CROIXMARE

Abbé A. VALIN

CROI XMARE y Essai historique Des origines à nos jours

FÉCAMP

L. DURAND ET FILS, IMPRIMEURS-ÉDITEURS 1937

A Monsieur le Maire Jean Rousselet, si prodigue de sollicitude aimante pour la Commune et pour la Paroisse de Croixmare.

HOMMAGE AFFECTUEUX. A. V. Nihil obstat Rotomagi, die 24a Februarii 1937 M. BRISMONTIER, Censor deputatus. 1

Imprimatur Rotomagi, die 25a Februarii 1937 E. JOMARD, V. g.

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE :

2 exemplaires sur papier « VIDALON », numérotés de 1 à 2. 20 exemplaires sur papier « ALFAX » Navarre, numérotés de 1 à 20. LECTEUR.

Ceci est un « essai ». Nous n'avons donc point la prétention de tout dire du passé de notre petit coin de terre, mais seulement d'en conter l'histoire dans ses gran- des lignes, en l'agrémentant de quelques histoires. Certain ainsi d'intéresser, (on aime tant à savoir le pourquoi et le comment des choses !) nous espérons de plus encourager, maintenir ou redresser. (L'expérience ou les expériences d'autrui ne sont-elles pas toujours bonnes à méditer ? )

Sans trop prendre souci, à la manière de nos gens, de la régularité et de l'ordonnance même de notre mar- che, nous avons « glané » nos renseignements de ci de là, dans le champ assez vaste des Archives paroissiales, muni- cipales et départementales ; dans les cartulaires ou docu- ments qui ont été mis aimablement à notre disposition. Puis, sans trop de symétrie, (la nature n'en comporte guère ! ) nous avons lié et dressé notre gerbe. Que l'on pardonne à notre bon vouloir si les épis n'en sont pas éga- lement beaux et drus 1 ANDRÉ VALIN. SOMMAIRE

AVANT-PROPOS.

CH. 1. Le fief de Croismare p. 9 I. Du Chevallier Guillaume à « Lémigré » de Bailleul n 2. Du curé Jamet à « l'intrus » Lendormy 29 3. Au temps de maistre Yvelin, « laboureur à Croismare » 33 4. Emmi nos annales 41

CH. II. Croismare sous la Révolution 47 1. Avant la République 49 2. Sous la République 55

CH. III. Croixmare depuis quelque... 120 ans 71 i. Perturbations économiques et sociales 77 2. De Lendormy à Doré de Bariville et Jacques Folloppe 82 3. De Luc Loppidé à Jules Guignant 87 4. Quand les « pouvoirs » s'affrontent 97 5. Reconstruction de l'Eglise 106 6. Lente incubation de « l'Instruction pour tous » 121 7. « L'Année terrible » 131

CH. IV. Sèche histoire de trente ans... sans histoires. 137

1. Mouvement démographique i3g 2. Administration civile 140 3. Administration religieuse 144 4. Enseignement primaire 147 5. Nos Morts de la Guerre 148 6. Association des Soldats de la Guerre i5o

ILLUSTRATIONS :

Plan : page 4.

Tableau généalogique : pages 20-21.

Ancienne Eglise et Eglise actuelle : pages 106-110. CHAPITRE 1

LE FIEF DE CROISMARE

1. Du CHEVALLIER GUILLAUME A « LÉMIGRÉ » DE BAILLEUL

2. Du CURÉ JAMET A « L'INTRUS » LENDORMY.

3. Au TEMPS DE « MAISTRE YVELIN, LABOUREUR ».

4. EMMI NOS ANNALES-

Du Chevallier Guillaume à « Lémigré » de Bailleul.

Le caveau seigneurial creusé sous le chœur de l'Eglise de Croixmare renferme les corps du premier ou d'un des premiers Seigneurs du lieu et de sa femme. Et sur les deux grandes dalles de pierre qui fermaient ce tombeau (maintenant malheureusement recouvertes d'un nouveau dallage), on pouvait naguère encore déchiffrer : côté épî- tre,

guillaume de d^d&mar* rimmîkr qui iî[£8- pBBa tn î'aruU (($:• quatre

côté évangile, ... (liât nabU gam* Jflarttlt... §am* de Ofmsma^ qui tmpa$a l'an dg lq itndrtdi...

Quelle est l'origine des « Seigneurs de Croismare », et à quelle époque accolèrent-ils ce vocable à leur nom ? Il serait bien difficile de le dire. Aucune indication bien précise ne nous permet d'ail- leurs de fixer l'origine même du village. Tout au plus savons-nous qu'au viie siècle, le Seigneur du lieu, Guil- laume de Unate, donne le patronage de l'Eglise de Crois- mare aux moines bénédictins de Jumièges (1) qui s'y éta- blissent, essartent les taillis, cultivent les terres, construi- sent des moulins. Avant eux, les Romains montant de la Seine vers Fé- camp, Cany, Arques et Eu (2) avaient-ils laissé quelques colons défricher cette pointe extrême de la forêt de Mau- lévrier, à l'emplacement où peut-être les Gaulois avaient dressé déjà leurs tentes quelque trois ou quatre cents ans

(1) Ce patronage sera renouvelé en l'an 1084 et gardé jusqu'à la Révolution de 1789, comme en font foi les actes suivants : a) [Ch]artres de la donation du fiel domaine dismes patronnaige d'église de Croismare. « Guillaume de Vatteville chlr donna par la main de Guillaume archevesque de et du consentement de Guillaume roy d'Angleterre et duc de Normandie aux Religieux de Jumièges l'Eglise et dixmes de Croismarre (sic) en marché en terre en bestail et toutes autres choses généralement l'an mil quattre vingt et quattre et du Règne , dud. Roy Dix-huict (18e année du règne) au temps de sainct Gondard abbé dud. lieu. » (Arch. Dép. Rouen, 9 H. 1758.) b) En 1233, « sentence de Maurice, arch. de Rouen, contre le curé de Croismare Sullien qui voulait usurper les droits des Religieux de Jumièges sur les dixmes » de Croismare. (9 H. 1760.) c) En 1282, « vente aux Abbé et Religieux de Jumièges, par le curé Roger de Restimare, d'une pièce de terre asise en la paroisse de Saint- Aubin... » (9 H. 1759.) d) Le 2 Janvier 1538, « Lettres de l'official de Rouen qui confirment la sentence arbitralle d'entre les Srs Religieux de Jumièges et le Sr Curé de Croixmare. » (9 H. 1760.) e) En 1744, « procédures entre Me Claude de Saint-Simon, abbé de Jumièges, d'une part, et d'autre part, Nicolas Besnard, laboureur et fermier des dixmes, et Pierre Cauchie, curé de Croixmare. » (9 H. 1761.) f) En 1760, Bail par l'Abbé de Jumièges à Estienne Marouard, la- boureur d'Ecalles-Alix, puis de Croixmare, pour trois années, des deux- tiers des grosses dixmes de la paroisse de Croixmare, à raison de 1.600 1. de fermage. — En 1764, renouvellement du bail, 1.550 1. — En 1769, 1.500 1. — En 1775, 1800 1. — En 1789, 2.400 1. (9 H. 1760.) (2) Cf. « Ecalles-Alix », par A. Valin, p. 11 et 12. auparavant ? C'est chose fort plausible, mais qu'aucun document matériel ne permet d'affirmer catégoriquement.

L'étymologie du mot « Croismare », controversée d'ail- leurs, ne no.us fournit point non plus de point de repaire. Délaissant l'explication souvent donnée : « Crois-mare = cruda mara » (1) (mare crue, aux eaux calcaires), certai- nement inexacte, nous serions enclin à croire que Crois- mare (2) doit son nom à quelque croix de dévotion plantée par les premiers occupants près d'une mare de grande dimension autour de laquelle se bâtiraient dans la suite. huttes, chaumières et fermes. (3)

En ce cas, l'origine du village ne remonterait pas au-delà de l'établissement de la religion chrétienne dans les Gaules, et la Croix y aurait été plantée par les mission- naires envoyés de Rouen, vers l'an 300, par saint Mellon, pour fonder des chrétientés dans la région.

Quoi qu'il en soit, ce n'est guère qu'à partir du XIII. siècle que l'on peut parler, sans trop risquer l'erreur, de la physionomie religieuse, politique, économique et sociale de ce coin du Caux normand.

Au temps de Saint Louis, Croismare compte cent-vingt

(1) Traduction souvent retrouvée dans les pouillés de l'Archevêché de Rouen.

(2) Croismara (charte de l'Arch. Rotrou), Croizmara (1212) : de Crux mara ou Crux marœ : la Croix de la mare. (Cf. de Glanville « Prome- nade arch. de Rouen à Fécamp », p. 51.) (3) Pourquoi pas la grande mare dite de Gainnemare, dont nous parlons plus loin? feux (environ six cents âmes), et une centaine seulement, un siècle plus tard. Au début du xiv" siècle (en 1305), les « Moines blancs », religieux cisterciens de l'Abbaye du Valasse, s'établissent à « la Valassière », domaine situé au « Val-au-Seine ».

Ceux-ci défrichent les bois, plantent des vignes sur les derniers replis du côteau vers la vallée, creusent des puits, construisent les premiers moulins à vent. Parmi les feux dénombrés alors, deux sont privilé- giés : ce sont ceux du Seigneur de Croismare et du Sei-

gneur de Beauvoir. Du second, nous ne répéterons pas tout au long ce que nous avons dit dans notre « Essai historique » sur

« Ecalles-Alix » (1) auquel on voudra bien se reporter.

Nous rappellerons seulement que la résidence de chasse construite au « Beauvais » du Val-au-Seine par Richard 1er

était située sur le territoire de Croismare, ainsi que la chapelle « Notre-Dame et Saint-Michel », et que le châ- teau du XVIIe siècle fut construit à cheval sur Escalles et sur

Croismare. (2) Ce n'est qu'au début du XVIIIe siècle que le cadastre modifié mit Beauvoir presque totalement sur le territoire d'Ecalles-Alix. (3)

(1) « Beauvoir » : Ecalles-Alix, p. 111 à 123. (2) Partie sud et pavillon « de l'Horloge » étaient situés sur le terri- toire de Croismare. (3) Cf. Ch. III, 1. Une charte de fondation, datée de 1213, d'un service annuel en la chapelle Saint-Nicolas du domaine de « Beaucier » (Beau- voir) porte bien « en la paroisse de Croismare ». (Arch. Dép. Rouen 9 H. 1760.) De même, le « Pouillié des Bénéfices du Diocèse de Rouen en 1738 » situe « la chapelle du Château de Beauvoir dans la paroisse de Croi- mare ». (Arch. G. 8677.) Du Château des Seigneurs de Croismare, on trouve encore dans la cour, les terres et les bois de la ferme « du Néel » (1) sise au « Hameau du Vieux-Château », sur la route de Fréville et à la limite sud de Croixmare, des ves- tiges des xive et xve siècles.

Ce château, bâti sur un monticule (2) d'où l'on découvre , Saint-Clair-sur-les-Monts, Saint-Jean-du-Cardon- nay, Limésy, était certainement une forteresse avec don- jon, tours avancées (3), et chapelle privée. (4) Quelle en fut l'histoire ? Joua-t-il un rôle pendant la Guerre de Cent ans (1338-1453) ? et dans les Guerres de Religion au xvie siècle ? Des combats se livrèrent en effet dans la région à ces diverses époques. Quand ses murailles furent-elles arasées ? ses fossés comblés ? Questions qui restent malheureusement sans réponses.

Les noms et qualités des Seigneurs de Croismare nous ont été gardés par contre depuis le XIVe siècle, grâce au « Cartulaire de Guillaume de Croismare, Sr de Saint-

(1) Appelée ainsi du nom du propriétaire au début du XIxe s. : Fran- çois Néel, maire de Croixmare. Propriétaire actuel : M. Fleury, de Rouen ; fermier : M. L. Arson, adjoint au maire. (2) Cote : 132 mètres, la plus élevée du village. (3) On trouve des vestiges d'un de ces ouvrages avancés près de la « Mare aux loups », dans le bois que traverse le chemin de Fréville au Mont-de-l'If. % (4) Cette chapelle « Saint-Jacques et Saint-Philippe » était, en 1548, à la présentation du Seigneur. Selon un aveu du 11 septembre 1600, il y a, au Manoir seigneurial de Croismare, une chapelle en titre, a laquelle on a donné les rentes d'un fief ou quart de fief, nommé fief de Flamanville, assis en la paroisse de Croismare et dépendant de la Ba- ronnie d'Esneval. (Duplessis : Description de la Haute-Normandie, T. 1, p. 418.) — En 1467, Thomas Lormy est « chapelain » de Croismare. (Arch. d. Rouen, 9 H. 1760.) Johan du Cardonnoy » (1) et à la généalogie dressée par Bigot de Monville dans son recueil manuscrit des « Prési- dents, Conseillers... de l'Echiquier et du Parlement de Normandie » (2) GUILLAUME DE CROISMARE, « bourgeois de Rouen, nous dit Léopold Delisle (qui fit en 1893 une intéressante étude du « Cartulaire ») (3), était un homme de loi qui amassa une assez grosse fortune sous le règne de Charles V. Suivant l'usage du temps, il employa ses capitaux à se constituer un fief qui, à bref délai, devait assurer à sa famille les prérogatives de la noblesse. » (4) Voici en effet le « terrier » acquis en moins de six ans par Guillaume. En 1372 (22 nov.), de Pierre Morel, pauvre écuyer auquel il avait prêté de l'argent, et dont les fiefs étaient fort obérés, « le noble fieu qui /u Colart le Noir à Saint- Johan-du-Cardonney, Roumare et environ », pour 500 fr. or. Ce fief « aux Noirs » relevait du Comte d'Eu Jean d'Artois. En 1373 (22 fév.), du même Pierre Morel, pour 600 fr. or, le fiel de Périers, de la Communière et le Buscourssel avec les vilains lieux situés à « Rommare (5), Saint-Johan

(1) Ce Cartulaire est daté de « mil ccc iiij ** et ix » (1389). (2) Bibliothèque de Rouen : Fonds Martainville, Y. 24. (3) Bulletin de la Société hist. de Normandie, année 1893. (4) Ne les avait-il pas déjà? Une note du manuscrit Bigot porte en effet : « On dit qu'il fut anobly... ds l'an 1340, soubs Philippes VI, Jean et Charles V, Rois de . » (5) Roumare. ACHEVÉ D'IMPRIMER LE

QUINZE MAI MIL NEUF

CENT TRENTE-SEPT, PAR

LES MAIT RES- IMPRIMEURS

L. DURAND & FILS, FÉCAMP

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