinte projetée est délibérément laissée de côté. Cependant, à l’annonce du projet de loi, plusieurs conseils municipaux des arrondissements de Sceaux et de Saint-Denis, parlant au nom des “communes de banlieue”, s’émeuvent du changement possible des limites de l’octroi de Paris que pourrait entraîner l’édification d’une enceinte fortifiée sur leur territoire. (…) Ils émettent (…) le vœu que les commissions des deux Chambres appelées à statuer “déclareront qu’à leur avis, les fortifications de Paris ne pourront jamais être un motif ni un prétexte pour changer les circonscriptions administratives et reculer les limites actuelles de l’octroi.” Ils n’obtiennent en définitive que l’article 9 de la loi du 3 avril 1841 qui stipule que les limites de Paris ne pourront être changées qu’en vertu d’une loi spéciale, ce qui suffit, semble-t-il, à calmer les inquiétudes. (…) »

La loi du 16 juin 1859 supprime et annexe à Paris tout ou partie de 11 communes limitrophes20, dont la commune de Bercy.

Se pose alors la problématique fiscale de cette annexion, dans la mesure où les communes annexées échappaient à la fiscalité parisienne, notamment au droit d’octroi.

Face à la contestation très forte portée par les négociants en vins de Bercy, la loi de juin 1859 instaure un régime transitoire de 10 ans. Les négociants sont exonérés de droit d’octroi dans le cadre du régime de l’entrepôt à domicile (dit « entrepôt fictif »).

Charles Vernier symbolise ce cadeau fiscal par le hochet en forme de tire-bouchon offert à l’ « enfant Bercy » par sa mère la Ville de Paris…

20 4 communes sont intégralement annexées ; Belleville, Grenelle, La Villette, Vaugirard. 7 communes sont partagées entre Paris et une ou plusieurs communes limitrophes : Auteuil, Batignolles-Monceau, Bercy, Charonne, La Chapelle, Montmartre et Passy. 43

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser -

La bonne ville de Paris et ses nouveaux enfants, par Charles Vernier, in Le Charivari (31 janvier 1860)

L’agrandissement de Paris en 1860 : un projet controversé, par Nathalie Montel, in Agrandir Paris (1860-1970), dirigé par Annie Fourcaut et Florence Bourillon, Éd. Publications de la Sorbonne (Paris), 2012

« (…) Enfin, l’intitulé de la loi passe sous silence sa dimension fiscale. Ce texte ne prononce pas seulement le recul des limites administratives de la capitale d’une enceinte à l’autre. Il étend jusqu’aux fortifications le régime fiscal propre à la ville de Paris. La population vivant entre les deux murs se trouve désormais assujettie aux contributions directes et indirectes de la capitale, et notamment à l’octroi parisien. Principale ressource financière de la capitale, cet impôt indirect taxe la plupart des produits qui entrent dans Paris, et en particulier les denrées alimentaires de première nécessité. Sur les territoires à englober, des octrois existent mais leurs tarifs sont plus faibles et concernent moins de produits. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les populations les plus modestes ont choisi d’aller vivre au-delà du mur des Fermiers généraux, y trouvant des loyers moins chers et une vie à meilleur marché. (…) C’est également pour se soustraire aux taxes de l’octroi parisien sur les matières premières, qu’un certain nombre d’activités industrielles ont choisi de s’implanter au-delà des barrières des Fermiers généraux. La loi de juin 1859 prévoit quelques dispositions transitoires pour adoucir les conséquences de ce changement de régime fiscal. Ces aménagements visent d’une part la population la plus aisée et d’autre part la grande industrie et le commerce en gros. (…) Quant au nouveau régime de l’octroi, qui doit s’appliquer dès le 1er janvier 1860, des délais et facilités sont consentis. Ils concernent exclusivement les établissements du commerce en gros, qui se voient 44

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - proposer de bénéficier pendant dix ans de l’entrepôt à domicile, et les usines, pour lesquelles le projet prévoit de différer de sept ans la hausse des taxes sur la houille et les matières premières employées. Des protestations s’élèvent contre chacun de ces différents aspects de la réforme. (…) »

Le baron Haussmann justifie, devant la commission départementale, ce dispositif dérogatoire par le fait que le vin, élevé au rang de « denrée de nécessité première », est nécessaire à la vie et à la santé…

Mémoire présenté par le sénateur, préfet de la Seine à la Commission départementale le 21 mars 1859

« (…) Le projet fait, d'ailleurs, une exception au profit des grands établissements consacrés au commerce en gros des boissons et confie au Conseil municipal le soin de juger plus tard s'il conviendra de prolonger, en leur faveur au-delà de cinq années, la faculté de l'entrepôt fictif. Mais ce n'est pas, vous l'avez compris d'avance, Messieurs, pour constituer une classe privilégiée de commerçants ; c'est pour assurer aux consommateurs de cette immense capitale l'approvisionnement de denrées de nécessité première. Il n'est pas essentiel pour Paris qu'il y ait, à ses portes ou dans son enceinte, des usines qui fabriquent, selon leur propre déclaration, des produits de toute espèce pour le monde entier, mais il lui est indispensable que son immense population soit fournie de vins et d'autres boissons nécessaires à la vie et à la santé. Que les négociants de Bercy se rassurent donc. Un intérêt supérieur fait leur garantie. L'Administration choisira la meilleure combinaison pour prévenir la fraude et faciliter néanmoins l'approvisionnement de la ville mais, dans aucun cas elle ne sacrifiera ce dernier service à des considérations purement fiscales. (…) »

En 1860, le commerce de Bercy rapporte par an, tant au Trésor qu'à l'octroi, plus de 20 millions de francs au titre des droits d'entrée dans la capitale.

5.4. LE DÉVELOPPEMENT DES ENTREPÔTS DE BERCY À LA FIN DU XIXE SIÈCLE

En 1869, à l’issue du régime fiscal transitoire de 10 ans, les pouvoirs publics décident de supprimer les « entrepôts fictifs ».

Droit d’octroi, « entrepôts fictifs » et « entrepôts réels »

Avant le régime des entrepôts, le négociant ne pouvait se procurer les produits qui lui étaient nécessaires qu'à la condition d'acquitter immédiatement les droits (douane ou octroi) dont ces produits étaient grevés.

Le régime des entrepôts a été institué en France, par Colbert.

Afin de faciliter le commerce, il permet de déposer des marchandises d'origine étrangère dans un magasin spécial pour ne les en retirer et les livrer à la consommation que dans la mesure des besoins du destinataire. Les marchandises placées en entrepôt sont réputées hors de France. Quand elles en sortent, elles sont traitées comme si elles arrivaient du pays d'origine, et peuvent recevoir toutes les destinations que l'importateur veut leur donner. Le paiement des 45

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - droits ne se fait qu’à la sortie de l’entrepôt.

Pour être pleinement efficace, ce régime doit s’accompagner de droits de magasinage modérés et de formalités pour les entrées et les sorties aussi simples que possible.

L'entrepôt peut être de 2 natures différentes.

L’ « entrepôt fictif » ou « entrepôt à domicile » est le magasin d'un négociant qui s'appelle « entrepositaire ».

L’ « entrepôt réel » est un magasin public. Les villes doivent fournir les bâtiments pour les entrepôts réels ; l'État prend à sa charge les frais de surveillance et de perception des droits.

Lorsqu'une ville a obtenu la concession d'un entrepôt, elle jouit, en retour, des droits de magasinage et de manutention.

Elle peut aussi concéder temporairement ces droits avec concurrence et publicité à des adjudicataires qui, se mettant en leur lieu et place, se chargent de la construction, de l'entreprise des bâtiments et de toutes autres dépenses.

L’ensemble du négoce de vin de Bercy est réuni dans un vaste domaine d’ « entrepôts réels » sur une surface de 52 hectares.

Le Grand Bercy, au début du XXe siècle

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Bercy, son histoire, son commerce, par Alfred Sabatier, Éd. Gayet (Paris), 1875

« En effet, assis aux bords de la Seine, à proximité des chemins de fer de Lyon, d'Orléans et de Ceinture, Bercy offre tous les avantages désirables aux vendeurs et aux acheteurs, et l'on a parfaitement compris qu'il était impossible de déplacer un commerce aussi étendu, connu de l'Europe entière, qui compte près de soixante-dix années d'existence. Depuis 1804, il a rapidement envahi tous les terrains situés entre le port, la rue de Bercy et la rue Nicolaï (autrefois rue Grange-aux-Merciers). Cet espace de 43 hectares est à présent entièrement couvert de magasins, de caves et de maisons spécialement affectées au commerce des vins. Beaucoup d'autres magasins sont établis sur la droite de la rue de Bercy, au nord et à l'est de la rue Nicolaï, sur le boulevard de Bercy et dans la rue de Charenton. Le terrain où se sont successivement élevés ces magasins peut être évalué à 9 hectares, ce qui porte à 52 hectares la superficie de l'emplacement occupé par le commerce des vins. On a calculé que, Bercy démoli et reconstruit sous forme d'entrepôt réel, il y aurait un emplacement suffisant pour contenir le commerce de l'entrepôt du quai Saint-Bernard et celui des communes annexées : la Villette, la Chapelle, Batignolles, Montrouge, etc. Donc, nous faisons des vœux pour que, dans un temps assez rapproché, Bercy soit converti en un seul entrepôt, pour les liquides, comme on a procédé pour les autres marchés, qui ont chacun leur spécialité. (…) »

Ces nouveaux entrepôts, dits « entrepôts réels », qui mettent un terme aux entrepôts à domicile, ou « entrepôts fictifs », permettent un meilleur contrôle de l’administration sur le commerce des vins.

Bercy, son histoire, son commerce, par Alfred Sabatier, Éd. Gayet (Paris), 1875

« A Bercy, notamment, il y avait, hors barrière, de nombreux entrepôts à domicile, affranchis de toute surveillance, puisqu'ils n'étaient pas dans le rayon de l'octroi. Lorsque la commune de Bercy, avec ses magasins et ses entrepôts libres, fut annexée à la ville de Paris, il fut décidé-que, pendant dix années, les magasins libres de Bercy seraient convertis en entrepôts à domicile sous la surveillance de l'administration. Il fut stipulé en même temps qu'à l'expiration de ce délai, on pourrait proroger cette faculté, mais à la condition expresse de la généraliser et de l'étendre à tout le commerce des vins dans Paris. Ainsi, au 1er janvier 1870, époque à laquelle le privilège accordé par la loi d'annexion cessera, la faculté d'établir des entrepôts à domicile deviendrait générale : s'appliquant à 8 000 marchands en gros et à 22 000 détaillants, elle créerait une impossibilité absolue; car aujourd'hui, bien que la faculté d'entrepôt à domicile ne soit qu'un privilège très-restreint, la fraude à laquelle elle donne lieu est de 3 à 4 millions. Il fallait donc songer à un entrepôt réel. On a hésité entre deux emplacements : la Villette et Bercy ; l'ancienne possession et le voisinage du fleuve ont fait choisir Bercy. Le conseil municipal a décidé qu'un entrepôt réel y serait établi (…) »

La Ville de Paris et le préfet de la Seine décident, dès 1876, de reconstruire les entrepôts de Bercy de façon ordonnée et sécurisée. Eugène Viollet-le-Duc est chargé d’examiner les projets ; un de ses disciples, Louis Ernest Lheureux (1827-1898), assure l’exécution du chantier, entre 1881 et 1895, après le jugement d’expropriation prononcé en 1877. Ces travaux aboutissent à la création de 2 espaces distincts : le Petit Bercy et le Grand Bercy. 47

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Le périmètre des entrepôts, clos d’une grille et dont les entrées sont gardées par un bureau d’octroi, est divisé en trois zones définies par le type de marchandises vendu : les vins, les alcools et spiritueux, et les autres liquides. Le plan est orthogonal, et les chais sont organisés autour de cours desservies par un réseau de voies pavées, qui deviendront ferroviaires en 1919.

Il est procédé, en 1879, à la surélévation du quai de Bercy, pour éviter de nouvelles inondations. Deux niveaux de quai sont aménagés, l’un permettant le déchargement des bateaux, et l’autre situé plus haut, au niveau de l’assiette des entrepôts ; les deux niveaux communiquent par quatre galeries souterraines fermées par des écluses en bordure du fleuve, afin d’éviter les inondations. Toutefois, l’ensemble du périmètre sera submergé lors de la crue centennale de 1910.

Les entrepôts de Bercy inondés en 1910

Les entrepôts sont déclarés d’utilité publique en 1880. Le 9 août 1905, le Parlement vote une loi obligeant tous les gros marchands de vins de Paris à avoir pignon sur rue à l'entrepôt de Bercy.

Les négociants de Bercy assurent la mise en bouteilles des vins reçus en fûts ; ils pratiquent des assemblages.

Bercy devient le plus grand marché vinicole du monde.

Jusqu’au début du XXe siècle, les entrepôts de Bercy et ceux du quai Saint-Bernard gardent une importance à peu près égale. Mais la spécialisation de la halle de la rive gauche en vins fins et alcool et un nouvel agrandissement de Bercy en 1910 donnent l'avantage à ce dernier. En 1930, il représente 70 % du stockage et des sorties contre 30 % pour la halle aux vins de Saint-Bernard.

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Plan des entrepôts de Bercy, 1951

5.5. LE DÉVELOPPEMENT DES INFRASTRUCTURES AU SERVICE DES ENTREPÔTS DE BERCY

Le chemin de fer contribue fortement au développement de Bercy.

Par arrêté du préfet de la Seine du 9 septembre 1845, il est déclaré que le chemin de fer de Paris à Lyon traversera, dans le département de la Seine, les communes de Paris, Bercy, Charenton, Maisons-Alfort, Créteil et Choisy-le-Roi. A Bercy, beaucoup de terrains sont acquis de divers propriétaires ; deux rues communales disparaissent complètement.

La (alors « Embarcadère de chemin de fer de Paris à Montereau ») est mise en service en 1849.

En 1852, la Compagnie du chemin de fer de Lyon acquiert toute la partie intra muros comprise entre les fortifications, la rue Grange aux Merciers, la Seine et la rue de Charenton, pour en faire des dépendances et des magasins21.

Équipement écologique avant l’heure, la Gare frigorifique de Paris-Bercy, située entre l’actuel immeuble « Le Lumière » et le boulevard périphérique, est construite en 1862, pour assurer le stockage et la desserte de l'entrepôt de Bercy à partir de la ligne PLM.

21 Cet espace accueillera notamment, en 1977, la Gare de Bercy (dénommée « Gare Paris-Bercy-Bourgogne-Pays d'Auvergne » depuis septembre 2016). 49

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Façade sud de la Gare frigorifique donnant sur la voie sur berge

La Gare frigorifique de Paris-Bercy

La Gare dite « de La Râpée » est organisée sur deux niveaux, couvrant environ 3,5 hectares.

Le niveau supérieur, nommé « Gare de La Râpée supérieure » comporte des halles, desservies par un embranchement ferroviaire du faisceau de voies du PLM.

Le niveau inférieur, nommé « Gare de La Râpée inférieure » ou « Gare frigorifique de Paris- Bercy », est accessible, à partir du niveau supérieur, par une trémie, toujours présente. Constitué de six voûtes, il comprend deux voies ferrées parallèles, perpendiculaires à la gare et donnant accès aux chais. Des plaques tournantes permettent de décrocher les wagons et de les faire pivoter de 90° pour le positionner en direction des chais ; une des plaques est toujours visible. L’équipement frigorifique proprement dit (10 chambres froides) n’y est installé qu’en 1924.

La conception de ces tunnels en fait une cave artificielle où la température se maintient, sans énergie, à 14 °C grâce à la proximité de la nappe phréatique et de la Seine, et à l’isolation thermique assurée par une maçonnerie imposante en pierres calcaires. Elle constitue donc un entrepôt écologique, pour les vins et tous les produits frais comme les fruits et les légumes, qui peuvent se conserver là, avant de satisfaire aux besoins importants de la capitale.

Depuis les années 1960, ces installations sont abandonnées. La connexion entre la gare de la Râpée supérieure et le faisceau ferroviaire est coupée par une voie ferrée desservant la halle Gabriel Lamé, réaménagée, en 2006, rue Baron le Roy.

La gare de la Râpée inférieure accueille un studio de tournage et le « Tunnel des Artisans » accessible au 86 rue Baron Le Roy. L'isolation phonique de l’ancienne gare frigorifique y permet la réalisation d’activités générant de fortes nuisances sonores.

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Bercy est également desservi par la ligne ferroviaire de la Petite Ceinture. Dans le cadre de la construction des fortifications de Thiers, il apparaît nécessaire de disposer d’un réseau ferré intra muros, permettant l’approvisionnement des bastions, depuis l'intérieur de la ville fortifiée, en soldats, ravitaillement et armement. Par ailleurs, la communication entre les dix gares ferroviaires parisiennes, implantées selon un modèle radial, n’est possible que par voie urbaine ; aucun réseau ferré ne relie ces terminus des lignes nationales.

Il est donc décidé de construire une ligne circulaire, le long des fortifications, qui permettra de réunir les réseaux des 10 gares et d’approvisionner les fortifications. Le tronçon « La Chapelle à Bercy » est ouvert au trafic des marchandises en mars 1854 ; le trafic voyageurs débute en juillet 1862 entre Batignolles-Clichy et La Râpée-Bercy.

La gare de La Râpée-Bercy est située près de la porte de Bercy, à proximité du bastion des fortifications22. Elle sera en service jusqu’en juillet 1934. Seul un quai subsiste ; depuis 2008, d'anciennes voitures Corail y sont stationnées pour servir d'accueil aux personnes sans abri.

Plusieurs ponts sont également construits pour relier Bercy à la rive gauche de Paris.

Études sur le Vieux Paris, par Henri Cordier, in Journal des savants, volume 14, numéro 4, 1916

« (…) Jusqu'en 1831, les habitants de Bercy ne pouvaient communiquer avec la rive gauche de la Seine qu'à l'aide d'un bac faisant le service entre la Râpée et l'Hôpital général, c'est-à- dire la Salpêtrière ; le bac le plus rapproché de celui-ci était installé aux Carrières de Conflans. Du 28 juillet 1831 au 29 janvier 1832, on construisit, près de la Barrière de Bercy, un pont suspendu que l'on fut obligé, à cause de son peu de solidité, de rebâtir en pierre, d'août 1863 au 15 août 186423. Depuis lors, un deuxième pont, Pont Napoléon, aujourd'hui Pont national, puis un troisième, Pont de Tolbiac (1879-1882), en amont du premier, ont triplé les voies de communication dans cette région de Paris (…) »

5.6. UNE VILLE DANS LA VILLE

Les entrepôts et infrastructures de Bercy, développés sur 72 hectares, emploient près de 7 000 personnes, vers 1870.

Les Bourguignons prédominent au sein de cette population haute en couleurs, le transport par la Seine offrant un moyen de communication privilégié avec la Bourgogne.

Bercy, ville inconnue, à trois kilomètres de Notre-Dame, par Aristide Frémine, Éd. Gosselin (Paris), 1866

« Nous estimons la population. de ·Bercy, le Bercy flottant bien entendu, des cours et du Port, à sept mille âmes. Or, parmi ces sept mi1le personnes, c'est la Bourgogne qui en fournit le plus grand nombre, et de beaucoup. Les Bourguignons dominent. Ne les confondez pas avec les Mâconnais, les "Mâconniaux" comme l'on dit ; ils savent se distinguer, n'en doutez pas, en dépit de la vieille

22 A proximité de l’actuelle station « Baron Le Roy » de la ligne de tramway T3a. 23 Le pont de Bercy a subi un premier élargissement en 1904 et l’ajout, en 1909, d'une galerie d'arcades pour accueillir le passage de la ligne 6 du métro. 51

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - division des provinces qui les mettait sous le commandement d’un même gouverneur, depuis qu'ils avaient tous appartenu à la domination du Téméraire et de ses quelques prédécesseurs. Le Mâconnais, reconnaissable à ses traits et à ses cheveux plus bruns, déjà du Midi, passe pour irascible, exclusif, méchant même ; le Bourguignon pour entêté, rancunier, fier ; au demeurant, les deux ·races sont courageuses et unies, malgré des disputes fréquentes. On distingue aussi les hommes des pays de la Loire, de l’Orléanais principalement ; on les nomme "guêpins". Ceux-là sont moins nombreux que les Bourguignons et les Mâconnais, mais ils sont vaillants, excellents, très bons tonneliers. A côté de ces trois groupes, on rencontre des hommes venus des différentes contrées vinicoles, et même des provinces de l'Est et du Nord, mais ils sont isolés, ne formant plus compagnonnage étendu, Nation pour ainsi dire. Citons encore les hommes de Paris ou des départements limitrophes de la. Seine. Beaucoup d'entre eux ne sont guère que des manœuvres, ignorants qu’ils sont souvent de la manutention des vins ; mais ils sont intelligents, actifs, et il en est qui dirigent les principales maisons d’eaux de vie de la place. (…) »

Bercy en décembre par Jean-Baptiste-Antoine Guillemet (1873)

Bercy a ses métiers et sa hiérarchie sociale, qui va du grand négociant au modeste bricoleur.

Les métiers de Bercy

Le grand négociant, qui habite un quartier bourgeois de Paris, dirige son négoce de loin, laissant à ses commis le soin de gérer ses affaires.

Le petit négociant, qui vit à Bercy ou aux alentours, dont la réussite est plus récente (c’est souvent un ancien commis qui a racheté un négoce), gère lui-même son entreprise, aidé de commis.

Le courtier est 1’intermediaire entre le marchand en gros et le marchand en détail. Il choisit et 52

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - achète les vins au meilleur· marché possible pour le compte du détaillant. Il se rémunère par une redevance versée par le marchand en gros.

Le premier commis aux écritures gère la partie administrative du négoce.

Le premier commis à la vente négocie avec les clients, notamment les courtiers.

Le caissier gère la partie administrative du négoce.

Le premier garçon ne reçoit d'ordres que du patron en personne, ou parfois du premier commis. Il organise le travail des hommes d’équipes : il distribue le travail ; il embauche les hommes et les renvoie presque sans appel ; il sonne l’heure des repas. Premier arrivé le matin, il part le dernier après avoir fait sa ronde et s’être assuré qu’aucune pièce ne fuit. Il n'est pas payé à la journée comme la plupart des ouvriers, mais par appointements fixes. Il tire aussi profit de la revente des jaunes d’œufs (car seuls les blancs sont utilisés au collage), des lies (vendues aux pressureurs pour faire du vinaigre), des résidus de chandelles…

Le tonnelier. Aristide Frémine souligne que les tonneliers constituent une sorte d’aristocratie, qui se place au-dessus des autres professions : « Disons ici, en passant, que l'on établit à Bercy une grands différence entre les hommes qui ne sont que travailleurs et ceux qui sont tonneliers. Cependant., depuis quelques années, on a semblé moins faire attention à cette distinction capitale, ne regarder qu’à la force, et les tonneliers se plaignent. (…) Mais la riche récolte de cette année va, sans nul doute, donner fin à cet état de choses, rendre aux tonneliers leur importance ; et c’est justice qu'un métier, presque un art, qui demande un long et couteux apprentissage, une pratique ancienne, de l’adresse, un coup d'œil intelligent et prompt, toute une série de connaissances, ne tombe pas dans l'abandon. Il n'est pas équitable que les négociants ne fassent pas une situation meilleure aux tonneliers qu’à une multitude d'hommes qui remplissent, envahissent de plus en plus les magasins, travaillent à bon compte, parce que ce métier leur a paru plus agréable et plus lucratif que leur métier véritable, qu’ils aient été maçons, rouliers, maréchaux-ferrants, bouchers, perruquiers même, car l'on trouve de ces derniers. »

Le jaugeur, assermenté, jauge les fûts à mesure qu’ils arrivent.

Les dérouleurs travaillent au chargement et déchargement des bateaux de vins.

Les hommes d'équipe assurent la manutention des fûts dans les entrepôts. Ils sont payés à la journée ; ils ont en général le droit d’emporter une bouteille de vin chaque soir.

Le voiturier assure le transport des chargements importants, en ville et en banlieue, avec ses équipes de charretiers et leurs charrettes attelées.

Le bricoleur assure les petits transports en tirant lui-même une petite charrette qu’il s’attache au corps par une bride de cuir (appelée « bricole »).

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La Seine à Bercy, par Paul Cézanne (1878)

Bercy a son langage professionnel, avec le « tabernacle », le « crapaud », le « lutinet » et le « sac à dégerber »…

Bercy, ville inconnue, à trois kilomètres de Notre-Dame, par Aristide Frémine, Éd. Gosselin (Paris), 1866

« Les ·plaisanteries d'un bon sel, les réparties joyeuses, les bons tours sont à l'ordre du jour dans les cours de Bercy. Les noms même des ustensiles de travail révèlent de l’imagination et de l'observation. Cet échafaudage portatif et cintré, grâce auquel les poulains montent les fûts jusqu'au haut des travées, c'est un "tabernacle". Cet ·ustensile, accroupi à terre, formé de deux pièces de bois soudées ensemble par de fortes chevilles et évidées en ellipse, qui reçoit et tient élevée au-dessus du sol la pièce que l'on soutire, c'est un "crapaud". Cette baguette, surmontée d'une petite masse et finement varlopée, flexible comme le fouet d'un cocher de bonne maison, facile à la main qui la tient et en frappe les fûts lorsqu'on inventorie les vins, c'est un "lutinet", etc, etc. Puisque nous parlons d'ustensiles de travail, faut-il donner ici un souvenir au « sac à dégerber » ? Le "sac à dégerber", voyez-vous, c'est un objet utile, indispensable, vénérable presque. Dans son acception la plus ordinaire, ce n'est rien, comme son nom l'apprend, qu'un sac bourré de paille, destiné à amortir le choc contre terre ou contre d'autres fûts des pièces que l'on descend des travées ; mais à combien d'autres usages est-il employé !·Quelque brave garçon a-t-il trop fêté le dimanche ? Vaincu par le sommeil et la fièvre bachique de la veille, éprouve-t-il, vers le milieu du lundi, un impérieux besoin de repos ? Il s'en va sans bruit vers le couloir où il a aperçu le "sac à dégerber". Un autre a-t-il trop fréquemment rempli et vidé sa tasse, en soutirant quelques pièces d’un vin friand ? Le "sac à dégerber" lui offre encore sa couche réparatrice. Il est de jolies et accortes servantes des marchands traiteurs voisins qui vont porter par les cours les déjeuners de MM. les premiers garçons. En est-il beaucoup qui regarderaient fixement le "sac à dégerber" sans rire ? Mais n'allons pas être indiscret. (…) »

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Bercy devient également un des centres de la gastronomie parisienne, avec ses établissements nombreux et réputés, avec la tradition de sa « carafe »...

Bercy, ville inconnue, à trois kilomètres de Notre-Dame, par Aristide Frémine, Éd. Gosselin (Paris), 1866

« Du reste, tout semble, dans, ces restaurants, se passer, en famille, comme chez soi. On ne prend. pas place, ainsi qu'ailleurs, autour de la première table inoccupée jusqu’à ce qu'un garçon, plus ou moins empressé, veuille bien vous présenter la carte du jour. Non. On choisit soi-même son menu de visu et avant la cuisson. Les provisions de la maison sont étalées aux regards des clients, en certains endroits, dans les salles même ou l'on mange. On fait son choix ! On en porte très souvent soi-même l’objet au chef, qui n’a plus qu’à le préparer de la manière que l’on désire. Comme précaution contre les survenants et le restaurateur lui-même, qui pourrait être tenté de remplacer la pièce élue par une pièce moins fraiche, s'il s'agit d’une sole, d'une tanche ou d’une carpe de Seine, par exemple, il est assez dans les usages du lieu de prendre possession du poisson, en lui enfonçant un fausset de bois dans les chairs. Mais ce qui distingue les restaurants de Bercy entre tous les restaurants de Paris, de France et de Navarre, de l’Europe entière sans doute, c'est la carafe ! La carafe, voila l'attrait, le charme, le cachet, la corne d'abondance des repas de Bercy. Si elle ne fait pas miroiter ses rubis sur votre table, si, en son lieu, la bouteille parcimonieuse de l'établissement s'élève piteuse et maigre à coté de vous, vous êtes du dehors, vous êtes un étranger. Payer son vin à Bercy semble si singulier que payer sa place à l'Odéon. La carafe est donc un usage local et qu'ont dû tolérer et subir, d'une part les restaurateurs, d’autre part, et ceux-là sont les plus rébarbatifs, le conseiller d'État, directeur général des contributions indirectes et douanes, et le préfet de la Seine, car, grâce à cette bienheureuse coutume, il se boit par an, dans ce coin de Paris, plus de trois mille hectolitres de vin qui, jamais, ne payèrent redevance au fisc national et municipal. (…) »

… et son entrecôte…

L’ « Entrecôte Bercy »

Ingrédients (pour 4 Préparation : personnes) : - Enveloppez les os à moelle dans de la gaze, faites-les cuire 20 - 4 entrecôtes de cheval de minutes à l’eau bouillante salée. Égouttez l’os à moelle et le 400 gr chacune tenir au chaud. - 4 os à moelle - Éplucher et hacher les échalotes. - 4 échalotes - Les mettre dans une casserole avec le vin blanc. - 1/2 jus de citron - Faire bouillir, puis réduire le tout au 3/4 à feu moyen. - 1 bouquet de persil frais - Ajouter la crème, saler et poivrer. haché - Laisser réduire de moitié, ajouter le beurre et le jus de citron. - 1 botte de cresson - Fouetter doucement. - 15 cl de vin blanc - Incorporer le persil frais haché. - 3 c. à s. de crème fraîche - Griller les entrecôtes 2 à 6 minutes de chaque côté, selon épaisse l'épaisseur et le goût de chacun. - 30 gr de beurre - Rincer et essorer le cresson. - sel, poivre - Le dresser en petits bouquets dans chaque assiette. - Sortir la moelle, la couper en dés et la déposer sur les entrecôtes. - Servir la sauce à part ; servir chaud.

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser -

Le quai de Bercy, par Jean-Baptiste Armand Guillaumin (1881)

5.7. LA DISPARITION DU DOMAINE MALON DE BERCY

La Terreur épargne le château de Bercy, d’abord parce que son propriétaire n’a que 12 ans, ensuite parce qu’une partie du parc est louée à un ami de Robespierre, qui y établit une fabrique de papiers peints. Robespierre séjourne d’ailleurs à Bercy, pour y pécher…

Lettre adressée par Madame Campan, le 22 octobre 1814, à la duchesse de Saint-Leu, in Correspondance inédite de Madame Campan avec la reine Hortense, publiée par Jean Alexandre Buchon, Ed. Levavasseur (Paris), 1835

« (…) Berci est un château superbe ; le parc en est antique, mais royal. Ce beau lieu a été sauvé pendant la Terreur, par qui ? Par Robespierre. Son ami Arthur, chef de section, l'avait loué, et Robespierre venait s'y reposer après avoir signé la mort de tant de bons Français. Là, il allait paisiblement à la pèche, et, selon le rapport des jardiniers, il s'apitoyait lorsqu'une carpe prise à sa ligne se débattait sur le gazon, et cela à l'heure même où cinquante à soixante têtes étaient, par son ordre, séparées de leur corps. Cette anecdote m'a fait frissonner, et parce qu'elle justifie une remarque que j'ai faite depuis longtemps, c'est que ce code de sensibilité inventé par les philanthropes du dernier siècle, et dont les leçons se trouvent dans tous les ouvrages modernes, et surtout dans les livres destinés à l'enfance, communiquent une fausse sensibilité apprise, qui se remarque chez tous ces tartufes de moralité dans leurs discours et non dans leurs actions (…). »

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - A la mort du marquis Charles-Jean-François de Malon, le 3 mars 1809, le domaine de Bercy passe à son neveu Aymard-Charles-Théodore-Gabriel de Nicolaï, à la condition qu'il prenne le nom de Bercy.

Les Nicolaï se désintéressent peu à peu de leur vaste domaine.

Promenades à Bercy, par Alfred Sabatier, 1878

« (…) Depuis 1830, tout était solitude, abandon, ténèbres dans cette splendide demeure livrée, - fenêtres et portes closes, - à tous les ravageurs que vous savez ; dans cette splendide demeure, autrefois "remplie de toutes les fêtes du goût, de la magnificence et du bel esprit, mêlé à tout ce que la noblesse a de plus rare et la beauté de plus charmant." On eût dit que les Bourbons de la branche aînée en avaient emporté les clefs dans leur exil. C'est à peine si, dans la belle saison, l'omnibus y amenait quelquefois M. le marquis de Bercy, qui s'y était réservé, comme pied-à-terre, un petit bâtiment contigu à la chapelle (…). »

La création des fortifications de Thiers24 a coupé le parc du château selon un axe Nord-Sud.

Le développement du chemin de fer porte un coup fatal au domaine du marquis de Bercy. Un arrêté du préfet de la Seine de 1845 dispose que le chemin de fer de Paris à Lyon traversera notamment les communes de Bercy et de Charenton. Coupant le parc selon un axe Ouest-Est, les voies ferrées passent à quelques mètres de la façade du château et la séparent de la pelouse descendant à la Seine.

Histoire des communes annexées à Paris en 1859 - Bercy, par Lucien Lambeau, Éd. Leroux (Paris), 1910

« (…) La construction des fortifications de Paris en 1841 vint, d'autre part, brutalement couper en deux le parc, lui enlevant, de la Seine à la rue de Charenton, une large bande de territoire. En 1847, ce fut le chemin de fer de Paris à Lyon à qui l'on fit traverser la propriété de l'Ouest à l'Est, creusant une tranchée béante et infranchissable à quelques pas du grand perron du château. Et pourtant, à cette époque, et en dépit des coupes sombres déjà exécutées, le beau domaine des Malon devait encore avoir une grande allure. (…) En 1861, la plaine de Bercy, située au dehors des fortifications, de l'autre côté de la rue de Charenton, fut elle-même vendue à la Ville de Paris pour l'agrandissement du bois de Vincennes, et pittoresquement aménagée par M. Alphand qui y creusa le lac Daumesnil et y planta des futaies. Puis, vint enfin le dernier assaut, qui fut l'aliénation de la partie comprise, extra muros, entre la rue de Charenton et la Seine, et de l'enceinte à Conflans, et également vendue en 1861 à une Société financière qui construisit l'entrepôt des vins hors Paris. C'est à cette occasion que le château de Le Vau et de La Guépière fut démoli et rasé intégralement. (…). »

Le château de Bercy bénéficie toutefois de la spéculation financière causée par la construction des nouveaux entrepôts de Bercy. Estimé en 1809 à 1,8 million de francs, il est revendu 16,5 millions en 1860…

24 Voir section 5.3. 57

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Bercy, son histoire, son commerce, par Alfred Sabatier, Éd. Gayet (Paris), 1875

« La spéculation, cette entreprenante et opulente déesse de nos jours, qui n'a juré une guerre à mort au passé qu'au profit du présent et de l'avenir, ne pouvait manquer, en effet, de rendre un jour ou l'autre visite à ce domaine de deux cents années et de dix-huit cent mille mètres, à un château frère et contemporain du palais de Versailles, où le ciseau du sculpteur, la navette du tisserand, la palette du peintre et le goût exquis d'un grand architecte avaient accompli, par une dépense, un art, un génie inépuisables, quantité d'incomparables merveilles. Et comment les portes, si rigoureusement fermées à tout venant, de cet aristocratique sépulcre, où chaque année accumulait ruine sur ruine, poussière sur poussière, ne se seraient-elles pas ouvertes à deux battants pour la recevoir, quand elle apportait à M. le comte de Nicolaï, en échange du terrain, nu de toute construction, de son immense propriété, dix millions cinq cent mille francs, sans compter cinquante mille francs d'épingles pour les employés et serviteurs de son château fantôme ? Si les princes et les grands d'autrefois ne se faisaient pas trop tirer l'oreille lorsqu'il s'agissait d'épingles, la spéculation, comme on le voit, ne se montre aujourd'hui ni plus récalcitrante, ni moins généreuse dans l'occasion. Un autre fait qui ressort, clair comme le soleil, de la comparaison des temps, c'est le prodigieux accroissement de valeur qu'ont pris, depuis cinquante ans, les immeubles situés dans le voisinage de Paris. Qui croirait, par exemple, que le château de Bercy et ses dépendances, dont une partie avait déjà été aliénée, au prix de trois millions de francs, pour fournir des terrains au ministère de la Guerre, au chemin de fer de Lyon et à la commune de Bercy, avaient été achetés dix-huit cent mille francs, au commencement de ce siècle ? Treize millions cinq cent mille francs, plus environ trois autres millions de biens en terre, bois, etc., etc., que possédait, il n'y a pas encore bien longtemps, à Bercy, M. le comte de Nicolaï, pour le terrain nu d'une propriété payée, constructions comprises, dix-huit cent mille francs, n'est-ce pas, nous vous le demandons, à crier au miracle, à convertir au progrès qui entraîne notre société, les saint Thomas les plus sourds, les plus aveugles, les plus endurcis de l'ancien régime ? Ne vous étonnez donc pas, après cela, si, oubliant tous les anathèmes fulminés par eux et les chantres du passé contre la bande noire, qui jetait bas toutes les féodales demeures par elle acquises à beaux deniers comptant, pour les transformer, selon les besoins et les aspirations de notre temps, en usines, en moulins, en habitations de plaisance, en fabriques, en fermes, ne vous étonnez donc pas si, par un revirement fatalement inévitable, les fils des croisés, les héritiers de notre vieille noblesse, capitulant avec leur orgueil, daignent actuellement condescendre à traiter d'égal à égal avec cette bande noire tant maudite, à laquelle ils ont restitué son vrai nom, l'industrie, et qui vient à eux les mains pleines de millions. (…) »

En 1860, des relevés aquarellés du château sont réalisés par Joseph-Antoine Froelicher, avant que le décor intérieur et les meubles soient vendus aux enchères.

La destruction du château ne suscitera pas de tentative de sauvetage. Bien au contraire, les plus hautes autorités de l’État participent à la curée…

Histoire des communes annexées à Paris en 1859 - Bercy, par Lucien Lambeau, Éd. Leroux (Paris), 1910

« (…) Aussi bien, est-on stupéfait de songer qu'au moment de la dispersion, en 1860, il ne se soit rencontré aucun pouvoir d'État, de département ou de commune, pour essayer de 58

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - conserver à notre admiration, avec une affectation utilitaire et en lui laissant quelque coin de jardin, un centre d'art aussi complet. (…). Des pleurs, des gémissements, mais pas une idée de sauvetage. Il semble bien, au contraire, que le monde des collectionneurs, comme une meute affamée, comme une horde de vandales, se soit rué sur cette riche proie, emportant à prix d'or tous ces chefs-d'œuvre décapités et pantelants, puisque désunis et séparés. Et, bien loin qu'un pouvoir d'État soit intervenu pour sauver cette merveille, n'eut-on pas ce spectacle que les premiers de l'État se disputèrent tous ces vestiges comme de simples dépeceurs de vieux logis. Ne vit-on pas l'Empereur Napoléon III enlever de haute lutte, à un marchand de curiosités, les boiseries du grand salon ; l'Impératrice Eugénie conquérir sur un Anglais, grâce à quelques milliers de francs, une autre boiserie du château ? Et tous les princes de la finance, avec le baron de Rothschild en tête, et tous les grands noms de l'armorial, avec le duc de La Rochefoucauld menant le train, imitant leurs souverains dans cette œuvre de destruction. C'est pourquoi, dans toutes les somptueuses et banales maisons modernes où le bric-à-brac est en grand honneur, il y a des épaves de Bercy. Un courageux effort de l'État, de la Ville de Paris, du département de la Seine ; un généreux mouvement des acquéreurs millionnaires, une entente bienveillante et éclairée entre tous ces éléments, eussent pourtant suffi, si l'initiative en avait été prise, pour conserver, non pas le parc, sans doute, mais le château. (…) »

Affiche de la vente aux enchères des boiseries du château de Bercy, en juillet 1860, mentionnant l’information erronée selon laquelle le château aurait été construit par Mansart

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Les boiseries du grand salon ornent aujourd’hui le salon des aides de camp du Palais de l’Élysée.

Boiseries du château de Bercy dans le salon des aides de camps, Palais de l’Élysée.

Les boiseries du grand cabinet du rez-de-chaussée sont remontées dans l'hôtel Hirsch, rue de l'Élysée ; celles de l'antichambre du 1er étage remontées en partie, avec des éléments étrangers, dans l'ancien hôtel de la Rochefoucauld-Doudeauville (actuelle ambassade d’Italie) rue de Varenne par l’architecte Parent ; celles du grand cabinet du 1er étage intégralement conservées à Chislehurst en Grande-Bretagne, mis à part les toiles peintes des dessus de porte. Les deux fontaines du buffet sont conservées au château de Ferrières en Seine-et-Marne. Une table- console est exposée au musée du Louvre.

Table-console du château de Bercy (vers 1710), exposée au Musée du Louvre (département des objets d'art)

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - La balustrade de la chapelle a été remployée à l'Église Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux à Paris.

Balustrade de la chapelle du château de Bercy (vers 1712-1714) conservée en l'Église Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux à Paris.

La démolition du château, à l'exception des communs, débute en octobre 1861 ; l'aile ouest des communs est abattue en 1957.

Entrée des communs du château de Bercy, visible à Charenton-le-Pont

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser -

Le Palais omnisports de Paris-Bercy

Le Palais omnisports de Paris-Bercy

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser -

6 - BERCY, PRÉSENT ET FUTUR

6.1. LA MORT PROGRESSIVE DES ENTREPÔTS DE BERCY

Les produits d'assemblage, de qualité douteuse, font longtemps la fortune des négociants en vin de Bercy, qui popularisaient ce type de production dans leur organe de presse Le Moniteur vinicole.

Bercy, ville inconnue, à trois kilomètres de Notre-Dame, par Aristide Frémine, Éd. Gosselin (Paris), 1866

« Tous ces vins sont là, attendant l'acheteur, mais bien peu seront bus tels que le vigneron les porta du pressoir au cellier. (…) Ne remarquez-vous pas, vers la porte ou dans un coin du magasin, cette auge énorme, en bois, longue de cinq mètres, large de trois, haute de deux, munie dans, tout son pourtour de ·gros robinets de cuivre portant à leur col un entonnoir ? C'est la cuve ! C’est la chaudière magique où l'on opère à toute heure, au grand jour, des miracles (…). Vous vouliez un vin qui eut ·tel goût, que l'on vous vendit tel prix, que vous pussiez livrer à tel autre en gagnant et en contentant vos pratiques ? Le courtier (c'est là sa science principale) a rempli plusieurs fois sa tasse d'argent à différents fûts de différents vins ; il a mis le tout dans une carafe en verre. Est-ce là le goût, la couleur, ce qu'il vous faut ? Maintenant c’est le tour du premier garçon. (…) Autant de tasses, autant de fûts, autant de vins divers. (…) Les esprits des vins se marient ; le Cher colore le Tavel, le Tavel porte sa force au Cher, le Roussillon perd son ·goût âpre et alcoolique dans les vins du Centre., de la Bourgogne, et leur communique ses vertus ; le Nord, l'Est, l'Ouest et le Midi s’unissent jusqu'à ce que la fusion soit opérée et complète. Le coupage est fini. Préparez les pièces, appliquez à la bonde le goulot de l’entonnoir qui pend aux robinets. Tout est-il prêt ? Tournez les robinets. En quatre minutes et demie, dix pièces sont pleines ; encore dix minutes et elles seront chargées sur les haquets et rouleront vers Paris. De grâce, cependant, ne vous imaginez pas que tous les vins de Bercy ·doivent nécessairement passer par la cuve. (…) »

Toutefois, à partir des années 1960, le consommateur, qui devient plus exigeant, privilégie la mise en bouteilles à la propriété, garantie de qualité. Plus question de procéder au « coupage » des vins, d'améliorer un bourgogne avec un côtes-du-Rhône ou de remonter son degré avec du vin d’Algérie, comme le pratiquaient certains négociants.

La grande distribution concurrence sévèrement Bercy en proposant des vins de qualité, à des prix raisonnables.

Florissant jusque vers les années 1950, le négoce des entrepôts, après un siècle d'existence, périclite. Dans le cadre du rééquilibrage de l'Est parisien, la Ville de Paris décide de ne plus renouveler les contrats de location aux négociants.

Ces derniers quittent progressivement ce lieu mythique pour s'installer en banlieue.

Disparu, Bercy laissera cependant quelques traces dans le langage argotique…

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Termes et expressions argotiques inspirés de Bercy

Un « bercy » : un ivrogne ; Une « bersillée » : un état d’ivresse ; Un « côtes de Bercy » ou un « coteaux de Bercy » : un vin de mauvaise qualité, une piquette ; Une « fièvre de Bercy » : un état pathologique lié à l’alcoolisme ; « Avoir la maladie de Bercy » ou « Être né sur les coteaux de Bercy » : être dans un état pathologique lié à l’alcoolisme ; « Se murger » : boire un coup, s’enivrer. Terme qui tire son origine de la « rue Alfonse Murge », ancienne voie située entre les entrepôts de vins et la rue de Charenton sur laquelle ouvraient de nombreuses officines de marchands de vins. En sortant, les clients, ivres, devaient s’appuyer aux murs de la rue Murge pour ne pas tomber.

… dans la littérature et le cinéma…

Bercy dans la littérature et les œuvres cinématographiques xx

Jack d’Alphonse Daudet (1876) En famille, d’Hector Malot (1893) Juve contre Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain (1911) Chanson Quai de Bercy, composée par Alex Alstone, Maurice Chevalier et Louis Poterat, créée par Maurice Chevalier (1947) Casse-pipe à la Nation de Jacques Tardi et Léo Malet (1957) Maigret s’amuse de Georges Simenon (1957) Quand le vin est tiré, 32e épisode de la série Les Cinq dernières minutes (juillet 1964) Bercy, la dernière balade d’Alphonse Boudard, illustrations de Jean-Claude Gautrand et Philippe Gautrand (1993)

6.2. PREMIERS PROJETS ET PREMIÈRES RÉALISATIONS : LE PALAIS OMNISPORTS DE PARIS-BERCY (POPB)

Le schéma de secteur Seine-Sud-Est de 1973, le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) de 1977, puis le plan programme pour l’Est de Paris de 1983 engagent la revalorisation d’un espace riche d’atouts (proximité avec le centre de la capitale, vastes emprises publiques disponibles…). Il est significatif que cette opération s’appelle « Paris-Bercy » à l’inverse d’autres opérations plus difficiles à rattacher à l’idée d’extension du centre (telles que « Seine-Rive gauche ») ; l’objectif est bien de replacer Bercy comme un des éléments du centre de Paris.

Être architecte: les vertus de l'indétermination : de la sociologie d'une profession à la sociologie du travail professionnel, par Olivier Chadoin, Ed. PULIM (Limoges), 2007

« (…) Dès les années 1970, des signes évidents de déclin des activités sont pressenties et le schéma directe approuvé en 1977 affirme clairement les objectifs à poursuivre pour ces terrains : "faire un quartier d’habitation et d’activités avec l’implantation d’un grand équipement public au voisinage de boulevard de Bercy, à l’articulation avec le pôle tertiaire 64

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - de la râpée". Signe des temps, plutôt que vision stratégique, le SDAU insiste sur la valeur et la prégnance des données contextuelles et prescrit la création d’un espace vert. C’est la période où l’APUR érige en doctrine sa vision culturaliste : contextualisme, intégration urbaine, retour au principe de l’îlot comme entité première, distinction lisible entre espaces publics et privés, diminution des hauteurs, effort de conservation de l’existant, maintien des activités. En ce sens, Paris-Bercy, dont les trois lignes de force sont l’attention aux traces de l’histoire, la continuité du tissu parisien et la valorisation d’espace de qualité urbaine et de vie, est bien exemplaire de l’application des orientations urbaines développées par l’APUR dès 1975. La décision de construire le grand équipement public projeté dans le SDAU, le Palais omnisports de Paris-Bercy, conforte également l’intention d’intervenir sur ce site. (…) »

La construction du Palais omnisports de Paris-Bercy (POPB)25 est engagée en mai 1979, date à laquelle la ville de Paris lance une consultation auprès de seize équipes d'architectes pour la réalisation d’un palais des Sports de la Ville de Paris.

Lauréate du concours, l'équipe Andrault-Parat, Prouvé, Guvan commence, en mars 1981, les travaux qui s’achèvent en décembre 1983. Parallèlement, la construction du POPB conduit au doublement d’une partie du boulevard de Bercy.

La décision de transférer, à l’extrémité occidentale de la Râpée, le ministère de l’Économie et des Finances, dont les bâtiments sont achevés en 1989, renforce la nouvelle dynamique du quartier de Bercy.

Il est par ailleurs envisagé, au début des années 1980, d’installer à Bercy un des deux pôles de l’Exposition universelle de 1989, puis une partie des Jeux olympiques de 1992 (village olympique, centre de presse et stade nautique, en complément du POPB). Ces deux projets sont finalement abandonnés.

Une première opération d’aménagement est conduite, de 1986 à 1994, dans la ZAC Corbineau- Lachambaudie, située dans la partie nord de Bercy. Elle porte sur une superficie de 3 ha, qui s'étend de l'îlot Corbineau, qui fait directement face au POPB, jusqu'à la place Lachambeaudie, en englobant les emprises dénommées « Quai 10 » situées entre la gare de Bercy et la rue de Bercy. Elle permet la construction de 800 logements, 4 500 m² de bureaux et 10 000 m² de locaux d'activités, ainsi que le réaménagement de la place Lachambeaudie autour de l'église, de la caserne de pompiers et de l'école primaire.

L’Atelier parisien d'urbanisme (APUR) prépare le projet de Plan d’aménagement de zone (PAZ) de la ZAC de Bercy, qui est approuvé par le Conseil d’État en 1987. Il est le pendant, sur la rive droite, de l’opération « Seine-Rive gauche » conduite dans le quartier Masséna. En 1997, un concours international d'architecture est même lancé pour la construction d'une passerelle « habitée » sur la Seine, entre la Bibliothèque nationale de France, dans le 13e arrondissement, et le parc de Bercy ; destiné aux piétons, ce pont devait accueillir des cafés et des commerces…

25 Aujourd’hui le POPB est appelé « AccorHotels Arena », en vertu d'un accord de parrainage de la salle signé, pour 10 ans, entre la Mairie de Paris et le groupe Accor qui a financé les travaux de rénovation de 2014-2016. 65

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6.3. LA ZAC DE PARIS-BERCY

La ZAC comprend la réalisation de logements (sociaux et pour classes moyennes), l’amélioration de l’infrastructure publique, la création de sites pour les secteurs secondaire et tertiaire et l’aménagement d’un terrain en friche. Elle porte sur une superficie de 51 hectares, dont 41 hectares relevant du domaine privé de la Ville de Paris.

Le Plan d'aménagement de zone (PAZ), dont la réalisation est confiée à la Société d'économie mixte de l'Est de Paris (SEMAEST)26, subdivise le secteur en trois parties distinctes : - le parc, - la bordure Nord du parc ; - la partie Est du parc, dont la réalisation est confiée, par la SEMAEST, au consortium Zone d’évolution urbaine de la Seine (ZEUS)27.

Être architecte : les vertus de l'indétermination : de la sociologie d'une profession à la sociologie du travail professionnel, par Olivier Chadoin, Ed. PULIM (Limoges), 2007

« (…) Entre les objectifs d’aménagement arrêtés dès 1977 et l’approbation de la ZAC par le Conseil d’État dix ans plus tard, de nombreuses études affinent le projet jusqu’à en donner le visage actuel, quitte à gommer dans le discours des professionnels ce qui est jugé comme étant des échecs. La ZAC, déterminée initialement comme une entité territoriale cohérente, fait l’objet d’un découpage en trois grandes zones dans lesquelles les objets produits sont distincts. La zone confiée à ZEUS, "une ZAC privée dans la ZAC publique", se distingue avec la production du parc, archétype d’une commande publique. Le front du parc s’efforce, quant à lui, de concilier architecture et urbanisme par le biais d’une coordination architecturale, instrument technique et prescriptif de régulation de la production urbaine. Globalement, l’opération Paris-Bercy reste dominée par des méthodes d’intervention publiques dites "rénovées" et ses finalités orientées vers la préservation d’intérêts collectifs, tout en recherchant un équilibre avec l’implication de l’action privée. (…) »

Le projet vise, tout en conservant la tradition du site, à développer ses potentialités urbaines, autour du parc. Comme le souligne Olivier Chadoin28 : « Ce n’est pas, comme à l’accoutumée, un grand édifice public qui structure l’ensemble, mais, signe latent d’une politique urbaine renouvelée, un espace vert qui remplit cette fonction. »

Il prévoit : - un parc de 13 hectares et la transformation en promenade d'une partie de la rive de la Seine au Sud de Bercy ; - 1 489 logements, situés principalement face au parc ; - des équipements publics (écoles maternelles, crèche) ; - un quartier international d’activités économiques et commerciales ; - le raccordement de Bercy au réseau des transports publics.

26 Aménageur historique de l'Est parisien dans les années 1980 et 1990, la SEMAEST a mené des opérations d'envergure telles que la ZAC Reuilly, la Promenade plantée et le Viaduc des arts. Elle poursuit aujourd'hui sa mission d'aménageur sur la ZAC Pajol et dans le quartier Saint-Blaise. 27 Le consortium ZEUS réunit la Banque nationale de Paris (BNP), le groupe Suez, le groupe ACCOR et la Lyonnaise des eaux. ZEUS est d’ailleurs l’anagramme de SUEZ. 28 In Être architecte: les vertus de l'indétermination : de la sociologie d'une profession à la sociologie du travail professionnel, Ed. PULIM (Limoges), 2007. 66

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - La réalisation du parc de Bercy - qui constitue le plus grand parc créé depuis le baron Haussmann - est confiée à l’architecte et urbaniste Bernard Huet, avec la collaboration des architectes Marylène Ferrand, Jean-Pierre Feugas, Bernard Leroy et des paysagistes Ian Le Caisne et Philippe Raguin.

La symbolique du parc de Bercy

Le parc est constitué de trois parties distinctes.

« Les parterres » constituent la partie centrale du parc. Ils sont composés de 9 carrés de culture où sont symbolisés les 4 éléments, les 4 saisons et 4 couleurs : - le potager, bordé par le Chai de Bercy et entretenu par les écoliers parisiens, - le Pavillon du Vent (l'Hiver, l'Air, le Blanc) où de hautes colonnes, rangées en cercle, protègent des instruments de mesures, - le verger, bordé par l'orangerie, - les treilles (l'Automne, le Feu, le Rouge) marquées par une haute cheminée en brique rouge. Vendangées chaque année, elles perpétuent le souvenir de Bercy grâce à ses 400 pieds de vigne), - la Maison du jardinage (ancien bureau de perception des taxes) et sa serre, - le jardin des bulbes (le Printemps, l'Eau, le Vert), - la roseraie, - le labyrinthe (l'Été, la Terre, le Noir), - le jardin des senteurs.

- « Les grandes pelouses », situées à l’Ouest, sont un lieu ouvert, propice au jeu, au repos et à la promenade. Elles sont bordées, au Nord, par la Cinémathèque29 de l'architecte Frank Gehry, Au Sud, la terrasse plantée de tilleuls donne accès à la passerelle Simone de Beauvoir, qui permet de rejoindre la Bibliothèque nationale de France et le quartier Masséna. A l’Ouest des pelouses, la sculpture-fontaine Canyonaustrate de Gérard Singer rejoint un des angles du POPB.

- « Le jardin romantique », », situées à l’Est, peut être rejoint par une des trois passerelles qui enjambent la rue Joseph Kessel. C’est un paysage rafraîchissant, développé autour d’un lac ; l’ile sur le lac accueille le « Pavillon du lac », ancien poste des gardes de l'entrepôt devenu le siège de l’Agence parisienne du climat. Le jardin est agrémaenté de bassins ; au centre de l'un d'eux, trône la sculpture « Demeure 10 », œuvre d’Étienne Martin, entourée de nénuphars.

Les rues pavées du parc de Bercy dévoilent encore leurs rails qui permettaient la circulation des wagons-citernes. Les ruines d'une petite folie du XVIIIe siècle gisent parmi les 200 arbres centenaires.

Les paysages de France, Rapport du Conseil général des ponts et chaussées (5e section), par Anne Fortier-Kriegel, décembre 2004

« En hommage à Bernard Huet : le parc de Bercy. Juste en face de la Bibliothèque de France du côté du parc de Bercy, un paysage urbain se

29 Construit par l'architecte canadien Frank Gehry, le bâtiment (situé 51 rue de Bercy) accueille, en 1994, l'American Center. Confronté à des difficultés financières, celui-ci quitte les lieux en 1996. Le ministère de la Culture décide, en 1998, d’y transférer d'y installer une « Maison du cinéma », réunissant la Cinémathèque française, la Bibliothèque du film et le service des archives du film et du dépôt légal du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). L’ouverture des locaux réaménagés a lieu en septembre 2005. 67

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - dessine structuré par une suite de quais. Les quais de Bercy conservent des éléments tangibles du Paris dix-neuvième siècle. Des quais bas, des quais plus hauts forment des protections contre la montée des eaux du fleuve. Ces quais dessinent trois lignes parallèles en ascendance. L’horizontalité est soulignée par des plantations d’alignement : les peupliers près du fleuve, les platanes le long des anciennes caves à vin, les tilleuls plantés sur la terrasse du jardin. La terrasse est une structure en béton recouverte de pierre agrafée. C’est un ouvrage creux, abritant à l’intérieur un parking pour les autobus et les voitures. A travers l’étagement successif de ces horizontalités, on lit la capacité de développement des eaux marquées par trois rythmes successifs : le fleuve, la berge, le quai qui protège la ville. Le lit mineur tenu par le quai, les arcades qui supportent la rocade, puis la terrasse promenade observatoire de la rive opposée. A l’emplacement des anciens entrepôts à vin, le site du parc disposait de tous les éléments d’un jardin paysager : une végétation riche avec des grands arbres, des voies pavées, des architectures pittoresques du XIXe siècle, avec des chalets, des entrepôts en brique, des ruines… L’ensemble évoquait le charme d’une époque révolue. Le parc a été composé de façon à conserver ces signes un peu disparates. Bernard Huet et son équipe ont été très attentifs à ne pas vider le site de sa substance cherchant à retrouver fidèlement l’esprit du lieu. Le jardin a été dessiné pour garder les éléments majeurs, d’abord les grands arbres (platanes, marronniers, sycomores…), qui constituaient la structure première du jardin ; ensuite les chaussées dont le tracé en forme de peigne perpendiculaire au fleuve, inscrivait un découpage de l’espace ; enfin les bâtiments composés d’entrepôts et des cuveries, formaient des éléments hétéroclites, mais que l’équipe a cherché à intégrer comme éléments bâtis du jardin à venir. La composition du parc a été établie sur un tracé inscrit dans une continuité qui réordonne la voirie issue du XIXe siècle. Ce tracé délimite une maille orthogonale, carrée, de la dimension d’un îlot urbain moyen (45 x 45 m) qui est la mesure de référence du dessin du jardin. Des espaces définis par les lignes des arbres, les pelouses, les parterres, le jardin romantique, ont fini par faire émerger un jardin régulier. Un ensemble d’allées et de terrasses protègent le parc du bruit de la voie rapide. A l’abri des eaux du fleuve, le parc génère une intimité propice au repos et est devenu le jardin de la mémoire. Son concepteur, Bernard Huet fut mon professeur, il rappelait volontiers à ses élèves que la mission des concepteurs et des hommes de l’art était de produire du bien-être et de rendre l’espace à l’usage des habitants. Son jardin à proximité du fleuve, ouvert sur la lumière violette de Paris, procure au visiteur un sentiment d’évasion et d’euphorie. Il évoque pour ceux qui ont connu Bernard Huet un hommage à son souvenir. »

Sculpture-fontaine Canyonaustrate de Gérard Singer 68

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Outre la Cinémathèque française, la bordure nord du parc accueille, sur une superficie de 25 ha, de nouveaux logements conçus par l’architecte Jean-Pierre Buffi. La disposition parisienne traditionnelle des immeubles est respectée : ils sont bâtis directement en bord de rue dans un alignement ininterrompu ; les logements et les commerces sont mélangés dans des petites unités mixtes. La juxtaposition de différentes catégories de logements (25 % libres, 40 % en PLA et 34 % en PLI) garantit une certaine mixité sociale.

La Cinémathèque française, œuvre de Frank Gehry.

L’aménagement de la partie Est du parc (14 hectares) en quartier d'affaires, confié au consortium ZEUS, comprend la création de 113 000 m² de bureaux (dont l’immeuble « Bercy-Expo » devenu l’immeuble « Le Lumière »30) et de 40 000 m² de commerces (Bercy-Village, Pavillons de Bercy, complexe hôtelier, complexe cinématographique de 18 salles et 4 500 places…).

Le projet a prévu la conservation d’une partie des anciens chais31, qui faisaient l'identité du quartier, avec le réaménagement de Bercy-Village. Sont ainsi conservés, et transformés en commerces et restaurants, les anciens entrepôts construits par l’architecte Lheureux et les chais Saint-Emilion. Ils accueillent également l’École de boulangerie et de pâtisserie de Paris (EBP), ainsi que le Musée des arts forains sur respectivement 2 000 et 8 000 m².

La réalisation de la ZAC de Bercy, si elle est rapide, connait de nombreuses vicissitudes, pour un coût globalement élevé.

La renaissance du quartier Bercy, par Joël Cossardeaux, in Les Échos - Supplément immobilier, 17 juin 1999

« La société ZEUS arrive au bout de ses peines. "Dix ans pour mener une telle opération, c'est une prouesse", estime Denis De Baecque32, qui rappelle la longue liste de péripéties auxquelles ce vaste chantier s'est trouvé confronté. La bataille menée et remportée par les défenseurs de l'environnement pour obtenir la conservation des arbres de Bercy aura eu à ses yeux "un effet désastreux". Contraint de revoir son programme, l'opérateur de la SEMAEST a

30 Voir section 6.5. 31 42 chais et de nombreux entrepôts sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le 7 février 1986. 32 Président de ZEUS. 69

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - dû ensuite interrompre les travaux dix-huit mois pour permettre l'exhumation de magnifiques pirogues datant de six mille ans avant Jésus-Christ. Le classement des chais Saint-Emilion et des entrepôts Lheureux, imposé par Jack Lang, ministre de la Culture, a alourdi le bilan financier de l'opération, mais permis au quartier de conserver une part de son charme d'autrefois. Météor est arrivé avec deux ans et demi de retard sur le calendrier prévu. La crise immobilière a fait le reste. Sur les 5 milliards de francs (760 millions d'euros) investis par ZEUS dans ce programme, ses anciens actionnaires n'auront récupéré que 2,5 milliards. Cette somme, outre les 900 millions de francs tirés de la revente des charges foncières aux promoteurs, englobe le prix de rachat de la société ZEUS, qu'acquiert pour 1,6 milliard de francs (240 millions d'euros) Morgan Stanley33. La SEMAEST, qui avait pris soin de vendre tous les terrains, s'en sort beaucoup mieux. Le dernier bilan de la ZAC Bercy fait état d'un solde bénéficiaire de 900 millions. »

6.4. LE DÉSENCLAVEMENT DU QUARTIER DE BERCY

La réalisation de la ZAC de Bercy s’accompagne de la réalisation d’équipements de circulation et de transports importants. Ils permettent de désenclaver un quartier alors mal desservi34 et fermé, au Nord, par le faisceau ferré de la Gare de Lyon, par la voie sur berge, au Sud, et par le boulevard périphérique, à l'Est.

L'ouverture, en octobre 1998, de la ligne de métro 14 (station « Cour Saint-Émilion »), désenclave le quartier de Bercy, en le reliant au centre de la capitale : la station Châtelet-Les Halles est à quatre minutes de Bercy par cette ligne, qui, en outre, a des correspondances avec 9 autres lignes de métro et les 5 lignes du RER.

La ligne de tram T3a, mise en service en décembre 2006, relie le quartier de Bercy au Pont du Garigliano (au Sud-Ouest) et à la Porte de Vincennes (au Nord-Est) ; une seconde ligne, nommée T3b, relie dans sa continuité la porte de Vincennes à la porte de la Chapelle. Une station « Baron Le Roy », qui dessert le quartier de Bercy, perpétue le souvenir de Pierre Le Roy de Boiseaumarié (1890-1967), créateur des Appellations d'origine contrôlée (AOC).

La largeur du Pont de Bercy est doublée, entre 1989 et 1992, côté amont, pour accroître sa capacité, parallèlement à la construction du POPB.

Plus en amont, à hauteur du parc de Bercy, la passerelle Simone-de-Beauvoir, conçue par l’architecte Dietmar Feichtinger, est inaugurée le 13 juillet 2006. Réservée aux modes de transports « doux » (piétons, vélos), elle relie les rives des 12e et 13e arrondissements, Bercy à la Bibliothèque nationale de France et au quartier Masséna.

Enfin, au niveau des boulevards des Maréchaux, le Pont national est élargi dans le cadre du prolongement vers le Nord de la ligne de tram T3a. Ce pont, construit en 1852 comme un ouvrage ferroviaire et routier et déjà élargi en 1936, se voit adjoindre, en 2011, une passerelle en acier (de 4 mètres de large et de 260 mètres de long), destinée aux piétons, et directement ancrée sur l’ouvrage existant.

33 Sur ce rachat, voir la section 6.5. 34 Jusqu’en 1998, le quartier n’était desservi que par la station « Bercy » de la ligne de métro 6. 70

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Passerelle en acier du Pont national

Cette passerelle est constituée de trois parties hyperstatiques reposant sur les piles existantes du pont au moyen de 7 jambes de force en forme de V et de section en croix. À hauteur du raccord avec les piles, les jambes de force se rassemblent en une pièce coulée spécialement conçue et encastrée dans le béton du pont. En haut, la passerelle est suspendue au pont par une structure à maillons.

Elle est constituée d’un caisson très fin, d’une épaisseur allant de 30 à 75 cm. Ce choix permet de laisser apparente l’architecture du pont existant avec ses travées en arc typiques, alors que la forme et l’esthétique de la passerelle métallique dégagent leur propre identité. Une peinture au degré de brillance élevé (80-90 %) permet de voir le reflet de l’eau sur la face inférieure de la passerelle.

6.5. DE L'IMMEUBLE "BERCY-EXPO" À L'IMMEUBLE "LE LUMIÈRE"

Livré en 1993, l’immeuble « Bercy-Expo » est conçu par l’architecte Henri La Fonta35, à l’extrême-Est des terrains de l’ancienne halle aux vins.

Il est programmé comme le premier grand mart36 ou trade mart destiné aux professionnels du secteur agro-alimentaire et vinicole. L’objectif est d’offrir, sur une surface totale de plus de 90 000 m², tous les services et équipements facilitant le développement et le dynamisme du secteur agro-alimentaire dans un lieu permanent d’expositions professionnelles.

D’un coût total de près de 396 millions d’euros, il comprend 56 000 m² de locaux d'expositions permanents (avec près de 200 showrooms d'une surface moyenne de 20 à 25 m²), des espaces d'expositions temporaires, des salles de réunion, des salles de presse, des laboratoires de dégustation, des cuisines de démonstration et des centres de documentation. Le mart doit réunir

35 Henri La Fonta a réalisé plusieurs tours dans le quartier d’affaires de La Défense, notamment les Tours Pascal, Michelet, Voltaire et Les miroirs. 36 Un « mart » est un centre d’affaire permanent, d’exposition et de vente, ouvert aux professionnels d’un même secteur d’activité. 71

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - plusieurs centaines d'entreprises représentant près de 20 000 produits et 5 000 marques de boissons et de produits solides transformés.

L’histoire avortée d’un mart devenu le plus grand immeuble de bureaux privé de la capitale, par Ingrid Nappi-Choulet, in Immoweek Magazine, mai-juin 2014

« 1987, Une histoire de marts. C'est aux États-Unis, à la fin des années 1950, qu'apparaît le concept de mart ou trade mart, avec la réalisation à Dallas, puis à Chicago et à Atlanta, des premiers centres d'exposition et d'affaires permanents. Le concept est développé à Dallas en 1957 par le promoteur immobilier texan Trammell Crow, à l’époque premier groupe immobilier mondial, notamment spécialiste des trade marts aux États-Unis. Véritable plate-forme d’affaires ou centre d’achats destinés aux professionnels, ces espaces permettent de réunir de façon permanente et en un même lieu les principaux acteurs économiques appartenant à un même secteur d'activité : des producteurs, des distributeurs, des vendeurs et des acheteurs. En Europe, le promoteur américain est déjà présent depuis 1973 à Bruxelles, où il a réalisé le premier grand mart dédié au secteur de la mode sur plus de 150 000 m² (aujourd’hui 240 000 m²). D’autres villes suivront : Amsterdam, Düsseldorf, Zurich. En France, le concept est développé par la Sari, société de promotion immobilière, qui inaugure en 1989 le premier mart consacré aux nouvelles technologies de l'information (Infomart) au CNIT, dans le quartier de La Défense, puis en 1991, celui de Bordeaux, dédié à la filière vitivinicole (la Cité mondiale du vin et des spiritueux, 40 000 m²). (…) La Ville de Paris s’y intéresse aussi. Souhaitant son mart dédié au secteur agro-alimentaire, bien plus vaste que celui de Bordeaux, elle propose les terrains des anciens entrepôts de la Halle aux vins de Bercy (1860 à 1970), laissés à l’abandon, qu’elle souhaite destiner à l’aménagement d’un nouveau quartier d’affaires et de logements, en vue de rééquilibrer le développement tertiaire de Paris vers l’Est. Ce sera la ZAC Bercy, lancée en 1987, en pleine période d’euphorie immobilière. (…) Le projet du vaste mart est porté par le promoteur Jean-Pierre Hennequet, accompagné de Jean-Claude Aaron (le promoteur de la ), avec la participation de Trammell Crow, spécialiste des marts. »

En 1993, « Bercy-Expo » ouvre ses portes, alors que le reste du chantier de la ZAC est retardé par la crise immobilière. L’opération défraie très rapidement la chronique : lancé en pleine euphorie de la fin des années 1980, le mart « Bercy Expo » est livré au moment où le marché des bureaux entre en profonde récession.

Le concept de mart ne prend ni à Bordeaux, ni à La Défense, ni à Bercy. L’immeuble reste vide à 80 %. Le consortium ZEUS engage une première restructuration de l’immeuble. Les occupants des showrooms sont regroupés dans l’aile nord de l’immeuble dont la surface dédiée au mart est réduite à 13 000 m². L’aile sud du bâtiment est, quant à elle, réaménagée intégralement en surfaces de bureaux. L’immeuble tertiaire se loue progressivement. L’inauguration de la nouvelle ligne 14 du métro en 1998 redonne un atout indéniable à l’immeuble.

Les banques et les actionnaires de ZEUS souhaitent toutefois se désengager de l’opération, dans un contexte où le marché immobilier parisien donne des signaux forts de reprise, alimentée par l’arrivée des fonds d’investissement nord-américains. En 1999, Morgan Stanley acquiert ZEUS et l’immeuble « Bercy-Expo » pour 243 millions d’euros.

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Immeuble « Le Lumière »

Morgan Stanley cède « Bercy-Expo », en 2002, pour 381 millions d’euros, au groupe américain Blackstone, un des plus gros propriétaires immobiliers aux États-Unis. Afin de créer rapidement de la valeur, l’actif est repositionné sur le marché immobilier de bureaux et entièrement restructuré : les activités du mart sont abandonnées. A cette occasion, la configuration des locaux est entièrement repensée afin d’optimiser l’aménagement des bureaux, malgré l’imposante profondeur de l’immeuble (60 mètres).

Rebaptisé « Le Lumière » à la suite de ces restructurations, il est à nouveau cédé, début 2006, pour 670 millions d’euros, au groupe immobilier Tishman Speyer.

Tishman Speyer met en œuvre une nouvelle politique de gestion : renouvellement des locataires au profit notamment de signatures de longues durées, augmentation des revenus locatifs nets, rénovation et optimisation des espaces de travail.

L’histoire avortée d’un mart devenu le plus grand immeuble de bureaux privé de la capitale, par Ingrid Nappi-Choulet, in Immoweek Magazine, mai-juin 2014

« Le succès est réel : l’immeuble est aujourd’hui considéré comme l’un des actifs les plus core37 de la capitale. Localisé à dix minutes du quartier central des affaires, via la ligne 14 du métro, dont le prolongement vers le nouveau quartier Clichy-Batignolles et le pôle d’affaires de Saint-Denis Pleyel est programmé dans le cadre du Grand Paris, l’actif "Le Lumière" affiche un taux d’occupation de 100 % avec l’arrivée récente en 2012 du ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales (avec plus de 37 000 m²). L’immeuble est occupé par de grands comptes, tels que les banques Natixis, Société Générale,

37 Un actif immobilier « core » (« trognon » en anglais) est un ensemble immobilier très bien localisé, avec des locataires de premier rang, des baux fermes de longue durée (entre 9 et 15 ans) et aucuns travaux significatifs à prévoir. Cet actif est par exemple acheté en patrimonial (long terme), par un fonds d’investissements à la recherche d’un rendement hyper sécurisé, pour constituer le cœur de son portefeuille. 73

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - ING mais également la SNCF ou Zara. Engagé dans une démarche de Haute Qualité Environnementale (HQE), le groupe américain obtient par ailleurs en 2012 la certification HQE Exploitation pour l’immeuble "Le Lumière", avec 11 cibles "Très Performant" sur les 14 cibles prévues dans le référentiel. Aujourd’hui, avec ses 135 000 m², l’immeuble "Le Lumière" constitue le plus grand complexe privé de bureaux dans Paris intra-muros. Les données le concernant sont époustouflantes, notamment par la taille de son atrium de verre d’un volume de 52 000 m3, et la longueur de sa façade de 360 mètres. L’immeuble, formé d’un bâtiment central composé de deux ailes de 42 000 m² chacune et de deux immeubles indépendants (Garonne et Seine) de 8 000 m² chacun, localisés de part et d’autre du corps principal, comprend également 35 000 m² de locaux d’activités et de stockage en sous-sols. »

« Le Lumière » est l’objet, à l’été 2012, de la première obligation hypothécaire lancée en France. Le marché interbancaire est alors tendu suite à la crise financière de 2008 et se caractérise par une très faible liquidité, une grande méfiance des banques et l’arrêt brutal de la titrisation des créances immobilières. Afin de poursuivre sa stratégie d’optimisation financière, Tishman Speyer propose, pour la première fois en France, de refinancer l’immeuble par une émission obligataire. Ainsi, la dette initiale de l’immeuble (contractée en 2006 auprès de la banque Morgan Stanley) est remboursée par anticipation par un montage obligataire innovant, réalisé par la banque BNP Paribas auprès d’un pool de quatre grands investisseurs institutionnels français38.

6.6. LES PROJETS POUR L'AVENIR : RETROUVER L'UNITÉ PERDUE DE BERCY

Jusqu’au début du XVIIIe siècle, la seigneurie de Bercy constituait un ensemble cohérent, avec, à l’Est, le château de Bercy et, à l’Ouest, les demeures aristocratiques du Petit Bercy. La grille du château qui s’ouvrait sur le parc du Pâté-Pâris était une frontière bien symbolique.

Les transformations conduites aux XIXe et XXe siècles coupent cet espace en deux entités physiquement séparées.

La division de l’ancienne commune de Bercy (partagée entre la Ville de Paris et la commune de Charenton), la construction de l’enceinte de Thiers, le développement des lignes ferroviaires Est- Ouest (axe PLM) et Nord-Sud (petite ceinture), la construction de la gare frigorifique, le percement du boulevard Poniatowski39 mettent un terme à l’extension des entrepôts de Bercy vers l’Est.

Au XXe siècle, la construction d’équipements sportifs sur le côté pair du boulevard Poniatowski, le développement des infrastructures de la SNCF (entrepôts logistiques et ateliers), les saignées de l’échangeur de la Porte de Bercy (1969) et du boulevard périphérique (1970), la réalisation de l’immeuble « Le Lumière », la réalisation de la ligne de tramway T3a… constituent autant de frontières qui séparent Bercy de Charenton.

Alors que Bercy perd ses caractéristiques industrielles pour devenir un lieu de vie, la partie Ouest de Charenton s’oriente vers une fonction purement routière (échangeurs, implantation de hangars de transporteurs routiers) et commerciale, avec l’ouverture, en 1990, du centre Bercy 240

38 BNP Paribas, sa filiale d'assurance Cardif, la CNP Assurances et Prédica, filiale du Crédit agricole. 39 Réalisé en 1861. 40 Œuvre des architectes Renzo Piano et Jean-François Blassel. 74

- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - Bercy-Charenton - Paris, 12e arrondissement - Étude patrimoniale, urbaine et paysagère - Phase 1 État des lieux et diagnostic, sous la direction de Michel Borjon, bureau d’études Grahal, novembre 2014

« Des constructions imposantes par leur forme ou leur dimension sont édifiées. Sur Charenton, le Centre Bercy 2 signale le passage de la porte de Bercy. Sur Paris, l’immeuble Lumière adossé à la gare de la Râpée compose la fin de la ZAC et matérialise durablement une limite territoriale que l’on souhaiterait aujourd’hui estomper. (…) L’évolution des pratiques sur le site de Bercy-Charenton, constitutive de sa destination industrielle et commerciale originelle, dont la principale caractéristique intrinsèque est l’évolutivité et l’adaptabilité des techniques, des formes et des usages, a progressivement sectorisé et isolé les diverses fonctions urbaines, en niant et annihilant les liens, même ténus, qui autrefois les unissaient. Aussi, par exemple, l’aménagement urbain de la ZAC de Bercy à partir de 1980 est-il venu s’imposer à un existant, sans prendre en compte ses qualités fonctionnelles premières, en dissociant conceptuellement puis physiquement (immeuble Lumière) la gare inférieure de la Râpée des anciens entrepôts à vins qui lui étaient à l’origine logiquement associés. Il en est de même avec l’arrêt d’utilisation de la petite ceinture dans les années 1970 ou avec l’installation de l’imposant échangeur de Bercy dans les années 1960. »

Or cet inextricable enchevêtrement ferroviaire et routier reste l’une des rares opportunités foncières pour créer un nouveau quartier à Paris.

En 2010, la Ville de Paris charge plusieurs urbanistes et architectes d’élaborer un plan guide pour l’aménagement de ce site.

Vue aérienne de la zone Bercy-Charenton, à l’Est de l’immeuble « Le Lumière »

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- Document interne à l’Association de l’Inspection générale de l’administration - Ne pas diffuser - L’ensemble des études menées et les échanges issus de la concertation avec les propriétaires fonciers font émerger une stratégie opérationnelle qui s’oriente vers un découpage du projet urbain en deux opérations d’aménagement distinctes : - une ZAC créée à l’initiative de la Ville de Paris, qui couvrirait la majeure partie du projet urbain à l’étude ; - une autre opération, au Sud du boulevard Poniatowski, qui pourrait être conduite sous forme de lotissement, sur des emprises propriétés de la Société nationale des espaces ferroviaires (SNEF).

A cette fin, la Mairie de Paris, ouvre, en octobre 2016, une enquête publique ayant pour objet la déclaration de projet emportant la mise en compatibilité du PLU relative au projet de création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) sur le secteur de Bercy-Charenton.

Le projet de Bercy Charenton, qui porte sur environ 70 hectares, vise à : - créer un quartier de grande qualité urbaine présentant une mixité de fonctions urbaines (programme mixte de 660 000 m² de plancher destinés à des logements, dont 60 % de logements sociaux, à des bureaux, des équipements publics et des activités logistiques) ; - rétablir les continuités entre Paris et Charenton-le-Pont, entre différents quartiers de Paris, entre Paris et la Seine, entre les espaces « verts » et « bleus » du secteur ; - contribuer au rééquilibrage économique et au développement de l'emploi à l'Est de Paris ; - améliorer le cadre de vie.

Les terrains disponibles pour l’urbanisation étant limités et contraints, quatre ou cinq immeubles de grande hauteur sont envisagés.

Une amélioration des liaisons entre Paris et Charenton est également prévue, avec : - le prolongement de la rue Baron-Le Roy ; - l’aménagement d’un cheminement piéton entre le boulevard Poniatowski (station du tram) et l’immeuble « Le Lumière » ; - le réaménagement de la petite ceinture ferroviaire en jardin linéaire ; - la création d’une ou deux passerelles au dessus des voies ferrées…

Il prévoit également la mise en valeur du bastion n°1 et la réutilisation éventuelle de la gare frigorifique de Bercy.

L’approbation du dossier de réalisation de la ZAC Bercy-Charenton devrait intervenir en 2017.

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EN GUISE DE CONCLUSION

« BERCI POUR NOUS DEVIENT CYTHÈRE »…

Ode anacréontique, in Mes fantaisies, par Claude-Joseph Dorat, Éd. Delalain (La Haye), 1770

« Amis, dans quel lieu du monde Rit-on, chante-t-on aujourd'hui ? Qu'avec nous l’écho réponde : C’est à Berci, c’est à Berci.

Berci pour nous devient Cythère : Des Amours c'est le rendez-vous Ils quittent le sein de leur mère Pour venir jouer avec nous.

Brillantes Nymphes de la Seine De fleurs couronnez vos bateaux ; Noyons le chagrin et la peine Plaisirs, nagez entre deux eaux.

Bacchus nous verra du rivage ; L'Amour tiendra les avirons Vénus écartera l'orage, Pour qu'on entende nos chansons.

La jeunesse est de ce voyage : C'est la beauté qu'elle conduit ; Et la beauté ne fait naufrage, Que quand la jeunesse s'enfuit.

La nuit sur ce bel hémisphère Étend son crêpe, mais en vain Le plaisir ici nous éclaire ; Il fera jour jusqu'à demain. »

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