EchoGéo

53 | 2020 Dénominations plurielles. Quand les noms de lieux se concurrencent Plural Toponyms: When Place Names Coexist

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/echogeo/19746 DOI : 10.4000/echogeo.19746 ISSN : 1963-1197

Éditeur Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (CNRS UMR 8586)

Référence électronique EchoGéo, 53 | 2020, « Dénominations plurielles. Quand les noms de lieux se concurrencent » [En ligne], mis en ligne le 19 octobre 2020, consulté le 10 août 2021. URL : https://journals.openedition.org/ echogeo/19746 ; DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo.19746

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SOMMAIRE

Editorial

Des mots pour le dire Jean Louis Chaléard

Sur le Champ

Dénominations plurielles : quand les noms de lieux se concurrencent ! Introduction Frédéric Giraut

Les noms de tranchées et de boyaux de la Grande Guerre en Champagne Apport des Plans directeurs des Groupes de Canevas de Tirs des Armées Alain Devos, Pierre Taborelli et Robin Perarnau

La mémoire de la Grande Guerre à travers les odonymes en Clément Millon

Le patrimoine onomastique touareg aux portes du désert saharien Ghousmane Mohamed

Nommer les biens du Patrimoine mondial : processus de patrimonialisation et réinvention toponymique Christophe Gauchon

What is not in a name? Toponymic ambivalence, identity, and symbolic resistance in the Nepali flatlands Darshan Karki et Miriam Wenner

La variation toponymique dans l'oraliture comme pratique infrapolitique : études de cas à Uchon et Jean-Baptiste Bing

Urbanisme de rattrapage, marquage territorial populaire et conflits d’odonymies dans les quartiers de Yaoundé (Capitale du Cameroun) Gaston Ndock Ndock

“We shall know a place by its names”: Co-existing place names in Bindura, Dorcas Zuvalinyenga

Nommer les lieux de la crise des opioïdes à Boston : un enjeu politique Elsa Vivant

Tautologies toponymiques : comment apprivoiser l’espace entre continuités et fractures Fabio Armand et Jean-Pierre Gerfaud

Plural Toponyms: When Place Names Coexist Introduction Frédéric Giraut

Naming the sites of the opioid crisis in Boston: a political issue Elsa Vivant

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Sur l'Image

Révéler les traces du toxique Benjamin Lysaniuk, Anaïs Ondet et Léa Prost

Sur le Métier

L’album Panini, un outil de l’enseignant géographe ? Xavier Leroux

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Editorial

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Des mots pour le dire

Jean Louis Chaléard

1 Le numéro 53 d’Échogéo est largement consacré à la toponymie, objet d’un volumineux dossier Sur le champ. Le texte qui porte sur un album Panini dans la rubrique Sur le métier y fait aussi plusieurs fois allusion. C’est donc sous le signe des appellations géographiques, des mots pour désigner les lieux, de leur explicite, implicite ou caché, qu’est tournée la présente livraison de notre revue. La toponymie a des liens avec de nombreuses disciplines : l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, l’économie, la géopolitique… Mais comme étude des noms propres désignant des lieux, elle concerne peut-être plus encore la géographie.

2 Le dossier de la rubrique Sur le champ est centré sur les « dénominations plurielles » et met en évidence les dimensions multiples des concurrences entre noms de lieux. Frédéric Giraut, qui l’a dirigé, observe dans son introduction que les pluralités d’appellations, éventuellement contradictoires et fonctionnant sur des registres différents, sont fréquentes. Elles sont révélatrices de représentations et de pratiques mais aussi de rapports historiques et de tensions politiques et/ou sociales. Au-delà de la grande diversité des cas analysés, de la Première Guerre mondiale à l’époque contemporaine, des États-Unis ou de la France à l’Afrique et au Népal, des métropoles au monde rural, les articles du dossier mettent en évidence la richesse des registres vernaculaires et l’importance des enjeux politiques ou sociétaux que révèlent les querelles de mots ou les dénominations multiples.

3 Quelques contributions prennent en compte fortement les dimensions patrimoniale et géopolitique des noms de lieux. Deux s’intéressent à la guerre de 1914-1918 qui a amené une nouvelle couche d’appellations se superposant, de façon pérenne ou temporaire, à un fond rural. Alain Devos, Pierre Taborelli et Robin Perarnau, étudiant sur les champs de bataille de la Grande Guerre en Champagne les noms des tranchées et des boyaux, soulignent l’appropriation du terrain par les combattants. Celle-ci se manifeste par une répartition territoriale des noms de tranchées à l’échelle locale autour de thèmes diversifiés, renforçant la valeur identitaire du groupe producteur. Dans son étude sur la Grande Guerre à travers la gestion des odonymes (noms des routes et places) en France, Clément Millon essaie de mesurer la mémoire vivante du passé. Cette dernière paraît importante, attestant de la présence des guerres dans le quotidien des Français, mais

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moins que celle de la Seconde Guerre mondiale ce qui amène l’auteur à s’interroger sur ce fait et sur les conséquences de l’éloignement progressif dans le temps de la Grande Guerre.

4 Avec le texte de Ghousmane Mohamed nous sommes encore dans la question du patrimoine. L’auteur s’intéressant à l’onomastique touareg, aux portes du Sahara nigérien, montre en quoi la toponymie touareg révèle un système socio-spatial cohérent et un environnement interprété selon ses usages et les circulations d’une société mobile. La création toponymique/onomastique est un des lieux privilégiés de la mémoire collective touareg. À une autre échelle, Christophe Gauchon s’intéresse également aux processus de patrimonialisation en étudiant la production de toponymes à partir de la dénomination des biens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. L’inscription sur cette liste est l’occasion de réinventions toponymiques qui consacrent, aux côtés des appellations entérinées par l’usage, des noms expressément construits à des fins de patrimonialisation. Le discours du patrimoine apparaît alors comme un des moyens par lesquels se déploie la politique culturelle des États. Darshan Karki et Miriam Wenner prolongent la réflexion sur la dimension politico-identitaire de la néotoponymie en analysant l’ambivalence des noms de lieux dans des plaines népalaises. Ils cherchent à comprendre comment les élites utilisent les toponymes, soit pour appuyer les revendications territoriales et l’appartenance à la nation, soit pour saper ces mêmes revendications. Ils mettent en lumière ainsi les contradictions des processus de dénomination en place dans ce pays où ceux-ci se mêlent à la politique ethnique et à la restructuration territoriale.

5 Dans la toponymie vernaculaire s’expriment, de façon variable, des formes réelles de contestation ou de résilience. Jean-Baptiste Bing à partir des exemples parisiens et morvandiaux analyse comment la toponymie véhiculée par les contes et légendes, l’oraliture, permet de promouvoir ou maintenir une toponymie et un imaginaire vernaculaires, ancrés dans le passé, et vient promouvoir des usages des lieux alternatifs à des projets ou des opérations d’aménagement. La ville africaine informelle est le siège d’une production toponymique importante qui reflète les clivages au sein de la société urbaine entre le pouvoir politique et les habitants des quartiers populaires. Gaston Ndock Ndock met en évidence les oppositions, à Yaoundé, dans les opérations de régularisation urbaine entre des noms de lieux officiels que l’administration tente d’imposer et les noms vernaculaires qui restent en usage. Dorcas Zuvalinyenga, dans une ville moyenne du Zimbabwe, Bindura, examine la coexistence en couches superposées et l’utilisation simultanée d’une gamme complexe de toponymes. Il montre que l’utilisation de différents noms pour un même lieu met en lumière les tensions et les négociations en cours entre les diverses identités dans la ville, sur des bases variées : historiques, sociales, culturelles, etc. Les noms et les pratiques de nommage d’un lieu nous fournissent, dans ce cas comme dans d’autres, des éclairages sur son passé et sur les comportements de ses habitants. Loin de l’Afrique, à Boston, Elsa Vivant se penche sur les différences toponymiques dans un secteur urbain à l’interface de trois quartiers où la vente, la consommation de drogue et la prise en charge des usagers sont pratiquées de façons contrastées. Les réactions et demandes des riverains de ces différents quartiers sont révélatrices des rapports de pouvoir dans l’espace urbain dont les choix toponymiques sont les analyseurs. Comme dans les cas précédents, mais dans un tout autre contexte, la toponymie vernaculaire révèle les tensions liées aux problèmes et au fonctionnement de la société urbaine.

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6 Fabio Armand et Jean-Pierre Gerfaud étudient les tautologies (dénominations dont la forme condense deux expressions transmettant un seul et même concept) en toponymie, en se concentrant sur les noms composés. Ils montrent que ces derniers apparaissent avec un changement dans le peuplement et le statut des langues qui entraine une perte de sens du concept associé au mot. Le nom ancien est conservé, mais complété par une référence au concept dans la langue du dominateur. L’analyse toponymique permet ici de repérer les enjeux de continuité ou de fracture qui se jouent dans des sociétés aux langues, cultures et situations politiques différentes. Au total, le dossier insiste sur ce que la pluralité des appellations révèle de poids des héritages, de ruptures, de pratiques et de tensions sociales ou politiques. Surtout, comme le souligne Frédéric Giraut dans son introduction, il met en évidence la richesse et la puissance politique des registres vernaculaires lorsqu’ils sont en concurrence avec des registres officiels.

7 Dans le texte de la rubrique Sur le métier il est aussi question de toponymie, même si ce n’est pas l’essentiel du sujet, et de ses relations au patrimoine. Xavier Leroux, professeur des écoles, se propose d’évaluer l’intérêt d’une expérience pédagogique auprès des élèves de quatre classes de l’enseignement primaire : l’utilisation de l’album Panini « collectionne Tourcoing », chez un éditeur célèbre pour ses vignettes d’animaux et surtout de footballeurs. C’est l’occasion pour les élèves de chercher à identifier les lieux de la ville représentés sur les images. À travers cette expérience l’auteur interroge l’album en lui-même (pertinence de la photographie, du toponyme retenu pour l’illustrer) mais également le rapport des élèves à la pratique de l’espace.

8 C’est à une réflexion sur la photographie, sur ses relations avec les sciences sociales et une dénonciation des effets des agropesticides que nous propose le texte de Benjamin Lysaniuk, Anaïs Ondet et Léa Prost dans la rubrique Sur l’image. L’exploitation de deux clichés, un portrait et un paysage, tirés de la série documentaire « Les mauvaises herbes » d’Anaïs Ondet, offre l’occasion de questionner les notions d’invisibilité, de mémoire, de reconnaissance et de mettre dans la lumière des victimes que l’on n’entend en général pas et des paysages qu’on ne remarque plus. Comme l’observent les auteurs, cette contribution met en évidence la fécondité d’un dialogue entre des démarches artistiques et scientifiques visant à révéler des processus sociaux et économiques liés à des décisions politiques.

9 Bien sûr, comme la plupart des activités du pays, la publication des numéros d’Échogéo est contrainte par la présence de la covid-19 et les mesures prises pour l’endiguer. Au- delà des problèmes quotidiens, nous essayons d’apporter notre éclairage sur la situation actuelle de la pandémie et ses conséquences. Dans le numéro précédent, une contribution sur Ho Chi Minh Ville et les deux textes de la rubrique Sur le métier s’en faisaient l’écho. Le dernier article de la rubrique Sur le vif traite d’un volet important et discuté, en France comme à l’étranger : le confinement. Rémi de Bercegol, Anthony Goreau-Ponceaud, Shankare Gowda et Antony Ra abordent la situation dans les quartiers marginalisés en Inde. La mise en place d’un confinement en mars 2020 a provoqué une forte panique parmi les populations déshéritées fuyant désespérément les grandes villes pour retourner chez elles. Mais ceux qui n’avaient pas d’autres choix sont restés confinés dans les marges urbaines. Les auteurs soulignent les conditions de vie très dures de ces derniers et les effets paradoxaux d’un confinement non adapté aux quartiers pauvres. En France, la presse s’est faite l’écho d’enquêtes de l’Inserm qui montrent que la covid-19 est une maladie socialement (et spatialement) inégalitaire.

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Même si les situations sont difficilement comparables, une certaine convergence des observations pousse à interroger d’autres cas pour voir ce qui relève du particulier et ce qui témoigne d’évolutions générales. Nous serons amenés à revenir sur ces questions…

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Sur le Champ

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Dénominations plurielles : quand les noms de lieux se concurrencent ! Introduction

Frédéric Giraut

1 La toponymie, en tant que branche de l’onomastique (étude des noms propres) en linguistique, s’intéresse aux origines des noms, à leur signification et à leur altération. Elle produit en outre un travail considérable d’inventaire et de classification dans tous les contextes et à différentes échelles, allant de celles des microtoponymes ruraux à celle des macrotoponymes, ou noms des territoires intervenant en relations internationales. Des nomenclatures, officielles ou non, et des dictionnaires érudits ou académiques existent ainsi au niveau des villes, régions et États. Des experts au niveau international travaillent à la standardisation des noms officiels et de leurs transcriptions. Les travaux issus de la toponymie sur les noms de lieux sont utilisés en histoire et géographie pour reconstituer les archéologies du peuplement, du paysage et de l’environnement à partir des précieux indicateurs que sont les noms de lieux hérités. Enfin la linguistique prend en compte la toponymie lorsqu’elle travaille sur les paysages linguistiques. La question de la dénomination et de ses motivations, des éventuelles controverses et de leurs enjeux constitue un champ moins travaillé et apparaît quant à elle comme interdisciplinaire. Nommer les lieux est en effet une opération humaine essentielle de territorialisation constitutive de la géographie politique.

2 Un courant international de toponymie politique ou critique a ainsi émergé récemment consacrant le champ de la dénomination comme un champ complémentaire des études sur les noms eux-mêmes. Il s’intéresse justement aux enjeux politiques, identitaires, et fonctionnels de la dénomination des lieux. Il est donc dédié à la production et aux changements du toponomascape, ou paysage toponymique, qui s’inscrit plus généralement dans le paysage linguistique. La nomination, qu’elle soit officielle ou officieuse, issue d’un processus légal ou de la pratique, peut être considérée comme une technologie sociale qui attribue aux lieux et aux territoires des fonctions et des références et participe de l’instauration et/ou de la révélation d’un ordre social et politique.

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3 Dépassant l’usage académique de la toponymie à des fins de reconstitution du peuplement et des rapports historiques à l’environnement, l’intérêt pour la dimension géopolitique à différentes échelles de la toponymie n’est pas nouveau (Azaryahu, 1996 ; Monmonier, 1996 ; Zelinski, 1997 ; Guillorel, 1999 ; Kadmon, 2000). Mais la définition d’un cadrage problématique et l’indication de champs privilégiés ainsi que des hotspots liés s’est effectuée dans les années 2000 et 2010 (Alderman, 2008 ; Giraut et Houssay- Holzschuch, 2008a ; Berg et Vuolteenaho, 2009 ; Rose-Redwood et al., 2010 ; Bigon, 2016 ; Puzey et Kostanski, 2016). De plus, des propositions théoriques ont été avancées pour interpréter les motivations et les pratiques de nominations, issues de la linguistique (Tent et Blair, 2007) ou des sciences politiques et notamment des approches foucaldienne, debordienne et gramscienne en termes de dispositifs, de spectacularisation et d’hégémonie (Vuolteenaho et Kolamo., 2012 ; Giraut et Houssay- Holzschuch, 2016). D’importants développements par le biais d’ouvrages, de numéros spéciaux de revues ou d’articles de synthèse ont déjà été produits sur plusieurs thématiques telles que l’investissement mémoriel des noms de rues (Bulot et Veschambre, 2006 ; Rose-Redwood et al., 2018), la marchandisation des noms (Light et Young, 2014 ; Medway et Warnaby, 2014) et les noms des recompositions territoriales ou du new regionalism (Giraut et Houssay-Holzschuch, 2008b).

4 Les situations toponymiques qui font l’objet de ce dossier sont celles, nombreuses et diversifiées, où l’on constate dans les usages, la cartographie et les nomenclatures une pluralité d’appellations éventuellement contradictoires et fonctionnant sur des registres différents. Ces situations fréquentes et riches d’enjeux peuvent être interprétées à l’aune de la géographie politique et culturelle comme révélatrices de la pluralité des représentations et des pratiques, mais aussi des rapports historiques à l’espace et des éventuelles revendications sur celui-ci. Ces situations de dénominations plurielles ont jusqu’à présent retenu l’attention des chercheurs lorsqu’elles s’apparentent à des revendications territoriales concurrentes et s’inscrivent dans des conflits d’ordre géopolitique. Ainsi des travaux sont à noter sur la controverse internationale au sujet du nom de Macédoine, utilisé en Grèce et revendiqué pendant plus de 20 ans par les autorités de l’actuelle Macédoine du Nord (Tziampiris, 2012 ; Mavromatidis, 2010), sur la dénomination de la Mer de l’Ouest vs Mer du Japon (Short & Dubots 2020) ou encore sur celle de la Cisjordanie (West Bank) vs Judée-Samarie (Cohen et Kliot, 1992 ; Leuenberger et Schnell, 2010). En revanche, sont largement ignorées les dénominations plurielles de lieux du quotidien : rues, carrefours repères, quartiers, villes, petites régions. Pourtant, les enjeux liés à la pluralité des noms pour de mêmes lieux dans ces situations et à ces échelles sont nombreux, riches et originaux comme nous le montre la collection d’articles que recèle le présent dossier. En effet, dans des contextes divers allant du terrain de guerre à ceux de la patrimonialisation contemporaine, de la grande ville nord-américaine à la grande ville africaine, et du monde rural français au monde rural népalais, ce sont les questions des modalités de production, d’appropriation et de revendications d’appellations multiples et potentiellement contradictoires qui sont posées. De manière générale, c’est la question de l’endonyme versus l’exonyme ou du vernaculaire versus l’officiel qui est en jeu. On verra cependant que ces oppositions binaires sont quelque peu réductrices et occultent des situations plus complexes où les hybridations ne sont pas rares.

5 Les champs de bataille de la Première Guerre mondiale constituent une situation à la fois unique et paradigmatique de la production d’une nouvelle couche de noms de lieux

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à valeur fonctionnelle et symbolique dans un paysage toponymique déjà dense. Une véritable cité de la guerre rassemblant des millions de personnes sur des aménagements précaires très denses s’est constituée en quelques mois et pour plusieurs années sur un substrat rural. La mise en place de cette cité internationale appela une entreprise sans égal de dénomination temporaire mais bien réelle et constitutive de l’environnement quotidien des soldats. Cette toponymie de guerre est venue se superposer à la microtoponymie rurale en la recyclant partiellement. A l’issue du conflit, loin de disparaître totalement avec ses aménagements militaires, la toponymie de guerre s’est prolongée dans le paysage de la commémoration, parfois substitué à tout autre occupation de l’espace ; le plus souvent une mémoire toponymique commémorative sélective s’est maintenue en combinaison avec un paysage rural qui a partiellement repris ses droits. L’article d’Alain Devos, Pierre Taborelli et Robin Perarnau porte sur les noms de tranchées et boyaux en Champagne tels qu’enregistrés sur les cartes militaires (Canevas de Tirs) en 1918. L’inventaire et la typologie réalisés rendent compte des conditions de production de ces noms par la hiérarchie militaire dans le cadre des régiments ou compagnies à partir de principes pratiques et fonctionnels militaires. Cela donne une composition hétérogène mais correspondant à un ensemble de logiques combinées. La reprise de certains éléments du substrat toponymique constitue une dimension pratique qui re-hiérarchise les éléments microtoponymiques originaux au profit de ceux qui acquièrent une valeur militaire stratégique. Par ailleurs, la nomenclature des noms nouveaux obéit, d’une part, à un besoin de classification pratique (même thème et même première lettre dans un secteur donné) mais, également, à des besoins d’appropriation par la troupe en se référant au patrimoine, à l’histoire et à la provenance du régiment ou de la compagnie, en célébrant également ses hauts faits ou ses martyrs. Enfin, une autre logique apparaît qui, si elle est minoritaire, n’en est pas moins importante, il s’agit de celle des dénominations vernaculaires sarcastiques ou ironiques relatives à l’ennemi ou aux conditions de vie et de morts.

6 L’article de Clément Millon porte également sur la toponymie liée à la Première Guerre mondiale ou Grande Guerre, mais cette fois, il s’agit de l’odonymie commémorative et postérieure, telle qu’enregistrée dans la nomenclature des voies et places des localités françaises. Nomination plurielle au sens où elle institue un registre mémoriel distinct reproduit dans le paysage odonymique aux côtés d’autres registres. Ainsi l’odonymie française liée à la Grande Guerre valorise principalement une date, le 11 novembre 1918, celle de l’Armistice qui marque la fin du conflit, et une valeur, la Paix, dont il est souvent difficile de distinguer la période de référence. D’autres figures sont également commémorées, deux personnalités notamment, Foch et Clémenceau, incarnant deux approches de la Nation conjuguées dans sa défense. A noter que la spécificité de ces commémorations, leur géographie et leur problématique sur la durée sont discutées en comparaison avec celles d’autres conflits majeurs et notamment la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le sens du corpus lié à la Grande Guerre apparaît comme en voie de disparition partielle et comme moins marqué par l’engagement humain, là où la Seconde Guerre mondiale est commémorée, outre quelques grandes figures (le Général De Gaulle, le Maréchal Leclerc, Jean Moulin), par la mémoire de la libération et de la résistance et leurs martyrs. Mais il est vrai que les relais de mémoire de la Grande Guerre fonctionnent également grâce aux très concrets et visibles monuments aux morts, omniprésents dans le paysage des localités françaises. Ils fonctionnent aussi dans l’odonymie par l’évocation de combats et de batailles dont il est cependant

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beaucoup plus difficile d’étudier les occurrences car les signifiants y sont des noms de lieux dont le signifié n’est pas toujours la bataille. On a là différentes facettes de la pluralité toponymique, non pas appliquée aux mêmes lieux désignés mais aux mêmes lieux référents.

7 Ghousmane Mohamed propose pour sa part un tour d’horizon de l’onomastique touarègue saharienne, particulièrement centré sur l’espace actuel du Niger. Cette plongée dans les ressorts linguistiques et sémantiques de la toponymie touarègue met l’accent sur le caractère mobile de la société nominatrice. Celle-ci déploie des techniques de dénomination pour des lieux qui ainsi prennent place à la fois dans un système socio-spatial cohérent sans être fixe, et dans un environnement réinterprété selon ses usages et les circulations. Cette toponymie est ainsi transposable (des travaux sur la projection toponymique touarègue en ville seront à ce titre bienvenus), et elle constitue un marqueur patrimonial non exclusif des espaces sahariens.

8 Également liée aux questions de patrimonialisation, mais cette fois à l’échelle planétaire, la dénomination des sites inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial de l’Unesco est le sujet de l’article de Christophe Gauchon. On y note une grande diversité de composition et de types de références qui tentent de prouver leur valeur universelle, condition de leur inscription, et accessoirement leur valeur touristique (Néotoponymie, 2019). Mais les noms inscrits sur la Liste révèlent surtout la pluralité des échelles d’enjeux politiques de la patrimonialisation contemporaine. Ainsi, parmi les révélations de cet inventaire et de l’analyse de ses motivations, on note particulièrement une tendance à la restauration de toponymes autochtones en lieu et place d’exonymes issus de colonisations. Cela s’inscrit dans une démarche d’authenticité historique postcoloniale relative à des éléments de patrimoine culturel et naturel, mais peut aussi se combiner à une posture nationaliste lorsqu’il s’agit de promouvoir par exemple le nom népalais du toit du Monde vis à vis bien sûr du nom de son « découvreur » anglais, mais aussi de celui tibétain, plus ancien. La promotion de la référence régionale dans le cas de la Catalogne peut aussi s’apparenter à un certain nationalisme, plus évident encore lorsque la référence au nom de l’État est additionnée, comme à plusieurs reprises en Suisse, pour souligner le dépassement des localisations cantonales, mais au risque de la tautologie.

9 Darshan Karki et Miriam Wenner, en s’intéressant à l’usage d’ethnonymes comme toponymes pour désigner les territoires des Lowlands népalais, contribuent également à l’analyse de la dimension politico-identitaires de la néotoponymie. Ils montrent comment une revendication territoriale et toponymique menée par des élites au nom d’une appartenance de groupe transversale aux appartenances de langue, de religion et de castes est en contradiction avec la rhétorique nationaliste. Cependant, relevant elle aussi d’un essentialisme, quoi que stratégique (Giraut, 2017), cette revendication toponymique se heurte à la dimension excluante des dénominations ethnonymiques appliquées à la néotoponymie.

10 Loin des propositions de dénominations des territoires administratifs contemporains, la toponymie véhiculée par les contes et légendes, autrement dit l’oraliture, peut s’avérer, dans certains contextes, plus puissante pour promouvoir ou maintenir une toponymie et un imaginaire vernaculaires. C’est ce que montre Jean-Baptiste Bing en prenant les exemples parisiens et morvandiaux, hyperurbains et hyperruraux, issus de différentes pratiques de mobilisation politique, ou plutôt infrapolitique, de l’oraliture. Dans les différents cas, la toponymie révélée et mobilisée vient promouvoir des usages

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des lieux alternatifs à un projet (plantation de conifères) ou un aménagement (enfouissement de rivière) contestés.

11 La puissance subversive de la toponymie vernaculaire s’exprime plus encore dans la nomination des quartiers et lieux repères dans la ville africaine informelle. Gaston Ndock Ndock montre, en prenant l’exemple de Yaoundé, comment il y règne une polyphonie dans les quartiers d’urbanisation spontanée, lorsque des opérations de régularisation urbaine s’accompagnent d’une tentative d’imposition de noms de lieux officiels alors que les noms vernaculaires restent en usage. Ainsi le carrefour dénommé non sans dérision « J’ai raté ma vie », et qui par métonymie désigne un quartier, ne peut prendre le nom officiel de Nelson Mandela dans les usages. Cette commémoration officielle, décidée par les pouvoirs publics reviendrait en effet, non seulement à associer le grand homme à un lieu dont une des caractéristiques est d’avoir mauvaise réputation, mais surtout, elle gommerait le défi aux autorités que constitue le maintien d’un nom ironique qui affirme et déplore la condition marginale.

12 Dans la ville secondaire de Bindura, au Zimbabwe, Dorcas Zuvalinyenga souligne la diversité des dénominations de lieux en usage simultanément. Les différents corpus ont leur particularité. Si la couche officielle d’origine coloniale renvoie essentiellement à des exonymes, ou plus exactement à des référents externes, la couche officielle postcoloniale est en lien avec le régime, son histoire, son idéologie et ses réalisations affirmées, mais l’ensemble des corpus officiels partagent une orientation genrée au détriment du féminin. Les corpus vernaculaires issus de pratiques spontanées de dénominations ont pour caractéristique d’exprimer les préoccupations, y compris sous forme ironique, de groupes marginalisés, notamment jeunes, occupants à titre précaires ou encore locuteurs de langues minoritaires.

13 À Boston, ce sont trois appellations différentes qui illustrent la concurrence des registres pour la dénomination d’une “scène ouverte de consommation de drogues”, autrement dit d’un secteur urbain où la vente et la consommation de drogues sont pratiquées ainsi que la prise en charge d’usagers par accès à des substituts. À l’intersection de plusieurs quartiers marqués par des dynamiques sociales contrastées, les différentes dénominations en usage pour ce secteur cherchent soit à stigmatiser, soit à valoriser, soit à occulter la ”scène ouverte” qui le distingue. Cette étude de cas originale réalisée par Elsa Vivant illustre le poids de la créativité toponymique vernaculaire dans un contexte qui n’est pas celui d’une urbanisation spontanée, mais d’une tension entre prise en charge des problèmes sociaux urbains et gentrification.

14 Pour finir, Fabio Armand et Jean-Pierre Gerfaud traitent la question de la tautologie en toponymie dont il a déjà été question. Ils envisagent ainsi le cas des toponymes constitués de deux éléments de langues différentes, mais de même signification conceptuelle. Ici la pluralité toponymique est concentrée en de seuls noms composés. Les auteurs, en revenant sur les conditions de production linguistique de ces noms, montrent qu’ils interviennent dans le cas où un changement dans le peuplement et le statut des langues voit un ancien nom conservé mais « démotivé » (se référant alors au seul lieu mais plus au concept générique qui le décrivait) (Kristol, 2002), être complété par une référence au concept dans la langue des nominateurs. Ainsi le néotoponyme tautologique associe un ex-endonyme vernaculaire démotivé à un néonyme de même sens dans une langue véhiculaire. L’exemple du Col de la Forclaz en Haute- (on retrouve le même toponyme, non loin mais de l’autre côté d’une frontière internationale, dans le canton suisse du Valais), associe le nom de Col en français

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(langue nationale véhiculaire) à celui de Forclaz dont la terminaison est propre au dialecte francoprovencal alpin, et qui signifie originellement fourche en latin indiquant l’idée de croisement de routes dans un col en montagne. Tautologie toponymique qui dépasse l’opposition vernaculaire/officiel ou générique, et participe d’un paysage linguistique hybride témoignant du contact et de la rencontre de langues, de populations et de traditions politiques et culturelles.

15 L’un des enseignements les plus flagrants de cet ensemble d’études et analyses est la richesse et la puissance politique des registres vernaculaires lorsqu’ils sont en concurrence avec des registres officiels et ce, dans des contextes aussi différents que ceux des villes du Sud et des villes du Nord ou encore de hauts-lieux patrimoniaux à différentes échelles. Sur un plan théorique, les situations de pluralité toponymique viennent alimenter la remise en cause de l’opposition binaire exonyme/endonyme en soulignant la dimension relationnelle et parfois relative de ces registres (Woodman, 2012). Enfin sur un plan méthodologique la mise en évidence de ces situations nombreuses ouvre la voie à l’étude de leur expression cartographique dans un contexte de multiplication des supports cartographiques sur le geoweb (Noucher, 2020). En effet, la fin du monopole public sur l’information géographique, ou souveraineté cartographique, ouvre la voie à la promotion de corpus toponymiques éventuellement concurrents (qu’ils soient privés, vernaculaires ou officiels) dans la signalétique et sur différents supports en ligne ou embarqués.

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INDEX

Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

FRÉDÉRIC GIRAUT Frédéric Giraut, [email protected], est Professeur à l’Université de Genève. Il anime le blog https://neotopo.hypotheses.org/. Il a notamment publié : - Giraut F., Houssay-Holzschulch M., 2017. Au-delà du toponyme, la dimension politique de la territorialisation par la nomination. In Pasquali S., Gonzalez J. (ed.), Au delà du toponyme. Approches interdisciplinaires de la territorialité. Egypte et Méditerranée anciennes. , ENiM. - Giraut F., Houssay-Holzschuch M., 2016. Place Naming as Dispositif: Toward a Theoretical Framework. Geopolitics, vol. 21, n° 1, p. 1-21. DOI: https://doi.org/10.1080/14650045.2015.1134493 - Giraut F., 2017. Frontières communautaires, ethno-régionalismes et apartheids. In Staszak J.-F. (ed.), Frontières en tous genres. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 81-102.

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Les noms de tranchées et de boyaux de la Grande Guerre en Champagne Apport des Plans directeurs des Groupes de Canevas de Tirs des Armées

Alain Devos, Pierre Taborelli et Robin Perarnau

Les auteurs tiennent à remercier Ophélie Petiot et Marina Clément pour la discrétisation typologique de la base de données toponymique de Champagne, réalisée dans le cadre d’un stage au département de géographie de l’Université de -Champagne-Ardenne. Ils remercient également la région Grand-Est pour le soutien financier du programme IMPACT 14-18, ainsi que les rapporteurs de la revue pour leurs conseils avisés.

Introduction

1 La Première Guerre mondiale, essentiellement étudiée par les historiens, a lourdement marqué les sociétés par ses héritages géopolitiques, socio-économiques et culturels. Depuis une vingtaine d’années, l’apport des géosciences (Hesse, 2014) et de l’archéologie (Desfossés et al., 2008 ; Brénot et al., 2017) soulève de nouveaux enjeux environnementaux (Masson-Loodts, 2014) dont l’étude constitue encore une niche scientifique, surtout dynamisée par les anglo-saxons (Hupy, 2006 ; Stichelbaut, 2011 ; Gheyle et al., 2016). L’empreinte du conflit est particulièrement marquée dans la zone de front où les héritages sont diversifiés et nombreux, d’ordre pédologique avec les pédoturbations et la bombturbation (Hupy et Schaetzl, 2006), géochimique (Cancès et al., 2018), hydrogéologique (Hubé, 2018 ; Cao et al., 2019), biogéographique (Amat, 2015) et biologique avec les polémochores (Parent, 1991 ; Vernier, 2006 ; Wearn et al., 2017). Les impacts morphologiques avec les polémoformes (Amat, 1987) et plus particulièrement les « fossés » englobant les tranchées et les boyaux des réseaux de défense, sont également étudiés (De Matos-Machado et al., 2016 ; Devos et al., 2017 ; 2018a). Ces derniers partiellement ou totalement comblés, induisent des risques de sécurité civile, d’ordre géotechnique (Devos et al., 2019a), pyrotechnique et sanitaire (Hubé, 2016) auxquels sont confrontés les collectivités territoriales mais constituent également un formidable potentiel de valorisation patrimoniale et territoriale.

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2 La toponymie utilisée comme outil de patrimonialisation participe au devoir de mémoire et aux héritages culturels de la Grande Guerre. Les noms de lieux des champs de bataille sont aujourd’hui ancrés dans la mémoire collective, l’historiographie et le territoire. Ils sont pratiqués comme des lieux funéraires et mémoriels de la Grande Guerre. Pourtant, les noms de tranchées et de boyaux restent peu étudiés dans le cadre de la Grande Guerre. L’objet de cette contribution est de les caractériser, de comprendre leur organisation spatiale et leur paternité.

État de l’art

3 Les noms de tranchées font l’objet de rares ouvrages anglo-saxons (Chasseaud, 2017). Les articles scientifiques, y compris dans les revues d’onomastiques sont quasi- inexistants. Leur étude souffre du manque de corpus toponymiques exhaustifs à la différence des toponymes du cadastre disponibles dans les dictionnaires topographiques départementaux (Longnon, 1891 ; Tamine, 2012). Dans les écrits des combattants, ils sont mentionnés de manière aléatoire sans localisation, sans inventaire et sans informations sur leur organisation spatiale. Les textes traduisent généralement un espace perçu labyrinthique, sans compréhension ni visibilité géographique des noms de lieux. Dans ce dédale des réseaux de défense, la signalétique de tranchée est indispensable pour se repérer. Les communications assurées par des chaines de « coureurs » ou agents de liaison sont difficiles voire aléatoires. L’utilisation de panneaux indicateurs est confirmée par l’approche archéologique (Desfossés et al., 2008) et la consultation des photographies des combattants et des services photographiques des Armées. Cependant, les noms des tranchées restent peu lisibles sur ces photos, disponibles sur les sites internet de la Contemporaine (Collection Valois), de l’ECPAD, de la BNF (Gallica), de l’Imperial War Museum (IWM) et dans les collections privées. De plus, le mobilier archéologique (panneau indicateur) portant un nom de tranchée est rare (Chasseaud, 2017).

4 Les photographies aériennes prises pendant le conflit sont à l’inverse nombreuses. Elles constituent une importante base de données spatiales, dont l’analyse par l’intermédiaire d’un Système d’Information Géographique (SIG) permet d’appréhender l’organisation spatiale des réseaux de défense (Stichelbaut, 2011) et autres structures archéologiques. Elles sont utilisées dans le cadre de la construction des Plans directeurs (Combaud et al., 2016), en collaboration avec le Service de Recherche de Renseignements par Observation Terrestre (SROT), les Sections Topographiques de Corps d’Armée (STCA) et de Division (STDI) et les Sections de Repérage par le Son (SRS). Cependant, les noms de tranchées ne sont reportés sur les levés des cartes que lors de la photo-interprétation et les photographies aériennes ne portent que très rarement d’indications toponymiques.

5 C’est dans la cartographie militaire que les noms de tranchées s’expriment géographiquement. Les manuels d’instructions militaires (GQGA, 1916 ; 1917) portant sur les Plans directeurs, les cartes et plans spéciaux apportent d’importantes informations sur la désignation des lieux. L’expérience de la guerre montre que pour améliorer l’aspect opérationnel des cartes, la multiplication à l’extrême des noms et désignations s’avère indispensable. Chaque élément des réseaux de défense reçoit des noms ou numéros dans les unités en évitant les noms trop généraux ou génériques tels

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que « parallèle avancée », « nouvelle », « de résistance » ou « boyau central », qui peuvent s’appliquer à toute une région.

6 Les Plans directeurs des Groupes de Canevas de Tirs des Armées (GCTA) sont des cartes à statut secret, réalisées aux 1/20 000, 1/10 000 et 1/5 000 sur l’ensemble de la zone de front ouest. Elles sont l’équivalent français des Trench maps du Commonwealth et des Stellungskarten allemandes et sont archivées en France au Service Historique de la Défense (SHD), à l’Institut National de l’Information Géographique et Forestière (IGN), dans les services départementaux (archives, bibliothèques, musées) et au sein de collections privées. Des extraits sont utilisés dans les Journaux des Marches et Opérations (JMO) des unités régimentaires engagées dans la Grande Guerre, et consultables sur le site « Mémoires des hommes » du ministère des Armées. Au Royaume-Uni, les cartes sont numérisées et disponibles à la National Library of Scotland et à la McMaster University mais ne concernent que la zone de front occupée par les troupes du Commonwealth (Flandres, Somme). En Allemagne, les Stellungskarten sont disponibles auprès des Archives fédérales, en particulier le Bundesarchiv-Abteilung Militärarchiv de Friburg-en-Brisgau, les Bayerisches Hauptstaatsarchiv de Munich et les Hauptstaatsarchiv de Dresde.

7 Les Plans directeurs représentent l’ensemble des réseaux de défense ennemis en bleu (« Plans directeurs ordinaires ») et alliés en rouge (« Plans directeurs avec organisation alliée »). Ils portent des noms de tranchées et de boyaux de même couleur que les réseaux, sur un fond planimétrique en noir sur lequel figure la microtoponymie synthétisée du cadastre (illustration 1). Le relief est représenté en courbes de niveau de couleur bistre, sans ombrage avec un nouveau nivellement. À ce titre, ils constituent un fond toponymique non seulement imposant mais également localisé, avec plus de 20 000 noms de tranchées dans la zone de front occupée par le Commonwealth (Chasseaud, 2017).

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Illustration 1 - Extrait du Plan directeur de Reims au 1/20 000 du 15/07/1918, secteur de Saint- Léonard

Coll. Personnelle.

Méthodologie

8 Dans le cadre du programme de recherches IMPACT 14-18 financé par la Région Grand- Est (2015-2018) et porté par l’équipe du GEGENAA de l’Université de Reims Champagne- Ardenne, la Champagne traversée par la ligne de front sur 115 km constitue une zone atelier pour réaliser un diagnostic environnemental post-conflit. Une étude complémentaire à ce programme a été menée sur les noms de tranchées dans la zone- atelier, comprise entre l’Aisne médiane à Berry-au-Bac à l’ouest, et l’Aisne supérieure en Argonne à l’est. Ce secteur correspondant à 15 % du linéaire du front ouest est représentatif de l’ensemble du dispositif de défense de la guerre de position et ne connaît pas de grand retrait stratégique ni mouvance importante du front comme dans la Somme (retrait Alberich) qui double la densité de tranchées et de boyaux.

9 Dix Plans directeurs communiqués par la DRAC Grand Est (Direction Régionale des Affaires Culturelles), avec organisations alliées au 1/20 000 de 1918, numérisés et géoréférencés couvrent la zone atelier. Une banque de données spatiales est constituée dans le système de projection Lambert 93 (RGF 93) par digitalisation manuelle et représentée par des figurés ponctuels (observatoires, ponts et batteries), linéaires (tranchées et boyaux), et enfin polygonaux (centres et réduits de défense). Les noms de tranchées allemandes et françaises sont géolocalisés et référencés dans la base. Ils désignent chacun un segment des réseaux de défense qui sont étudiés dans le cadre d’une cartographie sous SIG impliquant l’utilisation d’indices morphométriques (longueurs, densités linéaires et surfaciques, largeur du No man’s land).

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10 Les noms de tranchées font l’objet d’une typologie en neuf classes ou groupes, réalisée manuellement : temps, toponymes (lieux/espace), ergonymes (objets), anthroponymes (personnes), zoonymes (animaux), phytonymes (végétaux), phénonymes (phénomènes non-verbaux), chiffres/lettres et autres. Chaque groupe se décline en 24 sous-groupes, divisés en 19 particularités. Le paramètre temporel est divisé en périodes historiques, les toponymes comme noms de lieux préexistants, hydronymes ou oronymes. Les résultats sont valorisés graphiquement et par une cartographie typologique sous SIG permettant de représenter l’organisation spatiale des 9 classes.

Résultats

11 La cartographie des réseaux de défense réalisée sous SIG sur les 115 km de front (illustration 2), dévoile un réseau épais, complexe et structuré. Il se compose de 47 212 segments sur 13 059 km de linéaire total dont 7 014 km de tranchées et 6 045 km de boyaux déterminant une densité moyenne de 3,63 segments/km linéaire ou un segment élémentaire de 263 m (tableau 1).

Illustration 2 - Carte des réseaux de défense de 1918 en Champagne

1. Localité repère 2. Fort de la ceinture de Reims 3. Réseau français 4. Réseau allemand 5. Sites de guerre des mines. Les réseaux s’organisent selon les conditions géomorphologiques et biogéographiques selon les régions naturelles traversées par la ligne de front (Pays rémois, Champagne crayeuse, Champagne Humide et Argonne).

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Tableau 1 - Caractéristiques morphométriques et toponymiques des réseaux de défense de Champagne

12 Ces chiffres se traduisent par une densité surfacique de réseau de 4,87 km/km², et une densité linéaire de 113 km/km de front. Les réseaux se développent de part et d’autre du No man’s land en trois à quatre positions (ou rideaux) structurées chacune par une à 14 lignes de tranchées. Le dispositif s’étend sur une surface de 6 281 km², avec une épaisseur comprise entre 20 et 60 km.

13 Dans cette zone de front, 2 683 noms de tranchées et de boyaux sont recensés, ce qui détermine une densité toponymique surfacique de 2,34/km², inférieure à la densité moyenne française de 3,1 toponymes/km² de la BDNYME® de l’IGN comprenant 1 700 000 toponymes pour l’hexagone (Tamine, 2012). Cependant, ce paramètre est biaisé par une répartition spatiale très hétérogène des tranchées et des boyaux. L’organisation spatiale de la densité toponymique paraphrase celle des réseaux de défense. En effet, la densité intègre d’importantes surfaces, correspondant aux « intervalles » entre les positions. La lecture des Plans directeurs montre que cette densité est bien plus élevée (près de 10 toponymes/km²), dans les positions de défense que dans les intervalles traversés par de rares boyaux (moins de deux toponymes).

14 Cette densité diminue corrélativement à l’éloignement de la ligne de front. Dans la région de Reims, les premières positions sont effectivement bien plus denses (13 km/ km²) que les quatrièmes positions (4 km/km²) situées en Montagne de Reims (Devos et al., 2015). En Argonne, le premier rideau allemand hypertrophié et comportant 14 lignes de tranchées concentre donc la majeure partie des toponymes (Taborelli et al., 2016).

15 La densité toponymique linéaire de 0,21/km linéaire se traduit par une longueur moyenne de segments de tranchée ou de boyau, désigné par un nom, de 4,89 km. Ces chiffres moyens cachent également d’importantes disparités spatiales inhérentes à l’organisation des réseaux de défense. Cette densité diminue corrélativement à l’éloignement de la ligne de front. Elle dépend du cadre géographique et des paramètres militaires balistiques (portée de tir) et tactiques (Vilatte, 1925). La multiplication des petits postes avancés et observatoires, en première position détermine un chevelu de boyaux courts, désignés par des noms spécifiques.

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Tableau 2 - Typologie des 2 683 noms de tranchées et de boyaux de Champagne en 1918

Illustration 3 - Répartition des classes toponymiques des noms de tranchées et de boyaux de Champagne en 1918

Les toponymes en tête des noms les plus utilisés

16 La désignation des tranchées et des boyaux est marquée par une grande diversité lexicale mise en évidence par l’analyse typologique (tableau 1, illustration 3). La distribution est bimodale car les noms de lieux (43 %) ainsi que les anthroponymes (33 %) sont privilégiés, constituant 76 % de l’effectif total (illustration 4). Viennent ensuite les ergonymes (9,5 %), les zoonymes et les phytonymes (6,5 %), les chiffres et les

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lettres (4,7 %), les noms de lieux relatifs au temps ou à l’histoire (1,2 %), et enfin les phénonymes (0,7 %).

17 Les toponymes sont surtout représentés par des noms de villes, villages ou quartiers (708 soit 26 %) principalement internationaux (54 %), nationaux (28 %) ou régionaux (18 %). Cette répartition s’explique par la dénomination des tranchées ennemies par des noms de villes germaniques comme les « Tranchées de Hambourg, de Munich, de Berlin, de Postdam » conformément aux recommandations des manuels d’instructions militaires (GQGA, 1916 ; 1917). La mondialisation toponymique s’explique également par la présence de troupes étrangères alliées tels les Russes dans le secteur de la Pompelle près de Reims (« Tranchée de Pétrograd ») ou les Italiens en Argonne et à l’ouest de Reims (Tableau 2).

Illustration 4 - Distribution des 2 683 noms de tranchées et de boyaux en Champagne par sous- groupes toponymiques

18 213 toponymes (soit 10 % de l’effectif total) désignent des pays et territoires étrangers « Tranchée de Russie », ou nationaux avec des régions françaises à l’image des boyaux « d’Algérie, de Picardie, de Normandie ». Citons également les quelques hydronymes au nombre de 76 (3 % de l’effectif total) désignant des tranchées ou boyaux : « parallèles de l’Amazone, du Gange, de l’Euphrate, de l’Ontario, ou du Rhône » dans le secteur de Saint Hilaire le Grand. Cette faible proportion d’hydronymes, peut s’expliquer par une densité de drainage particulièrement faible en Champagne sèche, inhérent à la perméabilité de la craie affleurante. Les noms de reliefs sont également usités de la même ampleur que les précédents (64 mentions). Enfin, les noms locaux empruntés au fond toponymique local ou régional (« boyaux de Verzy et de Verzenay ») traversent logiquement les villages éponymes mais sont très peu utilisés pour désigner les noms des réseaux de défense (12 mentions).

Les anthroponymes comme second mode de la distribution

19 Avec 879 références (33 %), les anthroponymes et plus particulièrement les 671 patronymes, constituent le second mode de la distribution. Ils sont essentiellement

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représentés par des noms de militaires (63 % des patronymes) et de personnages historiques (22 %).

20 Aux « Charles Quint », « François Joseph », « Ferdinand 1er », « Bismark », « Von Kluck », ou « Kaiser » des réseaux allemands, s’opposent les « Pétain », « Foch », « Joffre », « Mangin », « Nivelle », « Gallieni », « Franchet-d’Esperey » et « Jeanne d’Arc » pour les tranchées et boyaux français. Cette écrasante majorité de dénominations militaires est à rattacher également à l’organisation cellulaire des réseaux autour de centres ou réduits de résistance désignés par le nom des officiers, capitaines ou commandants qui les dirigent comme les centres « Lambert », « Jubault », « Dufour » et « Clausse » en Champagne sèche.

Une grande diversité de noms peu employés

21 Les autres appellations (28 % de l’effectif total) sont certes diversifiées comme les ergonymes, les chiffres et lettres, les zoonymes, les phytonymes, et les phénonymes mais restent minoritaires car elles représentent respectivement 9,5 %, 4,7 %, 5, 1%, 1,4 % et 0,7 % des 2 683 noms de tranchées (illustration 4).

22 Les ergonymes (9,5 %), sont principalement empruntés au vocabulaire des fortifications, forteresses, réduits, centres, casemates (72) et à des objets militaires (27) du champ de bataille comme les types d’avions allemands (tranchées « de l’Aviatik », « du Taube », « de l’Albatros», « du Fokker », ou les boyaux « du Gotha » et « des Avions ». Les armes des tranchées ne sont pas oubliées comme les boyaux « de la Torpille », « du Minen » ou « de la Mitrailleuse ».

23 Les numéros et les lettres ne sont utilisés qu’à titre exceptionnel (125 mentions soit 4,7 % de l’effectif total), conformément aux instructions des manuels militaires qui réservent les chiffres aux coordonnées géographiques des nœuds de tranchées et des batteries. La numérotation à trois chiffres reste conventionnelle et doit éviter toute répétition en permettant de rajouter un numéro sans modifier l’état initial et en respectant une logique à la fois mathématique et spatiale, par position de défense (par exemple des numéros commençant par « 1 » en première position, par « 2 » en seconde puis « 3 » en troisième. Le second chiffre peut correspondre aux coordonnées géographiques, soit de l’abscisse pour un déplacement d’est en ouest, soit de l’ordonnée pour une suite numérique du sud au nord.

24 La désignation par une ou plusieurs lettres précédant un chiffre d’éléments de tranchées ennemis peut être usitée comme les « B.21 », « B.21bis », « B.22 », « B.22bis », « B.22ter » du Plan directeur de Saint-Souplet du 10 septembre 1918. Cette désignation est surtout utilisée en première position, à partir du parallèle de résistance, pour les petits postes avancés ou « P.P. » dirigés vers le No man’s land. Ces derniers sont particulièrement nombreux et donc logiquement désignés par leur sigle précédant un chiffre au sein du fuseau géographique correspondant, comme les « P.p.3Y », « P.p.4Y » dans le fuseau Y ou le « P.p.8Z » du fuseau Z.

25 Les phytonymes et les zoonymes sont rarement mentionnés avec 19 arbres, 59 mammifères, 46 oiseaux, 16 poissons et amphibiens (6,5 % de l’effectif total). Ils taxent les tranchées et boyaux de noms fantasques comme les tranchées « des Sardines », « du Silure », « de la Salamandre », « de la Sangsue », « de la Chouette », « de la Caille » ou « du Castor ».

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26 Les noms particuliers, sobriquets, et injures sont rares (43 mentions sur 2 683). Ils désignent surtout le dispositif ennemi pour le dénigrer ou l’humilier comme le « boyau du Vampire », les tranchées « des Satyres », « des Démons », « des Huns », « des Boches », « des Vandales », « des Pirates », « des Eunuques », « des Têtes Carrées », « des Homosexuels » ou « tranchée Fantômas » et plus rarement des tranchées alliées comme les tranchées « du Sagouin » et « du Sapajou ». On ne retrouve donc que très localement, dans la toponymie du champ de bataille, la légitimation culturelle de la guerre de la civilisation contre la Kultur ou la barbarie allemande véhiculée dans l’iconographie propagandiste (Danchin, 2011).

27 Enfin, les noms de lieux relatifs au temps ou à l’histoire (1,2 %), et enfin les phénonymes (0,7 %) restent anecdotiques. Ils auraient pu être versés dans la classe des toponymes urbains mais correspondent à des batailles napoléoniennes comme les boyaux « d’Iéna », « Marengo », « d’Arcole », « Friedland » ou la « Tranchée Wagram ».

Discussion

28 L’inventaire des noms de tranchée à partir des Plans directeurs de 1918, montre que l’appropriation du champ de bataille par les militaires se manifeste par une grande diversité et un foisonnement d’appellations. La densité toponymique traduit un désir d’appropriation de l’espace durement gagné ou conquis voire à conquérir.

29 La multiplication des noms conformément aux instructions des manuels militaires, répond au souci de géolocalisation dans un réseau de défense particulièrement dense et épais, formant un véritable labyrinthe où sans signalétique, sans guide et sans cartographie, la perdition ou l’errance sont inévitables. L’inventaire des noms de tranchées soulève de multiples questionnements sur leur répartition spatiale, leur origine, leur permanence dans le temps et dans l’espace selon la dimension scalaire (du 1/20 000 au 1/5 000) et sur l’héritage toponymique de la Grande Guerre en Champagne.

Une répartition spatiale révélant une récurrence toponymique à l’échelle locale

30 L’approche spatiale sous SIG des types de noms de tranchées fait apparaître les tranchées affublées d’un nom et celles qui en sont dépourvues (illustration 5). Les couleurs dominantes rouges et bleues paraphrasent la distribution bimodale des noms autour des noms de lieux (villes, villages, territoires) et les anthroponymes. Si de prime abord, l’organisation spatiale des classes de noms de tranchées s’avère aléatoire à l’échelle de la Champagne, dans le détail, à l’échelle locale, des segments de tranchées de même classe toponymique semblent ressortir.

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Illustration 5 - Répartition spatiale des groupes toponymiques des tranchées et boyaux en Champagne en 1918

31 La 4ème position française au sud de Mourmelon-le-Grand et de Suippes, est davantage représentée par des noms d’animaux qui après analyse commencent systématiquement par la lettre « S » comme les tranchées « de la Sardine », « du Sanglier », « du Scorpion », « du Silure », « de la Souris », « de la Salamandre ». Le secteur en 3ème position française entre Massiges et Suippes, se caractérise par des boyaux désignés par des chiffres et des lettres dont la logique obéit au carroyage Lambert zone Nord de guerre (boyaux « B12 », « B13 », « B14 ») et dont le second chiffre correspond soit à l’abscisse soit à l’ordonnée.

32 Près de Saint-Hilaire-le-Grand, des tranchées et parallèles portent le nom d’hydronymes mondiaux (« Gange », « Euphrate », « Tigre », « Ontario »). Au sud du fort de la Pompelle près de Reims, des boyaux portent le nom d’officiers français (« Joffre », « Mangin », « Nivelle », « Pétain », « Foch », « Franchet d’Espérey », « Petit ») sur un à deux km de front. À l’est du fort de la Pompelle, le nom des tranchées rappelle l’occupation russe du secteur (« Baltique », « Sibérie », « Oural », « Pétrograd », « Crimée », « Caucase », « Lodz » ou « Kovel ») sur un km de front (illustration 6D). Au nord-est de Reims dans le secteur de Saint-Léonard, les noms de tranchées sont tous d’origine normande avec les tranchées « de Dives », « d’Yvetot », les boyaux « de », « de Cherbourg », les ouvrages « du Calvados », « de », « de Falaise », « de » sur un territoire de moins de 2 km² (illustration 1).

33 Toujours à l’est de Reims, au niveau du quartier Jeanne d’Arc, les boyaux « Jeanne d’Arc, de Rouen, de Domrémy », l’ouvrage « Jean d’Arc », la « Tranchée d’Orléans » rappellent le trajet mythique de Jeanne d’Arc et constituent un réseau de défense sur 500 m de ligne de front (illustration 6C).

34 À l’est de Sept-Saulx, un réseau toponymique homogène toujours sur un km de front fait référence aux États-Unis d’Amérique avec les parallèles de « Chicago », « du Mississipi », « de l’Ohio », « du Niagara », « du président Wilson », « de l’Oncle » (illustration 6B). Enfin, dans le secteur de la ferme de l’Espérance entre Sillery et Beaumont-sur-Vesle, un groupe de tranchées désigne des minéraux comme les parallèles « du Diamant », « du Saphir », « des Topazes » et « des Améthystes » sur un km de front (illustration 6A).

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35 La lecture attentive des Plans directeurs fait donc apparaître une organisation spatiale des classes toponymiques à l’échelle locale. Les références culturelles à des épisodes du roman national français (parcours de Jeanne d’Arc) et à des personnages que l’on veut glorifier parmi les officiers contemporains (« Pétain », « Foch ») traduisent un certain patriotisme guerrier. En revanche, les références à des territoires (« Sibérie », « Chicago » par exemple) font écho à l’origine géographique des soldats (la Russie pour le secteur du fort de la Pompelle par exemple, illustration 6D). Cette homogénéité des classes à l’échelle locale témoigne d’une logique de dénomination particulière.

Illustrations 6 A et B – Exemples de récurrence spatiale et thématique des désignations de tranchées à l’échelle locale

Gauche : A. Les États-Unis d’Amérique - Droite : B. Pierres précieuses et minéraux. Sources : Extraits de la feuille de Beine du 10 août 1918, coll. Personnelle.

Illustrations 6 C et D – Exemples de récurrence spatiale et thématique des désignations de tranchées à l’échelle locale

Gauche : C. Trajet de Jeanne d’Arc – Droite : D. La Russie. Sources : Extraits de la feuille de Reims du 15 juillet 1918, coll. Personnelle.

Une récurrence spatiale et culturelle témoignant d’une origine régimentaire et non divisionnaire.

36 L’amplitude fluctuante des toponymes, comprise entre quelques centaines de mètres et 10 km semble également augmenter corrélativement à l’éloignement du front. Les segments de même classe toponymique sont effectivement plus longs dans les positions de l’arrière (réseau moins labyrinthique) qu’aux abords de la ligne de front. En effet, en

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première position, l’espace élémentaire désigné par un groupe de noms selon un thème, semble par contre bien restreint, réduit à quelques centaines de mètres. La taille de cet espace permettrait ainsi de connaître l’origine des désignations.

37 L’organisation opérationnelle militaire est perpendiculaire au front et s’inscrit dans un emboitement d’échelles où l’espace est affecté à une unité militaire. Sur les 750 km de linéaire de front, les alliés alignent des Armées affectées chacune à une « zone d’action ». Chaque Armée s’organise de la manière suivante :

38 - Elle se divise en « Corps d’Armée » sur une « zone d’engagement » ; - Un « Corps d’Armée » affecte un « secteur d’engagement » propre à chaque « division » (les alliés alignent 93 à 119 divisions contrôlant chacune un « secteur d’engagement » compris entre six et huit km de front) ; - Une « Division » répartie un « sous-secteur d’engagement » pour un ou plusieurs régiments (« Brigade ») ; - Une « Brigade » affecte un « quartier d’engagement » pour un « bataillon » ou un seul régiment ; - Une « Compagnie » régimentaire contrôle un « sous quartier d’engagement » dans un point d’appui ou un réduit ; - Enfin, une « Section » d’une « Compagnie » est responsable d’un « Groupe de combat ».

39 L’espace élémentaire toponymique proscrit toute logique divisionnaire ou de Corps d’armée puisque l’espace moyen tenu par une division est plurikilométrique (Devos et al., 2018b). Il correspond davantage à un secteur tenu par un régiment (moins d’un kilomètre de front), voire par une compagnie (200 m de front). La désignation toponymique des tranchées semble être l’apanage des troupes occupant le terrain. À ce titre, celles-ci désignent les tranchées et boyaux qu’elles occupent par la marque de leur histoire régimentaire, de leur ville de garnison, de leur culture militaire ou du secteur fortifié. À noter que la grande diversité culturelle, la faible représentativité des noms d’argot de tranchée (Sainéan, 1915) ainsi que l’espace élémentaire toponymique proche du « quartier » feraient référence à une désignation faite par des officiers supérieurs voire subalternes.

Une paternité régie selon des logiques militaires, géographiques et historiques

40 Conformément aux instructions des manuels militaires, les tranchées creusées reçoivent les noms et numéros usités dans les unités qui s’approprient le terrain (GQGA, 1916 ; 1917). Cette désignation aléatoire présente néanmoins des logiques militaires dans la paternité des noms de tranchées. La désignation des centres de résistance abritant les postes de commandement, fait souvent référence au premier chef de bataillon qui les dirige, ce qui entretient la forte densité patronymique. Les tranchées portent souvent le nom de militaires morts, pendant les opérations de creusement ou qui commandaient à leur exécution. C’est le cas du Commandant Jean-Marie Cano du 247ème Régiment d’Infanterie, qui meurt le 25 août 1915 lors de l’aménagement d’une tranchée au Bois des Bouleaux près de Souain en Champagne sèche (ministère des Armées, 1915). Cette appropriation du terrain par la toponymie renforce la valeur identitaire et l’esprit de corps du groupe de combat.

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41 Les noms de tranchées font également référence au dispositif de défense à l’image des centres « des écoutes » et « des guetteurs » situés en première position, ou le « réduit intermédiaire » entre deux positions. Les noms des tranchées ennemies des Stellungskarten sont, reportés si possible sur les Plans directeurs, d’où l’importance des « coups de mains » visant à capturer des prisonniers et à disposer de leurs cartes.

La permanence scalaire et temporelle des noms de tranchée

42 Conformément aux instructions des manuels militaires, il est de règle que tous les noms de tranchées portés sur les Plans directeurs au 1/20 000 figurent sur ceux au 1/10 000 et au 1/5 000. Cette permanence est vérifiée par comparaison des Plans directeurs d’échelles différentes. En revanche, l’accroissement du nombre de segments corrélatif à l’échelle scalaire (on observe davantage de boyaux et de tranchées au 1/5 000 qu’au 1/20 000 pour une même surface) induit sur la densité toponymique (Chasseau, 2017). La désignation des tranchées est généralement pérenne dans le temps. En effet, la comparaison des Plans directeurs éditées à des dates différentes entre 1915 et 1918 sur un même secteur témoigne non seulement de la densification, de la multiplication des positions, des changements structuraux des réseaux de défense mais aussi de la permanence des noms. Cette dernière concerne également les tranchées alliées prises à l’ennemi suite à une offensive.

La toponymie du champ de bataille ne se résume pas aux noms de tranchées

43 Conformément aux manuels militaires (GQGA, 1916 ; 1917), tous les éléments importants de la planimétrie ou du relief doivent recevoir des appellations correspondant soit à ceux de la carte d’État-major antérieure aux Plans directeurs, soit au cadastre napoléonien. Le cas échéant, les nouveaux noms déjà employés par les troupes et une désignation aléatoire sont proposés. Si certains noms de lieux et micro- toponymes ruraux préexistants au conflit ont subsistés et ont été appropriés par les combattants - comme le Chemin des Dames, le Col du Linge, les forts de , le « Mort-Homme » - d’autres sont nés de la Grande Guerre et du jargon militaire. Ces « polémo-toponymes » hérités de la Grande Guerre, continuent à perpétuer la mémoire comme la « Cote 108 » à Berry-au-Bac, ou le « Bois Sabot » à Souain-Perthes-Lès-Hurlus.

44 Les bois et les pinèdes de la Champagne sèche sont référencés par des lettres, des numéros et des formes quand la morphologie du massif est caractéristique comme les « bois en T », « bois parallèles », « bois horizontal », « bois en U », « bois en Y », « bois Sabot », « bois en Pioche », « bois Carré », « bois du Boomerang ». Les reliefs participent également au choix des toponymes comme « la Main de Massiges » sur la Cote de Champagne dont le tracé digité rappelle la forme d’une main (illustration 7). Les « marsouins » (régiment d’infanterie de marine) désignent ce site dont chaque saillant séparé par un ravin, correspond à un doigt de la main avec d’ouest en est, « le Faux Pouce », « le Pouce », « l’Index », « le Médius » et « l’Annulaire ». Dans le dispositif allemand, au nord du « Creux de l’Oreille », la « Chenille » prolongée par la « Tête de Vipère » illustre également l’utilisation des oronymes et des métaphores anatomiques dans la toponymie du champ de bataille.

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Illustration 7 - La « Main de Massiges »

Source : extrait du Plan directeur au 1/20 000 de Cernay-en-Dormois du 19/09/1918, coll. personnelle.

45 Les polémo-toponymes font souvent référence aux altitudes et plus spécifiquement aux « cotes ». Représentées en noir et précédées du mot « Cote » sur les Plans directeurs, elles représentent les points hauts de la carte d’État-major au 1/80 000, dont l’altitude est corrigée (nouveau nivellement) par une cote en caractère droit et de couleur bistre. Le polémo-toponyme colporte ainsi une valeur erronée d’altitude dont la comparaison avec l’altitude réelle s’explique trop souvent, à tort dans l’opinion collective par ablation liée à la bombturbation. Cette dernière, avec la guerre des mines, participe néanmoins à de profonds bouleversements morphologiques (Weiss, 2015).

46 À l’image des « Cote 204 » à Château-Thierry (illustration 7), « Cote 304 » à Esnes-en- Argonne, « Cote 108 » à Berry-au-Bac (Taborelli et al., 2017a), ou de la « Cote 295 » du Mort-Homme près de Verdun (illustration 8B), les « Cotes » véhiculent des lieux de combats acharnés, des sites profondément affectés par la Grande Guerre. Cette appropriation territoriale s’inscrit dans la mémoire collective des sociétés par des monuments, des mémoriaux et des nécropoles. Elle peut dépasser les frontières à l’image du village de « Vimy-Ridge » au en mémoire à la crête de Vimy trop souvent représentée comme lieu d’affirmation d’indépendance au sein du Commonwealth (Martin, 2014).

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Illustrations 8 A et B - Monuments

Gauche : A. Monument américain de la Cote 204 à Château Thierry – Droite : B. Monument de la Cote 295 ou « Le Squelette » de la 69ème Division d’Infanterie du Mort-Homme près de Verdun. Auteur : Alain Devos.

Conclusion

47 La toponymie est particulièrement utilisée durant la Grande Guerre, dans le cadre de la guerre de position pour permettre la géolocalisation des soldats dans le réseau de défense, dense et complexe. Elle accompagne l’appropriation du terrain si chèrement gagné par les combattants. L’approche spatiale sous SIG des noms de tranchées à partir des Plans directeurs de la Grande Guerre en Champagne et leur typologie apportent de nombreuses réponses sur leur densité, leur répartition, et leur détermination. Leur distribution bimodale (essentiellement des toponymes et des patronymes) cache une remarquable diversité culturelle dont l’organisation spatiale souligne une paternité régimentaire associée à un « quartier » de la zone de front. Cette appropriation du terrain par les combattants se manifeste par une répartition territoriale des noms de tranchées à l’échelle locale autour de thèmes culturels très diversifiés, renforçant l’esprit de corps et la valeur identitaire du groupe.

48 La toponymie du champ de bataille ne se résume pas qu’aux noms de tranchées mais utilise aussi les éléments importants de la planimétrie. Des sites sont taxés de nouveaux toponymes durant le conflit (polémo-toponymes). Ces derniers s’inscrivent aujourd’hui dans la mémoire collective et correspondent à des sites mémoriels de la Grande Guerre.

49 La valeur opérationnelle de la banque de données toponymique des noms de tranchées est vérifiée dans le cadre de l’archéologie préventive, de la valorisation patrimoniale, des recherches généalogiques (géolocalisation des morts pour la France), et du zonage des risques géotechniques (aléas cavités) et pyrotechniques. Elle s’exprime davantage avec les héritages morphologiques de la Grande guerre révélés par le lidar (Taborelli et al., 2017b ; De Matos-Machado et al., 2019).

50 Cette contribution inédite soulève de nombreux questionnements scientifiques (paternité, origine des désignations, permanence scalaire et temporelle) et mériterait une extension à l’ensemble de la zone du front ouest et une comparaison avec les Trench maps et les Stellungskarten pour y répondre. À partir de cette nouvelle banque de données toponymiques géoréférencées, une véritable analyse spatiale multivariée pourrait être menée sur les 750 km du front ouest.

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RÉSUMÉS

Cette contribution porte sur la toponymie des champs de bataille et plus particulièrement sur les noms des tranchées et des boyaux de la Grande Guerre. Elle vise à les caractériser, et à comprendre leur organisation spatiale. La méthode de travail repose sur un inventaire, une typologie et une cartographie sous SIG, des noms de tranchées et de boyaux, réalisé à partir des Plans directeurs des Groupes de Canevas de Tirs des Armées au 1/20 000 de 1918, sur un linéaire de 115 km de front en Champagne. Les résultats valorisés par une analyse graphique et

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cartographique sur 2 500 noms répartis sur 13 000 km de réseaux de défense, montrent une diversité étonnante. Leur désignation aléatoire conventionnelle cache en réalité une organisation spatiale en groupes de segments de tranchées et de boyaux ou « quartiers », d’origine régimentaire et non divisionnaire. Les toponymes et les noms de tranchées constituent une représentation socio-culturelle de la zone de front et s’inscrivent aujourd’hui dans le patrimoine mémoriel et collectif des sociétés. Ils soulèvent de nombreux questionnements scientifiques (paternité, origine des désignations, permanence scalaire et temporelle) et mériteraient une extension à l’ensemble de la zone du front ouest, ainsi qu’une analyse spatiale approfondie.

The toponymy of battlefield and more particularly the trench names of the Great War remains little known without spatial analysis or statistics. The study of trench maps reveals the western front is made of a dense and complex defense network structured according to the geomorphological conditions. To improve the operational aspect of trench maps, the soldiers increased the names, designations and numbers associated with nameboards. The typological study of the 2,500 trench names of Champagne, on 13,000 km of linear for 115 km of front, and their spatial organization from a database under GIS, allows us to better understand the naming logic of these places. Their astonishing diversity and their conventional random designation actually hide a spatial organization into groups of fire trench segments and communication trench or "quarters", of regimental and non-divisional origin. This organisation around cultural themes guarantees the movement of troops and liaison officers in the defense network. The toponyms and trench names constitute a socio-cultural representation of the front area and are today part of the memorial and collective heritage of societies. Trench names raise a lot of scientific questions (authorship, origin of designations, scalar and temporal permanence) and deserve a spatial analysis of the entire western front area.

INDEX

Keywords : trench names, Great War, Champagne, spatial organisation, GIS Mots-clés : nom de tranchée, Grande Guerre, Champagne, organisation spatiale, SIG Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

ALAIN DEVOS Alain Devos, [email protected], est professeur des Universités à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et membre de l’UMR GEGENAA. Il a récemment publié : - Devos A., Bollot N., Laratte S., Taborelli P., Fronteau G., 2019. « Creutes » et réseaux de défenses dans les paysages de guerre - Exemple du Mont-Chatté (Hermonville, France). Revue de Géographie Historique, n° 14-15. [En ligne] http://rgh.univ-lorraine.fr/articles/view/116/ Creutes_et_reseaux_de_defenses_dans_les_paysages_de_guerre_exemple_du_Mont_Chatte_Hermonville_France - Devos A., Taborelli P., Larattte S., Lesjean F., 2019. Un exemple de structure cellulaire de défense : la butte de Brimont. Apport des Plans directeurs et du Lidar (France). Revue de Géographie Historique, n° 14-15. [En ligne] http://rgh.univ-lorraine.fr/articles/view/115/ Un_exemple_de_structure_cellulaire_de_defense_la_Butte_de_Brimont_Apport_des_plans_directeurs_et_du_Lidar_France - Devos A., Taborelli P., Damien T., et al., 2017. La Grande Guerre sur la Cote d’Île-de-France, en Champagne crayeuse et en Argonne-Journées d’étude d’Automne. Bulletin de l’Association des Géologues du Bassin de Paris (AGBP), vol. 54, n° 3, p. 3-19.

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PIERRE TABORELLI Pierre Taborelli, [email protected], est docteur en géographie, Chef de projet à TOTAL-QUADRAN, Agence Grand-Est/Hauts de France, Châlons-en-Champagne. Il a récemment publié : - Taborelli P., Devos A., Laratte S., Brenot J., 2018. The geomorphological control on the western front of the Great War in Champagne and Argonne (France). Scientia Militaria South African Journal Of Military Studies, vol. 46, n° 1, p. 149-161. - TaborelliP., DevosA., LaratteS., et al., 2017. Apport des Plans directeurs et de l’outil lidar aéroporté pour la caractérisation des impacts morphologiques de la Grande Guerre – exemple de la côte 108 (Berry-au-Bac, France). Géomorphologie, vol. 23, n° 2, p. 155-169. - Brenot J., Saulière N., Léty C., et al., 2017. How much did the soldiers dig? A quantification of WW1 remains in Argonne, France. Geoarchaelogy, vol. 32, n° 5, p. 1-15.

ROBIN PERARNAU Robin Perarnau, [email protected], est ingénieur d’études à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et membre de l’UMR GEGENAA. Il a récemment publié : - Brenot J., Desfossés Y., Perarnau R., et al., à paraître. The practice of Trench warfare: the training camps in the Aube (Champagne region, France), 1914-1919. Proceedings of the 13th International Conference on Military Geosciences, Padova (), 24-28 June 2019. - Coulaud A., Mariette M. et Perarnau R., 2019. L’empreinte américaine durant la Grande Guerre - Persistance des vestiges américains en France. Revue de Géographie Historique, n° 14-15. [En ligne] http://rgh.univ-lorraine.fr/articles/view/113/ L_empreinte_americaine_durant_la_Grande_Guerre_persistances_des_vestiges_americains_en_France_1917_1919 - Coulaud A. et Perarnau R. en collaboration avec Charrière G. et Mariette M., 2018. La baraque militaire dans les hôpitaux américains de la Grande Guerre. Stratégies économiques et choix socio-culturels. Archéopages, n° 46, p. 80-85.

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La mémoire de la Grande Guerre à travers les odonymes en France

Clément Millon

« Je lance aujourd’hui un appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre, par le nom de nos rues et de nos places, par nos monuments et nos cérémonies, la mémoire de ces hommes qui rendent fiers toute l’Afrique et disent de la France ce qu’elle est profondément : un engagement, un attachement à la liberté et à la grandeur, un esprit de résistance qui unit dans le courage » 1.

1 Tel est le souhait émis, à l’été 2019, par le président de la République, Emmanuel Macron, lors de la commémoration du débarquement en . Faire évoluer la mémoire d’une guerre suppose, au préalable, de se poser la question de savoir quelle place la mémoire de ce conflit occupe. Or, il est surprenant de constater que lors des débats sur la loi de 2012 transformant la commémoration du 11 novembre 1918 en un hommage à tous les morts pour la France2, la place du souvenir de l’arrêt des combats n’a pas fait l’objet d’une évaluation très extensive. Le texte est adopté en urgence3, dans une situation apparente de consensus de l’opinion. Il est vrai que les Français semblent majoritairement conscients de l’oubli dans lequel tombe la Grande Guerre et paraissent donc en accord avec le projet de loi : 64 % des Français l’approuvent en novembre 2011, selon l’article précité. En 2012, il s’agit néanmoins, à la veille de l’élection présidentielle, de poser pour l’avenir une réforme qui allait être durable, alors que François Hollande, candidat, y était hostile4.

2 Le temps du souvenir est passé. Ceux qui pouvaient témoigner ont disparu, ce qui ne manque pas d’avoir des conséquences pour le couple aux relations compliquées formé par histoire et mémoire (Beaupré, 2014). La commémoration du centenaire de la Grande Guerre a entraîné le développement d’une profusion d’événements mémoriels marquant l’empreinte du mandat de François Hollande, mais qui ne masquent pas que la Grande Guerre appartient désormais, et plus que jamais, au passé de la France. Or, perdre le souvenir de l’histoire de la Grande Guerre, c’est voir s’envoler la mémoire, fragile, du XXe siècle dans les jeunes générations (Reynié, 2015). Il est inutile de s’en affoler et vain de le regretter ; il faut d’abord dresser un état des lieux de la persistance de la mémoire du siècle passé.

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3 En matière de politique mémorielle, « chaque nation cherche sa voie » (Ferenczi, 2002, p. 14). La France attache traditionnellement beaucoup d’importance à donner à ses voies un nom plein de sens. Cette question, loin d’appartenir au passé, est d’une actualité brûlante. En effet, les fusions et rassemblements de communes provoquent des doublons que les municipalités doivent éliminer en débaptisant certaines dénominations pour en choisir d’autres. Les édiles peuvent continuer à rappeler les conflits passés à travers les dénominations de voies. Le président de la République peut encourager à souligner l’importance d’un combattant, pour son origine. Mais pour que le nom de rue s’installe dans la mémoire, encore faut-il que la personne soit identifiable par tous. En matière de travail de mémoire, « Il faut bien se rendre compte que lorsqu’on entend ces appels contre l’oubli ou en faveur du devoir de mémoire, ce n’est, la plupart du temps, pas à un travail de recouvrement de la mémoire, d’établissement et d’interprétation des faits du passé qu’on nous invite (rien ni personne, dans des pays démocratiques comme les Etats d’Europe de l’Ouest n’empêche quiconque de poursuivre ce travail), mais plutôt à la défense d’une sélection de faits parmi d’autres, celle qui assure à ses protagonistes de se maintenir dans le rôle de héros, de victime ou de moralisateur » (Todorov, 2001, p. 7). De fait, cela prolonge le conflit qui est pourtant achevé et n’empêche pas la mémoire de s’effacer progressivement.

4 En France, beaucoup de voies offrent les traces d’une mémoire des guerres, soit par mention d’un conflit, soit par celle d’un de ses acteurs principaux. Il appartient aux conseils municipaux d’adopter une dénomination pour les rues, voies, places, etc., sous le contrôle du préfet. L’étude de cette attribution, odonymie, est d’un grand intérêt national, dès lors que les appellations retenues dépassent, comme en l’espèce, les enjeux locaux. Si l’on a pu faire le constat, à la fin des années 80, que « entre toutes les disciplines onomastiques, l'odonymie est sans doute la plus délaissée » (Milo, 1989, p. 6), des études se sont penchées, depuis, sur ce champ de recherche assez neuf (Bouvier et Guillon, 2001 ; Badariotti 2002 ; Oulmont 2009 ; Bouvier 2013).

5 La mise à disposition du fichier FANTOIR (2016) a changé la donne, même si, comme nous l’avons fait pour le travailler, il impose des choix de critères de recherche et suppose de s’appuyer sur d’autres sources de façon concomitante. De cette manière, nous avons pu dresser, département par département, un inventaire des dénominations relatives à la Grande Guerre, dont les résultats figurent en annexe et qui sont commentés ici. De façon plus prosaïque, cette étude est née d’une observation consécutive aux premiers inventaires. Dans le Nord de la France, la commémoration du 11 novembre, événement éphémère, est souvent appuyée par un nom de rue, trace pérenne, qui prolonge la visibilité de l’acte mémoriel. Dans d’autres régions, il faut faire le constat que peu de rues portent la mémoire de la Grande Guerre. Par ailleurs, si la mémoire de la Grande Guerre, par l’attribution de noms de rues, places, boulevards5, est très présente après le premier conflit mondial, on peut se demander ce qu’elle représente aujourd’hui.

6 Poser la question de la place de la Grande Guerre est essentiel, car la mémoire de ce conflit est occultée par celle d’autres épisodes sanglants. Cela s’explique et se justifie aisément par la violence et l’ampleur de la seconde guerre mondiale, notamment. Mais que peut-il rester des autres guerres du XXe siècle si la mémoire de la matrice de celle- ci est oubliée ? Cette question impose de soulever la question suivante, d’apparence simple, mais aux implications pourtant complexes : Que reste-t-il de la Grande Guerre dans la mémoire des rues de France ?

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7 Notre étude des sources montre que la place de la Grande Guerre est importante, mais surtout marquée par la souffrance et le deuil (première partie). La mémoire de la Grande Guerre est éclipsée par celle, beaucoup plus présente, de la seconde guerre mondiale (deuxième partie). Enfin, les noms retenus par les municipalités montrent que la place de la mémoire des hommes dépasse celle de la guerre (troisième partie).

Les odonymes rappelant le souvenir de la Grande Guerre

8 La Grande Guerre est présente dans les noms de rues. Beaucoup de dénominations évoquent le 11 novembre (1 909). Mais il faut ajouter celles portant le vocable « Armistice » (43), ou encore « Victoire » (407), ce qui porte le total pour la Grande Guerre à 2 359 odonymes.

9 La présence de la Grande Guerre est très inégale selon les départements, avec une forte présence là où se sont déroulés les combats et l’occupation allemande : 113 dans le Pas- de- ; 99 dans le Nord ; 70 dans la Somme, 24 dans l’. La pratique des commémorations est d’ailleurs très vivace dans les régions ayant eu le plus à souffrir de la Grande Guerre (Hardier et Rochas, 2016). Ce constat souffre quelques exceptions. Ainsi, l’Indre-et- place 78 fois le 11 novembre dans ses localités. Mais les départements très touchés par le conflit que sont l’Aisne (19), l’Oise (24), la Meuse (1 fois !), peu ou très peu. Les départements alsaciens ignorent carrément une date qu’ils ont peu connu, il est vrai : une seule rue est consacrée dans les deux départements au 11 novembre, à Ingwiller.

10 Nos édiles ont fait principalement le choix de rappeler la date d’un conflit, dont il est intéressant de saisir la portée. Le 11 novembre est donc l’odonyme le plus retenu. Cette date marque en 1918 la fin du conflit. Selon sa définition, un armistice est une simple trêve entre deux adversaires et il ne signifie pas la fin des souffrances liées à la guerre. C’est en effet un jour d’allégresse, mais aussi de deuil, particulièrement dans les régions récemment libérées, comme le Nord (Millon 2019). Ainsi, pour la France, il faut garder « à l’esprit le double caractère de cette journée » (Rémond, 2002, p. 50), qui existe dès 1918 et qui perdure. C’est le deuil qui domine dans la pratique mémorielle.

11 Le rappel de l’armistice du 11 novembre sous ses différentes formes6 est attaché au souvenir douloureux de la guerre et de ses blessures humaines, à la victoire qui est le résultat annoncé du conflit, mais surtout au culte des morts qui naît autour du 11 novembre. Le 11 novembre 1918 n’est pas toujours célébré en tant que tel, en 1918, mais devient une date symbolique, moment de communion nationale et mémorielle, avec son culte, ses officiants et ses adeptes. Les odonymes rappellent plutôt la date de la célébration de l’armistice que l’armistice lui-même. C’est d’ailleurs ce qui explique la faible présence de l’occurrence « Armistice ». L’importance de ce terme est parfois oubliée. René Rémond rappelle pourtant que « c’est la mention Armistice qui figure sur le calendrier des postes » (Rémond, 2002, p. 51). Le terme est entaché par son utilisation, en 1940, pour l’acte du 22 juin qui fonde les relations entre l’Allemagne nazie et la France de Vichy et qui est devenu synonyme de capitulation. Il reste une marque de défaite.

12 La « Victoire », elle7, n’est guère présente, à côté de la notion consacrée de 11- Novembre. Elle reste une expression largement attachée, au XXe siècle, à la France face à

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l’Allemagne. Elle est acquise le 28 juin 1919. Ainsi, l’Aisne, dont 19 localités seulement célèbrent le 11 Novembre, fête la Victoire en donnant 14 fois ce nom à une voie, dont 4 fois, comme pour le 11 Novembre, à une place. C’est souvent une place qui est nommée ainsi, car c’est là que se déroulent les cérémonies commémoratives. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre la loi du 24 octobre 1922 « fixant la commémoration de la victoire et de la paix »8.

13 C’est ainsi que des vocables anciens prennent un sens nouveau. De même, la paix a un sens ambivalent. La célébrissime rue de la Paix à Paris est ainsi nommée en 1814 afin de saluer la paix retrouvée, alors que cette dénomination remplace la mention « rue Napoléon ». L’odonymie illustre plus qu’elle ne révèle que la France connaît, au-delà de la victoire ou de la défaite, une culture du « deuil mélancolique » (Largeaud, 2006, p. 354). La rue de la Paix qui traverse les premier et deuxième arrondissements, mène alors aux Tuileries. C’est le chemin parcouru par les ambassadeurs, qui pour beaucoup d’entre eux représentent les vainqueurs coalisés contre l’empereur déchu. Il est paradoxal qu’une telle paix soit célébrée au cœur de Paris, sur ce qui est bientôt un symbole de l’aisance et du chic parisien et dont la réputation mondiale est relayée par le non moins connu Monopoly. L’appellation n’a pas changé, ce qui contribue à la renommée du lieu. Une autre paix s’impose en 1919 : le traité de Versailles est fêté de façon grandiose par le défilé de la Victoire du 14 juillet 1919. Sur le passage du cortège, la rue de la Paix est pavoisée de façon somptueuse, afin d’honorer une paix bien plus favorable à la France. À , la rue de la Paix est célèbre pour avoir accueilli en 1919 le maréchal Foch, chef militaire des armées alliées.

14 Avec l’introduction de nombreuses références au premier conflit mondial dans les localités, le village entre souvent dans une nouvelle phase, qui tient compte de l’Histoire. On rompt avec « cette opposition véritablement structurale entre le Haut et le Bas, qui organisait politiquement le village jusqu’à la guerre de 1914 » (Zonabend, 1980, p. 306). Une mémoire nouvelle s’ancre dans le paysage français : la Grande Guerre est signe de recueillement et deuil. C’est ainsi qu’il faut comprendre la domination du 11 Novembre sur les termes de Paix, Victoire et Armistice. De même, la première guerre mondiale est présente à travers les odonymes rappelant les batailles. Mais ces dernières sont symboles de destruction et les victoires qu’elles représentent sont dépassées par le deuil : Verdun, la Marne, les Flandres. Nous avons renoncé à recenser ces odonymes car il était difficile de les rattacher systématiquement aux batailles, plutôt qu’aux lieux concernés.

Le dépassement de la mémoire de la Grande Guerre

15 La place de la Grande Guerre est aujourd’hui détrônée par celle d’autres conflits, particulièrement celle de la seconde guerre mondiale. D’abord, la signification évidente d’un terme en 1918 peut changer par une précision ajoutée à l’odonyme. C’est ce que prouve l’existence, rare néanmoins, d’une avenue de la victoire du 8 mai 1945 à , dans les Alpes-Maritimes ou à , dans le Var. La Grande Guerre devait être la Der des Der. Qui pouvait prévoir qu’il y aurait un 8 mai 1945 ?

16 Nous avons vu que la paix pouvait être attachée à la fin de la Grande Guerre. Cependant, dans leur immense majorité, les rues de la paix font référence à une paix des armes qui suit un conflit. Lorsque la paix célébrée ne suit pas la Grande Guerre, mais explicitement un autre conflit, cela est précisé dans un souci d’offrir une part de

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mémoire aux habitants concernés. Tel est le sens de « l’avenue de la paix en Algérie » inaugurée dans le Loiret (450089). La paix retrouvée, les nombreux anciens combattants y sont très attachés. En effet, près de trois millions de jeunes français sont appelés pour les « événements d’Algérie » auxquels on ne voulait pas donner le nom de guerre. Au- delà de la question des rapatriés et autres harkis, peu nombreux dans le Loiret, donner un nom de voie à la paix en Algérie permet de ne pas donner l’impression qu’après leur avoir volé leur guerre, les conscrits de 1954-62 ne se voient pas voler leur paix. La paix n’est pas que l’absence de conflit armé, comme en témoigne les deux rues de la paix sociale dans le département des Ardennes. Le département compte en outre deux lieux- dits nommés « L’arbre de la paix » et « la croix de paix ». La paix devient une référence plus large, un principe9. La dénomination « rue de la Paix » a ainsi un sens analogue aux odonymes consacrés à l’égalité, ou à la fraternité.

17 Le 11 Novembre est surtout radicalement supplanté par la référence au 8 mai, sous toutes ses formes, qui compte 3 446 occurrences. Pratiquement tous les départements célèbrent cette date par l’adoption dans une localité de cette dénomination, à l’exception de quelques-uns, rétifs semble-t-il à adopter une odonymie mémorielle, tels que les Hautes-Alpes (3 et 17), la Corse-du-Sud (0 et 3) et la Haute-Corse (0 et 9), le Lot (11 et 40), la Lozère (5 et 12).

18 De plus, la notion de « Libération » permet à la seconde guerre mondiale de s’imposer dans la mémoire des rues en France. L’année 1918 est synonyme de libération pour de nombreuses localités en France dont le territoire était occupé, sans compter les départements de l’Est, annexés, qui recouvrent la souveraineté française. Pourtant, les mentions des dates de libération sont rares. En revanche, la Libération est souvent mentionnée par l’odonymie (2 090 voies évoquent la libération de 1944 à 1945), en mentionnant parfois une date, au point de dépasser la présence d’une autre date étudiée, celle du 11 novembre, présente 1 909 fois. La libération est souvent l’événement majeur des régions concernées par les opérations de guerre. Ainsi, un grand nombre de départements ont plus de 50 odonymes de ce type, comme par exemple la -Maritime, la , la -et-Marne ou qui ont été marqués par des combats achevés par la libération (Le Var, les Bouches-du-Rhône, le Calvados). La Marne, pourtant marquée par les combats de la première guerre mondiale et lieu de signature de l’armistice de la seconde, a pour odonyme le plus courant, dans notre sélection, la Libération (45 fois).

19 Si l’on sépare le 8 mai (3 446 odonymes) de la libération (2 090 odonymes), nous trouvons un certain équilibre, après la mention de la première date, entre les mémoires des différents aspects du conflit que sont « Libération » et « 11 Novembre ». En revanche, en additionnant toutes les références, le total penche fermement en faveur du second conflit mondial. En effet, en ajoutant la référence à la résistance (1 189 odonymes), le second conflit mondial regroupe 6 725 odonymes contre, au maximum, 4 108, parfois discutables, sur la Grande Guerre, en mêlant 11 Novembre, armistice, Victoire et Paix.

20 La Résistance est typiquement un phénomène attaché au second conflit mondial, même s’il y a eu une résistance lors du premier. L’odonyme associé à la résistance montre la prégnance du second conflit mondial, par rapport au premier. Sans compter le nom des résistants connus (comme Jean Moulin) ou d’autres, moins célèbres, de nombreux odonymes se rapportent à la Résistance, aux résistants et à ses martyrs. Mais il s’agit déjà de la mémoire d’hommes, plus de celle d’un conflit.

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De la mémoire de la guerre au souvenir des hommes

21 L’odonymie ne fait pas que célébrer la mémoire de la guerre. Elle porte sur la mémoire des hommes qui l’ont faite. D’ailleurs, les odonymes n’utilisent que très peu le terme de guerre (47 mentions). De plus, c’est souvent pour en mentionner un autre aspect, comme le fait la « rue de la fin de la guerre » à Tourcoing, le « Rond-point de la Croix de Guerre » de Céret ou encore la « rue des victimes de guerre » à Alquines. Ce sont déjà des hommes qui sont honorés, plutôt qu’un conflit armé.

22 Ainsi, pour la Grande Guerre, les poilus ont été mis à l’honneur, mais de façon peu courante (143 odonymes). Seuls trois départements, le Nord, le Var et les Alpes- Maritimes honorent la mémoire des poilus, ce qui est une façon de saluer les anciens combattants. De toutes les façons, pour ce qui est des poilus, ce n’est pas l’odonymie qui est la plus révélatrice de la place de leur mémoire. Les monuments aux morts et autres plaques communales qui sont présents dans quasiment toutes les localités (Prost, 1984, p. 223) se chargent de leur rendre un culte, quand ce n’est pas les églises, universités, établissements avec leurs plaques, monuments et mémoriaux. Il ne faut pas oublier, en effet, que « les municipalités ne sont pas les seules à rendre hommage aux disparus » (Rémond, 2002, p. 51).

23 C’est la guerre et ses combattants qui font l’objet d’une commémoration. Cette sacralisation d’un phénomène guerrier est étrangère à nombre de Français du début du XXIe siècle. Elle ne permet de transmettre des connaissances sur la première guerre mondiale que de façon marginale, soit 7 % des jeunes en 2014, contre 24 % pour les œuvres de fiction (Reynié 2015, p. 78). À la fin du centenaire de la Grande Guerre, il est opportun de s’interroger sur la place actuelle de la pratique de commémoration de la Grande Guerre. Elle dit ce qu’était ce culte au siècle précédent. Elle permet de comprendre ce qu’il est devenu face aux mentions d’autres conflits, qui ont dépassé cette mémoire pourtant douloureuse. Elle explique enfin, ce qu’il reste de la mémoire d’un jour que les anciens considéraient souvent comme sacré.

24 Les odonymes consacrés aux anciens combattants entrent dans cette logique. On en dénombre 965, dont 695 restent assez généraux pour saluer la mémoire des combattants de différents conflits. Une catégorie à part se dessine, qui salue l’engagement des anciens combattants en Afrique du Nord ou Indochine. Bien rares sont les odonymes tenant compte d’un lieu, comme le « rond-point des anciens combattants de l’Union française », à Isle, dans la Haute-. Les combattants sont mentionnés pour la mémoire du lieu de leur engagement et non leur propre origine.

25 Les références aux « martyrs de la résistance » ne se rencontrent que dans les mairies de gauche à la libération (Panicacci, 2001, p. 97). Ce constat général peut être relativisé pour d’autres villes. Des communes d’autres couleurs ont adopté cette dénomination dans d’autres régions, à tout le moins10. Quoiqu’il en soit, cette appellation répond à une motivation largement identifiable pour les édiles de gauche : « ils entretiennent la mémoire de leurs compagnons de lutte en légitimant leur propre pouvoir » (Desbrosse, 2014, p. 114). Il ne s’agit donc pas, ou pas seulement, de faire mémoire d’un conflit.

26 S’il y a une bataille de la mémoire à propos de la Grande Guerre, c’est entre deux personnalités qu’elle se déroule : Clemenceau et Foch. Les deux hommes se disputent, département par département, la place du plus grand nombre de dénominations.

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Souvent, ces collectivités locales comptent presque autant de voies portant le nom de l’un et de l’autre. Beaucoup de villes ont à la fois une rue dénommée Clemenceau et une autre appelée Foch. Cette querelle de chiffres est d’autant plus intéressante qu’elle met en présence deux personnalités à la notoriété comparables ; Clemenceau est la personnalité politique qui, par sa détermination à ne pas céder, a permis à la France de passer de l’enlisement à la décision, en 1918, tandis que Foch reste le chef de guerre, artisan de la Victoire. Clemenceau est le dirigeant politique, président du Conseil et vrai chef de l’exécutif. Foch est le chef militaire, généralissime et unificateur des commandements alliés. Deux profils, que tout opposait en 1914, se partagent, après 1918, la mémoire du conflit. Ils représentent deux camps politiques : le médecin républicain, hostile à l’Eglise catholique et le militaire de carrière conservateur et catholique pratiquant. Ils symbolisent deux camps qui cristallisent l’existence de deux France qui cohabitent dans le pays qui les a vu naître. De ce point de vue, la répartition parfois inégale s’explique par la couleur des pays qui les ont choisis, ou encore par l’origine qu’ont nos deux hommes. La France conservatrice choisit plus volontiers de mettre à l’honneur Foch, alors que les zones de forces de la France républicaine de gauche privilégient la figure de Clemenceau. On peut citer de ce point de vue la présence importante de la mémoire de celui-ci dans les départements des Bouches-du- Rhône, du Nord, du Pas-de-Calais.

27 Un autre élément joue particulièrement. Son origine permet au Tigre de dépasser son pendant dans des zones pourtant jugées réactionnaires comme la Vendée. C’est ce département qui à lui seul fait la différence, alors que la plupart des autres entités locales place les deux hommes quasiment à égalité (moins de trois de différence). D’ailleurs, la présence de l’homme qu’est Clemenceau, dans cette zone largement insurgée dès 1789 contre la Révolution, est le signe du large ralliement de la Vendée au régime républicain à l’occasion de la Grande Guerre. En 1918, cette terre reconnait l’action incontournable de celui qui l’a vu naître. Clemenceau est après la Grande Guerre, déjà un monument. Il inaugure ainsi de son vivant l’imposante statue qui lui est dédiée au carrefour de Sainte-Hermine, en Vendée (Wormser 1961, p. 441).

28 La mémoire de la Grande Guerre s’incarne par celle des acteurs qui y ont joué un grand rôle, ici Foch (1 307 odonymes rappellent son rôle) et Clemenceau (1 285 voies portent son nom). Or, les odonymes célébrant les personnages liés à la seconde guerre mondiale sont beaucoup plus nombreux. De Gaulle, qui est mentionné au moins autant pour son rôle de chef de l’Etat, domine les statistiques, puisque 3 633 communes comptent une voie qui porte son nom, puis Leclerc réussit à être présent dans le haut des statistiques, avec les 2 600 voies qui lui sont dédiées (Oulmont, 2009, p. 1-2)11.

Conclusion

29 L’odonymie des conflits révèle la présence des guerres dans le quotidien des Français. Le changement de position de 1918 est révélateur de celui du roman national français. Pierre Nora estime que « l’apothéose de ce roman national est la victoire de 1918, qui lui donne son sens et sa légitimité. Car la victoire confirme que la synthèse républicaine est la bonne : elle opère la fusion entre l’Etat, la nation et la République, scellée par l’union sacrée et le plus grand effort que la nation ait jamais accompli sur lui-même » (Nora, 2017, p. 13). A contrario, « les jeunes générations, nées depuis le milieu du siècle dernier, n’ont connu que des défaites : de 1940, de 1962. Par surcroît, même la victoire

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de 1918 s’est révélée dans la conscience collective comme la défaite de toute l’Europe » (Nora, 2017, p. 14).

30 Cependant, « les cérémonies du 11 Novembre apparaissent […] comme le seul culte républicain qui ait réussi en France et qui ait suscité une unanimité populaire » (Prost, 1984, p. 214). C’est certainement la raison pour laquelle la loi de 2012 ne fait pas disparaître ce jour férié mais le transforme. La greffe mémorielle va-t-elle prendre ? Il faut qu’elle soit plantée sur un greffon favorable. Ainsi, la présence d’odonymes rappelant le premier conflit mondial et ses combattants constitue un « signe révélateur de mémoire » et un « facteur de mémoire » selon Robert Frank (Oulmont, 2009, p. 3). Mais elle peut subir le sort de celle de la Révolution, devenue lointaine. Ce parallèle a été déjà fait entre les deux périodes dans Présent, nation et mémoire (Nora, 2011, p. 247) dans d’autres domaines. Le dépassement de la mémoire de la Grande Guerre est un constat à faire dans bien des domaines (Becker, 2001). Les odonymes consacrés au premier conflit mondial vont-ils être oubliés ou absorbés par ceux d’autres conflits ?

31 Badariotti D., 2002. Les noms de rues en géographie. Plaidoyer pour une recherche sur les odonymes. Annales de géographie, vol. 111, n° 625.

32 Beaupré N., 2014. La Grande Guerre : du témoin, à l’historien, de la mémoire à l’histoire ? Témoigner. Entre histoire et mémoire, n° 118.

33 Becker A., 2001. La Grande Guerre entre mémoire et oubli. In Léonard L. (dir.), La mémoire, entre histoire et politique. Paris, La documentation française.

34 Desbrosse X., 2014. Héros de l’Ouest, héros de l’Est : toponymie et Guerre froide de la Libération à nos jours. In Buton P., La guerre froide vue d’en bas. Paris, CNRS éditions.

35 Gonac’h J., 2007. Pratiques de redénomination des rues à Vitrolles. In Collectif, L’acte de nommer, Une dynamique langue et discours. Paris, Presses de la Sorbonne, p. 101-104.

36 Hardier T., Rochas E., 2016. Pratiques et représentations des commémorations de la Grande Guerre : l’exemple des élèves du collège Eluard de (Oise). Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 121-122, p. 50-58.

37 Largeaud J.-M., 2006. Napoléon et Waterloo : La défaite glorieuse de 1815 à nos jours. Paris, La Boutique de l’Histoire.

38 Lemaître P., 2013. Au revoir là-haut. Paris, Albin Michel.

39 Millon C., 2019. Les cloches sonneront-elles la libération de la France septentrionale ? In Jean- Bled J.-P., Deschodt J.-P., 1918, Demain la paix ? Paris, SPM.

40 Milo D., 1989. Les noms de rues. In Nora P. (dir.), Les lieux de mémoire, tome II, La Nation, vol. 3. Paris Gallimard, p. 283-315.

41 Nora P., 2011. Présent, nation et mémoire. Paris, Gallimard.

42 Nora P., 2017. L’Histoire en France a été le nerf de l’unité nationale (Entretien par Toranian V. et Kopp R.). La Revue des Deux-mondes, novembre.

43 Oulmont P., (dir.), 2009. Les Voies « de Gaulle » en France. Le Général dans l’espace et la mémoire des communes, Actes de la journée d’études du 12 juin 2007. Paris, Plon.

44 Panicacci J.-L., 2001.Les lieux de mémoire toponymiques de la deuxième guerre mondiale dans les villes azuréennes. In Bouvier J.-C., Guillon J.-M., (dir.), La toponymie urbaine. Significations et enjeux. Paris, L’Harmattan.

45 Prost A., 1984. Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? Pierre Nora P., Les lieux de mémoires, Paris, Gallimard.

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46 Rémond R., 2002. Une mémoire française. Paris, Desclée de Brouwer.

47 Reynié D., 2015. Mémoires à venir, une enquête sur la mémoire du XXe siècle auprès de 31172 jeunes de 16 à 29 ans, en 24 langues, dans 31 pays. Paris, Fondapol.

48 Todorov T., 2001. La vocation de la mémoire. In Léonard Y., La mémoire, entre histoire et politique. Paris, La documentation française.

49 Wormser G., 1961. La République de Clemenceau. Paris, PUF.

50 Zonabend F., 1980. La mémoire longue. Temps et histoire au village. Paris, PUF.

NOTES

1. Débarquement de Provence : Macron demande aux maires d’honorer les combattants africains. L’Obs, 15 août 2019. 2. Loi 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France. JORF n° 0051 du 29 février 2012, p. 3561. 3. 11 Novembre : l’hommage « à tous les morts pour la France » devant l’Assemblée mardi. Le Parisien, 8 janvier 2012. 4. Présidentielle : le 11 Novembre s’invite dans la campagne. Le Parisien, 11 novembre 2011. 5. Les grands hommes ou les grands événements se voient généralement attribuer une voie prestigieuse. Mais notre étude ne se focalise pas sur cet aspect du sujet, au demeurant pas ignoré. En effet, la hiérarchie n’est pas forcément respectée et des surprises sont constatées en la matière. 6. Nous avons choisi de recenser les appellations sous différentes formes significatives : « 11 novembre » ; « 11 novembre 1918 ». 7. Nous avons écarté les références aux victoires, plus générales ou attachées comme « Notre- Dame des Victoires » au triomphe des armées chrétiennes à Lépante. 8. JORF du 26 octobre 1922, p. 10542. 9. En 2012, un amendement au projet de loi de commémoration nouvelle lors du 11 novembre, déposé par Jean-Claude Viollet et ses collègues de l’Assemblée, est adopté : il change la « paix » célébrée en « Paix ». 10. La ville de Lambersart, dans le Nord, compte une « rue des martyrs de la résistance », à l’instar de celle voisine de Lomme. Si la seconde est traditionnellement de gauche, la première n’a encore jamais connu de maire de cette couleur dans l’après-guerre avec Albert Liévin (MRP), Julien Corbeil (RPF), Marcel Caloone (DVD) Jules Maillot (gaulliste). 11. Le travail de recension des odonymes portant sur les personnages s’étant illustrés pendant la seconde guerre mondiale n’est pas publié ici en annexe. Nos recherches confirment cependant les chiffres cités ici.

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RÉSUMÉS

La mémoire vivante du passé peut être mesurée par la gestion des odonymes (nom des routes et places). La présence de la Grande Guerre en France par l’étude de l’actuel fichier FANTOIR est significative. Mais le nombre d’odonymes qui commémore la seconde guerre mondiale, ou d’autres conflits, est plus important. Il faut donc s’interroger sur les causes de ce fait.

The living memory of the past can be measured by the management of odonyms (route and place names). The presence of the Great War in France by studying of the actual FANTOIR file is significant. But the number of odonyms who commemorates the second world war, or other conflicts, is more important. We have to ask what the cause of that is.

INDEX

Mots-clés : odonymie, rue, place, mémoire, ville, département, nom, guerre, municipalité Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

CLÉMENT MILLON Clément Millon, [email protected], est chargé de conférences à l'ICES, La-Roche-sur-Yon. Il a récemment publié : - Millon C., 2019. Les cloches sonneront-elles la libération ? La libération des territoires de la France septentrionale occupée en 1918. In Actes du Colloque 1918 : Demain la paix. à paraître, p. 67-83. - Millon C., 2018. Présence des années 1870-1871 en 1940 dans les revues universitaires de l’Allemagne nazie. In Collectif, La France en guerre, cinq années terribles. Rennes, PUR, p. 209-222. - Millon C., 2018. Les mots qualifiant le déclin français dans les écrits nazis entre 1940 et 1945. In Collectif, Le déclin dans le monde germanique, mots, discours et représentations (1914-2014). Reims, Epure, p. 147-169.

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Le patrimoine onomastique touareg aux portes du désert saharien

Ghousmane Mohamed

Introduction

1 La plupart des noms de tribus et/ ou de topos aux portes du désert saharien commencent par des syntagmes nominaux endogènes tels : ag, aw, am, an, in, Kel, tin, tan, etc. En effet, à partir du radical de ces derniers, l’on a pu désigner un prénom ag Mohamed ou « fils de Mohamed » ; une onomastique animale aw bagzan, littéralement « celui de bagzan » ; une habitation et par extension un domicile, tan/tin-hinan ou « celle de tente » ; une confédération tribale Kel Aïr. On y retrouve aussi un groupe social dont les membres In-äbangaret, y compris des descendants de segments tribaux patronymiques egawel, se trouvent sous l’autorité d’un chef Anastafidet/Amanokal, etc. Aussi de nombreuses créations graphiques et appropriations nominatives collectives/ individuelles que trouvent historiens, voyageurs dans les documents topographiques, sont issues du vocabulaire topographique et toponymique et de sa vivacité dans la langue touarègue. En fait, la problématique de la graphie adoptée par l’administration nigérienne ou celle que l’on retrouve sur les cartes (héritées souvent de la période coloniale) est souvent loin de correspondre à la toponymie originelle touarègue. D’autre part, une cartographie bien établie des espaces à la fois ruraux et urbains exigeant une bonne connaissance topographique ne peut être acquise que grâce à un travail sur le terrain. Notre approche doit actualiser la toponymie vernaculaire des Touaregs1, des rapports entre l’analyse ethnolinguistique, les ancrages territoriaux des agro-pasteurs ou pasteurs et le rapport historique à l’espace et/ ou au territoire. Nous en parlerons dans cette étude en y abordant leur typologie, leur fonction et leur symbolique. Pour ce faire, nous allons nous baser sur deux matériaux essentiels que sont, en premier lieu le répertoire2 de la toponymie touarègue en Aïr, et, ensuite, notre propre expérience vécue ainsi que nos observations sur le terrain, après avoir brossé l’état de l’art succinct en rapport avec notre réflexion.

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Quelques enjeux spécifiques de l’onomastique au Sahara

2 L’onomastique en milieu saharien est attestée grâce aux publications de plusieurs auteurs : Foucauld, 1918-1920 et 1940 ; M. Capitaine, 1908 ; G. Camps, 1995 ; L. Galand, 1998 ; E. Bernus, 1981 ; L. Gagnol 2001, etc. En matière des toponymes en langue tifinagh, l’on peut consulter les travaux de Aghali- Zahara M. (1999). Mais, force est de constater qu’il n’en est pas de même quant à la dénomination et à la valeur réelle de certaines représentations graphiques, symboliques, sociales, culturelles voire spatiales. Malgré l’existence de ces différentes formes de dénomination, d’identification et de localisation dans l’espace et le temps, la cristallisation toponymique continuent à alimenter les recherches scientifiques (voir le symposium Nommer les lieux en Afrique : enjeux sociaux, politiques et culturels, Niamey, 5-9/09/2018). Les luttes d’appropriation des espaces se heurtent ainsi à des logiques de concurrence entre d’une part les États et les populations d’autre part. Dans l’espace saharien, la dénomination des territoires par les populations locales véritable instrument de connaissance des espaces, est connue des Occidentaux et des administrations locales avant les conquêtes coloniales. Toutefois, aujourd’hui encore, le langage de certains espaces se heurte à des problèmes de dénomination, de graphie, et ne renvoie pas à la nomination issue de la mémoire collective. À cet effet, nos recherches et certains récits nous rendent compte que l’énonciation du toponyme ou de désignation de nombreuses entités spatiales est au moins antérieure à la période coloniale, même si c’est pendant cette période qu’elle a connu sa solidification définitive. En effet, la cristallisation toponymique en zone saharienne demeure une pratique langagière fondamentale dont les usages remplissent des fonctions d’identification, de communication et d’orientation. Reflet de la mémoire collective, cette dernière met en évidence des fonctions sociales et culturelles prégnantes et productrices de territoire. Comme on le verra, elle peut nous fournir d’importantes informations tant sur l’histoire linguistique et culturelle des populations de la région, que sur les formes d’ancrage territorial et d’intériorisation (mémoire collective).

Approches typologiques conceptuelles et classificatoires de la toponymie chez les Touaregs sahariens

3 Les processus toponymiques et/ou onomastiques en région saharienne se déploient sur de nombreux éléments de la nature en se superposant aux attributs humains. Amorçant le contexte géographique de son étude sur les Touaregs du Niger, Edmond Bernus a pu distinguer six toponymes équivalant à six éléments en lien avec la locution nominale Kel. Il s’agit des toponymes évoquant le corps humain, les animaux, les végétaux, les minéraux ainsi que ceux se rapportant aux caractéristiques topographiques et la vie des hommes plus particulièrement les événements du passé (Bernus, 1981, p. 65-70 et 1995, p. 46-49). Les différentes comparaisons de certaines confluences étroitement liées aux vallées dans l’Aïr en sont les illustrations en ce qu’elles connotent des similitudes humainement corporelles sur le plan toponymique et linguistique. C’est le cas du toponyme Germawen qui signifie littéralement « entre les bouches » (Bernus, 1981,

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p. 67). Ce toponyme évoque une des nombreuses confluences entre deux oueds ou vallées que l’on rencontre par exemple à Timia. Dans cette même vision toponymique, s’y agglutinent d’autres perceptions sensorielles évoquant une kyrielle du lexique relatif à l’anatomie humaine. À titre illustratif, il est loisible de ranger les références topiques suivantes dans cette perception : ofoud, métaphore corporelle, littéralement « genou » décrit souvent un promontoire ; eghef (tête), un sommet ; tagmmert ou « côte » ; Ijir ou « épaule » ; tamart ou « la barbe » ou tadmar ou « poitrine » ; azar ou la veine signifie aussi une vallée qui traverse d’est en ouest le bassin, pour ne citer que ces exemples conceptualisés sous le mode de la parataxe sur un angle littéraire et faisant allusion à des pentes et des escarpements. Kel est un nominal berbère et tamasheq signifiant « les gens de, ceux de » le sing. est ag « fils de celui de… », à la fois ethnonyme et toponyme. Caractérisant ceux qui ont été appelés Touaregs par les arabes et, à leur suite les occidentaux, cette appellation autochtone souligne l’importance accordée à la langue tamasheq et ses variantes : kel awal, « ceux de la parole » ; kel tamasheq, « ceux de la langue touarègue » ; kel taguelmust, « les gens du voile », appellation métaphorique, caractérise aussi la communauté culturelle touarègue. Le nominal berbère kel signifie « ceux de » et précède généralement des noms de lieux (massifs montagneux, vallées, par ex. kel Aïr, kel Ahaggar) ainsi que des noms de « groupes de descendants » (ex. kel Ghela) ou de pays kel Frantsa, « ceux de France »). Ce nominal incorpore en fonction des niveaux d’identification, des notions parentales, géographiques ou politiques incluant celle de nation. kel évoque par extension l’idée, la marque de l’ancrage territorial. En d’autres termes, dans la perspective de l’orientation spatiale, la locution nominale Kel sert à distinguer et déterminer la configuration de points cardinaux. Par exemple dans l’expression Kel Aïr, le terme Kel ne fait pas forcément référence à une région dans ce cadre, mais plutôt sert de particule d’orientation à une direction relative au sein d’un espace précis ou indicatif. Dans la rhétorique conversationnelle et géographiquement codée, l’ellipse « Aïr » symbolise la position du nord et l’expression Kel Aïr littéralement « ceux, gens du nord » ; de la même manière l’expression Kel ayiran ou « gens du nord » évoque un positionnement géographique opposé à Kel Agala ou « gens du sud ». Selon ce contexte, la locution référentielle Kel conceptualise et opérationnalise la symbolique d’orientation et participe implicitement à la nomination et à la définition d’un groupe social résident dans un espace ou territoire donné. C’est cette même occurrence qui est contextualisée dans cette autre expression Kel Tafidet qui détermine doublement la métaphore tribale, insistant ensuite sur la symbolique de la roche minérale de couleur blanche du Ténéré, qui, une fois réduite en poudre, est utilisée comme colorant après avoir été mise au feu pour teindre les peaux une fois tannées en noir ou bleu. En plusieurs autres similitudes locales, le nominal Kel est associé à diverses catégories taxinomiques dites « ethnonymes » voire toponymes.

Valeurs toponymiques ou noms des lieux en région saharienne

4 Les patrimoines onomastiques ou noms des lieux en pays touareg émanent sans doute de l’interprétation parfois de l’histoire linguistique et socioculturelle de nomades- sédentaires. Ainsi, d’un point de vue mémoriel, la nomenclature toponymique est aussi sans cesse objet d’interprétation et de réinterprétation en fonction des préoccupations des acteurs sociaux et des moments de l’histoire. Elle se crée sur le savoir des

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communautés. Celles-ci disposent des modes d’identification et de nomination de la cartographie originelle des espaces pastoraux et des ressources naturelles. Ainsi, dans de nombreuses créations et pratiques populaires, la toponymie demeure un lieu de démarcation spatio-identitaire ; par exemple, la toponymie de nom Niger, une référence à la couleur de peau des habitants ? Le nom du fleuve Niger, du terme autochtone nigir « rivière ; du touareg n’egrorren « eaux qui coulent », souvent mal interprété, particulièrement par les latinistes, comme dérivé du latin Niger (« noir »). Cette étymologie ne nous paraît pas satisfaisante, même si elle semble décrire une situation topographique, il reste que la région désignée par ce toponyme n’est pas davantage pourvue en population noire que d’autres3. En effet, le fleuve ou le territoire du Niger qui s’appellerait egaraw, igarow, sing., igirwan, plur. en parler Tamasheq, aurait été baptisé à une date inconnue par une franche de population touarègue. Egaraw au sens étymologique évoque une mare, un marigot, un fleuve ou toute source d’eau qui coule abondamment. En tamasheq, le terme est surtout utilisé pour désigner le fleuve ou la mer. C’est donc une métaphore hydrique endogène ou fluviale de l’onomastique touarègue dérivative de egraw4 (« l’eau du fleuve qui coule ») qui a rendu possible l’hydronyme « fleuve Niger », pays ou territoire. Pour autant, certaines valeurs onomastiques proviendraient de Kel, antéposé à un nom d’élément naturel devenu un toponyme ou en voie de l’être ou un bien. Il peut révéler des déclinaisons toponymiques perceptibles selon le contexte spatio-temporel, le genre, le sexe, le statut, les domaines et les emplois. C’est une notion polysémique et multidimensionnelle. Lorsque celle-ci est employée dans la toponymie semi-nomade et sédentaire, elle mobilise toute une panoplie des références onomastiques qui conceptualisent des préceptes purement endogènes. Remplissant une fonction de dénomination et d’identification, elle revêt un ethnonyme ou assertion cognitive, descriptive, expressive se rapportant aux éléments de la nature (Kel Ewey, « ceux du taurillon »). Aussi, exprime-t-elle la métaphore tribale, confédérale, familiale, comme lorsqu’on dit : Kel Aïr, « ceux de l’Aïr » ; animale quand on dit Kel Afis, « ceux de l’hyène », etc.

5 Une grande partie de la mémoire collective touarègue a porté et pensé certaines constructions et fonctions nominalement onomastiques à partir du Kel. Ainsi, les différents systèmes de transhumances et quêtes saisonniers et périodiques inhérents à la sur(vie) et constitutifs d’une migration pastorale, se déroulent et s’effectuent pour l’essentiel autour des puits, des vallées, des plaines en s’inscrivant dans une logique bien plus grande teintée des temporalités saisonnières (la saison froide, l’été). Dans ce contexte, certaines références onomastiques rappellent un toponyme tribal ou le séjour de nomadisation sur ce milieu en y laissant son origine ou encore son appartenance familiale pour avoir vécu et exploité les ressources du terroir ou de la vallée. En cela, elles sont ainsi souvent révélatrices d’une préoccupation écologique. Celle-ci est perçue dans le proverbe berbère suivant : « nous n’héritons pas la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ». Il faut aussi souligner que le nomade Kel Tamasheq entretient des liens affectifs étroits avec le pays qui le fait vivre. Chaque arbre, chaque mare, chaque emplacement, sert de référence à une multitude de souvenirs. Il rêve constamment de la vallée (agoras) ou des ravines (Telletin) où est blotti son campement : akal désigne le pays, la région, et un nomade définit une région en parlant du pays de telle tribu ; akal ou Illabakan, « le pays des Illabakan » par exemple. (…) akal est donc à la fois le pays du campement (aghiwan) en même temps que son espace

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exploité. De même, certains Touaregs regardent certains espaces éloignés des pâturages comme le leur, puisque leurs ancêtres y sont morts et enterrés : Les Kel Gress donnent l’exemple d’une exploitation qui dépasse les limites de leur contrôle territorial (…) c’est pour eux un retour vers les bordures occidentales de l’Aïr, où se trouvent encore les cimetières de leurs ancêtres, et les marques de leurs installations dans le pays qu’ils occupent avant leurs migrations vers le sud. Les jeunes Kel Gress qu’aujourd’hui conduisent les chamelles à Teguiddan Tagey n’ont pas l’impression de pénétrer dans une région étrangère, mais bien d’avoir accès à des pâturages qui constituent une annexe estivale à leurs parcours de saison sèche. (Bernus,1981), p. 298)

6 D’un point de vue sémantico-référentiel, les noms issus des plantes (phytonymie) ont permis de désigner certaines années soulignant ainsi que le descripteur végétal est en même temps un descripteur spatial qui renvoie à un espace physique et à des conditions géographiques précises. À titre d’exemple, il faut citer « l’année de la tawit5 (awatay n tawit) située entre 1905 et 1910, pendant laquelle pasteurs et agriculteurs de l’Ahaggar se rendirent dans l’Atakor ( de l’Ahaggar) entre le pic Ilman et le centre de cultures de Tazeruk, afin d’y faire paître leurs troupeaux et d’y cueillir les graines minuscules produites par cette plante. L’exemple de « l’année de la tawit », auquel il faut en ajouter bien d’autres (Foucauld, 1951, p. 1539-1545), caractérise une organisation de l’espace physique connue de tous, ce qui implique un ensemble de relations sociales qui se réalisent dans et par les pratiques de gestion et d’utilisation de l’espace (Bourgeot, 1995, p. 148).

7 D’autres fixations toponymiques à la fois symboliques et métonymiques plus explicites dans le lexique des descendances lignagères aussi bien sur les éléments du milieu naturel, évoquent soit l’oronyme comme kel adghagh ou ceux de la montagne, l’hydronyme par exemple (anu-n-alkher littéralement « puits de la paix »), la piste ou encore la zoonomie comme anu-n-edjan qui veut dire littéralement « le puits des ânes ». Relevons quelques-unes de ces connotations toponymiques évoquant les assertions confédérales ou tribales : Kel Aïr, Kel-Ewey ; ou villageoises à l’exemple de Kel Timia, Kel Tabelot ; ou des régions naturelles comme la vallée, la montagne, le plateau, c’est le cas de Kel Afassas, Kel Bagzan, Kel Afala6 ; ou encore se rapportant à une entité politique, culturelle et identitaire telles : Kel Algérie, Kel Nigéria, Kel Tamasheq, Kel Tagelmust7 ; enfin, certains toponymes suggèrent implicitement une orientation géographique entre Kel Agala et Kel Aïr. Ces deux derniers déictiques métaphoriquement spatio-temporels, font référence respectivement aux points cardinaux notamment à « ceux du sud » et « ceux du nord », c’est-à-dire les caravaniers qui partent en pays Houssa, au sud de l’Aïr, et les agropasteurs (Gagnol, 2001) par extension les sédentaires.

8 Comme on peut le constater, l’identification par le nominal Kel n’est pas figée, elle est contextuelle dans le temps et l’espace. Dans un tout autre champ de représentation, une simple narration d’une séance de mise en scène de vicissitudes et circonstances de la vie personnelle et commune, est susceptible d’être une occasion de construire un topoi inédit, sous la base du nominal Kel. Comme le langage, la toponymie explicite souvent tout un système de communication qui tient compte soit des formes et aspects des éléments du milieu naturel (oueds, roches), ou espèce floristique comme (talat/n- alaw littéralement « ravine de Laperrine »). Elle développe à partir d’une situation de fait un système de représentation / interprétation en lien soit avec les vicissitudes humaines plus ou moins héroïques des personnages (historiques, mystiques,

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mythiques, légendaires, poétiques) ou soit du fait de l’importance accordée à l’onomatopée (cf. infra, le tic-tac onomatopéique de ighalabelaben).

9 Certaines valeurs toponymiques émergent également dans l’outillage, les objets et matériels en usage et touchent même la croyance au monde extérieur kel Esuf, « les djinns », kel Ténéré « ceux du Ténéré ». L’expression kel esuf omniprésente dans la tradition orale et littéraire charrie des significations multiformes et multidimensionnelles selon le contexte, le temps et l’espace. En ce sens que pour un Touareg, tout comme l’espace domestique, celui du désert pourrait être plus peuplé d’êtres surnaturels Kel Esuf qui symbolisent des êtres errants, nomadisants, actifs et qui aimaient tourmenter même le voyageur solitaire : On raconte que dans certains endroits de l’Ahaggar, les Kel Esuf pourchassent constamment les gens en leur jetant des pierres. On entend des cris gutturaux des boucliers, des bruits de récipients de métal. On voit du feu, on entend des chamelles, des chèvres et des chiens. Mais, quand, on arrive à l’endroit du feu, tout a disparu. (Claudot- Hawad,2002, p. 54)

10 Les récits et les représentations des forces occultes qui cohabitent et hantent l’espace y sont enracinés que pour « les Touaregs, les esprits maléfiques sont également supposés habiter différents espaces ou séjourner temporairement à un endroit. L’accès à un tel espace peut aussi devenir interdit à l’homme ». (Bourgeot, 1992). Comme on le voit certains principes de la toponymie sont croisés (et se retrouvent) avec ceux de la patronymie, de l’ethnonymie, ainsi que dans les marques de bétail. Ainsi, il est fréquent d’entendre les Touaregs lors de leurs conversations narratives et quotidiennes, évoquer les termes Kel Aru ou Kel Nad qui signifient « les gens d’autrefois, les anciens ou encore les géants frustres » dont les Isabetent, l’un de premier peuplement de l’Aïr, seraient les descendants selon la tradition et l’histoire orales. (Bernus, 1981).

Corrélation patronyme / ethnonyme / toponyme / topographie

11 Le nominal Kel n’a pas simplement une fonction symbolique, sociale, culturelle, nominale, historique ou linguistique, il est porteur de tout un imaginaire. S’étendant sur toutes les formes catégorielles des taxinomies, il figure dans les contextes événementiels de la vie courante dans laquelle se meuvent les différentes vicissitudes touarègues. Il met ainsi en relief de multiples corrélations constructives et poétiquement dénominatives obéissent çà et là à des scènes symboliquement descriptives des héros ou de leurs cirques ou leurs cycles de parcours en rapport avec certains éléments du milieu naturel dont ils portent les noms. Dans cette configuration, de nombreux éléments du paysage (vallées, oueds, mares, montages, etc.) portent des noms poétiques, des noms propres de jeunes « mariés » tels que « bec d’aigle » ou « selle de chameau », ou bien des assertions anecdotiquement sémantiques comme le révèle l’hydronyme agizat. Cet hydronyme signifiant littéralement « sauvez-moi », rappelle une légende locale connue par les autochtones. Il s’agit du récit d’un jeune marié qui s’est noyé dans un marigot lors d’un pique-nique avec ses amis. Pendant sa noyade en l’absence de ses intimes, le jeune homme alerta ces deniers à son secours en prononçant à maintes reprises l’expression agizat littéralement « sauvez-moi ». Ce geste expressif ayant sauvé le jeune marié, « l’ancêtre éponyme8 » aurait suffi à baptiser à une date inconnue le marigot situé à trois kilomètres de la commune rurale de Timia.

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Dans une autre représentation analogue, on peut évoquer le cas de cet autre oronyme attribué à la montagne dénommée ed’/fattetenwa9, littéralement « donnez-la à mon frère ». Cette toponymie rappelle une autre légende locale d’un targui qui avait un jour parié une chamelle quand il réussirait l’ascension de la montagne en forme de pain de sucre ; à peine arrivé au sommet de son sacre, il glissa et dans sa chute, il prononça ed’/fattet enwa qui signifie « donnez-la à mon frère ». Cette tournure syntaxique liée à la toponymie événementielle, marque mémorielle de l’espace, a servi depuis lors à baptiser la montagne ed’ /fattet enwa ou « donnez-la à mon frère ». En dehors du paysage toponymique lié à la mémoire collective et surtout au lyrisme héroïque ou situationnel, d’un point de vue linguistique, d’autres allusions étymologiques en liant avec l’onomastique animale, sont suggérées. Ce sont des évocations des éléments du milieu naturel comme la vallée, l’oued qui sont respectivement reformulés dans ces exemples : imi-n/oufadi ou « bouche de Oufadi » et talat /n-ezgar ou « vallon du bœuf », etc. Parallèlement, on trouve des marques toponymiques se rapportant également aux animaux : sauvages, comme Tin Eguran « un des chacals », egur, plur. Iguaran ; aux animaux domestiques, I-n Arrigan, « un du chameau adulte » (arrigan.plur. Irriganan).

12 Comme tout toponyme, le nom de Bagzan est sujet à diverses interprétations. Bagzan au sens étymologique et topographique évoque une forteresse fortifiée10. Néanmoins, l’idée de fortification exprimée est une stratégie sécuritaire présente à l’esprit des populations. Dans un autre sens, cette locution pourrait avoir une résonance phonétique emprunté à Bizgan signifiant le peuplement d’un arbuste connu sous le nom botanique de salvadora persica. Le terme Bagzan est surtout utilisé pour désigner à la fois la race de cheval aw-bagzan11 et la présence d’une hauteur naturelle montagnarde : les Monts Bagzan. Sur un plan historique et poétiquement littéraire, aw- Bagza symbolise localement le personnage animalier de la tradition orale, aux exploits inédits et aux caractéristiques mystiques et mythiques. Cette toponymie animale évoque l’imaginaire mythologique, la caractérisation animale du cheval blanc ailé qui aurait baptisé l’espace géographique de Monts Bagzan et repose sur une trame historique locale : aw-Bagza symbolise le personnage animalier de la tradition orale, aux exploits inédits et aux caractéristiques mystiques et mythiques. (Bernus1995). Sa rapidité inégalée, son hennissement et ses pouvoirs magiques lui confèrent dans un premier temps un toponyme montagnard ; aussi, cette toponymie désigne à la fois le refuge, le terroir, l’espace de nomadisation de Kel Bagzan pasteurs nomades. On peut établir un rapprochement entre les pouvoirs magiques d’aw-bagzan et le mythe de Pégase dans la mythologie grecque. On y trouve, en effet, des pouvoirs attribués au cheval grec semblable à aw-bagzan par le fait que le cheval grec est un animal fabuleux, né du sang de méduse. Il est ailé et au XVIe siècle, cette race de cheval a été considérée comme le cheval des poètes. Dans la tradition orale et le patrimoine cosmogonique targuis, aw-bagzan est connu pour ses qualités guerrières, son agilité, sa rapidité et ses mystères. Et l’on pense qu’il pourrait voler en cas de danger. Selon l’histoire et la tradition orales, c’est le même type de cheval qu’aurait utilisé Bulkhu, chef guerrier Kel Ewey de la tribu Igermadan lors du guet- apens qu’il aurait tendu à la tribu Awled suleyman, pillarde et guerroyeuse et qui eut mené plusieurs raps et rançonné plusieurs fois les caravanes Kel Aïr dans le Sahara. Il eut recours à ce mystérieux et emblématique cheval pour venir au bout de l’ennemi de Kel Ewey. Cette toponymie animale offre deux pistes de lectures tant au niveau endogène qu’au niveau national : au niveau endogène, Bagzan connote la symbolique animalière, mais aussi une entité identitaire spatialement culturelle, topographique et géographiquement dénommée les Monts

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Bagzan où est évoquée la relation aw-bagzan (« la race chevaline ») et Kel Bagzan (« les habitants du mont Bagzan »12). Dans cette approche dichotomique, l’animal tout en étant doté des pouvoirs surnaturels et magiques, représente l’élément faunique qui assure la transcendance entre la terre et le ciel par sa capacité à voler, à survoler des hautes altitudes d’où une sorte de déification du cheval et même du massif montagneux auquel il avait donné son nom. Dans les récits oraux, aw-bagzan demeure linguistiquement parlant le héros actantiel ou l’adjuvant de l’homme comme le souligne la narration poétique. Au niveau national, Bagzan est par métonymie le symbole de l’identité nationale puisque c’est sur le massif des Monts Bagzan que se situe le plus haut sommet de la République du Niger en l’occurrence Idoukal-Ntags cumulant 2022 m d’altitude. Par conséquent, l’avion présidentiel de la République du Niger porte le toponyme de « Mont Bagzan » survolant les aires en rappelant la même fonction dévolue au cheval aw-Bagzan par ses ailes et sa rapidité, son agilité, son talent à (sur)voler les airs.

13 D’un autre côté, notamment au plan hydronymique, il faut signaler que par le procédé de l’onomatopée doublée d’une sensorialité audiovisuelle et tactile, l’on est parvenu par la dimension onomatopéique à attribuer un toponyme à une source naturelle bien connue dénommée ighalabelaben. Située à Tadara au pied du mont Bagzan, le « tic-tac » onomatopéique de celle-ci imite le bruit (la déflagration) de l’eau qui cascade entre les rochers et le nom d’un puisard signifie aussi « le filet d’eau dans la roche ». D’un point de vue analogique, les occurrences toponymiques et ethnonymiques nominales sont un usage connu et répandu servant par métonymie à la localisation, à la délimitation voire à la fixation des entités spatiales tribales, territoriales, confédérales voire identitaires. Certaines riment aussi avec des représentations métonymiques d’un matériel ou d’un outil à usage domestique. Par leurs multiples fonctions, elles désignent conceptuellement et contextuellement une catégorie taxinomique et terminologique à l’échelle géographique. Ce sont là des constructions et fonctions toponymiques qui peignent à la fois la forme élémentaire de l’objet ou de la chose en lui attribuant des dénominations onomastiques localement sociolinguistiques. Les exemples ci-dessous sont tout à fait explicites : takabar ou « petit mortier » désigne une montagne située dans la commune de Timia ; tchiriken signifiant « selles » évoque une étendue montagnarde à l’ouest de Timia ; tanut-n-alkher faisant allusion au « puits de la paix » symbolise aussi un toponyme de culte étant donné que c’est au sein de cet espace sacro- saint situé dans la commune de Tabelot que se recueillent certains Touaregs musulmans à proximité des cimetières lors de leurs visites de tombes et de pèlerinage ; adghagh-n-tawwa, littéralement « rocher du lion », est une étendue rocheuse connue pour avoir abrité des lions ; tamolat, littéralement « louche », est une dénomination montagneuse localisable à proximité de Timia ; anwar, terme polysémique dont le premier sens est la « mare » et le second renvoie à une petite outre confectionnée à base de la peau du cabri où le pasteur caravanier met quelques-uns de ses outils (théière, sucre, verres, allumettes, etc.) ; isqou sing., isqawen plur. indique « la corne » d’un animal dont les sens sémantique et toponymique déclinent le nom de la montagne.

14 Sur un plan sémantiquement métonymique et symbolique, d’autres onomastiques reposent sur la description du règne animal, végétal ou minéral en y convoquant le champ hydrographique šisengay. C’est le cas de taghes-n-zegret qui revêt un des deux grands cônes volcaniques des monts Bagzan. Aussi, la portée d’un trou d’eau permanent dans les rochers rendant possible la présence d’un village et d’une oasis, est sujette à un qualificatif sur le plan toponymique. À ce sujet, le village d’Amalaoule situé

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dans la localité d’Ingal au nord du Niger à 100 km au sud de la région d’Agades, évoque allusivement un effet de « brillance ». De même, la réverbération de la source d’eau a été dénommée pour cette qualité, et ce lieu est sensoriellement perçu à cause de sa brillance.

15 Dans le domaine agricole : tekarkart suggère « poulie » mais aussi décrit un tournant et une descente dangereux d’une piste située à trois kilomètres de Timia. Sémantiquement, au niveau traditionnel, tekarkart traduit également le dispositif traditionnel servant dans certains jardins de l’Aïr à puiser l’eau de puits pour arroser les plantes et les planches. En revanche, l’énonciation sanfoši (emprunt Haoussa) représente « panier », et évoque aussi la forme d’étendue montagneuse située à environ soixante kilomètres de Timia tandis que l’hydronyme eres désigne un « puisard » et par extension un toponyme hydrique se situant au croisement des pistes de parcours de pasteurs nomades.

16 D’autres observations et recherches onomastiques s’attachent surtout à montrer que nombre de toponymes sont formés à partir d’un élément relevant du champ sémantique de l’eau. À titre d’exemple, täouârdé (fem. sing. ; plur. Tiouârdiouîn) : creux naturel dans le rocher où l'eau de pluie s'amasse et se conserve ; se dit de tout creux naturel dans le roc propre à conserver l'eau de pluie, qu'il contienne de l'eau ou non, de n'importe quelle dimension (Foucauld, 1951-1952, p. 1524). Quelques termes utilisés dans la désignation de parties du corps humain et/ou animal, ont aussi un sens hydrographique, de la même manière que nous parlons d'un « bras de rivière ». Par exemple : - Tit (fem. sing., plur. tittaouin) : œil ; source, - Imi (masc. sing., plur. imawan) : bouche ; orifice, débouché, embouchure, - Ta£pd£pda (fem. sing.) : tronc humain, vallée maîtresse d’un réseau eau hydrographique hiérarchisé, - Azar (masc. sing., plur. izerwan) : nerf, veine ; vallée sèche bien visible dans sa linéarité, - Tadïst (fem. sing., plur. shidusen) : ventre ; vallée bien marquée, plus large et plus enfoncée qu'azar, - Arori (masc. sing., pl iroran) : dos ; artère maîtresse d’un réseau hydrographique hiérarchisé, épine dorsale d’un grand bassin versant, - Täsa (fem. sing., pl tissätten) : foie, ventre ; cuvette, fond de vallée circulaire ou ovoïde, - Adekel (masc. sing., plur. idukal) : paume de la main ; vallée plate non arborée ne qu'un seul exutoire, - Adar (masc. sing., plur. Idaran) : pied, patte, jambe ; portion, branche de vallée allongée encaissée, - Adri (masc. sing., plur. idran) : fente, crevasse entaillant le talon ; ulcère, gerçure; source issue d'une fente, d’une profonde excavation dam le rocher (Bernus, 1987, p. 176-178).

17 L’on remarque que cette désignation est fondamentalement anthropomorphique de certains éléments du réseau hydrographique. Il est intéressant de signaler que tasa et arori sont également utilisés pour les dénominations de parenté. Tasa est relié à la lignée maternelle et arori à la 1ignée paternelle (Claudot, 1986, p.193). Du point de vue de l'onomastique, l'étude des noms des tribus touarègues de l’Ahaggar relevés par Foucauld (1940), montre que certains d'entre eux sont liés à des ternes désignant les cours d'eau. Cela peut s'expliquer par le fait que les personnes prennent le nom du lieu

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où elles vivent. Il convient de noter qu'une certaine « hiérarchie de la nature », ou du moins un certain ordonnancement des cours d'eau et des points d'eau, est conservée lors de l’utilisation des noms dans la dénomination des tribus. Ainsi, certains toponymes sont à la fois des repères et des éléments descriptifs dont certains sont repris dans les anthroponymes et les ethnonymes pour caractériser les populations qui ont des rapports particuliers avec des espaces/sites. Par exemple, l’onomastique des noms de tribus renvoie souvent aux cours d’eau. Les exemples ci-dessous sont tout à fait explicites : - Kel-e£azer (litt. « ceux de la vallée »), nom d'une tribu noble de l'Aïr, - Kel-inrer (litt. « ceux d’inrer »), avec inrer qui signifie ravin, affluent ou sous-affluent d'un e£azer nom d'une tribu plébéienne de l'Ahaggar, - Kel-ânou-ouechchëren (litt. « ceux du puits vieux »), nom d'une tribu noble de l’Aïr, - Kel-£arous (litt. « ceux de £arous », ave £arous « puits profond »), nom d'une tribu noble de l'Aïr, - Kel- i-n-toûnîn (litt. « ceux d'un des puits pour l’arrosage' »), nom d'une tribu plébéienne dépendant des Täitok (Foucauld, 1940, p. 221, 189, 179, 233, 180).

18 La corrélation anthroponymique, ethnonymique, toponymique et topographique se compose aussi d’une variété de formes onomastiques parfois patronymiques.

Patronymes comme substituts onomastiques

19 Certains patronymes endogènes connotent des références individuelles, tribales ou familiales tandis que d’autres font allusion à des événements passés, ou encore à des détails de la vie quotidienne, des bornes routières ou territoriales. Nous listons là, ceux faisant allusions aux noms de personnes : In taglé ou in Tchinikar (masculin), « né pendant la transhumance » (le déplacement ou encore celui du déménagement) ; Enizbi (masculin), « né pendant la transhumance vers le sud » ; Amud (masculin), Tahamud (féminin), « né (e) au cours d’un mois festif » ; Kasko (masc.), Takaskote (fem.), « celui ou celle dont tous les grands frères sont décédés en bas âge ». La tradition dit au septième jour de la naissance, jour du baptême, de mettre la tête du bébé dans un canari, puis on casse ce canari (tout en protégeant la tête du bébé). Au 14 ème jour, on rase le bébé en laissant sept touffes de cheveux sur sa tête. À chaque anniversaire, on supprime une touffe jusqu’à la dernière (7ème anniversaire) ; Tiddar (fem.), Iddar (masc.), bébé ayant survécu à un danger, à une maladie grave avant sa naissance et donc « (le) vivant » ou « (le) bienveillant » ; litinine (masc.), « né le lundi » ; Anaba (fém.), « née le mercredi » ; Ilhimis (masc. et fem.), « né(e) le jeudi » ; Ilgimat (fem.), « née le vendredi » ; Issibit (fem.), « née le samedi » ; Alat (masc.), « né le dimanche » ; Maouli (masc.) « né au cours du mois où l’on célèbre le Mouloud » ; Kandé (fem.), « la fille dont tous les grands frères sont de sexe masculin » ; Tanko (masc.), « le garçon qui n’a que des grandes sœurs » ; Ekawel (masc.), anthroponyme métonymique faisant allusion à la coloration noire de la peau et dont on hérite le nom attribué dès la naissance ; Tamallat (fem.), allusion métonymique à la coloration blanche ou de la peau blanche ; Wazodan (masc.), « celui dont on croit du bien », bienfaisance ou (le) bienfaisant, sorte d’appellation choyée des bébés ; Amagergs (masc., fem. Tamagergs) connote un(e) fortuné(e) ou l’aisance ou encore la réussite dans la richesse matérielle, etc. En revanche, Amazray (masc.), Tamazray (fem.) celui/ celle né(e) après la mort du père ; Amatkhol (masc.), connote un prestige pour réussir la vie et dont on croit du bien dans la vie, (le) glorieux (fem. Tamatkhol ou « (la) glorieuse ») ;

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Wannalxer, « celui de la paix » ; Tannalxer « celle de la paix » ; Tandǝrrăt, « celle qui est petite » ; Intagle, « celui du déménagement » ; s himumenin, « les croyantes » sémantiquement polysémique, à la fois toponyme et anthroponyme féminin.

20 Ainsi, la patronymie sous plusieurs mentions reflète parfois l’environnement saisonnier pendant lequel l’individu a vu le jour. On ne peut s’empêcher donc de mentionner que certains anthroponymes sont ancrés, attribués, classifiés ou orientés selon la cosmogonie à travers la mobilité périodique voire même climatique. Il est important de mentionner que la quête cosmogonique s’appuie sur des figures mentales et de rhétorique, des techniques savantes qu’il faut connaître pour s’orienter dans le Sahara d’un point de vue nocturne. Par exemple, dans la myriade des constellations qui guident les mouvements de la caravane, apparait d’abord tafella (celles du dessus, les quatre étoiles qui forment le carré de Pégase), ensuite émergent dans les différentes subdivisions nocturnes successivement et respectivement : timighgit (les deux étoiles de la constellation du bélier) qui donnent à leur tour la direction de l’est. S’ensuit après satchchi ou encore « les sept petites » appelées également les filles de la nuit, « chat ehad », les pléiades, puis kokayad ou aldéraran, l’insomniaque guettant, sans succès, les filles de la nuit, et enfin amanar ou « le guide », Orion, où l’on reconnaît sa tête, son turban, son sabre, ses bras et ses pieds. Les caravaniers marquent une pause avec l’apparition du dernier repère céleste ibikas (constellation du chien) et au retour, ils prennent pour repère Venus « la traite des chèvres 13». De ce fait, certaines catégories de noms propres et communs rappellent des référents métaphoriques figurés et connus dans les oscillations saisonnières ou cycliques voire liturgiques. Le recours à la métaphore est fréquent chez les Tamasheq dans de diverses et multiples configurations ethnonymiques et toponymiques. Par exemple, certains patronymes sont appréhendés comme moyen de mettre en image le cycle périodique ou saisonnier : Un prénom comme Enizbi (masc.) rappelle que le jour de la naissance de l’enfant était pendant la transhumance vers le sud ou plus spécifiquement lors des caravanes. De même, In/taglé ou in Tchinikar (masc.), celui qui est né pendant la transhumance (déplacement). D’autres revêtent une substitution tantôt liée aux célébrations liturgiques tantôt au calendrier agraire rappelant des situations et/ou des événements voire des instants cérémoniels, mensuels, rituels, etc. Dans ce schéma, divers patronymes sémantiquement chargés circulent entre Ger-mudan, Ger-maddan ou encore « entre les fêtes » et la période de la culture locale de moisson dite ummud ou oummoud. En plus d’exprimer la symbolique saisonnière ummud et mensuelle Ger-mudan, Ger-maddan, ces deux termes vernaculaires sont tributaires de patronymes connus et baptisés localement. En cela, une multitude d’onomastiques est empruntée de l’appellation saisonnière. Partant de la racine du terme tamasheq, les patronymes suivants en plus d’être soit affectés d’un préfixe soit d’un suffixe, selon le genre (masculin, féminin), sont agglutinés dans la résonance mensuelle de Ger/mudan, Ger/maddan onzième mois de l’année ou entre les fêtes ou encore ummud ou la saison de la moisson. Il s’agit de Amud, Mudda, Amado, Emud, Madalo, Mude pour le nom masculin et de Immudan, Tchimmadan, Tchimmadanete, Tchimmi, Tchimmo, Tahamud, pour le nom féminin. Il en est de même pour Akassa et Teksa noms féminins connotant littéralement quelqu’un qui est né pendant la saison des pluies. Dans la même corrélation patronymique et saisonnière, on ne peut passer sous silence ces autres occurrences anthroponymiques à savoir Mawli, Moulay qui sont masculines connotant des similitudes sémantiques, culturelles voire nominatives avec Mulud, tellit/tan/gani, Mawli/wa/yazzaran, Awje/-azzaran ou encore le premier faon de gazelle qui désigne le troisième mois de l’année

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correspondant au mois du Mulud communément appelé Gani en Tayert (mois rappelant l’anniversaire de la naissance du prophète Mohamed PSL). Localement, le mois est aussi divisé en sati ou semaines. Une semaine est composée de sept jours. Les dénominations des journées sont ici empruntées à l’appellation arabe. Nous avons (a) litinine qui désigne le lundi, atalata, le mardi, anarba, le mercredi, alhamis, le jeudi, algumat, le vendredi, assibit, le samedi, alat, le dimanche. De ces corrélations onomastiques dérivent des patronymes (masculins et féminins) qui soulignent ainsi le grand événement familial à travers notamment la célébration des rites et cérémonies. Un autre répertoire onomastique riche trouve son évocation et traitement avec des noms d’animaux sauvages et domestiques. À titre évocateur, nous avons les onomastiques animales suivantes : Amaïs ou Adal (« le guépard »), Illu ou Illo (« l’éléphant »), Abegi (« le chacal »), Tazori (fem.), Azori (masc.) (ou « hyène rayée »), Aykhar (« chien » masc., fem. Teykar), Abal, balilan, Tabalal, Abalabal, (« autruche »), Efarghas (« tortue »), Ezambaw (« fourmi »). Traditionnellement, on ne doit jamais prononcer le nom d’un parent, ni d’un homme décédé. Aussi, lorsque cohabitent deux homonymes et que l’un d’eux vient à mourir, on donne un surnom au survivant pour éviter de prononcer ce nom : Anamaghru (homme), Tanamaghrut (femme), c’est ainsi que se désignent mutuellement deux hommes ou deux femmes qui portent le même nom. Certains anthroponymes font référence à l’activité professionnelle comme Amawal (masc.), Tamawal (fem.) qui veut dire littéralement « berger, éleveur ». Il y a même ceux qui font allusion à la fraction tribale comme Eghawel (masc.), qui veut dire littéralement « ancien esclave affranchi ». De nos jours encore, on entend aussi des prénoms comme Ténert (« antilope »), Tahenkot (« gazelle »), ekiji (« coq) », Karzo (ou le fennec ou renard du désert ou du sable), Eridal (« hyène rayée »), Awaqqas (« lion »). Des clans, chez les Kel Ghela, ont pour ancêtre des animaux ou des personnes portant des noms d’animaux (la gazelle, la hase, etc.), (Camps,1995, p. 152). Une tribu Kel-Ewey se nomme Kel Afis (« ceux de l’hyène ») d’où les onomastiques de efes (masc.), tefes (fem.). En d’autres termes, une grande partie du patrimoine patronymique chez les Touaregs s’est construit à partir de données ethnonymiques, toponymiques, topographiques avec des substituts onomastiques à la fois sociologiques, anthropologiques, linguistiques et historiques ainsi que les éléments du milieu naturel.

Marques comme substituts onomastiques

21 La marque d’identité patronymique ou ethnonymique d’un groupe ou d’une tribu, d’une famille, d’un individu a donc une fonction symbolique et nominale. Chez les Kel Aïr, on distingue plusieurs marques ou substituts onomastiques, patronymiques ou ethnonymiques. Ils ont une fonction symbolique ou nominale : ceux à base du feu, à la lame, et des tatouages à argile sans occulter ceux liés au henné. En d’autres termes, quelle que soit la facture, la composition d’une marque permet d’expliciter et de préciser l’identité du maître ou des propriétaires de l’animal. C’est en fait comme si le bétail, laissé librement au pâturage, portait sur lui la carte d’identité de celui qui le possède. En raison de cette ancienne tradition, les nomades pouvaient laisser divaguer leurs animaux durant plusieurs jours voire des semaines sans aucun souci. En effet, même si le bétail s’égarait, on pouvait le retrouver grâce aux marques généralement connues de tous les vrais nomades, même si le bétail sortait des zones de nomadisation de la confédération, de la tribu ou du territoire des propriétaires. (Aghali Zakara, 2010).

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22 De nos jours encore, les marques de bétail ou ejwel continuent de servir de moyen de retrouver les animaux perdus ou volés. Ce sont des variantes distinctives, personnelles à quelqu’un ou communes à une famille et à une tribu, indiquant que l’animal ou l’objet qui la porte appartient à un membre de telle famille. Par exemple pour les gros animaux (camelins, bovins, parfois asins), ils sont marqués au fer (endel) mis au feu, alors que le petit bétail (ovins et caprins) porte plutôt des entailles aux oreilles. Ces signes ont des dénominations endogènes telles que askom ou « le crochet », adad ou « le doigt », tagiyst ou « la flèche » représentant la trace de la patte de l’outarde. L’emplacement de la marque donne les mêmes précisions surtout en ce qui concerne le chameau : sous l’œil, l’oreille, sur le cou, à droite ou à gauche. Tous ces détails rassemblés permettent d’identifier la tribu, la famille ou parfois le propriétaire ou le chef. Ces différentes marques portent un symbolisme ou un aspect de l’organisation sociale. (Bernus, 1991, p. 189). La majorité des pasteurs recourt au marquage et la communauté touarègue en fait un usage judicieux. Les techniques traditionnelles de base demeurent sensiblement les mêmes dans toute cette société pastorale où le cheptel constitue l’essence même de leur vie. Les marques véhiculent toujours des valeurs précises. La force prégnance de certaines marques d’identité est telle que celle- ci est transformée en un réel patronyme : le nom de la marque ne représente plus un onomen mais est devenu un véritable énoncé onomastique (Drouin, 1995, p. 73). Ainsi, la marque « patte d’outarde », tegayest a donné son nom aux Kel-Agayes « gens de la patte d’outarde », tribu noble des Iwellemmeden Kel Ataram du Mail ; les Kel Ashget « tribu de l’Azawagh, Kel-Ataram », ont la marque ashget ; les Kel-alekkod ou « ceux à la cravache » ont pour marque alekkod « cravache » (associée à la takhamimt) ; les Kel-Esshin- Kemmedan « ceux aux deux trait » ont pour marque deux trait verticaux. Voici quelques exemples de principales marques de propriété du bétail chez les Kel Tamasheq : - I adad « doigt », le doigt qui crèvera l’œil de celui qui tentera de toucher à l’animal. Ce signe peut être vertical ou horizontal, selon son emplacement (cuisse, cou, tête …) et le groupe, la tribu ou la famille qui se l’est attribué. - ▬ taswoq, tägaleyät, alekkod, « cravache, verticale ou horizontale ». 2E - 27 ) allekkod, cravache circulaire formant anneau. - = coup de cravache sur la cuisse. - Ψ tegayest emprunte d’outarde ou egayes/ ägayes, ou a/far/n/ägayes, patte d’outarde, placée sur le cou, c’est une marque de Kel-Agayes, tribu noble des Iwellemmedäan Kel Ataram, au Mali. - IoI ettebel ou tambour de chefferie. - ++ shiqqit ou brûlure. - + shiqqit ou brûlure. - // ꝩ Kprad /in/ tākoba/d iyāt/ n/allagh/, pff-/I/eder-in, littéralement trois coups ceux de l’épée et une lancée de javelot, lâche-moi mon bien (c’est-à-dire ce châtiment qui te seras réservé si tu touches à mon bien). - IOI Kel Agadez, côté gauche du cou (différence de localisation).

23 En zone touarègue, les marques de propriété ne sont appliquées qu’aux animaux qui sont identifiés comme possession d’un groupe ou d’une confédération ou d’une famille. Dans certains groupes ethniques sédentaires, peuples haoussa de Doutchi au Niger par exemple, il existe une tradition selon laquelle les membres de ces ethnies affirment leur identité par des marques ou scarifications sur leur propre visage : les Touaregs désignent ces populations par l’anthroponymes Kel-Tegyast « ceux aux balafres, aux

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scarifications » (patte d’outarde). Ce terme Kel-Tegyast, « ceux aux cicatrices, aux incisions », peut servir aussi à désigner les agents de santé, chargés de la vaccination, c’est-à-dire ceux qui font des scarifications, des incisions, nom commun ou nom collectif d’une corporation (Agali Zakara, 2010, p. 75).

24 Cet anthroponyme néologique désigne donc une catégorie professionnelle. En revanche, il convient de ne pas confondre cette terminologie contemporaine avec le signe représentant l’image de l’empreinte d’une patte d’outarde egayes, marque de propriété de Kel-Agays, tribu noble de Touaregs faisant partie des Iwellemmedan Kel Ataram, vivant dans l’Azawagh malien. Comme on vient de le constater, la marque comme onomastique permet soit de renforcer soit d’identifier les relations intercommunautaires au sein d’un espace pluriethnique ou pluriculturel. En symbolisant les toponymes tribaux et confédéraux, par le biais de l’onomastique ou du bien patrimonial, le marquage animalier se pose ainsi comme un topique d’inscription de l’identité culturelle commune aux groupes sociolinguistiques. Toutefois, la création ou la notion du patrimoine toponymique figure également en tant qu’objet de nomination ou de symbolisation animale dans d’autres occurrences endogènes. Les exemples suivants sont tout à fait explicites : Anu-n-edjan qui veut dire littéralement « le puits des ânes » ; Afis14 qui signifie littéralement « hyène rayée ». Cette dernière déclinaison toponymique fait allusion non seulement au nom local d’un puits et d’un oued connus, mais désigne aussi un ethnonyme, nom d’une tribu Kel Ewey de l’Aïr en l’occurrence les Kel Afis ou « ceux de l’hyène ».

Conclusion

25 La création toponymique/onomastique aux portes du désert saharien nigérien est sans aucun doute un de ces lieux privilégiés de la mémoire collective. Exprimée dans la langue tamasheq, elle peut évoquer des spécificités telles que l’histoire linguistique et culturelle, l’existence du peuplement d’un arbre (talat n-alaw), ou animal particulier (aw-bagzan par exemple), la topographie du terroir (mare, plaines, montagnes, plateaux…), l’orientation (Aïr par exemple), la présence d’un cours d’eau, d’une hauteur naturelle, l’existence d’un lieu de culte, d’un hameau etc. Se déployant sur de nombreux éléments de la nature en se superposant aux attributs humains, les expressions toponymiques se sont pas des désignations figées. Elles sont autant que les sociétés qui les utilisent, sans cesse en mouvement. Elles connaissent des mutations et sont, pour cela même des pivots de l’histoire linguistique et socioculturelle, du patrimoine oral et identitaire. En récapitulatif, on remarque que les marques de propriété participent à l’expression de l’identité des personnes, des groupes ou de principales tribus ou confédérations et que le procédé est unanimement employé dans le vaste espace touareg, Ahaggar, Aïr, Adghagh, Azawagh, Udalan. En définissant la fonction et la symbolique de chaque élément de la nature, les syntagmes onomastiques endogènes ont servi et servent encore à déterminer dans un élan tribal, la ligne territoriale qui se dessine autour d’un groupe de personnes ou de son appartenance à une entité familiale ou confédérale à partir de laquelle l’individu s’oriente et inscrit ses marques ou ses activités. On le sait le patrimoine toponymique touareg est attesté par de nombreuses histoires dont certaines ont laissé des onomastiques qui constituent de véritables bibliothèques.

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BIBLIOGRAPHIE

Aghali Zakara M., 2010. L’identité touarègue. Unité et diversité d’un peuple berbère, en contribution à l’étude des sociétés africaines. Thèse de doctorat soutenue en 2010, à l’Université de Paris 3.

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NOTES

1. Dida Badi dans une étude non publiée rapportait que le terme touareg (sing. targui ; fem. sing. Targiya ; Fem. plur. targiyat) est l’arabisation du toponyme « Targa », qui est le nom vernaculaire de la région du Fezzan, en Libye. Etymologiquement, le terme de [targa] signifie le canal d’irrigation, la rigole, le caniveau. Il n’est pas sans intérêt de noter que la région du Fezzan (Targa), où se trouve la ville de Djerma (Garama), est le berceau de la civilisation garamantique. Selon Hérodote, qui les a cités au Ve siècle avant Jésus Christ, les Garamantes, qui étaient des sédentaires, ont pratiqué l’agriculture. Le terme [garamante] est tiré de la racine [G R M] qui a donné (aghrem), ou village, cité. Il est à signaler que les Touaregs sédentaires se donnent le nom de « Kel Aghrem », vocable signifiant les « sédentaires », par opposition aux imghad terme désignant les bergers de chevreaux, les pasteurs nomades, en fait, ici, Dida faisait l’hypothèse de lier l’origine du savoir agricole des Touaregs sédentaires du Tassili n’Ajjer à ces Garamantes de l’antiquité. Cependant, nous maintenons, dans cet article, le vocable [touareg], sous ses différentes déclinaisons, pour nommer et qualifier ces communautés et ce, en raison de sa large diffusion dans la littérature ethnologique la concernant. Toutefois, il faut signaler que les Touaregs, eux-mêmes, s’appellent les Kel tamasheq, terme qui fait référence à la culture et nullement à une race spécifique. 2. La plupart des informations que nous exploitons proviennent d’un corpus plus large que nous avons recueilli lors de nos sessions de recherche. 3. Il faut noter l’importance de la littérature géographique arabe elle-même parfois issue de Ptolémée pour ce qui est des toponymes de l’intérieur de l’Afrique. En ce sens le Niger a souvent été opposé au Nil. 4. Egraw s’il s’agit de la racine verbale, ce n’est pas le sens premier car, egraw, verbe signifie en tamasheq trouver. 5. Tawit dénomme une plante non persistante qui pousse abondamment après les pluies dans certaines parties de l’Ahaggar situées entre 2000 et 3000 mètres d’altitude (Foucauld, 1951, p. 148). Ce même auteur donne une chronologie des années 1860 à 1906 (chronologie probablement recueillie chez les tributaires dag Ghali de l’Atakor) parmi lesquelles figure un certain nombre d’années caractérisant les déplacements massifs des Kel Ahaggar sur de riches pâturages localisés dans leur sphère d’influence politique. 6. Gagnol, 2001. Kel Afala littéralement « ceux du haut ». Il s’agit du terme employé par les agadéziens pour nommer les habitants des Kel Ferwan au-delà de la « falaise » de Tiguidit qui se trouve sur un plateau appelé « Tadarast », du nom de l’arbre, adaras », donc en dessus d’Agadez et de la plaine Talaq. Par ailleurs, les Kel Ferwan portent toujours le nom de la vallée d’origine, Iferouāne, au nord de l’Aïr. 7. Turban ou Tegelmust (chez les Touareg) est le nom berbère du chèche servant à cacher son visage à la colère, à l’orgueil, à la souffrance, à l’amour, à la mort a valu d’ailleurs aux nomades du désert leur surnom « d’hommes bleus » car par cette bande de tissu, teinte d’indigo et déteignant sur la peau, une fois enroulée autour de la tête, ne laisse plus apparaître que les yeux. 8. Même les autochtones sont incapables de donner le nom de famille ainsi que le lignage du jeune marié en question. 9. Vient du verbe tuffa donner en tamasheq takelawayt ou tayert. Tanafut, « don », peut avoir pour synonyme : apport, soutien, contribution, etc. 10. Lire à ce propos Bourgeot, 1992 au sujet de aw Bagzan. 11. Le cheval aw-bagzan désigne aussi une race de chevaux native de l’Aïr. 12. Ici l’on obtient une connotation toponymique et ethnonymique forte dérivée à partir du nominal « aw » et « kel ». Ce dernier désigne les habitants d’une région, d’un pays, d’un terroir. 13. Pour plus de détails sur la cosmogonie ou l’orientation de la caravane dans le désert lire Gagnol (2001).

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14.

INDEX

Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

GHOUSMANE MOHAMED Ghousmane Mohamed, [email protected], est docteur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey (Niger) & à la Bayreuth International Graduate School of African Studies (BIGSAS, Allemagne). Il a récemment publié: - Mohamed G., 2017. The Performative value of the traditionally uttered word of the Tuareg of the Aïr Niger. Asian Journal of African Studies (AJAS), vol. 42. - Mohamed G., 2018. Sahara et Identité : Le Touareg de l’Aïr (du Niger) face à ses espaces. CELAAN, Revue du Centre d’Etudes des Littératures et des Arts d’Afrique du Nord, vol. XV, n° 2&3, p. 74-103.

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Nommer les biens du Patrimoine mondial : processus de patrimonialisation et réinvention toponymique

Christophe Gauchon

Introduction

1 Le 22 juin 2014, le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco annonçait l’inscription de la Grotte ornée du Pont-d’Arc, dite Grotte Chauvet-Pont-d’Arc, Ardèche sur la liste du Patrimoine mondial. Or, en 2007, la France avait déposé ce bien sur sa liste indicative comme « la grotte ornée Chauvet Pont d’Arc ». La longue préparation du dossier de candidature avait donc intégré une évolution toponymique qui peut sembler anecdotique au regard des enjeux d’une inscription sur la liste du Patrimoine mondial. Les conflits avec les inventeurs, les contentieux financiers, les exigences du marketing touristique et territorial avaient amené l’État français à délaisser le nom initial qu’il avait pourtant officialisé dans plusieurs actes, et à en promouvoir un autre. Parallèlement, au printemps 2015, ouvrait la restitution de la grotte Chauvet, équipement touristique qui allait accueillir des centaines de milliers de visiteurs sous le nom de « caverne du Pont d’Arc » ; mais quatre ans plus tard, pour la saison 2019, ce nom est modifié et devient « Chauvet 2 », sans que l’on connaisse la part respective des raisons commerciales et juridiques. Ainsi mesure-t-on bien comment les enjeux patrimoniaux et touristiques peuvent concourir à la production néotoponymique. Les multiples interactions entre reconnaissance patrimoniale et valorisation touristique se traduisent ici par des allers-retours entre un référentiel toponymique strict (Pont d’Arc) et un référentiel anthroponymique qui a pris valeur de toponyme (Chauvet).

2 La question ici posée est donc celle du rapport entre patrimonialisation et production toponymique. En quoi le choix du nom participe-t-il à la construction de la valeur patrimoniale d’un bien ? Les liens entre patrimoine et toponymie sont le plus souvent

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envisagés à sens unique, les toponymes étant identifiés comme autant d’éléments du patrimoine culturel immatériel (Jullian, 1923 ; Wydmush, 1998). Ce point de vue a fait l’objet de nombreuses études, y compris sous le parrainage du groupe d’experts des Nations-Unies pour les noms géographiques (Cantile and Kerfoot, 2016). Or il ne s’agit pas seulement de considérer les noms de lieux pour leur valeur patrimoniale, mais aussi de prendre en compte la façon dont la mise en valeur des patrimoines s’accompagne d’une production toponymique.

3 Lorsqu’un espace protégé est créé, il convient toujours de doter le Parc national, la réserve naturelle ou le site classé d’un nom officiel qui figurera dans le décret de création puis dans la nomenclature en usage ; ainsi le Parc national des Écrins, créé en 1973, a-t-il promu un nom resté jusque-là plus confidentiel que Pelvoux ou Haut- Dauphiné mais qui s’est rapidement s’imposé par rapport à eux. Ces noms ont été plus ou moins réfléchis et débattus, ils servent les intérêts de tel groupe, ou bien permettent de gagner l’adhésion de tel autre (Gauchon, 2014). Ces noms ont aussi la particularité de confondre en une seule et même appellation un espace et le statut qui lui est associé, renouant ainsi avec une logique de production toponymique remontant au moyen-âge (Villefranche, Savigné-l’Évêque, Choisy-le-Roi…).

4 En 2019, vingt-huit nouveaux biens, situés dans vingt-cinq pays différents, ont été inscrits par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine mondial ; un vingt-neuvième, le lac d’Ohrid, a fait l’objet d’une importante extension sur sa rive albanaise. La liste de ces vingt-neuf biens montre une grande diversité des noms par lesquels ils sont désignés : certains sont d’une extrême simplicité (Babylone1), d’autres donnent lieu à des formulations plus compliquées (Parc national de Vatnajökull, la nature dynamique du feu et de la glace), d’autres encore ne comportent aucune mention explicite de leur localisation (Tombes de la culture Dilmun).

5 Et il en va ainsi pour l’ensemble des biens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial : dès lors que la Convention du Patrimoine mondial (1972) énonce comme critère d’inscription des biens leur valeur universelle exceptionnelle (notion répétée trois fois dans l’article 1 et trois fois encore dans l’article 2 de la convention), les noms produits peuvent être autant d’arguments forgés dans ce sens. Les 1 121 biens inscrits2 entre 1978 et 2019 sur la Liste du Patrimoine mondial fournissent un riche corpus qu’il est alors possible d’étudier sous l’angle de la production toponymique : dans quelle mesure ces noms participent-ils de la démonstration de la valeur universelle exceptionnelle ? Comment s’articule la relation entre le nom du bien et l’argumentaire qui l’accompagne pour en établir l’authenticité, l’intégrité et la valeur universelle exceptionnelle ? Cet argumentaire vise-t-il toujours à universaliser le sens donné au bien, ou au contraire le spécifie-t-il parfois dans un contexte de concurrence exacerbée ? Le choix du nom rend compte de toute une gamme d’arbitrages entre l’ancrage particularisant et la tension vers l’universel. De plus, le nom est susceptible d’évoluer au cours de la procédure et d’alimenter une forme de prolifération toponymique : que nous apprennent les changements de noms ? L’une des difficultés à laquelle s’est heurtée cette recherche réside dans le caractère souvent lacunaire des archives de l’Unesco. Les documents disponibles sur le site du Patrimoine mondial se limitent en général à des relevés de conclusions, et les motivations des différents acteurs ne peuvent être reconstituées qu’indirectement, par exemple en les confrontant aux textes de doctrine qui accompagnent et complètent au fil des décennies la Convention de 1972, ou, pour notre cas, aux études générales sur la production néotoponymique.

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6 La production néotoponymique fait apparaître deux temps distincts : d’abord le choix du nom sous lequel le bien sera inscrit, avec une large gamme de formulations où le toponyme stricto sensu tient une place très variable (I) ; puis, dans certains cas, l’évolution de ce nom initial qui répond à un souci de remotivation toponymique (Kristol, 2002) (II). Une fois décryptés les arcanes de cette production toponymique, nous pourrons nous demander si elle sert réellement la valeur universelle exceptionnelle promue par l’UNESCO (III).

Nommer les biens pour construire le patrimoine

7 La patrimonialisation procède avant tout d’un discours performatif qui vise à conférer à un bien une valeur distinctive et un statut dérogatoire. Ce discours mobilise, entre autres, le registre des toponymes : chaque bien inscrit par l’UNESCO est désigné dans la liste du Patrimoine mondial par un nom. Avant de figurer dans le dossier de candidature, ce nom a fait l’objet d’une réflexion par l’État qui l’a d’abord inscrit sur sa liste indicative. Ce nom doit être cohérent avec l’intention qui a justifié la candidature, avec les critères retenus et avec la déclaration d’authenticité. Le nom est alors bien plus qu’une simple étiquette apposée sur un bien parmi d’autres dans une liste : il contient un message qui, projeté vers l’extérieur, doit donner de la force à une candidature et démontrer le caractère patrimonial du bien et sa valeur universelle exceptionnelle, puisque la demande de l’Unesco est formulée en ces termes.

8 Ce postulat implique que l’on ne considère pas la toponymie comme un simple héritage dont l’étymologie seule donnerait la clé. L’approche stratigraphique institue le toponyme comme un objet mort, souvenir d’une couche historique ou culturelle plus ou moins enfouie (Zadora-Rio, 2001). Or, les sociétés contemporaines produisent une abondante néotoponymie soit pour désigner de nouveaux lieux (quartiers d’affaires, zones d’activités, villes nouvelles…), soit pour tenir compte de nouveaux contextes géopolitiques ou culturels, soit pour proclamer le changement de statut de tel ou tel lieu (Giraut et Houssay-Holzschuch, 2008). Les toponymes peuvent alors être considérés comme des marqueurs territoriaux actuels et actualisés (Gauchon, 2010). Ils participent d’une volonté assumée d’affichage de l’identité du territoire, soit dans le sens de la conformité à un modèle validé, soit à la recherche d’une singularité qui le distinguera de ses pairs.

9 La « Convention concernant la protection du patrimoine mondial » adoptée en 1972 sous l’égide de l’UNESCO et depuis lors ratifiée par 193 États, prévoit clairement que les biens destinés à figurer sur la Liste sont localisés ; l’article 2 répète à deux reprises que les sites ou les zones seront « strictement délimités », et l’article 3 revient sur la nécessité « d’identifier et de délimiter les différents biens situés sur le territoire [de chaque État] », ce qui est une condition de leur protection, de leur conservation, de leur mise en valeur et de leur transmission (article 4). Le bien et le lieu où il se situe sont indissociables, et ce lien sera rendu concret par la mise en place de plans de gestion couvrant la zone délimitée. Dès lors, nommer ces biens signifie nécessairement nommer les lieux, et l’on peut considérer que les noms tels qu’ils apparaissent dans la Liste ont valeur de toponymes (Gauchon, 2007).

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Une première typologie des noms retenus peut être esquissée, selon un gradient de recours aux toponymes

10 Des biens dont le nom se résume à un seul toponyme, préexistant et employé absolument : ces appellations se retrouvent tout au long des 40 ans d’existence de la Liste, depuis Mesa Verde (reprécisé depuis en Parc national de Mesa Verde) ou Persépolis inscrits sur la Liste respectivement en 1978 et en 1979, jusqu’à Babylone ou Bagan en 2019. De telles appellations, plutôt minoritaires dans l’ensemble, supposent que ces biens bénéficient d’une notoriété suffisante pour se passer de toute précision. Les stratégies de dénomination varient aussi selon les États ; au Liban sur les cinq biens inscrits, quatre appartiennent à cette catégorie : Anjar, Baalbek, Byblos et Tyr, sans aucun autre élément d’appréciation, ni de caractérisation objective de la valeur du bien, ni de sa filiation historique ou culturelle, sans nom générique, sans mention de catégorie à laquelle rattacher ces biens. Cette sécheresse d’appellation répond peut-être à un souci de neutralité : le nom de Baalbek paraît suffisamment évocateur pour que l’État libanais n’ajoute pas le problème de l’identifier comme phénicien, romain, islamique ou croisé, puisque de fait il est tout cela à la fois !

11 Des biens dont le nom résulte d’une combinaison de termes spécifiques : le toponyme spécifique est éclairé par la présence d’un autre toponyme plus englobant qui signe à la fois la localisation et l’appartenance : Quartier de « Bryggen » dans la ville de Bergen (1979), Châteaux d’Augustusburg et de Falkenlust à Brühl (1984) ou Sansa, monastères bouddhistes de montagne en Corée (2018). Cette redondance donne d’ailleurs une indication sur la faible notoriété de ces monuments : Angkor ou la statue de la Liberté n’ont pas besoin d’un tel surcroît de précisions. Charge à l’argumentaire de préciser en quoi ces biens peuvent se prévaloir d’une valeur universelle exceptionnelle, ce que les noms, à eux seuls, n’indiquent guère. Il arrive que le deuxième toponyme soit remplacé par un adjectif qui assume les mêmes fonctions comme dans le Haut lieu tectonique suisse Sardona (2008). Le deuxième terme spécifique n’est pas nécessairement un toponyme, comme dans Les collines du Prosecco de Conegliano et Valdobbiadene (2019), où le nom du vin produit, plus connu que celui des villages, vient expliciter la raison d’être de cette inscription.

12 Des biens dont le nom se présente comme la combinaison simple d’une catégorie générique et d’un terme spécifique : Ville de Quito ou Île de Gorée inscrits en 1978, Cathédrale de Cologne (1996) ou Observatoire de Jodrell Bank (2019). La mention de la catégorie, soit dans une formulation tautologique (car que peuvent être Quito ou Gorée sinon une ville et une île ?), soit pour désigner un élément remarquable dans un ensemble plus vaste (Cathédrale de Cologne) vise à indiquer ce qui fait la valeur constitutive du bien ou à en faciliter la remémoration. De tels noms étaient fréquents dans les vingt premières années, même si des locutions descriptives plus élaborées étaient aussi mobilisées à côté des simples catégories génériques, comme pour les Églises creusées dans le roc de Lalibela (1978). Mais ces locutions descriptives n’ont cessé de se complexifier au fil du temps, dans le but de mieux faire valoir la spécificité de chaque bien pour en marquer l’originalité. La catégorie générique devient alors partie prenante de l’argumentation, comme dans : Complexe industriel de la mine de charbon de Zollverein à Essen (2001), Lagons de Nouvelle-Calédonie : diversité récifale et écosystèmes associés (2008) ou Paysage d’élevage et de dressage de chevaux d’attelage cérémoniels à Kladruby nad Labem (2019). L’équilibre des termes, dans ce dernier exemple surtout,

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suggère que la nature du bien telle qu’elle est détaillée prime sur sa localisation, le toponyme n’apportant qu’une précision complémentaire. Ici, en s’appuyant sur un toponyme spécifique préexistant, c’est la combinaison des termes spécifiques et génériques qui crée une nouvelle appellation et qui fonctionne comme un néotoponyme s’appliquant au lieu tel qu’il est patrimonialisé par son inscription sur la Liste. La mine de Zollverein ou les lagons de Nouvelle-Calédonie ne sont plus seulement désignés pour eux-mêmes mais pour leurs qualités éminentes qui leur valent cette inscription.

13 Des biens enfin dont les noms se présentent sans aucun ancrage toponymique ou avec un ancrage très lâche : dès les années 1980 étaient apparus sur la liste des noms qui référaient à un complexe culturel non situé, comme Bâtiments traditionnels ashanti (1980) ou La culture chaco (1987). Dès 1997, l’Italie avait porté la candidature des Résidences des Savoie, Savoie ne désignant pas ici la région mais la dynastie à l’origine de la création du royaume d’Italie en 1861. Puis le sultanat d’ fit inscrire coup sur coup le Sanctuaire de l’oryx arabe en 1994 (rayé de la Liste en 2007) et la Terre de l’encens en 2000, tous deux sans référence à une quelconque localisation. Plus récemment, deux biens ont été inscrits sur la Liste : L’œuvre architecturale de Le Corbusier, une contribution exceptionnelle au Mouvement Moderne (2016) et Les œuvres architecturales du XXe siècle de Frank Lloyd Wright (2019).

14 Ces noms génériques peuvent être accompagnés d’un toponyme qui donne une indication extrêmement large sur leur localisation, comme les Forêts primaires et anciennes de hêtres des Carpates et d’autres régions d’Europe (nom actuel après deux extensions successives du bien) ou Sites palaffitiques préhistoriques autour des Alpes (2011), sachant que dans ce cas, « autour des Alpes » s’étend aussi au Jura français, suisse et souabe... De tel noms présentent l’avantage de ne pas figer la délimitation du bien, qui peut être étendu à des forêts de hêtres, à des régions de culture de l’encens ou à des éléments de l’œuvre architecturale situés hors du ou des pays qui avaient été à l’origine de la candidature. On est ici fondé à s’interroger sur le statut réel de ces noms : sont-ils vraiment des toponymes ? Un toponyme peut-il être forgé sur le seul arrangement de noms communs et de termes génériques ? En toponymie historique, cela rejoint l’exemple bien connu de l’URSS, nom de pays qui ne référait à aucun espace particulier mais à une forme d’organisation politique.

15 Une telle dissociation entre le bien et le lieu reste très minoritaire dans la Liste, mais illustre une perméabilité croissante entre le Patrimoine mondial et le Patrimoine culturel immatériel qui font l’objet de deux conventions distinctes. Les architectures de Le Corbusier et de Wright ne sont pas intangibles, mais la dénomination des biens indique clairement que ce sont les œuvres de l’esprit qui sont patrimonialisées autant que les réalisations elles-mêmes. L’absence de toponyme spécifique peut même militer pour la valeur universelle du bien, et rejoint sous certains aspects les noms des pratiques inscrits sur la Liste du patrimoine immatériel.

16 Au regard de la toponymie, le statut des biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial n’est donc pas homogène. Mais ce statut est lié aussi à la configuration spatiale du bien inscrit. Sans qu’il soit question de faire correspondre strictement les catégories, les biens inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial s’organisent selon quatre modèles spatiaux : des localisations ponctuelles pour un monument isolé (logique de site) ; des régions plus ou moins vastes, souvent lorsqu’il s’agit d’un paysage culturel, comme le Paysage culturel de la Wachau en Autriche ; des biens qui s’organisent le long de routes ou

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d’axes variés, comme Qhapaq Ñan, réseau de routes andin (2014) ; et des biens dits sériels dont l’inscription crée une logique réticulaire. Or ce sont ces biens sériels, dont la localisation est moins contrainte et dont la liste résulte d’un processus de sélection souvent complexe, qui sont parfois dotés de noms sans dimension toponymique explicite, comme Le jardin persan (2011) ou les Cimetières de tombes médiévales stećci (2019, bien transfrontalier concernant quatre anciennes républiques yougoslaves).

Changer les noms pour remotiver la patrimonialisation

17 Les demandes de changements de noms sur lesquelles le Comité du patrimoine mondial statue lors de ses sessions annuelles prouvent l’importance accordée à la dénomination des biens dans le processus de patrimonialisation : en 2006, le Comité examina dix-huit demandes de changements de noms de biens déjà inscrits, émanant de sept pays différents (tableau 1 en annexe) ; en 2007, il a encore approuvé huit changements de noms dans cinq pays différents ; et en 2013, il en a approuvé sept autres, prouvant par- là que la Liste n’est pas stabilisée sur le plan toponymique. Les États demandeurs de ces changements expriment ainsi le souci que les noms figurant sur la liste correspondent bien à leurs intentions patrimoniales du moment. Ces changements peuvent intervenir dans différentes circonstances :

Changement de nom au cours de la procédure d’inscription

18 Entre le moment où un État annonce son intention de faire inscrire un bien sur sa liste indicative et le dépôt de la candidature auprès de l’Unesco, il se passe souvent une dizaine d’années, parfois plus. Dans cet intervalle, la construction de la valeur patrimoniale se poursuit : études diligentées pour affiner la connaissance objective du bien, sensibilisation des populations et des acteurs du territoire pour les préparer et les mobiliser en vue de l’arrivée du label tant convoité, mise à niveau des protections règlementaires en conformité avec la législation de l’État partie, finalisation des mesures de gestion, prise en compte des avis des experts internationaux… Le nom du bien a donc le temps de changer plusieurs fois au cours de ce processus. Ces évolutions ne sont pas toujours bien documentées ; on peut en relever certaines, mais sur leurs véritables raisons, on ne peut guère que conjecturer à partir de quelques exemples :

19 Depuis 1996, la liste indicative de la France comportait un bien dénommé « Albi : ensemble urbain de briques, cathédrale, Palais de la Berbie, Pont sur le Tarn ». En 2010, le bien fut inscrit comme Cité épiscopale d’Albi. Ce nouveau nom gagnait en concision, il évitait la mention d’une énième cathédrale sur la liste des biens français et il mettait mieux en évidence la cohérence du bien3. Quelques mois plus tard, le 17 mai 2011, la commune d’Albi déposait le nom « Albi : la cité épiscopale » comme marque auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) pour toute une série de biens et de services (classes 1 à 45 dans la nomenclature). Ainsi les termes de « cité épiscopale » associés au nom d’Albi bénéficient-ils d’une double promotion, l’une d’ordre symbolique (l’inscription par l’Unesco), l’autre plus strictement économique (la marque déposée), et toutes les deux convergent autour d’un nom érigé comme nouvel emblème brandi par la cité tarnaise.

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Changement de nom à l’occasion d’une extension du bien

20 Les trente-deux Beffrois de Flandre et de Wallonie, inscrits en 1999, se trouvaient en Belgique. Le bien ayant été étendu en 2005 à cinquante-cinq Beffrois de Belgique et de France, la référence aux deux régions majeures de la Belgique s’est effacée devant le nom des deux États. Comme plusieurs régions françaises étaient concernées (Picardie et Nord-Pas-de-Calais dans le découpage alors en vigueur), il n’était pas facile d’allonger la liste des régions, d’où le changement de référentiel spatial.

21 Il en est allé à peu près de même en Suisse : l’ensemble Jungfrau-Aletsch-Bietschhorn avait été inscrit en 2001. Paysage de haute-montagne marqué par le plus grand glacier des Alpes, il était désigné par la juxtaposition de trois toponymes spécifiques dont l’intelligibilité était peut-être limitée. Lorsqu’il fut étendu en 2007 de 53 900 à 82 400 hectares, il changea de nom et devint : Alpes suisses Jungfrau-Aletsch, et cette extension donna aussi l’occasion d’introduire l’adjectif « suisse » qui qualifie désormais deux des onze sites inscrits par la Confédération ! L’extension spatiale fournit ainsi une occasion de reformuler le nom du bien et de réorganiser l’énoncé de sa valeur patrimoniale, même si ce choix n’est pas systématique puisqu’en 2019, en s’étendant sur la rive albanaise, le Patrimoine naturel et culturel de la région d’Ohrid a gardé son nom antérieur.

Changement de nom suite à une remotivation de l’inscription

22 Dans ce cas, le bien lui-même reste inchangé mais son nom évolue à la demande de l’État-partie. En 1979, la France avait fait inscrire sur la Liste un cinquième bien alors appelé Grottes ornées de la vallée de la Vézère, dont la grotte de Lascaux constituait l’élément phare, mais elle était accompagnée de quatorze autres sites : les uns sont en effet des grottes ornées (abri du Poisson, grotte de Rouffignac) alors que d’autres correspondent à des sites archéologiques sans art pariétal (abri de Cro-Magnon). En 2006, lors de la 30ème session du Comité du patrimoine mondial, le nom a été complété en Sites préhistoriques et Grottes ornées de la vallée de la Vézère : le périmètre restait inchangé, les critères d’inscription n’étaient pas modifiés, mais le nouveau nom rendait mieux compte de la réalité du bien4. Cette même année, la France avait ainsi demandé et obtenu quatre autres changements de noms, toujours dans le but de gagner en précision dans la nouvelle énonciation.

23 Dans le même ordre d’idées, Le Caire islamique (classé sous ce nom depuis 1979) devenait en 2007 Le Caire historique, au motif que « le bien couvre des monuments de différentes époques »5. Parfois les nuances sont subtiles et peu motivées : inscrite depuis 1982, La vieille Havane et ses fortifications est ainsi devenue en 2013 La Vieille Havane et son système de fortifications6 !

24 Dans plusieurs cas, le changement de nom permet aussi de faire valoir des éléments de la langue ou de la culture locale : en Australie, le Parc national d’Uluru (Ayers Rock-Mont Olga) avait d’abord été inscrit en 1987 comme bien naturel. En 1994, en glissant vers la catégorie « paysage culturel », il devient Parc national d’Uluru-Kata Tjuta, le changement de catégorie et de nom marquant un travail de réappropriation du site par la culture aborigène : Ayers Rock, le nom anglo-saxon du fameux monolithe de grès rouge, a ainsi disparu de la liste, laissant la place à un nom rendant mieux compte de la place de ce géosymbole dans la cosmogonie aborigène. Idem pour SGaang Gwaii au Canada, dont le toponyme colonial (Île Anthony) jusque-là inscrit entre parenthèses, disparaît en 2006.

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À un autre stade de la prise en compte des toponymes locaux, l’Ensemble archéologique de la vallée de Boyne (Irlande), inscrit en 1999, a été renommé en 2013 Brú na Bóinne - Ensemble archéologique de la vallée de Boyne pour mettre en avant le nom gaélique. Cette évolution rejoint le mouvement de restitution toponymique à l’œuvre dans de nombreuses parties du monde (Giraut et al., 2008) et dont la patrimonialisation est un des moyens de propagation.

Comment (re)nommer Auschwitz ?

25 Lorsqu’en 1979, la Pologne fit inscrire sur la liste du Patrimoine mondial le Camp de concentration d’Auschwitz, elle déposa à dessein le nom allemand et non pas le nom polonais d’Oswiecim. Pour rappel, Oswiecim se trouvait en Pologne avant septembre 1939 et avait été annexée après septembre 1939 à l’Allemagne (province de Haute- Silésie), d’où la germanisation du toponyme ; cette dissociation d’avec le nom local et l’emploi intentionnel d’un exonyme sont exceptionnels dans la Liste et marquent une volonté évidente de mise à distance par l’État-partie à l’origine de l’inscription, i.e. la Pologne. Ce recours à un exonyme est d’autant plus notable qu’un souci de « polonisation » du souvenir était en même temps observé dans le processus de muséification du camp (Szurek, 1990). Mais la mémoire de la seconde guerre mondiale a tellement installé Auschwitz dans la conscience humaine que Camp de concentration d’Auschwitz, dans sa forme ramassée, traduisait mieux qu’Oswiecim la signification universelle exceptionnelle de ce bien.

26 En 2006, le Comité du patrimoine mondial examina la requête de l’État polonais qui visait à changer le nom du bien pour « Ancien camp de concentration allemand nazi d’Auschwitz-Birkenau », l’approuva sur le principe mais subordonna sa décision à l’affirmation des programmes éducatifs autour de l’histoire d’Auschwitz. L’année suivante, il admit la transformation du nom qui devint : Auschwitz-Birkenau, avec comme sous-titre camp allemand nazi de concentration et d’extermination, 1940-1945. Cette appellation est exceptionnellement complexe et précise au regard de la multiplicité des champs sémantiques sollicités ; dans la liste de l’Unesco, il s’agit du seul bien qui se voit attribué un sous-titre.

27 Le nom proposé en 2006 puis le nouveau nom adopté en 2007 vont dans le sens d’une spécification plus forte en identifiant explicitement les bourreaux sur un double plan national et idéologique (allemand nazi) d’où une mise à distance encore plus marquée du point de vue polonais, et en cadrant la période chronologique concernée. Le premier nom, même s’il était en partie inexact sur le plan historique (le terme de Camp de concentration ne rendait pas compte de la réalité propre d’Auschwitz), tendait beaucoup plus vers l’universalité en mettant en avant le seul nom d’Auschwitz sans qu’il soit nécessaire de préciser davantage. Le nom validé en 2007 est historiquement plus rigoureux (Auschwitz-Birkenau et camp de concentration et d’extermination) mais au risque de diluer la force de l’expression initiale.

28 Bien sûr, la dimension toponymique ne constitue qu’un des aspects de la mise en mémoire complexe et souvent conflictuelle d’Auschwitz. Ce cas tout à fait particulier montre les enjeux attachés au choix de l’appellation et à sa réévaluation à trente ans d’intervalle (1945-1979-2007), en fonction des événements politiques, historiographiques et mémoriels qui se sont déroulés dans l’intervalle.

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À travers les noms du Patrimoine mondial, la réalité de la valeur universelle ?

29 Nous avons cité supra les noms de quatre biens inscrits par le Liban, pour leur sécheresse d’énonciation : Anjar, Baalbek, Byblos et Tyr. Mais, à l’opposé, le cinquième bien libanais, inscrit après la fin de la guerre civile, en 1998, s’intitule de façon complexe et polyglotte : Ouadi Qadisha ou Vallée sainte et forêt des cèdres de Dieu (Horsh Arz el-Rab) ; le nom associe deux toponymes spécifiques transcrits de l’arabe et des catégories descriptives qui fonctionnent aussi comme des traductions partielles des noms arabes. Ce nom ne rattache la valeur patrimoniale du bien à aucune communauté particulière, alors que son inscription le désignait manifestement comme haut lieu des Maronites (Pasquier, 2011). Mais le dispositif spatial retenu et les enjeux culturels- confessionnels-communautaires, trois adjectifs largement synonymes au Liban, ne permettaient pas de désigner ce bien par une formule aussi laconique que les quatre autres.

30 De nombreux débats ont essayé de définir au plus proche la Valeur exceptionnelle universelle ; si l’on se réfère à la déclaration des experts réunis en 2005 par l’ICOMOS7 : « Valeur universelle signifie qu’un monument, site ou ensemble a une valeur qui dépasse la valeur locale ou régionale pour atteindre une valeur qui peut être considérée comme universelle »8. Et plus loin : « Pour déterminer si un bien a une valeur universelle exceptionnelle, il faut : a. définir ses qualités, b. considérer la valeur de ses qualités, c. considérer si cette valeur est locale, régionale ou universelle »9. Autrement dit, « la valeur universelle exceptionnelle signifie une importance culturelle et/ou naturelle tellement exceptionnelle qu’elle transcende les frontières nationales et qu’elle présente le même caractère inestimable pour les générations actuelles et futures de l’ensemble de l’humanité »10. Dans ce texte, il est patent que l’universalité dépend du caractère hautement exceptionnel du bien ; les deux adjectifs « universelle exceptionnelle » ne sont donc pas sur le même plan. L’universalité résulte d’une somme de caractéristiques convergentes, et justifie que « l’humanité tout entière » (aux termes de la convention de 1972) s’implique dans la préservation de ce patrimoine.

31 Le croisement de ces deux définitions montre qu’une distinction doit être opérée entre une valeur strictement locale ou régionale, et une valeur locale ou régionale associée à une portée universelle. Les biens culturels s’inscrivent d’abord dans une culture locale, régionale ou nationale avant d’acquérir une portée plus générale, voire universelle.

Des noms mis au service des particularismes ?

32 Chaque État élabore ses propres stratégies à la fois dans le choix des biens à faire inscrire et dans la façon de les dénommer, les deux se combinant pour parvenir à la patrimonialisation la plus efficace. Le passage en revue de la liste du Patrimoine mondial livre quelques appellations qui semblent miser sur les particularismes plus que sur l’universalité. Ces noms sont minoritaires mais l’on peut ainsi distinguer : - des noms qui mettent en avant la dimension nationale, en mentionnant soit le nom du pays, soit un adjectif de nationalité : Paysage culturel du café de la Colombie (2011) ; Villages historiques de Corée : Hahoe et Yangdong (2010) ou Haut lieu tectonique suisse Sardona (2008). Dans ce dernier cas, déjà cité, on s’étonne de l’association d’un adjectif de nationalité avec la mention d’un phénomène géologique… Lors de sa session de

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juillet 2019, le Comité du patrimoine mondial inscrit un bien naturel au nom fort contourné : Sanctuaire d’oiseaux migrateurs le long du littoral de la mer Jaune et du golfe de Bohai de Chine. Cette ultime précision est surprenante, puisque nul ne conteste que le golfe de Bohai soit entièrement en Chine et elle semble donc complètement redondante ; mais cette redondance légitimatrice rejoint des usages observables dans le langage courant, comme lorsque l’on parle du « Valais suisse ». - des noms qui s’ancrent dans une période historique particulière : Palais impériaux des dynasties Ming et Qing à Beijing et à Shenyang (1987) ou Résidences des Savoie (1997) ou Les Lombards en Italie. Lieux de pouvoirs (568-774 ap. J.C.) (2011). Le fait d’associer le bien à une période particulière de l’histoire ne peut pas masquer la dimension nationale sous-jacente. Dans le même registre, la Chine a ainsi fait inscrire le Mausolée du premier empereur Qin, les Tombes impériales des dynasties Ming et Qing, le Palais d’été, Jardin impérial de Beijing et le Temple du ciel, autel sacrificiel impérial à Beijing : soit pas moins de cinq biens, inscrits entre 1987 et 2000, dont les noms réfèrent explicitement au passé impérial de la Chine ! Sous couvert de valeur universelle exceptionnelle, la Liste du Patrimoine mondial est ainsi mise au service de l’exaltation de l’histoire de l’État partie. - des noms qui renvoient à une dimension ethnique ou culturelle : ils semblent moins nombreux. On peut citer les Bâtiments traditionnels ashanti, au (1980), qui évoquent à la fois une composante du peuplement et une période historique (XVIIIe- XIXe siècles), ou les Sites Gusuku et biens associés du royaume des Ryukyu, au Japon (2000), le terme Gusuku faisant référence à des communautés paysannes des XIe et XIIe siècles, ou les Anciennes cités pyu, au (2014). La liste du Patrimoine mondial montre ainsi un fort penchant pour la culture des particularismes, à l’échelle du pays ou de la région. Le dossier d’inscription des Églises romanes catalanes de la vallée de Boi est révélateur de cette tendance. Le nom retenu, avec le double adjectif, roman (style architectural) et catalan (ancrage territorial culturel), rappelle que le bien a été proposé par la Communauté Autonome de la Catalogne, comme le prévoit l’article 148 de la constitution espagnole (1978) définissant les domaines de compétences des régions et comme le précise le dossier d’inscription : « l’ensemble de la société civile et les institutions de la Catalogne ont donné leur consentement unanime à la demande d’inscription de la Vall de Boi en tant que Patrimoine mondial » ; l’État espagnol a porté le bien sur sa liste indicative en 1998 et en a obtenu l’inscription sur la liste de l’Unesco en 2000. Les « églises romanes catalanes » font ainsi écho au Palais de la musique catalane et hôpital de Saint-Pau de Barcelone, inscrits dès 1997.

Dans quelle langue désigner les biens ?

33 Au-delà du signifié, la langue est également mobilisée pour faire valoir l’ancrage des éléments du patrimoine. Lorsqu’une région, un lieu ou un bien sont désignés par une pluralité de noms dans différentes langues, l’État porteur de la candidature fait le choix d’un nom plutôt que d’un autre. Les appellations bi- ou plurilingues sont rares et se raréfient au bénéfice des seuls toponymes précoloniaux (cf. supra).

34 Ce choix comporte une dimension linguistique et, au-delà, participe de l’appropriation du bien : depuis son identification au milieu du XIXe siècle, le mont Everest a été connu sous au moins huit noms différents, sans compter les variantes de graphie ni les erreurs d’identification, et le nom retenu par l’administration impériale britannique a été contesté dès l’origine. Dans les années 1960, le gouvernement népalais a souhaité

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promouvoir un nom proprement népalais et inventa alors le nom de Sagarmatha pour désigner à la fois le massif et le point culminant lui-même (Unsworth, 1986). La pertinence de ce nom a été discutée, mais lorsque le Népal déposa la candidature au Patrimoine mondial, le dossier fut présenté sous le titre : Parc national de Sagarmatha. Les publications associées à l’Unesco désignent donc désormais le toit du monde sous le nom officiel retenu en 1979 au motif que « pour les Népalais, ce sommet incarne la déesse Sagarmatha » (Amaro, 1997).

35 L’éviction du nom tibétain de Chomolungma, pourtant attesté depuis bien plus longtemps, a été facilitée par le fait que le bien est inscrit dans des limites strictement népalaises sans dimension transfrontalière avec la Chine-Tibet. La présence de Sagarmatha sur la liste de l’Unesco évince à la fois le toponyme colonial plus identifié sur le plan international et le toponyme tibétain. Le nom promu vise donc à valoriser une approche nationale particularisante.

36 Il en va à peu près de même pour l’île de Pâques dont le paysage ponctué de grandes statues monolithes a été inscrit en 1995 sous le nom de Parc national de Rapa Nui, « nom autochtone de l’île de Pâques », de telle sorte que la liste présente une forme de dédoublement toponymique, la langue des Pascuans étant utilisée non pas pour désigner l’île elle-même mais le paysage culturel qui fait patrimoine. Cette inscription, dans ces termes, rejoint la question de la toponymie comme support d’affirmation des cultures autochtones.

37 En 2019, à la demande de l’, le Comité du patrimoine mondial a accepté que Kiev devienne Kyiv. Au contraire, la Jordanie avait obtenu en 1981 l’inscription de la Vieille ville de Jérusalem et ses remparts, dans la graphie habituellement retenue en Europe, perçue comme plus neutre, et non pas dans la transcription du nom arabe (Al-Quds), ni hébreu (Yerushalàyim).

Conclusion

38 Certains noms évoluent donc en gommant certains particularismes et tendent vers une plus grande universalité : ainsi le Mur d’Hadrien, inscrit par le Royaume-Uni dès 1987 a- t-il été étendu en 2005 à l’Allemagne sous la nouvelle appellation des Frontières de l’empire romain. Ce nom permet d’affranchir le bien d’une localisation particulière et d’intégrer un ensemble civilisationnel plus vaste ; ni l’ancien nom, ni le nouveau ne comportent d’ailleurs de référence toponymique explicite.

39 D’autres noms illustrent le souci de présenter des candidatures originales sans redondance avec des biens déjà inscrits, ce qui pousse les États à cultiver des formulations toujours plus particularisantes. Ainsi en 2015, la France a fait inscrire sur la Liste le vignoble de Champagne sous le nom sibyllin de Coteaux, Maisons et de Champagne, prolongeant ainsi la veine amorcée dès 1999 avec la Juridiction de Saint- Emilion. Alors que Les climats du vignoble de Bourgogne (2015), le Paysage viticole de l’île du Pico (Açores, , 2004) et Lavaux, vignobles en terrasses (Suisse, 2007) se donnent plus clairement pour ce qu’ils sont, Champagne et Bordelais avancent masqués et jouent la carte de la spécificité par rapport aux vignobles déjà inscrits. Toutefois, le recours à la métonymie (Debarbieux, 1999), les « maisons et caves » ou la « juridiction » pour désigner le paysage culturel organisé autour des vignobles, s’il peut flatter les

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sociétés locales, vise à sur-singulariser ces biens par rapport aux autres de la même catégorie et ne paraît pas de nature à faire valoir l’universalité de ces patrimoines.

40 Mais dans les faits, la tentation est forte d’utiliser le patrimoine pour fonder ou renforcer une démarche identitaire, à l’échelle des États ou à une échelle infra-étatique. D’où l’émulation entre les pays pour avoir le plus de biens inscrits sur la Liste ou, pour des micro-États, d’y faire figurer au moins un bien (Andorre, les Fidji ou la Dominique, par exemple) ; d’où la faible proportion de biens transfrontaliers qui ne favorisent pas ce type d’appropriation ; d’où l’effort pour estampiller des biens comme catalans, wallons ou lombards. Les noms peuvent aussi être choisis pour leur dimension territoriale et apparaissent comme autant de gages pris sur le règlement de conflits d’appropriation, par exemple lorsque la Roumanie a fait inscrire en 1993 un bien appelé Eglises de Moldavie ; ou lorsque la Serbie obtient en 2006 l’extension du bien Monastère de Dečani (d’abord inscrit en 2004) en y ajoutant trois autres églises ou monastères qui deviennent dès lors Monuments médiévaux au Kosovo11 ! On peut s’étonner que l’Unesco, agence de l’ONU, valide de telles appellations qui valent revendication géopolitique et remise en cause des frontières.

41 Le discours du patrimoine est un des moyens par lesquels se déploie la politique culturelle des États ; la politique toponymique, même si elle n’est pas toujours pensée comme telle, en est le prolongement. La liste du patrimoine mondial fournit de nombreux exemples de cette réinvention toponymique qui consacre, aux côtés des noms patinés par l’usage, des noms expressément construits à des fins de patrimonialisation. Plusieurs biens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial ont ainsi déjà eu trois noms différents. Ces pratiques engendrent une insécurité toponymique par la succession d’appellations susceptibles de se remplacer les unes les autres au gré des choix politiques, au lieu de s’installer dans le temps long des toponymes, rejoignant ainsi les mutations toponymiques qui accompagnent parfois les changements de régimes politiques. Demeure alors la question de l’usage de ces néotoponymes, de leur diffusion, et de leur capacité à s’imposer par rapport à des toponymes préexistants…

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NOTES

1. Dans ce chapitre, nous avons écrit en italiques les noms des biens tels qu’ils figurent (ou tels qu’ils ont figuré lorsqu’il y a eu changement) dans la liste de l’Unesco. En revanche, nous avons laissé « entre guillemets » les noms tels qu’ils figurent sur les listes indicatives. Seul le nom français est cité ici, mais nous avons systématiquement vérifié que le nom anglais n’apportait pas de nuance significative, les biens étant inscrits dans ces deux langues. Les documents de l’Unesco disponibles en ligne, les comptes rendus des sessions annuelles relèvent scrupuleusement les décisions prises, mais fournissent peu d’indications sur leurs motivations. 2. 1123 en réalité, si l’on tient compte des deux biens qui ont été rayés de la Liste en 2007 et 2009. 3. On note que le bien « Centre historique d’Avignon » a connu l’évolution exactement inverse (cf. tableau 1en annexe). 4. 30ème session du Comité du atrimoine mondial, Vilnius, décision 30 COM 8B.6. 5. 31ème session du Comité du patrimoine mondial, Christchurch, décision 31 COM 8B.2. 6. 37ème session du Comité du patrimoine mondial, Phnom Penh, décision 37 COM 8B.1. 7. ICOMOS : Conseil international des Monuments et des sites, organisation non- gouvernementale qui participe à l’expertise des biens du Patrimoine mondial. 8. Le concept de valeur universelle exceptionnelle, Conseil international des monuments et des sites, Icomos, Kazan, 6-9 avril 2005, p. 26. 9. Idem, p. 28. 10. Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, 2 février 2005, p. 15, § 49.

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11. Au 1er janvier 2019, le Kosovo n’est pas membre de l’UNESCO ni État partie à la convention du Patrimoine mondial ; ce bien reste donc sur la liste de la Serbie.

RÉSUMÉS

L’article interroge les noms des biens inscrits par l’Unesco sur la liste du Patrimoine mondial. L’analyse du corpus constitué par ces 1123 noms permet d’en proposer une première typologie selon leur niveau d’ancrage à des toponymes préexistants. Les changements de nom, au cours du processus d’inscription ou une fois cette inscription acquise, renseignent aussi sur l’intention des États parties et sur la façon dont ils se représentent les valeurs de la patrimonialisation. L’analyse de ces noms peut ensuite être confrontée aux textes de doctrine produits par l’Unesco sur la valeur universelle exceptionnelle. Dans quelle mesure les noms proposés participent-ils, ou non, de la démonstration de cette valeur universelle exceptionnelle ? Ou bien ces noms rattachent-ils ces biens à une appartenance historique, nationale ou ethnique, ce qui les particularise au lieu de les projeter vers l’universalité promue par l’Unesco ?

Naming the World heritage and characterizing the outstanding universal value. The paper deals with the naming of World Heritage sites as they are listed by UNESCO, as a form of semantic production. The names of the 1123 inscribed sites in 2019 are here analyzed, and a first typology is submitted. Sometimes, the names of the inscribed sites are modified either during the application or several years after their inscription. These changes show the will of members states of individualizing their own heritage, using native languages or imaginative names. Then, the analysis of these names could be compared with the doctrinal texts published by Unesco about the significance of Outstanding universal value. How the selected names can take part in making the proof of this Outstanding universal value? In the whole list, many names can be found with historic, national or ethnic mentions which aim at specific character more than universality promoted by Unesco.

INDEX

Mots-clés : patrimoine mondial, production toponymie, rhétorique patrimoniale, valeur universelle exceptionnelle Keywords : World Heritage, production of place names, heritage rhetoric, outstanding universal value Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

CHRISTOPHE GAUCHON Christophe Gauchon, [email protected], est Professeur à l’Université Savoie Mont Blanc-laboratoire Edytem. Il a récemment publié : - Duval M., Gauchon C., Malgat C., 2020. Construction de l’authenticité et expérience

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patrimoniale : conception et réception de la réplique de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc. Culture & Musées [En ligne], n° 35. URL: http://journals.openedition.org/culturemusees/5041 - DOI: https://doi.org/10.4000/culturemusees.5041 - Gauchon C., 2020. Espaces protégés et territoires labellisés : jusqu’où étendre les périmètres classés ? In Tanchoux P., Priet F. (dir), Les labels dans le domaine du patrimoine culturel et naturel. Presses Universitaires de Rennes, p. 369-380. - Christophe Gauchon, 2020. Friches (notice), Karst et milieux souterrains (notice), Stations de ski (notice). In Collectif, Dictionnaire critique de l’Anthropocène. Ed. du CNRS.

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What is not in a name? Toponymic ambivalence, identity, and symbolic resistance in the Nepali flatlands

Darshan Karki and Miriam Wenner

Introduction

1 Place naming plays an important role for the construction of national identity and nation building (Saparov, 2003; Pinchevski and Torgovnik, 2002; Yeoh 1996; Cohen and Kliot, 1992). Rulers also use place names to exclude local histories and identities, and to accentuate their authority (Njoh, 2017; Bigon, 2008). Such exclusion can result in resistance by those who feel a toponym confers a greater sense of belonging to a place to certain groups over others (Alderman, 2008; Dunn, 2003). This makes place naming an arena where different actors struggle for recognition and inclusion. In multi-ethnic and multilingual societies, place naming tends to be particularly complex given the need to represent multiple identities as has been documented in the cases of (Kapur, 2010) and (Guyot and Seethal, 2007). As our case shows, such struggles are accentuated during the process of territorial restructuring.

2 This paper examines the role of toponyms in struggles for ethnic recognition and belonging against the backdrop of federal restructuring in Nepal. More explicitly it asks: how do elites contest the meanings of and utilize place names to challenge existing notions of national belonging and underline demands for a territorial province or undermine these claims? We propose to understand toponyms as temporary anchor points around which elites strategically assemble otherwise ambivalent identities to place demands in ways that are understandable to state officials. However, in multi- ethnic and multilingual contexts as in our case, such attempts could entail further resistance by those who feel excluded from dominant naming-strategies. Accordingly, our case suggests placing a stronger emphasis on the temporary and strategic aspect of toponyms to critically question whose voices are represented or not in naming

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contestations. The analysis thereby helps us to rethink current understandings of naming as symbolic resistance.

3 Landlocked by India on three sides and to the north, Nepal is a suitable starting point for studying place naming for the following reason. Naming federal provinces remains at the heart of on-going debates about territorial restructuring and social inclusion in Nepal (Maharjan, 2018) as various ethnic groups struggle for recognition and their own provinces. After a ten-year long Maoist war (1996-2006), massive anti- government protests in the lowlands in 2007 and 2008, and the abolition of a 240-year- old monarchy in 2008, Nepal remained preoccupied with promulgating a constitution until 2015. Major disputes in the two constituent assemblies (CAs) elected to write the statute concerned territorial delineation of Nepal into federal provinces and their names. The first CA (2008-2012) identified two bases for demarcating boundaries, namely pahichaan (identity) and samarthya (capability)1 and three criteria for naming provinces: i) ethnic, linguistic, historical background, and cultural identity ii) geographic and natural particularities, and iii) a name liked by and agreeable to all and proposed a 14-province model (State Restructuring and Distribution of State Power Committee, 2010). The CA members, however, failed to reach consensus on the proposal and an expert panel was formed to come up with a new model for state restructuring. The panel could not present a unanimous proposal either2. Notably, ‘assigning names to the provinces blocked the whole prospect of promulgating a [new] constitution’ through the first CA (Bhandari 2014, p. 81, emphasis added). While the second CA, elected in 2013, promulgated a new constitution only four3 out of seven new federal provinces have been assigned a name while the others continue to be addressed as numbers.

4 This article focuses on the lowlands of Nepal, a culturally and ethnically diverse space that shares an open border with India, where province delineation and naming was highly contested4. Historically, the toponyms ‘Tarai’ and ‘Madhes’ have been used interchangeably by Nepali rulers to denote the lowlands (see Government of Nepal, 2017; Michael, 2010; Regmi, 1969). In recent times, however, the toponyms have gained prominence in Nepali politics due to their association with ethnic politics. Due to the plains’ geographical proximity to India and its inhabitants’ linguistic and cultural resemblance to north Indian caste groups, plains dwellers have always battled perceptions about their ‘Nepaliness’ (Gautam, 2008). Challenging such ‘internal othering’ (Johnson and Coleman, 2012), massive protests erupted in the region in 2007, 2008, and 2015-16 termed Madhes movements led by those who identify themselves and are identified as Madhesis, and Tharus, an indigenous group of the lowlands. This article investigates how the toponyms ‘Tarai’ and ‘Madhes’5 are related to the marginalization of Madhesis, and how they became instrumental in their struggle for belonging. We thereby place emphasis on the utilization and interpretation of these terms by elites with focus on the toponym Madhes. The toponym ‘Madhes’ is currently also under discussion as a name proposed for Province 26.

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Illustration 1 - Provinces of Nepal

Authors: Samuel Graf and Annina Helena Michel.

5 Topographically, the lowlands consist of 21 districts and is home to over 50% of the country’s population (Central Bureau of Statistics, 2016). The diverse population of the lowlands includes plains caste groups (see Rakesh 2015), the plains Janajati (indigenous) groups also called Tarai Janajati, Muslims, and Pahadis7 (people of hill origin). The plains caste groups including plains Dalits (4.5%) amount to 19.23% of the total population of Nepal. The plains Janajati groups and Muslims account for 9.74 and 4.4% of Nepal’s population, respectively (Kharel et al., 2016). There is no agreement, however, on who among these groups belongs to the category ‘Madhesi’. While the plains caste groups are included in the Madhesi category by most scholars there is no agreement on whether Muslims along with the plains indigenous groups such as the Tharus, and Pahadis who reside in the plains, can also be categorized as Madhesi or not8. The definitions of the ethnonym Madhesi, which group of people it refers to, differ on account of geographical principles such as origin and residency in the plains (Nayak 2011; Shah 2006) and non-geographical ones such as language (Gaige, 1975), caste (Bose and Niroula, 2015; Gautam, 2008), religion (Parveen, 2012; Hachhethu, 2007), and the experience of discrimination by the hill-centric Nepali state (Hachhethu, 2013; Dastider, 2013). This underlines the ambivalence of the term.

6 Understanding the Madhes movements as expressions of dissatisfaction with the exclusionary nature of Nepali national identity (Gautam, 2008), our study elaborates on how the toponym ‘Madhes’ and ‘Madhesi’, a toponymic identity, became highly contested terms in Nepali politics after the movements. We apply a critical toponymic approach (Vuolteenaho and Berg, 2009) to shed light on the ways in which toponyms are intertwined with ethnic politics. In Nepal, this particularly concerns ethnic groups’ demands to end the long-standing dominance of high-caste Hindus and increase their political power, revive their cultural practices, and create a more democratic state (Hangen, 2010)9. This article studies how elites, who identify and are identified as Madhesi and non-Madhesi, utilize toponyms to either underscore territorial claims and belonging to the nation or to undermine those claims. We consider the roles of elites

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such as politicians, activists, journalists, and political analysts to be crucial in shaping ongoing public discourses on nation-building and province naming in Nepal. The focus on toponyms and their ability to include or exclude certain meanings and identities not only helps us to question the notions of state-resistance but also sheds light on the gradual processes of the social construction of identities and belonging involved in territorial restructurings.

7 The remainder of this paper is divided into four sections. Section one details the concepts used in the paper. Section two provides a brief overview of Nepal’s political history and the Madhes movement. Drawing on empirical work, section three analyses the ambivalent meanings attached to Madhes, Tarai, and Madhesi in scholarly works; the strategic use and denial of the terms; and the ways in which Madhes and Tarai function as identity markers. Special emphasis is placed on toponymic ambivalence. The last section concludes with reflections on the implications of this research for critical toponymies.

Toponymy, identity, and ambivalent place names

8 Drawing upon critical studies on toponyms (Rose-Redwood, Alderman, and Azaryahu, 2018; Rose-Redwood, Alderman, and Azaryahu, 2010; Vuolteenaho et Berg, 2009), we understand naming to be a contested sociospatial practice that shapes identities and reveals power struggles among various actors with conflicting political objectives (Nash et al., 2010) and their attempts to gain legitimacy and visibility (Rose-Redwood et al., 2010). Place naming can thus be studied as an arena (Dwyer et Alderman, 2008; Alderman, 2002; Alderman 2000) of symbolic resistance for ‘challenging dominant ideologies about the past as well as a means of introducing new historical meanings and narrations of identity into the landscape’ (Alderman 2008, p. 205). While resistance can be confrontational at times, in its symbolic form it ‘involves the appropriation of certain artifacts and significations from the dominant culture and their transformation into symbolic forms that take on new meaning and significance’ for marginalized groups (Cosgrove & Jackson, 1984 as cited in Rose-Redwood et al., 2010, p. 463)10. However, framing toponymic resistance by clear oppositions is problematic (Rose- Redwood, 2008 ; Duminy, 2014). Treating dominant and marginalized groups as homogenous dichotomies can ‘oversimplify the multiple layers of contestation over social recognition among myriad groups’ (Rose-Redwood, 2008, p. 435). Our case shows how elites who claim to represent marginalized groups use essentialized, simplified categories as a strategy for political purposes. Such strategic essentialism or the tactic of downplaying differences among group members and projecting homogeneity to attain a political goal (Eide 2016) is ‘central to the practice of politicized ethnicity’ (Brubaker, 2002, p.166, emphasis in original).

9 To understand the importance of toponyms in struggles for recognition and belonging, it is important to investigate the ways in which ‘people seek to control, negotiate, and contest the naming process’ (Rose-Redwood et al., 2010, p. 457). Based on this premise, our paper asks: how do elites contest the meanings of and utilize place names to challenge existing notions of national belonging and underline demands for a territorial province, or undermine these claims? Guided by this question, we analyze the contestations surrounding the dual names of the flatlands of Nepal: Tarai and Madhes. In doing so, we seek to address a gap in the study of the politics of naming in

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Nepal. Available studies on the names of places (Malla, 1996; Gurung, 1996; Malla, 1984; Malla, 1981) and rivers (Malla, 1983; Witzel, 1993) all take an archaeological, etymological approach to trace the change in names from their prehistoric tribal origins to Sanskritized versions due to ‘Hindu political-cultural domination’ (Malla, 1996, p. 1). The writings are studies on place names. Our paper, however, is about place naming or an analysis of ‘the procedures of and stakes at play when giving a certain name to a specific place’ and a scrutiny of ‘stakeholders, public debates on toponymy, and the wider political dimension of naming’ (Giraut et Houssay-Holzschuch, 2016, p. 4).

10 The empirical part of the paper draws upon 34 in-depth, semi-structured interviews (Bray 2008) with elites (seven politicians and political analysts and 10 activists and journalists each) that Darshan Karki conducted in various locations (Kathmandu, Rajbiraj, Dhalkebar, Lahan) across Nepal in January and February 2017 11. While we acknowledge that the focus on elites, or ‘a group of individuals, who hold, or have held, a privileged position in society’ excludes colloquial usages, meanings, and feelings attached to toponyms, we assume that elites ‘are likely to have had more influence on political outcomes than general members of the public’ (Richards 1996, p. 199). Therefore, it is important to consider the way they use and interpret toponyms to frame debates about nation-building and belonging. Additionally, we use articles on the contestations surrounding the toponyms Madhes and Tarai, depending on their availability online, published in Nepali language news portals, newspapers, and magazines as these platforms play a critical role in advancing discussions on contemporary political issues in Nepal. The next section gives a brief overview of nation-building in Nepal and the related marginalization of people living in the plains to contextualize how Tarai and Madhes became instrumental toponyms in struggles to make the Nepali state more inclusive. We focus on the ways in which various social movements since the 1990s, in particular the Madhes movements challenged dominant notions of belonging to the Nepali nation.

Legacy of exclusion and the Madhes movements

11 The history of discrimination against the people living in the lowlands of Nepal is as old as the history of modern Nepal. In 1744, Prithvi Narayan Shah, a king of a hilly statelet in western Nepal called Gorkha, launched an ambitious bid to expand his kingdom laying the foundations for the modern state of Nepal (Gellner, 1997). The Gorkhali state acquired possession of the plains by conquering hill kingdoms that claimed them and the ‘Nepal Tarai took nearly hundred years to crystallize in its present form (1760-1860)’ (Michael, 2010, p. 8). The 1816 Sugauli Treaty with the British East India Company after the Anglo-Gorkha War (1814-16) eventually marked the beginning of the territorial and national identity of Nepal (Warner, 2014). Importantly, throughout the 18th and 19th century the movement of people from the plains to the hills was restricted for tax collection and strategic reasons. Kathmandu rulers further adopted a policy of barring Tarai inhabitants from politics, civil administration and the army and thus ‘the Tarai region was treated more as a colonial possession serving the economic and other interests of the Kathmandu-based aristocracy and bureaucracy, who were invariably of hill origin, than as a constituent unit of the newly-founded Kingdom’ (Regmi 1984, p. 13).

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12 State-promoted and fostered Nepali nationalism in the mid 20th century further perpetuated this exclusionary practice. The 1962 Constitution of Nepal promulgated by king Mahendra promoted an official version of nationalism whose basic tenets were Hinduism, monarchy, and Nepali language (Malagodi, 2015; Onta, 1996). The king’s autocratic Panchayat regime further promoted a Nepali identity based on one language, one costume, and one country drawing on the cultural tenets of the ruling upper-caste Hindus from the hills (Sijapati, 2013). While this was exclusionary for all indigenous and minority groups in Nepal, it was even more pronounced in the case of plains people as it not only failed ‘to recognize the distinctiveness of Madhesis and the Tarai region… but “misrecognized” them by privileging [hill] traditions and norms they could not completely identify with’ (Sijapati, 2013, p. 151).

13 The Panchayat was eventually overthrown and the 1990 Constitution defined Nepal as ‘a multi-ethnic, multilingual, democratic, independent, indivisible, sovereign Hindu and Constitutional Monarchy’ (His Majesty’s Government 1992, p. 1). It created political opportunities for marginalized groups to mobilize and assert their identities and demands (Hangen and Lawoti 2013). However, it was the Maoist war (1996-2006) that effectively brought ethnic grievances to the fore and ‘challenged the established basic tenets of Nepali nationalism’ (Hangen and Lawoti 2013, p. 17). The Maoists proposed an ethnic identity-based restructuring of the country laying the foundations for acrimonious debates in the two CAs on the proposed names and boundaries of federal provinces in Nepal (Paudel, 2016). While the ethnic rhetoric inspired demands for ethnicity-based provinces throughout the country, protests were especially pronounced in the lowlands.

14 Occurring at the heels of the Maoist War, the 2007 Madhes movement built upon a long history of defiance against the exclusionary notion of Nepali nationalism both in the plains (see Thakur 1995) and the mountains. During several, at times violent protests until 2016, the movement raised the following demands: the delineation of province boundaries12, delineation of electoral constituencies based on population, inclusive proportional representation of all ethnic groups in state organs, and change in citizenship provisions (International Crisis Group, 2016). For Madhesis, the Madhes movement raised questions such as, ‘Why should I as a Madhesi conform to the dominant notion of national identity [that draws upon the cultural traits of hill high castes] in Nepal? Why is my cultural identity not accepted in the pan-Nepali discourse (Interview with activist, February 6, 2017)?’ The movements not only underscored the exclusionary nature of Nepali nationalism but also asserted pride and ownership of the terms Madhes and Madhesi thus firmly embedding place-naming in struggles for national belonging which will be elaborated upon in the next section.

Madhes and Tarai: Naming as contested arena

Ambivalent meanings

15 Nepal scholars broadly use Madhes to refer to a geographic, cultural, or political space but there is no agreement on what that entails. Geographically, there is disagreement on whether Madhes includes mid-mountain areas or not (Hachhethu, 2007; Shah, 2006). Lal (2013) contends that Madhes is associated with the culture and civilization of the plains while Tarai only denotes the flatlands and not the people living in it. Subedi

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(2016) goes a step further and claims that in the aftermath of the 2007 Madhes movement, Madhes is no longer just a signifier of a place in Nepal but rather a special political word. These varied definitions of the Madhes are also reflected in the ever- evolving interpretations of Madhesi. How then do political actors handle such complexities in their endeavor to gain recognition of a region and its people from a state that requires clear demarcations of groups and territorial boundaries? What are the implications of such toponymic confusion for our understanding of naming as symbolic resistance?

Strategic use and denial of Tarai and Madhes by politicians

16 This section discusses the ways in which political party leaders strategically utilize or deny place names, and how the multiple meanings attached to toponyms reveal their respective agendas and situational needs.

17 Madhesis see their marginalization clearly reflected in the connotations of the toponyms Tarai and Madhes, and in the ways they are utilized or denied by politicians. In contrast to the understanding of Madhes as a comprehensive term that incorporates the cultural practices, lifestyle, values, and costumes of the people residing in the plains (Lal, 2013), the common interpretation of Tarai, by most interviewees, was that it only indicates flat terrain. Tarai is also understood as a technical term used in official documents disconnected from human experience and devoid of emotions (Interview with journalist, February 11, 2017) while Madhes also includes both the place and polity in it (Interview with journalist, January 9, 2017). Madhesi activists also perceive Tarai as the state’s or outsider’s term indicative of an exclusive idea of the Nepali nation.

18 Amongst leaders of two major Nepali parties, the CPN-UML13 and Nepali Congress, however, there is an evident discomfort to call the flatlands of Nepal Madhes, and even the Nepali national anthem uses Tarai to denote the lowlands. The two parties are ‘perceived as wary of meaningful federalism and statutory measures to promote inclusiveness’ (International Crisis Group 2016, p. 29). Reportedly, some leaders of the Nepali Congress, CPN-UML, and the UCPN (Maoist) would get annoyed by the very mention of the terms [Madhes and Tharuhat14]. Madhav Kumar Nepal, a UML leader, explained the reluctance to mention Madhes in a government-released statement announcing the promulgation of the Constitution of Nepal 2015, to the newspaper Rajdhani (2015, p. 2, translated from Nepali): ‘There is cunning hidden in this word’. Surya Thapa (2017, translated from Nepali), a UML Central Committee member, writes in Kantipur: Geographically and historically speaking, ‘Madhya Desh’ or Madhes does not lie/fall within present day Nepal. Therefore, its usage is wrong. … Based on caste or ethnicity, ‘Madhesi’ is nobody’s surname. Linguistically, there is no place where ‘Madhesi’ language is spoken. Rather, Madhes seeks to collectively represent different areas where people speak Maithili, Awadhi, Bhojpuri, Tharu, Rajbansi, Urdu, Bajjika. There is no distinct Madhesi culture either. Historically, we find ‘Mithila’, ‘Simraungadh’, ‘Birat’ and ‘Sen’ kingdoms, but a ‘Madhes’ rajya [nation- state] did not exist anywhere…Yet, there have been efforts to instigate people in the name of ‘Madhes’, weaken the Nepali state and further one’s self-interests with the threat of secession…

19 For some politicians, the term Madhes is an ostensibly unruly, conflict-ridden space that challenges the basic tenets of Nepali identity, an affront to their politics. Such

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refusal to explicitly mention the name of the region indicates how places are either created or obliterated through text (Dwyer and Alderman, 2008). The denial of toponyms in speech and writing is a symbolic rejection of all associated identities and claims tied to them, and thus perpetuates the marginalization of certain groups. Consequently, there are forceful counterarguments and resistance against the denial of the existence of Madhes, such as this excerpt from an election manifesto of Tarai- Madhes Loktantrik Party [Tarai Madhes Democratic Party] (2013, 2, translated from Nepali): Despite an intense desire to earnestly fulfil our responsibilities… and live as common Nepali citizens…we were always treated as second-class citizens. We were called derogatory names such as Marsya, Madhise, Dhoti, Indian and even Mana Makhu Marsya Kha [‘Not humans but Marsyas’ in the language of the Newars, an indigenous group of Kathmandu Valley who practice caste hierarchy (Gellner, 1986)]… But once we accepted and owned that discriminatory word with great courage and began calling ourselves Madhesis…these people [hill rulers] reacted as though they had been bitten by a mad dog and clamoured, ‘Where is the Madhes? We do not know where the Madhes is.

20 Yet, politicians, including those from the UML, are rather strategic in their use of the toponyms. A journalist noted that in mixed settlements in the flatlands – areas including Pahadis, Tharus and Madhesis – politicians, irrespective of their ideologies, use the term Tarai but switch to Madhes in plains caste groups-dominated areas (Interview, January 9, 2017). Empirically, it contrasts activists’ assertions of Madhes as a more inclusive term for the Nepali flatlands. Likewise, the growing usage of Tarai- Madhes in Nepali politics – instead of Tarai and Madhes as standalone words – as a referent for the plains is also indicative of the recognition of both the diversity of the flatlands and its indisputable place in the Nepali nation (Upreti, Paudel, and Ghimire, 2012).

21 The strategic use of toponyms extends to Madhesi politicians too and is most apparent through the change of names of their political parties. When asked about the reason behind having both Tarai and Madhes in the party name, the Chairperson of Tarai Madhes Loktantrik Party [Tarai Madhes Democratic Party] (TMLP), Mahanta Thakur, explained that while people use both Tarai and Madhes to refer to the plains, ‘Madhes refers to the land, its culture, and the people in totality. Tarai only refers to the land. But the term Tarai also indicates that the flatlands below the hills also belong to Nepal. So, it is called Nepal Tarai (Interview with Mahanta Thakur, February 4, 2017).’ But after the 2015 Madhes movement and prior to local elections in 2017, six plains-centric parties including TMLP, removed Tarai, Madhes, or Madhesi from their party names to form Rastriya Janata Party Nepal [National People’s Party Nepal]. ‘It was done because it is not suitable to engage in national-level politics by associating the name of a political party with a certain geography, ethnicity or community’ (Jitendra Sonal, Secretary of the Rastriya Janata Party Nepal, quoted in Ratopati, 2017). These instances underscore the fluidity of meanings attached to toponyms, since politicians make use of toponymic ambivalence by foregrounding the meanings suitable to their respective agendas. Toponyms, thus, are not just a ‘product of social power but also an important conduit for achieving power’ (Rose-Redwood et al., 2018, p. 11, emphasis in original). The toponym Madhes helped establish Madhesi identity in the Constitution of Nepal 2015 as bona fide Nepali citizens so it seems to have arguably fulfilled its purpose 15. However, such political instrumentalization of Madhes is only one aspect of the broader struggle

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for the recognition of the toponymic identity Madhesi and belonging as the following section details.

Madhes and Tarai as markers of belonging

Activists’ and politicians’ use and disuse of as well as the reluctance to utter the words Madhes and Tarai is embedded in the politics of identity and belonging in Nepal. The etymological association of Madhesis with Madhes not only helps underscore and strengthen Madhesis’ ties to the Madhes (and to Nepal) but is also an act of symbolic resistance against the othering of Madhesis as Indians16. This was made evident by activists and politicians in the interviews where they defined Madhes as a place that exists only in Nepal, not in India. They further defined Madhes as a space where Madhesis belong to instead of claiming Madhes to be an exclusive space for the Madhesis. Therefore, despite the need to highlight the ties with people living across the border in India to distinguish Madhes and Madhesis from the dominant hill identity of the country propagated by the Nepali state, the relative dislike of the term Tarai and the promotion of Madhes and Madhesi suggests an active reappropriation of the words transformed from derogatory markers of nationalist doubt into proud markers of identity and belonging. As a political analyst shared, The word that was a source of inferiority complex became a matter of pride for Madhesis. This is a contribution of the 2007 Madhes Movement. It increased the social acceptability of the Madhesis in hill areas.

22 The diversity of the Nepali lowlands, however, problematizes the privileged association of one group identity – Madhesi – with the place, Madhes, over others. Madhesi as a proud marker of identity and belonging works exclusively for those who identify with it and not for everyone residing in the plains: For instance, in 2009, a government decision to ‘classify the Tharu as Madhesi’ triggered violent protests (Guneratne, 2010, p. 19). The Government of Nepal eventually signed an agreement with the representatives of the indigenous Tharu communities recognizing that ‘all indigenous nationalities, Madhesis, Dalits, Muslims, minority communities in the country, including the indigenous Tharus of the Tarai, have their own unique identities’ (Wakugawa, Gautam, and Shrestha 2011, p. 140). It was followed by a similar agreement between the Government of Nepal and the Joint Muslim National Struggle Committee.

23 Pandey (2017) argues that the protests by the Tharus were an outcome of the Madhesi parties’ failure to recognize the diversity of the region and an agitation against the demand to create a single province in the plains. The demand for an autonomous province by plains-centric political parties across the plains after the Madhes Movement 2007 predicated on downplaying heterogenous group identities in the plains. It was a useful strategy to bolster the claim for a province and an advantageous initial bargaining position. This demand was amended to two provinces in the plains only after protests by the Tharus. Therefore, Bose and Niroula (2015b, p. 128; see also Ghimire, 2013) contend that ‘the construct of Madhesi identity is assimilationist and hegemonic’.

24 The assimilatory utilization of Madhesi identity can be understood both as a strategic use of essentialism and as an outcome of an encounter with a state that demands simplification of complex social realities. As a political analyst (Interview, February 15, 2017) explained:

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Madhes is a political space and Madhesi is a political identity. People call it an ethnic identity. But Madhes is a multi-ethnic space. It has Maithil identity, Bhojpuri identity, Awadhi identity, Tharu identity, Muslim identity, and various castes, those who call themselves high castes, low castes, Dalits all of whom have different languages and culture. So Madhesi is a political identity. A political space does not coincide with geographic space as it is a space of the imagination and emotion. A political space or political identity looks for similarities to create unity, which does not mean uniformity. As Madhes is a political identity there is a search for unity. It is not uniform but has become unified due to the state.

25 The meanings attached to Madhes and Madhesi as well as the position taken by Tharu activists and leaders on the categorization of Tharus as Madhesis and the toponym Madhes in 2009, however, have both undergone multiple changes which highlights the fluidity of toponyms and meanings associated with them during territorial restructuring. With regards to the Tharu-Madhesi naming contestations, some Tharu politicians and activists continue to dissociate with the term Madhesi while others now identify with it (See Sarwahari et Chaudhary, 2017). These developments highlight how toponymic meanings are malleable in an ethnically plural context.

26 Any attempt at fixing the meaning of these terms and their associated identities is therefore rendered temporary and an expression of changing political agendas in an attempt to reduce social complexity adapted to the logic of the modern state (Scott, 1998). Yet, alike the state logic of simplification, our case highlights the strategic need for marginalized groups to downplay cultural, linguistic, religious, and ethnic differences to legitimize certain definitions of toponyms and toponymic identities that make sense to them and their cause at a certain political juncture and not necessarily all the people residing in that place. While such projection of homogeneity among heterogeneous identities can be a useful strategy for establishing a toponymic identity, it inadvertently prolongs naming contestations. Place naming, even within the framework of resistance, could still be perceived as an imposition (Palonen, 2018).

Conclusion

27 This paper sought to understand how elites utilize toponyms, in a context where the meanings attached to toponyms and associated identities are highly ambivalent, to either underscore territorial claims and belonging to the nation or to undermine those claims. To do so, it analyzed the multiple meanings attached to the toponyms Tarai and Madhes with an emphasis on the latter, to depict how the interpretation, insistence on the usage, and denial of Madhes became instrumental to the symbolic resistance against an exclusionary idea of the Nepali nation and the struggle for belonging to it.

28 A critical toponymic approach helped us shed light on the complexities and contradictions in place naming processes when they are entangled with ethnic politics. First, toponymic ambivalence is both a boon and a bane for political actors. It can be a resource when a specific toponym and toponymic identity is used to confront dominant notions of belonging, and when existing ascriptions are challenged through a reappropriation of a term. For example, the reinterpretation of Madhes and Madhesi from derogatory markers of ‘Indianness’ to proud markers of belonging to a more inclusive Nepal. Toponymic ambivalence, however, is a bane when the choice of one name over another excludes other groups’ preferences. Second, the demonstrated

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adaptability of toponyms to changing political contexts, for instance from Madhes to Tarai-Madhes, reflects how constructions of belonging to a place are fluid too.

29 Based on these insights, we propose that future theorizations of naming as symbolic resistance should account for both the repressive and emancipatory potential of place naming practices. Frameworks need to acknowledge how the tendency of toponyms to fixate boundaries and toponymic identity to enhance the sense of belonging to a place complicate toponymic struggles in multi-ethnic, multilingual, multicultural, and multi- religious settings where both people and places defy rigid categorizations. As we showed in this article, those initially demanding Madhes to be a recognized part of a more inclusive nation contradicted their own alternative geographies of diversity and were forced to alter their views after the protests by another marginalized group. Demands for ethnically exclusive toponyms, thus, not only mimic the tendency of the modern state to delineate clear boundaries between groups considered belonging to different ethnicities but also highlight the adoption of such modernist agendas by groups demanding rights and recognition (Middleton, 2015; Middleton et Shneiderman, 2008; Scott, 1998). Therefore, we propose a critical examination of renaming proposals by marginalized groups by further asking who within such groups is conferred or denied recognition, and who claims to speak in whose name. The denial of the term Madhes, on the other hand, depicts the dominant groups’ resistance to the idea of a more inclusive nation.

30 Furthermore, toponyms are malleable and function as temporary reference points for identification for groups that may not necessarily feel that they belong together. The ambivalence of meanings attached to toponyms is thus both strategic as well as emblematic of a counter-narrative. The intricacies of these tensions between fluid and ambivalent meanings, and the tendency to carve boundaries inherent in toponyms reveal the contradictions within naming as symbolic resistance. In our case, actors involved in naming as an act of resistance appear to be caught between the need to render their struggle legible to the state by means of simplification while accounting for the social complexity of the place at the same time. A toponym and a toponymic identity’s acceptance depend on their ability to represent the interests of the people living in the place. The ambivalence and fluidity of toponyms and toponymic identity, nonetheless, implies that their acceptance or rejection is likely to be in a state of flux too.

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NOTES

1. Identity was defined along five criteria: ethnic or communal identity, linguistic identity, cultural identity, geographic or regional continuity, and historical continuity. Likewise, capability was defined along the criteria of economic interdependence and capacity, status and possibility of infrastructural development, availability of natural resources, and administrative viability (State Restructuring and Distribution of State Power Committee, 2010). 2. An 11-province model was proposed by experts nominated by UCPN (United Communist Party of Nepal)-Maoist and UDMF (United Democratic Madhesi Front) while experts nominated by NC (Nepali Congress) party and CPN-UML (Communist Party of Nepal-United Marxist Leninist) proposed a 7-province model. The 11-province model prioritized identity over capability while the 7-province model lent importance to capability. 3. Province 6, Province 4, and Province 3 have been named Karnali, Gandaki, and Bagmati respectively, all after rivers, by their respective provincial assemblies. Province 7 has been named Sudur Paschim or Far-West. 4. The 14-province model proposed two provinces in the plains named Mithila-Bhojpura-Koch- Madhes in the east and Lumbini-Awadh-Tharuwan in the west. The 11-province model also proposed two provinces in the plains named Madhes-Awadh-Tharuwan in the west and Madhes- Mithila-Bhojpura in the east while the two provinces in the plains in the 7-province model were labeled Province 6 and Province 4. 5. There are multiple interpretations of the origin of the word ‘Madhes’. A widely used interpretation is that Madhes is a distorted form of Madhya Desh (Middle Country) or ‘the land lying between the Himalayas and the Vindhyas’ (Turner 1931, p. 491). 6. Mithila, Mithila-Bhojpura, and Janaki are other names proposed for Province 2. An investigation of these names, however, is beyond the scope of this study. 7. One or more Pahadi caste/ethnic groups are included in the list of four major caste/ethnic groups in 13 out of 21 districts in the plains (Dahal, 2014). The remaining eight districts form Province 2 where plains caste groups, plains Dalits, Tarai Janajatis, and Muslims collectively constitute 87.26% of its total population (Nepali, Ghale, and Hachhethu, 2018). Attributing the term Madhesi to Pahadis residing in the plains is highly disputed. Nayak (2011), however, uses Madhesi as an umbrella term to describe everyone living in the lowlands and categorizes the plains population into Janajatis, Pahadi Madhesis (migrants from hill and mountains who came during the 1960s and 70s on account of state-promoted migration and for better livelihood), and Indian Madhesis (migrants from the Indian states of Bihar and Uttar Pradesh before the 1950s). 8. On July 14, 2020, Women and Social Committee in Nepal’s parliament issued a directive to the Madhesi Commission to define ‘Madhesi’. 9. There are 125 caste/ethnic groups in Nepal that speak over 100 languages (Central Bureau of Statistics, 2016). 10. We refer to this interpretation of symbolic resistance when we use the terms symbolic resistance or resistance in this paper. 11. The politicians interviewed were from the Tarai-Madhes Democratic Party, Naya Shakti Party, Federalist Socialist Party, CPN-Maoist (Vaidya faction), and Alliance for Independent Madhes. Political analyst refers to people who analyze concurrent political issues in the Nepali media and describe oneself as such while journalists are employees of different media outlets.

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12. Both the Tharu- and Madhes-centric political parties demanded two plains-only provinces in the flatlands. While the Tharu- and Madhes-centric parties expressed concerns of being dominated by hill high caste groups in the north-south provinces, the NC and UML favoured the north-south province model arguing that all provinces should have land access to India and that such configuration would prevent ethnic conflict.

F0 13. The CPN-UML and CPN (Maoist Centre) 2D named UCPN (Maoist) after merging with nine

F0 other communist parties in May 2016 2D merged to form the Nepal Communist Party on May 17, 2018. 14. Tharuhat is coterminous with Tarai’ (Guneratne 2010, p. 27). 15. The Constitution of Nepal 2015 lists Madhesis, Tharus and Muslims separately. 16. A term ‘Taraibasi’ (resident of the Tarai) has been prominently in use since 2007 to refer to everyone living in the plains as well as to distinguish Madhesis from the rest of the population of the plains.

ABSTRACTS

This paper seeks to understand how elites utilize toponyms to either underscore territorial claims and belonging to a nation or to undermine those claims. Analyzing the names of the Nepali flatlands, Tarai and Madhes with a focus on the latter, it shows how ambivalent meanings attached to the toponyms became instrumental in symbolic resistance against an exclusionary idea of the Nepali nation and the struggle for belonging to it. Drawing on interviews with politicians, activists, political analysts, and journalists we propose to understand toponyms as temporary anchor points around which elites strategically assemble otherwise ambivalent identities to place demands in ways that are understandable to state officials. This article highlights the complexities and contradictions in place naming processes when entangled with ethnic politics and territorial restructuring.

Ce document cherche à comprendre comment les élites utilisent les toponymes soit pour souligner les revendications territoriales et l'appartenance à une nation, soit pour saper ces revendications. En analysant les noms des plaines népalaises, du Taraï et des Madhes en se concentrant sur ces derniers, il montre comment les significations ambivalentes attachées aux toponymes sont devenues instrumentales dans la résistance symbolique contre une idée d'exclusion de la nation népalaise et la lutte pour y appartenir. À partir d'entretiens avec des politiciens, des militants, des analystes politiques et des journalistes, nous proposons de comprendre les toponymes comme des points d'ancrage temporaires autour desquels les élites assemblent stratégiquement des identités autrement ambivalentes pour placer des revendications de manière compréhensible pour les responsables de l'État. Cet article met en lumière les complexités et les contradictions des processus de dénomination en place lorsqu'ils sont mêlés à la politique ethnique et à la restructuration territoriale.

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INDEX

Subjects: Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTHORS

DARSHAN KARKI Darshan Karki, [email protected], is a PhD candidate at University of Zurich, . She has recently published: - Karki D., 2016. Incomplete Revolution. In Murthy L., Varma M. (eds.), Garrisoned Minds: Women and Armed Conflict in South Asia. New Delhi, Speaking Tiger, p. 143-158.

MIRIAM WENNER Miriam Wenner, [email protected], is a post-doctoral researcher at Georg- August-University Goettingen, . She has recently published: - Wenner M., Brugger A., 2020. Wie Fairtrade übersetzt wird. Machtbeziehungen im Globalen Produktionsnetzwerk von zertifiziertem Darjeeling-Tee [Fairtrade translated. Power relations in the global production network of certified Darjeeling tea]. Geographische Rundschau, n° 1,2, p. 24-29. - Wenner M., 2020. Functions of sovereign violence. Contesting and establishing order in Darjeeling/India. Political Geography, n° 77, accepted manuscript. - Wenner M., 2018. ‘Breaking Bad’ or being good? Moral conflict and political conduct in Darjeeling/India. Contemporary South Asia [On line], vol. 26, n° 1, p. 2-17. DOI: https://doi.org/ 10.1080/09584935.2018.1431609

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La variation toponymique dans l'oraliture comme pratique infrapolitique : études de cas à Uchon et Paris

Jean-Baptiste Bing

L’auteur remercie la DREAL Bourgogne franche-Comté qui a commandé ce travail, la municipalité d’Uchon et les Uchonais pour leur accueil et leur confiance, ainsi que Laurie Darroux qui a porté le projet Légendes d’Uchon à la MPOB, a réalisé la quasi-totalité des entretiens et a rédigé le rapport final.

De l'entrée de la toponymie en légendaire

1 La toponymie a à voir avec l'imaginaire de multiples manières ; nous nous pencherons ici sur deux modalités de son rapport au légendaire : comment la toponymie entretient la mémoire d'un certain légendaire d'une part, et comment à l'inverse le légendaire peut nourrir la toponymie. Plus précisément, l'objectif de cet article est de montrer comment cette circulation entre imaginaire et lieux réels constitue une arme de résistance « infrapolitique », c'est-à-dire entretenant une résistance de basse intensité mais à long terme de la part de groupes subalternes face à des groupes puissants (ou du moins jugés tels), pouvant préparer à une résistance plus formelle (Scott, 2009, p. 199-218).

2 Nous examinerons deux cas d'étude. Le premier est celui de la microtoponymie populaire dans la commune d'Uchon (Saône-et-Loire), et plus particulièrement celle se rapportant aux chaos granitiques nombreux dans le Bois de la Ravière qui jouxte le bourg. Les cartes postales d'il y a un siècle témoignent que, à l'époque, ce plateau vallonné et ses pentes septentrionales, composés de sols acides et pauvres, étaient dominés par les landes et les pâtures ; la déprise agricole les a transformés en une forêt de feuillus (hêtraie dominante), pour laquelle les habitants expriment un fort

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attachement tant pour des raisons écologiques que par les pratiques qu'elle permet (chasse, cueillette des champignons, ressourcement...). Or ledit bois est menacé par un projet d'enrésinement, suite au rachat d'une majeure partie de sa surface par un groupe forestier connu pour ses pratiques industrielles peu soucieuses de biodiversité, et dont les habitants supposent qu'il bénéficie du soutien des autorités forestières (CRPF : Centre régional de la propriété forestière) face à une « passivité » reprochée au Parc naturel régional du Morvan et au département. Dans ce cadre, après l'échec d'autres recours (achat du site par le département...), la commune et divers collectifs habitants et associatifs ont sollicité la DREAL BFC (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Bourgogne-Franche-Comté) pour obtenir le classement du bois de la Ravière.

3 Le deuxième cas d'étude porte sur Paris : alors que chaque centimètre carré de la ville est cartographié, nommé, répertorié – du moins en ce qui concerne sa surface et ses parties publiques, du tréfonds du métro à l'antenne sommitale de la Tour Eiffel1 – et alors que la grande métropole fait figure d'archétype de l'hyper-modernité triomphante, technocratique et normalisatrice (Faburel 2018), le légendaire y a encore sa place. Nous nous pencherons précisément sur deux contes2, La rue du Puits-qui-Parle (Gougaud, 1981, p. 25-31) et Rue de Bièvre (André, 2008, p. 158-161), qui font tous deux référence à des éléments de la géographie parisienne aujourd'hui rendus invisibles : la rue du Puits-qui-Parle a été rebaptisée en 1867 rue Amyot, odonyme qu'elle porte toujours, et la Bièvre, affluent de la Seine canalisé depuis plusieurs siècles, a été enterrée au XIXe siècle et ses eaux s'écoulent depuis dans le réseau des égouts.

4 Après une présentation des récits en présence, une première partie, épistémologique et méthodologique, visera à justifier pourquoi ils sont l'objet d'une mise en regard et comment il y sera procédé ; une deuxième montrera comment contes, légendes et récits oraux permettent d'entretenir un écart à la norme et à la normalisation et d'enrichir le réel quotidien ; enfin la troisième s'attardera sur leur pouvoir d'encapacitation d'un groupe subalterne lors d'un rapport de force.

Des récits et des lieux

5 Commençons par résumer brièvement les récits en présence et, tout d'abord, les deux récits parisiens. Le premier, La rue du Puits-qui-Parle, prend place aux temps carolingiens : un jeune chevalier entretenait un grand amour avec la fille cadette du seigneur voisin qui, lui, espérait faire épouser son aînée au dit chevalier. Un jour, le vieux seigneur apprend cela – et peu de temps après la cadette disparaît. Le jeune chevalier s'en remet peu à peu et le père, à force de persévérance, obtient le mariage désiré. Mais quelques temps plus tard, le jeune couple et le vieux seigneur deviennent fous, après avoir – disent-ils – entendu une voix sépulcrale venue d’un puits de la rue les maudire. L'énigme se résout lors de la mise à sac de Paris et de ses environs par les Normands, qui découvrent la fille cadette au fond d'un cachot dont la seule fenêtre donnait sur le puits : jetée là par son père, le puits lui avait donné à entendre les conversations de son aimé et de sa sœur nonchalamment assis sur la margelle... Le second récit, La rue de Bièvre, nous est contemporain : un policier, effectuant sa ronde rue de Bièvre, y découvre un homme agenouillé à même la chaussée et en train d'ausculter icelle. Le sommant de libérer la place, il commence à converser avec l'homme qui, peu à peu, lui dévoile sa quête : retrouver, par-delà le temps et l'asphalte,

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la Bièvre disparue et les castors qui lui auraient donné son nom. Le policier se révèle un sourcier doué, qui finit par accepter son don et retourne l'exercer dans son village.

6 Dans le cas d'Uchon, la nature du corpus est très différente : la DREAL, pour nourrir son dossier en vue d'un examen au Ministère de l'écologie, a missionné deux cabinets d'étude pour les volets « paysagiste » et « naturaliste » et, pour le volet « légendaire », la Maison du Patrimoine Oral de Bourgogne3. Une enquête de terrain en est sortie, dont cet article mobilisera les trois moments initiaux : deux parcours commentés, menés le 5 novembre 2019 et le 14 janvier 2020, avec à chaque fois une dizaine de personnes issues de la commune et des collectifs mobilisés, et un travail bibliographique sur des témoignages écrits issus du même milieu (Dollet-Priet et Vannier, 2003...), et constituant une partie du rapport d'étape fourni à la DREAL (Bing, 2020)4. Les deux parcours commentés avaient pour but de faire découvrir le site aux « experts » paysagistes, naturalistes et ethnographes – les habitants5 et militants engagés sur ce dossier leur servant de guide et les nourrissant donc de leur propre expertise. Si ces heures passées ensemble, sur place, ne furent pas enregistrées, elles ont permis de briser la glace – ce qui constituait un préalable nécessaire à des entretiens plus poussés. De plus les notes prises au cours de ces journées, complétées par le travail bibliographique, ont permis de dégager des grandes lignes concernant le rapport des personnes rencontrées au Bois de la Ravière – entre autres, l'entrelacement des récits et légendes avec l'expérience quotidienne du lieu. Pour résumer ces rencontres selon une grille de lecture raffestinienne (Raffestin 1995, Bing 2018 : 113-115), tenants de savoirs et des territorialités « de référence » et « vernaculaires » ont pu entamer un processus de mise au point d'un langage « d'échange », avec l'objectif de se renforcer réciproquement.

L'« oraliture », clé de deux « cas extrêmes »

7 Nous aurons à faire face à deux difficultés majeures. La première tient à la nature déjà évoquée des corpus constitués, et au rapport différencié du chercheur avec eux. Dans le cas d'Uchon, il s'agit de données collectées au cours d'un processus de recherche à la méthodologie bien balisée : le corpus a été constitué en vue de l'analyse. Dans le cas de Paris, il s'agit par contre de deux textes (choisis parmi des dizaines d'autres) glanés au cours de lectures, réutilisés à l'oral dans le cadre de manifestations de « néo-contage » (Calame-Griaule, 2001) auxquelles l'auteur de ces lignes a pu participer : randonnées contées, veillées participatives, etc. Parfois ces textes ont été utilisés tels quels (sans changer les éléments non-essentiels : personnages, lieu, etc.), mais d'autres fois la raconterie et son contexte ont suscité une adaptation. Au final, d'une part les deux récits préexistent à l'analyse, d'autre part ils ne sont pas forcément représentatifs de l'ensemble des contes et légendes existant mettant en scène la toponymie à Paris ou ailleurs. Cependant, nous faisons le pari que le rapprochement des deux corpus relève d'un « bricolage » (Lévi-Strauss, 1962), qui se révélera utile pour trois raisons : épistémologique, méthodologique, heuristique. Tout d'abord, il fait sens pour le praticien de l'« oraliture6 » qu'est le géographe et conteur auteur de ces lignes, qui s'identifie à un « territoire de parole » (Darroux, 2011) reliant (entre autres) le Morvan où il vit et la capitale d'où il vient, travaillant et contant entre les deux. Cette posture épistémologique certes bâtarde autorise quelque regard scientifique, sous réserve de deux impératifs méthodologiques : l'intersubjectivité d'abord, d'où l'importance de

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croiser les regards tant concernant l'échange des récits que la construction de la démarche de recherche ; une mise en miroir des deux corpus, visant non point à une comparaison, mais à un simple éclairage réciproque des deux situations (méthode détaillée dans Bing, 2018, p. 67-105). Enfin ce bricolage a une utilité heuristique en permettant de discuter d'une nouvelle façon des hypothèses déjà travaillées dans un cadre plus académique.

8 La première des hypothèses que nous explorerons ici porte sur l'interaction entre les récits légendaires, source essentielle du lien au « territoire du quotidien » (Raffestin, 1995), et l'infrapolitique. En un sens, ces récits peuvent fournir une ressource lors de confrontations avec les autorités « de référence » (id.), que ce soit sur le mode de l'affrontement (dans le cas d'Uchon, avec le propriétaire légal du bois de la Ravière et ses soutiens institutionnels) ou sur le mode de la collaboration (avec la DREAL). Réciproquement, une situation de conflit (y compris sur le mode latent de l'infrapolitique) peut contribuer à revitaliser des récits autrefois oraux figés par l'écrit, et les faire revenir dans le champ du dire direct. D'où une conséquence à propos du concept d'« oraliture » : alors qu'il a émergé à propos de sociétés dites « à tradition orale » (afin de conférer aux pratiques de l'oralité une dignité qui n'était ordinairement accordée qu'aux pratiques issues de l'écriture, et de pallier les insuffisances de la notion de « littérature orale »), nous entendons montrer son utilité dans les pays où, en dépit d'une supériorité conférée et reconnue à l'écrit, l'oralité n'a jamais disparue (à condition, toutefois, de ne pas considérer l'oraliture comme forcément opposée à l'écrit, mais comme son complément) – en l'occurrence pour appréhender des résistances infrapolitiques en France (Darroux, 2011).

9 La deuxième difficulté tient à la dissemblance entre Uchon et Paris, qui constituent en effet deux « cas extrêmes » (Flyvbjerg, 2011) dans le contexte de l'aménagement du territoire français, tant ces communes se situent aux deux extrémités en terme de poids de la population : d'un côté, la capitale millionnaire, épicentre de l'un des États historiquement les plus centralisés du globe ; de l'autre, une commune hyperrurale, comptant une centaine d'habitants et située à la marge tant des territoires dont elle relève (département de Saône-et-Loire, PNR du Morvan, Communauté de communes du Grand Autunois-Morvan) que des grands axes de communication les plus proches (lignes SNCF Paris- et -, axe routier de la vallée de l'Arroux...). Nous faisons ainsi le pari que la disproportion même de ces deux cas se révélera heuristique, en considérant que la division canonique entre urbain et rural demeure certes structurante, mais selon des modalités qui demandent à être repensées selon de nouveaux paradigmes (Cornu et Delfosse, 2017 ; Debarbieux, 2007). Que les différentes déclinaisons de l'oraliture (située aux marges des productions culturelles tant elle relève à la fois des « arts de la parole » et de la mise par écrit, de la spontanéité du discours et du travail d'artistes professionnels) permettent d'appréhender ou, du moins, d'explorer cette relativité de la division entre rural et urbain (notamment dans leurs marges, sociales et/ou spatiales où se manifeste l'infrapolitique) est donc la deuxième hypothèse que nous entendons tester.

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Cultiver le mystère face à une normalisation qui aplatit le réel

10 Le conte La rue du Puits-qui-Parle contribue de plusieurs manières à réintroduire du mystère, de l'incertitude, dans des rues de Paris pourtant fort aménagées et bien connues, en autorisant un balancement subtil, propice à un jeu de rationalités variées (Stoczkowski, 1999), entre savoir et croyance et entre réel et fiction (Bing 2016). Tout d'abord, à l'instar de la quasi-totalité des contes et légendes (Gougaud, 2008), cette histoire compte plusieurs versions : sur un même canevas de base les habillages sont nombreux7. De plus, si la rue Amyot (ancienne rue du Puits-qui-parle) est bien identifiée depuis le XVIe s. (son tracé actuel figure déjà sur des plans de cette époque), la légende relate un fait bien plus ancien, puisque remontant aux temps carolingiens. Deuxième facteur d'incertitude, donc : ces temps demeurent assez mal connus du grand public en dehors de quelques images d'Épinal sur les rois francs et les ravages des Normands.

11 Si l'on s'en tient à ces seuls faits, la dimension infrapolitique demeure assez négligeable – l'urbanisme ayant en effet assez massivement assimilé nombre d'odonymes faisant référence à un passé ancien plus ou moins imaginaire : rue des Quatre fils Aymon, rue Boutebrie, etc. Cependant la survie de certains toponymes disparus participe, avec d'autres manifestations puisant elles aussi dans les images tirées d'un passé ancien plus ou moins conforme au réel, à faire vivre des petits groupes contre-culturels dont l'action relève directement de l'infrapolitique, et qui cultivent des pratiques d'oraliture variées. Premier exemple : les Block Parisii (Paris-Saint-Germain) et Ultras Lutetia (Paris FC), qui revendiquent comme nombre de groupes de la même mouvance un rapport politique et territorial au football, exprimé par des banderoles, des tags... (Bing, 2019) ou des chants inspirés du répertoire populaire8. Deuxième exemple, dans le domaine de la chanson, justement : de nombreux textes contemporains mobilisent des figures et des moments légendaires de Paris, en les réactualisant au vu des préoccupations du moment ; citons par exemple la Commune et les communards, revendiqués tant par la mouvance anarchiste (Renaud...) que par la mouvance identitaire (Vae victis...). Pour en revenir à La rue du Puits-qui-parle, si ce récit prend place parmi les « légendes noires » au sujet du Moyen-Âge et des Vikings et entretient ainsi à leur sujet l'imaginaire négatif qui sert l'idéologie de la modernité (alors que ces fantasmes sont assez largement déconstruits par les historiens contemporains), il contribue aussi à ouvrir un champ d'expression à l'imaginaire. Or celui-ci porte une potentialité subversive non-négligeable, qu'Henri Gougaud assimile à l'un des aspects de la « philosophie artisanale » que porte le conte, par exemple quand des versions nouvelles ou peu diffusées d'un conte ou d'une légende renversent le message sous- jacent porté par une version canonique (Gougaud 2008).

12 Autre subversion possible : remettre à l'honneur des noms a priori anodins qui, si l'on fouille dans les arcanes de l'étymologie, se révèlent porteurs de phénomènes sociaux peu conformes aux valeurs que notre société cherche à montrer d'elle-même. Se réfèrent ainsi à l'intense activité de prostitution qui y régna trois noms de rues qui, aujourd'hui, apparaissent plutôt neutres : la rue du Petit-Musc et la rue du Pélican se dénommaient autrefois « Pute-y-muse » et « Poil-au-con » ; quant à l'ex-rue Trousse- nonnain, elle a été doublement recouverte : d'abord par déformation en « rue Transnonain », puis par absorption de celle-ci par l'actuelle rue Beaubourg (Hagège,

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2009, p. 231). À en croire le même auteur cet « oubli des gaillardes réalités » du passé relève, au moins en partie, d'une entreprise délibérée de « censeurs pudibonds » (id.) ; cependant la mémoire et les pratiques populaires continuent de porter cette mémoire du lieu. On peut lire ainsi sur Wikipédia, qui constitue un point de contact fécond d'interfécondation entre « savoirs de référence » et « savoirs vernaculaires » (Bing, 2018), au sujet de la rue Pélican : « en 1792, elle fut appelée "rue Purgée" lorsque les prostituées furent chassées de la rue. Jean de La Tynna indique qu'elle ne méritait guère ce nom, des filles publiques continuant à l'habiter ! » et que « Dans les premières pages de Guignol's Band de Louis-Ferdinand Céline, un souteneur, désireux d'indiquer vers 1914 ou 1915 qu'il ne peut gérer qu'un nombre limité de prostituées, insiste sur le fait qu'il "n'est pas le Pélican" »9.

13 L'encyclopédie en ligne transmet ainsi cet imaginaire historique, à travers les références à une période de grands bouleversements toponymiques et à un auteur connu pour son usage d'un langage puisant largement dans le registre de l'argot (Calvet, 1993).

14 Enfin l'application du programme donné par Augustin Berque à la mésologie (« renaturer la culture, reculturer la nature » : Berque, 2014) porte lui aussi une dimension politique. À Uchon, le conflit autour du bois de la Ravière semble opposer deux conceptions des relations de la « culture » à la « nature » : d'un côté, une dimension purement utilitariste, qui préside à l'extension des monocultures (résineux dans le Morvan) ; de l'autre, une conception plus mésologique, qui tente de tenir compte de la complexité de la relation trajective. La dimension historique, anthropique, de la « nature » n'y est pas niée. Loin de tomber dans le lieu commun qui ferait de la forêt de feuillus de la Ravière un lieu ancestral remontant aux Gaulois, la quasi-totalité des habitants rencontrés mettent en avant l'historicité du milieu : en alignant les cartes postales vieilles de plus d'un siècle, ils montrent que ce qui est aujourd'hui une forêt était alors une lande et des pâtures ; ils n'en soulignent pas moins la richesse écosystémique du lieu et la force des pratiques sociales qui s'y tiennent. Enfin, dans le cas du conte de la rue de Bièvre, la recherche de la rivière et de sa faune perdues entre en résonance avec des initiatives associatives, qui visent à la redécouvrir, voire à procéder – à rebours de ce qui a été fait depuis des siècles – à un processus de « renaturalisation »10.

15 À travers l'interrogation sur le soubassement naturel même de la ville, du village et de la commune qui les incarnent ; à travers les plongées dans un passé toujours présent ; à travers enfin les rapports subtils entre faits, savoirs et imaginaires qui sont les moteurs de la saisie de la microtoponymie et de l'odonymie par l'oraliture, se produit au final non seulement un entretien du mystère face une norme aplatissant le réel, mais aussi un enrichissement dudit réel.

Le pouvoir de nommer (ou pas) : la microtoponymie comme rapport de force

16 Le rapport de force qu'est la politique appelle des réponses spécifiques à chaque cas ; le jeu autour de l'incertitude et de la pluralité comme arme de lutte se décline donc d'une manière différente dans les cas parisien et uchonais. En ce qui concerne les rochers et amas granitiques du Bois de la Ravière, cela passe par l'absence de toponymes reconnus

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et partagés : en effet si les plus gros chaos et ceux ouvrant sur les points de vue les plus pittoresques, assez largement recensés avec l'expansion du tourisme dès le début du XXe s., bénéficient d'une toponymie bien fixée (la Griffe du diable, la Grotte de Mandrin, le Rhinocéros11...), ce n'est pas le cas de ceux situés dans la majeure partie du Bois de la Ravière – moins spectaculaire, moins touristique, et donc relevant d’une toponymie plus intimement uchonaise. Lors de la visite du 5 novembre 2019 effectuée avec la représentante de la DREAL, des membres du conseil municipal et des habitants et militants impliqués, il est apparu par exemple que le même nom (« Roche fendue ») désignait, selon les personnes, deux chaos situés à quelques centaines de mètres l'un de l'autre. De nombreux autres amas et rochers isolés, moins remarquables, n'ont pas (pas encore ?) de nom reconnu par la collectivité habitante et/ou par les autorités, et sont nommés au coup par coup par chacun, selon ses références propres et selon ce qui interpelle dans le rocher. La forme d'un rocher, par exemple, qui a servi à nommer le bien identifié et dûment classé « Rhinocéros » dans les rochers de Carnaval, a inspiré au maire un « requin » évoqué en novembre ; deux mois plus tard, lors d'un autre entretien collectif itinérant (sans représentant de la DREAL cette fois-ci), c'est à plusieurs qu'a été informellement désigné un « cachalot ». Il était parfois difficile, lors de ces parcours où les discussions étaient fort décousues, de faire la part du premier et du second degré, du sérieux, de l'ironie voire de la provocation : l'on passait, en quelques minutes, d'une réflexion sur la richesse écologique du site à la proposition d'établir une ZAD à proximité d'un vieux moulin hydraulique, puis à un historique du lieu – labyrinthe discursif qui obligeait à prendre un certain recul, ainsi que des pincettes, pour saisir les propos, d'autant que l'ironie constitue une arme rhétorique quand des citoyens se trouvent face à des représentants d'une autorité quelconque (DREAL et ses missionnaires, par exemple).

17 La logique de l'argot, du langage réservé aux seuls initiés, n'est pas absente de ce qui se passe à Uchon : si le savoir concernant les lieux classés et fléchés (rochers de Carnaval, chemins balisés, patrimoine bâti...) est à disposition de tout visiteur intéressé, celui concernant les lieux fréquentés par les habitants n'est – à l'instar des meilleurs coins pour cueillir les champignons – pas dévoilé au premier venu... Ces noms incertains ont aussi une part de secret, qu'il ne convient de lever que si besoin est – ce qui fait l'objet d'autres débats : la protection du site passe-t-elle forcément par la protection, si oui le classement implique-t-il forcément le tourisme, si oui quel tourisme développer, etc. Choisir de jouer ainsi sur les registres de discours, jongler (ou non) avec les toponymes, décider de les faire connaître (ou non) et de présenter (ou non) les modalités qui ont présidé à ces choix – tout cela revient à affirmer un pouvoir (ici, celui de la collectivité habitante) à la fois sur un lieu (le Bois de la Ravière et, plus largement, le territoire communal) et à revendiquer une participation sur les politiques qui s'y expriment. Face aux « experts » qui, d'un côté comme de l'autre (MPOB et cabinets d'étude mandatés par la DREAL pour nourrir sa demande de classement d'une part, exploitant forestier et ses appuis institutionnels et économiques de l'autre) affirment leur compétence, est avancée une autre légitimité : l'expertise classique ayant tendance à fragmenter le réel de manière réductionniste, les habitants mobilisent une expérience plus intuitive et plus holistique. Celle-ci n'est d'ailleurs pas contradictoire avec toute expertise et peut éventuellement la compléter et la renforcer (Claessens, 2013). Dans le cas parisien, les groupes contre-culturels évoqués (ultras des stades, chanteurs se voulant contestataires de gauche comme de droite ou par-delà cette bipartition...) procèdent

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d'une manière proche, et tirent leur légitimité sur la ville de leur contact quotidien avec les lieux (Bing, 2019).

Ouverture en forme de nuage

18 Il va de soi que cet article n'a permis, au mieux, que de défricher des pistes de réflexion plus qu'il n'a démontré solidement la validité des hypothèses posées ci-dessus. Cependant, deux points saillants émergent.

19 Certes nous avons bien plus à faire dans le cas parisien à des contes et légendes déjà figés et mis par écrit qu'à des récits transmis oralement et/ou élaborés par une pratique quotidienne du lieu. Cependant, d'une part certains de ces récits étaient à l'origine (avant d'être transformés par la transmission orale puis figés par l'écrit) très proches de nos très contemporaines et bien vivantes « rumeurs urbaines » (Renard, 2006) ; d'autre part ils prennent places aux côtés d'autres pratiques qui, elles, sont encore bien vivantes, informelles et imprégnées d'oralité (raconteries, musiques populaires, tags...) et auxquelles Henri Gouraud relie explicitement les contes présentés dans son recueil (Gouraud, 1981, p. 21-22). Les récits entendus au bois de la Ravière d'Uchon entrent dans cette catégorie : ils n'apparaissent pas d'emblée comme un tout cohérent, structuré, mais ils forment des résurgences qui témoignent d'un rhizome sous-jacent, légendaire et concret à la fois. Se dessine donc un faisceau de pratiques culturelles, dans lequel les deux contes mis par écrit à Paris et les bouts de récits légendaires entendus à Uchon exprimeraient donc une facette possible de résistance face à une pratique technocratique et, finalement, déshumanisée et aliénante de la gestion de l'espace par une autorité publique qui tend à normer et à formaliser tous les aspects de la vie collective.

20 Dans le cas de la nomination des lieux et des conflits qu'elle suscite ou pour lesquels elle constitue une arme parmi d'autres, il est bien connu que la toponymie officielle offre au(x) pouvoir(s) une occasion de se donner à voir et d'afficher un récit collectif et une histoire du lieu propices à l'auto-légitimation et conformes à ses (leurs) valeurs. Mais face à ces territorialités « de référence », et en retour, se déploie une nébuleuse de noms et de territorialités vernaculaires où la pluralité fait loi. Que ce terme de nébuleuse rejoigne étymologiquement le modèle proposé par Debarbieux (2007) pour repenser les rapports ville/campagne n'est sans doute qu'anecdotique ; l'est sans doute moins le fait que les « champs médiaux » (Bing, 2018, p. 62-65) se déploient dans des marges sociales (à Paris) et spatiales (à Uchon) qui, en milieu urbain comme en milieu rural, relèvent de dynamiques sinon communes, du moins pouvant être mises en regard, questionnées et finalement mobilisées de conserve par les habitants d'un « territoire de paroles » en recherche d'encapacitation.

21 La souplesse des formes d'expression prise par l'oraliture, sa pluralité intrinsèque – qui fait coexister légendes urbaines, récits du quotidien, vieux contes mis par écrit retrouvant une vie orale enrichie... – apparaissent ainsi fondamentales, puisque c'est elles qui, en maintenant de l'informel, ouvrent des champs propices à l'expérimentation sociale et à l'encapacitation populaire pour créer de nouvelles marges à l'écart de la norme.

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NOTES

1. Les carrières qui s'étendent dans les profondeurs du sous-sol parisien demeurent, pour partie, mal connues – et sont le théâtre d'opération d'une autre pratique contre-culturelle (qui pourrait être analysée sous l'angle infra-politique) : la cataphilie (Urbain 2003). 2. Les théories littéraires distinguent assez finement le conte de la légende et d'autres genres apparentés (nouvelle fantastique, fable, etc.), en fonction de différents critères. Ainsi le conte serait situé hors du temps et de l'espace et ses personnages seraient des archétypes, tandis que d'autres genres (dont la légende) mettraient en scène des personnes, des faits, des lieux ayant pu avoir une existence historique, quoiqu'en les déformant (Aubrit, 2002). Cependant, dans la pratique, l'assimilation des deux genres est courante : s'il existe des textes correspondant assez bien aux idéaux-types, bon nombre d'histoires se situent en fait dans un entre-deux (La rue du Puits-qui-parle en est un exemple, mais d'autres récits de Gougaud, 1981 conviendraient autant). 3. Association loi 1901, la MPOB a pour mission de recueillir, étudier et valoriser les manifestations des cultures populaires (contes, récits de vie, langues régionales, chants, musiques, danses...) de Bourgogne (Darroux, 2017). Elle a obtenu en 2019 pour son projet de « Fabrique sociale orale » fondé sur la recherche-expérimentation et l'action sociale, le label Ethnopôle par lequel le Ministère de la Culture confère à des institutions de statuts divers, et situées dans toute la France, un rôle de centre de ressource, de médiation et d'acteur direct pour la recherche en ethnologie et en en sciences humaines. 4. Des entretiens individuels approfondis et des veillées collectives devaient suivre, et permettre grâce à des enregistrements de constituer des archives orales qui devaient compléter le fond de la MPOB (http://patrimoine-oral.org/dyn/portal/index.seam?page=home&fonds=1). Initialement prévus au printemps et à l'été 2020, ils ont dû être repoussés suite à la crise sanitaire et ne peuvent donc être mobilisés pour cet article. Ils ont été réalisés par Laurie Darroux, chargée de mission en ethnologie à la MPOB. 5. Certains de ces habitants vivent à l'année à Uchon, d'autre y disposent de résidences secondaires. Tous cependant revendiquent plusieurs décennies de présence dans la commune, et considèrent cette différence de mode d'habiter comme secondaire par rapport à l'attachement partagé au lieu. 6. Ce « mot-valise forgé à la fin du XX e s., désigne à la fois un produit et une production communautaire et populaire caractéristique de sociétés à tradition dite orale » (cf. https:// www.fabula.org/actualites/l-oraliture-haitienne-identite-s-structure-s-memoire-s-et- representations-travers-le-prisme-des_86510.php).

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7. Cf. http://www.parislenezenlair.fr/actualites/item/1090-la-legende-du-puits-qui-parle-de-la- rue-amyot.html. 8. Sur ces deux groupes, voir https://stadito.fr/2018/12/04/le-block-parisii/ et https:// www.vice.com/fr/article/jm7784/dans-les-tribunes-du-paris-football-club-hugo-aymar. À propos de la dimension infra-politique du mouvement ultra, voir Bing, 2019. 9. Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Rue_du_P%C3%A9lican (consulté le 11/02/2020). 10. Cf. par exemple http://www.bievre.org/ et http://marche.bievre.org/ (consultés le 25/02/2020). 11. Ces amas dominent la vallée de l'Arroux, et se situent à quelques kilomètres du Bois de la Ravière, au sud de la commune. C'est principalement là que s'est développé le tourisme à Uchon, et qu'il se concentre toujours principalement.

RÉSUMÉS

Cet article s'attache à montrer comment l'oraliture, en pérennisant l'actualité de variation toponymique, constitue une arme de résistance et d'encapacitation relevant de l'« infrapolitique ». Pour ce faire, elle s'attache à deux cas d'étude : la microtoponymie appliquée au quotidien par les habitants du village d'Uchon (Saône-et-Loire) et transmise via des récits lors de parcours commentés ; l'odonymie de deux rues de Paris, transmise à travers deux récits. Après avoir présenté les cas d'étude et le corpus, la première partie pose quelques considérations épistémologiques et méthodologiques sur ceux-ci, la manière de les traiter et les limites des résultats qui peuvent en être tirés. Puis la deuxième partie montre comment contes, légendes et récits oraux permettent d'entretenir un écart à la norme et à la normalisation et d'enrichir le réel quotidien. Enfin la troisième s'attarde sur le pouvoir d'encapacitation que représente cette oraliture pour un groupe subalterne lors d'un rapport de force. L'article conclue sur l'importance de la variante dans l'oraliture comme interstice où peuvent s'imaginer et s'incarner des résistances infrapolitiques par-delà les différences de contexte entre une métropole et un village de l'hyperruralité.

INDEX

Mots-clés : Oraliture, infrapolitique, toponymie, Uchon, Paris Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

JEAN-BAPTISTE BING Jean-Baptiste Bing, [email protected], Maison du Patrimoine Oral de Bourgogne.

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Urbanisme de rattrapage, marquage territorial populaire et conflits d’odonymies dans les quartiers de Yaoundé (Capitale du Cameroun) Corrective urban planning, popular territorial marking and odonymic conflicts in Yaounde ( capital)

Gaston Ndock Ndock

Cette contribution est l’un des fruits du Symposium International tenu à Niamey au Niger du 5 au 10 septembre 2018 sur le thème Nommer les lieux en Afrique : enjeux sociaux, politiques et culturels. Pour un observatoire des néotoponymies urbaine, géopolitique et numérique. Je tiens à remercier très sincèrement le Professeur Frédéric Giraut de l’Université de Genève, co- organisateur de ce symposium, qui s’est particulièrement investi dès le début à l’écriture et dans la ré-écriture de certains segments de cette publication.

Introduction

1 Globalement issues de la volonté administrative coloniale, la genèse de la ville moderne africaine a posé les jalons d’une dichotomie odonymique. En effet, depuis la deuxième partie du XXème siècle, la forte dynamique d’urbanisation se heurte à l’exigence d’un encadrement urbanistique des villes. La raison se trouve, d’une part, dans la pratique coloniale, reprise par l’Etat décolonisé, d’assigner unilatéralement des noms aux villes planifiées, à leurs quartiers, voies et équipements (Bigon 2016 ; Bigon et Njoh 2015 ; d’Almeida-Topor, 1996 ; Giraut et Antheaume 2012 ; Goerg 2006) et, d’autre part, à une croissance démographique qui pousse à occuper des portions territoriales non aménagées, ni désignées, et encore moins délimitées par le pouvoir (Meliki, 2020). Ce double constat structure ainsi les hypothèses sur les modalités de dénomination des espaces urbains qui conduisent à un dualisme odonymique structurel. En fait, la production de l’espace urbain au Cameroun, à titre principal, relève aussi des « faiseurs

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de ville » (Paquot, 2010) informels qui y produisent une urbanisation populaire. Celle-ci est marquée par la succession Occupation/Construction pour les bidonvilles, ou Construction/Occupation/Régularisation pour les quartiers informels auto-lotis (Giraut et Rochefort, 2006). La dénomination des lieux pour des raisons pratiques de localisation, de repérage et de déplacement s’effectue ici en dehors de toute organisation. Elle relève donc aussi d’une production populaire pour usage vernaculaire (Amougou Mbarga, 2013 ; Bertrand 2001 ; Garakcheme, 2011 ; Leimdorfer et al., 2002 ; Wanjiru et Matsubara, 2016 et 2017).

2 Mais, ces quartiers populaires sont souvent progressivement intégrés au circuit urbain conventionnel, par les autorités, grâce au concours de fonds externes (Bopda, 2001) ; situation qui aboutit souvent à dénommer pour renommer ces espaces, créant ainsi une « polyphonie » (La Soudière, 2004). Lorsque ces espaces sont tirés des schèmes populaires d’organisation et arrimés aux normes d’une planification officielle, il y a, au moins dans la signalétique et la cartographie, destructuration ou effacement des repères et symboles populaires antérieurement établis par un pouvoir qui tient à rebaptiser les lieux selon les canons de l’officialité reposant sur diverses références (Antheaume, 2008 ; Bopda, 2001 ; Njoh 2010).

3 La focale sur la restructuration urbaine1 impose l’entrée par l’urbanisme de rattrapage en tant qu’« urbanisme de la transformation » qui s’opposerait à un « urbanisme de création et d’extensions périphériques » (Chaline, 1999). Il est caractérisé par la volonté des autorités gestionnaires de la ville de reprendre la main sur des segments territoriaux qui accentuent le visage d’une ville en crise (Stadnicki, 2009).

4 Dès lors, c’est à l’interface de cette double dynamique populaire de production urbaine et d’urbanisme de rattrapage des pouvoirs publics que cette réflexion, envisageant une analyse processuelle, se structure pour répondre à la question de savoir quels sont les enjeux qui président à la formation d’une toponymie polyphonique de la ville de Yaoundé. L’hypothèse formulée est que la production urbaine populaire relève d’une toponymie vernaculaire pratique, là où les couches officielles ultérieures relèvent de l’imposition de référentiels fondateurs pour les pouvoirs publics ainsi que d’une volonté d’effacement des marques vernaculaires (Giraut et al., 2008). On émet également l’hypothèse que ces dernières sont cependant maintenues dans les pratiques par attachement au registre vernaculaire et populaire et défiance vis à vis des référentiels officiels abstraits.

5 L’effort réflexif vise ainsi à démontrer, à partir du cas de Yaoundé, ville capitale politique du Cameroun, comment du choc des dynamiques urbaines du bas et de l’officialité, jaillissent des systèmes toponymiques qui s’affrontent du fait des références, des représentations et d’enjeux de pouvoir contradictoires (Guillorel, 1999), d’où la polyphonie. Le travail articule deux autres faits majeurs. D’abord, le pouvoir s’empare du champ toponymique pour opérer un marquage politique, symbolique, idéologique ou mémoriel du territoire en fonction de ses référents et intérêts de légitimation politique. Ensuite, pour les populations, une contestation des toponymies officielles vécues comme une perte d’identité socio-spatiale au profit de référents étrangers.

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Considérations méthodologiques

6 Yaoundé est le terrain d’une enquête qui a mobilisé observation, entretiens et l’analyse documentaire.

Des données issues des techniques vivantes de collecte

7 Tout d’abord, des observations directes répétées ont été menées dans deux types d’espaces à Yaoundé. D’une part, des quartiers nouvellement créés du fait des logiques opportunistes des « gens d’en bas » (Ela, 1998). La circonscription administrative de Yaoundé IV a pour cela été choisie. D’autre part, des quartiers d’habitations populaires qui font l’objet d’une restructuration par le pouvoir central à Yaoundé II. Il s’agissait de cerner et de comprendre, en fonction du toponyme, les rapports entre odonyme et éléments du milieu, les personnes ou des faits fondateurs des lieux. Ensuite, mobilisé pour approcher des acteurs-clés, l’interview a été menée avec seize personnes, à raison de sept sur le premier site et de neuf sur le second. Une diversification genrée des enquêtés a été effectuée, notamment avec la présence de cinq femmes contre onze hommes. La faiblesse relative des femmes tient à leur faiblesse statistique comme propriétaire de maison ou chef de ménage. Les catégories de chef de secteur, chef de quartier, propriétaire de maison, patriarche et autorités municipales identifient les personnes-ressources. Exception faite des autorités, les enquêtés appartiennent à des classes sociales indigentes et habitent des quartiers populaires. Des objectifs spécifiques étaient poursuivis à travers l’interview. D’abord, glaner les informations sur les dénominations des lieux, dans l’optique de saisir la dynamique de délimitation et les référentiels qui engendrent ces noms. Ensuite, il s’est agi de circonscrire à partir des représentations sociales, les enjeux dont sont porteurs les odonymes d’inspiration populaire ou officielle. Les données documentaires ont complémenté ces informations.

Mobiliser des sources de données documentaires et géométriques

8 Les cartes administratives, certaines données sur la dénomination des unités administratives (toponymes), de reliefs (oronymes), des cours d’eaux (hydronymes), des ethnies (ethnonymes) ont été acquises à l’Institut National de la Cartographie (INC) du Cameroun et au Ministère de l’administration territoriale (MINAT). De même, la première structure a-t-elle permis d’obtenir des données géométriques, notamment des informations issues du Système d’Information Géographique national, de la mosaïque administrative du Cameroun et des cartes topographiques. Le réseau hydrographique a été étudié afin de mettre à jour l’homophonie entre cours d’eau et secteurs de résidence. Le même travail a été effectué pour la carte topographique. Dans la mesure où la problématique de l’odonymie des quartiers est liée aux récits, aux projections et aux rapports à l’environnement naturel, le paradigme des représentations sociales s’est imposé comme cadre d’interprétation des données recueillies, par la mobilisation des constructions symbolique et mentale que les acteurs développent sur un objet (Fischer, 1983 ; Jodelet, 1989).

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La crise urbaine comme matrice du conflit des référents identitaires a Yaounde

9 Yaoundé entretient une croissance soutenue avec une taille moyenne des ménages estimée à 5,5 personnes (PDU, 2008 : 19). Du côté des financements, les gestionnaires de la ville font un constat : « L’État […] ne dispose pas de suffisamment de fonds pour financer la modernisation de Yaoundé »2, vu que les principales sources de financement étaient basées sur des programmes d’aide aux pays endettés (le C2D, par exemple)3, aujourd’hui épuisés. Le tissu urbain se construit alors sur une logique anarchique de l’occupation de l’espace, expressive d’une absence de planification urbaine4.

Une politique d’urbanisation et de planification urbaine inopérante

10 Le phénomène migratoire qui fait de la capitale un lieu de convergence de populations et de naissances nombreuses, explique partiellement l’ampleur des installations anarchiques. Yaoundé se définit comme « une ville trajective » (Berque 2000). C’est donc un lieu de convergence des populations, mais aussi de leur redistribution vers les périphéries. Déversoir démographique, la ville est alors l’objet de sollicitations et d’initiatives d’investissements immobiliers. Du fait du caractère continu de ce processus, les autorités municipales, débordées, ne peuvent au préalable organiser, viabiliser et dénommer ces espaces qui sont ainsi urbanisés de manière spontanée. Ce fait doit ici être corrélé à un dyptique causal majeur issu de la variable migratoire : l’expansion spatiale et démographique et, le caractère exsangue des budgets d’investissement urbain. Sur les plans démographique et spatial, la convergence des masses à Yaoundé entretient une croissance soutenue (Bopda, 2003). Les projections du PDU prévoyaient 3 400 000 habitants en 2020, le corollaire est donc une sortie des limites du tissu urbain initial, estimé en 2002 à 9 924 hectares pour une superficie totale de 30 954,18 hectares. Aussi, les structures d’aménagement urbain se retrouvent-elles face à un double problème : une dynamique métropolitaine qui s’effectue au-delà des anciennes limites du périmètre urbain et les pratiques populaires de colonisation de nouvelles surfaces considérées comme non constructibles – cette catégorie totalise plus de 9 493,02 hectares (PDU 2008 : 54) – et des terres dites périurbaines. Dès lors, une fois rappelé que les gestionnaires de la ville martèlent le fait que « L’État […] ne dispose plus de suffisamment de fonds pour financer la modernisation de Yaoundé »5, une planification urbaine anticipatrice reste impossible.

11 De ces éléments, on peut formuler le double constat d’une faillite et du manque d’application des documents de planification urbaine : SDAU, PDU, POS, PSU, PDL. De même, la prise d’assaut populaire de secteurs et de friches urbaines met en évidence l’absence de politique urbaine et d’un pilotage stratégique de l’aménagement urbain. Subséquemment, l’arrivée massive et permanente de populations, met à mal le pouvoir central et les municipalités dans leur prérogative d’ordonnancement et de planification de la dynamique d’urbanisation (illustration 1). Dès lors, le caractère inopérant de la planification urbaine a pour façade tangible la production d’ensembles résidentiels où il n’existe ni servitude, ni réseau de distribution d’énergie électrique, ni service d’adduction d’eau potable, encore moins d’odonymes consacrant une dénomination officielle des lieux. Ces constats soulignent ainsi les logiques opportunistes des "exclus

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de la civilisation urbaine" qui tentent d’accéder à la propriété immobilière et au mode de vie urbain (Meliki, 2020).

Illustration 1 - Croissance spatiale et démographique de Yaoundé de 1956 à 2005 : une analyse multiscalaire et situationnelle

Source : Conception Olivier Maurice Zoning Moffo. Réalisation : Gaston Ndock Ndock, 2012.

Les logiques opportunistes d’installation des populations dans l’espace urbain

12 Les populations venues de l’arrière-pays et un taux de croissance démographique de 2,37 %, génèrent un phénomène de saturation du noyau urbain de Yaoundé, une rareté du sol pour les particuliers et la puissance publique, d’où une cherté du foncier valorisé et aménagé. Il s’ensuit une logique censitaire dans le marché foncier conventionnel et une flambée du coût de la vie pour les indigents. Ces réalités acculent les citadins pauvres à des logiques opportunistes.

13 Cela étant, le « théorème du volcan » qui marque l’urbanisation de la capitale, repousse en périphérie la part la plus indigente des populations en quête d’opportunités foncières accessibles (Lacour, 1999). Les nouveaux sites ainsi urbanisés tiennent de la disponibilité en terres de faible valeur et de la multiplicité des mécanismes d’acquisition conciliants pour les classes précarisées. Il s’agit des couronnes périurbaines, terres situées dans l’entre-deux, précisément au point de sortie des campagnes ou des villes satellites et à l’amorce du tissu urbanisé (Certu, 2007 ; Yemmafouo, 2013). Ce sont des « espaces compris entre l’agglomération morphologique d’un côté, et la campagne rurale et ses localités de l’autre » (Bryant et Marois, 1998) ; les interstices urbains, désignant un résidu spatial, un vide urbain ou une zone d’abandon constitutif d’une transition entre deux blocs de construction ou deux espaces planifiés (Rivière, 2012) ; les espaces classés non constructibles qui intègrent de vastes terres hydromorphes – marécages, bas-fonds – et des zones accidentées ainsi que les terres semi-rurales sans valeur ponctuelle pour les autorités.

14 Il faut en effet relever que ces espaces sollicités par les indigents se situent en marge des fronts d’urbanisation envisagés par la planification urbaine. Ces secteurs ont initialement un caractère semi-rural de par le désintéressement des politiques urbaines

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à leur endroit. Au stade urbain embryonnaire, ce facteur qui justifie l’absence de réglementation et la facilité d’accès à une parcelle de terres, devient l’adjuvant d’un déferlement des exclus. En fait, les valeurs sur ce marché foncier peu formalisé, relevant du droit coutumier, sont de loin inférieures aux prix des canaux conventionnels d’accès au foncier valorisé.

15 Ainsi, l’opportunisme dans l’acquisition d’une propriété foncière est à coupler à la faiblesse du niveau de vie, comme moteur qui commande l’irruption au sein de ces espaces semi-rustiques aux prix de denrées alimentaires, de biens et services artisanaux abordables. Ces facteurs exercent une forte attraction sur les migrants et exclus de la métropole, accélérant ainsi la construction de nouveaux secteurs résidentiels sans PDU et POS, encore moins une politique de desserte et de fourniture en services sociaux de base. Face à l’incapacité des pouvoirs publics à fournir des services et équipements nécessaires, les zones ainsi investies par les « laissés-pour- compte de la civilisation urbaine » se retrouvent au centre d’initiatives et de stratégies populaires alternatives.

Production urbaine par le bas et système d’odonymie populaire

16 Les formations spatiales hors de l’emprise des pouvoirs publics obéissent à des systèmes de localisation et de dénomination qui décrivent et racontent ces lieux. Dans cette production populaire des odonymes urbains, les déplacements par les moyens de transports alternatifs ou précaires (moto-taxis) participent dans la diffusion des odonymes. Car, prenant pour repère des particularités des lieux. Les champs de référencement qui donnent sens à ces odonymes relèvent de narratifs qui restituent les dynamiques socio-spatiales majeures des quartiers considérés. De plus ils s’effectuent dans ce que Louis Martin Onguene Essono (2018) appelle « un volcan linguistique actif ».

Une toponymie expressive des particularismes du milieu physique

17 L’entreprise populaire de dénominations secrète des toponymes qui disent la vie sociale ou décrivent les traits marquants de l’environnement. L’odonyme est ainsi un discours sur le milieu. Il renferme des informations dont l’intelligibilité n’est accessible pour autant que l’on puisse comprendre le champ référentiel qui l’irrigue, ce qui implique une capacité de décryptage des codes liés aux systèmes langagiers en vigueur. Le toponyme a une charge sémiotique qui renvoie à une langue, un référent et un contexte spécifique (Boutaud, 1998).

18 En ce sens, les mécanismes de référenciation en jeu puisent une part de leur substance dans les repères géographiques de l’espace considéré. Ici, la relation entre désignant et désigné, c’est-à-dire l’odonyme et sa référence matérielle ou mentalement construite met en lumière une structure topographique particulière ou le caractère unique d’un élément du milieu. Dès lors, le langage populaire, à travers les idiomes locaux et parfois l’argot, dit la géographie locale. Cette construction mentale et imagée d’une réalité via la toponymie est liée aux mentalités et pratiques spatiales et sociales (Jodelet, 1989 ; Mucchielli, 1985).

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19 A cet effet, rappelons que Yaoundé est lui-même appelé Ongola-Ewondo, c’est-à-dire la clôture des Ewondos. Ce substantif, issu de la langue vernaculaire, désigne un habitat constitué de « paillotes » de forme rectangulaire protégées par des enclos faits d’arbustes : descriptif essentiel du pays des Ewondo (Leques, 1955, p. 33). Une telle grammaire nominative qui puise dans des éléments anthropologiques – groupe culturel en présence – et le visuel architectural externe de l’habitat dominant – type de case et leur aspect – consacre la logique sémio-contextuelle qui sert partout d’ancrage au système odonymique vernaculaire.

20 À Yaoundé, nombre de dénominations populaires sont puisées dans le répertoire de noms existants, relatifs à l’environnement et au relief. C’est ainsi que l’investissement d’un espace interstitiel, de nature non constructible pour le pouvoir, entre une zone commerciale (Bata), et un espace résidentiel pour classes modestes (nkol-Eton), s’est vu dénommer : nlongkak-Elobi, par les indigents, désignant sa structure marécageuse ; elobi étant ici un mot de l’idiome Ewondo qui désigne les bas-fonds marécageux. Dans le même ordre, on retrouve des éléments topographiques dans ces dénominations. C’est ainsi que des odonymes dépeignent la structure collinaire ou montagneuse saillante de leurs milieux. Les populations vont baptiser leurs espaces à partir du mot ewondo « nkól », signifiant colline, lequel remplit les rôles de préfixe et de radical (Essono, 2016, p. 352). Des noms de quartiers populaires tels que mbankolo et nkolbikok souscrivent à ce registre. Cette relation entre particularité environnementale et toponymie irrigue les phytonymes et zoonymes. C’est respectivement les cas du quartier populaire de Oyomabang (vieil Iroko) et Djoungolo (caméléon), espèce faunique prégnante.

21 Ainsi, il y a donc production d’une richesse odonymique ancrée dans les éléments de l’environnement naturel et historique, mais aussi à la vie sociale contemporaine. L’illustration 2 présente ainsi des quartiers, des rues et des habitations adressés suivant une nomenclature informelle ou illégale dans la ville de Yaoundé.

Illustration 2 - Des quartiers, des rues et des habitations adressés suivant une nomenclature informelle ou illégale

Sources : Communauté urbaine de Yaoundé, 2014 et observations de terrains, 2017.

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L’histoire sociale des lieux au cœur des dénominations

22 D’après les analyses effectuées à Yaoundé, métropole politique et Douala, métropole économique, la toponymie est un narratif dynamique qui dit la longue durée et la quotidienneté (Amougou Mbarga, 2013). Dans une perspective historique, une majorité des noms de quartiers de la ville de Yaoundé raconte les séquences de la mise en place des populations. Ils rendent compte de la mise en valeur d’un espace par une tribu ou une figure ancestrale d’un clan, d’où l’existence de toponymes incluant les termes mvog ou elig dans la dénomination des quartiers (Essono, 2016 : 370). Chaque clan est désigné par mvog – qui renvoie à « clan de » – ou par elig, c’est-à-dire la « descendance de ». On verra donc des quartiers comme : Mvog-Ada, Mvog-Mbi, Mvog-Betsi, Elig-Edzoa, Elig-Essono, Elig-Belibi, entre autres. Ces toponymes, de nature patronymique, rendent compte de l’histoire socio-culturelle des quartiers désignés à travers la filiation et la culture ethnique contenues dans le désignant.

23 Ce constat historique met en contexte un même processus de dénomination actuelle des quartiers spontanés. Les noms de quartiers contemporains d’émanation populaire prennent en charge des faits et des personnes qui font références pour l’identité de nouveaux territoires urbains. Les toponymes sont ici dépositaires de la mémoire collective récente des lieux. Des dénominations de quartiers telles que « carrefour Happi » dans l’arrondissement de Yaoundé IV, « Carrefour sorcier » à Yaoundé Ier, « Carrefour Caca » de l’arrondissement de Yaoundé VI, « Carrefour Condom » ou « Vallée de la mort » respectivement situés à Yaoundé III et Ier dont les exégèses sont faites à la section suivante, procèdent de cet esprit. Le premier renvoie à un entrepreneur qui a marqué la vie du site. Capitaine d’entreprises, ses affaires ont rythmé l’économie du quartier. Le second doit son nom à des évènements paranormaux récurrents : il est un lieu culte de départ et d’arrivée de vols occultes ayant cependant des manifestations tangibles comme le rapporte en détail la prochaine section. Le troisième renvoie à un problème d’hygiène et de salubrité : des excréments qui proviennent en grande quantité des fosses septiques, se déversent dans la rue. Depuis une dizaine d’années, les habitants des quartiers (Biyem-Assi, Acacias, Jouvence) de l’arrondissement de Yaoundé VI pataugent régulièrement dans ces eaux usées. Une quinzaine de fosses septiques connectées aux logements avoisinants ont été construites au milieu de la route principale. Malgré leur proximité avec des logements administratifs et sociaux, et même un marché, elles ne sont pas entretenues et laissent échapper sur la chaussée leur contenu, une fois les cuves pleines. Le quatrième mettrait en exergue une certaine débauche sexuelle dans un quartier typiquement estudiantin, alors que le dernier toponyme renseigne sur une tranche sanglante de l’histoire politique du Cameroun. Il pointe le lieu où furent construites des geôles, haut lieu de tortures et d’exécution sommaires des dissidents.

24 Ces toponymes sont une fenêtre sur l’histoire et les usages des espaces (illustration 2). Ils dépeignent des faits et des figures autour desquels se sont construits les territoires en question (Guillorel, 2012). C’est d’ailleurs pourquoi, il existe une variation temporelle et conjoncturelle des toponymes sur les sites observés comme suggéré à la prochaine section. Partout en zones urbaines camerounaises, la toponymie d’émanation populaire est un discours sur le temps social, politique et culturel de la population. Le « Carrefour maquisard » à Bafoussam tient ainsi son nom de l’événement d’exécution sommaire des derniers résistants nationalistes à l’Ouest Cameroun

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(Mbembe, 1989). Le « Carrefour Trois voleurs » et le carrefour « J’ai raté ma vie » à Douala, le « Carrefour Tamzou » à Ebolowa rappellent des déviances sociales observées dans ces villes (Pangop Kameni, 2006). Les toponymes soulignent donc la brutalité du pouvoir central et la supposée dépravation des mœurs, moyen de survie alternatif qui accuse, par-là, l’incapacité du pouvoir à produire les conditions d’emplois rémunérés pour la population. C’est pourquoi, le pouvoir, brocardé, contesté et dérangé par ces toponymes, essaie d’attribuer de nouvelles dénominations à la faveur des opérations de restructuration urbaine.

Représentations sociales distinctives et polyphonie toponymique

25 L’urbanisme de rattrapage, opération de restructuration du territoire urbain à postériori des installations spontanées et auto-organisées de populations (Nzuzi, 1989), autorise une réorganisation du territoire. Cette « modernisation » s’exprime souvent par des déguerpissements ou de simples restructurations sur fond d’assainissement basique (Chenal et Diagana, 2016). Elle se prolonge aussi dans le domaine toponymique souvent dans l’ignorance des repères populaires qui s’opposent alors à la strate officielle.

Enjeu d’adressage et affrontement de dénominations à partir de registres symboliques différenciés

26 La rationalité statistique et numérique est au centre de l’urbanisme de rattrapage. Elle s’inscrit en droite ligne des recommandations globales d’adressage par les organisations internationales en matière de production de villes intelligentes (Njoh, 2010). Adossée à la gouvernance par les chiffres, cette logique met en jeu, dans les dix chefs-lieux de régions, la généralisation d’une logique du découpage et du décompte pour une meilleure organisation spatiale. Ainsi, malgré l’absence relative de sa mise en œuvre, les dix Communautés Urbaines, devenues Mairies de ville à la faveur de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales décentralisées, essaient de se doter chacune d’un PDU. À Yaoundé ou à Douala, tel que mené par les Mairies de ville, l’urbanisme de rattrapage pose les jalons de cette gouvernance urbaine qui produit trois résultats principaux. D’abord, une certaine valorisation du foncier liée aux travaux de viabilisation répondant aux standards, même primaires, des prescriptions urbaines en la matière. À Yaoundé, à titre illustratif, le bloc Mbankolo-Chefferie, naguère malfamé, passe au rang de nouveau quartier convoité à cause des travaux menés. Après la construction de larges routes bitumées à double-sens, de ponts et l’instauration de l’éclairage public, des conflits sont observés entre le collectif de défense des terres du quartier et la société d’investissement immobilière, Clemevesf. Celle-ci désire racheter de force les terrains pour rallonger la zone résidentielle dédiée principalement aux diplomates et à la bourgeoisie d’affaire. Autre effet de ces politiques : la réorganisation territoriale des espaces aménagés. Le quartier Mbankolo-Chefferie est ainsi intégré sur la carte de la ville et pratiquement annexé au bloc des classes aisées du quartier Golf qui jouxte le vaste domaine de la Présidence de la République du Cameroun. Enfin, la fourniture de commodités et la réalisation d’une trame viaire normalisée permet une systématisation du repérage des

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voies et des parcelles selon une logique numérique. Ainsi, les opérations de restructuration urbaine sont souvent couplées à l’attribution de nouveaux odonymes, le pouvoir tenant à rebaptiser selon les canons de l’officialité les quartiers restructurés (illustration 3). Mue par des intérêts et une idéologie distincte des logiques populaires, l’autorité s’empare parfois du champ odonymique pour opérer un marquage symbolique, idéologique ou mémoriel du territoire, voire pour banaliser ou déshistoriciser les lieux dédiés à des figures qui « dérangent », ou encore pour légitimer ou justifier une création spatiale (Veschambre, 2004 ; Bertrand 2004). Cette posture contrarie la volonté populaire de maintien des toponymes vernaculaires liés à la construction symbolique et mentale de l’espace.

27 Si le droit de nommer est le versant linguistique du droit de s’approprier (Calvet, 2002), attribuer des noms devient, pour le pouvoir, un acte politique qui affirme son impérium (Giraut et al., 2008), légitime son emprise et sa politique du city marketing (Borja, 1996) ou du City Development Strategy (CDS), tandis que pour la population, il s’agit de pérenniser une mémoire environnementale, un socle culturel ou humain qui restitue une tranche d’histoire significative. Les renominations officielles sont donc créatrices de dissensions. Il peut s’en suivre des incompréhensions qui mènent à récuser les appellations officielles et à rebaptiser les segments désignés par l’autorité tout en engageant des actes de vandalisme envers la nouvelle signalétique officielle (Guyot et Seethal, 2007).

28 Dans la ville de Yaoundé, odonymes officiels et populaires s’affrontent. Le quartier "Manguier" au lieu-dit Grand Canyon bar, abrite un carrefour célèbre. Sporadiquement, on y découvre au petit matin des personnages dénudés perchés sur les pilonnes électriques, placés sur les dômes d’immeubles ou simplement encastrés dans les fentes d’un mur de maison. Fouettés ou menacés, ces personnages font la confession de vols occultes nocturnes menant à un « atterrissage d’urgence » dû à la lumière du jour : tel est l’origine de « Carrefour Sorcier ». Toutefois, l’État, dans sa raison cartésienne, a tenté de rebaptiser le lieu en « Carrefour Ody ». De même, les populations ont-elles débaptisé le « Carrefour Mobil Essos » au courant de l’année 2018 pour imposer « Carrefour 02 milliards ». Cet odonyme vient d’un acte de « générosité » d’une dame installée de bonne heure dans un supermarché jouxtant ce carrefour, se proposant de régler les factures de tous les clients. Le pouvoir réfutera cette appellation en maintenant, dans la publicisation de ses évènements et autres activités à cet endroit, l’appellation originelle. Il faut aussi rapporter le cas des quartiers Biyem-Assi, Jouvence, Acacia dans l’arrondissement de Yaoundé VI dont les rigoles des carrefours sont parfois envahies par les déjections humaines venant des fosses septiques et rendant irrespirable l’air du lieu. « Carrefour Caca » est alors l’odonyme trouvé par les populations pour ces lieux. Ce nom est repoussé par le pouvoir qui oppose toujours le toponyme de « Montée Jouvence ». Les populations maintiennent alors « Carrefour Caca » pour rappeler l’omniprésence des selles et l’incapacité des municipalités à assainir ce quartier. Cette dynamique est aussi observée à Douala. Dans le quartier « Village », haut lieu de réjouissance populaire, la logique festive, l’insouciance, la débauche sexuelle, l’ivresse et la criminalité, justifient le nom Carrefour « J’ai raté ma vie ». Le pouvoir a plusieurs fois posé des plaques pour récuser cette appellation en faveur de celle de « Carrefour Nelson Mandela », mais les habitants et usagers des lieux l’ont récusé. C’est dans la même foulée que l’on note chaque année, à Douala, des « tentatives répétées de démolition de la statue du général Leclerc par Mboua Massock,

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personnage bien connu de la scène publique et politique camerounaise » (Ndjock Nyobe, 2014).

Illustration 3 - Quartiers désignés suivant une nomenclature légale ou officielle

Sources : Communauté urbaine de Yaoundé, 2014, observations de terrains, 2017.

29 Ce dernier est rejoint par l’activiste mémoriel André Blaise Essama. Cet acteur, malgré les sanctions pécuniaires infligées – que la diaspora camerounaise s’empresse de payer – et les peines de prison ferme, déboulonne la statue du général Leclerc et essaie de la remplacer par des noms et bustes des nationalistes comme Um Nyobè, père de l’indépendance, mais aussi des acteurs politiques phares tel que John Ngu Foncha, principal acteur du processus de réunification des deux Cameroun. En effet, la statue du général Leclerc, située à la place de l’Indépendance au lieu-dit « poste de Bonanjo », rappelle un passé colonial douloureux et des transactions politiques au profit du bloc dirigeant actuel. Elle fait ainsi ombrage aux héros nationaux et régionaux (Ndjock Nyobe, 2014). Déboulonner cette statue, est ici une forme d’expression politique qui va de pair avec une revendication de toponymes et symboles populaires.

30 Avec la restructuration des quartiers à Yaoundé, des toponymes et figures étrangères font irruption. Tel est le cas aussi du « Carrefour Monseigneur François Xavier Vogt », flanqué d’un buste le représentant, ou de « l’Avenue Jean-Paul II ». Le pouvoir s’attèle, par cette technique, à faire disparaître les odonymes considérés comme péjoratifs ou populaires. Ces pratiques et les réponses populaires d’usage et d’affirmation des appellations vernaculaires débouchent sur une polyphonie dont l’enjeu est le pouvoir.

La nomination des lieux au-delà des enjeux identitaires et mémoriels, une question de pouvoir

31 Baptiser un lieu ou en changer le toponyme est un acte de pouvoir (Houssay- Holzschuch, 2008). La topographie urbaine et les toponymes qui en désignent ses éléments et parties, entrent dans le champ de la projection du pouvoir (Tchumtchoua et Ndjock Nyobe, 2013). Dans un contexte où le pouvoir, possibilité d’agir sur un individu, s’inscrit dans l’ordre de la relation entre individus (Bocher et al., 2010, p. 237),

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l’acte de dénomination devient prescriptif d’une volonté, d’une histoire et d’une manière de concevoir l’environnement et ses individus. Il s’agit d’un rapport de force. Le nom est ainsi un attribut du territoire ; il le désigne, le situe, le qualifie, symbolise sa substance (Austin, 1963, Claval 2003) et (re)écrit son histoire dans un sens favorable à l’acteur qui l’initie. Ainsi, des enjeux politiques se dégagent une fois rappelée l’histoire du bloc dirigeant actuel qui cherche à imposer son autorité, à façonner l’histoire politique à son avantage et implémenter sa politique urbaine. De ce point de vue, l’indépendance a débouché sur un conflit entre ex-colonisés à propos du passé. Le pouvoir, soucieux de se fabriquer une légitimité que lui ôtaient de facto les évènements liés à la décolonisation, essaie de reconstruire une nation déblayée de tout conflit symbolique. Et, pour cela, utilise de manière sélective des figures et des évènements conciliants pour dénommer les quartiers et places, imposant alors une amnésie collective officielle sur les figures nationalistes populaires qui auraient pu hériter du pouvoir (Mbembe, 1989).

32 Face à ce dispositif toponymique qui rend compte de l’emprise du pouvoir, le versant contestataire populaire, considéré dans la section précédente, exprime le rejet d’odonymes unilatéralement assignés par un pouvoir post-autoritaire. Ces faits justifient aussi la polyphonie observée dans les villes. Ainsi, pour une part de la société civile, toute toponymie en rapport avec l’indépendance ne serait acceptée qu’en restituant son contenu symbolique et historique effectif. C’est pourquoi, elle s’attaque souvent frontalement au diktat mémoriel et historique véhiculé par la toponymie d’Etat. Par ailleurs, les populations revendiquent des odonymes qui disent une réalité socio-culturelle, identitaire ou politique admise du lieu. Ainsi donc, le « Carrefour sorcier », malgré un acte officiel faisant de lui le « Carrefour Ody », conservera son appellation originelle pour la population, tout comme la construction du monument de « La nouvelle Liberté » à Douala ne parvient pas à changer nominalement le « Rond- Point Deïdo ». Pour certaines populations, le maintien des toponymes qu’elles secrètent devient l’expression d’une double réalité : un acte de citoyenneté et un mouvement contestataire. L’élan de citoyenneté traduit le refus de perte d’une identité socio- spatiale devant un pouvoir enclin à l’adoption de référents étrangers aux représentations vernaculaires. Ainsi, les analyses développées ci-dessus suggèrent que la logique oppositionnelle mettant aux prises autorité et populations au sujet du contrôle de la toponymie ne peut être dissociée de la question du pouvoir. L’illustration 4 ci-dessous est une synthèse des nomenclatures officielles et non- officielles des quartiers de Yaoundé.

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Illustration 4 - Synthèse des quartiers de Yaoundé désignés suivant une nomenclature officielle et non officielle

Sources : Communauté urbaine de Yaoundé, 2014, observations de terrains, 2017.

Conclusion

33 Ce travail questionnait les facteurs et enjeux qui rendent compte, dans le contexte camerounais, à partir du cas de la ville capitale de Yaoundé, d’une polyphonie odonymique, opposant toponymies urbaines vernaculaires et officielles. À partir des données de terrain, il est confirmé que les deux moteurs de la production toponymique urbaine sont d’une part l’urbanisation spontanée informelle et le maintien de sa logique et d’autre part la volonté de restructuration urbaine de l’autorité à postériori désignée par le concept d’urbanisme de rattrapage. De ce diptyque causal, il apparaît que les deux logiques de production urbaine sont génératrices d’une toponymie duale et contradictoire. En tant que messages qui témoigne d’éléments mémoriels et fonctionnels, les odonymes recouvrent dès lors des enjeux de pouvoir qui justifient la volonté des acteurs populaires et publics à maintenir, chacun, leur registre toponymique, vernaculaire et officiel. Cette absence de consensus autour du désigné et du signifié, ainsi que la dichotomie des référents qui légitiment de part et d’autre un ordre et une vision du monde, provoquent un affrontement qui installe une polyphonie toponymique rendant difficile l’orientation et l’adressage dans l’espace urbain métropolitain. Cela étant, un toponyme est à envisager comme un enjeu en soi, dans la mesure où son choix met en présence différents acteurs, projets, cultures, identités et représentations souvent empreintes du sceau de la conflictualité.

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NOTES

1. La restructuration urbaine est comprise ici au sens de la loi n° 2004/003 du 21 avril 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun. Elle est définie comme « un ensemble d'actions d'aménagements sur des espaces bâtis de manière anarchique, dégradés ou réalisés en secteur ancien, destinés à l'intégration d'équipements déterminés ou à l'amélioration du tissu urbain des agglomérations » (article 53, al.1). 2. Essi Gérard, Chef cellule de développement urbain de la CUY. Entretien réalisé par Ferdinand Mben Lissouck, 20 octobre 2009. 3. Le contrat de désendettement et de développement (C2D) est un outil qui permet de reconvertir la dette de certains pays en programmes de lutte contre la pauvreté. 4. Selon la loi portant code de l’urbanisme Le Certificat d’Urbanisme, L’autorisation de Lotir, Le Permis d’Implanter, Le Permis de Construire, Le Permis de Démolir, Le Certificat de Conformité, on pourrait ajouter l’absence ou la non réactualisation d’un Plan Directeur d’Urbanisme (PDU), Le Plan d’Occupation des Sols (POS), Le Plan de Secteur (PS), Les Plans Sommaires d’Urbanisme (PSU), etc. 5. Essi Gérard, Chef cellule de développement urbain de la CUY. Entretien réalisé par Ferdinand Mben Lissouck, 20 octobre 2009.

RÉSUMÉS

Ce travail questionne les sources et enjeux du conflit de référents dans la dénomination des voies et des quartiers de Yaoundé. La polyphonie constatée est liée à la coexistence des registres populaire et officiel de production urbaine. Le premier supplée et précède l’urbanisme officiel en zones de marge, interstitielle ou non aedificandi. Les référents toponymiques du registre populaire sont associés à des repères pratiques d’orientation. Ils expriment la mémoire ou la permanence des lieux appropriés et symboles d’urbanité pour les citadins des milieux populaires. Cette toponymie urbaine de pratique vernaculaire peut se heurter aux projections toponymiques fonctionnelles et mémorielles du registre officiel. En situation d’urbanisme de rattrapage, les lieux et quartiers sont rebaptisés selon divers référents et symboles qui rappellent pouvoir, histoire et culture officielles. Ce dépaysement et l’assujettissement induits des citadins conduisent au rejet de l’odonymie officielle, d’où le dualisme observé.

This paper examines the sources and stakes of the conflict of referents in the naming of roads and neighbourhoods in Yaoundé. This observed polyphony is attributed to the coexistence of popular and official registers of urban production. The first one overrides and precedes official urban planning in marginal, interstitial or non aedificandi zones. Toponymic referents of popular register are associated with practical reference points for orientation. They express the memory or perennity of appropriate places and symbols of urbanity for city-dwellers in populated areas. This urban toponymy of vernacular practice can clash with the functional and memory-oriented toponymic projections of official register. In a remedial urban planning situation, places and districts are renamed according to various referents and symbols which recall official power, history and culture. This disorientation and subjugation of city-dwellers brings about the rejection of official odonymy, resulting in the dualism which is observed.

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INDEX

Keywords : popular urbanism, remedial urbanism, naming, odonymy conflict Mots-clés : urbanisme populaire, urbanisme de rattrapage, adressage, toponymie, conflit d’odonymie Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

GASTON NDOCK NDOCK Gaston Ndock Ndock , [email protected], est chargé de Cours, à l’École Normale Supérieure de Yaoundé, Université de Yaoundé 1 (Cameroun). Il a récemment publié : - Ndock Ndock G, 2020. Cultiver d’abord et habiter après : l’agriculture périurbaine comme stratégie d’appropriation foncière dans l’arrière-pays de Yaoundé. Territoire en mouvement. Revue de géographie et aménagement [En ligne]. URL: http://journals.openedition.org/tem/6257 - DOI: https://doi.org/10.4000/tem.6257 - Ndock Ndock G, Assako Assako R.J., Yapi-Diahou A, 2015. Métropolisation de Yaoundé et mutations des structures foncières à Soa, ville satellite de Yaoundé. Le Journal des Sciences sociales, numéro spécial-mars 2015, p. 77- 83. - Mbaha J.P., Ndock Ndock G., 2015. Le Nkam face à la métropolisation doualaise, entre ponction, réfraction au développement et faiblesse de la participation. In Elong J. G., Tchawa P., Moupou M. (ed), Participation et développement rural au Cameroun. Éditions Clé, p. 238-247.

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“We shall know a place by its names”: Co-existing place names in Bindura, Zimbabwe

Dorcas Zuvalinyenga

Introduction

1 Toponymy, defined as “a science encompassing the study of geographical names” (Woodman 2012, p. 5) can facilitate important and complex associations and semantic prosodies. For instance, whenever Robert Gabriel Mugabe Street or Robert Gabriel Mugabe International Airport is mentioned associations with Zimbabwe, pan- Africanism, hyperinflation, and the land reform, among other things, may arise, in part due to the “image” of Zimbabwe built up in the public consciousness following decades of international media coverage. Place names can be intricately connected to a place’s and its people’s identity. The interconnections between place naming, identity and geo- politics is now an established fact in critical toponymy (Rose-Redwood, Alderman et Azaryahu, 2009, 2017; Rose-Redwood et al., 2019) and linguistic landscape (LL) studies (Ben-Rafael, 2008; Shohamy, 2006; Shohamy et Gorter, 2008; Shohamy et al., 2010). Research in these fields shows that assigning names to features acts as assertions of political power over space and a key component for building spatial identities. Thus, place naming serves the dual purposes of making it possible to identify a location while simultaneously creating a socio-cultural scene that overtly memorializes historical figures, events, places and ideals. In the same analysis, place naming is linked to structures of power and discourses of identity making it a possibly contested spatial practice that results in multiple and competing place names (Rose-Redwood et Kim, 2020). Toponymic inscription, the exercise of place naming, has been seen to be a tool for articulating power in places like Senegal and Kenya (cf. Njoh 2016). Finally, Tucci, Ronza, and Giordano, 2011) point out in their study of what they call the “layering (of) the toponymic tapestry”. Toponyms can be a reflection of a place’s long and contested social and political history where fragments “of all the different toponymic regimes

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and hegemonic discourses that took over one after the other over time” will remain inscribed, thus originating “a complex tapestry in which different pasts revive and conflicting ideologies co-exist” (Tucci et al., 2011, p. 370).

2 When wishing to specify a particular feature or place, “we may find that there are several names available for it” (Woodman 2012, p. 5). The phenomenon of plural toponymies reflects both the simultaneous use and co-existence of place names. Basically, a place can – for a variety of reasons – be known by more than one name. This simultaneous use and co-existence can be harmonious, ambivalent or uneasy. Studies of plural toponymies, however, tend to be few and far between, more so in small towns or rural areas. The location of the study is Bindura, a farming and mining town of some 46,275 people (Zimbabwe Statistical Agency, 2015) in the Mashonaland Central province of Zimbabwe. The governmental capital of the province, Bindura is located some 88 km northeast of Harare. Bindura’s selection as a case study highlights Azaryahu’s (1996, 2009, 2011) contention that most research tends to focus on larger cities at the expense of the smaller towns and scholarship may be missing out on what can be found in these smaller cities. This study thus sought to fill this gap. That is, the study focuses on Bindura because it is a regional town that is neglected (Helliker et Bhatasara, 2018; Helliker, Chiweshe, et Bhatasara, 2018) compared to the bigger cities such as Harare, Bulawayo, Masvingo and Mutare. This neglect is seen in terms of both economic and social development where essential services can only be found in Harare. In addition, because administration of the town is from the central government, it is likely that toponymic trends in Bindura may be representative of what prevails in the country as noted by Mangena, 2018). There is also no specific research report on the languages spoken in the area and the distribution of the speakers other than those that focus on the whole country (Kadenge et Mugari, 2015; Mlambo, 2009). The absence of such research further justifies this project.

3 Drawing from and expanding on the insights made in critical toponymy and linguistic landscape studies, this article addresses the following research questions: - How are place name variants connected to their geopolitical communities? - What implications do plural toponymies have on members of a community and their relationship to a place? - What are the discourses, ideologies, identities and social representations being revealed by variant place names?

Methodology

4 The title of the article draws from Firth’s (1957, p. 11) proposition that “you shall know a word by the company it keeps” which implies distributional approaches to word meanings. Firth suggests collocation analysis to determine word meanings, where the co-occurrence of particular words can point to their syntagmatic meaning. For example, one of the meanings of night can be noted from its tendency of co-occurring with dark and vice versa. This notion of collocation, albeit in a different and simplified context, has been adapted in this article to refer to what it can contribute to understanding plural toponymic discourses. In this sense, place names and their use are considered as discourses that can be useful in revealing and understanding ideologies, identities and messages carried in multiple place naming practices, because word co-occurrence may shed new light on multifaceted webs of identities, discourses

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and social representations in a given society (Bogetić, 2013). It is proposed that names and naming practices of a place give us windows into the events or behaviours of a particular place and its inhabitants. Context matters, in particular “context as understood, received and accepted by the social grouping bearing witness” to the name (Woodman, 2012, p. 12). These events and behaviours are traced from precolonial times to the present and include but are not limited to history, culture, identities, gender or class relations, power and communication.

5 Most research in critical toponymy and linguistic landscape (LL) generally pays insufficient attention to the phenomenon of multiple toponymies and its effects in naming practices and societies (Rose-Redwood et al., 2018; Shohamy et al., 2010). Therefore, this study analyses reasons that necessitate plural toponymic practices as well as their effects and functions on identity construction/constraining and power relations in a multilingual, multicultural society like Bindura, Zimbabwe. Bindura as a regional town that has a rural hinterland has not featured much in Zimbabwean toponomastics. Essentially, most Zimbabwean toponymy focus on bigger cities such as Harare, Bulawayo, Masvingo and Mutare (Dube, 2018; Mamvura, 2014; Mamvura, Mutasa, et Pfukwa, 2017; Mushati, 2013; Nyambi, Mangena, et Pfukwa, 2016; Pfukwa, 2018) while other studies examine the phenomenon in the global north (Ameel et Ainiala, 2018; Rose-Redwood et al., 2018).

6 Semi-structured interviews with a range of participants from planning officials, public transport drivers, conductors and users, youths and the elderly inhabitants of the area were carried out (n=35), including surveys, observations, as well as analysis of documents such as maps, gazetteers, archives and reports. The discourse-historical approach (DHA) of Critical discourse analysis (CDA), was used to analyse these “texts” because of its utility in explicating power relationships embedded in everyday conversations such as naming places and using those names (Wodak, 2015). Bindura is a town on the margins, and provisions in CDA encourage giving voice to such. The DHA also emphasizes consideration of the linguo-socio-cultural-historical context of the phenomena under investigation. This position enables a researcher to grasp the bigger picture of the subject while becoming aware of the intertextuality of place naming practices. A place name is not an isolated form of spatial reference but is related to other names within and or outside the particular area, other socio-economic issues prevailing in the immediate community, the nation or at an international scale (Ainiala et Östman, 2017). Further to that, the DHA provides directions in undertaking an analysis as long as the context is clarified. This approach to language analysis has adopted a common set of guiding principles, assumptions and perspectives that are diverse, complementary but sometimes competing, making it flexible and usable.

7 Critical discourse analysis articulates well the study of identity and multiple place naming. Identity is important in place naming because it connects individuals with groups. This allows us to understand how individuals associate with or detach themselves from certain communities, the type of information they intend to express about themselves and how this information in turn mirrors the ideas others hold about them. Hodge (2012) argues that when speaking about a place name, speakers are always making choices about how to index a location. Such choices tell us something about speaker intentions and the nature of the commitment they have to the proposition expressed with the use of a particular toponym. In this sense, identity becomes vital in transmitting “to one another what kind of people we are; which geographical, ethnic,

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social communities we belong to; where we stand in relation to ethical and moral questions; or where our loyalties are in political terms” (De Fina, 2006, p. 263). Understood this way, identity then relates with the view that language use, in our case multiple place naming, is not only a cognitive venture, but also similarly an inherently social one. The foregoing’s understanding of identity makes us think about the motives for and the circumstances under which people name places, the ways they are viewed by other users of toponyms, the implications they want to convey in certain situations and the resources they draw upon in order to do so (Zotzmann et O’Regan, 2016).

8 Identity is a conversational phenomenon because the way individuals and others portray themselves is developed through language and other semiotic resources. It is additionally material because people take up identities in relation to contexts. It is performed in time and space, in actual settings and as an outcome of actual circumstances. Individuals perform acts of identity such as choosing to use a slang toponym over an official one or take a selfie next to particular signage depending on the context (Zuvalinyenga, 2020). However, individuals do not perform these acts of identities on the same terms because inter-individual experiences vary, as do their social positions, related access to linguistic, cultural, economic, and other resources – social and material – that grant them different degrees of recognition. Significantly, Zotzmann and O’Regan (2016) make it apparent that categorizations of self and other are influenced by discourses about social groups that are produced and re-produced at different levels of society and in different social spheres such as the media, education and politics. These conversations, in turn, are affected by and affect social hierarchies in a variety of ways. Therefore, because identity constructions are pervaded with power relations and ideology that can be exposed through a critical discourse analysis, the framework has thus been chosen.

9 A review of related literature together with definitions of key terms is presented, followed by a background which contextualises the case study the theoretical framework, methods the results discussion of research findings, and the conclusion.

Review of related literature

10 Literature from critical toponymy, linguistic landscape studies, critical discourse studies and sociolinguistics was consulted to explore how multiple place names are connected and the implications arising from these connections. Further, the discussion explores the various discourses, ideologies, identities and social representations being revealed by these variant and plural place names or practices.

The critical turn in place name studies

11 Critical toponymic enquiry is a developing field deserving further research (Azaryahu, 2011; Berg et Vuolteenaho, 2009; Bigon, 2008; Bigon, 2016; Górny et Górna, 2019a, 2019b; Njoh, 2007; Njoh, 2009; Puzey et Kostanski, 2016; Rose-Redwood et al., 2009, 2017; Sihlongonyane, 2015; Wanjiru et Matsubara, 2017). Critical name studies, according to Puzey and Kostanski, 2016) react to sentiments expressed by many scholars’ citation of the utterances: “A rose by another name would still smell as sweet” from Shakespeare’s seminal Romeo and Juliet. The saying conveys the idea that names merely label objects they denote. Critical toponymic studies problematize such assumptions by highlighting

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symbolic functions of naming. Giraut and Houssay-Holzschuch (2016, p. 1) elaborate, through the notion of dispositif, how the critical turn makes it possible to reveal geopolitics and power relations involved in studying place names. Puzey and Kostanski (2016) contend that names can signify profound identities, act as elements of attachment and dependence, and mirror communal values and social customs, while working as powerful elements of inclusion and exclusion. Consequently, place naming in the selected study area signals prevailing discourses that echo diverse representations, actors, and these have implications in social relations.

12 Critical analyses depart from earlier toponomastics studies that centred on etymology and historical-culturalist methodologies that produced “suspiciously innocent and bloodless accounts of history” (Berg et Vuolteenaho, 2009, p. 6). Intricately analysing power relations in place naming practises echoes (Berg et Vuolteenaho, 2009) when they maintain that the apolitical treatment of toponyms has had negative implications for marginalised groups. A-critical studies are argued to encourage subdual of minority languages and project conflict-free linguistic relationships in past which was unlikely the case. In Africa, they have long supplanted local vocabularies through colonial “christening tendencies” (see Njoh, 2016). Therefore, need arises to embrace a critical view that throws light on how place naming practices can be main stations of “entanglements” where multifaceted “identity relationships of gender, race, age and culture” (Milani, 2014, p. 225) intersect and contest with each other in the broader system of representation in Zimbabwe.

13 Tucci, Ronza, and Giordano (2011, p. 370) point out that the traditional focus on the etymology and taxonomy of place names “has been replaced by a new concern in the authoritative act of naming as a social practice embedded in social and political struggles”. This is what they call the ‘critical turn’ in toponymy studies. This critical turn is marked by an important new interest in the politics of naming by which essentialist claims to affixing stable identities to particular spaces that were implicit in the traditional scholarship on place names are exposed and interrogated. Emerging now is ‘an exciting new body of research, which situates the study of toponymy within the context of broader debates in critical human geography’. Place naming is now seen as embedding the process of naming “in the struggle between social groups for power and legitimacy”. Places are reinterpreted as palimpsests which can be re- and over- inscribed, demonstrating that any place-naming regimes are inherently instable and historically contingent. Toponymic inscriptions express and accompany ideological struggles and power shifts. At the same time, analysis of the process of multiple replacement of different regimes of toponymic inscription over long periods of time is still an emerging area of study.

14 Linguistic landscape studies written language in the public space of an area (Ben- Rafael, 2008; Huebner, 2016; Shohamy, 2006; Shohamy et Gorter, 2008; Shohamy et al., 2010). These studies present helpful methodologies in reading the language in the public space of Bindura because plural toponyms are often written in the public space.

15 The genesis of LL is often attributed to Landry and Bourhis (1997) who examined how the language of public signage was related to aspects of the ethnolinguistic dynamism of francophone high school students in Canada (Shohamy et al., 2010). Landry and Bourhis (1997, p. 23) contend that the LL denotes the conspicuousness and prominence of languages on signs in a given territory. They included in those language objects “road signs, advertising billboards, street names, place names, commercial shop signs,

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and public signs on government buildings” that serve informational and symbolic functions (Landry et Bourhis, 1997, p. 25). Thus, the LL refers to language entities found in the public space, encompassing private signs at private homes, signage with names of streets, shops and schools (Shohamy et al., 2010, p. xiv) and place names, as in our case.

Illustration 1 - Tempered with signage

Gauche: informally inscribed “Kennedy Mash”. Authors: Zuvalinyenga, July 2018 (left); Varden Safaris, 2016 (right).

16 The unit of study in a certain LL is a sign which has the role of being an expressive text which can be read, photographed, probed and linguistically and culturally examined (Al-Athwary, 2017, p. 149), makes it possible to ‘read’ issues of multiple place naming practices, identity, power and communication in Bindura. Therefore, apart from conveying messages, these public signs illustrate the diversity of language and culture due to the semiotics of the signs (Putz et Mundt, 2018). For example, official street names in Aerodrome suburb in Bindura attest to the nationalist ideology that the government of Zimbabwe champions. Another example is of cases in Bindura and Zimbabwe more generally where people may express displeasure at certain place names by defacing (illustration 1) or destroying the signs that bear them or coining variant names. Cases like these are comprehensible through findings in LL. Pennycook (2010), for example, studies graffiti revealing different motivations for people to inscribe such in the public space. However, coining of variant place names remains understudied, the reason this article explores the phenomenon. Additionally, the wide range of methodologies in LL informed the choice of the mixed method research design taken in this study guided by CDA. Although the methodology area of LL has drawn much criticism, appropriate methodologies are determined by the research questions and the themes pursued in a particular research study.

Results and findings

17 The study’s findings are presented below under the pre-colonial, colonial and post- colonial historical periods.

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Chiefs, hills, herbs, mines and farms: Precolonial and colonial contestations of place naming

18 The name of Bindura town itself has multiple variants. During the pre-colonial era the area was known as Pindura Mhuka Hill because of the abundance of wild animals that the inhabitants relied on for food and other uses – hides for clothes and bones for tools (Bindura Municipality website and corroborated by interview participants, 2018). Another explanation says that the name derives from an herb variety that was used for to change the gender of unborn children (Interview with resident [A17], 13 July 2018). The area was also under the jurisdiction of Chief Chipadze, thus for him and his subjects it was known as Chipadze. To commemorate the chief, there is a suburb in Bindura that is known as Chipadze; there is also Chipadze Stadium, Chipadze Farm, and Chipadze School, etc.

19 Bindura was known as Kimberley Reef in 1901, the name derived from a gold mine which opened the same year. Kimberley was a transfer from the Northern Cape, South Africa’s mining town that got its name in honour of John Wodehouse, the 1st Earl of Kimberley on 5 July 1873 (Roberts, 1976). Kimberley Reefs1 changed to Bindura in 1913 when the railway arrived. The railway was a facilitator of colonialism, especially as the basis of capitalist extraction and expansion. (Cf. Walter Rodney, 1972. How Europe Underdeveloped Africa). Thus, the etymology of Bindura is thus already implicated with colonial exploitation and dispossession. This is explicit in the name Kimberly reefs, linking it to South Africa’s diamond and gold mining centres. This is a reminder that Zimbabwe (then Rhodesia) began as a British South Africa Company (BSAC) venture intent on finding and exploiting the Second Rand (Van Onselen, 1976). When this Second Rand did not materialise, mining centres and farms dispersed across the country. Bindura is one such product of the failed quest for the Second Rand. Bindura is an anglicised Shona phrase, pindura mhuka, meaning, "turn the game" (Bindura Municipality website). Bindura is not an exception. Other Zimbabwean towns whose names were anglicised during colonial times are Umtali (real name Mutare), Gwelo (Gweru), Marandellas (Marondera), Gatooma (Kadoma), and Que Que (KweKwe), among others. One interview participant however suggested that Pindura Hill is where the anglicised name Bindura is derived. They said the hill was named pindura (“turn”) because it had herbs that were used by the ancestors to turn the gender of an unborn child mainly from a girl to a boy since boys were more desirable in the patriarchal society.

20 A colonial heritage of Bindura is seen in the mines extracting cobalt, copper, and nickel, as well as cotton, tobacco and maize farms that are dotted in the area. These industries required labour resources that far exceeded the supply capacity of the province or even the country (see Van Onselen, 1976), thus offering employment opportunities in Bindura to people from throughout the country and across the globe. There were differences between migrant labour and cheap labour (often African) vs expatriate (often white and well-to-do). This has resulted in the area being multilingual and multicultural because of people who spoke different languages converging in Bindura.

21 Farming and mining history of the place is notable in that the place was established and popularised by these activities and the many farms and mines that fill the landscape.

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Illustrations 2 A et B - Mining activities during early 1900s that gave Kimberley Reef its identity

Left: A. A mill at Hay Gold Mine. Right: B. Part of the surface of the Hay Gold-mining Company. Credit: Fivenine online archive, 2019.

Illustrations 2 C et D - Mining activities during early 1900s that gave Kimberley Reef its identity

Left: C. A somewhat primitive milling plant that was used to take out gold by George Hay Rattary and colleagues. Right: D. A compound of the black workers at Hay Mine. Credit Fivenine online archive, 2019.

22 Notable events in the place names include Hay Mine, which was pegged by George Hay Rattary in 1908 close to Kimberley Mine. There is also Hay Street, named in his honour. He later sold the mine to Hay Gold Mining Company in July 1910 and moved to Kingstone farm where he became a farmer. The setting up of mines and farms is important to the identity of the place, people who “pioneered” these were honoured by having places (especially streets) named after them. The identities emerging from the infrastructure of mines and farms is tied to the exploitation of cheap mine and farm labour, which started in colonial times and continues in mutated forms today. Use and mention of such names implicates both Bindura and the speaker with this exploitation. These toponymic inscriptions also express the wedge that existed and still exists between mine owners and expatriate staff (mostly white) on the one hand and their exploitable and disposable “cheap” labour employees (commonly Africans). The cheap labour, we can see, stayed in mine compounds (Fig 4). There are significantly fewer whites today, and the wedge persists in the differences in the spatial concentration of poorer black residents in the high-density townships and locations (and farm compounds) while the well-to-do residents stay in low density areas of Bindura such as

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Hospital Area, Shashi View, Claverhill Heights, Greenhill Heights, and in the farm houses.

Post-independence Second Chimurenga and Third Chimurenga place naming

23 The War of Liberation (Chimurenga) is commemorated in Bindura where streets, buildings (illustration 3) and places are named after events in the war, nationalists and war veterans. For example, all the street names in Aerodrome suburb are named after war veterans and memorialise the War of Liberation. In the CBD, there is Robert Gabriel Mugabe Way which was formally known as Main Street, Emmerson Mnagagwa Street which was Atherstone Road until 21 November 2019, Chenjerai Hunzvi Street and Border Gezi Avenue. This naming pattern has given Bindura a nationalist outlook that also prevails throughout the country, emphasizing the importance of independence and decolonisation efforts the Zimbabwean government has been pursuing since 1980.

Illustration 3 - Official signage at a government office complex

Author: Zuvalinyenga, July 2018.

24 Segregation of races is evident in the existence of suburbs bearing different identities due to their names, demographic compositions and class categories. On one hand, there is a low-density suburb commonly known as the Hospital Area, kumayadhi (“the place of big yards”), KuHospapa (slang for Hospital), KuChipatara (Shona for Hospital), or KumaDale-dale (affluent suburb in slang), which was mainly for white residents if they were not at their farms.2 Due to the enactment of legislation that encouraged separate development for different races during the colonial period, there were suburbs for the different races in Zimbabwe and Bindura was no exception (Fitzmaurice, 2015; Kinloch, 2003). The Hospital Area was largely a white area and its street names attest to this, out of fifty-four streets that have names other than being numerical, only eight are in Shona. Moreover, the eight are anglicised and given a European outlook as they are referred to as “drives,” “views,” “circles,” “closes” and avenues, examples include Msasa Drive, Mazowe Close and Shashi View Road. On the other hand, there is Chipadze,

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which is a black township that was set-up for black people to provide labour in the factories and to work for white people in their homes as gardeners and house helpers. The name Chipadze itself is of an indigenous chief and street names are in Shona commemorating local people (Musvosvi Street and Kashangura Street), local flora (Mukuyu Street) and fauna (Bimha Street). Chipadze and other high-density suburbs are also known as ghettos or Baghdadi due to their run-down outlook, over-crowdedness and high crime rates (Zimbabwe Republic Police Report, 2019).

25 Bindura has a rural hinterland under the management of Bindura Rural District Council (BRDC). This hinterland comprises of communal areas that were put in place by the enactment of the Land Apportionment Act of 1963 during the colonial times, and which were the locus of the Fast Track Land Reform Programme (FTRLP) that began in 2000. Thus, today the BRDC encompasses some of the areas that were commercial farms before the land reform (BRDC website, 2017). The important link with colonial land dispossession and the FTRLP makes Bindura an important site for toponymic inscription and re-inscription. Examples of renamed farms and rural or resettlement areas include SOS Farm, previously known as Maizelands Farm, Saimona Farm now Matangira Farm, and Dawmill Farm now Musanhi Farm. Further, contentious and exploitative relationships between farm owners and farm workers have persisted since the colonial period, through independence and to the present after the land resettlements which commenced in the year 2000 (Helliker et Bhatasara, 2018; Kufandirori, 2015).

26 The rural hinterland of Bindura that was birthed by colonialists who drove away indigenes from their land to semi-arid “reserves” is evident in the place names of Chief Msana and Chief Masembura communal areas. In these areas, there are villages that take their names from topographical features such as mountains, rivers as well as from events, flora and fauna. Under this category there are place names such as Manhenga (“the feathers”) which takes its name from the Manhenga Mountain range, Rupakwe (“a place where the mermaids sun-bask”) – officially known as Paradise Pools, but locals refer to it as Rupakwe and Wayerera (“you have been swept away [presumably by the river Nyaure]”). Soils in these areas are not productive, therefore, since people depend on farming for a living; there has been urban migration for the youths, leaving the old and frail in these communal areas. This has resulted in the areas being looked down upon and given derogatory slang names such as “kumarunyazi” (underdeveloped area) “kumapfanya” (a filthy place, ideal for lice to breed that will require people to squash them) or “kuBurkina Faso” (anything backward). However, there are also people who have grown fond of their rural homes and call these areas affectionate names such as “kumusha” (home), “kurukuvhute” (where the umbilical cord is) and “kuroots” (where my roots are) indicating that they are attached to these places.

Informal and Slang Place naming

27 Bindura also means “a bitch in season” in Shona, and this association of the name is used pejoratively to pour scorn on the perceived immoral behaviour attributed to some of the town’s residents. People of a conservative bent opt to ignore the vulgar association and connotation of the town’s name. The youth use slang to refer to Bindura as Binzburg, Bindvegas, B-town or Bind-Angeles. This is a trendy way of

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likening the sleepy farming and mining town to metropolis of the world such as Johannesburg, Las Vegas, H-town (Harare) and Los Angeles.

28 Unofficial names are often used by the youths in places where there are no official names as well those that have names that do not resonate with the inhabitants. Mabhodhoro (Kingstone Farm), Jompiyi (Acadia Estates), Dzedzereke (Kudu Vlei Farm) and Ridhi (Hinton Farm) are examples unofficial names given to farms by farm workers who will be forging solidarity against their employer. Both young and old people use these names. Shopping centres also have official and unofficial names, with older people referring to them by their official names while youths use slang toponym such as “Kanos bombistombi” (Kanosvamhira’s Bottle Store) and “magrosimbi” (at the grocer’s).

29 Public transport operators and users have coined many unofficial names for bus stops. The official names are long (Tendai Hall Bus Terminus is shortened to either TH or T- Hall) and located at inconvenient locations, therefore people come up with their own such as “pamarara” (at the garbage heap), “pamasimbi” (at the iron rods), “pamaChina” (at the Chinese) and “pamusawu” (at the Musawu tree). The power of slang toponyms is noticeable here when language is manipulated for the sake of in-group communication. This involves secrecy as well as fun and competition – the fluid linguistic practices thus serve different purposes at the same time. Therefore, the playful language is not only used to conceal and exclude others, but also to engage in linguistic creativity and express identity (Zuvalinyenga, 2020).

Discussion

30 Multiple place naming practices in Bindura elicit insights on the place and people’s history, events, culture, identities, languages and socio-political standings, attesting to the diverse ways in which people relate to given spaces. The study found that the interrelationships between place naming practices, identity and power are complex as there are diverse toponymic situations in Bindura. There are official toponyms that co- exist with unofficial ones. In most cases, the unofficial toponyms are used and are in conflict (symbolically and physically competing for space and recognition) with the official ones. Due to the fluidity of identities and histories, this fluidity is also transformed and inscribed onto place naming, making the latter a relational and temporal activity that is determined by various internal and external factors. It is in this flux that various actors are either empowered or disempowered to affirm their identities. Authorities deploy the legislative apparatus to inscribe toponymies heavily inflected with political party ideologies and normative identities through officially naming places. This use of political office and legislative frameworks may disempower those without authority to legislate names. However, the marginalised are not passive observers. Instead, they use language and make meaning of the world in and on their own terms. In Bindura, for instance, the marginalised coin and use unofficial toponyms which co-exist harmoniously, ambivalently or uneasily with the official names. This use of unofficial place names then becomes both a means of practical communication of place as well as a symbolic act of asserting one’s identity (Ainiala et Lappalainen, 2017; Ainiala et al, 2016; Ainiala et Östman, 2017; Ainiala et al., 2012; Vuolteenaho et al, 2019). Closely related groups use the informal, context-specific and preferred unofficial place names. In this way, unofficial toponymic practices become a way of regulating social relations because individuals can express themselves in their own terms, or in terms

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not limited to official inscription. Some of these informal names incorporate resistance through slang and humour. The humour present in most of these unofficial toponyms, for example, helps in easing tensions and encourages social bonds (Zuvalinyenga, 2020). Unofficial toponyms can foster inclusivity and integration in multilingual, multicultural societies because, among other things, they afford and give value to individuals and various social groups’ means of expressing who they are in the most preferred manner, and enable them to claim and get their rights to the city through identity mobilisation.

31 The patriarchal outlook of both the colonial and post-colonial eras is also evident in place naming practises. The rural authorities and urban naming committees often comprise men. Farm/mine owners who name these features are men and this has led to the men commemorating themselves or their male colleagues and heroes at the expense of women. In the rural areas, there are no female chiefs or village heads and these are the decision-making people, therefore women are left out. The council committees are also made up of men. Many farm and mine owners were/are male, thus most of these bear masculine names, Hay Mine was named after George Hay Rattray, as shown above, while Jesmond Dean Estates was named after its male owner (Zuvalinyenga, 2018).

32 Overall, place names of Bindura urban and its rural hinterland give the area and its people various and complex identities, showing the different ways different people relate to it. Histories of pre-colonial, colonial and post-colonial people, activities, cultures, languages and behaviours are made clear from place naming. Place names adapted from flora and fauna connote to the relationship early inhabitants of Bindura had with the environment. The San and the Khoi who first inhabited Zimbabwe were hunters and gatherers (Garlake, 1982, 1987, 1990, 1995; Mlambo, 2014) and left traces of their lives through naming places out of nature. Colonialism is memorialised by European names of farms, mines and streets (especially of the Hospital Area). The post- independence era is exemplified by (re)naming of entities to give them an identity that commemorates the War of Liberation and nationalist ideology, with street names in the CBD and suburb of Aerodrome memorialising the war and those who participated in it.

33 Place names are closely connected to a place and people’s identities, at the same time exhibiting political (re)presentations of the different actors and users. Different identities of Bindura can be traced throughout the pre-colonial, colonial and post- colonial periods from the way places are named. Place names such as Manzou (“the elephants”) [Mazowe; linked with the history of Mbuya Nehanda; lately with Grace Mugabe’s farm-grabbing], Chemhofu (“of the eland”) and Chevadzimu (“of the ancestors”) are linked to the pre-colonial period and the San/Khoi, early inhabitants who depended on the environment for survival. To orient to place and show their appreciation of what nature was giving them, they often named places describing flora and fauna, events, people and activities. In this sense, the hunter-gatherer identity is noticeable. However, even though oral narratives support this view, shortcomings are notable in that greater reliance is placed on individual memories, which are prone to biases and distortions. Nevertheless, archaeological evidence supports the former view (Garlake, 1987, 1990).

34 The colonial period that brought fortune hunters in search of gold, came with the opening of mines and farms, industries that give Bindura its current identity. For instance, the opening of Kimberley Reefs Mine in 1901 marked the onset of organised

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modern settlement in the area. Other mines were subsequently pegged with some miners changing business to take up farming. The colonial period also brought forth tussles in race relations and these contestations manifest in place naming. Examples are the existence of official and unofficial corpuses of place names where authorities give official names through laws, but residents who do not relate to those names coin their own.

35 The post-colonial period is characterised by decolonisation and reclamation of lost land, culture, language and identities. Nationalist ideologies and identities followed during the War of Liberation are noticeable in the linguistic landscape where heroes of the war are honoured with places named after them. Other languages (Shona, Ndebele, Chewa, Nyanja and slang) that had been peripherised are now being used both in formal and informal place naming. However, inequality is glaring when it comes to gender imbalances and representation of minorities in the linguistic landscape. Overall, names of a place are a window to the way the practice is often used to legitimise particular political authority and social hierarchies at the expense of powerless members. However, the marginalised, through coining and use of variant and unofficial nomenclature overtly/covertly contest the marginalisation.

Conclusion

36 This article demonstrated the use of multiple toponyms in the town of Bindura in Zimbabwe. It noted how these uses point to the co-existence and ongoing negotiation, contestation and articulation of varied identities in Bindura on the basis of history, age, class, race, gender, ideology, language, culture, communication, and power. The article traced instances of place naming and the conflicting political, social and ideological values that underpinned such naming. As a result, the shifts and continuities of different toponymic regimes and hegemonic discourses that took over one after the other over time are explored in relation to the pasts, histories, present-day experiences, and conflicting ideologies which they evoke. Tucci, Ronza and Giordano’s study of the “layering (of) the toponymic tapestry”, whereby toponyms reflect a place’s long and contested social and political history, informed the study. The toponymies and toponymic inscriptions reveal the operation of various discourses, identities and social representations that are traced from precolonial times to the present. Through the study of names, we get a window into the events or behaviours of a particular place and its inhabitants.

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NOTES

1. Kimberley itself is a transfer place name from the Northern Cape, South Africa that was given in honour of (John Wodehouse, the 1st Earl of Kimberley) on 5 July 1873 (Roberts, 1976). Roberts argues that the Colonial Secretary for the Crown Colony, J. B. Currey, named the place after Lord Kimberley so that it can be easy for the Lord to spell and pronounce. Roberts further argues that the renaming of the place was necessary because the Lord had declined to be associated with a ‘vulgarism’ such as New Rush or the Dutch name Vooruitzigt, which he could neither spell nor pronounce. 2. The situation is however changing since Zimbabwe’s independence and has heighted with the land reform where most white farmers lost the land to indigenous people that are resettling there. Most white people left and continue to leave Zimbabwe.

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ABSTRACTS

This article examines the layered co-existence and simultaneous use of a complex range of toponyms in the town of Bindura in Zimbabwe. It proposes that the concurrent use of different names for the same place indicates the ongoing negotiation, contestation and articulation of diverse identities in Bindura on the basis of history, age, class, race, gender, ideology, language, culture, communication, and power. The implications of plural toponymies on members of the selected community and their relationship to a place are explored in as far as the toponymies and toponymic inscriptions may be said to reveal the operation of various discourses, identities and social representations that are traced from precolonial times to the present. The article follows Tucci, Ronza and Giordano’s study of what they call the “layering (of) the toponymic tapestry” whereby toponyms can be a reflection of a place’s long and contested social and political history. Fragments of different toponymic regimes and hegemonic discourses that took over one after the other over time remain inscribed in these place names, thus originating “a complex tapestry” in which different pasts, histories and present day experiences revive and conflicting ideologies and identities co-exist. In essence, names and naming practices of a place gives us windows into the events or behaviours of a particular place and its inhabitants.

INDEX

Keywords: plural toponymies, critical toponymy, identity, discourse, power, communication Subjects: Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTHOR

DORCAS ZUVALINYENGA Dorcas Zuvalinyenga, [email protected], is a PhD candidate at the University of Newcastle, Australia.

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Nommer les lieux de la crise des opioïdes à Boston : un enjeu politique Naming the sites of the opioid crisis in Boston: a political issue

Elsa Vivant

In memorium Aubri Ester

Nommer les lieux de la crise des opioïdes à Boston : un enjeu politique

1 Le 14 octobre 2014, le Maire de Boston a pris la décision de fermer à toute circulation le pont qui menait à l’ile de Long Island impliquant la fermeture et le déménagement, dans la journée, de l’ensemble des services aux plus démunis localisés de longue date sur cette ile. En quelques heures, le foyer d’hébergement d’urgence pour sans-abris et les centres de soins en addictologie ont dû relocaliser leurs activités, dans des conditions le plus souvent précaires, ailleurs dans l’agglomération. Non préparé, ce déménagement en urgence a contribué à la fragilisation des conditions de vie des sans- abris, beaucoup ne trouvant pas de solution d’hébergement, et à la constitution d’une scène ouverte de consommation de drogues localisée dans un secteur au croisement de deux grandes artères (Massachusetts Avenue et Melnea Cass Boulevard) à l’interface de trois quartiers aux usages et dynamiques contrastées : une zone de petites industries et de stockage (NewMarket), un quartier populaire noir et latino (Dudley-Roxbury) et un quartier gentrifié (South End). La décision du maire est intervenue au moment où la crise des opioïdes est devenue un problème public, politique et médiatique1. Latente depuis la fin des années 1990, l’introduction sur le marché clandestin d’un opioïde de synthèse puissant (le Fentanyl) a contribué à l’aggravation de la crise par une croissance dramatique de la mortalité par surdose2.

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2 La scène ouverte focalise l’attention des médias et des pouvoirs publics en rendant visible les problèmes d’addiction et d’overdose et en raison des conflits d’usage de l’espace public qu’elle génère. Elle est l’objet de différentes nominations, renvoyant chacune à des représentations différentes du problème et porteuses d’enjeux géopolitiques locaux. Entrer sur cette scène par ses noms s’avère être particulièrement heuristique pour dénouer la complexité de cette crise sanitaire, de ses enjeux politiques et des infléchissements qu’elle provoque dans la politique des drogues. Comme le rappellent plusieurs auteurs (Giraut et Houssay-Holzschuch, 2008 ; Rose-Redwood et Alderman 2011), l’acte de nommer un lieu est politique et les débats relatifs à la toponymie constituent un analyseur des dynamiques sociales, politiques (et ici sanitaires) qui se jouent sur un espace. Dans cet article, la pluralité des nominations est un instrument heuristique dans la compréhension de la crise des opioïdes et des effets sur les représentations sociales des usagers de drogues. Les débats sur les manières de nommer (les lieux mais aussi les traitements ou les usagers de drogues) mettent au jour l’émergence de nouvelles pratiques de soin et représentations politiques de la drogue et de ses usagers.

3 Cet article s’appuie sur une enquête approfondie, menée entre septembre 2018 et juin 2019, qui a donné lieu à la réalisation de 70 entretiens3 et à l’observation d’autant de réunions de différentes natures4. L’article s’organise autour des trois toponymes les plus utilisés mais, parfois, d’autres nominations entreront en jeu, à différentes échelles (du bâtiment au quartier). Derrière son apparente neutralité (Rose-Redwood et Alderman, 2011), la référence à son adressage, Mass & Cass, renvoie à l’histoire urbaine, coloniale et raciale de la ville et de la prohibition. Deux visions de l’addiction et du soin se disputent derrière d’autres noms. La localisation de nombreux services de soin ou d’encadrement des consommateurs de drogues (prison du comté et ses services de probation, cliniques de méthadone, foyer d’hébergement, centre d’hébergement d’urgence, accueil de jour) ont conduit les critiques à surnommer le secteur Methadone Mile. Les soignants, eux, préfèrent l’appeler Recovery Road, en raison de l’espoir que la présence de ces services rendrait possible.

Mass & Cass : derrière la toponymie officielle, l’impensé colonial

4 Pour désigner la scène ouverte, l’usage officiel est de faire référence à sa localisation géographique par son adressage au croisement de deux grandes artères routières : Massachusetts Avenue et Melnea Cass Boulevard, souvent raccourci en Mass & Cass. Cette toponymie officielle renvoie aux pages les plus sombres de l’histoire américaine : la colonisation et la ségrégation raciale. Massachusetts Avenue traverse l’agglomération, d’Arlington à Dorchester, longeant les campus du MIT et de Harvard (à Cambridge), suivant l’axe de la gentrification de South Bay au South End, s’enfonçant ensuite dans les quartiers industriels de New Market. Massachusetts est surtout le nom du peuple autochtone qui vivait sur ces terres avant l’arrivée des Européens, décimé dès les premières années de la colonisation, dont seuls quelques dizaines de descendants survivent et se battent pour faire valoir leurs droits. Melnea Cass Boulevard a été construit en 1981 sur l’emprise réservée pour la création d’une autoroute contestée par les riverains et abandonnée en 1972 (Miller, 2018). A défaut d’une autoroute, le boulevard, en deux fois trois voies, entrecoupé de feux de

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signalisation, constitue une coupure urbaine entre le centre-ville et Roxbury. Il doit son nom à Melnea Cass (1896-1978), activiste Africaine-Américaine militante pour les droits politiques, sociaux et économiques des femmes de sa communauté dans le quartier de Dudley-Roxbury, très active dans les luttes pour la déségrégation scolaire (ou busing) qui ont, à Boston, donné lieu à de violentes contestations (King, 1981 ; O’Connor, 2001). Preuve des enjeux politiques de la toponymie, Dudley Square, du nom d’un des fondateurs de la colonie de la Baie du Massachusetts et ancien gouverneur, accusé d’avoir possédé des esclaves noirs, a été rebaptisée Nubian Square, en 2019, en signe de reconnaissance du rôle de la population africaine-américaine dans le quartier (MacQuarrie, 2019 ; Greenberg, 2019). Mais cette décision intervient alors que la tendance à la gentrification du quartier a déjà commencé, au risque de mémorialiser la présence d’une population en voie d’expulsion5.

5 Cette référence à l’adresse est discutée par des riverains du quartier noir de Dudley- Roxbury selon lesquels elle produirait une nouvelle spatialité, inventant un territoire imaginé qui quelques années plus tôt n’existait pas, occultant l’impact réel de la crise sur leur quartier et détournant les regards et l’attention de la municipalité. En réunion publique comme au cours d’entretiens, les habitants de Roxbury font part de leur ressentiment face à un problème de drogue qui, une fois de plus, concerne leur quartier, sans que, selon eux, les autorités n’en prennent la mesure. Leur colère s’exprime principalement contre la présence de seringues usagées dans un parc public (Clifford Park) et la cour d’une école (Orchard Garden School), elle-même construite dans le cadre de la rénovation du quartier Orchard Park qui était, dans les années 1980s, une des principales scènes de drogue de la ville. En 2017, les enseignants et parents d’élèves se sont constitués ainsi en groupe de pression, se réunissant deux fois par mois pour définir leur stratégie et revendications, qu’ils médiatisent sur les réseaux sociaux. Ils s’inquiètent des effets sur la santé mentale de leur enfant de la vision quotidienne de personnes s’injectant de la drogue ou ayant un comportement jugé déviant. Ils ont organisé des manifestations avec les écoliers pour réclamer l’installation de barrières autour de la cour, l’augmentation de la présence policière et le nettoyage quotidien des abords. Ils ont trouvé en Domingos DaRosa un porte-parole virulent. Entraineur d’une équipe de football, il a présenté deux fois sa candidature aux élections municipales pour porter sur l’agenda politique et médiatique les problèmes liés à l’usage de drogues dans l’espace public et aux dangers que représentent les seringues usagées. A plusieurs reprises, il a déversé au cours de réunions publiques une boite de seringues qu’il a collectées à Clifford Park où s’entraine son équipe. D’autres riverains signalent les seringues aux services de la ville par une plateforme en ligne, les photographient, les publient sur les réseaux sociaux, les comptent, les cartographient (Bearnot et al., 2018).

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Illustration 1 - Affiche invitant à une opération de ramassage de seringues et nettoyage de l’espace public

Source : réalisation par un élève anonyme de Orchard Garden School, printemps 2019.

6 Les réunions publiques sont l’occasion de mettre au jour les tensions et ressentiments entre les quartiers de Roxbury et du South End, mais aussi de faire prendre conscience, aux uns et aux autres, d’alliances possibles pour faire valoir le point de vue des riverains auprès de la municipalité. Pour le président d’une association de quartier du South End, malgré les différences sociales et raciales, et selon lui faisant fi des rapports de domination, gentrificateurs blancs et résidents noirs doivent s’allier pour faire la preuve de l’ampleur du problème face à la municipalité. Au contraire, les résidents de Roxbury expriment, à plusieurs reprises, leur sentiment de ne pas être écouté en raison de leur position dominée en tant que pauvres, immigrés et racisés. La possibilité d’une alliance avec les résidents du South End nierait selon eux la réalité des disparités économiques et politiques. Ils refusent l’assignation de leur quartier à être, à nouveau, la zone où les usages de drogues seraient banalisés. Leurs récriminations font également référence à un sentiment d’injustice relatif aux différences de traitement qui seraient réservées à la crise actuelle en regard des formes et effets de la guerre à la drogue qui a ciblé leur quartier par le passé. Leur sentiment est corroboré par l’analyse de Netherland et Hansen (2016) qui ont montré comment le traitement médiatique de la crise actuelle produit une représentation des usagers blancs d’opioïdes relativement bienveillante, contrastant avec la stigmatisation des usagers noirs de crack (Alexander, 2007).

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Methadone Mile : toponymie officieuse de la stigmatisation

7 À la fermeture du pont de Long Island, c’est dans ce secteur qu’un bâtiment a été rapidement transformé en foyer d’hébergement pour hommes, qu’un autre a doublé sa capacité d’accueil et que, concomitamment mais indépendamment, une seconde clinique de méthadone privée s’est installée. Ils viennent s’ajouter à d’autres services destinés ou fréquentés par les populations marginalisées et les usagers de drogues : l’hôpital et son service d’addictologie, le service d’échange de seringues, le centre municipal de santé pour sans-abris, deux cliniques de désintoxication, une clinique de méthadone privée, les services de probation et la prison du comté. Cette concentration des services contribue à la visibilité de la crise, ou plutôt à la focalisation sur son aspect le plus visible, celui ayant cours dans l’espace public, au risque d’occulter d’autres formes d’addiction. Elle est identifiée par les riverains comme la cause de l’augmentation des désordres et conflits d’usage de l’espace public. Les cliniques de méthadone sont les principales cibles des reproches et mécontentements, d’où le surnom péjoratif Methadone Mile donné au secteur, de loin la nomination la plus courante dans la presse, les conversations ordinaires ou les débats publics6.

8 Pour comprendre en quoi cette nomination est stigmatisante, il convient d’expliquer la suspicion que suscitent les traitements à la méthadone, expérimentés dès la fin des années 1960 à New York. Leur déploiement sous l’administration Nixon est concomitant à la criminalisation des usagers et des premières guerres à la drogue. Il s’agissait à la fois de réduire la criminalité urbaine liée à la consommation de drogue, d’anticiper les besoins de prise en charge des vétérans de retour de la guerre du Viet Nam et de répondre à la croissance de la consommation d’héroïne chez les jeunes des classes moyennes suburbaines (c’est-à-dire blanches) (White, 1998 ; Musto, 1999 ; Schneider, 2011).

9 Malgré son efficacité défendue par le corps médical, le principe même de traitements médicamenteux de l’addiction reste controversé aux Etats-Unis où le paradigme de l’abstinence et le modèle des narcotiques anonymes dominent l’offre de soin. Selon ces critiques, la méthadone ne serait qu’une drogue comme une autre, enfermant les individus dans une dépendance chronique, sans agir sur les causes psychologiques et le contexte social de la consommation. Un autre registre de critique concerne le manque de professionnalisme et la cupidité des cliniques de méthadone dans un marché peu régulé où l’un accès au soin reste discriminé (White 1998). La médiatisation des pratiques abusives de certaines cliniques (manque de suivi des patients, de contrôle des substances prescrites, de surfacturation) contribue à la mauvaise image de ce mode de traitement (Platt et al., 1998). Le protocole de soin oblige les usagers à se rendre quotidiennement dans une clinique spécialisée pour prendre leur dose devant un professionnel de santé. C’est seulement dans un second temps qu’ils peuvent emporter quelques jours de traitement à leur domicile. Ce protocole implique que les cliniques sont quotidiennement fréquentées par leurs patients, ici évalués par les riverains à plus de 1300. Ces décomptes (non sourcés) sont au centre de leur argumentation et alimentent leurs inquiétudes vis-à-vis de l’installation d’autres dispositifs de soin. La critique des traitements à la méthadone et des cliniques dédiées, souvent localisées dans des zones de relégation en raison des contraintes imposées par les règlements sanitaires ou d’urbanisme, reformule ainsi l’incarnation du déclin urbain par l’héroïne,

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les cliniques étant accusée d’attirer les dealers profitant d’une clientèle captive (Schneider, 2011).

10 Si la proximité de l’hôpital et de services sociaux a toujours attiré des populations marginalisées dans le South End, les riverains observent depuis 2014 un changement dans leur nombre et leur comportement dans l’espace public qu’ils attribuent à l’accentuation de l’effet d’agglomération suite à la relocalisation des services de Long Island. En bons voisins (Tissot, 2011), ils s’informent et cherchent des solutions compréhensives au problème d’usage de drogue dans l’espace public. Les représentants des associations de quartier ont participé à des réunions de travail avec les autorités de la ville et la direction de l’hôpital, pour comprendre le problème, ses causes, et identifier des solutions. Pour résorber les conflits d’usage de l’espace public et retrouver la qualité de leur cadre de vie, ils en viennent à proposer une meilleure distribution géographique des structures de soin et un assouplissement des modalités de traitement. Ils rejoignent en cela les appels des élus de Boston aux autres collectivités pour prendre en charge ce qu’ils considèrent être leur part de la charge du problème ; l’ampleur de la crise dans leur ville s’expliquant, selon eux, par l’absence de services de soin dans les autres villes et l’abandon par les autres communautés de leurs toxicomanes.

11 D’autres dénominations attirent l’attention, comme l’expression Ground Zero (en référence au site des attentats du 11 septembre 2001) utilisée par New Market Association pour souligner l’importance de la crise à laquelle le quartier fait face. Cette association d’entreprises formule une autre proposition : la création d’un Business Improvement District qui privatiserait la gestion de l’espace public et ses usages pour prendre en charge un problème que la ville ne semble pas pouvoir résoudre seule. Pour cela, il faut obtenir l’autorisation de la Ville et convaincre une majorité d’entreprises à payer une surtaxe foncière dédiée à la gestion du BID qui assurerait des services de sécurité et de nettoyage privés. Concentrant son intervention sur le périmètre de la zone industrielle et de ses immédiats abords, les quartiers résidentiels de Roxbury et du South End en seraient exclus7. Un tel périmètre de gestion privatisée de l’espace public viendrait par ailleurs s’ajouter à ceux existants aux alentours des propriétés de l’université et de l’hôpital où interviennent, en plus de la police municipale et d’Etat, des polices privées qui, selon des militants de la cause des sans-abris, exerceraient une violence institutionnelle par des pratiques discriminatoires de harcèlement (délogement des sans-abris, restriction d’accès…). Ces différents périmètres de gestion de l’espace public viennent renforcer les effets de frontières produits par les coupures urbaines et les différentes délimitations de circonscriptions administratives, électorales, politiques et policières qui ne se superposent pas.

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Illustration 2 - La scène ouverte : une concentration de services destinés aux usages de drogues aux confins de trois quartiers

Source : Elsa Vivant

12 Pour décrire la situation, plusieurs enquêtés font référence à la troisième saison de la série The Wire où, pour répondre à la pression de ses supérieurs demandant une baisse des statistiques de la criminalité, un officier de policier prend l’initiative de tolérer l’usage de drogues dans un périmètre délimité de son secteur d’intervention. Les dealers du quartier sont invités, manu militari, à faire leur commerce uniquement dans une petite rue résidentielle bordée de maisons abandonnées promises à la démolition. Suscitant au départ plus de suspicions que d’enthousiasme, tant du point de vue des agents de police que des dealers, l’expérience semble prometteuse : les corners de vente sont délaissés et apaisés, la criminalité baisse, les consommateurs se pressent dans cette free zone surnommée Hamsterdam8. Mais la pseudo-légalisation montre aussi ses limites. En l’absence de contrôle policier, les emplois de guetteurs sont supprimés et les enfants qui les occupaient sont laissés à eux-mêmes ; la concentration sur un petit territoire des formes les plus problématiques de consommation les rend plus visibles. Lorsqu’ils font références à cette fiction, les enquêtés expriment leurs craintes d’une normalisation des usages de drogues. Cette préoccupation est particulièrement forte dans les propos de deux enquêtés africains-américains d’une quarantaine d’années, dont le père (et d’autres membres de leur famille) a été consommateur de drogue. Outre le phénomène de légalisation d’une scène de rue, cette saison de la série met en scène un autre processus : celui d’une évolution des pratiques policières, portée par des agents conscients des impasses et limites des politiques qu’ils mettent en œuvre, faisant face à une situation qui les déborde et qu’ils ne contrôlent plus. Or face à une mortalité par surdose qu’ils attribuent à un produit à la dangerosité inégalée et pour laquelle ils n’ont que peu de prise, certains policiers font évoluer leurs pratiques vers

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des approches plus compréhensives dont il conviendrait d’étudier les ressorts et limites (Green et al., 2013).

Illustration 3 – Annonce de bienvenue de la station de lavage automobile située au croisement de Melnea Cass et Mass Av.

Source : inconnue9

13 Plus qu’Amsterdam, l’expérience imaginée dans The Wire rappelle celle que la ville de Zurich a tentée entre 1987 et 1992 pour contenir, géographiquement, les problèmes et désordres liés à l’usage de drogues. Constatant l’inefficacité des pratiques policières de dispersion des usagers, la consommation d’héroïne a été tolérée dans un parc près de la gare centrale (Platzspitz), où ont été expérimentées des pratiques de réduction des risques pour faire face à l’épidémie de Vih (telles que la distribution de seringues) et d’accès aux soins (Grob, 1993 ; Lalande, 2018). Après quelques années, l’expérience a tourné court, la situation sanitaire et sécuritaire étant devenue incontrôlable. Le parc était surnommé Needle Park, stigmatisation toponymique que l’on retrouve dans le nom d’un groupe de riverains de la scène ouverte de Boston sur les réseaux sociaux, A needle in the park, en référence au titre d’un film de Jerry Schatzberg (avec Al Pacino) sorti en 1971 : The Panic in Needle Park. La fermeture du parc zurichois s’est articulée à la mise en place de services permanents de prévention et de médecine pour les usagers de drogues et de dispositifs de réduction des risques, dont les salles de consommation à moindre risque, initiée à Bern dès 1986 (Jauffret-Roustide, 2016), contribuant à l’émergence d’une autre approche du rétablissement. La localisation de ces services dans un espace nommé road plutôt que mile, c’est-à-dire la route plutôt qu’une distance, renforce l’idée que le rétablissement est un processus long et incertain, recovery road faisant écho à l’expression on the road to recovery

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Recovery Road : Requalifier le problème et envisager les solutions

14 Pour retourner l’image stigmatisée de Methadone Mile, les médecins et professionnels de la réduction des risques préfèrent utiliser le terme Recovery Road, pour souligne les efforts des différents services d’accompagnement des consommateurs vers la voie du rétablissement10, traduction du terme recovery. Notons que ce terme, recovery, est également utilisé pour qualifier les territoires connaissant un regain d’activités et d’attractivité après une période de déprise. Son usage ici est polysémique, le quartier de NewMarket, zone industrielle péricentrale, étant identifié, dans les documents d’urbanisme, comme un territoire à enjeux stratégiques lui-même en recovery. La relocalisation dans le secteur de plusieurs services dédiés au soin en addictologie et/ou à destination des sans-abris a pour conséquences une croissance de la fréquentation des espaces publics par des populations marginalisées. Pour répondre aux demandes des riverains et des entreprises de réduire les nuisances et les risques liés à des comportements jugés déviants et dans une perspective humanitaire de mise à l’abri, la ville a créé, en 2017, un centre d’accueil de jour (appelé Engagement Center) en transformant un chapiteau précédemment utilisé comme espace de stockage. Chauffé l’hiver et climatisé l’été, ce centre est ouvert 12 heures par jour, 7 jours sur 7, et accueille sans conditions c’est-à-dire sans contrôle d’identité ou de port d’arme et sans obligation de sobriété. Les usagers peuvent se reposer, rencontrer des travailleurs sociaux, accéder à des toilettes, retrouver leurs amis et conjoints11, recharger leur téléphone…. Contraints par le site et ses exigences (le lieu n’est qu’une tente, localisé dans une petite rue d’une zone industrielle, entre un foyer d’urgence et une prison, qui ont chacun demandé l’installation de barrière pour éviter les intrusions), ses concepteurs ont cherché dans l’urgence, face à l’hostilité des riverains et avec les moyens du bord, à le rendre le plus accueillant possible par le choix du mobilier, de la peinture du sol pour délimiter les espaces, l’installation de plantes vertes, d’une bibliothèque, d’ordinateurs en accès libre, d’un comptoir de distribution de boissons et snacks.

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Illustration 4 - L’entrée de l’Engagement center

Un corridor de grillage surveillé par trois caméras a été créé pour délimiter l’accès entre l’entrée du centre d’hébergement (à gauche) et le parking des services du shérif et de la prison du comté (à droite). Quelques tables en bois devant l’entrée du chapiteau forment une terrasse entourée de sanitaires mobiles de chantier. Source : Elsa Vivant.

15 Ce lieu bénéficie du soutien de l’association d’entreprises qui, malgré ses réticences initiales, juge positivement ses effets sur les usages de l’espace public. Mais il demeure controversé. Certains riverains considèrent qu’il contribue à la cristallisation des conflits d’usage de l’espace public dans le secteur, la vente et la consommation de drogue se déroulant ouvertement devant son entrée, sous le regard de la police, ce qui alimente un second registre de critiques concernant le bon usage de l’argent public12. Pensé comme une expérimentation temporaire en réponse à l’urgence, les services de la municipalité envisagent, au moment de l’enquête, sa pérennisation.

16 Face à la hausse dramatique des surdoses dans le secteur, le centre municipal de soins pour sans-abris a, de son côté, aménagé en 2016 une petite salle de réunion en un espace de repos médicalisé où les usagers peuvent se rendre, juste après avoir consommé, selon le même principe d’accès bas seuil sans conditions que dans l’Engagement center. Dans une lumière tamisée et calme, les usagers sont sous surveillance médicale et des infirmières peuvent intervenir en cas de surdose. Ce service, appelé Spot (Supportive place for observation and treatment), est présenté comme un succès en matière de réduction de la mortalité par surdose, de limitation des usages en espace public, d’accès au soin et d’acceptation par le voisinage. L’Etat du Massachusetts s’en inspire pour définir sa politique de réduction des surdoses.

17 Pour les acteurs et militants de la réduction des risques, l’Engagement center et Spot ne sont que des pis-aller. Eux défendent l’idée de créer des salles de consommation à moindre risque pour enrayer la recrudescence des infections, réduire le risque de surdose et contribuer à la destigmatisation des usagers en leur destinant un espace adapté à leurs besoins. Existant depuis plusieurs décennies dans certains pays européens13, de tels espaces sont pour l’heure interdits aux Etats-Unis. Ces dernières années, dans plusieurs villes américaines, des militants s’organisent pour convaincre les décideurs politiques de modifier la législation afin de rendre possible la création de salle de consommation à moindre risque (Lupick, 2017). A Boston, l’action de la

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coalition Safe Injection Facilities Massachusetts Now ! (le terme « Now ! » ( maintenant !) énonçant l’urgence de la situation) a débuté en 2016 et a rapidement trouvé un écho chez quelques législateurs. Une proposition de loi a été déposée, sans succès, en 2017 ; une commission a été installée en 2018 par le gouverneur et a conclu ses travaux en recommandant l’expérimentation de salles de consommation ; le lobbying est en cours pour amener le dépôt d’un nouveau projet de loi lors de la législature 2020. Pour autant, les obstacles sont encore nombreux, et si de plus en plus d’élus sont convaincus de l’intérêt de cette proposition14, le gouverneur freine l’avancée législative, le procureur fédéral du Massachusetts menace d’arrestation quiconque travaillerait dans un tel site, et les riverains restent au mieux dubitatifs sur l’effet qu’un tel lieu aurait sur les usages de l’espace public dans leur quartier.

18 Là encore, la question de la nomination est cruciale. Pour les opposants, de tels lieux ne seraient que des shooting galeries (qui véhiculent l’image dégradante d’injection dans de très mauvaises conditions d’hygiène15) ou des heroin den (en référence aux fumeries d’opium). Pour calmer les inquiétudes, certains proposent de les nommer safe consumption space plutôt que safe injection facility (terme initialement choisi par la coalition militante) ce qui permettrait d’occulter l’image stigmatisante de la seringue tout en incluant les consommateurs non injecteurs (notamment les fumeurs de crack). D’autres proposent de les nommer overdose prevention site ou harm reduction site qui n’expriment pas explicitement l’idée d’un usage de drogue mais une finalité de prévention (éviter les surdoses et réduire les risques) qui pourraient se traduire par différentes actions. Il s’agit, par le langage, de renverser le discours dominant par lequel l’addiction est pensée comme une défaillance morale (a moral failure), stigmatisant et culpabilisant l’individu et son entourage (familles, amis, voisinage, communauté), pour présenter les troubles de dépendance comme une maladie. Présenter ces dispositifs comme les premiers jalons vers le rétablissement et point d’entrée dans le parcours de soin est un moyen de convaincre les plus réticents en s’inscrivant dans une logique de gestion du rétablissement (recovery management (Stuart, 2014)) orientant le consommateur dans le droit chemin, celui du soin et peut- être, un jour, de l’abstinence.

Conclusion : La nomination comme instrument du changement des pratiques et des représentations

19 Les différentes nominations de la scène ouverte sont porteuses de plusieurs registres de revendications et viennent rappeler l’importance du choix des mots pour décrire une situation et formuler un problème. Les habitants du quartier pauvre africain-américain de Roxbury dénoncent l’usage de l’adressage (Mass & Cass) comme toponyme qui minimiserait l’impact de la crise sur leur quartier et occulterait les rapports socio- spatiaux de domination. Pour faire face au sentiment d’injustice et d’abandon, ils se mobilisent pour attirer l’attention et l’action de la municipalité sur les atteintes à la qualité de leur cadre de vie, en premier lieu les usages de drogues en espace public et leurs traces que sont les seringues. En insistant sur l’aspect le plus controversé de l’offre de soin avec le nom de Methadone Mile, les riverains de la scène ouverte appellent les autres communautés à prendre en charge leur part du problème. Les professionnels de santé, pour leur part, font valoir les espoirs que de nouvelles pratiques de réduction des risques, pour l’heure à la frontière de la légalité, suscitent en vue de limiter les

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effets (sanitaires, sociaux et létaux) de la consommation. Ils promeuvent ainsi l’appellation Recovery Road qui pourrait annoncer une réhabilitation sociale et urbaine plus globale.

20 Les enjeux politiques de la nomination ne portent pas que sur les lieux. Par les changements de vocabulaire, les militants de la cause des usagers de drogues invitent à changer le regard porté sur la drogue et ses usages. Ainsi, les termes (de plus en plus utilisés) substance use disorder (trouble d’usage de substance) ou people who use drugs (personne qui utilise des drogues) rappellent que de nombreux usagers occasionnels n’ont pas de problème de dépendance. Pour autant, dans les arènes publiques du débat, la voix des principaux concernés, les usagers, reste peu audible bien qu’ils se soient récemment constitués en collectif (Boston Users Union), interviennent sur les réseaux sociaux et ont été invités aux discussions sur la définition des politiques sanitaires.

21 Enfin, si par la nomination des personnes et des lieux, un léger infléchissement vers des approches plus compassionnelles apparait, les pratiques vexatoires vis-à-vis des sans- abris et usagers de drogues demeurent fréquentes. A l’été 2019, suite à la recrudescence des troubles à l’ordre public, la ville de Boston a mené une opération de police appelée « clean sweep » que l’on peut traduire par « balayage sans ménagement », qui a donné lieu à la destruction des biens des sans-abris et à plusieurs arrestations. Ce vocabulaire et ces procédés rappellent les heures les plus sombres de la guerre à la drogue et les logiques de bannissement qui gouvernent la vie des sans-abris (Beckett and Herbert, 2009). Par la suite, la municipalité a déployé un plan d’action pour améliorer la qualité de vie, dont le nom Mass & Cass 2.0 reprend l’adressage et, dans une référence au web 2.0, exprime l’idée d’un renouveau plus participatif dans la définition des politiques de gestion de l’espace public (la question étant de savoir qui du riverain ou de l’usager de drogue est invité à participer). Pourtant, les demandes des riverains ne se limitent pas à une demande d’intervention policière ; ils envisagent également des évolutions dans l’offre de soin, sa distribution (éclatée plutôt que concentrée) et ses modalités thérapeutiques. Ils soutiennent aussi le projet de la Ville de Boston de reconstruire le pont de Long Island pour réinstaller des services de soin en addictologie sur l’ile. Dit autrement, de (re-)déplacer le problème loin des regards.

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NOTES

1. Qu’ils soient légaux (médicaments antalgiques) ou illégaux (héroïne), obtenu par des voies légales (sur prescription) ou sur le marché clandestin, le mésusage d’opioïdes concernerait près de douze millions de personnes aux Etats-Unis, dont deux millions présenteraient un trouble addictif (Ahrnsbrak et al., 2017). 2. Au Massachusetts, le nombre de décès par surdose a plus que doublé entre 2013 et 2016 pour atteindre plus de 2000 décès par an (Massachusetts Department of Public Health, 2016). 3. Auprès de professionnels des forces de l’ordre (police, justice), de santé et de la réduction des risques, d’élus locaux, de riverains, de parents de toxicomanes et de militants pour les droits des usagers. 4. Réunions de parents d’élèves, d’associations de riverains, de groupes militants pour les droits des usagers de drogues, de groupe de parole de parents de toxicomanes, du conseil municipal, de la commission de l’Etat pour la réduction des risques et réunions publiques de quartier. 5. La gentrification du South End se poursuit vers Dudley/Nubian Square alors que les inégalités de richesses entre les ménages blancs et les ménages africain-américains sont incommensurables : un rapport officiel établit que le patrimoine moyen des ménages blancs est de 247 000 $ alors que celui des ménages africains-américains est de 8$ (City of Boston, 2017). 6. Un rapide sondage dans la presse locale (Boston Globe et Boston Herald) via la plateforme Factiva a dénombré 111 articles publiés depuis 2015 comprenant l’expression Methadone Mile et aucun utilisant le terme Recovery Mile privilégié par les activistes (cf. supra). 7. Au moment de l’enquête, ce projet est en discussion. 8. L’ajout d’un « H » produit un jeu de mots entre Ham (le jambon) qui renvoie à Pig (cochon), le surnom argotique des policiers, et Amsterdam. 9. Cette photographie m’a été transmise par une enquêtée, professionnelle du soin en addictologie intervenant dans le quartier. Il est fait allusion à cette enseigne dans un billet de blog (Fitzgerald, 2017). 10. Les attentes en termes de guérison et de rétablissement ne sont pas les mêmes selon que l’on est consommateur, médecin ou proche (Meyers, 2016). Cela renvoie également au débat au sein du monde médical quant aux modalités d’accompagnement et de prise en charge des personnes souffrant de troubles addictifs, entre les tenants de l’abstinence et les partisans de la réduction des risques. Les centres de soin visant l’abstinence comme moyen et finalité du traitement sont le plus souvent à l’écart des communautés. Au contraire, les approches en termes de réduction des

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risques prennent en charge la personne là où elle est, le là où renvoyant à la fois au territoire de vie de la personne et à sa trajectoire de consommation et aux objectifs de soin qu’elle se fixe. 11. Aucun centre d’hébergement de la ville ne propose d’accueil pour les couples. 12. Le dispositif coûte environ 2 millions de dollars à la Ville de Boston (entre les coûts d’aménagement et de fonctionnement, notamment par l’emploi de huit travailleurs sociaux dédiés). 13. En France, les premières salles de consommation à moindre risque ont été créées en 2016 dans le cadre de dispositifs expérimentaux. 14. En premier lieu le maire de Boston qui met publiquement en scène son engagement personnel sur le sujet en raison de son passé d’alcoolique, et l’évolution de son point de vue sur les salles de consommation suite à la visite de plusieurs sites au Canada. 15. Si dans ce contexte shooting galery se traduit en français salle de shoot, ce terme désigne aussi un stand de tir.

RÉSUMÉS

Cet article analyse les différentes toponymies d’une scène ouverte de consommation de drogues, à Boston, localisée à l’interface de trois quartiers aux usages et dynamiques contrastées. Les réactions et demandes des riverains de ces différents quartiers sont révélateurs des rapports de pouvoir dans l’espace urbain dont les choix toponymiques sont les analyseurs : Mass & Cass renvoie à l’histoire urbaine, coloniale et raciale de la ville et de la prohibition ; Methadone Mile rappelle la stigmatisation des usagers et des lieux de soin ; Recovery Road exprime l’émergence de nouvelles pratiques de soin et de réduction des risques à l’œuvre dans ce secteur. Entrer sur cette scène par ses noms permet de dénouer la complexité de la crise des opioïdes en cours aux USA, de ses enjeux politiques et des infléchissements qu’elle provoque dans la politique des drogues.

This paper analyses the different toponyms of an open drug use scene in Boston, located at the interface of three neighborhoods with contrasting uses and dynamics. The reactions and demands of the residents of these different neighbourhoods reveal the power relationships in the urban space, the toponymic choices of which are the main focus of the analysis: Mass & Cass refers to the urban, colonial and racial history of the city and prohibition; Methadone Mile recalls the stigmatisation of users and places of care; Recovery Road expresses the emergence of new care and harm reduction practices at work in this sector. Entering this scene by name helps to unravel the complexity of the opioid crisis currently underway in the USA, the political stakes involved and the changes it is driving in drug policy.

INDEX

Mots-clés : Boston, opioïdes, surdose, scène ouverte, dynamiques socio-spatiales Keywords : Boston, opioid, overdose, open drug scene, socio-spatial dynamics Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

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AUTEUR

ELSA VIVANT Elsa Vivant, [email protected], est maître de conférences à l’Université Paris Est Marne-la-Vallée. Elle a récemment publié : - Vivant E., 2020. From margins to capital: The integration of spaces of artistic critique within capitalist urbanism. Journal of Urban Affairs, 5th octobre, p. 1‑14. - Vivant E., 2018. Accompagner l’implantation d’un établissement de soins psychiatriques. Les enseignements d’un atelier de programmation urbaine avec les usagers. Cahier Ramau, n° 9, p. 86‑101. - Vivant E., 2018. Les fantômes de la Tour Utrillo: métonymie de l’action urbaine à Clichy-sous- bois et Montfermeil. Géographie et culture, n° 106, p. 25‑42.

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Tautologies toponymiques : comment apprivoiser l’espace entre continuités et fractures

Fabio Armand et Jean-Pierre Gerfaud

1 « Nous sommes TOUS des #AINDINOIS ! C’est le nom choisi par les habitants de l’Ain qui ont voté durant deux mois pour leur gentilé préféré. Les troisquarts d’entre eux ont choisi de s’appeler les Aindinois et les Aindinoises. Vive les Aindinois ! ». Avec ce message « twitté », le Département de l’Ain annonçait, le 24 juin 2018, lors d'une Fête de l'Eté dans les jardins du Département, à Bourg-en-Bresse, les résultats d’une consultation visant à définir le gentilé du département. Les habitants ont pu choisir entre trois formes proposées par eux-mêmes : Initiain, Ainain et Aindinois. En effet, jusqu’à ce jour, les habitants du département de l’Ain avaient l’habitude de se dénommer selon l’appartenance à leur « pays », aux paysages et histoires différentes : la Bresse, la Dombes, le Bugey et le Pays de Gex. Sur les 32 610 votes reçus (population totale : 653 688 habitants), 75 % des votants ont choisi le terme Aindinois/Aindinoise.

Autour d’un détoponyme : les Aindinois, une tautologie « naïve » ?

2 Cette nouvelle forme pour indiquer les habitants du département de l’Ain cache une tautologie. La création récente de ce détoponyme – une dénomination dérivée d’un nom de lieu, soit un toponyme – nous servira ainsi de point de départ pour développer une réflexion autour des constructions tautologiques en toponymie et plus précisément dans la microtoponymie de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. En consultant, le 3 février 2020, le site internet du département de l’Ain (www.ain.fr/tous-aindinois/), nous lisons que le choix de ce néologisme, Aindinois, « entre par ailleurs en cohérence avec le nom donné aux habitants de Pont-d'Ain (Pondinois / Pondinoise) qui sont les seuls dans le Département à intégrer l’Ain dans leur gentilé local ».

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3 Si nous partons du toponyme Pont-d’Ain, comme suggéré par le Département de l’Ain, nous constatons que les formes anciennes Pont D’Enz (1326) ou, la plus tardive, Villa Pontis Yndis (1483) (DTA : Philippon, 1911, p. 321) – le village du pont d’Ain, en déployant les formes génitives latines – ont pu donner une forme adjectivale, ensuite gentilée, du type *pontinensis, d’où la forme actuelle pondinois, formée en ajoutant le suffixe latin -ensis aux formes anciennes se référant à la rivière d’Ain et conservant la construction nom plus complément du nom. Les formes anciennes désignant cette rivière, qui a donné ensuite le nom à son département, attestent Igneus (VII-VIII ème siècles), Igniz (1112), Hinnis (1169) et Enz (1212) (DTA : Philipon, 1911, p. 4), ce qui permet de rattacher ces formes au préceltique *ind, « enfler », à rapprocher de l’irlandais en, « eau », via le préceltique *en (TGF, 1045 ; Vurpas & Michel, 1999, p. 126). Quant aux formes apparues à partir du XVIe siècle, Idanus fluvius1, Philipon rappelle que « Indis est la forme originaire d’où sont régulièrement sortis Innis, Eynz et Enz. (...) Les formes Idanus et Danus sont des formes imaginaires inventées par les érudits des XVI et XVII siècles, qui voyaient dans Danus un mot celtique signifiant rivière » (p. 4).

4 Pour revenir à notre détoponyme « pondinois », nous indiquons sa dérivation du français pont (issu du latin PONS, FEW 9, 168), et du préceltique *ind / *en + -ensis. Mais si nous appliquons cette analyse au néologisme « Aindinois » nous aurons une surprise : en partant de la même réflexion menée pour « pondinois », nous devrions avoir *ind / *en + -ensis > *in(d)ensis > *inois, selon l’évolution courante. Sachant que ce néologisme a été construit en partant du toponyme Pont-d’Ain, le détoponyme Aindinois est clairement une forme tautologique du type : Ain + Ain + -ensis < *ind / *en + *ind / *en + - ensis. La construction de ce détoponyme tautologique semblerait donc relever ici du domaine de la linguistique intuitive ou « naïve » (folk-linguistics, en anglais), une formation substantivée issue d’une réflexion linguistique, qui ne prend pas en compte la base étymologique du mot et son évolution, conduite par ceux que Preston aurait appelé des « non-linguistes ». Comme le font observer Niedzielski et Preston (2003), ces constructions « naïves » reposent sur les connaissances linguistiques que les « non- linguistes » pensent avoir de leur propre langue, mais qui ne correspondent pas aux observations objectives conduites par les philologues ou les linguistes de profession.

Dénominations en contact : une simple question de (re)motivations ?

5 Si cette analyse sur le détoponyme Aindinois n’a été que le prétexte pour aborder le sujet, nous nous intéresserons principalement aux processus de dénomination des lieux, en mettant en évidence des formations tautologiques qui nous permettent de nous interroger sur des questions concernant ce que le contact linguistique, ancien et récent, entraîne comme effet sur la signification que les communautés donnent à l’espace. Ces dernières années, un renouveau d’intérêt pour les relations entre la toponymie et les phénomènes de contact linguistique a emmené de nombreux auteurs à s’interroger sur les processus d’adaptation et d’emprunt dans des contextes plurilingues ou de stratification linguistique (Tent et Blair, 2019 ; Sandnes, 2016 ; Petrulevich, 2014). Cette contribution se propose de développer une réflexion sur les constructions tautologiques dans la toponymie de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Le lexique toponymique tautologique – dont nous fournirons un corpus limité dans la section suivante – devient une passerelle utile pour accéder aux superpositions

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linguistiques issues du peuplement successif d’un territoire donné. L’analyse de ces contacts linguistiques peut ainsi nous fournir des informations intéressantes concernant les enjeux du rapport au monde de l’identité et de la politique dans ces processus de dénomination et d’appropriation des lieux.

6 Les populations, avec leurs bagages linguistiques et culturels, traversent des territoires et, dans une nécessité d’échanges sociaux qui passent par la connaissance et la compréhension de ces espaces, mettent en action des pratiques de dénomination. Chaque acte de dénomination devient ainsi une partition sémantique de la réalité, une quête de sens qui vise à simplifier la réalité sensible – celle qui est tout simplement « là » et que nous pouvons percevoir à travers le filtre de nos sens –, afin de la rendre intelligible. L’attribution d’un nom, par la maîtrise symbolique qui la constitue, vise ainsi à apprivoiser la réalité, grâce à l’apposition d’étiquettes dénominatives. Toutefois, si les populations changent, les toponymes restent : leur forme linguistique, à savoir le rapport entre signifiant-signifié, en termes saussuriens, et leur référent extralinguistique, persiste dans le temps, sur un territoire donné, autant que la forme est partagée au sein – ou à l’extérieur – d’une communauté. Comme le note Prosdocimi (1989, p. 65, notre traduction), on pourrait parler d’une « immanence onomastique en présence d’exigences onomastiques ».

7 La persistance de ces systèmes (topo-)onomastiques, fondés, comme nous l’avons vu, sur un lien inhérent, au sens logique, entre signifiant-signifié et référent, suggère que la langue joue un rôle de première importance dans le déploiement des rapports entre des catégories cognitives toponymiques et la géomorphologie du territoire considéré, i.e. l’espace géophysique et anthropisé. Semble ainsi se mettre en route un processus de fixation toponymique, où une forme linguistique d’une langue utilisée pour désigner un élément de la réalité géomorphologique est associée, on pourrait dire ontologiquement, audit élément.

8 Dans ce contexte théorique, nous voulons nous interroger sur les compositions tautologiques qui se forment au moment où une nouvelle population, parlant une langue différente, se trouve en contact avec la précédente et partage avec cette dernière le même intérêt, voire la même nécessité, d’interpréter et de construire le sens de l’espace habité. Tout en signifiant et communiquant la même réalité géomorphologique, les deux populations en contact regardent cette réalité de façon linguistiquement et culturellement différente, en quelque sorte elles réalisent leurs propres systèmes de classification du réel.

9 Or, les réflexions de Fournier (1990, p. 101) autour du toponyme normand Montcoq2 trouvent un meilleur cadre de compréhension : « un appellatif X d’une langue donnée est utilisé à une certaine époque pour désigner une hauteur, puis il se fixe en tant qu’oronyme. Une population postérieure hérite du nom de lieu démotivé et le conserve en lui accolant un appellatif Y issu de sa propre langue, désignant aussi une hauteur : le nom de lieu X devient "la hauteur X" ». Traditionnellement, cette question persistante de la composition tautologique est abordée du seul point de vue de la motivation (cf. Kristol, 2002) : quand un terme n’est plus compris par une communauté, ses membres se lancent dans un processus de remotivation des éléments démotivés. Mais est-ce qu’une approche sémantique, portant sur une réflexion autour des processus cognitifs du langage se trouvant à la base des catégorisations de la réalité géomorphologique d’un territoire, pourrait nous dire quelque chose de nouveau par rapport à d’autres possibles sources pour appréhender les formations tautologiques en toponymie ?

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Un corpus de tautologies toponymiques

10 Pour chercher à répondre à cette question, s’offre à nous un nombre important de microtoponymes illustrant la tautologie, dont nous n’avons relevé ici qu’un corpus limité de microtoponymes, issu de la base de données TOPORA3, Toponymes en Rhône- Alpes (Gerfaud et Poncet, 2013). Ils résultent d’un projet d’envergure, porté par l’Institut Pierre Gardette (Université Catholique de Lyon) qui vise à collecter les toponymes des communes des huit départements de la Région Rhône-Alpes, aujourd’hui Auvergne-Rhône-Alpes, en se proposant les objectifs suivants : 1) recenser les toponymes écrits et oraux de la Région ; 2) analyser chaque toponyme afin d’en établir l'origine, la signification et l'usage qui en est fait ; 3) fournir aux chercheurs, aux administrations et aux association et acteurs locaux les matériaux linguistiques dont ils peuvent avoir besoin pour la promotion du patrimoine linguistique et culturel de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

11 Nous proposons quelques formations toponymiques tautologiques, organisées en domaines de référence, avec une brève analyse linguistique qui en retrace l’origine en proposant les étymons des formes qui composent la tautologie. Le corpus que nous avons constitué n’est évidemment pas complet. Nous avons choisi de mettre en évidence le fait que les processus de construction tautologique touchent aux différents domaines de la dénomination de l’espace, de l’hydronymie à l’oronymie, en passant par la végétation et les voies de circulation.

Eaux qui ruissellent et eaux stagnantes

12 - Meyelie (commune de Manziat, Ain) : terrain boueux, marécageux. Forme composé du gaulois MARGILA « boue » (FEW 6, 1, 330) et du celtique *LIGA « boue » (FEW 5, 314). - Etang de But (commune de Saint-Etienne-du-Bois, Ain) : terrain boueux, marécageux, d’eau stagnante. Cette forme est composée du latin *STANTICARE, « arrêter, retenir (l’écoulement de l’eau) » (FEW 12, 231), et d’une forme francoprovençale, rattachée au latin BUTTIS4, « tonneau » (FEW 1, 661). - Bief de Lunant (commune de Treffort, Ain) : ruisseau affluent du Sevron. Cette forme est composée des formes gauloises *BEDU, « canal » (FEW 1, 312), et *NANTU, « ruisseau » (FEW 7, 7), avec agglutination de l’article. - Torrent de Brévon (commune de Bellevaux, Haute-Savoie) : torrent rapide. Cette forme est composée par le latin TORRENS, « torrent » (FEW 13, 2, 107), et une forme gallo- romaine °BEBRŌNE, dérivée du gaulois BEBER, « castor », et d’un thème indo-européen signifiant « cours d’eau ». Si nous considérons Delamarre (2003 : p. 323), « le mot onno glossé « fleumen » du glossaire de Vienne est peut-être une forme tardive de unna », dérivé du vieux thème hétéroclite indo-européen *ud-r/n-, « eau, onde, flot ». - Cascade du Dard (commune de Cheignieu-la-Balme, Ain ; commune de Chamonix, Haute-Savoie) : chute d’eau. Cette forme est composée d’un emprunt de l’italien « cascata », issu du latin CASCARE, « tomber », et de l’appellatif francoprovençal dar, « cascade, paroi rocheuse où coule de l’eau » (cf. Bessat & Germi, 2001 : pp. 156-159).

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Reliefs

13 - Chalamont (commune de Mérignat, Ain) : sommet escarpé. Forme composé du latin MONS, « mont, hauteur » (FEW 6, 3, 84), et du préceltique *CALA, « rocher, mont escarpé » (FEW 2, 50). - Chantemerle (commune de Boyeux-Saint-Jérôme, Ain) : sommet rocheux. Forme, très commune dans l’espace alpin, composée du préromain *MARR-, « rocher » (FEW 6, 1, 368), et de la base celtique *KAN-T, désignant une éminence rocheuse. - Rocher du Truchet (ou Rochers appelés Truchers ; commune de Champfromier, Ain) : hauteur rocheuse. Forme composée du bas latin *ROCCA, « pierre » (FEW 10, 435), et du préceltique *TRUC, « mamelon rocheux ». - Gremot de la Balme (commune de Bellevaux, Haute-Savoie), rocher surplombant formant un abri. Forme composé du gallo-roman *BALMA, « rocher surplombant formant un abri » (FEW 1, 223), et de la forme francoprovençal « gremot », « petit rocher » (GPFP 4438, Bellevaux).

Végétation

14 - Bois de Coex (Mieussy, Haute-Savoie) : lieu boisé. Forme composée du germanique *BOSK-, « bois, forêt » (FEW 15, 1, 192), et du celtique COAT, « bois, forêt ». Bois de la Forêt (commune de Saint-Etienne-du-Bois5, Ain) : lieu boisé. Forme composée du germanique *BOSK-, « bois, forêt » (FEW 15, 1, 192), et du latin FORESTIS, « forêt » (FEW 3, 708). - Bois du Saut (commune de Faucigny, Haute-Savoie) : lieu boisé. Forme composé du du germanique *BOSK-, « bois, forêt » (FEW 15, 1, 192), et du latin SALTUS, « forêt » (FEW 11, 125).

Voies de circulation

15 - Pont de Briord : pont traversant le Rhône et mettant en communication les départements de l’Isère et de l’Ain. Cette forme est composée du latin PONS (FEW 9, 168) et de la forme gaulois brīuā6 : Delamarre (2003 : p. 89) atteste la présence de la forme brio dans le Glossaire de Vienne, traduite par « ponte » [pont]. - Chemin Viettes (commune de Champfromier7, Ain) : chemin étroit. Forme composée du gaulois CAMMINUS, « chemin, voie » (FEW 2, 1, 144), et du latin VIA, « route, chemin » (FEW 14, 372), avec le suffixe diminutif -ITTA. - Chemin Chaland, anciennement La Vy Chalande (1729) (commune de Champfromier, Ain) : chemin. Forme composée par le gaulois CAMMINUS, « chemin, voie » (FEW 2, 144), et le latin CALLIS, « chemin de piéton » (FEW 2, 99) ; la forme ancienne est issue du latin VIA, « route, chemin » (FEW 14, 341), ce qui revient à une composition tautologique de plus ancienne attestation.

De l’« appaesamento » à une sémantique de l’espace

16 Les toponymes présents dans notre corpus vont nous servir d’exemple pour développer une réflexion autour des relations entre hommes et territoires : nous chercherons à

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déceler les prodromes des processus cognitifs pour une perspective portant non seulement sur le contact linguistique mais aussi culturel et politique, processus cognitifs qui sous-tendent les pratiques de dénomination et de catégorisation de l’espace géomorphologique. Trois types d’éléments se trouveraient alors à la base de notre approche : des référents (réalité géomorphologique du territoire, pour laquelle s’impose une distinction entre espace géophysique et anthropisé), des mots et des significations. Ce qui ouvre la porte à deux questions principales : 1) « que désignent les mots ? » – ce qui nous permettra d’aborder le rapport langue(s)-environnement – et 2) « à quoi renvoient les mots ? », domaine plus spécifique de la sémantique. Nous serons ainsi amenés à nous pencher sur les processus cognitifs de la partition et de la catégorisation de la réalité sensible.

17 De ce fait, ces formations tautologiques répondent-elles seulement à la seule nécessité d’une remotivation d’un nom démotivé ? Un processus de remotivation n’entrerait-il pas en fonction chaque fois qu’une communauté ne comprendrait plus le sens du toponyme choisi par le groupe qui l’avait précédé sur un dit territoire ? Ernesto de Martino (1951-1952) utilise la notion de « appaesamento » pour mettre en évidence le fait que, grâce à la langue et à la pensée, l’homme a la possibilité de manipuler l’espace, en mettant de l’ordre et classant l’inconnu pour le rendre plus intelligible. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, les processus de dénomination représentent des pratiques qui visent à apprivoiser la réalité confuse, afin d’opérer une appropriation, qui peut aller jusqu’à l’identitaire, du territoire habité. Les analyses conduites par Glauco Sanga (2016, p. 281, notre traduction) sur cette notion sont tout à fait éclairantes : « le mécanisme de l’"appaesamento" linguistique consiste […] à s’approprier linguistiquement un concept nouveau à travers l’application d’un nom ancien, de sorte que l’inconnu soit transféré dans le connu, soit inséré dans la sphère des concepts domestiques, familiers, tout à fait évidents, qui s’en verra ainsi progressivement amplifié ».

18 En partant de ces considérations, nous pouvons réfléchir sur les formes toponymiques du type « Rocher du Truchet (ou Rochers appelés Truchers) » ou « Cascade du Dard ». Nous pouvons reconnaître dans ces formes un phénomène que nous appelons de renforcement tautologique, où la construction d’un complément du nom pour unir les deux éléments nous laisse croire que ces doublets ne sont pas liés à une simple coïncidence, à une simple prise en compte de la réalité du lieu qui a emmené à la remotivation des termes Truchet et Dard. Nous y voyons plutôt un effort de compréhension, voire de traduction, entre les langues et les cultures de deux populations en contact. Ainsi, le terme ancien – le dar d’origine incertaine (cf. GPSR 5, 30) ou le préceltique *TRUC – était encore compris par les populations qui se seraient installées successivement sur le territoire : tout en ayant une langue différente, elles auraient su sauvegarder l’ensemble signifiant-signifié-référent propres à leurs prédécesseurs. Bref, le préceltique *TRUC et le bas latin *ROCCA se côtoyaient encore au moment de la formation de la forme tautologique8. Cela est vrai même pour une période plus récente, où le géomètre francophone qui établit un cadastre interroge le natif francoprovençal. On pourrait donc parler d’une conscience précise du contact entre la langue de substrat et celle de superstrat.

19 Il apparaît plus complexe de se pencher sur des formes tautologiques agglutinées, comme les termes Meyelie, Chalamont et Chantemerle de notre corpus. Ces formations tautologiques associant des termes anciens, issus de bases préceltiques et celtiques, en

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contact avec la romanisation de la Gaule auraient suivi le développement des constructions linguistiques synthétiques. Comme à partir du premier millénaire de notre ère, nous assistons au passage toujours plus diffusé vers des processus linguistiques de type analytique, où la dépendance à un régime est de plus en plus accusée par la préposition qui le précède, on assiste donc à une multiplication de prépositions et aux déploiements des compléments du nom. La forme Chalamont doit ainsi être comprise comme le « Mont du Chal ».

20 Les mêmes efforts de compréhension et de traduction d’un toponyme devenu opaque se sont réalisés plus récemment, avec l’établissement du système cadastral. Nous avons inséré dans notre corpus l’exemple du Bief de Lunant, composition tautologique qui s’est réalisée à partir de l’établissement du cadastre napoléonien (1825, pour Treffort), quand le terme « Nant » n’était plus compris comme un ruisseau formé en recueillant des eaux, mais plutôt comme un canal qui servait à collecter et drainer les eaux. Nous pouvons ainsi proposer de faire une distinction qui, bien que subtile, permettrait d’individualiser des tautologies de continuité, quand le sens des deux formes en contact est entièrement préservé (ex. Chalamont), et des tautologies de fracture, quand le superstrat tautologique se forme sur un processus de démotivation (ex. Bief du Lunant).

21 Toutes ces créations tautologiques s’inscrivent dans une succession historique liée à l’occupation des lieux, caractérisée par un échange d’éléments linguistiques et culturels dans les processus de catégorisation et appropriation du territoire. A ce sujet, Angelo Turco (1988, p. 76, notre traduction) utilise le terme de territorialisation pour indiquer « le grand processus à travers lequel l’espace incorpore de la valeur anthropologique » : ce processus permet de produire une « masse territoriale », où l’entrelacement de la nature et des cultures qui se sont ensuivies sédimente une complexité territoriale croissante. Nous revenons ainsi aux enjeux de sémantique cognitive que nous avons énoncés tout au long de cette contribution : la réalité géomorphologique – notre référent extralinguistique – est modelée linguistiquement par un système complexe de relations qui tissent des liens, synchroniques et diachroniques, entre des formes linguistiques et des significations, partageant en cela les réflexions de Matteo Rivoira (2012, p. 114), citant Dalbera (2004, p. 7), « la transparence sémantique d[’un] système est présente à un tel niveau que l’on a de la peine à croire véritablement que « la motivation [de tous les noms] cesse d’être active et devient inopérante », dès le moment où on les a utilisés pour désigner un lieu déterminé ».

22 Le rapport qui se déploie entre la géomorphologie du territoire et l’acte de dénomination, se traduisant clairement en acte de signifier le réel, devient un véritable point d’accès pour s’interroger sur les processus cognitifs du langage qui sous-tendent la catégorisation de la réalité physique des lieux. À partir du corpus en développement, cette contribution représente une première étape de théorisation touchant les phénomènes tautologiques dans le domaine de la toponymie. En même temps, cette perspective ouverte sur la rencontre et les échanges entre populations parlant des langues et ayant des cultures différentes nous permet aussi de réfléchir sur les enjeux politiques et, au sens plus large, sociétaux de l’appropriation de l’espace. Dans ce contexte de contacts linguistiques et culturels, les processus tautologiques pourraient être perçus comme étant des solutions élégantes à des conflits possibles. Aussi, mener une analyse toponymique signifie faire émerger progressivement un paysage mental, culturel et linguistique des populations qui, au contact d’un environnement, lui ont transmis une identité plurielle de paysage. L’ignorer lors de désignations

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administratives et/ou économiques serait introduire une double fracture là où il y avait eu accommodement et, dans la dimension de la diachronie, une continuité entre le présent et le passé. Fractures, à tout le moins déstabilisations, dont les effets négatifs vont bien au-delà des effets administratifs et économiques attendus.

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NOTES

1. À ce propos, nous retrouvons à plusieurs reprise l’emploi de l’adjectif idanien, attesté à partir, à notre connaissance, d’un article signé par Durafour (1902), « Localités nouvelles du Jura idanien », et repris, ensuite par d’autres publications en domaine géographique (voir Rollier, 1903, p. 405, « Jura idanien ») et botanique (voir Vadam & Philippe, 2008 ; Philippe et al., 2015) : l’emploi semblerait donc restreint au domaine strictement scientifique, plus particulièrement botanique. René Lebeau (1955), dans sa thèse magistrale sur le Bugey, utilise l’expression Jura méridional, et jamais Jura idanien. 2. Cette composition tautologique associe le latin MONS, « mont, hauteur » (FEW 6, 3, 84) à la racine préceltique *kuk(k)-, « hauteur arrondie, sommet ». 3. La base de données est consultable via le site de l’Institut Pierre Gardette : https:// www.ucly.fr/topora/ 4. Nous signalons à Cerdon (Ain) la forme bot(a), « mare, fosse à purin, tonneau » (GPFP 1591), à rattacher à bota, « mare, flaque d’eau) indiquée dans l’ALJA (cf. vol. 5, p. 842). Le DTA (p. 75) note Le But, ruisseau, affluent du Sevron à Meillonnas, Saint-Etienne-du-Bois. Ne pas exclure, une dérivation du germanique *BOTAN, « pousser, gonfler », (FEW 15, 1, 210). 5. Pour une analyse complète des microtoponymes de Saint-Etienne-du-Bois, voir Subtil (2016). 6. Delamarre (2003, p. 89) relie le terme brīuā, s’il est issu d’un plus ancien *brēuā, au nom germanique du pont *brōwō > v.norr. brú et *bruwwī- > *brugī- que continuent l’allem. Brücke et l’anglais bridge. Cf. pour une possible référence au champ sémantique de la boue et du marais :

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FEW 23, 177 et 23, 209, brevu « liquide renversé, épaissi ou gluant, saleté qu’on fait en renversant un liquide, surtout poisseux » (GrCombe). 7. Pour une analyse complète des microtoponymes de Champfromier, voir Lancel (2015). 8. Nous verrons un bon exemple de ce type de contact linguistique dans le Glossaire d'Endlicher, ou Glossaire de Vienne, provenant de vieux manuscrits dont le plus ancien date du IXe siècle mais, probablement, lui-même la copie d'un manuscrit mérovingien, où une liste de termes gaulois est suivie par leurs traductions latines.

RÉSUMÉS

On ne peut réduire les tautologies – dénominations dont la forme condense deux expressions transmettant un seul et même concept – en toponymie à une simple question étymologique. Elles posent, au-delà de la nécessité de la motivation toujours renouvelée des désignations toponymiques, le problème des contacts entre populations et traduisent la façon dont ces contacts ont pu s’établir. A partir d’une réalité géomorphologique commune, soit la combinaison d’espace géophysique et anthropisé, langues et cultures différentes peuvent réaliser des partitions sémantiques visant à apprivoiser l’espace extralinguistique. L’étude des tautologies, s’inscrivant dans une succession historique liée à l’occupation des lieux, représente un outil permettant de repérer et formuler les enjeux de continuité et fracture qui se jouent dans nos sociétés contemporaines.

Toponymic tautologies – denominations whose form condenses two expressions conveying one and the same concept – cannot be reduced to a simple etymological question. Beyond the need for an ever-renewed motivation for toponymic designations, they address the problem of contacts between populations and reflect the way these contacts have been established. From a shared geomorphological reality, i.e. the combination of geophysical and anthropized spaces, different languages and cultures can produce semantic partitions that aim to tame extra- linguistic space. The study of tautologies, which are part of a historical succession linked to the occupation of the places, represent a useful tool for identifying and formulating the issues of continuity and fracture that are at stake in our contemporary societies.

INDEX

Mots-clés : microtoponymie, formation tautologique, contact linguistique, motivation, Région Auvergne-Rhône-Alpes Keywords : microtoponymy, tautological formation, linguistic contact, motivation, Auvergne- Rhône-Alpes Region Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

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AUTEURS

FABIO ARMAND Fabio Armand, [email protected], Institut Pierre Gardette, Pôle Culture(s), Langue, Imaginaires, Université Catholique de Lyon. Il a récemment publié : - Armand F., 2020. Didactic perspectives and revitalization of an endangered language: the case of Francoprovençal in the Ain department (France). In Actes de la conférence internationale Didactic Challenges III. Retrospective and Perspective, p. 398-408. - Armand F., 2020. Une matrice sémantique neurocognitive pour les dénominations du cauchemar dans quelques parlers francoprovençaux de la Vallée d’Aoste. Nouvelles du Centre d’Etudes Francoprovençales, vol. 76, p. 83-106. - Armand F., Cathiard M.A., Abry C.,2019. Neuronuminous-like Experiences within the BRAINCUBUS Framework for Cognitive Folkloristics: Present Promise and Limits. In Actes du colloque Numinoses Erzählen: Das Andere - Jenseitige – Zauberische, Deutsche Gesellschaft für Volkskunde, p. 57-65.

JEAN-PIERRE GERFAUD Jean-Pierre Gerfaud, [email protected], Institut Pierre Gardette, Pôle Culture(s), Langue, Imaginaires, Université Catholique de Lyon. Il a récemment publié : - Fréchet C., Gerfaud J.-P., 2019. L'utilisation des dictionnaires dans la transmission du francoprovençal sur l'espace français. In Actes de la Conférence Le rôle des "dictionnaires de patois" dans l'apprentissage de la langue. Région Autonome de la Vallée d'Aoste. - Fréchet C., Gerfaud J.-P., 2017. La création d'un langage mystique et la production littéraire à partir de l'oeuvre de Marguerite d'Oingt. In Boncou E., Gire P., Mangin E. (dir.), Maître Eckhart, une écriture inachevée. Ed. Jérôme Millon, Grenoble. - Lombard G., avec la collaboration de Fréchet C., Gerfaud J.-P., 2016. Les microtoponymes de la commune de Champdor. Le Dreffiat, Hauteville-Lompnès.

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Plural Toponyms: When Place Names Coexist Introduction

Frédéric Giraut

1 A branch of onomastics (the study of proper names) in linguistics, toponymy studies the origins, meanings and alterations of place names. In addition, this field involves a considerable amount of inventory work and classification in diverse contexts and on diverse scales, ranging from rural micro-toponyms to macro-toponyms (e.g. the names of territories engaged in international relations). There are for example nomenclatures and scholarly dictionaries of cities, regions and states, and international experts who work on the standardization and transcription of official names. The output of toponymy is used in history and geography to reconstruct the archaeologies of peopling, landscape and the environment, using the valuable indicators provided by the heritage of place names. Finally, linguistics considers toponymy when working on linguistic landscapes. The question of naming, its motives, and the potential controversies it raises remain understudied and appear as a cross-disciplinary field. Naming places is indeed an essential human operation of territorialization, at the very core of political geography.

2 In recent years, an international current of political or critical toponymy has been considering the naming process to complement the study of names themselves. The focus is on the political, functional and identity-related implications of studies of place naming. Studies are thus dedicated to the production and evolutions of the toponomascape (or toponymical landscape), which forms part of the linguistic landscape at large. Whether official or unofficial, whether stemming from legal procedure or from practice, naming can be regarded as a social technology that assigns certain places and territories a function and a set of references, and contributes to establishing and/or revealing a social and political order.

3 In addition to the academic interest in toponymy as a means of reconstructing peopling and historical relations to the environment, scholars have investigated toponymy’s geopolitical dimension on diverse scales (Azaryahu 1996; Monmonier 1996; Zelinski 1997; Guillorel 1999; Kadmon 2000). However, in the 2000s and 2010s, analytical

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frameworks were established, identifying key areas with their respective hotspots (Alderman 2008; Giraut and Houssay-Holzschuch 2008a; Berg and Vuolteenaho 2009; Rose-Redwood et al. 2010; Bigon 2016; Puzey and Kostanski 2016). In addition, theoretical hypotheses were presented to interpret the motivations and practices of nomination, stemming from linguistics (Tent and Blair 2007) or political science, with approaches inspired by Foucault, Debord and Gramsci based on dispositifs, spectacularization and hegemony (Vuolteenaho and Kolamo 2012; Giraut and Houssay- Holzschuch 2016). Major developments emerged in books, journal issues or synthetic studies on topics such as the remembrance value of street names (Bulot and Verschambre 2006; Rose-Redwood et al. 2018), place name commodification (Light and Young 2014; Medway and Warnaby 2014) or the naming of territorial rearrangements and “new regionalism (Giraut and Houssay-Holzschuch, 2008b).

4 This issue investigates the many and diverse toponymic situations where usages, cartography and nomenclatures reveal a multiplicity of sometimes conflicting denominations, that function according to different registers. These frequent and rich situations can be interpreted in light of political and cultural geography as indicators of a plurality of representations and practices, but also of historical relations to space and potential claims on these spaces. Such plural denominations have so far attracted the attention of researchers when they manifest competing territorial claims, and form part of geopolitical conflicts. For instance, some publications have studied the name of Macedonia, used in Greece and claimed for more than 20 years by the authorities of present-day Northern Macedonia (Tziampiris 2012; Mavromatidis 2010); or the name of the West Sea vs. the Sea of Japan (Short & Dubots 2020); or that of the West Bank vs. Judea-Samaria (Cohen and Kliot 1992; Leuenberger and Schnell 2010). On the other hand, the multiple names of everyday places are largely ignored: streets, landmarks, crossroads, neighborhoods, towns or small regions.

5 And yet the plurality of names given to the same places in these situations and at these scales raises numerous, rich and original questions, as shown by the collection of articles gathered in this issue. In diverse contexts ranging from war zones to contemporary heritage, from large North American cities to large African cities, and from the French rural world to rural Nepal, contributions explore the modalities of the production and appropriation of multiple and potentially contradictory names, and the diverse claims associated with these names. What is generally at stake is the question of the endonym versus the exonym, or the vernacular versus the official. However, these binary oppositions are somewhat reductive, and can conceal more complex situations, often involving hybridizations.

6 The battlefields of the First World War provide a unique and paradigmatic situation illustrating the production of a new layer of place names endowed with a functional and symbolic value, in an already dense toponymic landscape. In just a few months and for several years, a “war city” was built on rural land, hosting millions of people in very dense temporary facilities. The setting up of this international city gave rise to an unprecedented process of temporary but very real naming, which shaped the soldiers’ daily environment. This wartime toponymy was superimposed on the rural micro- toponymy, which it partially recycled. At the end of the conflict, far from disappearing completely with the dismantling of military settlements, the wartime toponymy was perpetuated through the landscape of commemoration, which in some cases remained the only occupation of this space; more often than not, a selective toponymic

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remembrance was maintained in conjunction with the rural landscape that partially regained its rights. Alain Devos, Pierre Taborelli and Robin Perarnau’s article studies the names of trenches and tunnels in Champagne as registered by military maps (“Canevas de Tirs”) in 1918. The inventory and typology conducted by the authors capture the conditions of production of these names by the military authorities via the regiments and companies, guided by practical and functional military principles. The place names thus produced were heterogeneous but responded to a combination of logics. From a practical perspective, the reuse of some elements drawn from the toponymic heritage re-organized original micro-toponymy to produce new names that took on a strategic military value. In addition, the nomenclature of new names also responded to practical classification needs (one given theme and first letter for each sector), but also to the troop’s need for appropriation, using references to heritage, history and to the regiment or company’s place of origin, and celebrating their exploits and martyrs. Finally, another marginal but significant logic was that of sarcastic or ironic vernacular denominations, referring to the enemy, living conditions and casualties.

7 Clément Millon’s article also investigates the toponymy of World War One, but this time through the commemorative odonymy developed in later years, as recorded by the nomenclature of streets and squares in French towns and cities. This can be regarded as a case of plural denomination, as it created a distinct memorial category that was reproduced in the odonymic landscape alongside other categories. For example, the French odonymy associated with the Great War highlights one particular date – November 11th, 1918, which is the date of the Armistice that marked the end of the conflict – as well as one particular value: Peace (as shown by street names like “Rue de la Paix”) although this term is not explicitly associated with a specific period. Personalities are also commemorated, in particular Foch and Clémenceau who embody two aspects of the Nation that came together to defend it. The specificity of these commemorations, their geography and long-term aspects, is examined in comparison with those of other major conflicts including World War Two. From this point of view, the meaning of World War One toponyms appears to be partially fading and to focus less on human involvement. In contrast, World War Two is commemorated through a few major figures (Général De Gaulle, Maréchal Leclerc, Jean Moulin), but also through the memory of the liberation, resistance and martyrdom. World War One also enjoys a very concrete and visible presence in the French landscape through war memorials. This war is also very present in the odonymy through the evocation of battles, but these occurrences are more difficult to identify as the signifiers are place names that do not only refer to a battle. This case illustrates various aspects of toponymic plurality, but in this case it is applied to multiple references to one same place.

8 Ghousmane Mohamed presents an overview of the Saharan Tuareg onomastic, with a focus on the current space of Niger. This exploration of the linguistic and semantic roots of Tuareg toponymy emphasizes this society’s mobility. The naming techniques integrate places both into a mobile yet coherent socio-spatial system, and in an environment that is reinterpreted according to its uses and to circulation. This toponymy is thus transposable (further studies on Tuareg toponymic projection in cities would be welcome), and forms a non-exclusive heritage marker of Saharan spaces.

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9 Christophe Gauchon’s article also touches on heritagization, but this time on a global scale, by considering the naming of sites on the UNESCO World Heritage List. This article documents the very diverse compositions and references types that are coined as a token of these sites’ universal value – which is a condition of their inscription on the List, and incidentally of their touristic value (Neotoponymy, 2019). The names inscribed on the List reveal the political issues at stake on multiple scales in contemporary heritage. The author delivers an inventory of names and analyses their motivations, showing among other things a trend towards the restoration of indigenous toponyms to replace exonyms inherited from the colonial period. This process is often motivated by the postcolonial search for historical authenticity regarding the cultural and natural heritage, but it can also serve nationalist purposes – for example when the Nepalese name of the “Roof of the World” is promoted by preference over the name of its English “discoverer” of course, but also over its older Tibetan name. In the case of Catalonia, the promotion of regional references can also hint at a certain nationalism, which is even more obvious when a reference to the name of the state is added; similarly, in Switzerland, mentions of the national state are used, at the risk of tautology, to overcome divisions into cantons.

10 Darshan Karki and Miriam Wenner study the use of ethnonyms as toponyms to refer to the territories of the Nepalese Lowlands, analyzing the political and identity dimensions of neotoponymy. The authors show how the elite’s territorial and toponymic claims are associated with their sense of belonging to a group that cuts across language, religion and caste, which comes in conflict with nationalist rhetoric. While these toponymic claims stem from an essentialist approach – which also has strategic aspects (Giraut, 2017) –, they come up against the exclusionary dimension of ethnonymic denominations.

11 In contrast with the naming of contemporary administrative territories, the toponymy conveyed by tales and legends – in other words, oral tradition – can in certain contexts prove more powerful in promoting or preserving the vernacular toponymy and imagination. This is what Jean-Baptiste Bing shows, based on the examples of hyper- urban and hyper-rural tales and legends from respectively Paris and the Morvan region, that manifest different political, or rather infra-political, uses of oral tradition. These narratives reveal and invoke a toponymy that promotes alternative uses of places in reaction to a contested project (planting conifers) or development (burying a river).

12 The subversive power of vernacular toponymy appears even more clearly in the naming of neighborhoods and landmarks in informal African cities. Working from the example of Yaoundé, Gaston Ndock Ndock shows the polyphony that arises in spontaneously urbanized districts, when standardization operations go along with attempts to impose official place names while vernacular names still remain in use. For example, a road crossing humorously named “I wasted my life” after which the entire neighborhood was named, resists its new name of “Nelson Mandela”. This official commemoration, imposed by the public authorities, would not only associate the great man with a place whose key characteristic is its bad reputation; but above all, it would silence the challenge to the authorities expressed by this ironic name, which both asserts and laments the area’s marginal condition.

13 In the secondary city of Bindura, Zimbabwe, Dorcas Zuvalinyenga highlights the diversity of place names in simultaneous use. The various corpuses all have their own

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particularities. While the official layer inherited from the colonial period mostly refers to exonyms – or more precisely, to external references –, the official postcolonial layer is linked to the regime, its history, ideology and stated achievements. However, all these official corpuses share the same gender bias, which excludes the feminine. In contrast, the vernacular corpuses that result from spontaneous naming practices express, sometimes ironically, the concerns of marginalized groups, including young people, vulnerably housed people or speakers of minority languages.

14 In Boston, three different names illustrate the tension between competing registers for the naming of the city’s “open drug use scene” – in other words, an urban area where the sale and consumption of drugs is practiced and where drug users are supported through the provision of substitutes. At the intersection of several neighborhoods marked by their contrasting social dynamics, the different names in use for this sector either stigmatize, enhance or hide the “open scene” that characterizes it. This original case study by Elsa Vivant illustrates the role of vernacular toponymic creativity, in a context that is not one of spontaneous urbanization, but of a tension between urban social problems and gentrification.

15 Finally, Fabio Armand and Jean-Pierre Gerfaud address the question of tautology in toponymy, which has already been discussed. They consider the case of toponyms made up of two elements drawn from two different languages, but that have the same conceptual meaning. In this case, toponymic plurality is evident in compound names. Examining the conditions of linguistic production of these names, the authors show that they appear in circumstances where a change occurred in the area’s peopling and in the status of languages: the old name is retained but becomes “demotivated” (i.e. it only refers to the place but no longer to the generic concept that described it) (Kristol, 2002), and is then supplemented by a reference to the same concept in the nominators’ language. The tautological neo-toponym thus associates a demotivated endonym in the former vernacular with a neonym of the same meaning in the vehicular language. For example, the name of the Col de la Forclaz in Haute-Savoie (the same toponym can be found nearby but on the other side of the border, in the Swiss canton of Valais) associates the name “col” (mountain pass) in French (the national vehicular language) with that of Forclaz, whose ending is specific to the Franco-Provencal Alpine dialect, and which originally means fork in Latin, indicating the idea of a crossroads in a mountain pass. This toponymic tautology goes beyond the opposition of vernacular versus official or generic language: it manifests a hybrid linguistic landscape that testifies to the contact and encounter of languages, populations and political and cultural traditions.

16 One of the most obvious lessons from this set of studies and analyses is the richness and political power of vernacular language when it competes with official language, in contexts as diverse as cities in the South or in the North, or heritage sites of different scales. Theoretically speaking, situations of toponymic plurality raise questions as to the binary opposition between exonym/endonym, by highlighting the relational and sometimes relative dimension of these two registers (Woodman, 2012). Finally, methodologically speaking, the identification of these numerous situations opens the way for a study of their cartographic expression in a context where cartographic media is proliferating on the geoweb (Noucher, 2020). Indeed, the end of the public monopoly on geographic information – or cartographic sovereignty – opens the way for the

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promotion of potentially competing toponymic corpuses (whether private, vernacular or official) in signage and in various online or embedded media.

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INDEX

Subjects: Sur le Champ - Sur le Terrain

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AUTHOR

FRÉDÉRIC GIRAUT Frédéric Giraut, [email protected], is a Professor at Geneva University. He edits the blog https://neotopo.hypotheses.org/. His publications include: - Giraut F., Houssay-Holzschulch M., 2017. Au-delà du toponyme, la dimension politique de la territorialisation par la nomination. In Pasquali S., Gonzalez J. (ed.), Au delà du toponyme. Approches interdisciplinaires de la territorialité. Egypte et Méditerranée anciennes. Montpellier, ENiM. - Giraut F., Houssay-Holzschuch M., 2016. Place Naming as Dispositif: Toward a Theoretical Framework. Geopolitics, vol. 21, n° 1, p. 1-21. DOI: https://doi.org/10.1080/14650045.2015.1134493 - Giraut F., 2017. Frontières communautaires, ethno-régionalismes et apartheids. In Staszak J.-F. (ed.), Frontières en tous genres. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 81-102.

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Naming the sites of the opioid crisis in Boston: a political issue

Elsa Vivant

In memorium Aubri Ester

Naming the sites of the opioid crisis in Boston: a political issue

1 On 14 October 2014, the Mayor of Boston decided to block access to Long Island Bridge to all forms of traffic. Support facilities for the city’s poorest, many of whom had been residents of the island for a long time, thus had only a single day to close and move out. Within a few hours, the emergency homeless shelter and addiction treatment centres had to relocate their activities elsewhere in the city area, mostly in precarious conditions. This unprepared emergency relocation contributed to rendering the living conditions of the homeless even more precarious, leaving many unable to find shelter. It was one of the contributing factors leading to the emergence of an open drug scene around the junction of two major thoroughfares (Massachusetts Avenue and Melnea Cass Boulevard) in an interface area between three neighbourhoods with contrasting uses and dynamics: an area of light industry and storage (Newmarket), a black and Latino working-class neighbourhood (Dudley-Roxbury), and a gentrified neighbourhood (South End). The mayor's decision came at a time when the opioid crisis had become a public and political issue with extensive media coverage1. The crisis, which had been latent since the late 1990s, erupted with the introduction of a powerful synthetic opioid (Fentanyl) on the underground market, leading to a dramatic increase in overdose mortality2.

2 The open scene drew the attention of the media and public authorities as addiction and overdose issues were brought to the fore, along with the conflicts it generated around the use of public space. It bears a variety of names, each of which relates to different representations of the problem and to local geopolitical stakes. Examining this scene through the lens of its names is particularly heuristic. It allows us to unravel the

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complexity of this health crisis, its political stakes, and the shifts it is bringing about in drug policy. As several authors (Giraut and Houssay-Holzschuch 2008; Rose-Redwood and Alderman 2011) have pointed out, the act of naming a place is political, and debates on toponymy are opportunities to analyse the social and political – and, in this case, health – dynamics at play in a space. In this article, plurality in names will be used as a heuristic tool in understanding the opioid crisis and its effects on the social representations of drug users. Debates on the ways of naming not only places but also treatments or drug users, shed light on the emergence of new care practices and political representations of drugs and their users.

3 The article3 is based on an in-depth survey conducted between September 2018 and June 2019, which involved 70 interviews4 and observations in as many meetings of various types5. While the article is structured around the three most commonly used toponyms, other denominations will come into play at times, depending on the different scales being discussed (from single buildings to entire neighbourhoods). Behind its apparent neutrality (Rose-Redwood and Alderman 2011), the reference to the open scene’s postal address, Mass & Cass, is actually a reference to the urban, colonial and racial history of the city and of prohibition. Two visions of addiction and care compete behind other names. The many drug user care, support, or management services located in the area (the county jail and its probation services, methadone clinics, long-term and emergency shelters, daytime support facilities) have led critics to dub it Methadone Mile. Caregivers, on the other hand, prefer to call it Recovery Road, a reference to the hope that these services’ presence could inspire.

Mass & Cass: behind the official toponymy, an underlying colonial heritage

4 The official way to denote the open scene is to refer to its geographical location through its address, at the intersection of two major thoroughfares: Massachusetts Avenue and Melnea Cass Boulevard, often abbreviated as Mass & Cass. This official toponymy refers to the darkest pages of American history: colonization and racial segregation. Massachusetts Avenue runs through the metropolitan area from Arlington to Dorchester and along MIT and Harvard’s campuses in Cambridge, follows the axis of gentrification from South Bay to South End, and finally crosses into the industrial areas of Newmarket. Most importantly, Massachusetts is the name of the indigenous people who lived on these lands before Europeans arrived and were decimated in the early years of colonization. Only a few dozen of their descendants have survived and are currently still fighting for their rights. Melnea Cass Boulevard was built in 1981 on land set aside for a highway construction project, which was contested by local residents and abandoned in 1972 (Miller, 2018). In the absence of a highway, the boulevard, which is divided into two three-lane sections and interspersed with traffic lights, constitutes an urban divide between downtown and Roxbury. It is named after Melnea Cass (1896-1978), an African American activist for the political, social and economic rights of women in her community of the Dudley-Roxbury neighbourhood, who was highly active in the struggles for school desegregation (busing) that led to violent protests in Boston (King 1981, O'Connor 2001). A testimony to the political issues surrounding toponymy is the renaming, in 2019, of a square originally named after former governor, founding member of the Massachusetts Bay Colony and, as

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proponents of renaming the square pointed out, slave owner Thomas Dudley. The current name is Nubian Square, in recognition of the African American population’s contributions in the neighbourhood (MacQuarrie 2019, Greenberg 2019). This decision, however, came at a time when the neighbourhood was already on the road to gentrification, and thus might be little more than a memorial to the presence of a population in the process of being evicted6.

5 Residents of the black district of Dudley-Roxbury contest this way of referring to the place by its address. They argue that, by producing a new spatiality and inventing an imagined territory that did not exist a few years earlier, it conceals the real impact of the crisis on their district and steers attention and municipal action away from it. In public meetings and in interviews, the residents of Roxbury express their resentment at the fact that their neighbourhood is once again affected by a drug problem and that the authorities, in their view, are turning a blind eye to it. They mainly express anger about the presence of used syringes in a public park (Clifford Park) and in the courtyard of Orchard Garden School, which had itself been built as part of the redevelopment of the Orchard Park area after it had been one of the city’s main drug scenes in the 1980s. In 2017, teachers and parents formed a pressure group that meets twice a month to define their strategy and demands, and to make them known on social media. They are concerned about the effects of the daily sight of people injecting drugs, or behaving in ways they deem deviant, on their children's mental health. They have organized demonstrations, in which schoolchildren were also present, to demand the installation of fences around the courtyard, an increase in police presence, and daily cleaning operations in the surroundings. A ferocious spokesperson for their cause is football coach Domingos DaRosa, who has run in municipal elections twice to put the issue of drug use in public spaces and the dangers of used syringes onto the political and media agenda. On several occasions at public meetings he has emptied boxes of syringes collected at Clifford Park, where his team trains. Other residents report the syringes to the city's services via an online platform, photograph them, publish their photographs on social media, count them, and map them (Bearnot et al, 2018).

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Illustration 1 - Invitation poster for a syringe collection and public space cleaning operation

Source: created by an anonymous pupil of Orchard Garden School, spring 2019.

6 While public meetings are an opportunity to highlight tensions and resentment between residents of Roxbury and of South End, they are also a fine opportunity to raise awareness of possible alliances between the two neighbourhoods to bring the residents' point of view to the city council’s attention. The chairman of a South End neighbourhood association argues that, despite the social and racial differences and regardless of relationships of domination, white gentrifiers and black residents need to work together to make the city council face evidence of the extent of the problem. Roxbury residents, on the contrary, repeatedly express their feeling of not being listened to due to their position as poor, immigrant and racialized people. In their view, any alliance with South End residents would entail a denial of the reality of economic and political disparities. They refuse to see their neighbourhood cast once again as the area where drug use can be trivialized. Their complaints also touch on a sense of injustice due to the differences in the way the current crisis is being addressed by comparison with the forms that the war on drugs previously took and the effects it had when targeting their neighbourhood. Their feeling is corroborated by Netherland and Hansen’s analysis (2016), which shows how media coverage of the current crisis produces a relatively benevolent representation of white opioid users, quite opposite the stigmatizing ways in which black crack users were depicted (Alexander 2010).

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Methadone Mile: an informal toponymy of stigmatization

7 When Long Island Bridge was shut, this was the area where a building was soon converted into a men's shelter, another shelter doubled its capacity and, concurrently but independently, a second private methadone clinic was set up. These came as additions to other services aimed at or taken up by marginalized populations and drug users: the hospital and its addictology service, the needle exchange service, the city’s homeless clinic, two detoxification clinics, a private methadone clinic, probation services, and the county jail. This concentration of services is part of what makes the crisis so visible, or rather of what draws attention to its most visible aspect: the part of it that takes place in the public space and might distract from other forms of addiction. Residents identify it as the cause for the increase of disturbances and conflicts around the use of public space. Methadone clinics are the main targets of criticism and discontent, hence the area’s disparaging nickname Methadone Mile which, among its denominations, is by far the most commonly used in the press, in ordinary conversations, and in public debates7.

8 To explain the stigmatization of this name, we need to bear in mind that methadone treatments have aroused suspicion ever since they were first tried out in New York, in the late 1960s. They were deployed under the Nixon administration, at the same time as users were criminalized and the first war on drug programmes were launched. The purpose of introducing these treatments was to reduce drug-related urban crime, to anticipate the need to provide care for veterans returning from the War, and to address the growing use of heroin among young people from the suburban (white) middle classes (White 1998, Musto 1999, Schneider 2011).

9 In spite of its efficacy, which medical professionals have consistently upheld, the very principle of drug treatment for addiction remains controversial in the United States, where the abstinence paradigm and the addicts anonymous model prevail in the care offer. Critics see methadone merely as a drug like any other, which traps individuals in chronic dependence while failing to address the psychological causes and social context of consumption. Another line of criticism focuses on methadone clinics’ lack of professionalism and their greed in a poorly regulated market where discrimination in access to care persists to this day (White 1998). Media coverage of certain clinics’ abusive practices (failure to follow up on patients, lack of control over the substances prescribed, overpricing) has contributed to giving this mode of treatment a bad reputation (Platt et al., 1998). The treatment protocol requires users to go to a specialized clinic every day to take their dose in front of a health professional. Only later can they take a few days’ worth of treatment home. This is to ensure that the patients visit the clinic daily. In this case, residents estimated the number of these patients at over 1300. These (un-sourced) counts are at the centre of their arguments and fuel their concerns about the installation of other healthcare facilities. Due to health and urban planning regulations and the constraints they impose on methadone treatments and clinics, these clinics are often located in areas that are treated as second rate. Criticism levelled at them thus redefines heroin-induced urban decline, with clinics being accused of attracting drug dealers by creating a captive customer base (Schneider 2011).

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10 While the proximity of hospitals and social services has always attracted marginalized populations to South End, residents have noticed a change in their numbers and behaviour in public spaces since 2014. They attribute this to an accentuation of the aggregation effect that followed the relocation of services from Long Island. As good neighbours (Tissot 2015), they wanted to inform themselves and sought comprehensive solutions to the problem of drug use in the public space. Neighbourhood associations’ representatives took part in work meetings with city authorities and hospital management staff to understand the issue and its causes, and to identify solutions. In order to resolve conflicts over the use of public space and to restore the quality of their living environment, they proposed a better geographical distribution of care facilities and more flexible treatment methods. This was consistent with calls that Boston city councillors made to other local authorities to take responsibility for what they considered to be their share of this burden. From their point of view, the lack of care services in other cities and the way other communities had forsaken their drug users explained the scale the crisis reached in their city.

11 Other names attract attention, such as the New Market Association’s use of the term Ground Zero (in reference to the site of the 11 September 2001 attacks) to emphasize the scope of the crisis the district faces. This business owners’ association also put forth a proposition to create a Business Improvement District, in which the management of public space and of its uses would be privatized, to tackle an issue the city seemed unable to resolve on its own. To do so, the association would need to obtain the City's authorization and to convince a majority of business owners in the area to pay a land surcharge for the BID’s management, which would provide private security and cleaning services. This intervention would focus on the perimeter of the industrial zone and its immediate surroundings, thus excluding the residential districts of Roxbury and South End8. This area of privatized management of public space would come as an addition to the districts that had already been set up around university and hospital properties. Private police would operate there, in addition to city and state police. Homelessness activists alleged that these private security services exercised institutional violence through discriminatory harassment (eviction of homeless people, access restrictions, etc.). These various perimeters of public space management reinforced the border effects produced by urban divides and by the different administrative, electoral, political and police district boundaries, which do not overlap.

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Illustration 2 - The open scene: a concentration of services for drug users at the interface of three neighbourhoods

Source: Elsa Vivant

12 To describe the situation, several respondents referred to the third season of the series The Wire, in which a police officer responds to hierarchical pressure to obtain a reduction in crime statistics by taking the initiative to tolerate drug use within a delineated fraction of his district. He then forcefully urges the neighbourhood's drug dealers to take their business exclusively to this zone, a small residential street lined with abandoned houses slated for demolition. While the experience initially arouses more suspicion than enthusiasm among police officers and drug dealers alike, it turns out to be promising. Corners are deserted and conflict around them fades, crime rates fall, and users flock to this free zone nicknamed Hamsterdam9. But pseudo-legalization also shows its limits. On the one hand, in the absence of police control, there is no longer any need to have anyone on the lookout, and the children who used to fill these positions are left to themselves; on the other hand, the concentration of the most problematic forms of consumption in a small area makes them more visible. Respondents cited this work of fiction to express their fears of seeing drug use normalized. This concern was particularly salient in the comments of two African American respondents in their forties, whose father and other family members had been drug users. In addition to the legalization of a street scene, this season of the series stages another process: that of an evolution in police practices, driven by officers who are aware of the limits and dead ends of policies they implement in the face of a situation that is beyond their control. In the real world, some police officers, faced with an overdose mortality that they attribute to a product of unparalleled dangerousness and over which they have little control, are currently changing their practices towards more comprehensive approaches. The implications and limits of these approaches warrant academic attention (Green et al., 2013).

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Illustration 3 - Welcome sign at the car wash located at the intersection of Melnea Cass and Mass Av.

Source: unknown 10

13 Rather than Amsterdam, the imaginary experiment in The Wire is reminiscent of the city of Zurich’s attempt, between 1987 and 1992, at geographically containing the issues and disturbances associated with drug use. Having taken note of how ineffective the police’s strategy of dispersing drug users was, the city council decided to tolerate heroin use in a park near the main railway station (Platzspitz), where access to care and harm reduction practices (such as the distribution of syringes) were tried out to tackle the HIV epidemic (Grob 1993, Lalande 2018). The experiment had to be terminated after a few years, as health and safety conditions had spiralled out of control. The park was nicknamed Needle Park, following the same logic of toponymic stigmatization that led residents of Boston's open drug scene area to call their social media group A Needle in the Park, after Jerry Schatzberg’s 1971 film Panic in Needle Park, starring Al Pacino. As the park experiment was terminated in Zurich, permanent prevention and medical services and harm reduction facilities for drug users were established, including drug consumption rooms, which were initiated in Bern in 1986 (Jauffret-Roustide, 2016) and contributed to the emergence of a different approach to recovery.

Recovery Road: Requalifying the problem and considering solutions

14 To avoid the stigmatized image of Methadone Mile, doctors and harm reduction professionals prefer to use the term Recovery Road as a way of emphasizing endeavours to support consumers on the road to recovery in various services11. The term recovery is also used to describe areas experiencing a revival of activity and attractiveness after a

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period of decline. Its use is polysemic here, as the Newmarket district, a pericentral industrial zone, is identified in urban planning documents as a territory of strategic stakes, one that is itself undergoing recovery. The relocation to the area of several services dedicated to addiction care and/or homelessness has resulted in an increase in the use of public spaces by marginalized populations. In 2017, in response to requests from residents and local businesses to reduce disturbances and risks associated with behaviour deemed to be deviant, and with a humanitarian aim to provide shelter, the city converted a marquee previously used as storage space to create an Engagement Centre. This centre is heated in winter and air-conditioned in summer, it is open 12 hours a day, 7 days a week, and welcomes people unconditionally – that is, with no questions asked, no identity or weapons checks and no obligation to be sober. There, users can rest, meet social workers, access toilets, meet their friends and spouses,12 charge their phones, and so on. The site’s designers had to work with many constraints and requirements as the place is only a tent, located in a small street in an industrial zone, between an emergency shelter and a jail, both of which have requested the installation of barriers to prevent intrusion. They sought an emergency solution, in the face of residents’ hostility and with limited means, to make it as welcoming as possible using furniture, painting on the floor to delimit different spaces, potted plants, a library, free-access computers, and a drinks and snacks distribution counter.

Illustration 4 - The entrance to the Engagement Center

A fenced corridor monitored by three cameras has been created to delimit access between the entrance to the shelter (left) and the Sheriff's Department and the county jail’s car park (right). A few wooden tables in front of the marquee entrance form a terrace, around which portable toilets have been installed. Source: Elsa Vivant

15 This facility is supported by the business owners’ association, which has overcome its initial reluctance and now deems the facility to have positive effects on the use of public space. Yet it still generates controversy. Some residents consider that it contributes to the crystallization of conflicts around the use of public space in the sector, with drug sales and consumption taking place openly in its front court, before the police’s eyes. This fuels another line of criticism, focused on the use of taxpayers’ money13. While this setup was designed as a temporary experiment in response to the

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emergency, at the time of the survey municipal services were considering making it permanent.

16 In 2016, faced with the huge increase of overdoses in the area, the city’s homeless care centre also converted a small meeting room into a medicalized rest area where users could go immediately after consuming drugs. It was based on the same principle of unconditional low-threshold access as the Engagement Centre. In a calm and softly lit atmosphere, users are under medical supervision and nurses can intervene in the event of an overdose. This service, called Spot (Supportive Place for Observation and Treatment), is presented as a success in terms of reducing overdose mortality, mitigating drug use in public spaces, providing access to care, and obtaining acceptance from residents. The State of Massachusetts is drawing from it to define its overdose reduction policy.

17 For harm reduction actors and activists, the Engagement Center and Spot are only a stopgap measure. They advocate for the creation of low-risk consumption rooms to curb infection rates, reduce overdose risks, and contribute towards de-stigmatizing users by providing them with a space adapted to their needs. Such spaces have existed for several decades in some European countries14 and are currently prohibited in the United States. In recent years, activists have been organizing in several American cities to convince policy makers to change legislation in order to make it possible to create safer consumption rooms (Lupick 2017). In Boston, the Safe Injection Facilities Massachusetts Now! coalition was launched in 2016 and soon caught some law-makers’ attention. A bill was tabled in 2017, to no avail, but then in 2018 the governor set up a commission which concluded its work by recommending that consumption rooms be experimented with. At the time of writing this article, lobbying is underway to introduce a new bill to the legislature elected in 2020. Yet numerous hurdles remain, and while an increasing number of city councillors are convinced of this proposal’s merits15, the governor is hampering legislative progress. The US Attorney for Massachusetts has threatened to arrest anyone working at such a site, and residents remain suspicious at best about the effect such a facility might have on the use of public space in their neighbourhood.

18 Here again, the question of naming is crucial. Detractors see these places as shooting galleries (which conveys the degrading image of injecting drugs in insalubrious conditions) or heroin dens (in reference to opium dens). To put these concerns to rest, some people suggested calling these sites safe consumption spaces rather than safe injection facilities (a term the activist coalition had settled for at first), so as to conceal the stigmatizing image of syringes while also including drug users who do not inject (and especially crack smokers). Others suggested that they be called overdose prevention sites or harm reduction sites, so as not to explicitly convey the idea of drug use, and to focus instead on prevention as the end goal (to avoid overdoses and reduce risks), which could lead to various types of action. The idea was to use language to upend the dominant discourse that construes addiction as a moral failure, stigmatizes individuals, and places the blame on them and on those around them (families, friends, neighbours, community), and instead to present addiction disorders as a disease. Presenting these systems as the first steps towards recovery and the point of entry into the treatment process was a way of convincing the most reluctant people by adopting a recovery management approach (Stuart 2014) to guide drug users on the right path, that of care and, perhaps one day, abstinence. Locating these services in a space called road rather

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than mile reinforced the idea that recovery was a long and uncertain process, thus echoing to the expression on the road to recovery.

Conclusion: Naming as an instrument for changing practices and representations

19 The various names given to the open drug scene carry several lines of claims with them and stand as reminders of the importance of the choice of words when describing a situation and articulating an issue. The inhabitants of the poor African American neighbourhood of Roxbury decry the use of addresses (Mass & Cass) as a toponym, claiming that it minimizes the impact of the crisis on their neighbourhood and obscures socio-spatial relations of domination. To deal with the feeling of injustice and abandonment, they organized to draw the city council’s attention and action to deterioration in the quality of their living environment, and especially drug use in public spaces and the traces it leaves in the form of syringes. By emphasizing the most controversial aspect of the provision of care by the name Methadone Mile, residents of the open scene area called on other communities to take their share of the problem into their own hands. Health professionals, on the other hand, uphold the hopes that new harm reduction practices, which are still in a legal grey area, are raising when it comes to limiting the effects of drug consumption on society and users’ health, lives, and deaths. They thus defend the use of the name Recovery Road, which could herald more comprehensive social and urban rehabilitation.

20 There are political stakes in the denomination of more than just places. Through changes in vocabulary, drug user activists are calling for a change in the way drugs and their uses are viewed. For example, the (increasingly current) terms substance use disorder and people who use drugs serve as reminders that many occasional users do not have a dependency problem. Yet the voices of those most directly concerned, the users, are still seldom heard in public discussions, even though they have recently formed a collective (Boston Users Union), which is active on social media and has been invited to take part in discussions on health policy design.

21 Finally, although there is a slight shift towards more compassionate approaches in the naming of people and places, vexatious attitudes towards homeless people and drug users remain frequent. In the summer of 2019, following an upsurge of public disorder, the city of Boston conducted a police operation called “clean sweep”, in which homeless people's belongings were destroyed and several arrests were made. This vocabulary and process are reminiscent of the darkest hours of the war on drugs and of the banishment logics governing the lives of homeless people (Beckett and Herbert, 2009). Subsequently, the municipality deployed an action plan to improve the quality of life, which it called Mass & Cass 2.0, in reference to the idea of the web 2.0, to convey the idea of a more participatory renewal of the definition of policies for the management of public space (the question being who, of residents or drug users, is invited to participate). However, residents demand more than police intervention; they also consider changes in the supply of care, its distribution (to fragment rather than concentrate it) and its therapeutic modalities. They also support the City of Boston's project to rebuild the Long Island Bridge and reopen addiction care services on the island. In other words, to move the problem out of sight – once again.

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NOTES

1. The misuse of opioids – be they legal (analgesic drugs) or illegal (heroin), obtained through legal channels (on prescription) or on the underground market – is estimated to affect almost 12 million people in the United States, with an estimated two million of them suffering from addictive disorders (Ahrnsbrak et al. 2017). 2. In Massachusetts, the overdose death rate more than doubled, topping the 2,000 deaths per year mark, between 2013 and 2016 (Massachusetts Department of Public Health, 2016). 3. Note for readers of the English translation: This article was written for a special issue of the journal EchoGeo, on toponymy. It is based on a field survey conducted between September 2018 and June 2019. Since then, the health crisis caused by the coronavirus pandemic has aggravated the situation in terms both of overdose mortality (with over 80,000 deaths nationwide in 2020) and of the issues and conflicts around the use of public space in the territory under study. According to local media, a coalition of residents from both neighbourhoods has created and is using a new toponymy, “Marty's Mile”, to emphasize Mayor Marty Walsh’s responsibility. As Walsh has been appointed Secretary of Labour in the Biden administration, the city council’s actions might follow a new course. These new developments will be studied in future research. 4. With law enforcement professionals in police and justice departments, health and harm reduction workers, local elected officials, local residents, relatives of drug users and users’ rights activists.

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5. Parents’ meetings in schools, residents' associations, groups campaigning for drug users’ rights, drug users' parents' discussion groups, the city council, the state harm reduction commission, and public neighbourhood meetings. 6. The gentrification of South End is still spreading towards Dudley/Nubian Square while the wealth inequalities between white and African-American households are incommensurable; an official report states that the average net worth of white households is $247,000 while that of African-American households is $8 (City of Boston, 2017). 7. In a quick survey of the local press (Boston Globe and Boston Herald) via the Factiva platform, we found 111 articles published since 2015 that included the expression Methadone Mile, while none used activists’ preferred term Recovery Road (see above). 8. At the time of the survey, this project was under discussion. 9. A pun in which Ham is used in reference to “the pigs”. 10. This photograph was sent to me by a respondent who is a professional in the field of addiction care in the neighbourhood. This sign was also mentioned in a blog post (Fitzgerald, 2017). 11. Recovery and healing expectations are different for consumers, doctors, and relatives (Meyers, 2016). This also points to the debate within the medical community about how to best support people with addiction disorders and care for them, with some professionals supporting abstinence and others advocating for harm reduction. Care centres in which abstinence is seen as a means and end of treatment are most often located away from communities. Harm reduction approaches, on the contrary, take care of patients where they are at, both in terms of the territory on which they live and of their consumption trajectory and the care objectives which they set for themselves. 12. None of the city’s shelters offer accommodation for couples. 13. The scheme costs the City of Boston approximately $2 million (between development and operating costs, including the employment of eight social workers on site). 14. In France, the first low-risk consumption rooms were created in 2016 as a pilot project. 15. And most prominently the Mayor of Boston, who made a show of his personal involvement on the subject, as a former alcoholic, and of the evolution of his point of view on consumption rooms following visits in several sites in Canada.

ABSTRACTS

This paper analyses the various toponyms of an open drug use scene in Boston, located at the interface of three neighbourhoods – Newmarket, Dudley-Roxbury, and South End, – with diverse uses and dynamics. The reactions and demands of the residents of these different neighbourhoods reveal the power dynamics in the urban space, the toponymic choices of which are the main focus of this analysis: Mass & Cass refers to the urban, colonial and racial history of the city and prohibition; Methadone Mile brings to mind the stigmatization of users and places of care; Recovery Road expresses the emergence of new care and harm reduction practices at work in this sector. Entering this scene by way of these names helps to unravel the complexity of the opioid crisis currently underway in the USA, the political stakes involved, and the changes it is driving in drug policy.

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INDEX

Keywords: Boston, opioid, overdose, open drug scene, socio-spatial dynamics Subjects: Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTHOR

ELSA VIVANT Elsa Vivant, [email protected], Latts - Gustave Eiffel University

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Sur l'Image

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Révéler les traces du toxique

Benjamin Lysaniuk, Anaïs Ondet et Léa Prost

Cet article poursuit les réflexions menées dans le cadre d’un séminaire organisé par l’axe 1 de l’EA 7338 Pléiade (Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité) en juin 2019 « Images des marges. Quels apports des sciences humaines et sociales ? ». Cette séance consacrée aux usages de la photographie par des chercheur.e.s en sciences sociales nous a offert la possibilité d’instaurer un dialogue « géographie-photographie » autour de la thématique des impacts sanitaires et environnementaux des agropesticides à partir de la série photographique Les mauvaises herbes. Les auteurs de l’article sont cités par ordre alphabétique, ayant contribué à parts égales à sa rédaction.

1 Les mauvaises herbes est un documentaire qui questionne la responsabilité des pesticides dans la survenue de maladies chez des femmes et des hommes en contact avec les agropesticides. Ce travail fut réalisé de 2018 à 2019 sur le territoire français, en collaboration avec l'association Phyto-Victimes, qui a rendue possible la rencontre de la photographe avec les victimes. Il se compose d'une série de portraits avec entretiens enregistrés et d'une série de paysages.

2 En endossant le rôle de porte-voix, l’artiste ambitionne de mettre en lumière les conséquences sanitaires d’un modèle agricole mortifère aussi productif soit-il. Son travail permet de lire aussi bien la photographie comme trace que les traces sur la photographie : il agit comme un révélateur des toxiques et de leurs impacts. À partir de deux photographies issues de ce documentaire et des commentaires associés, nous nous interrogerons sur la manière dont un procédé artistique contribue à rompre l’invisibilité des expositions pathogènes et de leurs victimes. Le travail de contextualisation lié à ces photographies semble, en ce sens, revêtir une importance fondamentale. La portée politique du message véhiculé par l’artiste est évidente : elle situe ce travail en contrepoids des mécanismes connus de production d’ignorance (science orientée ou non produite) qui gomment les pollutions et leurs conséquences.

3 Cette contribution démontre une nouvelle fois l’intérêt du discours photographique et de son décryptage par les sciences humaines et sociales et leur capacité à analyser les rapports de pouvoir dans le champ des controverses scientifiques. Elle illustre enfin

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l’aptitude des géographes à saisir les dynamiques paysagères y compris à partir d’une portion de territoire figée sur une image.

Christian

« On m’a dit : ‘vous avez un parkinson atypique’ […] parce que je tremble pas, j’ai pas tous les symptômes. Mais on m’a dit, c’est une maladie ‘sans retour’ ». Christian, 72 ans, viticulteur.

Illustration 1 - Christian, 72 ans, atteint de la maladie de Parkinson

Auteure : Anaïs Ondet.

Nous avons choisi, ici, le portrait d'un homme : Christian. C'est une photographie au format carré avec un angle frontal et à hauteur des yeux de l'homme. Il est assis sur une chaise en bois, accoudé à une table, elle aussi en bois. On peut deviner qu'il est chez lui dans sa salle à manger, dans son intimité. Le décor est très simple et épuré : une table, deux chaises et un mur avec un papier peint blanc aux motifs fins et éparses. Le portrait apparaît somme-toute banal, l'homme aux yeux très bleus, a un visage assez impassible, néanmoins nous nous sentons transpercés par son regard. Puis nos yeux finissent par s’abaisser et s'attarder sur ses mains, suspendues. L'une tient une paire de lunettes, l'autre, légèrement appuyée sur la cuisse, est complètement ouverte et en tension. On sent alors une étrange rigidité dans le corps de cet homme, qui nous interroge. Son regard et la position de sa main produisent un effet d'inquiétante étrangeté1. Cette personne est atteinte de la maladie de Parkinson du fait de l'utilisation de produits phytosanitaires au cours de son activité viticole. Toute étude d'un sujet nécessite un support. Arts visuels, littérature, poésie, etc... En 2018, je décide de travailler sur la problématique des pesticides par la photographie, en débutant Les mauvaises herbes. Le photojournalisme qui se caractérise par un nombre conséquent d'images d'actualités, prises lors d'événements particuliers, à des fins de communication, m'apparaît obsolète car,

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dans la société actuelle où nous sommes baignés dans les images, ces photographies se noient entre elles par leur nombre et sont malheureusement souvent dépendantes des lignes éditoriales. Comment, alors, contourner le photojournalisme pour traiter de sujets sociaux et environnementaux ? L'approche documentaire m'est apparue la plus propice pour ce sujet sur les pesticides. Cette démarche se veut en rupture avec l'héritage classique du photojournalisme. Soulages (2017, p. 208) suggère que « cette autre manière de faire et d'être se repère dans un autre rapport au temps : ces photographes ne cherchent plus à capturer l'instant ; ils s'installent et s'interrogent délibérément dans le temps : dans la longue durée avec la photographie comme enquête, dans le passé avec la photographie comme mémoire, dans le temps intersubjectif avec la photographie comme interaction ». Poussée par ma double sensibilité photographique et politique, j'ai alors pris le temps de créer un documentaire ; je suis allée creuser dans cette crise sanitaire, sociale et écologique. Le sujet des pesticides était un prétexte à créer et à produire une série, mais la photographie est également devenue un prétexte pour enquêter et apprendre sur ce sujet. En effet, bien que concernée par les problématiques environnementales actuelles, force est de constater que j'avais une sensation d'impuissance et ne trouvais pas de formes concrètes et efficaces pour matérialiser mon engagement militant. J'espère, par la diffusion de mes images, pouvoir toucher un public large, qui n'est peut-être pas encore sensibilisé à ces thématiques. La photographie est ainsi, dans ma démarche, autant un acte artistique que politique. Les mauvaises herbes est un corpus d'images et de témoignages contemporains de femmes et d'hommes que l'État et les multinationales tentent de résoudre au silence. En découle ainsi un projet doublement artistique et politique qui tend à dénoncer les dérives et la dangerosité de l'industrie agrochimiques et sert de témoignage de ce scandale sanitaire tout en en organisant la conservation de traces. Ma démarche photographique peut être rapprochée de la première fonction de la photographie, qui était tout d'abord orientée vers le portrait et qui servait d'élévation sociale et de représentation pour la petite bourgeoisie et de la classe moyenne qui n'avaient alors jusque-là peu de moyen de représentation. Freund (1974, p. 11) écrivait en ce sens que « ‘faire faire son portrait’ était un de ces actes symboliques par lesquels les individus de la classe sociale ascendante rendaient visible à eux-mêmes et aux autres leur ascension et se classaient parmi ceux qui jouissaient de la considération sociale ». Par ce travail de portrait de victimes de pesticides, je choisis de donner une représentation à des sans-voix, des sans-visage et ainsi de rendre visible une problématique qui n'est peu, voire pas reconnue. Dans ce travail documentaire sur les conséquences sanitaires des pesticides, avant de réaliser le portrait des personnes rencontrées, je réalise un entretien semi- directif afin d'en savoir plus sur leur parcours professionnels et personnels ainsi que sur leur maladie. Cet entretien, avant la prise photographique, me permet d'en apprendre plus sur les pesticides et leurs effets, mais aussi, de créer un lien avec cette personne. Je peux ainsi, en tant que photographe, mieux cerner la personnalité et la sensibilité de mon sujet la personne en face de moi avant de le la photographier. Puis l'installation, longue, de l'appareil photo, un moyen format Hasselblad sur trépied, me permet de discuter encore et surtout de préparer la personne à la photographie. J'attache une grande importance dans ma démarche à prendre le temps pour la prise de vue. Faire le portrait de quelqu'un c'est d'une certaine façon prendre une chose très intime de cette personne. C'est fixer son image et figer cet instant. Capter quelque chose qu'elle n'aura jamais l'occasion de voir réellement. Ce type de prise de vue est pour moi un processus assez lent et calme, qui s’inscrit dans une volonté de mettre les personnes dans une situation confortable afin qu'au bout de quelques minutes, une expression sur leur visage, un geste, émerge et m'offre ce un « creux » dans la posture dans laquelle se met le photographié qui me livre finalement un fragment d'intimité. J'espère aussi, sûrement, que mon attitude empathique se traduira in fine dans les photographies

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présentées afin qu'elles puissent à leur tour rencontrer un regard empathique et venir pointer les spectateurs. Sontag (1977, p. 35) écrit que « la télévision charrie un [tel] flux d'images dont chacune annule la précédente ». Nous sommes tellement nourris d'images que nous ne les regardons plus, les photographies nous glissent souvent dessus sans que nous n’y prêtions la moindre attention. La photographie peut mettre en lumière un phénomène invisibilisé. Néanmoins comme le souligne Susan Sontag la photographie à elle seule ne peut changer l'histoire, ni engager un mouvement. « Mais si les Américains ont eu accès à des photos montrant les souffrances des Vietnamiens […] c'est parce que les journalistes se sentaient appuyés dans les efforts qu'ils faisaient pour se procurer ces photos, du fait que l'événement avait été défini par une fraction significative de la population comme guerre coloniale sauvage. La guerre de Corée avait été comprise différemment, comme un épisode de la juste lutte du Monde libre contre l'Union soviétique et la Chine » (Sontag, 1977, p. 35-36). Les images ont nécessairement besoin d'un contexte politique et social qui puisse les accueillir. Ainsi Les mauvaises herbes ne peut trouver un écho actuellement que grâce à l'intérêt global porté à la problématique environnementale qui va crescendo. Cet intérêt a été attisé par les nombreuses recherches documentaires réalisées et la médiatisation de ces problématiques et montre ainsi les relations possibles entre les sciences sociales et la photographie. La photographie en tant que trace, en tant que ça a été barthien, peut être un support de mémoire, individuelle et collective. Elle comporte une double fonction de révéler ce qui n'est pas connu et d'en garder des traces. Comme le prouvent des scandales sanitaires passés (l'agent orange par exemple), en l'absence de traces (écrites ou visuelles) un phénomène peut tomber dans l'oubli. Néanmoins le photographe peut travailler sous la forme d'une enquête rétrospective qui va chercher des images d'archives individuelles afin de produire une mémoire collective. À ce titre le travail de Mathieu Asselin (2017) Monsanto : une Enquête Photographique est remarquable. Pour retracer une histoire des conséquences sanitaires du géant de l'agrochimie Monsanto, Mathieu Asselin recueille un ensemble de traces : traces physiques sur les descendants des personnes exposées aux produits pathogènes, photographies d'archives, objets d'études scientifiques etc., afin de produire un ouvrage dénonciateur mais également un objet de mémoire collective des victimes de produits agrochimiques. Ainsi dans la continuité de ces travaux d'enquête, je tente à mon tour de construire des traces des victimes des pesticides. Tout en donnant un visage à ces personnes invisibilisées, je dénonce les activités agrochimiques des multinationales. J'espère ainsi que ces femmes et ces hommes, victimes de ce modèle agricole, ne tombent pas dans l'oubli.

Reconnaitre les « sans-visage »

4 Les patients atteints de maladies professionnelles liées à une exposition aux agropesticides sont invisibles. Cette situation met en évidence le lien qui se noue dans le triptyque visibilité – reconnaissance – connaissance. En effet, il ne peut y avoir de connaissance(s) sans reconnaissance institutionnelle et il ne peut y avoir de mise en visibilité d’un problème sans connaissance(s) préalable(s). Le déficit initial de reconnaissance des victimes par les institutions semble donc être une des clés permettant d’expliquer l’invisibilité des conséquences sanitaires liées à l’exposition à des agents pathogènes d’origine industrielle utilisés massivement dans l’agriculture. En France, aujourd’hui, seules deux pathologies peuvent permettre à un agriculteur de prétendre à une reconnaissance en maladie professionnelle liée à une exposition à des agropesticides : le Lymphome Non-Hodgkinien (LNH) et la maladie de Parkinson. Lorsque l’on sait « le parcours du combattant2 » de la reconnaissance en maladie professionnelle ; lorsque l’on connait les modalités d’inscription d’une maladie dans un

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tableau de reconnaissance conséquence d’une véritable négociation3 ; lorsque l’on se rend compte de l’importance de dispositifs comme le Groupement d’Intérêt Scientifique sur les Cancers d’Origine Professionnelle dans le (Hunsmann et Lysaniuk, 2019) dans l’accompagnement dans des démarches de reconnaissance en maladie professionnelle de patients atteints – entre autres pathologies – de LNH, enfin, lorsque l’INSERM (2013) évoque deux autres maladies neurodégénératives et sept autres néoplasmes en lien avec de telles expositions : les 25 cancers et 36 maladies de Parkinson reconnus en 2016 par la Mutualité Sociale Agricole démontrent implacablement l’invisibilisation mécanique des patients-victimes par le déficit de reconnaissance institutionnelle de ces maladies résultant d’expositions pathogènes. Dès lors, si la visibilité de ces victimes ne peut – pour l’heure – pas ou rarement compter sur la reconnaissance c’est parce que celle-ci est « l’expression d’une perception évaluative dans laquelle la valeur de l’individu est ‘directement’ donnée » (Honneth, 2005, p. 55) : « faible » valeur théorique et froide qui renvoie nécessairement à un rapport dominant- dominé, s’exprimant avec acuité dans la division sociale du travail et des risques. C’est l’invisibilisation sociale, à laquelle s’ajoutent l’ignorance toxique et l’invisibilité chimique, mise en lumière par Thébaud-Mony (2008) pour expliquer la faible reconnaissance des cancers d’origine professionnelle qui s’exprime ici. En conséquence, il convient de mobiliser d’autres ressorts pour rendre visibles ces victimes : à ce titre, Les mauvaises herbes d’Anaïs Ondet demeure exemplaire.

5 Tardy (2007) nous rappelle que la visibilité est la simple qualité pour un objet d’être vu, plus ou moins nettement, dans un espace donné. Il postule, par ailleurs, un lien fondamental entre visibilité et pouvoir, conséquence de choix politiques faisant écho au processus de reconnaissance en maladie professionnelle préalablement évoqué. « N’est pas visible ce qui n’est pas digne d’être remarqué » (Tardy, 2007, p. 20-21). Cette valeur, cette possibilité d’être remarqué sont invariablement des constructions politiques. Ainsi, des expériences artistiques visant à palier un manque identifié dans la reconnaissance institutionnelle de ces maladies permettent aussi cette maïeutique en inversant d’une certaine manière le processus cognitif : c’est la mise en visibilité de la victime qui ouvre alors la porte de la connaissance de la maladie. À ce titre, la photographie doit être considérée comme une « transformation majeure de la société car cet art permettait aux plus humbles d’accéder à la visibilité » (Tardy, 2007, p. 21). C’est précisément l’objectif poursuivi par Anaïs Ondet tel qu’elle le décrit plus haut. Sa démarche procède d’une visibilité médiatisée que Voirol (2005) conçoit comme une relation entre une portion du monde perçue par un médiateur et objectivée dans des supports (ici la photographie). Ici, « [l’artiste] traduit sa manière de voir une situation singulière et l’objective sous forme de récit » (Voirol, 2005, p. 98). La photographe insère sa démarche dans un processus de revendication de visibilité somme toute assez classique dans le domaine des mouvements sociaux : elle propose un portrait pour évoquer en miroir les sans-visage. En ce sens, l’invisibilité des victimes de pesticides ne renvoie pas seulement à « un fait cognitif, mais doit bien plutôt signifier une situation sociale particulière » (Honneth, 2005, p. 43) : invisibiliser, c’est finalement nier la valeur sociale. Dans la reconnaissance ainsi proposée par le portrait, l’artiste cherche d’une certaine manière à provoquer des réactions pour « rendre justice » (Honneth, 2005, p. 48) au sujet, là où la reconnaissance institutionnelle fait malheureusement très souvent défaut.

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6 La démarche d’Anaïs Ondet s’inscrit donc – et de manière revendiquée – dans une forme d’engagement. Elle convoque une volonté de prise de conscience et de mise en visibilité à contre-courant de forces opposées – comme celles des grandes entreprises productrices de produits phytopharmaceutiques et de leur intense travail de lobbying auprès des parlementaires des grands pays agricoles – vis-à-vis desquelles l’Histoire démontre qu’elles ont pu être actives dans la production d’ignorance (Proctor, 1995), à laquelle les processus d’invisibilisation participent, en s’appuyant par exemple sur la réalisation d’études biaisées financées par ceux qui bénéficient du statu quo ou sur une volonté délibérée de verrouiller la création de nouvelles connaissances. La photographe inscrit et revendique ici, plus généralement, sa démarche dans une lutte pour le bien commun, anti-néolibérale dans laquelle la question environnementale semble occuper une place centrale. C’est la « grandeur » (Boltanski et Thévenot, 1987) revendiquée par l’artiste qui permet d’inscrire son action dans un régime d’engagement justifiable (Thévenot, 2011) : « dans [ce régime] qui prend appui sur les grandeurs, le bien tient à la capacité d'être qualifié pour sa participation à une certaine spécification du bien commun » (Thévenot, 2011). L’engagement de la photographe ici s’appuie sur l’idée théorique, comme le rappelle Chambefort-Kay (2017, p. 1), qu’« une image a un pouvoir de transformation de la société, qu’elle peut avoir une fonction, voire une responsabilité politique et sociale ». Le travail d’Anaïs Ondet, visant in fine à générer une prise de conscience, renvoie à la plus pure tradition documentaire. Sa démarche procède donc d’un choix puisant sa source dans un engagement chevillé au corps : être le médium d’un groupe invisible et générer chez le spectateur la curiosité voire l’empathie nécessaires à l’émergence de la connaissance.

Le double usage du portrait : marqueur d’une trace et instrument de mise en mémoire

« Un des aspects les plus essentiels, c’est que la photographie provoque et évoque autant la présence que l’absence » (Garrigues, 1998).

7 La photographie de manière générale, et le portrait en particulier, peuvent revêtir le statut de trace. Serres (2002) identifie « au moins quatre grandes significations de la trace, quatre points d’entrée pouvant donner lieu à autant de problématiques spécifiques […] : 1) la trace comme empreinte, comme marque physique, […] ; 2) la trace comme indice, comme « petite quantité », détail, avec le « paradigme indiciaire » proposé par Carlo Ginzburg ; 3) la trace comme mémoire, avec la question du document comme trace du passé, la connaissance par traces en histoire chez Ricœur, Paul Veyne ou Marc Bloch ; 4) la trace comme ligne, écriture et la problématique de la trace écrite, notamment chez Derrida, mais aussi la question actuelle du suivi des traces […] » (p. 1). C’est à la fois la trace en tant qu’indice et la trace comme mémoire qui sont interrogées ici.

8 Plus que d’une simple légende, ces portraits sont accompagnés d’un véritable témoignage, recueilli dans le cadre d’un entretien semi-directif préalable à la réalisation du cliché. Portrait et témoignage participent à la production de connaissances, nouvelles et spécifiques. Il s’agit d’une part, de connaissances factuelles pouvant par exemple concerner l’organisation des territoires et leurs évolutions – et ce faisant – mettant en exergue l’évolution des possibilités d’exposition à des agents pathogènes ou encore éclairant la réalité de l’activité de travail. L’entretien réalisé avec Christian l’illustre particulièrement. L’individu, par sa présence, est un témoin et un

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acteur de l’histoire (Cf. Ricœur, 2000). Les évolutions qui concernent les pratiques agricoles et les réglementations (espacements entre les pieds de vigne par exemple, nombre de pieds à l’hectare) décidées par l’Union Européenne (Cf. réglementation du droit de plantation4) sont par exemples évoquées. Aussi, l’entretien semi-directif, parce qu’il fait parler, permet d’accéder au vécu et à la manière dont l’enquêté perçoit et se représente les choses. Ici, cette réalité est celle d’une activité de travail pathogène5, elle est celle du rapport au territoire ou encore du rapport à la maladie et des traces (visibles ou non) qu’elle laisse sur le corps et dans l’esprit. La trace est considérée par Ricœur comme « la racine commune au témoignage et à l’indice donnant toute son ampleur à la notion du document. [Enfin si], « la trace est de l’ordre du donné […], le document est de l’ordre du construit » (Serres, 2012, p. 88).

9 En ce sens, le portrait photographique et le témoignage associé constituent « un fait résistant à l’effacement du passé » (Bretesché, 2014, p. 199). Ainsi, s’ils rendent visibles, s’ils contribuent à la connaissance et à la reconnaissance, ce « document » au sens de Ricœur, participerait aussi à une mise en mémoire des effets des agropesticides sur la santé humaine. Comme le précisent Bretesché et Ponnet (2012), en rappelant les travaux de Nora (1997), « la mémoire requiert des supports, des traces et des témoins ». Dans le cadre de cette démarche, le portrait photographique et le témoignage associé constituent tout à la fois le support mémoriel et la trace des impacts sanitaires des agropesticides sur la santé. Il précise également que « la mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, moins la mémoire est vécue de l’intérieur, plus elle a besoin de supports extérieurs et de repères tangibles d’une existence qui ne vit plus qu’à travers eux. D’où l’obsession de l’archive qui marque le contemporain, et qui affecte à la fois la conservation intégrale de tout le présent et la préservation intégrale de tout le passé ». La démarche photographique s’inscrit dans cette perspective. Créer les traces de ces impacts constitue aujourd’hui un enjeu important dans un contexte où l’oubli peut être organisé. À partir du cas des anciens sites uranifères, Bretesché (2014, p. 193) montre qu’en l’absence de ces traces, « un site tombe dans l’oubli notamment par un travail des différentes parties prenantes qui participent à la construction progressive de cet oubli. Ainsi, en l’absence de mémoire ravivée par les acteurs ou face à des conflits de mémoire, l’oubli peut être organisé de façon à effacer les traces d’un passé qui permettraient de rendre publics les signes tangibles d’un risque ». Le cas de la pollution générée par le Comptoir des Minéraux et des Matières (CMMP) à Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis peut également être mentionné ici pour illustrer les enjeux de collecte des traces (Prost et al., 2020). Le réaménagement récent de cette usine de production et de transformation d’amiante, en activité entre 1938 et 1991 et qui a été à l’origine d’une pollution environnementale meurtrière, a soulevé d’importantes questions quant à la mise en mémoire de cette pollution et de ses impacts. C’est grâce à la mobilisation citoyenne et scientifique particulièrement active depuis le milieu des années 1990, que les traces de cette activité et ses conséquences sur la santé des travailleurs mais aussi des riverains, ont été collectées, et ce, malgré de nombreux obstacles rencontrés (refus d’accès aux archives de l’entreprise, nécessitant le recours à la Commission d’Accès aux Documents Administratifs entre autres). Bretesché (2014, p. 199) explique aussi que « localement, le recueil des souvenirs relatifs à l’exploitation de l’uranium et le sens donné au territoire soumis à la surveillance représentent des éléments tangibles susceptibles d’amorcer le travail de mémoire. Dans cette perspective, la trace permet de partir à la recherche d’un patrimoine non plus fondé sur les héros d’une autre époque mais sur les témoins

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ordinaires d’un territoire en mutation ». Avec sa démarche photographique, Anaïs Ondet participe à recueillir ces traces locales, dans une véritable démarche d’enquête.

Le champ de maïs

Illustration 2

Auteure : Anaïs Ondet.

Proposée comme les autres au format carré, c'est une photographie dite de paysage. Elle est structurée par des lignes horizontales parallèles qui génèrent un effet de symétrie et de stabilité à l'image. Ces lignes divisent l’image en trois parties aux proportions identiques. Le ciel, très bleu sans nuage, un champ de maïs vert et une route bitumée grise et blanche. Les épis de maïs sont globalement de hauteur égale, équidistants. Toutes ces symétries et cet aspect épuré donnent au paysage une image aseptisée. La frontalité de cette image nous propose également un nouveau point de vue sur ce type de paysage évocateur d’une forme de banalité dans le contexte français. En effet, ce cliché nous pose en observateur passif et très stoïque. Nous sommes ainsi « forcés » de regarder, comme dans un face-à-face, une photographie représentant un paysage que l'on a plutôt l'habitude de voir rapidement, en mouvement et dont on ne questionne peu, voire pas, le contenu. Qu'est-ce qu'un paysage ? Qu'est ce qui fait le paysage ? Questions soulevées par nombre de photographes et d'administrations politiques et culturelles des territoires. En témoignent les différentes commandes photographiques françaises. À ce titre, la Bibliothèque Nationale de France a produit en 2017 l'exposition Paysages français, Une aventure photographique, 1984-20176 proposant une rétrospective des commandes photographiques françaises de 1984 à 2017 sur la thématique de la photographie de paysage, des paysages français et de leur mutations. Ces questions se sont également posées lorsque j'ai commencé Les mauvaises herbes. Comment

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questionner la notion de paysage ? Comment photographier les paysages de l'agriculture française ? Le paysage est produit en fonction des aménagements des territoires qui en sont fait mais également par rapport à l'histoire des représentations du paysage et à l'histoire de l'art selon le pays et l'époque. Ainsi actuellement en France le modèle agricole dominant est de l'ordre de la culture contrôlée, normée et dite « propre », c'est-à-dire sans adventices (mauvaises herbes) et les représentations qui en sont faites (iconographie que l'on retrouve dans les brochures touristiques et dans les outils de communication des collectivités territoriales notamment) sont également normées. On y retrouve des images très bucoliques, avec de belles lumières à l'aube ou au crépuscule, des paysages vallonnés et finalement très cultivés. Une seconde question s’est posée : comment photographier l'invisible ? En effet, les produits phytosanitaires laissent peu, voire pas de traces physiques visibles sur la terre et les plantes. Avec un regard de néophyte, il m'était impossible de voir la différence entre un champ traité et un champs non traité, un champ bio et un champ en « conventionnel ». Au fur et à mesure de mes échanges avec des professionnels de l'agriculture j'ai appris à reconnaître certains marqueurs des traitements agrochimiques sur les champs et à comprendre aussi les motivations aidant certain à passer du champ conventionnel « propre » et régulier à une agriculture moins contrôlée dans laquelle la nature opère un peu plus librement. Il n'en reste pas moins qu'il me fallait traiter du paysage agricole conventionnel d'une certaine façon pour que mes images touchent un grand nombre de spectateurs et fassent écho à leur culture visuelle. J'ai voulu ainsi jouer de ces représentations dites belles en créant des images reprenant les codes iconographiques dominants et en les opposants aux portraits durs des victimes de pesticides pour créer une ambivalence entre les deux images et pousser les spectateurs à la réflexion sur les représentations des paysages agricoles et ainsi sur l'agriculture française. Mes photographies possèdent, bien souvent, une trace visible de l'activité humaine afin de rappeler l'artificialité de cette nature cultivée. Mes séances de prises de vue sont des déambulations dans les campagnes où je m'arrête lorsque quelque chose dans le paysage me pointe7. Il s'agit paradoxalement d'une image belle et dérangeante qui vient me questionner. Je propose alors des paysages bucoliques et idéalisés de l'agriculture ainsi que des métaphores du passage de l'humain sur cette nature, créant ainsi des parallèles entre des images de terres labourées ou des plantes desséchées et les maladies des femmes et des hommes qui ont travaillé cette nature. Je questionne la trace de l'humain sur la nature dans le même temps que je questionne ma propre photographie et son caractère de trace. « La photographie nous arrête deux fois : la première fois en nous montrant cet objet ou cette scène que nous n'avions pas vus – (…), en effet « l'habitude, remarque Harry Gruyært, tue le regard » –, la deuxième fois en nous obligeant à passer quelques secondes, voire quelques minutes à la regarder » (Soulages, 2017, p. 201). Sontag (1977, p. 129) écrivait dans son œuvre Sur la photographie que « le regard photographique était la capacité à découvrir de la beauté dans ce que tout le monde voit mais néglige comme trop ordinaire ». Photographier l'ordinaire, c'est rendre visible ce qui est sous nos yeux mais que l'on ne voit plus. Photographier l'ordinaire, ce n’est pas ramener des images du lointain, de l'extraordinaire mais révéler notre quotidien pour permettre ainsi de l'observer sous un nouvel angle en nous posant en tant que spectateur, dans une nouvelle posture inhabituelle car passive et fixe. Réfléchir à des choses qui étaient tellement évidentes que l'on n'y prêtait pas attention. Photographier l'ordinaire est la motivation principale de mon travail : aller creuser les interstices du banal, y trouver un intérêt nouveau. En opposition à l’époque actuelle : décroissance, économie de la parole, économie du geste, économie de l'image animent ma pratique photographique. Sandor Krsana cité par Florence Delaye dans le film Sans Soleil de Chris Marker8 dit : « Après quelques tours du monde seule la banalité m'intéresse encore ». La banalité, l'ordinaire comme base de travail, est quelque chose d'assez grand pour motiver

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une vie de photographies : chercher l'extraordinaire dans un environnement familier, se concentrer sur l'ici et maintenant.

Collecter les traces pathogènes

10 Avec le projet Les mauvaises Herbes, l’artiste participe aussi à la construction de traces des caractéristiques d’un paysage qu’elle photographie à un moment donné de l’histoire. Le paysage fait l’objet de nombreux travaux en géographie. Nous retiendrons, dans le cadre de ce travail, deux sens : un sens « iconiste » et un sens « réaliste ». Dans le premier cas, « le paysage est une image, une représentation. C’est l’aspect d’une portion de territoire en tant qu’il est représenté par exemple par […] une photographie » (Balibar, 2018, p. 11). Dans son acception « réaliste » le paysage « est un environnement réel, une chose du monde physique où nous nous trouvons » (Balibar, 2018, p. 11).

11 L’analyse du paysage de cette photographie est intéressante en ce sens qu’elle permet d’interroger les effets délétères des agropesticides – visibles ou non, reconnus, niés ou ignorés – sur l’environnement et ce faisant, sur la santé, à partir des traces laissées ou suggérées à travers la photographie. Son esthétique (couleur et alignement des épis de maïs, taille identique, etc.), « aseptisée » pour reprendre le vocable de la photographe, illustre ici une « agriculture contrôlée » notamment par l’usage d’agrotoxiques tels que les pesticides. Elle soulève ainsi des réflexions quant aux expositions professionnelles et environnementales à ces substances et à l’identification et la caractérisation des circonstances dans lesquelles ces expositions ont eu lieu. La dimension rétrospective de l’exercice participe de la mise en évidence complexe d’une relation entre exposition(s) et maladie. En effet, la plupart des maladies chroniques, qu’il s’agisse des cancers ou des maladies dégénératives comme celle de Parkinson9 dont il est question ici, résultent d’une multitude d’expositions à des substances toxiques, s’échelonnant dans un temps long. Analyser les circonstances d’exposition suppose ainsi la mise en regard d’une part des trajectoires des individus (professionnelles, résidentielles, etc.) et des trajectoires des territoires. C’est précisément en lien avec ces dernières que la démarche photographique présentée ici est intéressante. Ici la photographie « fige » les choses : un lieu caractérisé par la production de maïs. Cette photographie constitue désormais une trace de cette activité en ce lieu. La multiplication de photographies de ce type permet ainsi de disposer de connaissances sur les caractéristiques des lieux à un moment donné de l’histoire. C’est là où la complémentarité photographie / Sciences Humaines et Sociales apparaît pertinente. Il devient alors possible de préciser des informations existantes dans différentes bases de données sur les territoires à l’aide d’éléments directement observés sur la photographie (types de cultures à un instant T par exemple). En complément, il pourrait donc être question de mobiliser des données sur les modes d’occupation des sols (Corine Land Cover10 par exemple), pour reconstituer leur évolution spécifiquement pour le lieu où a été prise la photographie. La mission photographique de l’Institut National de l’Information Géographique et forestière (IGN) s’inscrit dans cette volonté de documentation des territoires et de leurs dynamiques. Ces prises de vue, dans leur cas, aériennes, « représente[ent] encore aujourd’hui la brique de base sur laquelle s’élabore la plupart des produits finaux : cartes papiers, modèles numériques de terrain, suivi des évolutions urbaines, rectification des parcelles cadastrales, etc. » (IGN, 2003, p. 22). Si la démarche de la photographe s’inscrit effectivement – en premier lieu – dans une démarche artistique,

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pour autant, elle peut également contribuer à documenter les caractéristiques des territoires.

12 Ainsi, la photographie permet de s’interroger sur les permanences et mutations que peuvent connaître les territoires et les enjeux relatifs sous-jacents, en lien avec la mémoire ou la mise en mémoire. Cette photographie suggère des éléments relatifs aux sols (à leur qualité) notamment. À ce propos, Pomel, dans le cadre d’un ouvrage complet intitulé La mémoire des sols (2008), consacre un chapitre (le n° 6) à la « mémoire des actions anthropiques ». Mietton (2011) précise à ce titre, qu’en « reprenant notamment l’exemple des versants du Kilimandjaro étudiés très précisément, l’auteur montre comment les profils pédologiques enregistrent différentes actions anthropiques telles que les incendies, la déforestation, l’agriculture, le pastoralisme » (Mietton, 2011, p. 402). En effet, les pratiques relatives à l’utilisation de produits phytosanitaires en agriculture spécifiquement, dont il est question ici, laissent des traces, dans les paysages mais aussi dans les sols. En lien avec cette problématique, d’autres sources de données peuvent être mobilisées pour caractériser ces espaces de production. Ce sont par exemple, en agriculture, l’Indicateur de Fréquence des Traitements (IFT), qui est un « indicateur de suivi de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, à l’échelle d’une exploitation agricole ou d’un groupe d’exploitation » (Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, 2019). Il faut toutefois garder à l’esprit que ces indicateurs peuvent parfois rendre compte d’un phénomène dont la réalité est assez éloignée. Ce faisant, les récits des individus collectés tout comme les fragments de paysage photographiés, dans le cadre de cette démarche, peuvent être mobilisés en complément, dans la production des connaissances sur un lieu, un territoire donné et les évolutions dont il est sujet. Mettre en regard ces différentes traces (résidus de pesticides dans les sols, photographies, souvenirs individuels) constituent aujourd’hui un enjeu important pour la connaissance des expositions professionnelles et environnementales réelles.

S’arrêter sur l’ordinaire

13 La photographie d’un paysage « banal » – car familier – est une démarche revendiquée par la photographe. Ce paysage ordinaire dans un référentiel agricole occidental est difficilement, à première vue, évocateur d’une nocivité potentielle. Cette banalité renforce in fine l’invisibilité de processus pathogènes conséquences – notamment – de l’emploi massif de pesticides dans l’agriculture intensive. Sans médiation documentaire de la part de l’artiste, il ne s’agit là que d’un simple champ de maïs – qui pourrait par ailleurs faire l’objet d’un traitement biologique – mais l’inscription de cette photographie dans un travail plus large et cohérent d’un point de vue thématique lui confère finalement son sens. La démarche est identique à celle du portrait : le cliché est le début d’une histoire qui par l’expression d’une idée oriente vers un message spécifique et stimule la connaissance. La lecture du cliché conduit ainsi à adopter une appréhension des processus par l’écologie des paysages. En effet, comme le rappellent Marty et al. (2006, p. 360), « si le paysage est conçu comme un système d'interactions entre les hommes et leur environnement, les processus ont au moins autant d'importance que la description des différentes configurations ». C’est bien la mise en exergue d’un processus multiscalaire aux temporalités multiples et emboitées qui permet de faire le lien entre un paysage banal et une maladie : des choix politiques, fortement dépendants d’un contexte historique, ont favorisé le développement d’une

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agriculture intensive et mécanique – que traduit le caractère rectiligne des cultures dans le paysage – basée sur l’utilisation massive d’agropesticides ayant pour unique but l’amélioration des rendements. C’est l’utilisation de ces produits chimiques qui génère, à un pas de temps pluriannuel voire pluridécennal, l’apparition de pathologies spécifiques de ces expositions. La maladie est la trace visible de la manière dont les hommes se sont saisis du paysage pour « exploit[er] ses ressources et modifi[er] intentionnellement ou non [ses] états, laiss[ant] des traces qui sont parfois évidentes parfois floues voire même inapparentes » (Marty et al. , 2006, p. 359), comme les malades… Le caractère potentiellement pathogène de ce paysage est lui-même inapparent. Cette invisibilité physique (Thébaud-Mony, 2008) est renforcée par le caractère familier d’un paysage agricole : un champ de maïs en été dans le sud-ouest de la France. C’est un paysage ordinaire de la campagne française au sens conféré par Yves Luginbhül à la fin des années 1980. Godet (2010) nous permet d’inscrire ce paysage banal dans une nature surcomposée « calculée, provoquée et imposée par l’Homme ». Définissant un degré croissant d’implication humaine, il considère ainsi que « [la nature peut être] recomposée, composée et surcomposée [et que] […] par cette approche, la nature ordinaire est définie non pas comme un écotone fixe dans le temps et l’espace, mais bien comme une zone tampon mobile, au sein d’un espace dynamique car soumis à des forçages anthropiques et écologiques » (Godet, 2010, p. 300). Anaïs Ondet saisit une portion de la campagne occitane, à ses yeux, d’une grande banalité : son caractère ordinaire lui confère une nature si transparente que l’on oublie que les fleurs jaunes du colza remplaçaient peut-être le maïs l’an dernier au printemps.

14 Sans prendre le temps de s’arrêter sur ces lieux estompés par la force de l’habitude, il demeure de facto impossible d’entreprendre une lecture paysagère permettant autant la mise en lumière des processus présidant à leurs constructions que celle des potentielles externalités qu’ils engendrent. C’est tout l’intérêt de la démarche de la photographe ici : la révélation d’une nature familière. Elle souhaite dépasser le paysage comme apparence des choses, décor ou vitrine (Bertrand, 2000) et ambitionne ainsi d’engendrer cet « approfondissement sans fin des connaissances et, tout particulièrement de cette interactivité entre des éléments considérés comme différents, voire disparates et contradictoires : biophysiques et sociaux, économiques et culturels, patrimoniaux et prospectifs qui, combinés sur un même territoire, donnent naissance au paysage dans son apparente banalité quotidienne » (Bertrand, 2000, p. 62). La médiation de cette interactivité est une des propositions de l’artiste dans son cliché.

15 Reconnaître un paysage comme pathogène nécessite préalablement de le remarquer : c’est tout l’enjeu de la diffusion d’une image d’un paysage « banal ». Ce paysage ordinaire est porteur d’un paradoxe entre un extrême contrôle de la nature par la technique et un « laisser aller » ou un « laisser faire » – pour reprendre les termes de Lelli et Paradis-Maindive (2000) – y compris empoisonner en silence la terre, ceux qui la travaillent voire ceux qui vivent à proximité. En partiellement le voile de la banalité et en ambitionnant de conférer à ce paysage façonné par l’agriculture une nature « extra-ordinaire ». À travers le message porté par la photographie, Anaïs Ondet engendre cette phase préliminaire essentielle pour passer du banal au remarquable dès lors qu’elle se pose « des questions issues de rencontres, d'idées, de confrontations, sur le devenir d'un territoire donné » (Lelli et Paradis-Maindive, 2000, p. 33). Sa volonté s’appuie une nouvelle fois sur la démarche documentaire qui inscrit son cliché dans un contexte et permet finalement d’exprimer certains enjeux invisibles de prime abord.

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Remarques conclusives

16 La série documentaire Les mauvaises herbes, en ouvrant une lucarne sur des portraits épurés et sur une « nature » ordinaire, conduit vers des questionnements d’une insoupçonnée richesse.

17 Au-delà de l’instrument d’éveil des consciences et – par là même de développement de la connaissance – la photographie fige une mémoire des hommes, des lieux et de leurs profondes interactions. En recherchant l’ordinaire et le banal, ces photographies illustrent malgré tout les dégradations environnementales évitables et les souffrances humaines qui en résultent. C’est précisément du fait de l’existence d’autres modèles que ce travail se pose en instrument d’un contre-pouvoir : posture revendiquée par l’artiste.

18 À défaut d’être pleinement reconnues officiellement, les victimes bénéficient, à travers ce travail de mise en visibilité, d’une autre forme de reconnaissance médiatrice de connaissances. Cette expérience contribue à rompre la triple invisibilité (Thébaud- Mony, 2008) qui frappent les victimes d’agropesticides en mettant en lumière des poisons invisibles, en contribuant à briser l’ignorance toxique, en participant à la reconnaissance sociale des malades.

19 Cette contribution ambitionne de démontrer une nouvelle fois la fécondité d’un dialogue entre des démarches artistiques et scientifiques visant à révéler des processus sociaux-économiques liés à des décisions politiques qui s’expriment dans des paysages.

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NOTES

1. Pour reprendre le titre d’un essai de Sigmund Freud. 2. De nombreux articles publiés par les chercheurs du Giscop93 ( https://giscop93.univ- paris13.fr/) évoquent la succession d’obstacles à franchir pour faire reconnaitre sa maladie professionnelle comme telle. 3. Tableaux historiquement issus d’un compromis négocié entre des syndicats ouvriers et des organisations patronales comme le rappelle Emmanuel Henry (2017). La création d’un tableau est le reflet d’un point d’équilibre – à un moment donné - entre ces polarités. 4. Voir : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX: 32018R0274&from=FRA 5. Le caractère pathogène de l’activité de travail renvoie à deux dimensions. Il est lié tout d’abord aux expositions délétères ayant cours durant l’exercice professionnel. Il renvoie ensuite aux expositions dites environnementales générées par le transfert de polluants en dehors de la sphère professionnelle et affectant potentiellement (par exemple) des riverains. 6. Voir : http://expositions.bnf.fr/paysages-francais/missions.php 7. La piqûre (ou « punctum ») chère à Roland Barthes. 8. Sans Soleil, Chris Marker, 1983. 9. L’Inserm précise l’étiologie et les facteurs de risques de la maladie : « en dehors des rares formes familiales liées à des mutations de gènes majeurs, […] cette pathologie est généralement considérée comme une maladie multifactorielle résultant dans la majorité des cas de l’effet de facteurs multiples, qu’ils soient génétiques ou environnementaux » (Inserm, 2013, p.435). D’après « la méta-analyse de Van der Mark et coll., 2012, le risque de maladie de Parkinson était 1,62 (IC95% [1,40-1,88]) fois plus élevé chez les personnes exposées aux pesticides au cours de leur vie » (Inserm, 2013, p.447). 10. Le base de données Corine Land Cover « est produite par 39 États européens dans le cadre programme européen de surveillance des terres de Copernicus, piloté par l’Agence européenne pour l’environnement […]. Cet inventaire biophysique de l’occupation des terres fournit une photographie complète de l’occupation des sols, à des fréquences régulières. […] Elle est issue de l’interprétation visuelle d’images satellitaires » (Ministère de la transition écologique et solidaire / Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, 2018).

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RÉSUMÉS

La série documentaire Les mauvaises herbes d’Anaïs Ondet met en scène des portraits de femmes et d’hommes atteint.e.s de maladies liées à l’utilisation d’agropesticides et des paysages d’une campagne ordinaire où l’aspect pathogène demeure – de prime abord – invisible. L’exploitation de deux clichés de cette série offre l’occasion, dans le cadre d’un dialogue sciences-sociales/ photographie, de questionner les notions d’(in)visibilité, de reconnaissance, de mémoire, de trace et de banalité. L’expression de la photographe renvoie à un engagement profond visant à placer dans la lumière des victimes que l’on entend pas et à s’arrêter sur des paysages que l’on ne remarque plus.

Anaïs Ondet's documentary series Les mauvaises herbes features portraits of women and men suffering from diseases related to the use of agro-pesticides and landscapes cliché of an ordinary countryside where the pathogenic aspect remains – at first sight – invisible. The use of two photographs from this series offers the opportunity, in the context of a dialogue between social sciences and photography, to question the notions of (in)visibility, recognition, memory, trace and banality. The photographer's expression refers to a deep commitment to highlight victims that we do not hear and to focus on landscapes that we no longer notice.

INDEX

Mots-clés : portrait, paysage, maladie, visibilité, reconnaissance Keywords : portrait, landscape, disease, visibility, recognition

AUTEURS

BENJAMIN LYSANIUK Benjamin Lysaniuk, [email protected], est chargé de Recherche à l’IRD (mise à disposition par le CNRS) et membre de l’UMR Prodig. Il a récemment publié - Lysaniuk B., Cely-García M. F., Mazzeo A., et al., 2020. Where are the landfilled zones? Use of historical geographic information and local spatial knowledge to determine the location of underground asbestos contamination in Sibaté (). Environmental Research, vol. 191, 110182. DOI: https://doi.org/10.1016/j.envres.2020.110182 - Cely-García M. F., Lysaniuk B., Pasetto R., 2020. Ramos-Bonilla J.R., 2020. The challenges of applying an Activity-Based Sampling methodology to estimate the cancer risk associated with asbestos contaminated landfilled zones. Environmental Research, vol. 181, 108893. DOI: https:// doi.org/10.1016/j.envres.2019.108893 - Prost L., Lysaniuk B., Baron M., 2020. Réaménagement urbain, maladies industrielles et mémoires. L’usine d’amiante d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis, France). Cahiers de Géographie du Québec, accepté, à paraître.

ANAÏS ONDET Anaïs Ondet est photographe indépendante et auteure.

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LÉA PROST Léa Prost est doctorante et ATER à l’UFR Lettres Langues et Sciences Humaines de l’Université Paris Est Créteil. Elle a récemment publié : - Prost L., Lysaniuk B., Baron M., 2018. Mémoires de maladies industrielles à Aulnay-sous-Bois. Valorisation / dévalorisation du territoire, entre reconnaissance et effacement. Actes du colloque du Collège International des Sciences du Territoire (CIST) du 22 au 24 mars 2018, Rouen. - Prost L., Lysaniuk B., Baron M., 2020. Réaménagement urbain, maladies industrielles et mémoires. L’usine d’amiante d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis, France). Cahiers de Géographie du Québec, accepté, à paraître. - Prost L.,2021.Reconstituer les trajectoires résidentielles de patients atteints de Lymphomes Non-Hodgkiniens pour appréhender les réalités des risques d’exposition cancérogène (basse vallée du Rhône). Actes du colloque du Collège International des Sciences du Territoire (CIST) du 18 au 21 novembre 2021, accepté, à paraître.

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Sur le Métier

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L’album Panini, un outil de l’enseignant géographe ?

Xavier Leroux

Introduction

1 Initialement prévu pour collectionner des images autocollantes dans le cadre de thématiques liées aux animaux, aux dessins animés et surtout au football, l’album Panini constitue une référence chez de nombreux enfants dans cette gamme éditoriale. Sur le début de l’année 2019, la municipalité de Tourcoing a lancé, en partenariat avec la société Panini, un album consacré à la découverte du patrimoine et des lieux emblématiques de la ville. Distribué gratuitement dans les écoles de la commune, le support peut être garni par 50 vignettes qu’il est possible de se procurer par pochettes de cinq, là aussi gratuitement, dans quelques lieux publics de type mairie, office de tourisme, médiathèques et autres centres sociaux.

2 C’est parce que le sujet même concerne l’espace quotidien des enfants, du moins une partie de celui-ci et que la quête des images pousse à la mobilité qu’il est possible de lire cet album comme un potentiel outil de l’enseignant géographe susceptible d’en faire usage pour amener connaissances et compétences spatiales. Après avoir présenté la genèse et la structure du support ainsi que les grandes questions qu’il soulève dans le cadre d’un repérage spatial pouvant être appuyé par l’enseignement de la géographie, je présenterai le protocole et les résultats d’une enquête précisément menée à Tourcoing entre mars et avril 2019 au sein de quatre classes d’élémentaire pour voir si un éventuel bénéfice est à retirer de ce genre d’outil.

3 L’identification des vignettes par les élèves au travers de leurs réussites et de leurs échecs constitue le cœur de cette analyse, permettant d’interroger l’album en lui-même (pertinence de la photographie, du toponyme retenu pour l’illustrer) mais également le rapport des élèves à la pratique de l’espace (degré d’avancement du remplissage de l’album appuyé par une quête personnelle des vignettes et/ou par une sortie organisée dans le cadre scolaire pour découvrir certains lieux représentés dans le livret).

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L’album Panini

Fonctionnement et genèse du support

4 Si Nestlé® a proposé, dès les années 1930, des albums d’images autocollantes à collectionner autour de la thématique des animaux, les Merveilles du Monde, la société italienne Panini® a incontestablement contribué à populariser ce genre de support à l’échelle de la planète. Créée en 1961, la firme diffuse ses premiers albums en France à partir de 1970 avec des titres traitant des animaux, de l’automobile mais bâtira son empire sur le succès populaire du football (premier album Panini sur le championnat de France en 1976). À l’origine offertes car associées à des produits de consommation alimentaire, les vignettes ont rapidement été vendues dans le commerce par pochettes de cinq. Rendue aléatoire par une machine spécifique, la composition des pochettes aboutit à la mise en vente de versions très différentes les unes des autres et donc à des pratiques d’échanges informelles qui ont fait l’objet d’une analyse mathématique (Sardy et Velenik, 2010) mais également historique montrant comment l’entrepreneur s’était attaché à organiser « sciemment la pénurie » de certaines vignettes dans le but d’entrainer une augmentation des ventes (Archambault, 2007).

5 Le support que je me propose d’étudier dans le cadre d’une approche géographique, l’album Panini Collectionne Tourcoing, est différent des autres opus pour deux raisons majeures : tout d’abord, et c’est une première pour l’éditeur, car l’objet en lui-même concerne l’espace dans la mesure où il est question d’identifier les principaux lieux de la commune ; ensuite, car les vignettes sont ici gratuites et sont à retirer dans divers établissements publics de la ville1 amenant potentiellement une stratégie et des connaissances spatiales à qui voudra bien se lancer dans une telle quête. Très concrètement, la municipalité de Tourcoing a commandé à la société Panini un album « sur mesure » faisant le pari que l’appréhension du patrimoine de la commune par les enfants pourrait être suscitée et accompagnée par un tel support : de quoi découvrir « des points de repère patrimoniaux et historiques » pour citer le bref édito de l’album. Pour aller plus avant, j’ai pris contact avec le service Culture et patrimoine de la commune qui m’a renseigné sur les éléments ci-après. La volonté de faire connaître le patrimoine par le biais d’un outil ciblé pour les enfants s’explique précisément par le constat de la jeunesse de la population tourquennoise (selon le recensement de la population de l’INSEE, les moins de 30 ans représentaient, en 2017, 44,9 % de la population de la commune) mais également parce que l’instigateur de ce projet, l’ancien maire et ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, est issu de la génération ayant pratiqué les Panini étant enfant. Quant à la chronologie du projet, elle se justifie par la très récente obtention du label « Ville d’art et d’histoire2 » en 2017 que la commune convoitait, notamment au regard de la labellisation plus précoce des deux autres têtes de la conurbation ( en 2001 et en 2004, dans le cadre du statut de capitale européenne de la culture). L’album Panini apparait donc, aux côtés d’autres actions (comme les CLEA, contrats locaux d’éducation artistique ou l’opération « Un livre, un enfant » où la municipalité offre un livre par trimestre aux élèves par l’intermédiaire des écoles), comme un outil de la politique culturelle et éducative de la ville mais également comme un instrument de communication. C’est ainsi que le mois de mars 2019 a vu se succéder, dans les différentes classes des écoles élémentaires publiques et privées de la ville, la distribution des albums ainsi qu’une pochette de cinq

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vignettes pour débuter la collection3. La figure 1 montre la physionomie générale du support.

Illustration 1 - Vue générale de l’album

Crédit : ville de Tourcoing.

Les questions soulevées dans le domaine de la géographie

6 Au-delà de son aspect ludique, l’album Panini peut-il être considéré comme un outil de l’enseignant géographe, un support permettant de développer des connaissances et compétences spatiales ? « Objet qui sert à agir sur la matière, à faire un travail », l’outil recouvre deux finalités, « décrire et analyser les éléments de l’espace » et « donner une interprétation de cet espace », deux finalités qui ne sont pas sans s’imbriquer (Masson, 1994). Mais l’abondance et l’accessibilité croissante des outils ne doivent pas amener la « confusion entre la fin et les moyens » (Mérenne-Schoumaker, 2012). Le but est bien de construire une réflexion sur l’espace et un regard critique sur la conception des outils mobilisés. Les outils mobilisables en géographie sont divers et variés. Si Michèle Masson met en avant « le paysage, la modélisation graphique et le jeu », Bernadette Mérenne-Schoumaker convoque quant à elle, plus récemment, « les images fixes et animées, les cartes et outils graphiques, les autres documents (autres croquis, tableaux et diagrammes, textes et articles de presse) ainsi que les TICE ». D’autres outils sont encore apparus plus récemment et dont les finalités pédagogiques sont questionnées à l’image d’Instagram (Piganiol, 2017), voire du geocaching (Vidal et al., 2017). Dans la pratique, de nombreux sites d’enseignants, blogs et manuels réservent une part des progressions à l’étude des « outils du géographes ». L’album Panini apparaît ici un outil hybride convoquant l’image fixe associée au texte descriptif, emballé dans un support ludique, à compléter librement et progressivement.

7 En tant que livret donnant une image et donc une lecture possible de la ville, l’album Panini pourrait être interrogé au travers de son contenu et de sa composition en regard de l’analyse des espaces et des territoires de la ville, une approche incontournable de la géographie urbaine. Les ouvrages généraux sur la question y consacrent toujours une ou plusieurs parties : une première partie portant sur Les données générales sur la ville –

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dont les chapitres 2 Architectures et plans de la ville et 3 Le contenu de la ville » – (Pelletier et Delfante, 1997) et plus récemment, une seconde partie La ville dans ses espaces et ses formes (Burgel et Grondeau, 2015). Ici, il est davantage question de s’interroger sur la façon dont les élèves vont percevoir le « système iconographique » (Mendibil, 2008) des images de la ville en essayant d’identifier les photographies en classe, premièrement sans sortie, ce qui peut constituer un type de dispositif d’analyse de l’image (Thémines et Le Guern, 2018). Ceci étant, les enseignants n’ont pas été associés à l’élaboration de l’album. La municipalité a donc estimé que les lieux retenus étaient non seulement représentatifs de la commune, en tous cas la mettant idéalement en lumière, mais aussi que leur représentation visuelle et leur dénomination étaient adaptées au public enfantin. Comme l’évoque D. Mendibil, cela pose la question de la « visibilité iconographique d’un lieu » qui peut, ou non, être « proportionnée à sa place dans l’organisation de l’espace géographique étudié » (Mendibil, 2008).

8 S’il est un outil mobilisant les lieux constitutifs de la ville où résident et où étudient les élèves, l’album Panini interroge naturellement les relations entre savoirs scolaires et extrascolaires, en adaptant le système didactique habituellement modélisé sous forme d’un triangle faisant interagir l’élève, l’enseignant et le savoir (traditionnellement « académique ») en un losange dont le dernier sommet serait constitué des « savoirs médiatiques et vernaculaires » (Labinal, 2012). À cela s’ajoute le poids des représentations de la ville par les élèves, à la fois comme « produit et processus » (Audigier, 1994). Entendons ici la représentation comme « l’appropriation cognitive de l’espace et des lieux » et non son acception « matérielle graphique, perceptible et communicable d’un espace, laquelle correspond aux types d’images attendues en géographie : images de paysages, images cartographiques » (Thémines, 2016) même si les représentations objectales peuvent avoir une part dans l’influence qu’elles exercent sur les représentations mentales des individus. Les élèves circulent, observent, se construisent des images des lieux en pratiquant l’espace et il est nécessaire de composer avec cette donne.

9 Cette pratique du terrain cumulée à la manipulation de l’album peut-elle constituer une ressource, un capital susceptible d’éclairer les stratégies spatiales des élèves ? Si le concept de capital spatial (Lévy et Lussault, 2003) a été mobilisé dans la sphère adulte au travers de l’étude des stratégies résidentielles (Cailly, 2007) ou du choix d’un collège (Barthon et Monfroy, 2011), sa convocation dans la sphère enfantine a été validée au travers des albums de littérature de jeunesse accréditant l’idée qu’il permettrait de « résoudre des problèmes » et « passer des tests » spatiaux que lui imposerait la pratique quotidienne de l’espace (Meunier, 2016). En tant que fournisseur d’images et d’informations sur la ville de résidence des élèves, l’album Panini, en fonction de l’usage qui en sera fait, peut-il participer de ce capital ? C’est une hypothèse à tester. À appuyer avec la pratique d’une sortie scolaire, hypothèse complémentaire. Les bienfaits de la sortie scolaire ont été étudiés, partant du constat que « la classe ordinaire est coupée du monde » (Gaujal, 2016) et montrant qu’elle permet de « réduire les écarts socioculturels entre les élèves » (Briand, 2014). Précisément dans ce contexte de gratuité du support et de facilité à se procurer les vignettes, le recours à une sortie peut constituer un complément intéressant au remplissage et à l’apprivoisement solitaire de l’album.

10 Enfin, si l’arrivée de ce support dans les classes n’était pas programmée (si ce n’est quelques jours auparavant pour définir la date de remise des livrets par les élus

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directement dans les classes) et donc pas spécialement indiquée pour travailler la géographie, s’en servir pour aborder ou approfondir des pans du programme sans nécessairement bouleverser toute progression d’année ou de période était intéressant d’autant que la ville constitue un incontournable des instructions officielles et que les élèves sont majoritairement urbains (Bouchut, 2003, 2006). Les programmes officiels en date n’échappent pas à cette règle. En CE2 (cycle 2), la dimension locale est très présente autour d’une large entrée « explorer les organisations du monde », laquelle intègre une partie « découvrir le quartier, le village, la ville : principaux espaces et principales fonctions ». L’année de CM1 (cycle 3) est, entre autres, animée par la thématique des « espaces urbains » et du/des « lieu(x) où j’habite », ce pluriel possible convoque le caractère polytopique de l’habiter (Stock, 2004). L’année de CM2 (cycle 3), quant à elle, voit l’étude des déplacements (quotidiens notamment) et le « mieux habiter ». De manière transversale, la compétence très large de « construction des repères géographiques » est également totalement ouverte sur la question du choix de ces repères.

Enquête sur l’identification des vignettes de l’album

Protocole mobilisé

11 Précisément parce que le support était gratuit (possibilité de retourner se procurer des vignettes fréquemment sans aucune dépense) et parce que sa thématique a été « imposée » aux élèves et n’a pas résulté d’un choix délibéré de leur part (entraînant un risque de lassitude rapide sur un sujet qui « ne leur parle pas » plus que ça, voire de désintérêt immédiat), il était possible de s’attendre à une durée de vie du produit assez limitée (du moins chez certains) d’où la nécessité de lancer une investigation très rapidement.

12 C’est en tant que praticien-chercheur, à savoir un « acteur engagé à la fois dans une pratique socio-professionnelle de terrain et dans une pratique de recherche ayant pour objet et pour cadre son propre terrain et sa propre pratique » (Albarello, 2004), professeur des écoles sur la commune de Tourcoing, que j’ai souhaité mener l’enquête dans les diverses classes où j’ai officié sur l’année scolaire 2018-2019 : une classe de CM2 à l’école Jacques Prévert (hors éducation prioritaire) et trois classes de l’école Jean Jaurès (REP +) : un CE2-CM1 (à dominante CE2), un CM2 et un CM1. J’ai eu à charge les trois premières classes à hauteur d’une décharge hebdomadaire (33 %) tandis que je voyais la dernière, le CM1 de l’école Jean Jaurès, à hauteur d’une heure par semaine seulement dans le cadre d’un échange de service (j’allais enseigner la géographie dans cette classe en échange de l’anglais). Ainsi, il est nécessaire de préciser l’implication que j’ai eue avec ces élèves. Celle-ci était de nature relationnelle bien entendu (rencontre régulière hebdomadaire) mais également thématique et disciplinaire (travail sur l’espace et la géographie lors de nos échanges).

13 J’ai donc opté pour une enquête simple et rapide à mettre en place qui a consisté en une simulation du remplissage complet de l’album (c’est-à-dire associer l’image de chacune des 50 vignettes à son intitulé). Pour ce faire, j’ai personnellement rassemblé les 50 vignettes que j’ai photocopiées et distribuées aux élèves accompagnées d’un tableau listant les intitulés correspondants aux vignettes, les élèves n’ayant eu qu’à inscrire le numéro de la vignette en regard de son nom. Un tel travail répond à deux catégories de

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compétences : l’identification de repères spatiaux pouvant être des lieux (« se repérer dans l’espace » en cycle 2, « nommer et localiser un lieu » en cycle 3) et la lecture de photographies (« identifier des paysages » au cycle 2 avec convocation de la photographie, notamment aérienne et « pratiquer différents langages » en cycle 3 avec, là aussi, évocation de photographies de paysages ou de lieux).

14 Le tableau 1 regroupe les intitulés des 50 vignettes avec leur répartition par catégorie (une double page par catégorie dans l’album). Le dispositif d’imagement (Mendibil, 2008) nous permet d’apprécier l’indice iconographique, à savoir le nombre d’images par page s’étendant de trois au minimum (p. 3 sur « l’histoire de Tourcoing » et p. 6-7 sur les « mutations industrielles et urbaines ») jusqu’à neuf (p. 10-11 sur le « sport et patrimoine », p. 12-13 sur « arts et patrimoine »), voire dix (p. 13-14 sur les « grands événements »). L’ordre de défilement peut également être rapidement évoqué : s’il est normal de voir la partie sur « l’histoire de Tourcoing » en toute première place puisqu’évoquant son passé et s’il est attendu également que l’album se clôture sur les chantiers d’avenir que sont les « grands projets », l’ensemble des pages centrales ne semble pas répondre en revanche à une logique particulière, les thématiques se succédant ainsi sans éléments d’articulation, ce qui reste finalement assez caractéristique des albums Panini. Mais traiter rapidement de l’histoire de la commune et de ses transformations, abouties ou à venir, pour détailler davantage les lieux de visites (sport et art) et les événements associés participe assurément de la politique municipale de communication envers des enfants qui pourront inciter leurs parents à se rendre sur place.

15 L’illustration 2, quant à elle, présente la répartition spatiale des éléments représentés sur les 50 vignettes. Le nombre inférieur au total de numéros s’explique par le fait que certaines images ne sont pas localisables dans l’espace (des éléments sont mobiles comme certains « évènements » culturels ou sportifs, certains éléments historiques sont généralistes et concernent la ville dans son ensemble). De même, la présence d’un double numéro (1-8 et 10-49) sur la carte s’explique car un lieu est présenté deux fois dans l’album mais sur des pages différentes. Il est à noter que, justement, l’album ne comporte pas – et c’est une vraie limite dans sa conception – de carte permettant de localiser les différents lieux. La figure 4 expose quelques vignettes de l’album sur lesquelles je reviendrai. Je précise que, pour l’enquête, les élèves ont eu accès à une simple liste, mélangée, des intitulés des vignettes à associer avec le corpus d’images, lui aussi mélangé, afin de ne pas se rendre dépendant de la catégorisation existante dans l’album. Ainsi ont-ils pu réfléchir en se basant sur des critères personnels (lieu connu ou non, pratiqué ou non, cadrage parlant ou non, choix de l’objet représenté…).

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Tableau 1 - Liste des 50 vignettes avec répartition par catégories

Illustration 2 - Répartition cartographique des lieux identifiables

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Illustration 3 - Quelques images de l’album

Haut Gauche : n° 6. La maison du Broutteux (Catégorie Art et Patrimoine) - Haut Centre : n° 12. La métamorphose du quartier Belencontre (Catégorie Mutations urbaines) - Haut Droite : n° 33. Le Fresnoy (Catégorie Art et Patrimoine) ; Centre Gauche : n° 30. Le théâtre de la Virgule (Catégorie Art et Patrimoine) - Centre : n° 32. Le théâtre de l’Idéal (Catégorie Art et Patrimoine) - Centre Droite : n° 34. Le théâtre Raymond Devos (Catégorie Art et Patrimoine) ; Bas Gauche : n° 47. Le quadrilatère des piscines (Catégorie Grands Projets) - Bas Centre : n° 49. L’ANRU de la Bourgogne (Catégorie Grands Projets) - Bas Droite : n° 48. Le quartier de l’Union (Catégorie Grands Projets). Crédits : ville de Tourcoing.

16 Afin de voir l’éventuel bénéfice « naturel » de l’avancement dans la collection et l’éventuel bénéfice « provoqué » par le fait d’organiser une sortie mêlant découverte plus fine de certains des lieux présents dans l’album et collecte en groupe classe de nouvelles vignettes (afin de mettre tous les élèves sur un pied d’égalité eu égard à leur diversité socioculturelle), j’ai souhaité faire le test une première fois dans la foulée de la distribution des albums (mi-mars), puis organiser la sortie (fin mars) et enfin refaire le test à l’identique (fin avril). Le mois écoulé entre les deux tests a compté les vacances scolaires de Pâques, temps suffisant mais pas trop long pour que les élèves « digèrent » la sortie et finissent de compléter l’album pour ceux qui étaient intéressés. À noter que j’ai organisé les sorties avec les deux classes de CM2 et la classe de CE2-CM1 mais pas avec la classe de CM1 que je n’avais qu’à hauteur d’une heure hebdomadaire. Lors du second test, les élèves ont pu bénéficier de la carte rassemblant les lieux localisables, à savoir celle présentée en illustration 2, pour les aider dans leur démarche d’identification. Le tableau 2 expose la chronologie du protocole de l’enquête.

Tableau 2 - La chronologie du protocole de l’enquête

Date Activité Remarque

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Test 1 : Premier essai d’association de Mi-mars / chacune des 50 vignettes à son intitulé.

Sortie visant à identifier des lieux présents 1 classe (le CM1 de l’école Jean Jaurès) Fin mars dans l’album tout en collectant de nouvelles sur les 4 n’a pas bénéficié de la sortie pochettes de vignettes

Vacances de / / Pâques

Les élèves avaient à disposition la Test 2 : Second essai d’association de Fin avril carte des lieux représentés dans chacune des 50 vignettes à son intitulé l’album (illustration 2)

Principaux résultats

17 Le tableau 3 présente des éléments de cadrage des classes interrogées (si l’école appartient à l’éducation prioritaire ou non, quel était le niveau de classe, quel était le lien professionnel/relationnel que j’avais avec ces classes, si les classes ont bénéficié d’une sortie ou non) pour analyser ce premier résultat qu’est le score moyen par classe de vignettes bien identifiées sur les cinquante. On peut, pour le moment, constater que l’imbrication de ces éléments est en défaveur de la classe de CM1 avec laquelle je n’ai travaillé qu’à hauteur d’une heure par semaine et pour laquelle je n’ai pas pu organiser de sortie entre les deux dates. L’identification des images était assez faible (10 en mars) et n’avait que peu augmenté (11 en avril). Pour le reste, les scores étaient meilleurs dès le premier test mais ont évolué différemment selon les classes. Si la classe du niveau le plus jeune, le CE2-CM1, a démarré avec un score inférieur aux deux CM2, c’est toutefois elle qui a enregistré la meilleure progression générale avec une hausse de 44 % de vignettes bien identifiées. La fraîcheur du plus jeune âge a montré des élèves plus motivés à l’appel de cette quête : le thème, sans doute composé de davantage d’inconnus, les a séduits davantage que les plus grands. Certains se sont même organisés pour pointer consciencieusement les vignettes obtenues à l’image du post-it représenté sur l’illustration 4. Le CM2 de l’école Jacques Prévert, pourtant mieux parti, a vu ses résultats baisser fortement en raison d’une certaine agitation lors de la seconde enquête, conséquence d’un désintérêt avoué d’un bon nombre d’élèves envers le support. Peut-on l’expliquer par manque d’appétence envers un contenu peut-être déjà mieux connu et identifié par des élèves évoluant dans un secteur d’éducation non prioritaire et donc davantage aidé en termes d’accès à des éléments culturels et à la mobilité en général ? Mais de manière plus générale, est-ce que la désaffection pouvait également être liée au support en lui-même, à savoir une forme papier classique alors que les générations actuelles d’enfants sont davantage sollicitées et attirées par le numérique ?

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Tableau 3 - Moyenne des résultats en nombre de vignettes bien identifiées sur le total de cinquante

Classe ayant Lien Moyenne Moyenne Taux de bénéficié professionnel/ des bonnes des bonnes variation Ecole Classe d’une sortie relationnel avec la réponses réponses entre les entre les deux classe (fin mars) (fin avril) deux dates dates

CE2- 1/3 de décharge Oui 13 19 + 44 % CM1 par semaine

Deux échanges de Jean Jaurès CM1 service de 1 heure Non 10 11 + 11 % (REP +) par semaine

1/3 de décharge CM2 Oui 19 23 + 24 % par semaine

Jacques Prévert 1/3 de décharge CM2 Oui 20 14 - 27 % (hors par semaine éducation prioritaire)

Illustration 4 - Le suivi de l’avancement d’une élève dans la collection

18 Vouloir ensuite présenter les scores de l’ensemble des 50 vignettes apparaissait coûteux en termes de présentation graphique et de clarté de la démonstration, aussi, j’ai rassemblé, dans le tableau 4, les scores des cinq meilleures vignettes pour chaque classe

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lors des deux tests, exprimés en pourcentage de bonnes réponses. Les couleurs reprennent la classification de la figure 2 qui catégorisait les images par thématique. Cela nous permet d’apprécier une domination de certaines d’entre elles : - celle liée aux « grands événements » (rouge) qui ne nécessitaient pas de connaissance spatiale particulière et où la prise d’indice était évidente (n° 36 : le week-end Géants identifié par des géants, n° 42 : Miss Tourcoing identifiée par la Miss en question, n° 37 : Tourcoing Plage identifié par des transats et des parasols le long du canal) ; - celle liée aux sports (noir) avec identification évidente des sports dénommés (n° 23 : le club de basket, n° 25 : le club de volley), n° 18 : la salle de sport Léo Lagrange identifiée par son nom sur la façade ; - celle liée aux arts (vert) avec identification du musée par la présence de toiles (n° 27 : le Musée des Beaux-Arts) ou de la salle culturelle « Le Fresnoy » (n° 33 - voir illustration 3), elle aussi comportant son nom sur la façade.

19 Pour les autres couleurs, la gare en gris (n° 50) apparaît dans trois classes ainsi que le canal, présent lors des deux phases du test pour l’école Prévert qui jouxte précisément le canal.

20 Ce qui est notable, au-delà de ces éléments finalement logiques et prévisibles, c’est la présence du « V » dans certaines cases du test d’avril qui montre que les lieux ont été « visualisés » durant la sortie. S’il s’agit de confirmations pour les deux CM2 (n° 13 et n° 26), ce sont en revanche deux nouveaux lieux qui apparaissent pour la classe de CE2- CM1 : la « maison du Broutteux » (n°6 - illustration 3), un poète local dont la maison est sculptée de manière originale en façade et sur laquelle nous nous sommes attardés en sortie ; le « Grand Mix » (n° 31), une salle de concert en réhabilitation lors de la sortie et devant laquelle nous nous sommes également arrêtés pour discuter des travaux en cours.

Tableau 4 - Les cinq vignettes les mieux identifiées

21 La contrepartie des images les moins bien identifiées n’appelle pas de figure particulière car elle serait bien trop dense à présenter. Il y a bien plus que cinq vignettes non identifiées qui se distingueraient nettement de l’ensemble. Ce qu’on peut

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relever de manière claire, c’est que les identifications les plus faibles concernent les parties orange (mutations industrielles et urbaines) et grise (grands projets) traitées sur des pages différentes dans l’album (voir tableau 1) mais qui concernent pourtant la même thématique du renouvellement urbain, essentiellement d’anciens sites d’usines, mais pour lesquelles les exemples sont trop éloignés des écoles et trop abstraits dans leur figuration imagée (la présence d’une seule image, avant, en cours ou après travaux, ne permet pas d’apprécier la dynamique temporelle de ces évolutions – voir illustration 3, n° 49 : un bâtiment avant réhabilitation ; n° 47 : un dessin du projet ; n° 48 : de nouveaux bâtiments déjà construits). Le cas de la médiathèque Andrée Chédid, vignette n° 12 (voir illustration 3) identifiée sous le nom « La métamorphose du quartier Belencontre », est également marquant car elle n’a pratiquement pas été reconnue alors que les élèves de l’école Jean Jaurès s’y sont précisément rendus pour s’approvisionner en pochettes : le nom du lieu photographié était pourtant connu (médiathèque Chédid) mais pas celui du quartier qui la comprend (Belencontre) d’où l’importance de la toponymie et du choix de légende des images.

22 En complément des meilleures identifications sur les deux dates, il était possible d’analyser les cinq meilleures progressions pour voir sur quelles images l’attention des élèves s’est portée (tableau 5). À nouveau, on remarque que l’effet de la sortie est notable de manière générale. La classe de CE2-CM1 a enregistré trois progressions sur les cinq qui sont liées à la sortie : la « maison du Broutteux » (n°6) et le « Grand Mix » (n°31) déjà identifiés préalablement mais aussi le « Conservatoire » (n°29) qui présentait la particularité d’être à la fois l’une des images parmi les cinquante mais aussi un lieu de collecte de pochettes où les employés nous ont d’ailleurs invités à rentrer pour assister à quelques minutes de la répétition d’un concert. Chez les CM2 de l’école Jean Jaurès, là aussi la « maison du Broutteux » a marqué les mémoires tout comme le « théâtre de l’Idéal » devant lequel nous sommes passés (dans la même rue que l’école) mais qui pourtant était fermé et dont nous n’avons pu apprécier l’intérieur (ce n’est qu’en échangeant par élimination des deux autres théâtres de la ville que l’identification a pu se faire sans trop de difficultés – voir illustration 3, les images n°30, 32 et 34). Les CM2 de l’école Jacques Prévert, davantage désintéressés, ont tout de même enregistré une petite progression dans leur identification de la « Plaine Images », vignette n°11, un site que nous avions visité en janvier, lors d’une autre sortie indépendante de ce projet Panini.

23 L’explication de ces réussites et échecs trouve donc également une justification dans le choix même des prises de vue effectuées par la municipalité. S’il est légitime de la part de la commune de vouloir présenter un bâtiment sous son meilleur jour (soit par l’intérieur parce que celui-ci vient d’être refait ou au contraire par l’extérieur si c’est lui qui a été réhabilité) pour susciter l’envie de s’y rendre, il est tout aussi légitime que certains élèves peinent à identifier certains intérieurs n’ayant jamais eu la possibilité de passer la porte de ces bâtiments.

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Tableau 5 - Les cinq meilleures progressions

24 Un dernier élément enfin qu’il était possible d’apprécier pour compléter cette analyse tient au rapport entre la bonne identification des vignettes et le nombre de vignettes que chaque élève a pu collecter personnellement. La figure 10 ne rassemble que les élèves ayant annoncé qu’ils avaient les cinquante vignettes (il était difficile, voire impossible de savoir parfois à quel stade de remplissage étaient les autres élèves par oubli fréquent du livret ou, encore une fois, par désintérêt de départ envers le support). La conclusion est ici assez nette : la moyenne des bonnes réponses des élèves ayant la totalité des vignettes était au moins égale voire souvent supérieure à la moyenne générale des autres élèves, preuve que l’intérêt envers l’outil augmente les performances. La classe de CM2 de l’école Jacques Prévert n’a donc pas investi le support (passage de 2 à 3 élèves ayant rempli l’album lors du second test). La classe de CM1 de l’école Jean Jaurès, si elle a un peu plus significativement augmenté son nombre d’élèves ayant fini l’album (de 2 à 7) n’a pas décollé dans ses résultats (l’effet de l’absence de la sortie pour appuyer la découverte a certainement joué). À nouveau, la jeune classe de CE2-CM1 a été davantage inspirée par l’outil. Ceci posé, l’inverse est aussi vrai : des élèves non investis dans l’outil ont également fait de très bons scores, guidés par la logique de l’exercice et/ou une pratique de l’espace plus régulière et/ou efficace.

Tableau 6 - Moyenne des résultats en nombre de vignettes bien identifiées sur le total de 50 pour les élèves ayant toute la collection

Moyenne des Moyenne Nombre Nombre bonnes Rappel : des bonnes Rappel : d’élèves d’élèves réponses réponses ayant les moyenne ayant les moyenne Ecole Classe d’élèves d’élèves 50 des bonnes 50 des bonnes ayant les 50 ayant les 50 vignettes réponses vignettes réponses vignettes vignettes (mars) (mars) (avril) (avril) (mars) (avril)

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CE2- CM1 3 13 13 10 21 19 (sur 19 élèves)

Jean CM1 Jaurès (sur 22 2 12 10 7 11 11 (REP +) élèves)

CM2 (sur 27 0 -- 19 10 32 23 élèves)

CM2 Jacques 2 29 20 3 20 14 Prévert (sur 29 élèves)

Conclusion

25 Outil original, pensé pour développer la connaissance du patrimoine local de la commune, l’album Panini Collectionne Tourcoing s’est invité de fait dans l’apprentissage d’une géographie qui ne peut plus séparer le monde de la classe des réalités qui lui sont extérieures.

26 L’enquête réalisée ici nous a permis d’apprécier des effets liés à l’âge (les plus jeunes élèves ici ont manifesté une intérêt plus important envers l’outil) ; à la présence de la sortie (qui a offert le bénéfice d’appuyer de manière vécue l’image figée du livret) ; à la difficulté d’identification des images elles-mêmes (certaines images étaient « seules dans leur catégorie » et ne pouvaient être confondues avec d’autres, certaines comportaient des indications explicites permettant de les identifier, certaines demandaient au contraire un regard comparatif plus coûteux cognitivement) ; à l’avancement personnel dans le remplissage de l’album (ce que masquent les moyennes de l’illustration 3, c’est la compulsivité de certains élèves à remplir le livret avant tout le monde, voire même à continuer à accumuler des doubles une fois la quête terminée et ce, sans en retirer grand bénéfice lors des tests proposés).

27 L’outil est une première, il est séduisant de prime abord, même si une carte générale regroupant les localisations lui fait défaut. Mais est-ce que ce genre d’appendice aurait aidé ? Rien n’est moins sûr puisque j’avais précisément donné le plan (illustration 2) lors du second test et qu’absolument aucun élève ne s’en est emparé, preuve que la carte n’est pas un outil ordinaire et approprié en cycle 3 et que le travail sur la cartographie, surtout à cette échelle, doit être investi et appuyé en primaire.

28 Il doit être maintenant possible d’investiguer l’outil autrement et plus finement que dans ce contexte de première inattendue mais il aurait été dommage de ne pas s’en saisir tant la force du sponsor était ici grande. D’autres recherches sont à imaginer, tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Il serait déjà possible d’interroger les élèves sur les endroits où ils se fournissent les vignettes (pour voir s’ils se cantonnent à la source la plus proche ou s’ils profitent de la quête de nouvelles images pour découvrir et visiter

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des lieux plus éloignés de leur domicile, si les plus mobiles sont les plus performants). Questionner ensuite les élèves en amont sur la connaissance ou la pratique de tel ou tel lieu en préalable d’une identification par l’image permettrait de voir si les lieux en questions sont effectivement réellement inconnus ou si l’échec de la reconnaissance par l’image tient à une mauvaise conception du rapport titre/image du livret (toponymie inadaptée, zoom trop/pas assez prononcé de la photographie). Ici, c’est le « regard critique » qui est convoqué. Cela pourrait intervenir, par exemple, dans le cadre d’un travail comparatif avec d’autres images de la ville (issues d’un/plusieurs manuel(s), photographiées par les élèves eux-mêmes in situ…). Ce serait l’occasion de « traiter chaque ensemble ou corpus d’images comme s’il s’agissait d’une œuvre en soi mais sans perdre de vue que sa lecture ne prend sens qu’en comparaison avec d’autres ensembles jugés comparables » (Mendibil, 2008). Enfin, demander aux élèves si le contenu du livret est assez représentatif à leur goût, s’ils auraient enlevé certains lieux, s’ils auraient souhaité en ajouter d’autres serait intéressant pour voir si des hauts lieux émergent ou non, si une culture partagée se dégage ou non, s’il y a centration sur l’échelle intime du quartier ou non…dans une optique de cartographie sensible et participative (Gaujal, 2019).

29 Concernant l’usage par les enseignants au-delà de cette enquête exploratoire, il doit être possible d’intégrer cet outil à son enseignement de la discipline avec préparation en amont. Encore faut-il que les enseignants aient une certaine sensibilité aux questions spatiales et patrimoniales, ce qui serait peut-être davantage garanti s’ils résident dans la commune et/ou y exercent depuis longtemps. La coloration politique de l’outil pourrait également en gêner certains tout comme le fait de devoir bouleverser une programmation d’année ou de période mais il est indéniable qu’il s’agit là d’une source qui présente certains atouts, d’autant que l’échelle locale n’est pas la plus simple à manipuler chez les enseignants notamment sur la question de la personnalisation des documents permettant de bâtir des séquences d’enseignement.

30 Un regard comparatiste sur d’autres communes pourrait être envisagé, l’outil ayant justement fait des émules puisque la ville de Reims a précisément commandé son album à la société Panini (comportant ici 100 vignettes) et d’autres villes sont à l’étude d’après les interlocuteurs de Panini en France4. Quant à Tourcoing, la commune n’en est pas restée là puisqu’un second opus, rassemblant d’autres lieux, vient de sortir sur ce début 2020 avec pour objectif d’approfondir la démarche (même si le confinement a, de fait, mis à mal l’initiative). De quoi aider à construire ce « capital spatial » sur le temps long ?

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NOTES

1. Liste des lieux de collecte : https://www.tourcoing.fr/Actualites/Ou-trouver-les-vignettes 2. Voir le dossier de candidature téléchargeable à cette adresse : https://www.tourcoing.fr/ Archives-actus/Tourcoing-est-Ville-d-Art-et-d-Histoire 3. La presse s’est faite l’écho de cette initiative en divers endroits dont celui-ci par exemple : https://creapills.com/tourcoing-album-panini-patrimoine-20190311 4. http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/des-albums-panini-pour-decouvrir- reims-18-04-2019-8055918.php

RÉSUMÉS

L’article se propose d’étudier la pertinence de l’album Panini Collectionne Tourcoing pour développer des connaissances culturelles et spatiales pour lequel il a été pensé. En tant que première chez cet éditeur, le support invite les enfants à récolter 50 vignettes représentant le patrimoine et les lieux emblématiques de la ville. Une enquête visant à l’identification des lieux représentés sur ces vignettes et menée dans quatre classes élémentaires (des élèves de 9 ans en CE2 jusqu’à des élèves de 11 ans en CM2) de la commune testera la validité de ce support qui pourrait accompagner l’enseignement de la géographie.

This article proposes to examine the relevance of the Panini's album Collectionne Tourcoing to develop one's cultural and spatial knowledge. As a first for this editor, this media invites children to collect 50 stickers representing the town's iconic and heritage sites. A survey to identify places of the stickers set in 4 primary school classes (children from 9 to 11 years old) in the town will test the concept's validity in accompanying the teaching of geography.

INDEX

Keywords : school geography, spatial capital, representation, geography teaching, geography didactics Mots-clés : géographie scolaire, capital spatial, représentations, enseignement de la géographie, didactique de la géographie

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AUTEUR

XAVIER LEROUX Description auteur

EchoGéo, 53 | 2020