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LE MONT GANNELON

 CLAIROIX,

nÈs 11E COMPIÈGNE.

- t -

A une vingtaine dc lieues de Paris, sur la rive droite de l, et à peu de distance de Compiègne, sélève le Mont Gannelon. Cette colline a depuis plusieurs siècles attiré lat- tention des antiquaires sans la fixer : Dom Gelisson, Dom Grenier, Cambry, le baron de la Pylaie et M. Graves en ont dit quelques mots dans leurs écrits (1). Ces savants, tout en reconnaissant lintérêt que le Gannelon pouvait offrir aux ar- chéologues, nen ont pas entrepris lhistoire, ils se sont bornés à en donner de simples aperçus et se sont pour ainsi dire; arrMés un moment ait pied de la colline en se pro-mettant dy revenir. Et cependant le plateau de cette colline est riche en

(I) Dom Gélisson, Antiquités de la ville de Compiègne, M. du XVII siècle, - Dom Grenier, introduction à lHistoire générale de la Picardie, X Ville siècle, - Gambry, Description du département de lOise, - 0e la Pyrale, le Journal lArmée, 1838,— Graves, Notice archéologique de lOise, 1839-1856, - Stdtistique des cantons dellcssons,1838, et de Compiègne, 1850. Mont. t

Document

il il Il h Il 11111111 IlI!I Ili 11 il -0000005619368 2 souvenirs son dolmen nous rappellera la vieille nationalité Gauloise ; les légions romaines ont imprimé sur ce sol la marque indélébile de leur passage; lépoque Carlovingienne, enfin, y a laissé ses funèbres légendes et des traces appré- ciables de son génie parfois encore barbâre. Nous avons pensé quune monographie assez étendue sur cette locâlité pourrait être de quelque utilité, en rectifiant des erreurs historiques et en mettant sur la voie de découvertes nouvelles. Nous avons essayé dexécuter ce travail et nous espérons, dans li itérét de la science, qqceux qui viendront après nous y ajouteront tout ce quil laisse à désirer. Etudions dabord le Camp de César.

pREIVIlÉItE PARTIE.

Le Camp de César.

I

Nous croyons utile en commençant ce mémoire de démon- trer que lon peut reconnaître à des marques certaines lem- placement dun camp romain, bien que lon soit souvent dans limpossibilité de préciser lépoque de son établissement. Lagénéralisation est un des grands écueils à éviter dans les recherches archéologiques, et cest surtout en étudiant lart du campement chez les Romains quil est nécessaire de se mettre en garde contre cette cause derreur. Si lon ne pos- sède pas des données certaines, on se contentera de formuler

E 8 des conjectures vraisemblables, et on se gardera dassigner à un monument une date précise basée sur son analogie avec tel autre dune époque connue. Avant tout on se rendra un - compte exact des événements auxquels peut se rattacher son origine, et des circonstances qui ont pu influer sur sa cons- truction eVmoditier léconomie de ses formes. Polybe et Végèce, dira-t-on, donnent la disposition exacte (les camps romains; reconnaîtrons-nous donc exclusivement comme tels ceux qui auront été établis daprès les règles tracées par ces auteurs? Cette manière de raisonner, trop. ah- solue, nous exposerait à négliger des découvertes qui four- nissent à lhistoire des matériaux si intéressants! Ainsi nous voyons dans Polybe que les Romains campaient sous des tentes de peaux en conclura-t-on que les Romains nont pts occupé , en , certaines positions militaires, parce quelles étaient couvertes de constructions dont les débris jonchent aujourdhui le sol? Non sans doute! et il est plus rationnel dadmettre que, forcés de prolonger leur séjour sur quelques points , ils ont remplacé leurs tentes de peaux par des bâtiments solides, en état de résister aux intempéries des saisons. Et dailleurs les principes de la castramétation mis en usage sous le doux ciel de lItalie ne devaient-ils pas être modifiés en raison du climat pluvieux et froid de notre Gaule? De notre temps, na-t-on pas logé, pendant la guerre de Crimée, sous des baraques de bois nos soldats habitués en Afrique à se mettre à labri sous la toile? En matière de campement, il ny a rien dabsolu, et il en était au temps des Romains comme de nos jours. Il y avait alors,. comme aujourdhui, deux espèces de camps ; les camps volants et les camps doccupation. Les troupes exposées à passer dans ces derniers des mois et même J des années, devaient y trouver un certain bien-être. Un camp, dans ces conditions, était une vraie place darmes, munie de fours,, de magasins, darsenaux ; on a même construit des temples et des théâtres dans quelques-uns (1). -- On ne sé- tonnera donc pas de découvrir des testes de constructions im- portantes au milieu des campsattribués aux Romains par la tradition, et dont lorigine est confirmée par lhistoire du pays. Comment préciser exactement lépoque à laquelle re- montent ces vestiges que les siècles ont respectés? Cest un point quil serait difficile de résoudre avec certitude, car sur quelles preuves appuyer nos assertions, là où lhistoire nous fait défaut? Daprès les caractères généraux remarqués dans la disposition des lieux, et comparés avec ceux que les au- teurs de.laritiquité ont décrits, il est possible de reconnattre que telle armée romaine a occupé telle partie de la contrée. Nous nous éclairons sous ce rapport en interrogeant les ruines mais les ruines ne donnent pas la date précise de cette occupation. Toutefois nous pouvons tirer des monnaies de précieux renseignements, et je daterai lhabitation dun camp au moins du règne du dernier empereur dont jaurai trouvé des monnaies. Ces recherches exigent dailleurs une impartialité sévère lesprit ne doit pas céder à lentraînement dune curiosité im- patiente, ni se laisser séduire par de simples apparences ou de trompeuses analogies; des faits matériels constatés sur le terrain, des documents hiktoriques puisés à des sources in- -contestables sont les seuls éléments dune discussion sérieuse,

(1) comme h Champlieu (commune d, canton de Grospy, Oise). - Voir ma Première élude sur les découvertes de Champlicu, dans la Revue ar- chéologique de M. Loteux, 1851, 7 année. 6

H.

Au nord-ouest de la ville de Compiègne, au sommet de - langle formé par la jonption de lAronde et de lOise, sélève le Mont Gannelon. On y arrive par tin sentier qui traverse le village de Clairoix. Le plateau qui couronne cette colline se trouve à eent douze mètres au-dessus du niveau de lOise sa longueur est de quatre kilomètres, sa largeur beaucoup moindre, atteint rarement un kilomètre, il est horizontal, continu et dirigé du nord-ouest au sud-est. De temps immémorial, la partie de ce ment, qui fait face à lOise, a porté le nom de Camp de César; elle est exposée au midi et distante de quatre kilomètres de Compiègne. Mais avant de la décrire, rappelons dabord les règles gé- nérales invariablement suivies par les Romains dans leurs campements. Le choix dun campement est toujours une opé- ration délicate et quun général ne saurait trop méditer. Tout en sassurant les conditions stratégiques lds plus avantageuses, il ne doit négliger aucune des circonstances susceptibles de contribuer au bien-être moral ou physique du soldat. Cest la une règle fondamentale que les Romains ont toujours observée avec le plus grand soin. Comme nous ]c montrerons plus loin, César perfectionna singulièrement lart de la castramétation. Avant lui, léta- blissement dun camp était déterminépar les castramétateurs, officiers chargés de laménagement intérieur du camp et de lexécution des travaux de défense: opérations réglées avec une rigueur mathématique et dont le détail minutieux nous a été transmis par Polybe dans le VP livre de son Histoire gé- nérale. Mais les auteurs postérieurs à César, Végèce, 6 Flavius Josèphe , contiennent toute une nouvelle série de combinaisons relatives aux choix de lemplacement conve- nable à lassiette dun camp. Il nous semble juste dattribuer à César ce progrès dans lart de la guerre. Quelques consi- dérations générales sur la marche de César clans le nord-est de la Gaule, pays difficile et tout nouveau pour les Romains, feront mieux concevoir la convenance et lutilité de sa mé- thode. Du reste ses idées à ce sujet furent suivies dun résultat si favorable quelles devinrent, pour ainsi dire, ré- glementaires dans les armées romaines. Dès que la domination romaine lui sembla solidement éta- blie dans le midi de la Gaule, - mais seulement alors, - César put songer à savancer dans le nord. De nouveaux obstacles allaient surgir devant lui et ceux-là plus redou- tables encore que les vaillantes populations quil aurait à combattre. Labsence de routes pratiquables, limmensité des forêts, la rudesse dun climat septentrional, léloignement de ses réserves, la rareté des vivres dans un pays presque complètement boisé devaient entraver la rapidité de sa marche et en compromettre le succès. Une seule défaite, à une telle distance de sa base dopérations, au milieu dune population ennemie, eût amené une retraite désastreuse et peut-è! la ruine de on armée I Mais aussi audacieux à concevoir que prudent à exécuter, confiant dans lénergie et la discipline de ses légions habituées à la souffrance et au com- bat, il nenvisagea tant dobstacles que pour en triompher il y réussit et la Gaule, comme le monde entier, dut plier devant César et sa fortune. Mais ce nest pas la fortune seule de césar qui lui valut, dans cette campagne, de si glorieux succès, il en fut surtout redevable n la sagesse de ses combinaisons stratégiques. 7 La tactique, on le sait, est lart de disposer et de manier les troupes sur le champ de bataille, ; la stratégie consiste à les y amener dans les meilleures conditions de nombre et de santé. Comme tacticien, César neut pas à déployer toutes les ressources de son génie. Il avait bien devant lui des ennemis nombreux, dune bravoure héroïque - il est vrai - mais trop souvent imprudente, dun élan terrible mais inégal, mal armés, mal équipés; et dailleurs, chez les Gaulois, chefs et soldats étaient également ignorants des principes les plus élémentaires de lattaque et de la défense. Les légions romaines, au contraire, supérieurement armées et disciplinées, conduites par le plus grand capitaine de lan- tiquité, joignaient à une fermeté inébranlable une instruction théorique développée et perfectionnée par une longue habi- tude de la guerre. Dans des conditions si différentes, la valeur des deux ar- mées rendait toujours le combat sanglant, mais il ne pou- vait être longtemps douteux. La discipline des légions devait finir par triompher de la témérité et des efforts isolés dun ennemi privé dune direction intelligente et exalté seulement par la chaleur du combat et le mépris de la mort. Et, en outre, à un moment décisif, César, habile dans lart 4e ma- nier les masses, navait quà ordonner une de ces manoeuvres qui chaligent en un clin doeil le destin des batailles, elle était à linstant même exécutée avec une précision et une vi- gueur irrésistibles, et lennemi, surpris, trop ignorant pour rémédief au périt; navait plus quà mourir en combattant. Mais, ces avantages qui assuraient la victoire aux E.omains sur le champ de bataille, ne protégeaient plus leur marche dune manière aussi efficace, et les Gaulciis seraient au moins 8 parvenus à fatiguer, à décimer larmée romaine et peut-être à la détruire, en se bornant à une guerre de partisans, in- cessante, continue, acharnée sut ses flancs et sur ses der- rières. - César vit le danger, il sut y pourvoir. Â peu près certain de nêtre plus gravement inquiété le jour, il chercha à garantir ses nuits de toute surprise, pour que le sommeil pût réparer les forces de ses soldats fatigués par une journée de marche. I1 trouva ces conditions de sé- curité dans la manière dont il choisit ses campements. Lapplication de ses principes fut si rigoureuse et si cons- tante que la tradition a donné le nom géiaéral de Camp de César à un très grand nombre de positions présentant les caractères requis par lui pour servir à cet usage. Il na certainement pas occupé lui-même tous ces camps; beau- coup nont dû lêtre que par ses lieutenants ou ses successeurs, mais la tradition sest plu à rattacher à sa mémoire ces restes du passé, comme pour les sauver de loubli par le souvenir dun grand nom. Lobservation des lieux notoirement occupés , à cette époque, par les légions romaines, létude des débris qui sy trouvent encore et lappréciation des besoins dune armée en campagne , confirment pleinement les récits des écrivains romains. Voici, daprès un deux, ou du moins daprès un Juif devenu Romain, daprès Flavius Josèphe, les conditions générales convenables- à létablissement dun camp coltine élevée sur le cours dune rivière, à proximité dune forêt, occupation des postes élevés voisins. Les avantages résultant de ces conditions sont assez ma- nifestes pour que nous nayons pas à les exposer longuement il suffit de les indiquer larmée avait à discrétion et sous la main leau et le bois ;,elle était à labri de toute surprise; g enfin elle était mattresse du bassin de la rivière donCelle do- minait ainsi le cours. Lemplacement du camp une fois indiqué conformément à ces principes, les castramétateurs déterminaient la figure et le plan daprès des règles fixes dont nous aurons plus loin occasion de rappeler les plus importantes. A la guerre dinvasion succéda celle doccupation; les camps volants établis par César, dans la première période, devinrent dans la seconde de vraies places fortes. On put y avoir des ambulances, des dépôts darmes, des magasins de vivres et dhabillements. Elles offraient, à la fois, aux colonnes expédi- tionnaires envoyées à lintérieur du pays, un point dappui so- lide, des ressources de toute espèce, et à leur retour, dexcel- lents quartiers dhiver. Â mesure que loccupation se consoli- dait, le bien-être saugmentait dans ces camps. On y construisit des fours, des théâtres, on a même trouvé des débris de sculptures qui devaient provenir de monuments complets. Ces établissements ont donc, dans beaucoup dendroits, laissé des traces encore sensibles : leur présence est bien faite pour éveiller lattention de lantiquaire. Si la critique historique, quelque sévère quelle soit, ne peut opposer au témoignage de la tradition une objection valable ; si, surtout, ce témoignage, souvent trompeur, est confirmé par des monuments contemporains , lantiquaire peut, ce me semble, affirmer sans crainte. La position du Mont Gannelon rentre parfaitement et à un double titre dans les conditions générales que nous venons ,dindiquer. En effet: F Elle nous présente une haute colline, à lembranche- ment de deux rivières, et à proximité dune vaste forêt. La réunion de ces circonstances topographiques , nous Mont. 2. • 10 lavons déjà dit, avait nuegrande valeur aux yeux des gé- néraux romains. Un fait bien constaté, qui contribue encore à prouver limportance militaire de ce point., cest que les Gaulois y possédaient un établissement ; on a trouvé à di- verses époques sur le plateau et sur les flancs de la colline différents objets dorigine celtique des haches perforées et im1ierforées en silex, en granit, en bronze et un grand nombre de monnaies gauloises. On y voit même encore aujourdhui au milieu dun épais taillis une pierre haute de cinq pieds sur vingt de longueur, connue dans -le pays sous le nom de roche filonicart. La. tradition lui attribue une antiquité très reculée: La surface supérieure est plane, le reste est irrégulier; elle est mnaintenue horizontalement par une autre pierre qui la sou- tient en avant, en sorte quil y a entre le sol et la pierre nu vide qui permet aux enfants de passer dessous en rampant. Cette pierre constitue évidemment tin monument druidique de lespèce des dolmens. Daprès une tradition, les prêtres dTsus accomplissaient sur cet autel leurs cérémonies religieuses et offraient de sanglants holocaustes. Quant au nom de Monicart porté par la pierre il parait être celui dune famille du pays. 2° Sous le rapport stratégique, ce point était naturellement indiqùé dans la marche de César. On lit dans ses commentaires, après le récit de la prise de Noviodvuum, quil marcha contre les Bellovaques : exereitum in Beilovacos deduxit. Tout porte à croire, dit M. de Cayrol (1) que, pendant

(, , Mémoire suries positions occupées successivement par larmée romaine que comma nd ait César depuisflurocoriorilm (Rheims)jusqlih Bratuspanhium, publié dans les mémoires de la société Académique de lOise,I. jer, P. 160, année 1849, par M. de Cayrol, ancien député, membre de la société des An- tiquaires de Picardie, président du Comité archéologique de Compiègne. il cette marche, César suivit encore le cours de lAisne par la rive gauche, et quavec sa pnidence ordinaire, il ne sécarta jamais de lusage adopté par les armées romaines, même en pays ami, de se rètrancher à chaque station quelles étaient obligées de faire,

« Arrivé à la jonction de lAisne et de lOise, César pour garder le pays auia très probablement placé quelques co- hortes sur la partie du Ganuelon qui avoisine ces deux ri- vières; cette mesure de prudence lui était dautant plus re- commandée quil allait être forcé de se jeter sur la rive droite de lOise pour gagner Bratusjantium, et quil avait besoin dun poste intermédiaire pour communiquer en cas de besoin avec Noviodunum. )) Si maintenant nous donnons la préférence à litinéraire in- diqué par M. Peigné de Lacourt dans son savant ouvrage sur Noviôdunum, rien encore dans ce tracé ne détruira la né- cessité dune station militaire au Mont Gannelon (1). La simple nomenclature des monnaies trouvées en cet en- droit nous montrera que ce camp indiqué par César, habité momentanément, par une fraction de son armée, ne le fut

(t) Nous pensons avec dAnvillc, D. Grenier, Perrot dÀblancourt et M. Graves que, te Nevioduflum Suessionum de césar était situé à Soissons. M. Peigné de Lacourt est dun avis Opposé, quil a exprimé dans ses Re- cherches sur la position du Noviodununi Suessionunl et de dites autres lieux du Soissonnais. Dans ce mémoire, auquel lAcadémie des Inscriptions et Belles-Lettres a décerné une mention très honôrable (8 août 1856), cc savant place cet oppide gaulois au mont de , (commune de Gtievin- court, canton de Ribecourt, Oise). Nous ne partageons pas cette opinion, mais nous croyons devoir la mentionner le juge doit connaltre toutes las pièces du procès, surtout quand un des rapporteurs discute son opinion avec autant de savoir et desprit de critique que M. Peigné de Lacourt. 42 dune manière permanente que dans la période doccu- pation, Jusquà présent, lhistoire na pas infirmé le témoignage de la tradition ; nous navons encore, il est vrai, que des pré- somptions; niais nous allons trouver tant de monuments contemporains quelles devront bientôt revêtir le caractère dune certitude absolue. La castramétation, nous lavons déjà ait, était réglée par des principes absolus: La configuration du terrain déterminait naturellement la forme des camps; ils étaient habituellement quadrilatères , quelquefois triangulaires ou même ovales. Toutes les dispositions intérieures telles que le nombre des rues , leur largeur, leur longueur , les places, de., etc., étaient calculées daprès une formule, variable seulement selon le nombre des troupes à loger. Les travaux (le défense seuls étaient modifiés par la durée probable de la station : un simple parapet de gazon de trois pieds de hauteur, - pour une halte dune nuit, - acquérait dix pieds de hauteur sur deux pieds dépaisseur, si le séjour devait se prolonger. Il était alors protégé par une palissade de pieux dun bois très dur et par un fossé large de neuf à dix-sept pieds et profond dë, neuf. Le se de la charrue a usé les plates-formes; la poussière de quinze siècles a comblé les fossés, mais le souvenir du Peuple-Roi a survécu; le temps qui détruit tout na pas encore pu effacer la trace laissée sur la terre des Gaules par le pas- sage des légions romaines! La forme générale dun camp étant déterminée naturelle- ment par la configuration du terrain, celui qui nous occupe, dut , selon nous , être quadrilatère. Trois de ses côtés, avouons-le, ne présentent aucun vestige; mais il est juste (le 13 remarquer que ces trois côtés longeant les limites du plateau, étaient suffisamment protégés par la rapidité de la pente; la rivière qui baignait le pièd de la colline présentait, en outre, un obstacle difficile à franchir des travaux complets et ré- guliers nétaient donc pas nécessaires autour dune position ainsi fortifiée par la nature, Le camp nétait réellement accessible que vers le N.0., aussi le trouvons-nous limité, de ce côté, par un mouvement de terrain de vingt pieds de largeur sur sept de hauteur. Cest un bourrelet qui coupe le plateau perpendiculairement à son grand axe et le traverse entièrement depuis lendroit appelé « la Justice » jusquau lieu dit « le fond. de luer- initage. » Il n trois cents mètFes (le longueur et se trouve exactement à lendroit le plus étranglé du plateau. Nous pensons que ce bourrelet constituait lenceinte for- tifiée de ce côté du camp.— Quelle autre origine pourrait-on lui assigier? - Ce nest pas un mouvement naturel du terrain. Aucune donnée géologique ne permet de ladmettre. Le nom de e Brunehaut quon donne dans le pays à cet accident de terrain ferait penser que cest peut-être une ancienne voie romaine ; puisque dans certaines parties du nord de la France on a coutume dappeler du nom de cette reine la plupart des voies romaines. Cette opinion nest pas plus ad- missible, elle montre cependant quon u toujours attribué à ce bourrelet une haute antiquité. Mais les routes romaines, on se le rappelle, étaient de vrais travaux en maçonnerie, de plusieurs pieds dépaisseur, et les fouilles opérées dans ce bourrelet ne révèlent aucun des caractères particuliers à ce genre de construction. Ce sont tout simplement des masses de terre adossées , de distance en distance, à des quartiers de

0 u roc qui leur servent de point dappui. II est probable que le retranchement, autrefois revêtu dune palissade, a été abattu dans le. fossé qui le protégeait et successivement foulé aux pieds par les promeneurs; le terrain, ainsi nivelé, aura été pris pour une chaussée par les gçns (lu pays, qui, selon lusage du temps, lauront nommé le Brunehaut. te bourrelet na donc jamais été une voie romaine: il nen présente pas les caractères et, de plus, il naurait même pas de raison dêtre à ce titre,.ne faisant partie daucun réseau, daucun système de voierie. En effet les différentes ramifica- tiens de la chaussée romaine qui lraversè une partie de la forêt de Compiègne sont très exactement déterminées. Il ny en a pas une seule qui se dirige vers le plateau du Gannelon. La position même ne permet pas dadmettre quil y ait existé unembranchement conduisant à une des portes du camp. Il ny avait là quun poste militaire que les Romains voulaient isoler , de toute voie de grande communication , pour en rendre laccès plus difficile à lennemi. Ce qui confirme cette opinion, cest la route quils ont établie à travers le territoire du village de Choisy; elle sarrête sur la rive opposée de lOise au lieu dit « le Bac à lAumône » et na pas été con- tinuée jusquau pied de la montagne. Lespace compris dans ce carré embrasse une étendue de quinze hectares, il pouvait donc contenir quelques milliers dhommes , et plusieurs turmes de cavalerie ; cest-à-dire sous la république et dans les premiers tempi de lempire une légion environ et trois ou quatre aux dernières années de lempire, car leffectif en était alors beaucoup moindre au rapport dÀrnmien Marcelin. Parlons maintenant des fouilles opérées sur ce plateau et de leurs résultats, et la simple nomenclature des objets quelles il

5 ont mis au jour donnera n notre opinion le caractère dune vérité incontestable. ibm Grenier dans ses recherches sut la Picardie (1) fait connaître quen f185 il n trouvé, sur lemplacement du camp de César, deux pètits Mercures en bronze avec le pétase et les talons ailés ; une statuette de Cybèle, en plâtre, parfaite- ment intacte, moulée avec soin et habilement drapée, avec les deux cornes dabondance accolées et portées au côté gauche. Cette statuette était sans piédestal et navait que huit à dix pouces de hauteur; M. de Caylus en n donné la figure dans son recueil dAntiquités, lab. CXI. Dautres statuettes en bronze représentant des divinités païennes ont été trouvées sur cette montagne, il y a quinze ou vingt ans (2). On a aussi découvert des armes, plusieurs petites meules à broyer le blé, des fragments de vases de formes variées et sou- vent ornés de bas-reliefs; un grand nombre de tegulœ hamatœ et incuruw. Le musée de Sèvres possède un vase en pâte fine, de couleur rouge, ramassé sur le Gannelon, autour duquel on remarque des priapées. Ces différents monuments fournissent de précieux indices sur létat de lart aux dernières époques de lempire romain. - Les médailles ont en outre lavantage de donner des dates certaines. - On en a trouvé dAuguste jusquà Magnence (H -à 350 après J,-C.). Si lon nen voit point de César, cest parce que les troupes de cp capitaine ny ont séjourné que peu de temps; le camp na été habité régulièrement que plus.tard.

(j) Introduction b lHistoire géûérale de la Picardie. () M. Alexandre Le Comte, alors receveur des finances h Compiègne, en n trouvé plusieurs quil possède encore maintenant. rl-

[6 La série de monnaies recueillies embrasse une période de tris cent cinquante ans. - Des fragments de briques et de pierres, et la découverte récente de bâtiments souterrains indiquent assez que des constructions permanentes ont été élevées sur cet emplace- ment. Plus tard, lorsque la soumission a été un fait accompli, les colons, qui commençaient à cultiver la terre, sont vent grouper leurs habitations autour de ce lieu fortifié. Cest ainsi que de nombreux camps retranchés ont donné naissance à des villes importantes. Ces établissements de guerre chan- geant ainsi de destination, le luxe et le biên-ûtre sy intro- duisirent rapidement. Ainsi le village de Clairoix, dont on fait remonter lorigine au IVe siècle, est désigné dans les titres les plus anciens sous le nom de Civitas. Daprès laspect actuel du plateau du Gannelon, il paraît du certain que les. tentes en peaux camp primitif ont été remplacées par des constructions en pierre et en brique qui se sont étendues peu à peu sur les versants de la montagne et qui ont donné naissance aux différents villages qui len- tourent. Il est probable quau temps des Antonins, époque où lii Gaule était devenue toute romaine, où les Romains avaient donné leur religion, leurs moeurs, leurs lois et leur langue aux populations gauloises, où la Gaule donnait n «orne le premier des Antonins et peut-être des empereurs, les camps romains, perdant de leur importance, changèrent de desti- nation. 11s ont été alors convertis en bourgades et en villas, auxquelles on donnait le nom de Civil as. Quant- au plateau du Mont Gannelon, dont les Romains avaient tout dabord apprécié la position et auquel leurs oc- cupations successives avaient donné une importance toujours croissante, à en juger par la quantité et la variété des 17 décombres qui sy retrouvent , il était pourvu de cons- tructions en pierre et en brique. Or cest vers le Ille et le IV siècle que les Romains, tant pour se garantir des incur- sions des Francs, que pour mieux assurer leurs positions, élevèrent des édifices durables et quelquefois élégants. Nous en pourrions citer plus dun exemple. Ainsi sur lemplace- ment du camp de,Champlin (1), on a découvert en 1850, sur le bord de la voie romaine qui va de Soissons à , au lieu dit tes Tournelies, les débris dun temple, qui daterait du 111° siècle. Lannée suivante, 1851; nous avons trouvé, à cent-cinquante pas de ces ruines, sous un monticule appelé le Fer à cheval, lors des fouilles que nous y avons entre- prises par ordre du ministre de lintérieur, les restes dun théâtre, en pierres de petit appareil, dont lorigine remon- terait aussi à la même époque, comme tout le prouve. Les admirables bas-reliefs et les sculptures dornementa- tions si riches et si nouvellement fouillées du temple de Champlicu, montrent, assez que le luxe de lart et le goût de la belle architecture avaient pénétré jusques dans les camps. - Sur le territoire de la petite commune de Châteaubleau (2) nous avons trouvé, pendant les vacances de 1858, une grande partie de la muraille denceinte dune ville qui pouvait avoir deux kilomètres de large sur près detrois kilomètres de long et qui était traversée liai- la voie romaine qui se dirige vers Sens. On y remarque un théâtre antique, ait moins aussi con- sidérable que celui de Champlieu, des pans de murs qui semblent être les restes de la. cella dun temple et les fonda-

(I) Commune dOrrotiy, canton de Crespy (Oise). (2) Cantoti de Nangis (Seine-et.Marno). Mont. - 5 18 lions dautres édifices que nous navonç encore pu déteriiiinet Ces monûmenis faisaient partie de Jliûbe5 ville romaine nieh. tionnée par la table Tliéodosienne, Nous avens récèmtnént appelé lattention de IAcdém•• le des Iïiscriptiùii et iklle4 Lettrés sut cet ôppide dent on ignôtait la situation exacte. Les preuves de limportance de tilitaifé dit Gânnelon se tirent eiicoiÔ de sen étendue, ômpiat.ivè- ment aux camps de lancien Bel gium et de son admirable position topographique, mais ces camps romains étant cÔn nus depuis longtemps, nous croyons quil est inutile détablir ce parallèle. La découverte de nombreux restes de cimetières sur diff& renÉs points dit-Gannelon et aux environs, peut encore être dun précidux secours pour déterminer lépoque probable. doccupation dé cc camp romain (1). On ieinaPqOe eu Gaulé dent manières distiiïctes de rendre les honneurs àux morts et correspondant .à diix époques différentes. Durant la Pie- mère, qui sétend depuis la conquête (50 av. L . C.) jusquaux Antohins et à Septime Sévère environ , cest à dire deux cents ans apçès létablissement du christianisme, on brûla les corps. Dans les premiers temps de Borne, on inhumait mémé ceux des riches. Les Romains nadoptèrent lusage de les brûler quaprès avoir été témoins do la violation des tom. beaux, surtout pendant les guerres civiles. Sous Auguste, on brûlait les corps par un motif religieux, afin, disait-on, que, lâme retournât aussitôt à sa nature première (2). En effet le païen devait brûler ses morts. Pouf lui, lâme et le

(I) Au lieu dit les Quatre tilleuls, h mi-côte en face de lOisW (2) Sen, in Eneid. Lib. III. y . 67, 1.9 corps étaient également nia Uère; seulement lâme était une matière plus subtile et plus éthérée anima, un souffle ; le feu semblait la dégager plus rapidement (le-cette mitre ma- tière plus lourde à laquelle elle était enchaînée ; et puis, pour les anciens chez lesquels la sensation était dominante avec ses amours et :5Q5 répugnances, lidée dune mère , dune épouse, dun ami réduit en cendres était plus supportable que celle dun cadavre ,rongé par les vers. Pendant cette pre- mière période on ne mêlait pas confusément dans la terre les urnes cinéraires et les corps humains ; .ceux-ci étaient isolés au milieu des urnes, dans la proportion dun coins sur vingt urnes. Ce fait a été constaté à Bordeaux et peut encore se - véritier au village de Véras dans le département de lAr- dèche. Dans la seconde période, au contraire, on a remarqué que les groupes durnes étaient en quelque sorte isolés des corps :inhumés, et que ceux-ci étaient en nombre considérable. Les monnaies trouvées dans les urnes agglomérées re- montent aux deux premiers siècles de lère chrétienne. Celles dAuguste, de Néron et dAgrippa sont les plus nombreuses, et 1on nen a découvert aucune qui fût postérieure aux An- tonins ou à Sqptime Sévère. Doù il suit que les cimetières .romains ,offrant les .caractères que nous venons de décrire, ,appartiennent à da Femière période et que le cimetière du Mont Cannelon, iieiespiésentant pas, appartient à la seconde. La deuxième époque, .celle où linhumation des corps avait ,prMalu, est 1postéi;ieureden-viro.n deux cents ans.; .elle coin- me.neeaux successeurs de Septime Sévère et ,semble,êtrke une des conséquences de lintroduction du christianisme dans les Gaules. En effet S lé chrétien respecte ce cadavre qui a -été lenveloppe de lâme de son frère ; il na pas besoin, comme 20 les païens, de dégager cette âme, lisait quelle est partie pour un monde meilleur. Quant lit pieusement confié à la terre, il redevient poussière, en attendant le jour de la résurrection. Cest donc à linfluence du christianisme dans les Gaules que serait dû le retour complet à linhumation. Nous appuyons ces assertions sur la découverte dc cime- tières renfermant presque exclusivemènt des corps inhumés simplekent en terre, ou dans des sarcophages, et près des- quels on a frouvé des monnaies frappées à leffigie des princes de la fin de lempire romain et quelquefois des in- signes chrétiens. Or les monnaies trouvées dans le cimetière du Mont Gannelon sont postérieures à Seplirne Sèvère et ne vont pas au-delà du règne de Magnence, donc le cimetière ne pourra être antérieur au 111e siècle ni postérieur ail IV?. Il devra par conséquent dater ait du IVe siècle (1). On objectera petit-être que, durant lépoque de lincinéra- tion, des morts pourraient bien avoir été enterrés suivant les usages de la seconde période. Mais il sera facile de re- connattre la date de ces inhumalions, à laide des inductions fournies par les monnaies, par les fibules dont le côté extérieur porte fréquemment lempreinte des figures impériales (g),

(1) Ainsi dans le village de Cleolsy-au-Bac, situé h une lieue du Gannelon, on a découvert des sarcophages h diverses époques, et notamment en 18$7. Jai vu un tombeau renfermant un squelette et une ampliore en bronze contenant six mille pièces en cuivre frappées h leffigie de Constautin-le- Grand et de quelques-uns de ses successeurs. Plusieurs de ces monnaies présentaient au revers le monogramme du Christ qui se rencontre si sou- vent dans les catacombes de Rouie et dans les Inscriptions chrétiennes de la Gaule, que le savant M. Edmond le Mont nous o fait véritablement con- naltre. (2) Comme je lai remarqué sur des fibules en bronze trouvées au mont dans St.-Pierre en Châtres, la forêt de Compiègne et dans le domaine de la Folie, près de Pierrefonds. t

21 par des anneaux, des styles en corne, en bronze, en ivoire et -par les inscriptions quon trouve si souvent sur les poteries et les tuiles. On remarquera, en outre, si ces sarcophages sont isolés, réunis en groupes, entourés ou non durnes ci- néraires et dans quelle proportion. Il parait donc établi que le cimetière du Gannelon re- monte au IV° siècle et que le camp était encore occupé à cette époque. Cette occupation a duré quatre cents ans, comme nous avons essayé de le démontrer à laide des médailles, et on le conçoit, à cause de lutilité stratégique de cette admi- rable position. De cette première partie de notre monographie il semble résulter que: Il y avait sur le Mont Gannelon un camp auquel les Ro- mains paraissaient altaclier une grande importance. - César ou ut, de ses lieutenants lhabita en passant. Ce camp, situé dans une excellente position, devint plus tard une place darmes. Voilà ce que nous nous étions dabord proposé de dé- montrer. t

22

nurÉn PARTIE.

Le château tic Gannelon ou fort Charlemagne.

La ville de Cémpiègne, son château, sa forêt, ses environs offrent à chaque pas des souvenirs des Gaulois, des Ro- mains, des Francs et des Français: cest un grand et beau livre placé sous les yeux de larchéologue; malheureusement bien des pages en sont presque illisibles ; le temps en a rongé les caractères essayons cependant de déchiffrer une de ces pages qui pourra nous éclairer sur le château de Canne- ion ou fort Charlemagne. Cci établissement fortifié est situé à lautre extrémité du plateau, sur la partie qui fait face au village de .

I.

Avant de le décrire, et pour faciliter les moyens de re- monter à son origine, (lui parait se rattacher au moyenâge, il est nécessaire de parcourir succinctement les principales phases de lhistoire des constructions militaires, depuis la fondation de la monarchie française jusquau XII siècle. Cette étude nous permettra dassigner une époque probable ail de Gannelon, et 4e combattre des opinions res- pectables, sans doute, mais qui ne nous semblent pas suffi- samment justifiées: Il est difficile dassignei une date positive aux forteresses du moyen-âge proprement dit, cest-à-dire du Y au Xli siècle, parce que lindication des dates préoccupe fort peu (le chro- niqueurs. Chez eux le conteur, le poète domine lhistorien. Ils solit magnifiques dans leufs descriptions, mais il ne faut $s leur demander une exactitude rigoureuse, surtout en ce qui touche les arts. De sorte que larchéologue est privé du secours de ceux qui devraient naturellement lui, fournir les renseignements les plus utiles. Il na pour guide dans ses recherches que les rares vestiges qui restent des édifices mi- litaires, beaucoup moins respectés par la guerre que les édi- ficôs rêligieuxe heureusement ces vestiges, que lon retrouve souvent sur des collines depuis longtemps abandonnées clos hommes, dénotent un plan généralement adopté. Ce sont des fossés, des remparts, des massifs de maçonnerie, mais dé- pourvus de sculptures et dornements portant le cachet du siècle; il faut avoir recours aux traditions locales, et aux in- ductions de la science. Daprès lauteur anonyme (le la vie de saint Léger, on né- levait pas de eunsiruclions militaires au Ne siècle; lors des invasions, les peuples de la Gaule se réfugiaient derrière les for- tifications laissées par les Romains. Au siècle suivant, la reine Bruncliaut se contenta dédifier plusieurs forteresses et den réparer quelques antres bâties naguère par les Romains (1). Plus tard, Charlemagne (2) prit les Romains pour modèles en tout ce qui concerne lart de la guerre, et nintroduisit aucune innovation dans la fortification des plades. Il se borna à défendre lembouchure des rivières, et n garder les côtes les plus exposées aux incursions normandes. Ces ouvrages mili- taires, établis dans la prévision dun danger momentané, étaient probablement de simples redoutes en terre, garnies de palissades, ou bien de petits forts entourés de fossés. Ils

(f) Grégoire de Tours. (2) Eehiriard. 2â ont été renversés, comme lempire de Charlemagne lui-mArne qui semble navoir été quun brillant éclair entre deux nuages. Lhistoire rapporte que les mesures prises par ce prince contre les pirates normands devinrent insuffisantes sous ses successeurs (1) et que ces pirates remontèrent fréquemment lEscaut, la Loire, la Seine et ses affluents. Vers la fin du X siècle et pendant le cours du XI0, de nombreuses forteresses surgirent de toutes parts. On peut assigner deux causes à lélévation presque simultanée dun nombre considérable détablissements fortifiés. Dans lorigine, les peuples riverains des fleuves se laissaient fréquemment surprendre par les invasions normandes, et payaient cher leur imprévoyance. On connaît la cruauté de ces pirates. Quand leurs petites flottes pénétraient dans une rivière, elles versaient sur les deux rives des bandes avides de pillage, qui dévastaient les campagnes, brûlaient les villages et em- menaient les habitants en captivité. Plus tard les populations, instruites par lexpérience, se tinrent sur leurs gardes dès que les hommes du Nord se montraient, dès que leurs barques paraissaient sur le fleuve, dès que leur cor divoire reten- tissait sur les rives, les habitants abandonnaient les villages et se réfugiaient dans la cité voisine ou dans le donjon le plus proche. lis comprirent alors quil y aurait avantage à bâtir leurs cabanes lombre de châteaux forts capables de les protéger et de leur donner asile. Cest ainsi que le peuple des campagnes favorisa lérection des demeures retranchées en sagglomérant autour delles. Les paysans, persuadés que cétait le meilleur moyen de se mettre à labri des incursions, aidèrent les seigneurs dans lorganisation de la défense coin-

(I) Annales de Saint-Bertin (collection Guizot). • -

- 25 mune.— La découverte de fortifications près des fleuves et des rivières du Nord et de lOuest de la Fiance vient appuyer cette première hypothèse. En second lieu, létablissement du système féodal en France - hérissa le pays dune multitude de forteresses dont on retrouve de nombreux vestiges. Au moment de la déposition de Charles-le-Gros, la France présentait laspect le plus triste. Elle était réduite à un tel état de faiblesse, dignorance de la politique, dopposition entre les intérêts des grands et ceux du peuple, quun gou- vernement central ne pouvait lui être daucun avantage. Ce fut donc tin événement heureux pour la société que la rupture du lien fédéral lors (le la déposition de Charles-le-Gros et le partage de lOccident en plusieurs monarchies qui bientôt se subdivisèrent de nouveau en un nombre infini détats plus petits. Alors naquit la féodalité, cette espèce dassurance mu- tuelle entre le fort, qui valait par lui-même, et le faible qui valait pal le nombre; noble souvenir du patronage , romain rendu par le christianisme, dune part pins loyal, de lautre plus dévoué, jusquau moment où il dégénéra comme toute chose humaine, et ne produisit plus dun côté quoppression et tyrannie et de lautre que révilte ou servilité. A cette époque de crise un grand nombre de seigneurs, dans le double but de sauver à la fois la société et leur puissance, firent un appel aux populations. Partout le seigneur offrit la terre au vassal qui se montrait prêt à la cultiver; partout il se contenta, en retour, dune légère prestation en denrées il lui demanda des services personnels au lieu dune rente fixe. Ces concessions si multipliées furent faites à des con- ditions différentes et à des hommes dordre différent. Tous ces hommes, dont la plupart avaient été destinés à vieillir Mont. 4 S dans le célibat, par suite du servage et de létat de guerre continuelle, furent appelés au mariage. 11 sétablit ainsi des rapports fort étroits entre le seigneur et le paysan, rapports qui pendant un certain nombre dannées concoururent à leur bonheur réciproque.— Ce bonheur aurait duré si la féodalité navait pas été détournée de son but. Mais pèur assurer efficacement celte protection du seigneur u vassal, il fallait, quon me passe le mot, un porte-res- pect; une barrière aux envahissements des états voisins. Le seigdeur et le vassal élevèrent des châteaûx fortifiés. Ce système de défense et tIc protection réciproque avait déjà été pratiqué, dans des proportions moins étendues, sous le règne dé Charlemagne ; à lexemple des Romains , Charlemagne confia la garde des limites tic lempire à des officiers su- périeurs, qui avaient le titre tIc comtes. Ces officiers firent élever des ouvrages militaires, et lon est autorisé à croire quils différaient peu tic ceux (les 10 et XI siècle ; mais les incursions multipliées des Normands indiquent assez quil y avait peu de châteaux fortifiés sur les côtes. Quoi quil en soit, puisque ces hardis aventuriers disparaissent après lé- tablissement de la féodalité, nest-on pas en droit de cou- dure quils- avaient trouvé une résistance qui les avait fordés de renoncer à leurs expéditions guerrières? • Examinons maintenant quelle était la disposition de ces édi&es militaires. Bu jour où la guerre séleva entre les hommes, les han- teurs furent naturellement adoptées tomme étant les lin si- tions les plus favorables pour établir des retranchements au moyen-âge, ainsi que dans toute lantiquité, on choisissait de préférence les caps ou promontoires formés par la jonction de deux vallées; la possibilité dinonder les plaines envi- 27 ronflantes en rendait lapproche encore plus difficile; aussi cest presque toujours sur des montagnes que nous rencon- trons les vestiges (les camps romains et les ruines des for- teresses du movefi-âge. Un rempart en terre, sans maçon- nerie, garni de pierres et le plus ordinairement de-haies, de palissades en bois, entourait ces châteaux forts; des fossés quelquefois creusés dans le roc en défendaient laccè. Voici quelques faits qui sont de nature à corilirmer notre opinion. - - « M. Mocke, (lit M. Peigné de Lacourt dans ses ingéniense et savants recherches sur la Chasse à la haie (I), attribue la terminaison latine en acum des nombreuses localités qui, dans la transformation en français forment à la finale y ou ay, an mot haya, quil rapporte aux haies de défense (2) ou haies fortes. Je crois quil faut y voir simplement la terMinaison celtique oc: beys. « Ce serait à ces haies (te défense que se serait appliqué - le passage du diplôme de Chailesie-Chauve, quand coprince voulut réprimer lempressement des seigneurs à sentourer de châteaux et de forts, ou au moins de haies fortes. Et vo-S lum.ns et expresse mandamns ut qui castella et firmitates, et haias sine verbo nostro fecerint... (3) » Le terme de haies est évidemment pris ici dans le sens de palissade plantée sur un fossé. « En lanée 1152, défense fut faite aux moines dEcharlis de détruire les haies ancenncment établies pour la défense des villages ; Excepta destruendis haiis titis quœ p-opter munilionem ville jam extilerint (4). » Voici quelques autres exemples tirés du glossaire de Du Cange.

(1) Page 19.— Paris, 1858, fe Bouchard-Huzard. (2) La Belgique ancienne, 1855. (3) Capitula Caroli Calvi, TU. 36. (4) qarL de lYonne.— La Chasse â la flair, p. 19. 28 Et avant tout quil nous soit permis de citer ce vers dAi- cuin qui rend si bien notre pensée

Ambit sylva locuin muri meutita Iiguram (I). Le bots qui lenvironne U la forme dun mur.

Baya, haie, est pris dans le sens de palissade: Ils pour- ront entourer la susdite place dun fossé et dune haie selon lassiette de la forêt. Quod totam diclam placeara... includere possint fossato et hayâ, secundum assisam forestie (2). llaia est aussi souvent employé dans la même acception militaire .11 fut palissadé et entouré dun fossé eFdune haie Vallatum fuit et inclausatum fossato, !taia et palitiis (3). Précédemment le même auteur avait dit en parlant dun autre château : Qui est protégé par un fossé ou par une haie. Quod valtatur fossato vet heya (4). Limportance des places na pas toujours déterminé lem- ploi de la pierre de préférence au bois ; les seigneurs subis- saient linfluence des nécessités locales, et dans beaucoup de contrées on ne trouvait que très diflicilement des matériaux et des ouvriers propres à ces sortes de travaux. Ernold-le- Noir, au 1X° siècle, nous assure que de son temps les plus importantes forteresses étaient simplement entourées de pa- lissades et de fossés. Au centre de lenceinte et quelquefois au fond sélevait une éminence en terre arrondie, la plupart du temps faite de main dhômmes, et sur laquelle on cons-

(t) In Auticlaudiano, Lib. I, Cap. 3. (2) Monasticum Anglic. T. I!, p. 273. (3) TU. Etount in Nomolex Anglic. ex Bracton. Lib. 2. Cap. 40. 3. (4) TU. lilount in Nomoltix AnIic. ex Bracton. Lii). 2. Cap. 34. 1. 29 truisait la citadelle ou donjon (1). Cette sorte délévation sappelait Motte et présentait la figure dun cône tronqué. Le donjon, tour ronde ou carrée, bâtie en bois ou en pierre, était distribué en plusieurs étages, et assez élevé pour per- mettre de découvrir une étendue considérable de terrain. On creusait presque toujours sous le donjon des prisons, qui plus tard reçurent le nom doubliettes (2). La forme des châteaux a varié suivant la configuration des terrains sur lesquels ils étaient établis.

II.

Passons maintenant à létude particulière du château de Gannelon.

(t) Disposition dune forteresse du X° siècle.

ru À Tour ou donjon.

B Fossé du donjon.

C Enceinte défendue par un parapet garni de F palissades ou de baies. E Fossé.

F Parapet garni de palis- sades ou de haies et quelquefois de pierres.

(2). Notamment dans les châteaux des XIll° et XlV siècles comme h Monlespiloy, Coucy et Pierrefonds. - Au mllieudtm petit boi (1), un triple tdianchemeïQ de forme citctilaire se présente à nos regards; malgré laction destructive des siècles, cet ouvrage nhilitaiÈe offre encore dans son ensemble lin aspect réellement imposânt. Sur :le point du plateau le plus rapproché de la vallée, un fossé où plutôt des portions de fossé presque partout comblé, forme la première enceinte du donjon. Derrière est une levée en terre, brge de soixante-quinze à quatre-vingts pieds. La deuxième enceinte se compose dun fossé qui entouré le banc de roche: il a vingt pieds de largeur sur quinze de pro- fondeur ; derrière ce fossé, une levée ou rempart en terre, large denviron quatre-vingt-dix pieds, se prolonge à droite et à gauche, de manière à rejoindre la pente de la montagne, qui, par sa rapidité en cet endroit, devient une défense na- turelle. Cette levée, comparable au L0RICA des camps ro- mains, domine de quinze pieds le plateau adjacent. La troisième enceinte , comme la première, un rossé et un rempart; le fossé n vingt-cinq pieds environ de profondeur sur une largeur de Vingt pieds; le rempart domine de plus de vingt pieds la levée que nous venons de décrire. Enfin sélève une plate-forme demi-circulaire qui a environ trois cents pieds dans sa plus grande largeur, depuis son rempart jusquau bord du côteau. Laire du fort sincline au Nord-Ouest sensiblement; au reste de ce côté, il ny uni fossé ni rempart; la forteresse sur les deux tiers de sa circon- férence était défendue par la pente très abrupte de la mon- tagne. Tous les travaux paraissènt avoir été concentrés vers

(1) Depuis que cette description n été composée, M. le baron de Lagarde, propriétaire du cbMii. dMoel. n fait couper ce bois, eu sorte que lon çlistingue parfaitement les circouvallations,de ce travailfortillé. - 3. de le plateau Gannelon et de la plate-forme 011 planait sur le sol dune élévation de quarante pieds. La principale entrée se trouvait au bord du » vallon, vers la partie de lenceinte extérieure faisant face au milieu du plateau de la montagne. Pour masquer cette entrée, on avait élevé un ouvrage avancé. On voit en effet sur la gauche un tertre de forme conique nommé Cavalier, il dépasse de quinze pieds la hauteur de la levée extérieure; il se rattache à la base de cette levée par un petit prolongement de son esplanade; Aussi, selon toute apparence, était-cc là lentrée principale du fort, et le chemin qui du bas de la montagne y aboutissait, est encore très facile à reconnaître. Ajoutons que cette partie du Gannelon est en outre défendue par la rivière dAronde qui coule à sa base.

III.

Diverses opinions ont été émises sur làrigine du: château de Gannelon. - Dom Grenier (1) voit dans cet ouvrage militaire le pré- toiredu camp romain, situé à lautre extrémité de la mon- tagne. M. Graves, dans sa statistique du canton de Ressons, dit que, de tout temps, ces travaux ont été regardés comme étant les restes dun camp romain. La carte topographique, publiée par le ministère, de la guerre, indique n cet endroit un camp romàin., Le baron de la Pylaie à considéré cette position comme ayant été occupée par un camp gaulois (2).

(1) JnItodùction àlHistoire générale dola Picardie, 1lepaitle. (2) LdrSe, nG du 6 mai 1838: 32 Cest en vain que nous avons réclamé lappui des divers auteurs qui ont écrit lhistoire de Compiègne et de ses en- virons: ils ont évité de se prononcer sur le point qui nous occupe. Enfin la tradition y met un château fort. Examinons ces différentes hypothèses. Pour admettre lopinion de Dom Grenier, il aurait fallu que le savant bénédictin nous prouvât, dabord, que les cas- tramétateurs pIaaient 4uelquefois le prétoire à des distances assez considérables des camps, ce qui est inadmissible. - Polybe et Josèphe nous apprennent au contraire que le pré- toire était toujours établi dans lintérieur des camps, vers la partie la plus élevée, doù le général pouvait voir le pays. Ce serait tout au plus un ouvrage avancé, niais nous dé- nontrerons bientôt que ce fort est postérieur à loccupation romaine. Lopinion qui place ml camp romain en cet endroit me paraît être le résultat dune méprise. Aussi M. Graves est-il revenu en 1839-sur celte quil avait émise précédemment. « On a coutume, dit-il, dappeler aussi camp de César une enceinte située sur le promontoire du Mont Gannelon qui savance vers Coudun; elle est défendue par des talus naturels très escarpés et par un double fossé creusé aux dépens de la roche vive et au moyen duquel elle se trouve isolée du plateau ; on assure toutefois que cétait le siégé dune forteesse du moyen-âge (1). Depuis 1839 les doutes de M. Graves paraissent sêtre

(1) Notice archéologique sur le département de lOise, page 51. 1839. 33 changés en certitude (1). « Nous ne pouvons voir, dit-il, dans cet ensemble que des vestiges dun établissement for- tifié, datant dun siècle quelconque du moyen-âge, et si la qualification de camp romain lui a été longtemps appliquée ou maintenue, elle doit provenir dune confusion faite avec dautres vestiges à une époque eu lon ne savait pas encore distinguer 1ge des monuments par leurs caractères exté-. rieurs. » Dirons-nous avec M. de la Pylaie que ce sont là tes restes dun camp gaulois? Non, car la manière dont lestravaux ont été exécutés, le peu despace quils embrassent, et lotir 1m- portance relativement au terrain quils occupent, attestent dans lart de la fortification des connaissances étrangères ces peuples. Dailleurs les auteurs sont unanimes pour at- tester que la fierté de nos ancêtres les toujours empêchés de se fortifier sérieusement. Nous pourrions citer à lappui de cette assertion divers textes de César, (Guerre des Gaules) et de Plutarque, (Vie de Marius). Nous nous contenterons du passage suivant de Sidoine Apollinaire; il est relatif a la dé- faite de Clodion par AiLius « Les Franks avaient placé leur camp, fermé par des chariots, sur des collines près d½ine petite rivière, et se gardaient négligemment à la manière des barbares, lorsquils furent surpris par les Romains sous les ordres dÂtius (e). » Tacite nous dit quils présentaient aux ennemis le rempart de leurs corps. Linexactitude remarquée sur la carte du dépôt do la guerre est la conséquence des renseignements incomplets

(1) Notice archéologique sur le d4partcment de lOise, page 112, 2 édition. Beauvais, 1850. - (2) Sidon ÀpelinarisCavin5n paneg. Majoriani. Mont. ( 5 D donnés sur les lieux mêmes aux officiers détat-major chargés de la levée des plans. Vient ensuite la tradition qui place un châtèau fortifié sur ce point de la montagne; Le peuple est poète à sa manière, et lés souvenirs populaires, comme cela arrive souvent, ont embelli la réalitée Ils ont peu à peu converti une forteresse de terre en un château-fort semblible à ceux de Loches et de Pierrefonds. Cependant, le parfait état des retranchements prouve suffisamment quil na pu y avoir là un véritable châ- teau-fort construit en pierre il en subsisterait encore des vestiges, tandis que, sur les parapets, on ne découvre pas le moindre fragment de brique ou de pierre taillée. Il y avait, il est vrai, un puits maçonné dans la plate-forme centrale, mais personne nignore que ce fait a souvent été constaté dans les anciens camps retranchés. La nécessité où lon était de conserver leau dans les lieux fortifiés a naturellement conduit à un travail tout exceptionnel pour obtenir ce précieux résultat. Nous verrons bientôt que les ouvrages militaires analoguS, au fort de Charlemagne, étaient pourvus de puits presque toujours maçonnés. Néan- moins, lexistence dun puits, le parfait état de conservation des retranchements et ladmirable situation de cette petite for- teresse attestent limportance que nos ancêtres attachaient à sa position. Le puits a souvent attiré lattention des dnti- quaires; ainsi, M Pannelier, ancien propriétaire du château - dÀnnel, opéra, en 1186, une fouille qui fut poussée jusquà une profondeur de cent vingt-cinq pieds et qui ne donna aucun résultat important. Une autre fouille, entreprise en 1819, na pas été plus heureuse; au: reste, le travail sest arrêté à une profondeur de trente pieds. Il paraît que ce puits na jamais pu donner deau ; car, 85 arrivé à une profondeur de cent vingt-cinq pieds, t Panne- lier a trouté un sol dune consistance trop dure pour avoir pu être traversé à une époque où les instruments de forage nétaient pas encore perfectionnés. Ainsi de tous les restes du château Gannelon ou fort de Charlemagne, le puits seul offre des traces de construction en pierre; on a remarqué quil était maçonné à sou ouverture dans une profondeur de sept à huit pieds; Il était spacieux à lintérieur, puisquà vingl-cinq pieds de profondeur, il est large de dix-huit pieds. Il a été comblé après la dernière fouille. Nous avons cherché à découvrir quelle était lopinion des auteurs anciens sur lépoque de la construction de cet ouvrage militaire, sur sa destination primitive et sur les événements dont il a pu être le théâtre. Nous navons absolument rien trouvé dans les ouvrages imprimés ni dans les manuscrits relatifs à Compiègne et à ses environs ; seulement nous avons pu consulter deux cartes anciennes qui se trouvent à la biblio- thèque de cette ville. Sur lune, qui ne poile ni date ni nom dauteur, lemplacement dont il sagit est appelé le fort Char- lemagne; sur lautre, la moins ancienne, (signée Liébaux et datée 1700), on lit Tour ruinée du temps de Charlemagne, ce qui, convenons-en, nest pas très-clair, car lauteur a pu vou- loir dire Tour ancienne, ruinée du temps de Charlemagne, ou bien, Tour du temps de Charlemagne, ruinée de nos jours. Ces cartes doivent avoir pour nous une certaine importance, surtout celle de Liébaux. Il me semble que ce géographe, qui a dressé plusieurs cartes de cette partie de ]lie-de-France, notamment celle de la forêt de Compiègne, a dû sentourer de tous les renseignements que pouvait lui offrir le pays et, par conséquent, quil nest pas sans présenter une certaine autorité. go Ces démonstrations viennent en aide alopinion qui rattache ces travaux à lépoque du moyen-âge. Quant à la tradition qui fait remonter au règne même de Charlemagne le château de Gannelon, nous pensons quelle est du nombre de celles qui placent un ouvrage ancien, et dont la date est inconnue, sous le patronage dun grand nom. Cest ainsi que les camps romains sont tous attribués à César. La voix populaire ne dit ici que la moitié de la vérité, Bientôt nous examinerons les différentes traditions répan- dues dans les environs de Compiègne sur lorigine du château de Gannelon. Disons en passant que, si le nom de Gannelon ne rappelle quune fable assez longtemps admise comme une vérité historique, il sert au moins h établir que louvrage mili- taire qui nous occupe date du moyen-âge, car il est rare que la tradition, souvent mailresse derreur, comme dit Pascal, ségare entièrement; elle se trompe parfois sur le personnage, rarement sur lépoque elle attribuera peut-être un jour à Napoléon les victoires de Jeinmapes et de Valmy, mais elle saura bien quelles appartiennent à la révolution française rarement elle se fourvoie aussi complètement que ce grec, qui, décrivant à Chateaubriand la bataille de Sâlamine, lui parlait des infidèles et des chrétiens.

Iv.

Mais ce qui vient surtout à lappui de lopinion qui ferait. remonter le château de Gannelon.au moyen-âge, cest la décou- verte de forteresses analogues dont en a trouvé les restes en Normandie et dont la construction est fixée à cette époque de lhistoire par des auteurs contemporains et par des titres 37 écrits. M. de Caumont en a signalé un grand nombre; nous parlerons ici de quelques-uns des plus remarquables. Dans le départenfent du Calvados, on trouve, sur la limite de la forêt de Saint-Sever, lemplacement dun château qui appartenait vers le XP siècle aux vicomtes dAvranches. li est situé sur une langue de terre formée par la réunion de deux vallons étroits qui se terminent en pointe ; lensemble de cet ouvrage militaire n la forme dun coin. On voit un double rempart du côté qui touche au centre du plateau; lautre extrémité est défendue naturellement par la pente rapide de la montagne. Au milieu de la plate-forme , on ren- contre les restes dune motte que devait surmonter un donjon. Au pied de la montagne se trouve un étang alimenté par un ruisseau. Des dispositions semblables se remarquent au château de Briquessart-Livry (Calvados) ; un double retranchement pro- tégeait la forteresse à lest, tandis que le côté ouest dépourvu de travaux était défendu par un ravin au milieu duquel coule un ruisseau. Le petit château-fort dOnde-Fontaine (Calvados), a beau- coup danalogie avec celui du Gannelon ; il est situé sur la route dAulnay au Mesnil-Ozouf. On voit un double retran- chement en forme de croissant à lOuest. Ces remparts nexis- tent pas au levant parce que la vallée offre une pente assez rapide pour servir de défensé naturelle. Au milieu de la plate- forme est une motte avec un puits au centre. Le bas dc cette colline est baigné par un ruisseau. On a trouvé en Normandie des restes évidents de digues en terre élevées dans des vallées que commandaient des for- teresses pareilles à celles dont nous venons de parler. Au mois daoût 1$58, pendant un assez long séjour au BS château du Petit-Paris (1), jai eu loccasion de découvrir un ouvrage militaire qui a quelque analogie avec celui du Mont Gannelon, quoiquil soit moins important CL surtout daïis une situation beaucoup moins favorable. En traversant la Garenne, bois voisin du village de la Croix (s), japerçus, au milieu dun épais taillis, un fossé de trois n quatre mètres de profon- deur sur une largeur à peu près égale, se prolongeant à droite et à gauche autour dune âgglomération de terre large de vingt-cinq à trente mètres sur une longueur de soixante- quinze mètres environ. A lune des extrémités de la plate- forme se trouve une excavation large et profonde doù, ma- t-on dit, on a retiré des moèllons. Le milieu de . la plate-forme, est un peu plus élevé que le reste. Enfin il-règne autour de ce petit plateau un bourrelet en terre qui a cM servir à- la plan- tation dune palissade ou dune haie vive. Cà et là se voient plusieurs chênes qui ont au moins trois cent cinquante- à quatre cents ans. - - Ce travail en terre, qui nest indiqué mille part, pas même - sur la carte du dépôt de la guerre, a nom. de Chûteau-Renard. Jai vainement interrogé la chronique du pays sur une appel- lation qui est commune .à beaucoup dautres établissements analogues situés dans des localités fort éloignées les unes des autres, sur lorigine du Château-Renard, sur ses seigneurs. Les uns disent que ce château sappelait Renard, du nom de son fondateur. - Mais quel est ce seigneur? - Les autres affirment que ce lieu servant de refuge aux renards, a gardé le nom de ses habitants. A défaut dexplications satisfaisantes, je dus passer outre.

(1) Commune de Iouy.Ie-Châtel, canton de Nangis (seine.et.Marne). (2) Canton de Nangis, arrondissement de Provins. - 89 Je crois, après examen, que ce donjon en terre doit remon- ter du X au Xie siècle et quil est contemporain du château de Gannelon; il n, comme ce dernier, le galbe (les établisse- Sents militaires de cette époque. On prétend que la partie inférieure de la motte du Château- Renard donnait entrée dans de vastes souterrains; nous nen avons remarqué aucun indice, à moins toutefois que cette entrée ne se trouvât dans lexcavation signalée plus haut. Laccès de ce petit fort était défendu par plusieurs pièces deau dont on retrouve encore la cavité dvant et derrière. - Cest à une lieue du Château-Renard que se trouve le village de Châteauhleau dont jai parlé plus liant (1). Il est inutile de multiplier davantage les exemples pour faire comprendre que ces châteaux-forts ont entre eux une grande analogie. Disons cependant quon remarque au château de Plessis (Manche) un système de défense inusité dans les édifices mi- litaires déjà mentionnés, cest une sorte de cône tronqué en terre situé devant lentrée principale et seivaut à la dissimuler. Lesconstructions que nous venons de décrire, et qui, da- près les chroniques locales; remontent au X et Xie siècles, ont une parfaite similitude avec le château de Gannelon. Ce- Itu-ci en effet se montre à nous environné dun triple rempart en forme de croissant. On y voit une plate-forme où élevait probablement autrefois une tour en bois; si elle avait été en pierres, il en resterait encore quelques vestiges. Un puits pro- fond (2) et large, creusé sous le donjon, a peut-être servi de pr-

(I) Page ii. Voir sur le même sujet lUnivers du 30 octobre, le Journal de larrondiseetn eut de Provins, du 5 novembre, 1858. (2) Voir la légende du puits du fort de Charlemagne, h la fin, hO son, car jamais il nà pu donner deau, comme on la démontré. L1 usage de renfermer les prisonniers dans les puits taris est bien ancien. Cest clans un puits sans en que Joseph fut des- cende par ses frères, pendant quils délibéraient sur son sort. Cétaient aussi des puits sans eau que ces prisons souter- raines creusées sous la plupart des châteaux-forts des XIIIe et X1V0 siècles. • Mais ce nest pas seulement •en France que lon voit des travaux en terre semblables à ceux du Mont Gannelon. On a trouvé en Afrique, dans la province de Constantine, •des • redoutes en terre à trois enceintes présentant une grande analogie avec le château de Gannelon et remontant à une époque du moyen-âge contemporaine de lélévation de ce dernier. - Ajoutons que lentrée du fort de Charlemagne est défendue par une sorte dAgger ou Cavalier, large pyramide formée de terre battue ; que le pied de la montagne est baigné par lAronde, et quau moyen de digues, il devenait facile dinon- der la vallée. Nie suis-je donc pas autorisé à classer le château de Gannelon au nombre des forteresses du moyen-âge? A quelles circonstances ce donjon doit-il sa construction? Deux -hypothèses se présentent ; voici la première. Si Fou en croit les chroniqueurs, vers le Xe siècle, les barbares du Nord, remontant lOise, vinrent à plusieurs re- prises et notamment en 900, sous le règne tIc Charles-le- Simple, brûler Compiègne et ravager les pays environnants les femmes , les enfants et les vieillards navaient dautre refuge que les profondes carrières de la montagne appelée les Creules; laccès en était sans doute vaillamment défendu par les jeunes hommes de la contrée, mais cette position noffrait pas de ressources suffisantes pour résister aux ennemis, aussi Al pense-t-on que les incursions des Normands firent sentir la nécessité délever le fort que nous. yen ons détudier. Voici noire seconde hypothèse, que la suite de cette mono- graphie se chargera dappuyer. Etabli o lorigine de la féodalité pour protéger et défendre les populations, ce donjon servit plù tard de repaire -à quel- ques-uns de ces seigneurs pillards et débauchés que le moyen- âge a souvent appelés Cannes ou Canetons, à celte époque, où, détournée de sa route véritable, la féodalité nemployait sa puissante organisation 4uà opprimer le peuple. Alors la féo- dalité nétait plus une protection, mais une tyrannie. Alors la France se couvrit de châteaux de Cannes, de monts Gan- ijelon, repaires de crimes dont heureusement le souvenir seul a survécu et fait encore la terreur des veillées du village. Mais à brebis tondue, Dieu mesure le vent. A cette époque on vit surgir une sorte de contre féodalité qui, seule pendant plusieurs siècles, tint en échec la féodalité soit Cette institution admirable, cest la trêve de Dieu si féconde en grands résultats que M. Ernest Semichon a fait ressortir dune manière si lumineuse dans ses recher- ches sur la paix et la trêve de Dieu (1). De cette seconde étude il nous parait résulter 10 Que, vers le côté nord dit Gannelon, on trouve les restes évidents dun château-fort remontant au Xe et au XI siècle, époque probable de la plus grande importance de cette position militaire;

(I) f vol. in-8, Didier et Cie, édiic,rs.— Paris, 1857. - Dans sa séance solennelle dii 12 novembre 1858, concours des antiquités nationales, tÀca- démie des Inscriptions et Belles-Lettres a décerné h lauteur de ce religieux et savant ouvrage ta deujièrne mention très honorable. Mont. 6 2 Que la tradition qui considère ces travaux comme con- temporains de Charlemagne et leur donne le nom de ce prince, nous parait erronée, attendu que plusieurs ouvrages analogues et ayant une date précise ne remontent pas au-delà du X ou du XP siècle. Telle est, selon nous, lorigine (les ruines qui nous occupent, ruines postérieures aux Romains et à Charlemagne, débris dun monument élevé dabord pour-protéger le peuple contre les invasions étrangères et qui ensuite [ut destiné à loppri- mer comme nous le montrerons bientôt. Il TROISIÈME PARTIE. flecherche,g historiques sur IorigIne du nom de Cannelon.

Les données de lArchéologie nous ont permis de circons- crire entre le Xe et le XI siècle lépoque à- laquelle remonte le château de Gannelon ou fort de ChaIetnagne, que nous VellOfiS détudier. Nous devons maintenant rechercher lorigine de ce nom et de cèlui que porte la montagne. Quoique touchant à différents points de lhistoire générale de la France, ce travail pourra, nous lespérons, fournir dans sa spécialité des aigu- monts en faveur de notre opinion sur la date de la construc- tion du château de Gannelon. « La science historique, dit le savant auteur de lHistoire générale de lEglise, nest pas res- treinte à un ordre systématique de faits généraux, qui ne mettrait en saillie que les plus grands noms et négligerait, dans une ombre obscure, les services utiles, niais moins con- nus. Ce serait bien mal juger une époque, que de lisoler ainsi de son mouvement -général, pour la concentrer tout en- tière dans une seule figure historique; et, à lexception des quatre ou cinq héros qui, dans la suite des âges, ont eu la gloire de donner leur nom à leur siècle, comme. ils avaient communiqué leur vie à leurs contemporains, lhistoire nac- cepte pas les personnifications arbitraires quon voudrait lui imposer. Elle réserve à chacun sa place dans ses annales, comme chacun avait sa part de la lumière, de la vie, de lac- tion, du mouvement, dans le temps où il vivait (1). » Nous

(1) Rapport de M. labbé J. E. Darras sur tin ouvrage de M. J. 13. Andrini, intitulé: la Vie et tes temps de Ferrero Poniigtione (XVii siècle) premier conseiller et auditeur général du prince cardinal Maurice de 5avoie.— Inves- tigateur, journal de linstitut historique, du mois de mai 1858. !ià sommes dailleurs conduit naturellement à ces faits généraux par lexamen des diverses traditions répandues dans les en- virons de Compiègne sur le nom de Gannelon. - Etudions donc lorigine -de ce nom dabord au double point de vue de lhistoire et de la tradition et voyons comment il a été donné à la montagne. Dans une quatrième partie nous invoquerons sur cette même origine l& témoignage et lappui de la linguis- tique. Lorsque des faits sont exposés par des auteurs sérieux, il arrive trop souvent quon les accueille sans examen, au lieu de remonter à la source des traditions populaires dont ils doivent émaner. Cest ainsi que les erreurs historiques les plus graves se transmettent avec une bonne foi déplorable. Sans doute, les erreurs qui ont pu être commises en traitant le sujet qui nous occupe noffrent pas grand danger, niais il est tou- jours utile de chercher le vrai en toutes choses et nos études sur lorigine du nom de Cannelon •nous ont démontré que lon a admis sans conteste des faits qui auraient été rejetés si lon avait consulté les annales du temps où ils se sont passés. Examinoiis successivement les diverses traditions admises dans les environs de Compiègne sur le nom de Gannelon. Ganneloi, suivant les titis, était un capitaine romain qui fut chargé, de garder le poste militaire connu depuis sous son nom. Sil en était ainsi, comment nest-il pas cité dans lhis- toire de la domination romaine en Gaule? on nen rencontre aucune trace; et cependant il a dû avoir une certaine célé- brité, puisque, comme le le dirai plus tard, on retrouve son nom dans des pays fort éloignés les uns des autres. Il mest donc permis de ne point adopter cette assertion qui est dénuée de toute vraisemblance. Daprès une autre tradition, cette montagne tire son nom de â5 luh des douze pairs de Charlemagne, nommé Gannelob. En PIS, époque où cet empereur porta la guerre en Espagne, Gannelon, son favori, livra, pour une somme dargent, larmée • françaiseà Marsile (I) ouMarseille, roi des Sarrazins, et causa, par jalousie, la mort (lu neveu de lempereur, Roland, ainsi (lite celle dun grand nombre de paladins. Charlemagne lit sai- sir le coupable et lenvoya à Compiègne, où il fut enfermé dans un tonneau garni de pointes en fer, -et précipité ensuite du haut- de la montagne qui commande le pays. Ainsi le nom du traltre, que conserva la montagne, perpétua le souvenir du châtiment (2). Ceci est conforme aux récits des romans de chevalerie en ce qui concerne la trahison de Gannelon. Quant à la relation du supplice subi à Compiègne, elle ne reposé que sur des tradi- tions locales. II est assez bizarre que cette tradition fasse subir au traître Gannelon les mêmes tortures que, selon les histo- riens romains, Régulus aurait souffertes pour navoir pas voulu trahir. - - -

(I) On sest demandé longtemps ce que pouvait être ce roi musulman, du nom de Marseille, dont lhistoire noffre aucune trace, mais dont on retrouve le Dom h chaque couplet dans les chansons de gestes de Roncevaux et dans les légendes de nos pères. Voici lue explication que nous avons entendu donner par M. Pantin Paris, au Collège de France. De larabe Ben-Omar, qui signifle Lits dOmar, on aurait fait successivement en latinisant cette expression Orner filins, Marfihius, et, sans doute par une erreur de co- piste, assez probable eu égard aux connaissances du temps et ii létat matériel de la calligraphie, friarfilius, doù Manille, Marseille, Marsil- lions, etc., etc. (2) Une autre version locale rapporte que Ganneloà était un traltre qui fut condamné pour sa félonie h être lapidé par te peuple et que la montagne qui a reçu son nain a été formée par lamas de pierres sous lesquelles il a succombé. - AS. Des écrivains sérieux ont répété cette légende daprès les romanciers, ainsi nous lisons dans Guillaume l61)reton (1). « Une semblable ardeur animait Charles se rendant sur les terres dEspagne, alors que séduit par les présents (lu roi Mai-. silius le misérable Ganélon avait trahi les escadrons français, car Chai-les désirait vivement tirer vengeance de cette hor- rible scène de carnage dans laquelle le prince Rolland, à la Mute de brillants combats, et ces douze chevaliers dont la va- leur faisait lhonneur de la France, succombèrent sous les mains sanglantes des Sarrazins, et ennoblirent de leur sang généreux la vallée de Roncevaux. .» Si lon sen rapporte à la chanson de Roncevaux (2), ce nest pas la cupidité dé Gannelon, niais cest un sentiment de vengeance personnelle contre Roland lui-môme (lui le poussa à consommer sa trahison. Je vais analyser succinctement sur ce point la chanson de geste, pour réfuter ce que dit ici Guil- laume le Breton de la séduction exercée sur Gannelon pat- les présents du roi Marsille., Noublions pas quil sagit dunê lé- gende, mais dune légende qui sest gravée dans la mémoire des peuples et sest perpétuée jusqu"a nos jours. Il y avait déjà six ans que Chai-les était en Espagne, lorsque le trouvère commence la narration des faits,

Sis ans toz plens a esté en Fapaigne. (.0 Coup. V. 2). il arrive devant Sarragosse où commande Marsille le roi des

(f) Culittaunie le Breton, (XII- siècle., Pliilippide, 3e chant, page SI. Ed. Guizot, tom 12 de la collection. () Chanson de Roncevaux, poème épique du X siècle, de Titéroulde, refait au XII Ù, siècle, induit et commenté loir M. Pauiit, Paris, de rinstilui, en 1853 au Collège de France. Les Uagments que nous citons ici appar- tiennent au poème du XIII siècle. - Sarrazins et na repos ni trève quil ne se soit emparé de sa personne. Ne poit durer que Cluaties ne le saigne, Car il na lioni q!i lui servir se faigne Fors Cainelon qeil tint pot engeigne. Jamais nest jar que li Rois ne sen pleigne. (i Coup. y. 9 h 12). On voit que dès labord le poiite ne nous donne pas une fort bonne idée de Gannelon que le Roi tient pour un rusé trompeur, et dont il a chaque jour à se plaindre. Au deu- xième couplet, la chanson de geste nous représente Marsille, le musulman, assis à lombre dun olivier, entouré de ses offi- ciers et leur demandant des conseils pour marcher contre Charlemagne et arrêter ses progrès. Blankandins, un de ses conseillers, lui dit Mandez h Chaflon lorgoilloz et Io fier, - Foi et sale par vostre mesajer. (ni Coup. Y. 5). envoyez-lui en présent des faucons, des destriers, des meutes, cinquante chars tous chargés de fins besans dor pur et quil sen aille en France, jurez-lui quà la fête de S. Michel vous lui rendiez hommage et gouvernerez en son nom lEspagne tout entière. Quon lui donne des otages, mais la S. Michel arrivée, quil nait point de nos nouvelles. Il décapitera les otages, mais il aura quitté notre pays et mieux vaut leur mort que la perte du royaume dEspagne. Ce conseil tout déloyal quil était, neman- quait pas dune certaine grandeur, car Flankandius proposait (le livrer son propre fils à Charlemagne au nombre des otages. Ce qui fut dit fut fait. Les messagers se rendirent auprès de ce prince chargés de présents et lui promirent que Marsille se ferait baptiser à laS. Michel. A ce discours, lempereur dit le texte: un petit se pensa, Sa costume est qe par loisir paria.

t AS Charlemagne, après avoir ordonné de traiter magnifiquement ses hôtes, assemble son conseil, expose à ses barons les cuver- turcs qui viennent de lui être faites au nom du roi Marsiile et finit par leur avouer quil ne sait trop quel parti prendre. Le preux Roland, enflammé dune généreuse ardeur et nécoutant que son mépris pour linfidèle, sécrie quon aura grand tort de sy fier RespontRollans Certe mer le crérez. (mil y . Il). Puis il développe ses raisons dans un discours plein de gran- deur et de noblesse. Toute cette scène et celles qui suivent sont magnifiques, cest vraiment le ton de lépopée la pins cheva- leresque. Pendant que lempereur réfléchissait sur la décision quil devait p!endre, Gannelon se leva au milieu du silence général et dit « que celui qui conseillait de ne pas ajouter foi à la parole et aux promesses du roi Marsille se souciait peu du sang chrétien, mais quilfallàit abandonner les airs des or- gueilleux et des fous et sen tenir à celui des sages. A ces mots, grande agitation dans lassemblée; on propose néanmoins denvoyer un messager à Sarragosse; et, comme tous les chevaliers se disputent cet honneur, Charles sen remet au choix de ses preux, les priant de lui désigner un homme de grande noblesse qui le représente dignement auprès de son ennemi Roland alors saisissant loccasion de se ven- ger des injurieuses paroles que Gannelon vient (le prononcer contre lui, répond avec ironie. Guenelon Sire per son fier vasalage. (xxv. 9). Gannelon ainsi désigné reçoit de lempereur le bâton et le gant, comme marque de sa mission et part avec de nombreux présents pour le Sarrazin, mais noir avoir auparavant exhalé, dans une centaine de vers, sa colère contre Roland 119 qui, dit-il, lenvoie à la mort, jurant que celui qui la frri1 nen rira pas longtemps,

Cex qi ma irié j aeri ira riant. il fait pourtant ses préparatifs en vrai chevalier, priant Dame saizwte Marie, et confiant au Roi, sil vient à mourir, en son ambassade, sa femme, son fils, son neveu et le soin de faire chanter des messes pour le repos de son âme.

En don ce France Soi gnor quand vos irez, 0e moto part ma rnoilliei saluez, Et Pinabet mon neveu nobliez Et bauduin mon fils qe vos savez, Celui aidiez et shonorIi gardez; lor ta mole âme misses Cantor ferez, (xxxi coup. y. 24).

Gannelon part donc roulant dans son esprit mille projets de vengeance, niais, et cest ici un trait remarquable de cette épopée si pleine de grands sentiments, comme sa vengeance est toute personnelle et ne.metiace que Roland, il noublie pas quil représente le roi de France, et en présence du Sana- zin il défend la cause elles intérêts de sa patrie ; il tient à Marsille un langage où respire la noble fierté dun loyal che- valier. Bref, il réussit à accommoder toutes les susceptibilités des deux rivaux et Charlemagne rentre paisiblementen France, Mais Gannelon se souvient de sa vengeance et attend que le gros de larmée ait franchi les défilés. Se trouvant avec Ro- land à larrière-garde, il se sépare (le lui, excite les Wascons Fraiçais et Espagnols à la révolte, et livre ce combat où périt Roland et qui met fin à ce grand drame dont lintérêt ne se ralentit pas un instant. Voilà ta légende, il est temps de revenir aux chroniqueurs et aux historiens. Mont. - 7 D

Seau de Serres, dans son Inventaire général de lhistoire de France, a répété cette fable; il termine ainsi le récit de la ha- taille de Ronéevaux. « Charlemagne adverty de cette tant et inopinée et estrange perle, retourne en diligence etchastie les Sarrazins dont il tua un nombre infiny sur les lieux fit tirer à quatre chevaux le traistre Gannelou, convaincu davoir pratiqué ce malheureux eschec. » Au commencement de ce siècle, Rocquefort, dans son Glos- saire de la langue romane (1), et, de nos jours, M. le baron de la Pylaic et M. Edmond Lafond renouvellent lerreur de Guil- laume le Breton, de Jean de Serres et de tant dautres que • je nai pas nommés. « Au reste, dit M. de la Pylaie (g), si les localités qui nous rappellent ce lieutenant de Charlemagne -sont fort communes en Fiance ; la défaite de larrière-garde de larmée française dans la plaine de Roncevaux, par la tra- hison du favori de lempereur, a flétri pour jamais le nom de , « Au sommet de la citadelle de Gaête, dit M. Edmond La- fond, on aperçoit la tour pittoresque quon nomme encore Tour de Roland; le souvenir du vaillant neveu de Charlemagne est populaire en Italie. Ici les deux noms de Roland et du Connétable rappellent la défaite de Roncevaux et la défaite de Pavie, toutes cieux dues à deux traîtres qui ont passé aux Es- pagnols ; le traître Ganelon et le traître Bourbon (3). » On a lieu de sétonner que ces divers auteurs naient pas pris la peine de recourir à des sources plus certaines. Voici

(1) T. I, p. 664. (2) journal lArmée, 8mai 1838. (3) Borne, lettres din pèlerin, tom. 1, page 217, Paris, iSSG.

Il les faits daprès Eghinard : historiographe et secrétaire de Charlemagne. La dynastie des Abassides avait supplanté, en Orient, celle des Ommiades, elle lialifat, fixé désormais à Bagdad, par- venait, sous Almanzor, au plus liant, degré de puissance. Au uni des Abassides, Abd-el-llhaman possédait le Kalifat de Cordoue. Néanmoins, quelques émirs partisans des Ommiades refusaient de lui obéir et ils demandèrent lappui de Charle- magne. Ce prince, qui yoyait avec plaisir les divisions de lislamisme, dont il espérait profiter, se rendit à cet appel, et entra en Espagne avec deux armées au mois de mai 178. Charlemagne descendit par le port de Roncevaux dans la \Yasconie Espagnole (Navarre), et sempara de Pampeluûe il se présenta devant Sarragosse qui parvint à léloigner moyennant une grosse somme dargent, et qui, depuis, a si héroïquement résisté aux descendants de ces mêmes franksr conduits par tin autre Charlemagne. Les légions frankes regagnèrent Pampelune et rentrèrent dans les gorges des Pyrénées. Mais la trahison les attendait au retour. Des milliers dennemis observaient, du haut du mont Altabicar, les bataillons qui montaient lentement de Roncevaux vers le port dIbayeta. Cétaient les Wascons dEspagne et de France, rassemblés à la voix de Lupus, fils de Waifer. Charlemagne et son principal corps darmée attei- gnirent sans être inquiétés le port dLbayeta. Mais quand lar- rière-garde, qui protégeait les bagages et le trésor royal, et qui comptait dans sés rangs lélite des guerriers, eut commen- cé à gravir létroit sentier qui serpente sur le flanc de lAlLa- bicar, une avalanche de quartiers de roc et darbres déracinés roula du sommet de la montagne, entraînant au fond des pré- cipices tout ce quelle rencontrait. Ceux des franks qui échap- 52 pèrent au désastre se rejetèrent en désordre au fond du val de Roncevaux où ils furent exterminés jusquau dernier homme par les Wascons. « Là périrent Eghiart, prévôt de la table royale, Anselme, comte du Palais, et Roland, commandant des marches del)retagne (1). » Ces faits sont bien ceux que raconte la chanson de geste, dont nous avons analysé une partie. Charlemagne séloigne en effet de Sarragosse, grâce aux présents et à la feinte soumis- sien du roi Sarrazin, - mais il fut lr.ahi à son retour. - Voilà lhistoire ;le reste, cest-à-dire la querelle Je Gannelon et ide Roland et tous les détails que nous avons cités isiaccinctement, nont dautre garant que la légende, - et nous verrons 41iel1e sest emparée non-seulement de lévènement, en le rendant propre à charmer les masses par lattrait de la poésie et de la musique, mais quelle a encore défiguré les noms des person- nages quelle met en scène. Le souvenir de ce combat passa donc de génération en (gé- nération dans les chants héroïques et funèbres, dabord com- posés langue tudesque, puis en langue romane, jusquà ce que lépopée chevaleresque sen emparât pour limmor- taliser en laltérant. Toutes les chroniques contemporaines sont muettes sur cette catastrophe, à lexception des deux ouvrages dEginhard. - Charlemagne, ne pouvant se venger des Sjascons, qui sétaient refugiés dans leurs montagnes, •sm- para de lauteur du vromplot . ; Lupus, duc de WascoDie paya pour tous et finit misérablement sa vie par la corde (in laquco) (2).

(J) Eginbard, Eic de Cltarlernagfre, collection Guizot, t. lii, p. 133. - (2) Ce fait est relaté dans "ne charte de Charles-le-Chauve, datée tics calendes de février SiS. 58 Quelques espagnols et parmi ceux-ci larchevêque 4e Tolède, Rodrigue Ximenès, nous nt transmis le répit de cet évènement avec un -rand esprit de vérité. Le fond est 1e même, les causes seules de la guerre sont différentes. Il -y a tout lieu de penser que Les écrivains avaient eu à leur dispo- sition les oeuvres historiques dEginhard. Chez eux, comte chez nos auteurs, il nest pas fait la »ioindre mention de G .an- nelon, et, quant à Roland, il napparaît que peur mourir. Cest un singulier pçrsonnage que ce Roland, ne prétendu mais impossible neveu de Charlemagne (1), aont le nom et les exploits fantastiques ont inspiré un chef-dwuvre et rein- plissent les pages des romans et des légendes, surtout à par- tir des dixième et nzième siècles. Lhistoire ne .nos révèle son existence .que pour nous apprendre sa mort ; mais .il ne suffit pas dêtre tué pour ètfe célèbre. Puisquen le range au nombre des illustres Nictinies de lodieux gtie .t-.à-pens de Bon- cevaux, il avait sans 4oute mis Ta fin précédelwuent qJielr quels brillants exploits. Quels sent ces nploiis2 ici, procon4 silence, et voilà Jiojand réduit, dans un autre ordre didAes, au $le de nertains littérateurs dauirefois, dont tout le monde

(I) Un historien sérieux renouvelle, denos jours,.00tLe erreur; A. Gabon rd, Histoire de France, t. III. P. 289.Paris, C-- Et cependant les trères!1C Charlemagne ne laissèrent -point denfants du nom de Boland; quant aux soeurs du grand empereur, il nen eut qunne, qui dès son jeune ige prit le voile dans labbaye dArgenteuil, près Paris. et Erat Ci £orOr UflicadlOrfliflC Gtsia,4itEginbard,a puellaribus quam, ut maitem, iagtp coluit piCta4e,: guœ etiampauCi,s ante obitMm flUas n Charles navait axais, in eo quo oonvers.4a est monasteriO , decsssit. quune soeur nommée Cisèle, vouée dès sa plus tendre enfance hia vie mo- nastique, et quil aima et vénéra toujours autant que sa mère. t)lle mourut quelques années avant lui dans le monastère où elle avait pris lhaitireli- giclas. de Chaïlem#gt1e, clJectio Çuizot,t. IJJ,p I43,. 54 vantait le talent, mais dont personne navait pu voir une seule ligne imprimée. - Pourquoi ce favori de la tradition nest-il pas aussi un des héros de lhistoire? pourquoi cette poétique auréole de gloire et de magnanimité que rien ne justifie? Ah cest que la poésie est souvent tin écho populaire ; et les sen- timents populaires ne sarrêtent jamais à ce qui est naturel. Le peuple aime les caractères tranchés, il lui faut des bons et des méchants, tandis quil est si rare de trouver des hommes complètement bons ou complètement méchants sur la terre. Dans laffaire de Roncevaux, le type du mal, cétait le traître Cannelon; il fallait le type du bien, ce fut le preux Roland. Ne vous avisez pas de donner au peuple proprement ditde petites scènes de boudoir comme celles du théâtre franQais de nos jours; mettez en opposition de grands vices et de grandes vertus, attribuez-les à des personnages connus en leur con- servant quelque chose du caractère que leur prête lhistoire et %us verrez quel enthousiasme vous exciterez dans la foule alors les instincts populaires seront satisfaits, mais lhistoire sera faussée et lon verra saccréditer en bien ou en mal dur opinions absurdes et absolues sur des personnages histo- riques qui souvent nauront mérité

Ni cet excès dhonneur, ni cette indignité. Quant à la trahison de Gannelon, qui daprès certains - romanciers était seigneur de Hautefeuille et lun des douze prétendus pairs de France, cest une erreur évidente. - Un personnage du nom de Cannelon a vécu, non du temps de Charlemagne, mais sous le règne de Charles-le-Chauve. - Dune naissance obscure, cet homme parvint néanmoins ii un haut degré dhonneurs et de richesses ; de simple chapelain à la cour, le roi télevaàla dignité de métropolitain de Sens, il se fit même sacrer par lui. Cannelon, oubliant les bienfaits de

D 55, son prince, fut lun des principaux fomentateurs des révoltes de Louis_le-Germanique. Le roi informé de èette trahison, fit citer laccusé devant un concile que lon réunit à Savonnières, près de Toul, pour le juger. Voici lacte daccusation dressé pat le roi ; cest vraisem- blablement la première fois que ce curieux document est rendu en entier dans notre langue.

TEXTE DE LA PROCLAMATION DU SEIGNEUR Roi CHARLES

CONTRE GÂNNELON, ARCHEVÊQUE DE SENS ; DEVANT REMY, ARCHEVÊQUE DE LYON ERARD , ARCHEVÊQUE DE TOURS

GANNELON, ARCHEVÊQUE DE ROUEN ; JUGES ÉLUS EN SAINT

SYNODE DES DOUZE PROVINCES EN LA PAROISSE DE TOUL, DANS LE FAUBOURG DE CETTE VILLE QUE LON APPELLE SAVONIkRES,

PRÉSENTE DE LA MAIN DU ROI, LAN DE LINCARNATION DU

SEtoNua 859, INDICTION SEPTIbIE, DIX-RUIT1ME JOUR DES CALENDES DE JUILLET (fi JUIN) (1).

L

Comme, ainsi que le dit saint Grégoire, et comme vous pourrez le savoir, selon la coutume ancienne, dans le royaume de France, la naissance fait les rois, daprès la disposition de la divine providence qui a fait le partage entre les rois mes frères et moi, une partie du royaume ma été confiée par mon père et seigneur lempereur Louis, de sainte mémoire. En ce temps, dans cette partie du royaume, était vacante la métro- pole de Sens, et, selon la coutume des rois mes prédécesseurs, jen ai, avec le consentement des saints évêques de la métro- pole, confié le gouvernement.à Gannelon, alors clerc de ma

(t) Baluze, t. II. p. 133, titre XXX. 56 chapelle, qui sétait donné à moi, en qualité de clerc libre, et• jai agi, autant quil ma été, possible, auprès des évêques pour quil Fût sacré archevêque de ce siége.

- IL Vfrv ensuite le partage si connu du royaume entre mes frères et moi (1), partage réglé par les grands de lempire et confirmé par nos serments mutuels et par ceux de nos fidèles; je pris alors les rênes du gouvernement pour la portion qui métait, échue. Ce partage éntre mes frères, et moi et que je devais religieusement respecter, Gannelon, comme tous les évêques présents, a juré personnellement à moi et à mes frères de le maintenir, puis, les promesses de paix et de secours mutuels échangées entre min frère Louis et moi, Gannelon les a jurées encore.

Mon élection, émanée de la volonté, du consentement des autres évêques et de tous les fidèles, et accompagnée de leurs acclamations, Gannelon, avec les utres archevêques et évêques, la consacrée, selon la tradition ecclésiastiquerdans son diocèse, à Reims, dans la basilique de la Sainte-Croix, il ma oint du saint-chrême, et ma élevé au trône, le sceptre en main et la couronne en tête. De ce rang sublime et ainsi con- sacré, je ne devais être supplanté ni renversé par personne, du moins sans avoir été entendu et jugé par les évêques qui &avaient sacré roi, que lon appelle les trônes de Dieu, en qui Dieu siège, par lesquels il prononce ses jugexnents; aux pater- nelles remontrances desquels jai toujours été et suis encore prêt à me soumettre ainsi quà leurs arrêts et à leurs châtiments.

(I) En 842.

57

Iv. Enfin, lorsque dans mon royaume la sédition, fomentée par des hommes audacieux, commença à lever la tête, nous avons publié, avec le consentement des évêques et de nos autres fidèles, une proclamation, où nous déclarions comment, avec laide dé Dieu, nous voulions agir envers les rebelles, et ensuite comment nos susdits fidèles devaient nous aider de leurs secours et c1 leurs conseils. Cette déclaration, Cannelon la, comme vous pouvez le voir, signée dans notre ville de iaierna (1). V.

Ensuite, lotsque, comme vous le savez, accompagné io nos fidèles, nous avons marché, par terre et pat eau contre lei payens tetranchés dans lîle dOissel, quelques-mis nous ont abandonné et Ont pris la fuite. Quant à Gannelon, il n allégué que ses iniirffiitM ne lui permettaient pas tlallèP Pldà Lin et il est retourné dahs son diocèe1 Ensuite, coré lé siégé traînait en longueur, notre frère Louis appelé pat les éditieùx, fit, comme vous lé savez, une irruption à màifi aimée dans notre royaume, lG.annelon, sans mon cohene Ment, sans fim permission, eut avec loi des conférences 401 avaient pour but ma déposition, et sa conduité ne (tit lmitéé par aucun autre évêquè du royaume.

t

bu reste, lorsque, suivi des hommes fidèles à bleu et à leur

(1) Le savant académicien, M. Léopold Delisle, inciinn h penser que iiaiêrtMz etâiL tiic, Viihigè dit canton dJ tlstO-ÂdAiS (iùé .t Oise), situé près de Beauniont-sur-Oise; ce lieu est très ancien. Mont. 8 58 roi, je niarcliais contre mon susdit frère et contre les enne- mis qui laccompagnaient et -qui dévastaient les terres de Iél ise et la vageaien t mon ro yaume, G a nnel on ne ma aidé en rien, ni de sa personne ni par les secours que les rois mes prédécesseurs et moi nous o ions coutume de tirer du diocèse quil gouverne, secours que cependant, je réclamais de lui avec instance.

VII.

Mais lorsqull me fallut quitter ma ville de Breona (1), et reculer devant mon fière, lorsque mon fière Louis vint de - nouveau enahir mon rovaunle, enlever mon neveu, sous- traire rues humilies ii mon obéissance et accabler de fléaux mes Fidèles, Gannelon, pour me combattre, vint auprès de mon frère Louis ave-c les secours quil put lui fournir ;aec mon frère étaient les excommuniés et les séditieux de ce royaume; les &êques, se-s confrères lui avaient écrit pour lui faire part de cette excommunication, il a cependant célébré publiquement la messe pour mon frère, environné de ces rebelles, pour ces excommuniés et leurs fauteurs (Ions mon palais dÀttigny, dans une Pa ro i sse (lu i lIC relevait pas de lui, dans le diocèse dun autre archevêque, resté fidèle, et cela sans sa permission et sans le consentement (les évêques ses confrères. Ce fut dan , cette réunion, ou plutôt dans ce conci- liabule, que mon neveu Lothaire fut, autant que les artifices de ses séducteurs purent y parvenir, soustrait à mon alliance, et me refusa taide et 16 subside quil nie devait et quil mavait promis.

(f) Brienue-le-CljAieau, Aube. Voir sur Breona ce (jtlcIi dit Adrien de VaLois dans sa Notice des Gaules. 69

In!!.

Sunissant par (les traités publics et secrets aux indignes conseillers de mon frère, et principalemcnt et avant tous les autres à ces excommuniés condamnés par jugement des .évêques et du roi, Gannelon lit tous ses efforts PoLir faire passer de niai à mon frère cette partie du royaume que mon frère et lui avaient juré de respecter, et dont il mavait lui- même sacré roi.

lx.

Ce fut par les conseils et par les manoeuvres de Gannelon que les évêques qui niavaienl promis leur foi et qui me de- vaient leurs conseils et leurs secours personnels, transpor- tèrent à mon fière Louis leur souniissionel leur obéissance.

X.

Gannelon a obtenu de mon frère Lotus une décision qui dis- posait de labbaye de sainte Colombe (1), dis biens et des hon- neurs de mon royaume il en a aussi obtenu des lettres pour les envoyés Ecliard et Théodoric, afin quils révoquassent les droits de cette abbaye.

xi.

Gannelon assista avec ces mêmes excommuniés an conseil et à la délibération où lon examina le moyen dobtenir de gré

(t) Sainte Colombe-lès-Sens, abbaye de Bénédictins, fondée en lhonneur de saiLle Colombe vierge et martyre en 175.— La Martinière (L. V, 2e faille p. 78) place h tort la fondation de ce monastère en 030, puisque le présent acte, qui est de lannée 859, en fait mention.

N ou de force des hommes (lui nétaient fidèles et qui mavaient Prêté serment (lobéissance, le nouveau serment (laider mon frèi:ç dans ses efforts pour ubstiIuer son, autorité à la mienne. Et. non, seulement Cannelon a assisté à cette réunion, mais il a même aidé mon frère de ses conseils, contrairement à ses serments et à la fidélité quil mavait jurée.

XII.

Gannelon, par lui et par ses amis tes excommuniés, dont il a déjà été parlé, a obtenu de mon fière Louis lévêché de Bayeux, alors vacant en faveur du nommé Tor toi de son parent, clerc 4 ma chapelle, qui sétait donné à moi, qui mavait prêté serment de fidélité et qui nen a pas moins.eu la félo- nie daccepterilejnon.frère.Louis cet évêché contrairement à la1 foi jurée, XIII.

Enfin, lorsque Dieu, par le secours de mes fidèles, meût donné la force de recouvrer mon bien des mains de mon frère, faii passé près de la ville de Gannelon ; il a su que je mar- chais contre mon frère pour reconquérir mon royaume, et il ne ma donné aucune assistance, ni par luimême, quoiquil en eût fait et signé la promesse , ni par la milice que léglise, qui lui est confiée, fournit ordinairement aux rois dans de pareilles circonstances.

On peut, observer dans cette pièce remarquable. les singu- Hères alternatives dobéissance et dautorité qui, sous les Car- lovingiens, soumettaient tour à tour lun à lautre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Pépin-le-Bref nose prendre le titre de roi quaprès, avoir consulté le pape. 4 son tour, Charlemgne reçoit du souv,erain pontife. lacouronneimpé -

r 61 riale, et bientôt le pape lût prête serment en, cette qualité dempereur «Occident quil lui avait lui-même conférée et qui le rendait souverain de cette Rome que lui, pape, allait désor- mais gouverner en paix grâce aux armes françaises. Ici le roi Char es-le-Chauve ordonne aux évêques (le sassembler et les évêques obôissent; le roi, de son côté promet Wécouter avec respect leurs réprimandes etmêine, comme son père Louis de sainte mémoire, de se soumettre à leurs châtiments. Mais que vont faire ces évêques? ils vont, sur la demande du roi auquel ils ont tous prêté serment de fidélité juger souverainement un différend qui sest élevé. entre ce prince et Fun dentre, eux qu.iFaccuse. On se perdrait dans ce labyrinthe; si l!on-uav.ait pour fil conducteur la pinsée que le clergé était alors, dans létat, non-seulement un pouvoir spirituel, niais, encore un ordre politique, situation quia dpré jusquen 1789, puissance que le clergé avait bien méritéepar les services, rendus par lui «- dans ces temps- dan archie et:de.luues, où les peuples et » les rois manquaient de garanties, et où-les seigneurs et les • gens de guerreavaient perdu les notion,svuigaires deiéquité • pour ne se confier quà la forc,e (1;» commet Gabourd le fait observer si judicieusement. Jamais le, cedant arma togœ ne fut plus juste niplus justement appliqué. Larchevêque de.Sans:nayantpas répondu à Fappel de ses pairs, fut déposé par eux (2).. Cette assertion dAndré Favyn est:contr-editepar, le& Annales: de saint Berlin. , On lit dans,cet ouvrage, contemporain dlp trahison de. Gannelon-, que le .0000ilCLItC: faute davoii entendu laccusé. Celui-ci ne sétant pas présenté devant le concile au

(I) Histoire de France, t. IYt,p l; - (2) André Îavyo, 62 jour marqué, son affaire fut remise à une autre époque; durant cet intervalle, le métropolitain de Sens rentra en grâce auprès du roi, qui ordonna lannulation des poursuites dirigées coutre lui (1). Quoi quil eu sot, le souvenir de lindigne conduite (iii pré- lat pasa à la postérité et depuis ce temps, suivant lopinion de Du Cange () et dAndré Favyn, on donna le nom de Gannelon aux trattres. On verra plus tard que nos recherches philologiques nous ont amené à donner à ce nom une. autre origine que nos prédécesseurs. Ainsi au 14 siècle, ajoute Du Cange dans son Glossaire, on trouve (Litt. remiss. ann. 1377 in Reg. 111, chartoph. reg. eh . 3).-Lexposant respondi : tu mans comme faux garçon, traître, Ganelon, et Dieu et !oy le savez bien, - et ailleurs, (ann. 1357, in reg. 89. eh. 171), et plusieurs autres injures en lappelant Guenelon, traître. « Cette identité, dit M. Génin, est un point très-important., car elle servirait à démontrer que la légende de Roncevaux sest formée, au plus tôt, vers la fin du IX siècle ou au com- mencement du X (3).» Linterprétation proposée par Du Cange et André Favyn, sans résoudre le problême, nous semble cependant en avan- cer la solution; elle a au moins lavantage de présenter une hypothèse admissible et se rapprochant plus encore que les précédentes de la signification étymologique du mot Gannelon. Cependant notre, opinion est que le nom donné à la montagne qui nous occupe ne lui vient pas de larchevêque de Sens toutes les traditions en effet repré-

(I) Cuanito, episcopus senonum abs que audienUd episcoporum Karlo regi reconoilialur. (Ap. D. Bouquet, V11,75). (2) Du Cange, Glossaire, t. III, p. 472, édit. Didot. (3) La chanson de Roland, introduction, p. 28. , -

03 sentent Gannelon comme un chevalier ou comme un parti- san; ici au contraire ce serait un prélat et un prélat plutôt diplomate que guerrier. Nous avons cru néanmoins, quoique d un avis contraire , devoir rapporter lopinion de ces savants, parce quelle prouve limportance quils attachaient à la question que nous étudions. Lépigraphie vient à lappui (le noire thèse et nous fournil une preuve décisive de ce que nous venons de dire. Voici un monument des premières années du Xli siècle trouvé à Népi (Î), en Italie, scellé dans.un mur près dé la porte latérale de la cathédrale. Cette inscription, qui est rapportée par Fabretti (e), et sur laquelle notre savant épigraphiste, M. Edmond Le RIant, a eu lobligeance dappeler notre at- tention, est ainsi conçue: • t ÂNNO DOMINI ?JILL. C. XXXI. TEMPORIII. ANÂCLETI Il lY MEN. IR . INDIC. VIIlI NErE5INI MILITES NEC NON ET coNsvLEs EIRMAVEI1VNT SACRAMENTO VT SI QV15 uEoavM NOSTRÂM VVLT FRAGERE SOClE TAI £M DE OMN1 HONORE ÂTQVE DIGNITÂTE DOMINO VOLENTE cvn 5V15 SEQACIB. SIT EIE CTvS. ET INSVPER CVII! IYDA ET CÂYPIIÂÂT QvE IILÂTO IIÂBEAT PORTIONEM. ITEM TVRPIS5IIIAM 5VSTINEAT IIIORTEM VT GALE - LONEM QVI svos TRADLDIT SOCIOS ET NON EIVS 51T MEMORIA SED IN ASELLA EETROBSVM SEDEAT ET CÂvDÂM IN lIANT TENEAT

(1) Nepi ou Nepete, ville des Etats de lEglise, située à dix lieues de Borne. - - - (2) FaIneLLi, InscripUonesaniiquœ CI. I1,.»°275, p; III. - 8h

tt Lan du seigneur mil -eSt trente-et-un du temps d"AÏïa- clèt fi pape (1), au mois de juillet, indiction neuvième, les nobles et les magistrats de ?epi se sont -obligés par ser- ment à priver de toutes charges t dignités, avec la pci- mission de Dieu, celui dentre eux et ses complices qui tenterait de rompre lunion contractée. Quil partage en outre le sort de Judas, -Caïphe et Pilate. •Périsse sa mé- moire, et quaprès avoir été placé à rebours sur une anesse dont il tiendra la queue dans les mains, il subisse la mort la plus ignominieuse, comm&Gannlon qui a :trahi ses compagnons. » Cette inscription donnera lieu à quelques observations de notre part. Dabord les imprécations dont on menace les in- fracteurs du traité de Népi nous rappellent celles qui se trouvent sur plusieurs inscriptions des catacombes de Rome et notamment celle-ci

MALE PEREAT JNstVLTV IACEÀT TON itEstTltAt G y M IVbÀ PÀTtflM IIÂB&KT $1 QVIS 5EPVLGHItVM ÉVNd VIOLÂVERIT (2) « Quil périsse malheureusement, quil gise sans sépul- ture, quil ne ressuscite pas, quil partage le sort de Judas celui qui violera ce tombeam i

(1) Anaclet li, anti-pape MC en 4180 apibs la mort dHdnorius Il par une petite fraction des cardinaux, dont la majorité,avait choisi Innocent Il quelques jours -auparavant. Pierre de Léon après avoir chassé de Borne le pape légitime se maintint dans la ville éternelle jusquà sa mort qui ar- riva le 7janvier 1138. 11 est probable quen 1131 on ignorait à Népi, ville alors indépendante des -Etats pontificaux, -quel était le véritable suc- cesseur de saint Pierre; ou peut-être celte cité tenait-elle pour Anaclet Il. (2) Cimetière de Saiute-Â5rtùs 3 -Aringbt, -Borna -subterrane4, t. -I, p. 174. P

65

Et celte autre où Fou menace les coupables de là înalédie- tion des pères du Concile de Nicée.

IC BEOVIESCIT IN PAGE DONNA BONY SA Q VII ANN XXXIII ET DOMNÀ MENNA Q Y1XÏT ANOS ...... E :ABP4T ANAT EAIA A IVDÂ Si QYIS ÂLTEPIVM OMINE SVP ME POSVEIII,. ANATIIEMA ÀBEAS DA TRI GENTI ECE .....CTO PATRIARCHE QVI CHANONE5 ESPOSVERV ET DA SCA In QVATVOR EVOVANGELIA (1)

« Ici repose en paix dame Bonosa qui a vécu soixante ans et dame Menna qui a vécu ...... ins. Quil soit anathème 6omme Judas celui qui placera un autre corps sur nousMuiI soit anathème au nont des trois cent dix-huit () patriarches qui exposèrent à Nicée la doctrine de IEglise. Quil soit ana- thème au nom (les quatre saints Evangiles du Christ

En traduisant Galelonera par Cannelon et non Galelon, nous ne cédons pas ai besoin de la cause. Outre lin- habileté de louvrier qui a gravé cette inscription i et la rusti- cité de ses connaissances littéraires, nous avons encore pour justifier cette traduction le secours de la philologie, laquelle nous apprend quo la permutation dc I en est très fréquente

(I) Sacuitus, Eontgsoe et Mennœ tiçutus, p. 53 et suiv. —Perret, lesCà- incombes de Rouie, t. V, ,pI. IX, n°16. (2) Lincertitude sur le nombre des Pères qui ont assisté au Concile de Nicée, dit M. Edmond Le Blarit (fnscrip. chrèt. t. I, p. 22) existe sur les inscriptions comme dans les auteurs. M. Ch. Lenoru-tant a, dans un imper- tant travail sur les fragments coptes de ce Concile, dérnôutré que cette iii- certitttûe nétait quapparente, et que le chiffre 318 est le teul SI. (Frag- ments coptes daCéncile de Nicée, P. - Mont. O 60

dans les langues néo-lalines (1), et même dans les premiers bégaiements de lenfance, qui pourrait fairee dire plus (lune fois à la philologie: Exore infanilura. verilaç. Quant à lâne monté à rebours et quvue en main, nous rappellerons que cétait une peine infligée aux coupables, pour les couvrir de confusion et dignominie ; faitqui ressort dun grand nombre de textes (les XI P, X 111e et Xlv siècles. Muratori (2) parle de ce châtiment à loccasion (lu traité de Nepi que nous avons cité plus liant. Il fut ensuite imposé aux hommes accusés de lâcheté et notamment aux maris qui se laissaient battre par leurs femmes ; cette folie était arrivée à un lei point que, si le mari avait pris la fuite, son plus proche voisin était tenu de se soumettre à la même corvée. Gtimm,. dans ses Antiquités (lit germanique (3), rap- porte quun semblable châtiment était appliqué aux femmes et non aux maris battus par elles. Dans dautres localités, on le réservait aux parjures. t Les anciennes lois, dit Bar- let ta (4), punissent ainsi la violation du serment : le coupable est placé sur tin âne dont II Iient la queue à la main ; les enfants laccompagnent par la ville en lui jetant des oeufs et en battant du tambour. »

(I) Voir le tableau de la cor, élalion des lettres dans le beau travail de M. Louis Detattre : la Longue française dans ses rapports avec le Sans- cr11 et les autres langues !ido-Europdennes. La première partie a paru en 1833. (2) A uliquitotes Ilaticœ, t. Il, col. 331 (3) A ntiquit. fii is GermenS, p. 72, 110 6. (i) Sermon. fer. 5 hebdorn. 3.— Gabriel l3arletia (XVe siècle) prédicateur célèbre de rordre de Saint-Dominique, b propos duquel ou disait: Aestit pradicnre qui nescit liarlctlare. Un (le ses Contemporains, Léandre Alberti, dont le témoignage est des plus sérieux, Ja vengé des attaques injustes et ridicules dont il avait hé robjet de la part de quelques envieux. - 67 Pour le parjure, la punition était trop douce et môme trop grotesque ; le parjure est tin crime sérieux qui sattaque n Pieu autant que les fautes de lhomme peuvent sattaquer à Pieu; quant à la lâcheté, partout et toujours, elle a été pour le peuple tin objet non-seulement de mépris, niais de raillerie, toutefois pourquoi en appliquer la peine à ces pauvres maris battus? Si cest un signe de couardise de se laisser battre par sa femme, cest une couardise bien plus grande, cest un crime de la battre et nous aimerions à voir infliger la promenade sur lâne à ces époux qui corrigent un peu trop rudement leurs épouses, comme cela se pratiquait encore il y n trente ans (tans la Franche-Comté et le Forest. Ces facéties burlesques, niais caractéristiques du moyen- Age, nous ont éloigné du côté sérieux de notre sujet; il faut - y revenir. Ce sont en effet des historiens graves qui se sont mépris en attribuant à Charlemagne ce qui était loeuvre de Charles- le-Chauve; en rapportant également au règne de Charles- le-Chauve des conquêtes antérieures. Confondant ainsi les époques et produisant leurs personnages dans des temps antres que ceux où ils ont paru. Il était certes permis à des gens qui mettaient la poésie bien avant lhistoire, de pré- férer Charlemagne à Charles-le-Chauve ; quel poète naime- rait mieux avoir pour héros Henri IV que Henri III • Louis XIV que Louis XIII ou Louis XV? Les récits que nous avons rapportés appartiennent donc au roman plutôt quà lhistoire. Il..- faut néanmoins le recon- naître, cette lègend&de Caurnelon, erronée sans aucun doute, est universellement accréditée. Essayons dexposer les causes qui ont pu contribuer à la répandre. Quelques auteurs du dernier siècle, et Anquetil - entre os autres, ont prétendu que le combat. (le Roncevaqx navait été quune affaire sans importance. Nous sommes dun senti- ment opposé. Mais admettons PO UF un instant quils soient dans le vrai comment le souvenir de celte défaite aurait il traversé les siècles, alorique tant. dautres catastrophes sont maintenant ensevelies dans loubli? On nous objectera peut- être que ce massacre est deventCcélèbre seulement parce que la poésie du moyen-âge sen est emparée?—Nous répondrons: pourquoi les troubadours auraient-ils chanté cette journée, si lévénement neût été réellement, dune gravité exception- nelle, et en quelque sorte une calamité publique, et pourquoi les peuples en auraient-ils gardé la mémoire? Loin dinfirmer notre opinion, cette objection lui vient en aide et , démontre implicitement que , si les français navaient pas essuyé à Roncevaux un sanglant échec, le souvenir nen serait pas venu jusquà nous- La date précise échappe souvent à la tra- dition, mais il est rare quun fait se popularise et obtienne un grand crédit, sil ny a pas dans ce fait un fond de vérité. « Les traditions orales relatives à des faits et -il des lieux, dit Mgr Cerbet, occupent une grande place dans la vie domes- tique (lu peuple qui concentre en elles lintérêt que la classe lettrée disperse dans les livres. Elles se transmeltent plus fa- cilement encore de génération en génération, lorsque les sou- venirs, conservés sous le toit de chaque famille, ne sont eux- mêmes que des palliés ou des accessoires dL!n grand . souvenir historique perpétuellement rappelé par des monuments et par de,s il sages publics (1). » Dailleurs »ou. avons une autorité contemporaine à laide de laquelle nous montrerons toute limportance qua eue laffaire de Roncevaux: cest Eginhard.

(I).ornechrd1ienns, I. I, p . 26.. 69. Dans létude des événements accomplis depuis plusieurs siècles, il ne suffit-pas de lire superficiellement le texte dun historien, de. le croire sur, parole, (le dire à peu près comme lui et de passer outre- Lécrivain doit imiter le médecin, sage et expérimenté qui écoute attentivement son malade; mais ne le croit pas toujours sur parole. II sait que le patient voudra souvent lui dissimuler quelques défauts, quelques fai- blesses cachées, il sait quil doit tirer ses pronostics, moins des pai-dies expresses que du sens quil lui faut parfois de- viner ; essayons dappliquer cette méthode au passage dE- ginhard ; pressons ce texte pour en faire sortir la vérité, pour en, tirer tout ce quil pourra nous donner. Eginhard, était un fidèle serviteur de Charlemagne , il pense que ses lecteurs seront tous de, bons Français quaffli- gera la catastrophe de Roncevaux aussi agit-il avec eux comme un ami prudent avec lami auquel il a une triste nouvelle à apprendre; il commence pal dire que : « Lempe- reur souffrit un, peu de la perfidie des Gascons. Perfidiara parumper contigit exp,eriri. )) Enfin, la vérité s,e fait jour Tous périrent jusquau dernier. Wascones... omnes us que ad unum inter fleitint Cette dé- - route, ajoute-t-il, effaça dans le coeur de lempereur presque toute la joie de ses triomphes en Espagne. Mâgnam partem obnub,ila,vit - et Le mot obnubilavit est, heureusement choisi, rappelle bien léclat, des triomphes passés tout en exprimant la sombre tristesse du présent. Il nous semble quun historien de la valeur de M. A. Cabourdj (1) aurait dû nous en faire mieux apprécier toute, la portée; un échec darrière-garde

(I) QJst. 4e Françe,,, L, 111, p. 2 70 naurait pas suffi pour assombrir, obvbi1are, le front de Charlemagne. Oui le désastre de Roncevaux a été un grand désastre tous les Français y périrent jusquau dernier par suite de la trahison non du prétendu lieutenant de Charlemagne Gan- nelou, niais par celle . de Lupus, fils (lu duc Waifer. En ce qui touche le nom de Gannelon, si lon nadmet pas quil y ait confusion de temps et de personne, on pensera que le massacre des Franks à Roncevaux pal le duc des \ltrasccsns a tellement frappé lesprit des populations que, personnifiant le nom dun peuple dans celui dun homme, elles ont peut-être fait des Wascons Gannelon. Mais, dira- t-on, la légende parle de deux hommes lorsquil ny en a quun, Lupus (lue (les Wascons? Comment amène-t-elle sur la scène le roi Marseille, dont on ne retrouve aucune trace dans les annales du temps? Cest que, si Von nous permet cette interprétation, elle a voulu par un sentiment déquité, qui inspire souvent les masses, et pour créer ce quon appelle au théâtre, un rôle dopposition, louer le guerrier qui avait défendu lindépendance de son pays et flétrir le traitre qui avait forfait à lhonneur voilà pourquoi la tradition aura créé deux personnages. Enfin une des raisons qui peuvent le mieux prouver lim- portance du malheur de Roncevaux, cest la popularité dexé- cration acquise non-seulement en France , mais même en Italie ait du traflre sous lequel on a vulgarisé ce dé- sastre. Toute cette célébrité est-elle due en .Italie au poème de lArioste? Sans doute les poètes sont les maîtres de la postérité, IArioste petit bien comme Homère être appelé le Père des fables et lon ne doit pas plus croire au Gannelon de Roncevaux quau siège de Paris et à la raison de Roland 71 quÂslolphe va chercher dans la lune. - Sil en était ainsi, nous explique comment il se fait que quatre cents ans avant les inventions poétiques de lArioste, si singulièrement qualifiées par le cardinal Bembo, nous trouvions Roncevaux et ses légendes dans les chansons de geste, alors sans doute bien répandues en halle puisque nous lisons sur une inscrip- tion de 1131 découverte à Népi (1) le nom du prétendu trahie associé aux noms des déicides Judas, Caïphe et Pilate? Daprès une troisième tradition locale, un officier appelé Gannelon fut chargé par lempereur Charlemagne de sur- veiller les environs de Compiègne et den protéger les habitants contre les incursions des barbares, et le nom du protecteur de la contrée sy serait perpétué, en res- tant attaché à lun (les points de défense du pays. - Cette assertion ne repose sur aucun fait avéré: lannaliste Eginhard dit bien sans doute que ce prince avait commis à la garde des différentes provinces de lempire des officiers de sa cour, mais de létude des auteurs contemporains il parait résulter que sous le règne de Charlemagne les Danois furent contenus à lembouchure des fleuves et que leurs pirateries ne sexer- cèrent même pas jusquà Ilouen, il nétait donc pas nécessaire denvironner dune protection spéciale des peuples que leur seule position topographique mettait à labri des incursions des pirates. II faut se rappeler que ces barbares ne firent irruption dans une partie du Vermandois et de llle de Fiance que sous les règnes de Charles-leChauve et de Charles-le- Simple. La première fois en 839, leurs barques les conduisirent

(I) Voir plus haut, P. 63. par la Seine et lOise à Noyon quilsravagèrent (1); b seoudd expédition eut lieu en 900 et Compiègne fut brûlé. Mais si, comme ou peut le penser, la construction du poste militaire de la montagne du Gannelon fut la conséquence naturelle des incursions Danoises et Normands dans le cents du il siècle, cest-à-dire seulement à und époque postérieure de près de deux siècles à Charlemagne, il devient facilé dadmettre quun officier nommé Ganelon a été chargé dora ganiser, la défense sur ce point, car, à partir du règne (le Charlesle-Chauve, figurent dans lhistoire plusieurs pr- sonnages du nom de Gannelon. test Gannelon ou Wenilon, nous métropolitain de Sens, dont avons déjà parlé, trattre à Éon bienfaiteur et à son roi cest Gannelon ou Wénilon, mé- tropolitain de Rouen, dont parlent les annales de Saint Berlin, cest encore un prélat de ce nom qui se trouve au hombre des pères du concile de Savonnières, chargé de juger le mé- tropolitain de Sens.— Mais il faut convenir quaucune donnée certaine nappuie cette tradition à laquelle nous nattachons du reste (lue peu dimportance. Enfin; dapi-ès nue quatrième tradition locale, vivait jadis sur cette montagne, un seigneur pillard, nommé Gannelon, qui avait deux frères (),- possesseurs comme lui de châ- teaux fortifiés, pouvant correspondre par signaux avec le sien. .- Cétait daprès la légende populaire, le fils dun haut et puissant baron; il avait les Instincts les pins pervers et, comme on ne lui avait pas dès soit jeune âge inspiré la cainLe de Dieu i lhorreur du mal et laruotir du bien, il arriva

(1) Annales de Sairfl-De-r(in, collection Guizot, t. IV, p . 167. (2) La légende varie, la famille est composée tantôt de trois fières et tantôt de sept. Si

7S quétant devenu grau!, il sadonna h toutes sortes de vices. Cétait UI) homme avare, cruel et impie, qui, durant longues années, répandit la teneur parmi les paisibles habitants de la contrée. Abandonnant sa fatnille, il sentoura dune troupe dhomnies bannis de la société, et construisit avec eux le château qui porte encore son nom. Il y devint bientôt la ter- réur du voisinage. Rien en effet nétait sacré pour lui ; il pillait les églises, rançonnait les couventS, dévastait les châ- teaux, incendiait les villages, battait les paysans et outrageait leurs filles. Ce mécréant, disait-on, avait vendu son âme au diable qui lui avait promis eu échange une impunité perpé- tuelle. Fidèle aux conditions du traité, Salan lui prêtait en toute occasion un secours efficace. On avait souvent vu Gannelon exercer ses brigandages jusquc-s dans les murs de oihiégne où son puissant protecteur lavait soustrait aux recherches des gens du roi acharnés à sa poursuite. Depuis longtemps ce scélérat désolait audacieusement la contrée, lorsquenfin la justice de Dieu le frappa. Dahs une rencontre avec des paysans, il reçut une blessure gtave, ses satellites le [ransporlèrent dans son repaire où il moïirut- bientôt le blasphême à la bouche, maudissant le ciel et la terre. La légende ajoute que Satan sous la forme dun bouc; vint :réclamar lexécution entière du marché, et quil empôrta dans lenfer lâme de Gannelon. - Après sa mort, les compagnons du maudit fuient pris et livrés au bourreau. Quant au cliâ [en ii on en renversa la tout- et les palissades, et de ce repaire si redouté du peuple, il ne resta plus que les fossés. Ce récit semble une histoire allégorique (le la féodalité: née de nobles parents, cest-à-dire créée pour protéger le peuple, elle commet tous les crimes, veut détrôner le roi fiion g . 10 n de Fraice, tombe sous les coups des paysans et finit par se perdre dans un gouffre sans fond en ne laissant quune place vide, un fossé. Comme les trois autres cette dernière tradition, ne repose sur aucune autorité historique; dans les villages voisins du Mont Gànnelon, on raconte ces diverses légendes pendant les. longues veillées de lhiver. - En quel temps vivait ce sei- gneur cruel et débauché ? sous quel règne? Personne na pu nous le dire ; les annales de Compiègne sont muettes. Nous sommes donc encore réduit ici à des conjectures. En examinant cette tradition et en parcourant lhistoire archéologique de quelques provinces, on remarque quelle est commune à plusieurs villes et villages éloignés les uns des autres. A Montlhéry, les paysans parlent encore de leur ieille tour de Gannes, ils disent que Gannes était un baron pillard possédant sept (ours pareilles aux environs do Paris ; sept tours bâties il y a sept cents ans par sept frères ambitieux qui, voulant détrôner le roi de France, trouvèrent la mort au lieu du trône (I). Sur dautres pointscette tradition varie mais seulement pour le nombre des seigneurs associés ce sont trois fières, trois tours. M. de Caumont () parle de plusieurs châteaux en Nor- mandie appelés cMteavx de Gannes, et notamment de celui de la Pommeraye ; ce dernier apartenait à un seigneur très méchant et très rusé, nommé Gannes, qui faisait ferrer-ses chevaux à rebours, afin que personne ne -pût suivre sa trace.

(1) Ces sept tours sont: Montlhéry, Marial, Montmirail, Montespilloy, la Queue-en-Brie, Brie-Comte-tlobert, Mont Ai rué. Selon la tradition de Com- piègne, te château du Mont Gannelon remplacerait lune de ces sept tours. (2) Cours «Antiquités monumentales, t. V. 75 - Â Provins, on voit encore les restes dune lotir de Gannes; on y raconte les actions étranges de ses anciens maUres. Quel est ce personnage de Ganncs?Seraitce, comme la penséM. Du chalais (t), lun des douze pairs de Charlemagne? Nous croyons avoir suffisamment montré linvraisemblance (le cette hypo- thèse. - Chose bizarre, le souvenir de ce protée du moyen- âge, de ce mythe singulier se rencontre partout, et nulle part on ne peut le saisir. Ainsi, dans le roman de lingues Capet (2), il est dit, en parlant dun certain Savâry, qui a énerbé ( 3) le roi Louis (4) et veut épouser sa fille, que ce trattte possédait Montmirel en Brie, lune des sept tours de Gannes. Et quelques vers plus bas, lauteur fait dire à Hugues Capet, son ennemi, Bien venez de testrasse de faire vilain tour Car de Gannelon furent vos ineillor anehessour. Dans le voisinage de Poitiers, à Vivonne, on trouve tin travail en terre appelé la Motte de Gannes, sur lorigine du- quel on raconte des légendes qui diffèrent peu tic celles que nous avons signalées. 11 en est de même pour le château de Gannes, en ruine, qui est à Clievré près de Fougères, et pour les vieilles tours qui se voyaient naguère ait de Gannes dans le département de lOise (5).. Tous ces récits sont daccord sur un point, savoir, que

(1) Adolpite Duchainis.— Notice sur la tour de Montliiéry.— M. Duclialais archéologue distingué et premier employé au cabinet des médailles h la bibliothèque impériale est mort en 1854. (2) Manuscrits de la bibliothèque de larsenal; petit in-folio.— Belles- Lettres, n 186— vers 918. (3) Enerbé, empoisonné. (4) Le roi Louis V, dernier Carlovingien, détrôné en 987 par lingues Capet et an parti duquel sétait sans doute rattaché ce Savary. (5) Arrondissement de Clermont, canton de saint-Just-en-Chatisséc. 76

Cannelon était 1111 ennemi j:ui de la religion. de la ramille et Oc la société, mais surtout de Iliahilant des campagnes; en sorte que cette Igcnde semble être un épisode de la grande, lutte entre le robin et le serf au mo yen âge. Seulement, lima- gination populaire a mis en jeu un homme à passions basses, Gannelon est réduit dans son œuit aux proportions (lun Mandrin ou (lun Cartouche. Ce génie malfaisant, donc le souvenir se retrouve dans une partie de nos campagnes, ne pourrait-il pas être considéré comme le symbole de la perversité? On se souvient que la féodalité, établie par degrés dansIe but éminemment chrétien de la défense réciproque et de laide mutuelle entre le noble et le vassal à la suite des in- vasions normandes et de laffaiblissement du trône, dégénéra vers le XI siècle,. Un grand nombre de seigneurs obligés, lois du rétablissement du pouvoir royal, de courber la tête devant lui , nayant plus rien à redouter de leurs vassaux, asservirent les peuples quils auraient dû proté- ger. Bientôt môme ils se tirent la guerre entre eux et le Peuple en fut la principale victime. De cet état de choses naquirent ces révolutions des serfs contre loppression de leurs mattres, qui ont ensanglanté tant de pages de notre histoire au moyen tige. Le souvenir de ces luttes entre la force brutale et la fuite morale a longtemps survécu dans nos campagnes et, lorsquon interroge lhistoire sui ces tra- ditions , elle vient souvent en confirmer lexactitude. Ces barons pillards, traitres et débauchés, que lhistoire appelle par Leur nom véritable, sont-ils autre chose (lue des seigneurs féodaux auxquels la tradition donne le nom de Gannes t Gannelon, qui résumant leurs défauts, quelquefois leurs vices et !etiis crimes, les personnifie dans un type plus sensible. 77. Noublions pas dailleurs quau moyen-âge le symbolisme re pFesen Lai t I ou r à jour des images de bon li eu r ou dinfortune.[Liii e. De même que les pierres si finement taillées de nos édifices religieux ne reproduisaient pis seulement une forme inerte, quelles étaient un livre toujours ouvert à lhomme, et lui par- mien t tin langageintelligible pour tous, et (tue ehacun savait trouver, sous celte enveloppe matérielle, la pensée quelle renfermait et qui lui donnait la vie; de même dans les romans, les personnages nétaient pas de simples fiètioris, ils expri- maient une idée vivante, ils étaient le symbole dune concep- Lion, limage dune réalité du siècle. Ainsi dans les récits de lâtre, les fées, Gargantua et tant dautres géants, émient laI- lgorie de la beauté, de la force, de la ruée et de la puissance. il cii est é vi ( teninien t (le même de G annelon . - Cette h y pothèse si conforme à lesprit symbolélique qui caractérise tout particulièrement les ccéations du moyen-ûge, jointe à lobcurilé historique dont lexistence contestée de Gannelon est environnée- et à lidée de, perfidi6 quon te- trouve dans nos contrées attachée partout à ce nom, nous conduit à penser que Gannelon nest quune allégorie de la trahison, du vice et de la méchanceté. Ajoutons même, et - ceci est remarquable, que le témoignage de la iinguistkjue confirme pleinement celle opinion. Ce mot en effet, dont la racine gan appartient aux idiômes de sources pélasgiques, se retrouve toujours avec la môme signification, quelles que soient les modifications que la suite Lies temps et le génie particulier des peuples lui aient fait subir. Que lon consulte le sanscrit, la langue italienne, le vieux français ou roman, lespagnol, le latin du moyen-âge et même celui de Cicéron et de Plante, que lon ouvre Du Cange, ilocquefort ct le celtique Bullet, et lon serra que le plus 78 grand nombre des mots quon peut rattacher à cette racine flan servent presque toujours à exprimer les idées de tromperie, de vice, ruse, fourberie, séduction, de mal en un mot, cest ce que nous essayerons de prouver dans la quatrième partie (le cette monographie, par une étude philologique sut la racine gan. Résumons nous: la passion, qui porte nos provinces à mon- trer sur leur sol quelques vestiges qui rappellent le grand César, a pu seule donner naissance à la première hypothèse. Aucun romain ne sest nommé Gannelon ; adopter cette donnée, ce serait imiter le peintre de Dax qui a représenté, dit-on, des gardes-françaises, au tombeau de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La deuxième hypothèse doit tire également rejetée, puis- que le nom de Gannelon napparatt que du temps de Charles- le-Chauve ce héros des romans de la chevalerie et des lé- gendes populaires na donc pu vivre du temps de Charle- magne, ni trahir son arrière garde à Roncevaux. La troisième conjecture, à savoir que la montagne aurait pris son nom de celui dun officier préposé par Charlemagne à la garde de cette partie du territoire contre les Danois et les Normands, est formellement contredite par lhistoire. Reste donc, comme nous présentant seule quelque vrai- semblance, la quatrième des hypothèses que nous avons étudiées: cest celle de ce baron pillard et impie qui, du fond des châteaux-forts que nos pères appelaient les sept tours de Gannes, organisait avec ses six frères le brigan- dage et la dévastation dans lIsle de France. Cest à cette légende que nous nous rattachons, pour assigner lorigine du nom qui fut donné à léminence où lon voit les restes du camp de César et du fort de Charlemagne; et nous dirons que, no selon nous, le de Gannelon, devend le symbole de la perfidie et du vice, a été donné par le peuple à tout seigneur 79 qui faisait le mal, et par extension (car autrefois les hommes prenaient souvent le nom des pays et les pays les noms des hommes) à toute terre où le mal dominait, à tout château où se pratiquait le mal. Le Gannelon des environs de Compiègne nest probablement quun des nombreux Gannetons qui dévo- raient alors la France. Cest ainsi que dans les traditions lhomme personnifie toujours les qualités bonnes ou Jriøfl- vaises qui frappent son imagination le peuple anglais est devenu John fini!, le peuple français Jacques Bonhomme, la bonté cest Fénélon, la charité cest saint Vincent-de- Paul, le type du grand capitaine cest Napoléon. D

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QUATRIÈME PARTIE.

Recherches philologiques sur le mot Gannelon et la ravine Qsiç. - -

I

- Appuyé sur les deux témoignages- de lascience historique et des traditions légendaires, nous avons constaté (tans le précéifent mémoire que le mot Gannelon désignait générale- nient un homme traître à son roi et à sa patrie, un seigneur sur la foi et Ihonneur duquel nu] ne pouvait compter. Nos recherches, sur les causes de cette idée (te félonie, que lon retrouve partout attachée à ce nom de Cannes, nous ont amené à conclure quil y avait là un symbole. Gannelon serait au moyen-âge , à lépoque féodale, une personnilica- lion (lu mal sous toutes ses faces, surtout du niai puissant. Or, comme les données archéologiques nous ont conduit à placer entre le Xe et XIe siècle la constPuction du château de Cannelon ou fort de Charlema gne, nous pourrons aussi en conclure naturellement, à jaide des données de lhistoire et (le la tradition, que le château de Gannelon servait alors de retraite à quelques-uns de ces routiers audacieux, de ces malandrins an grand pied ; auquel Louis-le-Jeune fit au Xlle siècle une guerre à outrance et auxquel, daprès une tradition communément répandue, on donnait le nom de Gannes. - Il sagit maintenant de voir si cest par hasard quon attri- buait au mot Gannelon la signification de traître, de débau- ché, et sil ny a pas dans ce fait au contraire une preuve de

u SI ce cours majestueux du langage qui se perpétue à travers les différents peuples, toujours modifié jamais interrompu. Pour atteindre • ce but nous rechercherons le mot Ganne- Ion ou du moins sa racine dans un certain nombre de langues mortes ou vivantes et nous essayerons dy constater sa signification. Mais pour obtenir ce résultat trois choses sont à faire 1° Prendre le mot Gannelon et ses dérivés à lépoque où nous le trouvons, époque contemporaine des légendes qui lui attribuent sa sinistre signification, cest à dire au moyen- âge, et de là en remontant suivre sa trace le plus loin et le pins haut possible. 2° Constater que très souvent le mot dans lequel entre la racine gan présente lidée de crime ou de fourberie. 3° 11e là revenir au point de départ et montrer également que, depuis le moyen-âge, mais en descendant, nous rencon- trons, dans divers idiôines parlés encore aujourdhui, la ra- cine gan imposant la même signification aux mots dans la composition desquels elle entre. - Commençons par considérer la langue, contemporaine du monument de Gannelon, cest à dire la langue romane du moyen-âge. IL

Vieux Français et Roman.

Et dabord prévenons k lecteur que, en parcourant les différentes langues où nous suivrons la racine gan, nous adopterons, dans lénumération des composés et dérivés de cette racine, lordre alphabétique. Au moyen-âge on trouve - 04 ganner, pour gazouiller, se moquer; le supplément du Mont. u 82 Dictionnaire de lAcadémie le cite comme apparlenant au -vieux langage. Ce mot semploie encore quelquefois en Nor- mandie, avec lacception de contrefaire méchamment, sur- tout dansles arrondissements de Caen et de Valène (1) et dans le département de la Seine-Inférieure comme nous lavons constaté nous-mème. Engagnpr, enguigner, enganer et enganner, intriguer, sur- prendre séduire,duper, imaginer. Le mot enganner était encore en usage dans la basse Normandie au XVIII° siècle. Ménage dans son Dictionnaire étymologique prétend que en- ganner dans le sens de tromper ctoit Sc dire engommer. Nous pensons que engammer ou engamer , comme lécrit actuelle- ment lAcadémie française, veut dire instruire, apprendre et non tromper. Eu voici mi exemple tiré du Testament de Jelsan de Meung (2).

A toy ber h Itaulte gaine (3) Selone ce que Dieu les engame,

dit ce poète, en pariant du culte à rendre à la mère de Dieu.— Voici un autre exempte du mot enganer avec le sens de tromper, Abès tuas Loy engané (4).

Engeigner, engéner, engenner, même sens que les précé- dents, cependant quelques-ups (le CCS mots comme en gêner, engigner se retrouvent aussi dans te sens de produire, créer,

(t) Èdelestand et Alfred Dumesnil, Dictionnaire du patois normand. (2) jebaD de Meung, dit Ctopintl (XIlI° siècle), parce quil boitait; une lettre dEtienue Pasquier h Crias prouve que Jelian de Meung vivait sous le règne de saint-Louis. (3) Carne, voix. (4) Le reclus de , roman de charité, strophe 114. 83 engendrer ; dans ce cas, il ne sagit plus de la même racine mais dune autre appartenant aux idiômes pélasgiques où elle a donné en grec €o,cs et :yqtcci, en latin gignere doù chez nous nombre de dérivés depuis la Généalogie jusquà la mère Gigogne. Nous trouvons ici un exemple de plus de mots ayant le même son avec un sens tout différent. Cest pro- bablement par une licence orthographique fort commune dans le vieux français que lon a rapproché en.gizer, engendrer, de eugeigner tromper et-que, la prononciation aidant., on a fini par donner à enginer le sens dengeigner. La Fontaine a employé le mot ehgigner dans le sens de tromper

Tel, Comme dit Merlin, eu ide enseigner autrui Qui soutent sengeigne lui-même. Et le fabuliste ajoute Le mut en vieilli, jen suis lâché pour lui Car Il est dune force extrême (I Dans le Roman du Renard (2) Na encore guSes quil cuida Tel ciigeigna qui Ieugeigna.

En voici un antre exemple dans lequel le mot engaigne est pris comme substantif, il est tiré du Roman de la Rose (B) A qui pelez vous teles eliataignes, Qui ne puet plus faire dengaignes.

(I) La Grenouille et le fi ut, liv. 1V, fali. 11. (2) Perrot de Saint-Cloot (Cloud) co,ninéuecmeùt du _Xll0 siècle. Roman du Renard, poème burlesque en deux mille vers. (I) Guillaume de Lorris (Xine siècle), composa juatre mille cent-cin- quante vers du Roman de la Rose ; ce poème qui contient au-dclh de vingt-deux mille vers de huit syllabes, fut achevé quarante ans après sa mort par Jeluan de Meung. Il

I

D

Bit

En.gigner, enginer, en guener et enguigner, on trouve les - deux premiers mots dans le Roman de Garin:

Ne loi seguortie vos trent. oheir Sil ne le puent engigner, o traïr

?dès dune chose estes vous engluez.

Engeigneur, engeneur, ces mots qui sont pris dans le sens dingénieur, semblent venir du latin ingenium qui a peut-être lui-même pour racine la syllabe mère gan.— Rocquefort, dans sou Dictionnaire de la Langue Romane, cite encore les mots suivants avec le gens dingénieur: Engigneor, cngi- gneour, engigneur, engigneux, enginière, engignour. En voici quelques exemples. - Charlemagne montrant à Agolant, roi des Sarrazius, ceux qui étaient autour de lui, dit

Et cil sont mi arbalestrier Et cil la outre mi arcier Et dit autre sont minceur Cil de la sont eugigneour (1).

Le même auteur parlant dun général correspondant sans doute à nos généraux du génie dit

- Quant Ii bolus mesures Amauris Le sire des engignours (2).

(I) Philippe Mouskes, histoire de France, f. 145. - Philippe Monakes que les contemporains qualifient de.personnage savant et discret, nétant encore que chanoine de Tournai commença, comme il le dit lui-méme, h mettre en rimes toute thlstôire de la lignite des rois de Francs; Du Cange a donné quelques fragnenl.s de cet ouvrage h la suite de son édition de Ville- hardouin. Moushes devint évôquc de Tournai en 1274 et mourut en 1282. (2) 1bid. In Ludovioo VIII. f. 145. 85 De lintelligence prise dans un sens honnête notre racine 4 revient ici à son sens naturel, lintelligence prise en mau- vaise part, cest à dire la ruse, la fourberie. Jingignement, engien, engig, engignoison, ruse, finesse, fourberie, tromperie; ces mots se trouvent souvent employés dans la Chronique des Dues de Normandie. Le niot engin si fréquemment répété dans les écrits du moyen-âge avec le sens de tromperie, ruse, vient du rnalum ingeniurn des auteurs latins de la décadence : cest de là quest dérivé le mal engin du moyen-âge « Si guis per t½a- mm ingeniutn in eurtem alterius misent atiquid, quod furatum est, etc. (1). » « Si par mal engin un homme met dans la chambre dun antre le produit dun vol, etc. » « Si guis hominem in judicio injuste contra alin ra aitercantem adjuvare per inalum ingenium prwsvmpserit, etc. (e) . » « Si un homme saviie par injustice et mal engin de venir en aide à un plaideur. » La Fontaine. emploie le mot engin dans le sens de piège pour les oiseaux ; on le trouve aussi de nos jours avec cette acception dans les règlements sur la chasse.— De cette racine secondaire surgissent la plupart des verbes que nous avons vus plus haut. Engin semploie également au figuré pour . si- gnifler finesse, industrie. Autrefois on jurait sur les traités et contrats avec cette formule : « quil ny avait eu dol, fraude, ni mal engin, » pour dire quils nétaient pas faits par sur- prise ni mauvais artifice.

(t) Ltx &iUca,Tit. 36, 4.— La lei salique est de la fin du Vo siècle, cest k dire trois cents ans environ avant Théroulde et les autres ro- manciers. (2) Capitula CareU magni, Lib. lii, cap. 27. 86

Mieux vaut engin que forée, disait-on autrefois, pour dire que ladresse et lesprit réus- sisent dans des choses où la violence échouerait. La. Fait- faine a rajeuni le proverbe

Plus fait douceur que violénce.

Et Voilure avait déjà dit

Force et engin en ce easjc1nploirais.

Nous ne parlerons pas dengi être h létroit, être gêné, au- quel Bullet donne gan pour racine. Lauteur du Dictionnaire de la Langue Celtique se trompe sans doute, car ce mot vient tout simplement du mot latin angi qui a le même sens, et duquel sont évidemment dérivés en fraflçis angoisse, an- xieux et anxiété. Gan est encore cité par Bullet avec lacception de grand. Si cc nest pas un homophone de notre racine, cest-à-dire un mot ayant le même son avec une signilication différentè, éter- nelle matière des jeux de mots dans toutes les langues, pont- être nest-ce quune antiphrase semblable à celles de la langue grecque qui nommait les furies J(J\, cest-à-dire les très douces, et f:yç, hospitalière, la mer Noire sur les bords de laquelle on immolait les étrangers. Sans doute aussi, comme il arrive souvent, aux yeux du vulgaire, la fourberie, la lnalie, accompagnées du succès, deviennent-elles de la grandeur. Le glossaire des poésies du roi. de Navarre donne le mot ganéon, débauché. Viennent ensuite ganas, ganes, gannes, gané, ganelet, ganillon, ganellos, ganélon, gannelon, ganéon, ganilon, gannilon, gueqallon, gué né, guciullon, guénilon, guénelun, traître, fourbe, perfide, qui sont employés au NIM

87 propre et au figuré dans la Chanson de Roncevaux. Pierre Blanchet, dans la Farce de Pathelin, fait dire -à M. Guillaume sadressant à lavocat:

Vous êtes plus traistre que Canes.

Et à une époque bien antérieure dans les Dits des philo- sophes :

Avec les fans et les félons Qui sont pareils as Gnelons (1).

Bans le roman de Géra-rd de Vienne (2) on trouve -ces diverses expressions, et notamment dans un discours contre les traîtres que lauteur met daiis la bouche de lun de ses personnages, Huon le Roy. Nous ne le reproduirons pas, nous ferons seulement remarquer que Bertrans Clerc, contraire- ment à notre opinion, admet comme vérité historique la tra- dition générale. Mais si Virgile a pu réunir Bidon et EI I)éç qui vivaient à plusieurs siècles de distance, si Voltaire a pu prêter de forts beaux discours adressés à Etisaheth dAngleterre par notre Henri 1V, qui ne la jamais vue, un peu de licence poétique est bien permise à Bertrans Clerc. La poésie vit de fictions. - On trouve dans Bullet lait élévation, loin le haut, le faîte, cette racine accolée à celle de gan ne signifierait-elle pas, mon- tague de la trahison 6u du traître? M. Duehalais a laissé

(1) Cité par la Chronique des ducs de Normandie. T. III, p. 34, en note.— Cette chronique cpinpose par face ou Vace, commence Il Richard 1, et sarrête Il Robert Courte-Reuse, e!) 1165, on la nomme encore Je Roman du Bou. - (2) Bertrans Clerc e composé cet ouvrage h Bar-sur-Aube, au Xtll° siècle.

M 88 entrevoir que telle serait sonopinion. Cependant nous s&ons bien plus dans le vrai en recoùnaissant avec lun de nos plus illustres et de nos plus vénérables savants, M. Hase, de linstitut, que la terminaison tan ou ton nest ici quaugmen- tative. - Les mots Waneion, Wénilon, sont les mêmes que•ganndon. De nombreux exemples constatent la permutation des con- sonnes y et w en g.cn f et même eu b, comme nous lavons mentionné ailleurs en étudiant les inscriptions des cimetières de Rome dans notre Catéchisme dans les Catacombes de ltome:(1). Cest ainsi que les Wascons du moyen-âge sont devenus de nos jours Gascons et Basques (2). De toutes ces citations il résulte que, dans le vieux français et dans la langue Romane, gan exprimait presque toujours une idée de fourberie, de méchanceté, de vice ; et dans notre français daujourdhui navons-nous point ces mots brigand et brigandage? Mais qui avait apporté cette racine pour limplan- ter dans le vieux sol gaulois ? Cest cc que nous essaierons de découvrir dans les chapitres suivants, et pour né pas nous égarer dans nos recherches nous nous rappellerons ce pré- cepte dHorace

ficta que noper babebunt verba fidein si Gr2eco fonte cadant parS detorta ......

(1) Quelques fragments de ce travail ont paru dans les Annales de la Chu- riS de 1858 et de 1859, Paris, Adrien Le Clère. (2) A propos de ces permutations de lettres, Scaliger, fort peu plaisant de sa nature, na pu sempêcher de plaisanter un peu, en latin bien entendu; a Fortu,iatœ gentes, sécrie-t-il en parlant des Basques, quibus biberc est vivero f» 89

111.

Grée,

Il nest pas impossible que la racine gan qui existe en Grec ne soit passée directement de cette langue dans les idièmes de la Gaule méridionale. En effet il est incontestable que lescolo- nies phocéennes de la Gaule ont eu une très grandé influence sur la langue populaire de ces contrées. Présqué tous les peuples ont eu leur patois ; Borne avait le sien, et peut-être était-il plus parlé dans la vie habituelle que b langue la- tine propremelt dite. Or cette langue populaire, que Cicéron appelait lingua ntstica, que Plante opposait à la lingua nobilis des patriciens et dans laquelle étaient écrites les AlellancÉ, ces comcdiœ plante destinées au peuple, est ce quil y à de plus tenace. Le patois est ce qui résiste le plus long- temps aux révolutions qui changent parfois si profondé- ment les moeurs et lidiôme dés classes plus élevées de la société. Lantiquité nous offre un exemple frappant de ce fait dans le vieil idïôme osque, qui, sous les empereurs, était encore parlé par le peuple aux portesdé Rome, alors que le nord de lItalie, la Gaule et même lEspagne entendaient parfaitement le latin. Cest Festus (1) qui nous laflirme quand, après avoir cité un passage de Vestius Titinius il ajoute que le paysan des environs de Terracine ne compfenait pas lè

(1) Ï?estus (Pompeius Sextus, V siècle après J.-C.), abrégea le de verbo- runi si,iificotione deT Verritus Flaccus, savantgrammairien dudu siècle dAu- guste. Scaliger dit que Feflus est de tous les grammairiens celui qui e rendu le plus de service a la 4angue latine; son ouvrage fui imprimé pour la premièrè fois h Milan en 1471. Un savant adadémicien, M; Egger, en a donné une excellente édition, I vol. in-18 carré, Paris, 1838, chez Bourgeois-Naze. (2) Auteur comique, contemporain de Plaute.. Mont. 42 D

90 latin sunt qui oscè et tjolscè fabulantur nom iatinè nesciunt. Ainsi de nos jours on parle français sur une grande étendue de la côte dAfrique tandis queu France on ne peut se faire comprendre dun montagnard des Pyrénées ou dun paysan bas-Breton. $ Pour revenir aùx influences du grec sur la langue , du midi de la Gaule, citons quelques mots qui appartiennent encore ou appartenaient naguère au patois provençal. Pelech

la mer, ,rœ7oç idria vase à puiser de leau, de Uh arton, pain, a, le grec moderne se sert du mot tapeinar se tapir, açu,Jç qui signifie court, petit, humble. .Deipna r, manger, se nourrir, deipnar montre évidem-. ment que diner sécrivait jadis dipner, etc. Lusage du grec sétait en effet maintenu dans la Gaule longtemps après quelle était devenue romaine par la conquête. Le biographe de saint Césaire, évêque dArles, au commence- ment du Vie siècle, rapporte que ce prélat voulant éUblir dans son église la psalmodie usitée dans celle «Orient prescrivit que le chant du peuple alternerait avec celui des ôfficiants, ce qui se faisait ajoute-t-il, tantôt en latin tantôt en grec. Daprès ce qui précède rien ne soppose a ce que la racine gan nait été introduite dans notre ancienne langue fran- çaise par les colons grecs. Cette racine se rencontre en effet dans la langue dHomère, mais nous devons recon- naître quelle sy prend souvent dans un bon sens, et, quelle entre dans une foule de mots qui, comme expriment léclat, la gaffé. Cependant est souvent pris dans une acception défavorable , ainsi selon Hesychius (1) ,Joç veut dire un homme plein de ressource et dartifice. - Le plus

(I) Lericon Grœcutn, Cologne 1146, 4

91 hideux des animaux féroces, la hyène, qui excite à la fois la crainte et le dégoût, sappelle en grec y; : « 0v J

O LEyIOdÇ X p À,za, (1). dl fi P Vi V, ti J agw.v, jtfl & Lanimal que les titis appellent Catie, dit Aristote, les autres hyène est de la taille du loup. » Et ailleurs: « E,-r: J iiPt4

n7 OfIVfl (s) » « La hyène est y . lanimal que les Ephésiens appellent Gann.e. » Le mot hyène, était le mot européen et ou ,a, y oç le mot asia- tique, ce qui reporte notre gan en Asie au berceau de toutes les langues. Nous retrouvons encore cette racine - dans 4œ - sirriter, et où elle est précédée de I augmentatif pour indi- avons quer un transport plus vif. Dans un autre sens nous . ycw: bien vivre, doù viveur. Si donc en grec gan exprime souvent lidée de joie bruyante, de plaisir et de débauhe, cette racine indique parfois aussi comme dans J la fourberie, comme dans la férocité. Mais, dira-t-ôn peut-être, gan dans le sens que vous lui attribuez apparait assez rarement en grec t Patience, lecteur I cette source , peu abondante dans la langue grecque, va bientôt, dans la langue latine, couler à pleins bords.

Iv

Latin.

Nous pourrions avec bien plus de raison, répéter ici ce que nous avons dit précédemment des influences grecques sur

(1) Aristote Il, animaux, 8-5. (2) Ibid. Iii. 72.

ri 02 lidiôme de notre pays. Pour se rendre compte de tout ce quon de trouve latin dans notre langue, il suflutdembrasser par la pensée lhistoire de la conquête romaine et lhistoire de ses ,conséquences sur le peuple soumis. Mettez, a-t-on dit, dans nue fie déserte, un Allemand qui ne saura pas un mol de français, un Français qui ne saura pas un mot dallemand ils se seront bientôt composé un langage qui ne sMra ni le français ni lallemand, mais un patois inte r -médiaire, où dominera la langue de celui des deux qui aura le plus desprit et (le vivacité. Ainsi, dais nos colonies,, sest foré le patois créole, ainsi la langue française iest formée de la langue latine et des jargons de la Gaule et du Nord (1). Que de rapports en effet les Romains nont-ils pas eus avec nos ancètres, depuis les temps où leur apparition faisit proclamer le tuniultus gailicus et où ils sétablissaient dans lItalie septen- trionale nommée par les Romains eux-mêmes Gaule cisalpine jusquà lépoque où la Gaule était devenue une des provinces les plus florissantes de lempire t Dabord, selon lexpression pittoresque de lillustre acadé- micien, M. Ampère, ils viennent rôder dans la Gaule méridio- nale après linvasion çlAnnibal, puis ils fondent, près de Marseille, Aix, pour lutter avec elle par la pensée, Narbonne, pour la dominer par les armes. César paratt; pendant dix

(I) On nous a assuré quen Afrique un Polonais n fondé une école ou- verte aux enfants français, polonais et arabes, et que ces jeunes élèves, fins avisés que leurs parents, se sont formé une langue intermédiaire qui participç des trois langues mères, et qui nen reproduit . aucune. Qui sait? ce sera peut-être un jour un beau langage, ainsi •se sont formées les lan- gues modernes quun auteur célèbre appelle assez rudement jargons nouveaux Enfants demi-polis des Normands et des Gons. • 93

ans, il emploie, pour soumettre la Gaule, tout ce que la tac tique militaire a de plus habile, tout ce que la politique a de plus -tortueux. Et pense-t-op que durant ces dix années, si longues pour les uns et pour les autres, les Romains naient pas appris quelques mots des idiêmes gaulois pour les besoins de la vie, et les Gaulois quelques expressions latines, ne fût- - ce que pour maudire et insulter leurs vainqueurs? Ensuite, sous Auguste et ses successeurs, tout fut employé pour latini- ser. la Gaule; on déplaça les frontièreé des différentes pro- vinces, on changea les noms des villes. Lyon, la ville latine par excellence fut fondé, et Julien vint sétablir dans sa jolie petite Lutèce. - Enfin quand des flots de barbares vinrent venger lunivers des outrages que Rome avait faits h lhumanité, alors que la croix triomphante révolutionnait si heureusement le monde, les idiâmes parlés en Gaule se fondirent, et, avant de devenir 1h langue française,, devinrent ce- que nous les voyons au serment des trois fils, de Louis-le-Débonnaire. II est donc fort probable que si la racine gan existe en latin elle va pénétreren Gaule à la suite des armées.de soldats, de rhéteurs et de puristes qui sy précipitent;. de même que - dautre part elle a pu nous être apportée aussi, mais à une époque antérieure, par les colonies grecques. Quoi quil en soit de la route suivie-par cette racine pour arriver en Gaule au X0 siècle, limportant est de savoir si elle y est réellement par- - venue et si, de même que nous lavons trouvée en grec, nous la trouverons.en latin. Or les auteurs nous ly montrent fréquem- ment dans les écrits de la décadence comme dans ceux des plus belles époques littéraires.

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9h

I.T § LATIN ANCIEN.

Gana, ganeum, ganeo, taverne, mauvais lieu, buveur dé- bauché, etc. « Qui ganeas frequentat (1). » « Qui fréquente les cabarets. » - Quo vuitu cineinnatus ganeo, flou solum civium lacrymas, verum etiam pafriœ prèces repudiavit (2). « De quel air ce débauché sans pudeur a-t-il repoussé non- seulement les larmes des citoyens, mais encore les prières de la patrie. - Ganca, ainsi que gancum, voulait simplement dire un cabaret, il fut ensuite pris dans le sens de mauvais lieu ganea et ganewm expriment aussi la vie de débauche « Paulisper stetimvs in illo ganearum tuarura nidore al que fume (3). ((Nous nous sommes arrêtés un moment au mi- lieu de cette fumée et de cette odeur de tes libertinages. »

§ JI LATIN DU MOYEN-AGE.

Prenons maintenant quelques expressions dans les textes latins du moyen-âge, cités par Du Cange dans son immortel Glossaire. En.gan, artifice, machination, fraude « Meut vos, vel aU- qui per vos, ad utilitatem vestram tneliws inteiligere pol fstis per fidem sine engan...... Et de ttoe spectabo vos sine vestro engan per menses sex. (k). » « Comme vous, ou quelques-uns de vos agents vous trouverez quelque chose de mieux dans votre inté- rêt avec bonne foi sans perfidie...... Et sans mauvaise foi de votre part je vous attendrai pendant six-mois. »

(I) Varr. apud Non. e. 2, n , 387. (2) Cicer. in seneot. 5. (3) Saluste. Cat. Cap. XIII. (4) Pactttm inter Ikie(on.s Tales. etRaym. Barchin cornu, ana. 1125. 95 Engannarc, tromper; dans le contrat de mariage -entre Raymond, fils de Raymond, comte de Toul ouse et Sanche, fille de la reine Jehanne, on lit « Et ipsum in Dei fide et mea recipio quod eum non decipiani vet engannem (1). » « Et je le reçois dans la foi de Dieu et dans la mienne pour ne jamais le tromper ni le frauder. » Engannum, supercherie, tromperie. - Engein, fourberie; ((javais déjà partagé avec labbé Richard sans fraude et sans malice sine utto engein et sine ullo usage. (3)» - Gateton, galelonis, traître, parjure. (4). — Ganna-re, trom- per. - Ganare, acqùérir. - Gan.nitur-his, ganatura, ganm, moqueur, moquerie; Adhelme dans son de laudibus virginita- lis a dit - « iidicutosum gannaturœ oprobrium (5). » tc La honte et le ridicule de la raillerie. » —Je sais, dit Du Cange, que plusieurs savants prétendent que gannatura signifie gain honteux, parce quen espagnol, gânar (6) a le sens de gagner mais mon opinion me parait préférable. » Nous oserons ne pas partager ici lopinion du grand linguiste. On ne voit pas pour- quoi gan-natura ne signifierait pas mauvais gain; la racine yen étant donnée comme expression du niai, les Sots qui en dérivent sont susceptibles, comme il arrive souvent en pareil cas, dune extension plus ou moins grande. Inganum et ingannum, tromperie. - Ingeniose, par fraude. le Pans code de lois publié par, Rotharis, roi des Lombards,

(1) Octobre, 1205. (2) Marca,flist. du Edarn,liv. VI, cbap, 9,1103. (3) fusE.- du Béarn, liv. VI, ch. 1. n°2. (4) voir plus haut linscription de Népi, p. 126. (5) VII. si&le. (6) Prononcez ganar - 98 en 61i3, ou lit: « Viddur nobis ut quienmque liber homo (tige- niosô in servitium alicujvs se fradiderit, etc. (1). » « Si un hommé liMe sest Introduit paP fraude dans le servage dun autre, nous voulons que, etc.» Là traduction littérale de ingeniosè pris dansce sens, répond au mot français sciemment. Reniar- pions en passant quil fallait que la condition des hommes libres fût bien malheureuse pour quon sintroduisit par fraude dans le servage, et queWalter Scott, dans lvdnitoé, a fait parler le serf Wamha 411i Pefiisait la liberté que sox maître lui offrait couine on devait parler à lépoque dôlft il peint les niffiurà et que là conimeailleursIe grand romancier écossais a été t?ai et naturel. Dans les langùes du moyen-âge, nous avons trouvé gani fréquemment employé dans le sens que nous lui attribuons, pàtfois aussi il exprime léclat, la grandeur, mais le vulgaire donne si souvent ces noms au crime heureux I Le grec nous présente aussi cette racine dans quelques dérivés; dans le la- tin, flous la trouvons presque partout, soit dans la latinité du temps dÀugusle, soit dans le latin dégénéré; mais le grec et le latin ont une source commune, le Sanscrit; cherchons-la dans dot antique idiâmé.

V.

Sanscrit.

Il sagit donc maintenant de remonter encore plus haut que le grec elle latin. La première langue qui soffre à nous est le sanscrit; cette langùe est la mère commune des langues classiques et germaniques. Nous ne parlerons pas de la

(I) MuraLori, Antiquitates Itaticw, t. I, part. 2. p. 139 97 filiation des langues indo-germaniques, cest aujourdhui un fait acquis incontestablement à la science. En sanscrit nous trouvons dabord: han (t), frapper, tuer, doù en grec avec les préfixes z, a, œ y, r z(vw, XTEIV tuer. Rail fait hanas, frappant, de même en grec on a qui est le même mot que le sanscrit hatya meurtre, doù hantàrt, meurtrier, en grec krvrç et en Dorien zrcr; • Ladjectif sanscrit nigatin qui tue, meurtrier, appartient aussi daprès Adolphe Pictet (2) à la racine han, tuer. Le sanscrit nous offre encore la même racine dans un sens un, peu différent dans le verbe chenil (ch, z grec) saisir avec violence; en le retrouve dailleurs dans le verbe grec (3) et dans le verbe latin apprehendere doù en français appréhender dans ses deux sens lun matériel appréhender au corps, lautre moral appréhender un malheur ; cest de appréhender quest dérivé plus tard le verbe prendre. De là encore on vrra dans les langues teutoniques le mot hand main, dont les français ont fait gant par une transformation conforme aux lois de per- mutations; le g sest substitué à Ph. Nous avons pris le con- tenant pour le contenu ce qui,arrive si souvent dans la langue familière, manger un bon plat, boire une bouteille; le vête- ment pour lorgane; si nous étions restés fidèles à létymo- logie nous aurions écrit avec un cl gond, niais nous y manquons parfois dans la terminaison des mots. Lenfant qui apprend simultanément le latin et le français écrit verd au lieu de vert parce quil se souvient du latin tiridis, auquel nous

(I) Eicboff, Parallèle des langues de lEurope et de linde; Vocabulaire, verbes, p. 207 n0 150. (2) 0e laffinité des lan gués celtiques avec le sanscrit, i vol. in-S.. (3) Homère, Odyssée chant XVIi, Y. 344. Mont. 43 08 sommes restés fidèles clans verdure, verdâtre. Le peuple dit un liqueuriste parce quil connaît liqueur et ne sait pas que cc mot est venu du latin liquor dont ails avons changé la terminaison. Dun autre côté 1dn14 (1) dans la langue teutonique signifiait animal preneur et cest le nom que les ancêtres (les Allemands avaient donné au chien ; ils avaient été impressionnés HQfl plus par la fécondité de cet animal comme, les Grecs qui lappelaient mot dont la racine est la même que celte du verbe sanscrit evona qui signifie se reproduire, mais à cause de son habilet6 à saisir, par son aptitude à la chasse,, ce qui est une qualité majeure pour des tribus essentiellement chasseresses. - Au reste la racine sanscrite à laquelle se rapporte le verbe qui signifie saisir appariiçdt à lHébreux où le monosyllabe bail veut dire la main. VL lillôme, !Véo-Latins.

Én remontant à la, source des lariguesi nousi avons exploré successivement le Sanscrit, les langues teutoniques, le Grec,

(t) Dans la langue anglaise nous trouvons le mot hound qui signifie 14- crier; chacun connaît la merveilleuse aptitude de cette espèce de chien h prendre le gibier et notamment les lièvres, h la chasse: desquels il est em- ployé parles anglais. t— Ce mot est même quelquefois pris en mauvaise part. Ainsi dans Iua&ioé, le juif Isaac est qualifié de !iound 0f e Jet», o chien de juif, voleur de juif, expression à laquelle les habitudes usuraires dIsaac semblent attribuer le sens de la racine sanserile. - Dans le môme - ouvrage deWaiter serinions trouvons ailleurs.: « hound of lite temple,» chien du temple, dit At]ielslnne h l3ois-Guilbert le templier, croyant que ce der- nier lui a ravi sa fiancée, Rowena, tandis que le chevalier emporte, fille disaac.

0 99 le Latin et le Roman. Partout nous avons constaté la présence dune racine qui, depuis le commencement de bute langue et de lente civilisation jusquau X siècle après Jésus-Christ, a traversé les âges sans changer de signification, du moins sans que les nuancesen fussent altérées assez profondément, malgré les modifications survenues dans la forme dès mots où elle entre, pour quon en puisse perdre la trace. Notre thèse est donc prouvée. Ajoutons pourtant encore quelques mots pour montrer lin- térèt que peut offrir létude philosophique et raisonnée des, langues.Nous allons, par une marche inverse, du même point de départ, nous rapprocher des temps modernes et chercher à retrouver la racine gan dans quelques langues vivantes. Nous produirons une simple énumération des mots dans la composition desquels entre notre racine; Considérons dabord les idiômes Néo-Latins.

PT ITALIEN. - -

Le grand dictionnaire italien de Veneroni nous fournit la série suivante de mots qui appartiennent évidemment à la ra- cine gan.— Ingannare, tromper; ingannabile, trompeur; in- gannamento, tromperie; inqannaiore trompeur; ingannese, qui trompe ; inyannérolc, qui trompe; ingann&rolmente, avec tromperie; inganigia, tromperie; inganno, engin, artifice; in- gannoso, trompeur. Ces différentes expressions se trouvent fréquemment employées par les auteurs italiens -et notam- ment dans les ouvrages de IArioste et du Dante.

§ 2° ESPAGNOL.

La langue espagnole, cette autre fille du Latin, possède un bien plus grand nombre de mots dans la composition desquéls loo entre cette racine et auxquels viennent saccoler des préfixes et des flexions particuIièes suivant le génie propre de cet idiôme. Gan.a,tcia pour hijo de ganancia, enfant de libertinage, enfant naturel, mot à mot enfant de tromperie; engano, tromper; en- anum, tromperie; enjano et enganno, tromperie, fraude. Cette dernière appellation a été donnée à trois caps et. à deux îles : Capo dEn gwm, promontorin.rn fallax, prornontorium fraudis, signifie cap de tromperie 011 de fraude; le premier forme lextrémité orientale (le lîle dflaïti;le second lextrémité N.-E. de 111e de Luçon, lune des Philippines; le troisième est le cap dune des fies Mariannes ou des Larrons. Les deux îles dEngano se trouvent situées la première parmi les îles de la Sonde, du S.-O. de Suinatra, la seconde dans la baie du Geel- vink près la côte septentrionale de la nouvelle Guinée dans lOcéanie. On nest point encore parvenu dit-on à civiliser les ha- bitants de la jnemière de ces deux fies.— Engânna, tromperie, fraude ; engaiar, tromper; engdiasarnento, frauduleusement; en.gaiachador , embaucheur , qui attire par ruse ; en-. ganchor, enjoler; enganador, trompeur; engaiaso, faux, fourbe; eïgannad.ico, facile à tromper. Nous voilà pour ainsi dire embarrassés de nos richesses filles du Latin ancien, soeurs du Latin moderne et du Roman, ces deux langues nous offrent presque à chaque pas, dans nos recherches, la racine gan unie à lidée de tromperie et de méchanceté. 1f". Ediômes Celtiques.

Mais lés idiômes Néo-Latins ne sont pas les seuls parmi les langues parlées de nos jours qui conservent des traces de cette curieuse racine on la retrouve aussi dans les langues Celtiques. 101

§ 1er ECOSSAlS.

Gangaid, tromperie, duplicité, fausseté; gangaideacit, faux, fourbe.

§ 2 IRLANDAIS. Gangaid., tromperie; gangaideach, faux, fourbe. n § 3 BAS-BRETON.

Gana%, fourbe, traître, perfide, double; au pluriel gana- zed ganazez, femme fourbe, perfide, traîtresse; kaU ou gan, prononcez kayn ou gayn (en iï espagnol), charogne, au figuré femme débauchée, prostituée; inap-kan correspond à lEs- pagnol itideputa (1).

VIIL

- Béuimé.

Essayons maintenant de formuler les résultats qui pa- raissent ressortir de cette étude philologique. Si le style est lhomme, comme Buffon laffirme, la langue cest la nation. Fidèle interprète de la pensée, des moeurs dun peuple, la langue doit se modifier, sassouplir et suivre toutes les ondulations de ta mobilité humaine. Tel mot qui, au moyen-âge, ne voulait dire quune jeune fille se traduit de nos jours par une fille sans pudeur: Le mot libertin, qui naguère avait le sens dincrédule, signifie maintenant un dé- banché, etc., etc. Cette observation peut sappliquer non sen- lement aux mots mais encore aux syllabes elles-mêmes ; la

(1) Le Gonidec, blet, Cclto-Breton, 1821. 102 syllabe land prise originairement pour terre est devenue lande, une terre stérile. Il en est de même de notre syllabe flan, nous lavons vue tout en conservant soit origi: nelle, rélléter la teinte des diverses civilisations quelle a tra- versées. - On peut cet égard distinguer deux époques bien tran- chées, lépoque païenne et lépoque chrétienne, lune toute matérielle, lautre toute morale, et dans le paganisme lui- même, deux peuples principaux, les Grecs et les Romains. Chez les Grecs, 7)VC5( nexprime que lidée de bien vivre, tin et un gai viveur avec lequel on aimerait à perdre dé temps en temps une soirée. Cest que les Grecs étaient un peuple voluptueux tuais élégant, sensuel mais aimable ; hs poésies dAnaci-éon -sdnt le plus fidèle miroir de leurs vo- luptés gracieuses. Borace est un Grec égaré à Rome; les Grecs auraient contemplé avec ravissement ce spectacle pa- risien

Oit les beaux vers, la danse, in musique, De cent plaisirs font un plaisir unique.

A lOpéra, lui Romain naurait remarqué que la nudité (les danseuses. Chez les Romains, en effet, chez ce peuple qui en tout a poussé lusage jusquà labus et la vertu elle-même jusquà la férocité; la volupté était brutale, le vomitoire était près de la salle à manger, chez eux: Consul populi Ro- mani, negotium publicum gerens, frus( s esenlentis vinura re- d-oientibus jremvnn suit-tu et totuin triliunal implevit (1).

(j ) Cicéron, Philipp. If. —Un consul romain, pendant quil remplissait les devoirs de sa charge, n souillé sa robe et tout le tribunal de vomisse- meuts qui sentaient le viii.

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Chez eux lesclave nétait pas tin homme mais ,une chose, il était permis den user et, suivant cette belle maxime, à quels excès de cruauté et de débauche des patriciens dépravés ne se livraient-ils pas au fond de leurs villas mystérieuses Aussi leur qanco était-il un coquin souillé de tous les vices: sous la république , Verrès ; sous Je triumvirat , Marc- Antoiie ; sous lempire, Vitellius, Héliogabale, Cara- calla, etc. Plus tard, sous linfluence du rhristianismei le règne passe .pdur ainsi dire du corps ii lâme. Lamour lui-même cesse dêtre une volupté pour devenir une sorte de culte renlu à la vertu et à la beauté : durant le cycle carlovingien, toutes les perfections semblent se résumer en un mot fidélité, tous les vices en tin mot félonie et cest ce quexprime pendant cette période du moyen-âge notre syllabe gan. Le Gannelon qui, suivant notre seconde tradition , aurait donné sort nom à la colline dont nous avons évoqué les. souvenirs r soutient loyalement sa patrie, son souverain, dans son ambassade au- près du roi Marsille; il ne devient déloyal et félon, traître et foi mentie, il ne devient gamielon, en un mot, que lorsquil sabandonne à la vengeance, cette farouche dominatrice des hommes à demi-civilisés. Ici, Cannelon ressemble aux héros dHomère, il a môme une nuance de perfidie de plus; ceux-ci sabandonnent à leur grossière nature, tandis que Gannelon est chrétien ; il doit pardonner loutrage, et rien de pire que lhomme qui connait la loi et qui ose: la braver. A ces hommes des premiers siècles du moyen-âge, il res- tait encore bien des vertus pour compenser leurs terribles défauts; que restait-il à ceux des époques suivantes? De même que nous avons distingué deux époques et deux types sensiblement modifiés entre le gan des Grecs et celui 10h des Romains, de même nous distinguerons deux époques et deux types pour le gan du moyen-âge. Nous venons de si- gnaler le caractère et les tendances du premier, le gan car- lovingien. te second , celui de la tradition du Kb au XVC siècle, est non seulement traître pour assouvir le dragon de son cœur, comme dit M" de Sévigné; il est cruel, dé- bauché, pillard; il ferre ses chevaux à rebours et prend de lâches précautions pour cacher ses crimes. Ce dernier type tient donc du gaiz romain par les appétits sensuels, du gan carlovingien par la duplicité et la traîtrise; il est enfin lui- même gan féodal, batteur de routes par le vol et la dévasta- tion organisés, par loppression quil fait peser sur le menu peuple, et par les cruautés que ce suppôt du diable, ce cuvert, comme on disait alors, exerce sur les victimes en- fermées dans ses prisons souterraines. Çes recherches philologiques nous permettent de penser que le mot Gannes est un symbole qui, en général, depuis lorigine de toute langue, de toute civilisation, particulière- ment en Europe, et notamment en France, sattache à toute idée de mal, de vice et de perfidie. Gannelon le traître a pu exister, mais nous navons pas même besoin de le supposer pour expliquer lorigine du nom donné à la montagne voisine de Compiègne. Dautres interprétations sappuieraient sur le roman et non sur lhistoire; elles mit tenté toutefois des imaginatiôns faciles à satisfaire, mais ne résisteraient point à une étude sérieuse des origines du langage.

n 105

APPENDICE.

Dans le cours des mémoires précédents il sest rencontré des points qui demandaient des éclaircissements ou des ober- vatiops. Si nous les avions alors soumis au lecteur nous aurions détourné son attention du but que nous nous étions proposé datteindre. Nous ayons dû les renvoyer à lappen- dice. On se souvient que le quatrième côté du camp de César était fermé par un retranchement improprement appelé par les habitants de Clairoix le Brunehaut ou la chaussée Brune- haut. Nous avons rédigé une note critique à propos de cette appellation donnéeS à quelques voies romaines du nord de la France ; elle est suivie de la nomenclature chronologique des monnaies trouvées sur le mont Gannelon et dune légende relative au puits dont il a été question dans létude qui avait pour objet le château de Gannelon ou fort de Charlemagne. Cet appendice sera terminé par quelques pages inédites de Dom Gourdin, intitulées Observations sur le filent Ganélon. Lexistence de ce document ne nous a été révélée quaprès lentier achèvement de nos études ; il a été lu à lacadémie de Lyon, le 7 mai 1171, par M. Perruche, maire de cette ville et membre de son académie ; une copie en a été 6fferte en 1859 au comité des Antiquaires de Noyon par M. Peigné de Lacourt. (1), cette copie vient de nous être communiquée, avec une obligeance et un empressement que nous sommes heureux de recoanattre, par M. labbé V. Lécot, secrétaire du comité et lun des professeurs les plus distingués du petit-séminaire de Noyon.

(t) Bulletin du ComiS des Antiquaires de Noyon, t. I. p. 70. Mont, n

106

t 1.

tes Chaussées Branchant.

On a souvent dit que les voies nommées chausàées Brune- haut étaient loeuvre (le cette reine, ou avaient été réparées par ses soins. Sans doute la femme de Sigebert, issue des rois Visigoths, plus civilisés que les rois francs, était au-des- sus de son siècle et du pays qui lavait adoptée; sans doute elle donna tous ses soins à ladministration des royaumes qui lui furent confiés, niais enfih elle na jamais gouverné que lAustrasie, et pendant quelque temps la Bourgogne. Elle a peut-être fait réparer les chaussées dites de Brunehaut puisque, comme le remarque Grégoire de Tours, elle aimait beaucoup à faire travailler et à bâtir ; mais ces routes sé- tendent bien plus loin que ces provinces, et cette princesse ne se souciait pas dembellir le royaume de Chilpéric et de Fré- dégonde sa mortelle ennemie. Mais quittons ce sujet qui

Dornements égayés paraît peu susceptible.

et passons à dautres histoires qui ont bien leur côté plaisant. Dabord vient un certain Reucleri, poète flamand. du 3(111e siècle, qui, pour rivaliser avec les Français descendus, comme chacun sait, de Francus, fils dBector, et voulant gratifier (1) an comtes de Hainaut et leur donnei aussi une origine troyenne, les fait remonter è Bavo, oncle de Priant. Ce Bavo, grand devin, mais aussi mal écouté que sa petite nièce Cas-

(t) flergier, Histoire des grands chemins de lempire, L. I. p. iOO. - Ce mot employé par Bergier avec le sens de se rendre agrdable à quelquun, vient du 9ratus fieri des Latins.

I. 107 sandre, avait en vain prédit les feux de Troie à son neveu le roi Priam. Quand ces feux eurent consumé sa patrie, ]3avo sembarqua, doubla les colonnes dhercule, qui durent lui rappeler les premiers malheurs cIa Troie puis, après avoir longé libérie et le pays des Celtes ; il vint se reposer dans les champs flamands qui furent pour lui ce que lItalie fut pour Enée. En vérité, il dut mettre assez de temps à son voyage puisquUlysse employa dix années à traverser lAr- chipel. Notre fugitif eut le loisir de fonder la viLle de Bavay, dy élever un temple dédié aux sept planètes, et dériger au milieu de ce, temple une colonne heptagone (1) doù partaient sept grandes voies qui se prolongeaient jusquaux extrémités du monde. fleucleri a célébré cette création par deux vers léonins, car lauteur aussi grand poète que profond historien, a voulu concilier les difficultés du rhythme moderne avec celles de la mesure ancienne

Rex septeni enlies imrnensos, rogna poternes, Jussit, et in gyrutil per totuni currere mundum. « Le roi fit ouvrir sept voies immenses, et ordonna quelles courussent en cercle autour du monde entier. » - Inutile de réfuter de pareils enfantillages assez amusants du reste, car

Nous sommes tous dAtliène en ce point, et moi-même, Au moment où je fais cette moralité, Si Peau-dArn métait conté, Jy prendrais un plaisir extrême.

Mais voici bien une autre affaire le diable, oui, le diable lui-même sest occupé de nos chaussées. Selon Lucius de

(1) Celte colonne heptagone du temple de Bavay nous semble être une réminiscence du milliaire dor qui était situé dans le Forum flomantsm. Elle se voit encore aujourdhui sur la place de cette petite ville,

f . 408 Tongies (1) qui vivait peu (le temps après Reucleri, ente fut pas Bavo (2), mais bien un de ses descendants au cinquième degré, nommé Brunehaut qui fit tracer par le diable les voies

(t) Nicolas Reucleri CL Lucius do Tongres sont cités par Jacques de Guyse dans ses Chroniques de Ilainavlt et Antiquités (I.e let Gaule Belgique (édit. française 8 parties iu-f 15, Paris f531-1532). Jacques de Guyse, religieux cordelier est né h Mous au XIV sièclesous le gouvernement de Philippe-le- Bon, dite de Bourgogne; il est mort h Valenciennes dans tin couvent de son ordre le G février 1399. (2) Cc Bavo, auquel la légende prête une origine si reculée et quelle Place au nombre des acteurs des temps héroïques de la Grèce, nest autre (lue saint Ba you. Bay ou ou Allowin issu dune famille noble de Liége mourut en 657 après avoir édifié, te pays de Gand par ses austérités et ses vertus, durant de longues années après sa conversion. Voici lépitaphe qui se lisait naguères sur son tombeau, elle est citée par M. Edmond Le Blaat dans ses inscriptions chrêtiennss de la Cant& (t. I. p. 421t).

QVI IATRIAE flF.CTOIt SPES GENTIS GLOhIA REGNI MAGNORVM PRIMV5 QVt MODO MAGNYS ERAS NON QVIA MAGNVS ERAS TE GLORIA MAGNA BEATVM SED CONTEMPTA DEGVS GLORIA MAGNA FACIT PRO GI1RI5TO PAVPER DESPECTVS VILIS EGENSQVE ET CIILISTIFAMVLIS NVNC CAPVT ATQVE itECVs DEI?VNCTVM REVOCANS QVi ?10RT15 IVRA TVLISTI MON5TRAS QVIItE Tint IVRA PATERE Vol,[ QVAM TV FVNI)ASTI QVAE TE TENET INCLYTE RAVO ECOLESIAM MERITIS PROTEGE SANCTE IVIS « Lépitaphe quoIt vient de lire, ajoute notre savant épigraphiste, fut Composée vers le milieu du Vile siècle, par suint Livinus pour la tombe de saint Itavou, enseveli h Gand dans léglise qui porte son nom; elle se trouve dans nue lettre en vers adressée b saint Florbert, CL qui se termine ainsi Hzce, Florberte pater, Livinus carmina mitteas, Inscriptum latere menus hahere dedi, Ut cum vastatos (let locus ille ruina Garantira conservet obrutus iste lapit. Par son style et par Ta mention de la noble origine de saint Bavon cette pièce présente tous les caractères des poésies épigraphiques du Vil sièdle. u 109 qui npus occupent. Mais, laissons ces folies pour revenir à lhistoire et à la linguistique. Pourquoi ces chaussées ont-elles été attribuées à Brunehaut épouse de Sigebert, roi dÀustrasie? Cest que cette princesse aimait à embellir son royaume ; Sigebert de Gemblours lui en rend témoignage : « Plura sanctorum cœnobia fundavit et œdi/icia ad,nirtzndi opens construsit. -h « Elle a fondé plu- sieurs monastères et construit dès édifices dun travail admi- rable (I). Gauguin ajoute u (ta ut, si irapensam cum lirunehilidis farina conféras, mirenis sané lot uno sœculo templa , assignatis proeveniibus (2) , exoedificari potuisse. » u De sorte que si vous comparez la dépense avec la fortune de Brunehaut, vous vous étonnerez certes quen un seul siècle, une femme ait pu fonder tant déglises et leur assigner un revenu. n - Langlais Richard de Witte va plus loin ; il dit en propres termes « .l3cclesiam sancti Yincentii Aodu- nensis fundavit, multa etiam opera miranda construxit : inter quw stratam publicain de Cameraeo ad Atrcbatum, Itinc ad ftforinum, cl us que ad mare, quw calcis Brunehilidis nominatur wsque ad hodiernum diem (3). n « Elle éleva à Laon léglise de saint Vincent, elle construisit plusieurs ouvrages admi-

(I) Sigebert de Gemblours in viUzsancIi Siqberti Austrasiorttm regis dans la collection de Duchesne Franeor. Scriptor. L 591. - Sigebert de Gem- blours lun des écrivains les plus savants elles pus laborieux du Xi e siècle naquit dans le Brabant français vers 1030, prit jeune lhabit de saint Ilenoit h cblours, au diocèse de Liège, il passa depuis h labbaye de saint Vin- cent de Metz et mourut le 5 octobre 1112. 0e lui doit divers ouvrages histo- riques et notamment une chronique qui semble être une continuation dEusèbe, elle commence h 38! quo Eusebius finit et sarrête h lannée 1412. (2) Doù te mot prébende, par le changement du y en b, dont on trouve tant dexemples dans les langues indo-gerinaniques et pélasgiques. (3) cité par Bergier là, 1 cli, XXVII, P. 102. F_

110 - rables, entre autres la oie publique qui conduit de Cambrai à Arras, dArras à Térouanne et dé Térouanne à la mer ; et que lon nomme encore aujourdhui chaussée de Brunehaut. » Que le peuple reconnaissant de la création dune route lui ait donné le nom de cette princesse, que, par extension, il ait, appliqué ce nom à toutes les chaussées analogues, nous lac- cordois; mais ces voies si prolongées ne Sont évidemment pas loeuvre dune reine dont les états ne se sont jamais étendus bien au-delà de la ville de Laon ; à qui donc appailiennent- ellcs ? aux Romains. Seul, le peuple-roi a pu faire ces grands ouvrages à laide de ses armées aussi vaillantes • à la fatigue qua la gnerre, et àlaide des populations soumises, travail- lant, cette fois du moins, pour leur bonheur à venir (t) ; et parmi les Romains, cc fut Agrippa, gendre dÂugusté qui, par lordre de cet empereur, traça quatre grandes routes par- tant du milliaire dor, et dont lune traversait la Bourgogne, la Champagne, la Picardie et rejoignait Boulogne (2). Mais doùvientle nom de Brunehaut donné à ces chaussées. romaines ? Du Cange (3) et après lui Dom Grenier (4) ont voulu le faire dériver de brwnda, tète de cerf; delà, ajoute Du Cange, est venu le nom de la ville de Brindes, Brundvsium, dont le paysage présente la forme (lune tête de cerf. - Jans- sonius (5) rappelle non sans raison le vieux mot latin brunda, solide ces chaussées sont en effet si solides que les généra-

(t) Strabon, Geog,. Eh. Iii. (2) lecius vel Gessoriacus portas.— Pline, Ilisi. use. Eh. vii. (3) Du Caiige, Glossar, t. I p. 787, édit. DidoL (4) Dt,ii Grenier, Introduction à t/Iist. générale do la iiverdie, p. 423. (5) Janssonius, In suis ad .iskl. Clossariuni cotloclancis. Ce savant fait aussi venir brl4nda du teuton lnrndig, solide, firutus, solidus. ILII tions de dix-huit siècles les ont foulées aux pieds sans les rompre. - Nous aimerions toutefois mieux songer à une autre origine; ces chaussées sont bombées comme la cuirasse romaine appe- léelorica, et nous trouvons le mot bruna. qui veut dire une oui- rasée ; ce mot est employé avec cette acception dans les livres carolins (1). « De brunis ut nullus foras regno nostro vendere prœÈumat-. » « Que personne ne se permette de vendre des cuirasses hors de mitre royaume.» - Brunea offre le même sens dans plusieurs pasages des Capitulaires de Charlemagne. Nonobstant ces diverses étymologies , - nous revenons à notre idée première ; les Romains ont construit ces chats: - sées ; Brunehaut en n réparé quelques unes et le peuple ne 0 sest souvenu que de Brunehaut. - Sic vos non vobis. J Il. Nomenclature des monnaies trouvées ane le Gannelon.

Auguste 14 à 26 après J.-C. - Tibère associé à son père ï4-W7 médaillon de bronze. - Néron 53-68 idem. - Domitien 81-96. - TràÇan 98-117. - Adrien 117-138 médaillon de bronze. - Antonin-le-Pieux 138-161 idem. - Aurélius Verus 157i-169 méd, dargent. - Septime Sévère 194-211 idem. - Gordien 238-244 idem. - Philippe lArabe 244- 249 idem. - Posthume 257-267 médaille de bronze. - Tetricus 268-276 idem. - Constantin-le-Grand 306-33i idem. - Maxence 306.— Constantin-le-Jeune 337-851 mé- daille en cuivre.— Constant (en Gaule) 350.—Magnence 350.

(i) Muratori, Antiquikxtes Italicoe t. 1 part. II, p. 95, col. 2. r-

1.12 Il y a trente ans on trouva sur le chemin qui descend à Bienville petit village entre Clairoix et Coudun une médaille grand bronze ayant pour légende M. AVRELIVS. CESAR. ANTONINVS. et une médaille de bronze avec linscription IMP. OTHO. CESAR. MG . TLI. P. 1.—M. le docteur Col- son, a fait connaître au comité des Antiquaires de Noyon, dans sa séance du S février 1859, que deux soldats de la garnison (le Compiègne avaient trouvé sur le mont Gan- nelon une belle pièce dor de Constantin avec cette devise au revers.: GLORIA ExntclTvs GALLICI (1). Cette-médaille fait partie de la collection de ce savant numismatiste. De plus nous lisons dans Dom Grenier sous le n LX de son Introduction â lHistoire générale de la Picardie Depuis que lon travaille à défricher le sommet de la mon- tagne de Gannelon près Compiègne, on y a ramassé la valeur au moins de deux boisseaux de médailles à commencer à Trajan et peut-être au-dessds jusquà la ehûfe de leïnpire. Nous ne parlerons que de celles que nous avons acquises dun particulier du village de Claiioy. La plupart sont en très-petit bronze, quelques-unes même ne sont pas plus grandes quune lentille. Les principales sont de Trajan; lune delles porte au revers, Consul III. Pater PairS senatus-considio, cest-à-dire que cette médaille de moyen bronze est de lannée 100 de lère chrétienne. De Faustine femme à Marc-Aurèle deux médailles fourrées id est de fer recouvert dune feuille dargent et de la grandeur dune de nos pièces de six sols. Les types sont bien faits. La face de la première porte Impérator Cœsqr Antonins Augustus, et le revers le soleil personnifié avec la légende

(1) Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, année 1859, n°1, p. 37. - Bulletin du Comitd des Antiquaires de Noyon, t. I. p. 10.

L. N;::.

,Pon.lifex rnaximvs Tribunitia PotState 1111 pater potriœ. La seconde est certainement de Marc-Aurèle ù en juger par la face et linscùiplion : Jrnperator Cœsar .dllarcus Avrelius Auto- niu.s Augustvs. Ces deux pièces peùvent passer pour louvrage de quelques faux-monnayeurs. Une Faustine-la-Jeune avec le beau vernis antique et en petit bronze. Un Plulippe-le-Père en grand bronze, Imperator Marcus Jutius Philippus Auqustus avec le Victoria Augusti et le scnatus-consulto. Un autre en moyen bronze avec liE quitas Auçjustorum. Une saussée de son épouse Maria Otacilla Severa Augusta. La tète est posée sur un croissant, son revers est concordia Augustorum. Une Salonine saussée de la grandeur dune de nos pièces de douze sols, la tête posée comme la précédente avec la felicitas publi- ta. Un Pothume père en grand bronze avec un trophée darmes auquel sont enchaînés deux captifs. Six médailles du même tyran des Gaules dites scmisses, parce quelles nont que la moitié du poids des médailles ordinaires du nombre des- quelles est lapothéose de ce tyran. Trois Claude II, fides mi- litum. Six Tetricus, salus publica Loetitia Augusti. Un.Probus Bcstitutor orbis. Un Licinius père Licinius.pius felicc Augustus, de la fabrique de Lyon. Toutes ces médailles sont de la forme de celles de Posthume. Enfin, in Constant, fils du tyran Constantin qui sétait fait reconnaître empereur depuis Bon- Sà tète Ion-ne jusquaux Alpes, Dominus Constans Augustus. est ornée du diadème en qualité dAuguste. Le revers-est remarquable en ce que ce prince paraît debout sur une galère tenant une enseigne dans le goût du Labarum, et portant sur le poing droit un oiseau. A côté de la galère est un terme eest_b_dire un buste de Mercure posé sur une colonne et derrière le buste un fouet. La légende félicitas temporum semblerait annoncer la circonstance heureuse où Mont. 15 .ltt ce prince - sembarqua pour aller en Espagne combattre lempereur Maxime son compétiteur. Cette médaille fut frappée à Lyon... »

Le Puits aux Trésors.

• Selon la tradition, des trésors avaient été enfouis dans le puits du château de Gainu Ion suivant les uns par Edouard III roi dAngleterre (1) , suivant les autres par ces seigneurs pillards et débauchés nommés Gannes, naguèrcs possesseurs du vieux donjon ; cette croyance sétait perpétuée de générà- lion en génération. On affirmait que cette cavité recelait de précieuses richesses. Séduits par. lappât de For., les crédules villageois dalentour conçurent le projet de fouiller le puits mystérieux dont la profondeur devit être de plus de icent pieds. Mais comme louvrage de Pénélope, la fralloflée quils avaient pratiquée avec beaucoup de peine pendant la journée était toujours comblée le lendemain au lever de laurore. Un être surnaturel veillait à la garde du trésor et détruisait la nuit le travail de la veille. Saisis dune crainte superstitieuse, les pauvres villageois renonçèrent à leur entreprise. Cependant de nouveaux champions résolurent dentrer en lice.; quelques mois étaient à peine écoulés que profitant de lexpérience du passé, ils convinrent de se partager la tâche et de travailler sans interruption. Pleins dardeuç M sencou- rageant les uns les autres par lespérance du gain, ils se ren- dirent un soir au château 4e Gannelon. Ils virent le soleil dispar4re de lhorizon sans éprouver de Trayeur. Mais quand

(1) Canbry, beseript ion au déparlement de lOise. (45 1 nuit fut profonde, lorsque la scène ne fut plus éclairée que par les tôtches qui répandaient sur les travailleurs des lueurs rougeâtres, ces bonnes gens sentirent Un frisson courir à tra- vers leurs membres. Néanmoins la nuit savançait et aucun fanIêm navait apparu. Le courage commençait à renaître, quand tout-à-coup les torches séteignent et une foule de spectres, des démons à cornes et à pieds de boucs, des monstres .à figure humaine envahissent le lieu du travail, semparent.dès pioche et renversent les travailleurs épou- vantés et sans défense... Que se passa-t-il ensuite? Qfl ne le sut jamais ; soit que par leur mystérieuse puissance ces mauvais génies eussent enlevé à leurs victimes la faculté de se souvenir, soit ;que celles-ci naient jamais osé divulguer le secret qui leUr avait été dévoi- lé pendant cette affreuse nuit. - Le lendemain, lorsque le soleil commencait à dorer les côteaux, la troupe des travailleurs descendait lentement la montagne sans échanger ni un mot ni un regard. Chacun regagna dun air morne et consterné sa demeure et nul ne songea depuis à renouveler cette périlleuse entreprise (1).

Iv. Observations sur le mont Ganélon par -Dom Gourdin (2), religieux bénédictin de la Congrégation de Salntflaur.

« Les monuments antiques, les médailles, les statues de toutes espèces sont les archives de lhistoire ancienne. Larchitecte

(I) Graves, Notice archéologique du département de FOisc 2 édit. 1856, page 112. - (2) Dom François-Philippe Gourdin, religieux bénédictin de la congréga- Lion de Saint-Maur, ancien 1professeur de rhétorique, membre des académies r-

118 y trouve (les exemples de bonnes proportions, k peintre, comme le statuaire, y trouve quelquefois des modèles à imiter et toujours des témoins assurés des pratiques religieuses, des

royales des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, de Caen, de Ville- franche, de la société littérairede Boulogne, du musée de Bordeaux etc., donne lui-même une notice autobiographique qui renferme des détails cu- rieux sur ses premircs années, depuis sa naissance jusquen 1774. Cette notice est entre les mains de M. Alfred Balet la robligeant empressement duquel nous devons la communication de ce document sur son grand oncle. « Je vous obéis, dit Gourdin en 1781, à son confrère M. Deschamps, et mal- gré toute ma répugnance, voici le détail de ma vie: vous y verrez toute lin- constance de ma jeunesse, et combien peu jai tiré parti dé moi-même, jusquà lâge de dix-huit ans; mais les circonstances font les hommes. , François Philippe Gourdin naquit h Noyon, 2e 8 novembre 1739, de François Gourdin, peintre, élève de lécole de Paris; il fut Uaiilé de quinze enfants : son père, plein dautour et denthousiasme pour son art, ledesli- nait h la peinture. A lâge de quatre ais, laissé seul dans lateliei, il pend les pinceaux, mélange toutes les couleurs et gâte un tableau sur le chevalet. Le père rentre, et prenant la chose du bon côté, il trouve ce moment na des -plus heureux dc sa vie. Dès lâge de six ans, il mit un rudiment dans les mains de son fils, qui devait avoir fini sa rhétorique h douze ou treize ans, en joignant létude du dessin h celle des lettres. Cétait le calcul du père ...... mais le fils en annonçant quelques dispositions pour lune et pour lautre, ne fit aucun progrès. Ayant quitté le collége en troisième, il se livra au dessin avec ardeur et quelques succès. Sentant le besoin de lintelligendè des bous auteurs, il reprit ses études. En seconde, il fit une pièce denviron deux cents vers sur la mort de Louis XV. En rhétorique il abandonna les vers latins absolument. li fit ensuite dix-huit mois de philo- sophie, quil commença pàr la physique de Descartes, quil écrivait sans létudier ; mais il prit goût à la lecture, et fit beaucoup dextraits. t, En 1160 il cuira chez les Bénédictins, fit profession à labbaye de Saint- Georges eu 1761, et ses cours de philosophie et de théologie h Saint-Van- drille mais sen antipathie pour le jargon de lécole lui faisait regretter les moments quil perdait pour la littérature. En 1767, renvoyé h labbaye de saint-Georges, il fut nommé dépositaire, six mois après quil eut reçu la prêtrise. Ce fut alors quil mit la dernière main aux Après-dinet û -i

117 - usages de lhistoire ancienne;ncienne delà lempressement des artistes à en faire la recherche, dans les décombres sous lesquels les révolutions des empires les ont ensevelis, et le soin des anti- quaires à recueillir ks, morceaux précieux que le hazard fait retrouver.

campagne, qui parurent en 1172, h la suite dune brochure intitulée lHomme sociable, déjà imprimée en 1767. » En 1769, nommé professeur de rhétorique au collégé de Beaumont en Auge, il y composa une Rhétorique française, un Recueil dextraits des poiles allemands, imprimé en 1773, avec quelques pièces de 52 façon ; de plus une traduction de lArt poétique dHorace avec des notes et des re- marques. Après cinq ans denseignement, il demanda h se charger de lHistoire de la Picardie. n En 1171 Dom Gouidin fut associé h lAcadémie de Rouen h cette époque il lit paraître un livre ayant pour titre Do laction de lorateur. Bientôt apparurent successivement jusquen 1791 trente-cinq pièces de vers, qui par la variété et limportance des matières annoncent une grande étendue de connaissances. Outre ces oeuvres il composa encore tin grand nombre de mémoires et de dissertations, en 1787, un Traité sur la traduction, dont les professeurs du collège de Rouen se servirent longtemps pour lenseigne- ment de la classe de seconde. En dernier lieu il composa on livre De la et de discipline. Quant à ses Prin- prescription en matière de foi, de morale cipes sur la grammaire en général, pour servir dintroduc tion à rnude des langues, et en particulier a celle de la langue latine, nous ignorons lépoque (le leur ccmpositioh. - Quand la révolution de 1189 éclata, Dom Gourdin forcé comme les autres h se cacher, rentra dans lordre séculier, mais sans sécarter jamais de son devoir : sa vie fut très chrétienne fidèle b ses premiers engagements il sut attendre (les temps meilleurs jusquau momént où Napoléon releva les autels du culte catholique. Le bénédictin revêtit alors de nouveau lhabit de prêtre et reprit ses fonctions ecclésiastiques jusquau moment de sa mort. - Depuis cette époque il occupa divrs postes importants h lacadémie de Rouen. Il mourut h Boasecours-près de cette ville en 1824 h lâge de 85 ans regretté de tous ceux qui lavaient connu. I>_

118 Une petite montagne, appelée le mont Ganélon, situé à une lieue de Compiègne, doit cacher beaucoup de preuves de lha- bitation des Romains. Un antiquaire, que je rencontrai à Coin- • piègne dans mon voyage de lannée dèrnière (1769), y a trouvé en différents temps et conservé très soigneusement cinq petites figures de bronze antiques, et deux de terre, cuite. Deux de ces petites statues, denviron six pouces de hauteur, sont lune un Mercure et-lautre un soldat,, dun travail étrusque fini avec le plus grand soin. Une troisième figure, de sept pouces un quart de hauteur, représente un Jupiter dun travail romain très bien exécuté. Le reste était de peu de valeur par sa mé- diocrité dans lexécution. Ce curieux a conservé aussi plusieurs fragments darmes romaines et quelques instruments servant aux sacrifices. » Lespérance de [iouver quelques débrisrelatifs à la sculp- ture me conduisit à cette montagne. Mes recherches ne pott- aient être profondes ; elles furent infructueuses sur inon objet, mais je fus dédommagé par diverses curiosités natu- relles en fociles (sic) qui me parurent mériter attention et que jai lhonneur de présenter à vos observations. »Je passai plusieurs jours à parcourir la montagne. Jai cru y voir des vestiges indubitables du passage des Romains et peut-être de leur habitation cii ce lieu. Je soumets à votre jugement les remarques que létat du local rha fait faire. Au-dessus du village de Clérois -Ctairoix), éloigné dune petite lieue de Compiègne, en tirant du midi au nord, est une montagne nommée dans le pays Ganéloni A "la voir, on lesti- merâit élevée de cinquante toises sur la rivière dOise, à son confluent avec la Daine (lAisne) qui en est peu éloignée. La rivière dOise, accrue des eaux de la Daine et peu après de celles dAronde, va baigner les murs de Compiègne. Cette

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119 montagne est de forme triangulaire ; sa ciète forme un rep1at denviron une demie lieue, dans sa plus grande longueur; elle se trouve environnée dune petite plaine avec quelques coteaux peu élevés dans le sol et très fertiles ;elle est voisine de quatre paroisses ; mais elle est inaccessible , et sélève presquà pic (sic) du côté des paroisses de J3ienville et de Coudun ; on y monte à pied par .Clérois et en voiture par Annette., On ne trouve absolument point (leau sur sa hauteur; mais à mi-côte, il y a deux sources assez considérables ; celle de Clérois a été reconnue par les chimistes supérieure par la qualité de ses eaux à larivière qui passe à Compiègne; le roy (Louis XV) a fait construire tout ce qui était nécessaire pour recuillir et conserver ces eaux pures à la source ; il tient un concierge. La Cour, pendant le voyage de Compiègne, ne boit que de cette eau elles habitants sen abreuventjournel- lement. Dans lexamen que jen ai fait, jai remarqué quen sortant de dessous terre, dans le tabouret construit pour la recevoir, il y a dans le fond une espèce de rouille qui indique quelle est minérale et ferrugineuse mais à la hauteur de sa superficie, hauteur où son dégorgeoir la tient continuellement, lon aperçoit tout autour une petite croûtede la même qualité de la pierre des environs, ce qui annonce quelle est aussi lapidifique, ce qui la constitue défectueuse, quoiquelle soit effectivement supérieure aux eaux de puits et à celles de la rivière de .Compiègne, dans lesquelles le savon lie peut se dissoudre. Je minformay doù venoit la.;petite rivière dAronde qui psse but auprès et dont les eaux flue paraissaient houie; jappris que sa source flétait quà une lieue et demie ou n deux petites lieues du village de Çlérois, dans le parc du château de Monchi. Jallai examiner sa irnirce, pli est précisé- ment à la tête de ce parc, au pied dun petit coteau où est

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120 formé unassez grand bassin dans lequel on a• pratiqué diffé- rents canaux pour dessécher le marais et aussi pour décorer le locâl. Après avoir circulé dans les fossés du château, leau se répand dans les campagnes en serpentant au pied du mont Ganélon. Elle fait tourner dix moulins dans le court espace dune lieue, et avec le sable, quentraînent ses eaux au pied de la montagne, elle porte dans la rivière dOise des petits coquil- lages pétrifiés qui se trouvent en abpndance dans cette mon- tagne et qui donnent un caractère au sable que lon voit sur • les bords de cette rivière tous différents aux environs de Com- piègne de ce que lon voit avant que lAronde vienne luy apporter le tribut, de ses eaux et àune lieue plus bas. » Toutes les observations, et lanalyse que jai pu faire des eaux de lAronde à sa source; me les font estimer dune qua- lité de beaucoup supérieure à celles de Clérois et meilleures pour la santé. .

Sot mi MONT GÂNÉLON:

» Dans la face méridionale de la montagne, près de son som- met, partout où .la terre laisse quelquouverture pour aperce- voir son noyau, on remarque une sorte de pierre qui nest point par couche, mais par masse irrégulière, toute percée, mais nayant rien de semblable au tuf ; quelques parties sont une sorte de poudingue, dautres ressemblent à des glaçons, mais les grandes masses généralement ressemblent à de la terre glaise dans laquelle on aurait fait des trous de toute grandeur avec un bâton et présentent plus de vuide que de solide. En cassant la superficie, on reconnait partout la même dureté et le même grain de pierre. » Plus avant sur la moxitagne on rencontre presque partout des masses dun petit coquillage dont je ne connais point 121 lanalogue ; il est bivalve, de la forme dune lentille. Le plus gros ne passe pas six lignes dediamètre et dans lintérieur on voit une multitude de lignes concentriques. Dans des endroits ils sont peu liés ensemble et se mêlent facilement avec la terre; dans dautres, ils sont amalgamés et presque fondus avec le sable qui a formé la pierre. » Lon a ouvert unecarrière sur cette montagne, il y a envi- ron un demi-siècle ; on continue à lexploiter ; les couches supérieures ne sont que sable. A six pieds au-dessous, on trouve un banc de pierre dont on a fait des moellons; leur qua- lité est inférieure, ils doivent sécraser sous la charge, pour peu quelle soit considérable. Dessous est un banc de sable denviron deux pieds dépaisseur et ensuite une pierre excel- lente à la loupe, on voit quelle est composée enplusrande partie de ces coquillages qui y ont presque perdu leur forme le pont neuf de Compiègne (t) en est construit,, etIa chaux quo lon en fait est excellente, attendu la quantité de corps muzeag dont elle est composée. En tirant toujours au nord, sur la montagne, on retrouve ces grosses masses de petits coquillages, dont les uns sont plus, dautres moins pétrifiés, mais toujours même forme et même grandeur. Lon en ren- contre des masses formant gâteau, qui ont plus de cent pieds cubes de grosseur, et, à lextrémité la plus au nord, ces petits coquillages se trouvent mêlés avec des cammes de plusieurs espèces, mais toujours coquillages marins. » En descendant la»montagne.du côté du matin,,lon trouve à

(I) I3MI en 1733 par Claude l3ouiltette, entrepreneur, sur les dessins de M. Dubois directeur général des ponts-et-chaussées, et sous la direction de M. Lahire, inspecteur-général. On volt encore dans un grand bâtiment de la Brasserie de Compiègne les poutres et les charpentes qui ont servi de sotijien etdéchafaudage Ior dea construction de ce pont. Mont. 16 122 ni-côte un banc dhuîtres qve ion peut suivre, plus il iune demi-lieue. Loquil passe dans un terrain glaiseux les huîtres sont très bien conseryées; on croirait même reconnaltre le poisson dedans avec sa couleur naturelle. lorsque, le banc p5sC p.ax un sol: sa peux, les buttres sont décomposée et presque friables ; lorsqu on, veut les toucher,, elles se brisent dans les, doigts. Dans. dautres endroits elles sont pétrifiées.

Leur forme, est Lit variée les, tities ont quelque ra pp or t avec les huîtres de nos. rneçs ; mais la plus grande quantité se rapproche davantage de celles des Grandes-Andes et -dautres de,.celies de lamer Rouge. Elles sont variées pour la forme et les grosseu,çs les plus, fortes que jav .tes ont enyiron, quatre 1)ot1es par trois, dautres ,cinq iw un et demi, delà jsqauz Plus petjtes, et les. formes Nariées . a, linfini. y. Lon rencontre encore niegrand. nombre 4e silex sur cette montagne en ai vu qui étoient dun beau bleu comme le.. lapis J2auhi. Lç.pes, monts ou côteaux qui avoisinent celuy-çi nont rien de semblable dans ce que Von peut apeçcQvoir de la nature do leur seLLa: plus grande partie seL dès niasses dune espèce de pierre, blanche qui nesLpas. calcaire ; cest une soie de crave. Il y a ce.ç.endanj assez 4e terre pour les recouvrir, pujsqu.e la plus graflde partie de. son s,o,l est très fertile. Lon trouve encore dans celte terre beaucoup. de silex mous (1).

(I) Mettons sous les yeux du lecteur la description géologique que le savant et trs-regrétté M. Gçaves nous a laissé du mont Gannelou, dans sa Statistique du canton de Comphigri,e publiée, en 1850, p 19 et 20. M. Gravùs, directeur-général (les Eaux et Forêts, est mort le 7juin 1857. « Le mont Ganelon est une masse de sable glauconieux, couronnée par les bancs inférieurs du calcaire grossier. Le sable est comrnc divisé en, deux Li

» Cette moMàgôe a été hiculte pendant un laps dé temps très cohsidrab1e ét àritlé dhs sa partie méridionale. II y a un bS mal planté M négligé, îut iôd et couchant. Les sci- gut -dAheUé, dont la plus grande partie de la ilbÏiiàgAe dehd, aviient ahcune habitâtioudcèhte. tekiis que

assises dont fi ligne d0 jnncflon est marquée pat une terrasse, ni tiers des talus. On voit prés du village de Clairoix une sablonnière dont lescarpement phéh(é de leh lisit4, dMbiïs iiitnMs : . sablé gaoeôniut inèIn- gé de grisfet de aifntift6; éoup6 de ligues ohteïisés, nidUfti cl gtiièt- ment feuilleté vers le haut sable glauconieus, •fauve avec fossilês appartenant h la zone moyenne de cet étage ; toutefois le lit de fossiles nSt pas ébnfiuift, les coquines forment plutàt des poches ou amis; - able tè-g1àiS5hieu, Ta gros gins, san fossîles - shbb piùs fin, gtisâtè, uvée des fils trrégbtiets de tôthe ualcâiiê tbbdte h téïtiirb ihégalb; .» Cette première masse est rècouverte par le dépôt diluvien et aboutit à nué terrasse qui règne tout autourdes côteaux. Là sbéoiide ,nhsù Smoienàe par un sable rempli de concrétions cal- câWes tùhereuladse, lqdi pdniteit, à fllbsftrd qIiuià sélhve, une formé plus déprimée, puis une apparence, en allant à louest vers cette roche montre une stratification presque régulière. Au-dessus existe un calcaire dur, blanchâtre .. tin peu coquiller; il forme une seulercubcheésignéMkis lcnomde tant rrftn, êtfoÙnlit4dtebllbhh matéiiaux pour les constructions hydrauliques; - ensuite banc do vblàèbu chleaite à texture inégale, brisé en fraginems; tlotit lesj6iht•soht rcihtis dé chaux pulvérulente ; - sable caltairé 1Mhéhêtl% fin ; uMbhirCfr- meiitire rempli de nummulites ; il se décompose en ih tablé gKsâtr et l6 . fossiles couvrent In superficie du çlateau. Ces coiichesiversS fleXiitcûtpas niee -utabégalh ptlintailtd dalià toute létendue du Ganelon. Les banc eaieàiies sntit;alnlnèis dtt tôtédelOisu, et cest à cette circonstance qù 1cal ijoit attribueF les peÉLM douces dus -talus qui sont. escarpés sur lautre face où le groupe est assez épais pour &Lre exploité.. - - - s La carrière dite de Canelonmontre de haut en bas: -- calcaire in e. bla); briséen fragents.: tu/des ouvrier s ...... 2. t» Calcaire jaunâtre, brisé en blocs ou fragments plus volumineux; r

12h. M. Panelier a acquis cette terre, et la fait défricher avec beaucoup de discernement et davantage, secondé par son ami M. Jarcel de Sutur, grand agriculteur, M. Panelier a déjà fait coiistruire sept grands corps de bâtiments formant les bassds cours et ils ne peuvent plus suffire pour fermer les récoltes.

PREUVE DE LANTIQUE HABITATION DU MONT GANEL0N.

» Sur la partie de la montagne du côté de Cléroison peut facilement connaître quil y a eu des habitations romaines. Lon trouve sur la superficie quanlité de grosses briques dont les Romains se servaient pour leurs constructions, des frag- ments considérables durnes cinéraires, dans la forme de celles quon découvre journellement dans la partie méridionale de la France, : ayant environ trois pieds dhauteur ; des frag- ments de plusieurs vases de terre rouge très-mince ayant ce vernis rouge qui nétait connu ou pratiqué que par les Romains.

épais de 2 mètres vers le centre de la masse, il finit en bizeau dans an: e. le sable ...... Sable jaunâtre avec nummulites ...... t 30 Banc de volée avec nummulites abondantes ...... » 80 Sable calcaire blanc ...... j Banc franc ou pierre de Ganelon ...... 50 n Une autre carrière située au-dessus de flienville, présente les détails qui suivent; - terrain superficiel sablonneux .... . » 30 Calcaire blanchâtre tendre, brisé en mofllons ...... t »» Banc de volée, fossile, avec nummulites ...... î n Sable calcaire avec nummulites ...... 80 Banc franc, très-dur ...... » 50 n Le blanc de volée, plus épais Vers le centre du plateau, est exploité comme pierre dure. 1

125 M. Panelier a recueilli quantité de choses qui se sont trouvées en ouvrant le sein de la terre par les laboureurs. Jai vu chez luy une petite statue de Jupiter en bronze denvi- ron dent pouces et demi dhauteur, beaucoup de médailles antiques, et, comme il y a des empreintes qui sont plus abon- dantes que dautres, il serait aisé par une étude de ces mé- dailles de juger sous quel empereur ou consul les Romains habitaient•cetLe contrée. Ce qui ma paru le plus précieux est un couteau victimaire, en pierre tranchante des deux cotés (1). On y.a aussi trouvé des bois pétrifiés et autres corps singu- liers, des dents de requins etc., etc. - A lextrémité de la montagne, sur Bienville, qui est la partie la plus élevée, on remarque très-distinctement la forme dun camp bien retranché ; suivant la tradition du pays il fut construit par Jules César (2). Ce camp est placé totalement à lextrémité de la montagne et de façon ,à être, inaccessible par-derrière. Sa forme est ronde, son diamètre peut avoir environ quatre cents toises; un fossé suivant la ligne circulaire ayant été relevé, la terre intérieurement forme la barrière du côté de la petite plaine sur la montagne. Dans le milieu de cette enceinte est un grand fossé non en ligne droite passant par le centre, mais formant, une porlion de cercle dun diamètre plus grand ; il est creusé denviron dix pieds de profondeur par vingt de large, de façon que les eaux de pluy e pouvaient sécouler par les deux extré- mités. La terre de ce fossé, relevée derrièré, formait une

(I) Daprès le dessin qui accompagne le mémoire de Dom Gourdin, ce couteau victimaire serait ce quon appelle une hache celtique imperforde; sa longueur était denviron 0,30 centimètres. (2) Il sagit du Château de Cannelon ou Fort de Charlemagne. r.

élSiien qui IflnhiandaiL h titos &L lé grand fosé poùflit détober à la vue de lôtiiérni sept à hWt llê hommes 1). A côté, et u deh»ii detbtte fte 11fb, est nec VWM dia tciire élèvê pour »1&3bP unéhtib43liè. t tntréunt di1s ie Viioh, Mi tto edéVetigs daiF cInhè cfù gŒtittiôh, idàià Fich •Øi prouve«cils gbléhi roffiÙihè, tIhIli4fle, dàïiàIïtleèttféïité delà Mthê skn Clétoi (2); on hô peut ofeusêr ânà flrsquâiiéuh S?ôit sans y tfoflèt des llïffuvëg de leur iéxit, Là ïàôilut dé de se ïibe1Îrei Venu ietïr fltMt Salis douté Tâli jitéféïet êé local. » Lès @bjetdôïit jétais oMipê.alors OC ?nÔ f fht$st1e potffiSér plu loin ffits t hePeht flsis fojifilé hhitIlemt dhs Pliisiêdts êàdtbitàdê la mais jé bé guis moins persuadé quil serait possible de WÔQt 4e 4uéy fiér l.6tib de Fhabitati&n deg iiôiiiainà 4ah eêue iotnïée. -Jih- vtai Pain Gr6nicr., bëntdibtin frversé dàiis cés ffiMièréà, à suivré le 1tavaiI je navis quà les yeux dû ta ttiiloMt6tlan artistes il 3, portètà écux dulia%anI »

i!N.

(1) Chiffre dune exagération excessive pour flous qui avons . vu et revu ce petit établissement fortA& () Au lia dit Camp de bésar. -s.

AMIENS - IMP. DE LENOEL-IjIEOUART.