Petite Histoire du VAL GELON et de La ROCHETTE

Juliette et Adrien DIEUFILS

Petite Histoire du VAL GELON et de La ROCHETTE cg 1994, La Fontaine de Siloé, 2, rue du Docteur-Veyrat, 73803 Montmélian w 79 84 27 24 - Fax 79 65 26 46 ISBN : 2.908697.88.2 Sommaire

Introduction 11 Cartographie ancienne 13 Première partie : HISTORIQUE 17 I : LES TEMPS PRIMITIFS 19 Ager Pignonensis - Vallis Pinosa, page 19 ; Nos ancêtres « Al- lobroges vaillants », page 19 ; Pax Romana, page 20 ; Villas et Villards, page 24 ; Des Barbares venus du Nord, page 25 ; Le temps des Burgondes, page 25 ; Sabaudia - Saboia - Sa- voya - Savoié - , page 26 ; Pourquoi ce nom de Ge- Ion ?, page 26 ; Notre vallée au IXe siècle, page 27 ; Notre plus ancienne route, page 28 ; La route d'Hannibal ? Pourquoi pas ?, page 28. II : L'EPOQUE FEODALE 31 Le château-fort de l'Hùille, page 31 ; D'illustres voyageurs, page 31 ; La Novalese : une abbaye millénaire, page 33 ; Féo- dalité et grandes familles, page 34 ; Notre premier souverain : Humbert aux blanches mains, page 35 ; Nos plus anciens sei- gneurs : les maîtres de l'Hùille, page 35 ; Le château de rHùille, page 37 ; Le rôle du château, page 37 ; Naissance de La Rochette, page 37 ; Partage de l'ancien vicus, page 38 ; Un grand seigneur : François de La Rochette, page 39 ; L'époque des Croisades, page 39 ; Le blason des seigneurs de La Ro- chette, page 40. III : TROIS GRANDES FAMILLES SEIGNEURIALES 43 Les « de », page 43 ; Un étonnant seigneur : le Comte Louis de La Chambre, page 45 ; De puissants sei- gneurs : Les « Montmayeur », page 47 ; Le site de Mont- mayeur, page 48 ; Trois grands noms, page 50 ; Un grand nom, une grande vie, page 50 ; Une affaire d'honneur et de sang, page 52 ; Les armoiries des Montmayeur, page 53 ; Les seigneurs « d'Arvillard », page 55 ; Les blasons des seigneurs d'Arvillard, page 58. IV : DEVELOPPEMENT DE LA ROCHETTE 61 Nouvelles frontières et premières fortifications, page 62 ; No- tre Dame des Prés : chapelle et hôpital, page 63 ; Les Carmes, page 63 ; La Rochette « Ville franche », page 63 ; Eglise Saint- Jean-Baptiste, page 67 ; L'église des Carmes, page 67 ; Que- relles de clochers, page 67. V : L'EPOQUE DES PRIEURES 71 Le prieuré de Villard-Sallet, page 72 ; La Croix de La Ro- chette, page 74 ; Arvillard, page 74 ; Un prieuré célèbre : le Moustiers Saint-Jean de la Trinité, page 74 ; Un grand événe- ment au Moustiers Saint-Jean de la Trinité, page 77 ; Prieuré de la Croix de La Rochette, page 79 ; La Chartreuse de Saint- Hugon, page 80. VI : CIVILISATION MOYENAGEUSE 81 « Taillables et corvéables à merci », page 81 ; La justice sei- gneuriale, page 82 ; La vie paysanne : l'agriculture, page 83 ; Nos artisans médiévaux, page 85 ; Dialecte ou langue de nos ancêtres, page 86. VII : LA ROCHETTE - PAYS FRONTIERE : UNE SITUATION PERILLEUSE 87 veauxOccupation adversaires française : Charles sous François Emmanuel Ier en de 1536, Savoie page et 87Henri ; Nou- IV roi de , page 88 ; Lesdiguières à La Rochette, page 88 ; Siège du Château de l'Huille, page 90 ; Une paix fragile, page 91 ; Occupation du château de l'Hüille, page 91 ; Nou- veaux souverains français - Nouvelle guerre, page 92 ; Un ennemi inattendu : la peste, page 93 ; Mort du château de l'Hüille, page 94 ; L'interminable querelle franco-piémontaise 1690-1691, page 95 ; Ce jour-là, on crut au déluge, page 96 ; Nouveau sujet de querelle : la question d'Espagne, page 96. VIII : FAITS DIVERS AU XVIIIe SIECLE 99 Comment notre duc devint Roi, page 99 ; 1760 : La Chapelle- Blanche devint sarde, page 101 ; La Route Neuve, page 103 ; Gabelle et « grenier à sel », page 103 ; Un personnage sym- pathique : le pedon, page 104 ; Une mesure révolutionnaire : les affranchissements, page 106 ; Quelques usages de la vie religieuse villageoise de 1779 à 1793, page 107 ; Fin du xviii, siècle chez nous, page 108 ; Colporteurs et contreban- diers, page 109 ; Un certain malaise, page 110. IX : L'EPOQUE REVOLUTIONNAIRE 111 Département du Mont-Blanc : espoirs et inquiétude, page 112 ; Qu'était devenu le château des Marquis de La Chambre après le siège de 1597 ?, page 112 ; Le nouveau con- seil communal au travail, page 113 ; Premiers sujets d'inquié- tude, page 114 ; Le recensement du 17 décembre 1792, page 115 ; Une période de crise morale, page 115 ; L'obliga- toire déchristianisation : Les prêtres dans la tourmente, page 117. X : LE XIxe SIECLE 119 La paix religieuse retrouvée, page 119 ; Les biens nationaux, page 120 ; Vive l'Empereur, page 122 ; Mais la guerre, tou- jours la guerre, page 122 ; 1814-1815 : La Savoie retrouvée, page 124 ; Un retour souhaité, page 124 ; Une étrange équi- pée : les Voraces, page 126 ; Un terrible hiver, page 126 ; No- tre hymne national savoyard, page 127 ; L'Empereur et le di- plomate, page 129 ; Le vote du 23 avril 1860, page 130 ; Notre ennemie : la Prusse, page 132 ; Vive la nIe République, page 132 ; Les conséquences inattendues du rattachement, page 133. XI : LE xxe SIECLE 135 L'interminable duel France-Allemagne, page 135 ; Nos morts pour la France, page 136 ; Le dernier conflit franco-allemand, page 137 ; De grands travaux d'assainissement, page 139 ; La route des gorges du Bréda, page 141 ; Pont-Charraz - Pont- charra, page 141 ; Naissance de Pontcharra, page 142 ; La route redoutée, page 142 ; Vers Allevard, page 143 ; Les nou- velles voies ferrées, page 144 ; Notre P.L.A., page 145 ; Nos écoles, page 147 ; Des communications plus rapides, page 149 ; Un grand problème : l'eau potable, page 150 ; De nouvelles sources d'énergie, page 153 ; Trois recensements si- banisationanisation gnificatifs, pagede La 155Rochette, ; Notre pagemonde 161 agricole, ; Les maires page de158 La; L'ur- Ro- chette de 1860 à nos jours, page 165 ; Ville de La Rochette - Savoie, page 166.

Deuxième partie : L'INDUSTRIE EN VAL GELON 167 1 : INDUSTRIES METALLURGIQUES 169 La métallurgie dans le canton de La Rochette, page 169 ; L'antivage, page 172 ; L'obtention du fer, page 173 ; Le rôle des Chartreux de Saint-Hugon dans la métallurgie, page 174 ; L'obtention de « l'acier naturel , page 175 ; L'obtention de la fonte, page 176 ; L'obtention de l'acier par décarburation de la fonte ou cycle long, page 176 ; Le maillot, page 179 ; La taillanderie, page 182 ; L'ingéniosité des Chartreux, page 182 ; Centres métallurgiques de La Rochette et Allevard en 1795, page 184 ; Les forges d'Arvillard, page 187 ; Le char- bon de bois, page 188 ; Les fondeurs de cuivre, page 189 ; La Confrérie de Saint-Eloi, page 189. II : INDUSTRIES NON METALLURGIQUES 191 La tannerie, page 191 ; Les peleurs de chêne, page 193 ; Le moulinage, page 194 ; Le tissage de soie, page 194 ; La So- ciété Art et Bois, page 195 ; La Cheville Dauphinoise, page 195 ; La force motrice du Joudron et du Gelon, page 196 ; Les Tanins Rey, page 201 ; Les Cartonneries de La Rochette, page 201 ; Les carrières, page 206. III : L'INDUSTRIE LAITIÈRE 209

Troisième partie : AUTREFOIS 211 I : L'ABBÉ FÉLIX BERNARD 213 II : AMÉLIE GEX 217 III : CULTURES DISPARUES 223 La vigne, page 223 ; La joie des vendanges, page 228 ; Mû- riers et vers à soie, page 229 ; Le tabac, page 231. IV : HISTOIRES D'OURS 233 V : LA CHARTREUSE DE SAINT-HUGON 235 VI : LA QUERELLE DES ALPAGES 239 VII : L'INSTITUT KARMA LING 243 La visite du Dalaï-Lama au Karma Ling, page 246. VIII : QUELQUES TRADITIONS 247 IX : NOS ÉGLISES 251 Eglises de villages, page 252 ; Saint-Clair, page 256 ; Une pe- tite chapelle à découvrir, page 256 ; Une jolie petite chapelle : Sainte Marguerite, page 256 ; La vierge miraculeuse de Pro- din, page 257. X : LA VOGUE DU VILLAGE « FETE VOTIVE » ET « SAINTS PATRONS » 261 Remerciements ...... 265 Bibliographie ...... 279 Introduction

Il faut savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va. Pour préparer l'avenir il est bon de rappeler le passé du Val Gelon, l'évolution de la vie de nos ancêtres, la transformation du monde rural et industriel, depuis le passage des Alpes par les Car- thaginois, l'époque gallo-romaine, la féodalité, les siècles précé- dant la Révolution française sans oublier les temps modernes. C'est le but de cette étude historique, sociale et économique de notre pays. Les auteurs de cette étude historique, dédient ce travail au poète Amélie GEX qui a tant aimé La CHAPELLE BLANCHE, son village natal, et la Savoie. Le dernier couplet de son poème : Mo dou mots de latin (Mes deux mots de latin) en sera l'introduction. « Patria ! Amor ! » - Dèpoué mille ans de guerra On v's'avâit cru pe tozor êintoarra Mais vo véca rezernâ de la terra Yeu jamais plus nion vo têindra sarrà ! Saint ! Salut : à vo qu'éte l'èimblémo De tò lo cceurs que n'ont jamais pleya, Salut ! à r'lo que diont, partot, de mémo, Comme u vili tèim : « Amor et Patria ! » « Patria ! Amor ! » - Depuis mille ans de guerre On vous avait cru pour toujours enterrés, Mais vous voici germés de nouveau de la terre Où jamais plus personne ne vous tiendra fermés ! Salut ! Salut ! à vous qui êtes l'emblème De tous les cœurs qui n'ont jamais ployé, Salut ! à ceux qui disent partout, de même, Comme au vieux temps : « Amor et Patria ! »

Cartographie ancienne

1621-1622 : Une première carte de la « SABAUDIA - Ducatus La Savoié » fut réalisée par le hollandais Tosse-Hondius. Retrouvez dans le fragment de cette carte concernant notre région : La Ro- chette - Lullie (le château de l'Huïlle), La Chapelle-Blanche en territoire dauphinois à cette époque. Sur cette carte aucune route n'avait été indiquée.

Carte du duché de Savoie (1621).

1680 : Tomaso BORGONIO, « maître aux écritures » du Duc Vic- tor-Amédée II dessina cette carte célèbre de 2 m 12 de haut et de 1 m 78 de large. C'est un chef-d'œuvre. Le relief y est représenté en perspective donnant une impression de vue aérienne. Les rou- tes y sont détaillées dans toutes leurs sinuosités et c'est ce qui, pour nous, lui confère une valeur exceptionnelle. Cette carte fut retouchée en 1772, la frontière Dauphiné-Sa- voie ayant été modifiée en 1760. Le fragment ci-joint concernant notre région est très signifi- catif. Aucune route ne borde le Bréda et le Gelon, mais la route internationale partant de La Rochette, traversant la montagne au Cucheron, redescendant vers la Maurienne est très nettement in- diquée. L'Abbé Bernard a raison lorsqu'il affirme que, venant du Dauphiné, la première voie en direction de l'Italie était celle-ci.

Carte de Borgonio complétée en 1772.

PREMIERE PARTIE

Historique

I

Les temps primitifs

AGER PIGNONENSIS - VALLIS PINOSA Voici les noms attribués à notre région dans les textes anciens. Ils nous apprennent ainsi que notre pays fut, depuis toujours, un pays de pins et de sapins. Ce « Vallis Pinosa » fut habité depuis la lointaine époque de la préhistoire. L'Abbé Félix Bernard voit au Molliet, hameau d'Ar- villard « les vestiges de ce qui fut un ancien village fortifié, vironun »meillan« 1 500 ans , village avant antérieurl'ère Chrétienne aux Gaulois ». et aux Celtes, soit en-

NOS ANCETRES « ALLOBROGES VAILLANTS » Nous pouvons penser que ce « meillan » devint, plus tard, un « oppidum », village fortifié gaulois lorsque nous trouvons chez nous, comme dans toutes les basses vallées alpestres, la tribu gau- loise des Allobroges. Le jugement de Jules César dans « La Guerre des Gaules » récit de sa lutte contre les Gaulois 50 ans avant J.C peut s'appliquer à nos Allobroges comme aux autres tribus gauloises. « Le peuple est comme esclave, il est accablé d'impôts et op- primé par les Grands. Les druides font des sacrifices, élèvent la jeunesse, jugent au Conseil... ne paient pas d'impôts, ne vont pas à la guerre, font apprendre par cœur de grandes quantités de vers alors qu'ils ne permettent pas d'écrire... la considération des nobles s'établitils sont touspar lemilitaires nombre ».d'hommes armés qu'ils ont à leur suite et L'Allobrogie occupait le territoire de la Gaule du Rhône aux Alpes et sa capitale était ALLOBROGUM (Vienne). Les Allobroges en particulier étaient célèbres pour leur habileté manuelle, leur intelligence et aussi pour leur esprit querelleur et volontiers agres- sif. La richesse de leur région attira les envahisseurs romains et en 121 avant J.C. l'Allobrogie fut annexée à la Province Romaine (La Provence).

PAX ROMANA Ainsi commencèrent 5 siècles de civilisation romaine. La si- tuation de notre région, à l'entrée des vallées intérieures des Alpes, en communication avec l'Italie du Nord, nous valut une occupa- tion très importante. Il en reste des vestiges émouvants. A DÉTRIER (DESTREE) nœud de communication entre basses et hautes vallées, furent découverts en 1861 dans un cercueil de plomb une superbe statuette « La Vénus de Détrier », des bracelets d'argent, et des pièces de monnaie. Ce lieu-dit « La Potence » fut certainement l'emplacement d'une nécropole gallo-romaine, car, en 1964-1965, une tranchée ou- verte pour le passage d'une voie de chemin de fer desservant les Cartonneries de La Rochette mit à jour sept tombes dont les débris dispersés ne furent pas suffisamment étudiés. A LA CHAPELLE-BLANCHE, sans doute poste de vigie, une pierre tombale fut retrouvée en 1853 sous le principal autel de l'ancienne église alors en cours de reconstruction. Elle se trouve aujourd'hui au milieu du jardinet public contigu au presbytère et à l'église. Il s'agit d'un bloc de pierre calcaire, taillé, et portant une inscription gravée en creux. Il mesure 87 cm de haut, 50 cm La Vénus de Détrier (copie) (Photo J. Petroz). La Chapelle Blanche : pierre romaine (Photo J. Petroz). d'épaisseur et 56 cm de largeur. La traduction du texte latin signi- fie : « A Julia VERA, fille de Quintius, flaminique d'Auguste, sa mère Maximilla fait élever ce monument ». Cette inscription date du 1er siècle. Julia était donc « flaminique », c'est à dire épouse d'un flamine, prêtre attaché au culte des Empereurs. La flaminique assistait son mari dans ses fonctions et était ainsi un personnage important. Nous retrouvons le nom de la mère de Julia, Maximilla, sur une autre pierre tombale située à St-Jean-Pied-Gautier, près de la porte d'entrée de l'église. C'est la pierre tombale du père de Julia. Maximilla connut donc, dans notre pays, deux deuils douloureux et en a immortalisé le souvenir par l'érection de ces deux monu- ments. Les historiens l'en remercient. Le joli chemin de la Chapelle-Blanche à Détrier « le Chemin des Anes » peut être considéré comme une survivance de ce que furent les voies gallo-romaines dans notre région. Il fut, pendant des siècles le seul chemin entretenu entre la Chapelle-Blanche et Détrier - la route actuelle fut projetée en 1760. Son nom vient de ce qu'il était parcouru fréquemment par les ânes descendant le blé du village aux deux moulins établis à Détrier, près du Bréda. On y compte encore une vingtaine de celliers qui, hélas, en bordure des vignes abandonnées tombent peu à peu en ruines. Des noms de lieux rappellent cette présence romaine - BUR- GETUM, le petit bourg, le BOURGET était déjà connu pour être un pays de mineurs et de ferronniers. Un hameau de La Chapelle-Blanche « le Mont-Cenis » tient son nom, nous dit l'Abbé Bernard, de Dionysos, divinité grecque de la vigne et du vin. Nous le croyons volontiers étant données l'importance et l'ancienneté de la viticulture dans notre région. Par déformation, Mont-Denis aurait donné « Mont-Cenis », bien éloi- gné du col du même nom. REGINALDUS ou RAILLAND : on peut aussi attribuer au Mont-Raillant, colline qui domine La Chapelle-Blanche, une rela- tion avec le nom de l'Empereur Romain en 261, les grands per- sonnages de l'époque laissant volontiers leur nom aux villages et aux sites non encore qualifiés. Cartouche de la carte de 1621.

VILLAS ET VILLARDS La ferme gallo-romaine était organisée autour d'un centre « la villa ». Le lieu choisi pour cette importante demeure du proprié- taire terrien qui se retrouve, notamment à sous le nom de « la ville », devint plus tard le centre principal du village et le point de départ de fixation de la population. Quant aux villards, si nombreux chez nous ils étaient le pro- longement agricole de la « villa » et comprenaient les granges et l'habitation du personnel. Villard-Sallet, Villard-Martin et Villard-Domenge à la Cha- pelle-Blanche, le Villaret d'Etable, le Villard de la Table, « l'altum vilare » c'est-à-dire Arvillard (le villard d'en haut) témoignent de l'importance de ces centres agricoles gallo-romains dans notre ré- gion. Plus tard les grandes invasions imposèrent un regroupement des populations autour de la « villa » centrale et il est curieux de retrouver, dans notre XXe siècle, certains vieux bâtiments de ferme où l'on peut distinguer autour d'une grande cour intérieure « la maison du maître » joliment orientée au sud et « la maison du colon (ou métayer) plus exiguë » et attenant aux granges, étables, four et point d'eau, le tout entouré de murs solides, capables de se défendre.

DES BARBARES VENUS DU NORD Car dès la seconde moitié du Ille siècle, l'Empire Romain af- faibli est incapable de défendre l'immense empire qu'il a conquis. « Déjà à l'horizon se profilent les chars des invasions barba- res » Francs, Alamans, Wisigoths, Vandales, Burgondes déferlent « des profondeurs du monde germanique » (Castelot). La Savoie connaît en 277 les assauts des Alamans, tribus ger- maniques, envahisseurs particulièrement redoutés, guerriers ru- des et brutaux. Plus tard, les Sarrasins laissèrent le souvenir de pillards qui dévastèrent les campagnes mais ne s'établirent nulle part.

LE TEMPS DES BURGONDES Les Burgondes, d'origine Scandinave, peuple de pêcheurs des côtes de la Baltique avaient tout d'abord envahi la Belgique puis l'Est de la Gaule et leur progression rapide inquiétait Rome. En 443, le Général romain AETIUS, sentant l'impuissance de Rome à contenir les hordes barbares « par un revirement inattendu accorda à ses adversaires vaincus des conditions de paix fort avan- tageuses ». (Voir Leguay : Les Burgondes). « La vingtième année du règne de Théodore, la Sabaudia est donnée au reste des Burgondes pour être partagée avec les "Indi- gènes" ». La Loi Gombette contraignit les Gallo-Romains de notre ré- gion à donner aux Burgondes les 2/3 des terres et le 1/3 des es- claves. Les anciens nomades devinrent ainsi sédentaires, pratiquè- rent l'élevage, apprirent la viticulture, adoptèrent la langue latine. On estime qu'environ 45 000 à 50 000 Burgondes bénéficièrent de cette loi. « Ils vivent parmi nous, avec autant de douceur que d'hon- nêteté, écrit un historien contemporain, et considèrent les Gaulois comme des frères ». Convertis à l'arianisme, thèse dissidente du catholicisme, ils connurent quelques difficultés à adopter la reli- gion catholique. La domination des Burgondes dura moins d'un siècle mais l'influence qu'elle a exercée sur le peuple de notre région a été profonde.

SABAUDIA - SABOIA - SAVOYA - SAVOIÉ - SAVOIE

Ce sont les Burgondes qui baptisèrent notre pays « Sabau- dia », « sap » signifiant en Celte sapin et « walt » signifiant forêt. Une fois de plus, notre pays était qualifié de « pays du sapin ». D'autres noms de lieux d'origine germanique rappellent cette occupation burgonde. Ce sont, par exemple, les Millières à Détrier, au bord du Bréda, où fonctionnèrent jusqu'au milieu du xxc siècle, deux puis un seul moulin (Mill en anglais, Mûhle en allemand, l'origine germanique du mot ne fait aucun doute). Le sentier, partant de Saint Clair en direction du hameau du Mont-Cenis est le chemin de Berland (Bâr en allemand, Bear en anglais = ours - land = terre). Nous savons très bien qu'il y eut des ours dans ce secteur jusqu'au XVIIIe siècle. La Chapelle-Blanche conserve le souvenir d'un chef bur- gonde : le chef Blank (le général brillant) qui fit bâtir une Chapelle à l'emplacement même du temple païen, et qui peut-être, donna Blanche.son nom au pays. La Chapelle de Blank devint ainsi La Chapelle-

POURQUOI CE NOM DE GELON ? Certains envahisseurs n'apparurent pas chez nous : les Nor- venir.mands. Et pourtant un détail de l'histoire nous impose leur sou- Nous les voyons, ces Normands attaquant avec leurs drak- kars, bateaux légers des Vikings, les rivages et les îles de l'Océan Atlantique. A l'île de Noirmoutier, des moines fuient devant l'in- vasion. Un d'eux est d'origine noble. C'est le 31e Comte Geilon, fils de Hiltrude, elle-même fille de Charlemagne et de Fastrade. Ce moine Geilon décida de s'installer à l'Abbaye de Tournus (aujourd'hui en Sâone et Loire) et fut plus tard évêque de Langres de 880 à 888. Contemporain des Rois Carolingiens, Louis III et Charles le Gros, c'était un personnage important. Il avait naturellement be- soin d'argent et obtint pour son monastère et son évêché les « bé- néfices ecclésiastiques » nécessaires. Les « bénéfices ecclésiastiques étaient une réalité canonique comportant une masse de biens dont le revenu devait aider le ti- tulaire à accomplir correctement une fonction d'église » (Larousse). Au Comte Evêque Geilon, fut donc attribuée notre vallée dont il tira, sans doute, des revenus confortables. Il ne pensait certainement pas que son nom resterait attaché à la rivière, au Val, et aussi à un grand nombre de familles du pays.

NOTRE VALLEE AU IXe SIECLE On peut imaginer que l'Evêque-Comte Geilon vint un jour visiter son « bénéfice ». Qu'aurait-il alors trouvé ? Une étroite vallée entre deux chaînes, des montagnes rectili- gnes, une rivière qui divaguait au milieu des marécages à demi- boisés, quelques villages de part et d'autre, établis au bord de pe- tits ruisseaux dévalant la montagne, reliés entre eux par d'étroits sentiers et évitant surtout le fond de vallée et ses relents pestilen- tiels. A l'abrupt de la vallée, la pente de la montagne exposée au soleil était couverte d'un grand et beau vignoble. Les pentes, ex- posées au Nord, étaient occupées, soit par des pâturages, soit par une abondante forêt. Un pays qui semblait replié sur lui-même et où il était difficile de s'aventurer. Et pourtant, selon le Chanoine Gros, le nom du village de l'actuel Détrier vient du latin STRATA qui signifie « che- min pavé » et qui s'appela DESTREE à l'époque romaine. Tout indique qu'une voie de communication importante partait de Dé- trier. NOTRE PLUS ANCIENNE ROUTE Les voyageurs arrivant de CULARO (Grenoble) par la route qui suivait à flanc de coteau la rive droite de l'Isère, traversaient l'Isère au gué (en patois le gua) aujourd'hui la Gâche, seul endroit où l'Isère était étale et où fonctionnait un bac lorsqu'en période de crue la traversée à pied était impossible, montaient à La Chapelle- Blanche, descendaient à Détrier par « Le Chemin des Anes ». Après Détrier, commençait l'ascension de la montagne en sui- vant tout simplement le pli géologique que suit la route actuelle desservant les villages de La Table, du Bourget et du Pontet. On atteignait alors le Col du Grand Cucheron et le versant des Hurtières et en redescendant sur Mont-Sapey on retrouvait sur la rive droite de l'Arc, la route de Saint-Jean de Maurienne et bien au-delà, Bramans et le col du Clapier. Il s'agit bien là d'une des premières voies de passage à travers lesdes Alpes,siècles. une voie internationale connue et fréquentée pendant

LA ROUTE D'HANNIBAL ? POURQUOI PAS ? Le célèbre conquérant Hannibal Barca, venant de Carthage (l'actuel Tunis), en lutte contre Rome, traversa l'Espagne, passa les romain.Pyrénées et rencontra la barrière des Alpes avant d'aborder le sol Comment et où a-t-il traversé les Alpes ? A son époque, trois voies permettaient cette traversée : la voie etdu dulittoral Petit etSaint-Bernard. différents passages dans les massifs du Mont-Cenis La voie du littoral trop aisée à défendre par les Romains était à exclure. En bon stratège, Hannibal a certainement choisi l'un ou l'autre des passages montagneux. Car cette deuxième guerre punique a duré de 218 à 201 avant Jésus-Christ, soit 17 ans de luttes qui ont mobilisé des milliers rents.d'hommes, ce qui suppose plusieurs passages en des points diffé- C'est pourquoi le souvenir de l'étonnant passage des guer- riers Ibères et Numides et de leurs éléphants s'est perpétué aussi bien en Maurienne qu'en Tarentaise. Rappelons encore qu'Hasdrubal Barca, le frère d'Hannibal, traversa également les Alpes en 208 avant Jésus-Christ. Cependant tous les historiens voient Annibal remontant l'Isère sur sa rive droite, la traversant sans doute au gué de la Gâche avant d'aborder la montagne. Quelle montagne ? Sinon les premières hauteurs qui se présentaient à lui ? L'Abbé Bernard, connaissant parfaitement la montagne du Haut-Gelon, appuyant sa thèse sur le récit de l'historien grec Po- lybe, traduit par Paul Azan, affirme qu'un combat opposa Cartha- ginois et Allobroges dans la région du Pontet. Il y eut des pertes énormes de part et d'autre ce qui n'empêcha pas Hannibal de pour- suivre sa route vers le Col du Clapier. Un détail curieux s'attache à ce passage historique. Les Com- tes de La Chambre qui, firent exploiter les mines du Bourget et des Hurtières, devenus maîtres de forges et fabricants d'armes et d'outils, commercialisèrent leurs produits sous la marque « A l'Elé- phant ». La tradition orale avait sans doute été assez forte pour transmettre à travers les siècles l'étonnement de nos ancêtres à la vue des éléphants d'Hannibal.

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