Dossier thématique : Du castrum au fortalicium : évolution du paysage fortifié autour de Cordes en Albigeois (XIe –XVIe siècle)

Elodie Cassan-Pisani, 2011

FRAUSSEILLES

VILLAGE ET CHÂTEAU

ETUDE Illustrations

Le chef-lieu de la commune occupe le sommet d’une petite colline sur un plateau. Il se présente aujourd’hui comme un hameau formé de quelques maisons groupées de façon inorganique autour de l’ancienne église paroissiale. Les dynamiques de formation et d’évolution de ce modeste village révèlent toutefois des processus complexes dont le temps a effacé les traces dans le paysage. En effet, un noyau d’habitat groupé, initialement ouvert puis fortifié, doit être restitué à l’emplacement du château actuel.

1. ENCADREMENT RELIGIEUX ET SEIGNEURIE EMINENTE

e La paroisse est mentionnée au XIII siècle1. Son territoire est cité dans la juridiction directe de Cordes, parmi les fiefs du comte de Toulouse. Plusieurs seigneurs, dont la famille de , cèdent à e l’évêque d’ leurs droits sur la paroisse au cours du XIII siècle2. François de Rozet est seigneur e direct de Frausseilles à la fin du XVI siècle3.

2. ENTRE HABITAT DISPERSE ET NOYAU FORTIFIE : LE PAYSAGE DE LA COMMUNAUTE DE FRAUSSEILLES

Une source judiciaire datée de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe siècle mentionne le « locus de Fraucelha » sans faire directement référence à un éventuel habitat groupé4. A cette date, la paroisse est rattachée au territoire du consulat de Cordes au titre de « juratif » : en échange de privilèges théoriques énoncés dans la charte de coutumes, la communauté est tenue de contribuer aux frais du consulat et à la garde des fortifications du bourg castral5. Elle déclare toutefois, dès la fois du

1 E. CABIE, Droits et possessions du Comte de Toulouse dans l'Albigeois au milieu du XIIIe siècle, t. VI, Coll. Archives historiques de l'Albigeois, Toulouse, Privat, 1900, p. 99 (Bibliothèque Nationale, Mi, Manuscrits Doat, vol. 107 et 108). 2 E.-A. ROSSIGNOL, Monographies communales ou étude statistique, historique et monumentale du département du Tarn. Première partie : arrondissement de , Paris, E. Dentu, 1864-1866, t. II, p. 109. 3 A.D. 81, 95 EDT CC 1. 4 AD 81, EDT 69 FF 45. 5 C. PORTAL, Histoire de la ville de Cordes en Albigeois (1222-1799), Toulouse, Privat, 1984, p. 231-233. 1

XIII e siècle, choisir elle-même ses jurats sans aucun serment prêté auprès des consuls de Cordes, sous prétexte que leur localité est plus ancienne que celle de Cordes 6. Ainsi, si cette source est à utiliser avec précaution, elle semble attester l’existence d’un noyau d’habitat au XII e ou au début du XIII e siècle. La morphologie parcellaire du centre de la commune actuelle résulte de l’aménagement, à l’extrême fin du Moyen Age, d’un fort villageois ou réduit fortifié autour de l’église. La destruction du fort à la période moderne entraîne la disparition des constructions villageoises. La localité devient dès lors un hameau où subsistent une maison forte et de rares bâtiments en bordure de la place. Cependant, les textes et la morphologie attestent que le réduit ne correspond pas à une première structure d’habitat mais à la restructuration d’un habitat antérieur. En effet, les limites parcellaires et le réseau des chemins permettent de mettre en évidence un enclos globalement quadrangulaire centré sur l’église et englobant l’enceinte du fort. Le périmètre important de cette structure par rapport à l’emprise probable du réduit collectif laisse supposer qu’elle ne correspond pas – ou pas seulement – au tracé de contrescarpe des fossés du fort, mais à la fossilisation d’un enclos ecclésial antérieur. Les sources qui évoquent le réduit à partir de la fin du XIV e siècle plaident en faveur de l’existence d’une modeste agglomération ouverte antérieure au fort villageois. Plusieurs mentions relevées dans des sources notariées par C. Portal concernent une ou plusieurs maisons situées à l’extérieur du fort, près de la tour ou de la porte, jouxtant le fossé du lieu 7. On retrouve ces maisons dans le compoix de 1594 qui atteste toutefois leur nombre très réduit 8. Ainsi, le noyau aggloméré est probablement resté très modeste avant l'aménagement du réduit collectif malgré la présence d'une communauté représentée par des jurats. Les sources antérieures à la disparition du fort décrivent essentiellement un habitat dispersé dans les mas de la paroisse 9. En revanche, dès le XIV e siècle, la communauté instituée semble fonder sa légitimité et son identité sur l'existence d'une fortification collective servant de refuge aux quelques habitants du noyau d’habitat groupé et à une grande majorité d'habitants du terroir 10 .

3. AMENAGEMENT ET EVOLUTION DU FORT DE FRAUSSEILLES

Les sources attestent l’existence du réduit fortifié, ou « fortalicium », de Frausseilles dès la fin du XIVe siècle. Elles font état d'une tour, de fossés mais également de la « porte du fort » au XV e e siècle 11 . La localité est donc mise en défense dès la deuxième moitié du XIV siècle dans le contexte de la guerre de Cent Ans. La communauté s’appuie sur l’existence de cette fortification collective qu’elle a probablement elle-même financée pour tenter de se soustraire de la tutelle de Cordes et de ses obligations envers le consulat. Elle fait ainsi l’objet de plusieurs injonctions ou procès l’obligeant à contribuer aux frais et à la garde des fortifications du bourg central 12 .

Les descriptions relevées dans les actes notariés permettent d’identifier les tracés parallèles visibles sur le plan cadastral comme une enceinte fossoyée se refermant sur l’église. L’emprise du fort correspond globalement au fonds actuellement occupé par un manoir moderne associé à une cour. Il s’étend sur un espace rectangulaire d’environ 43 mètres de long sur près de 30 mètres de large. La muraille, peut être en partie formée par les constructions civiles, devait se raccrocher à la façade nord- ouest de l'église qui était ainsi intégrée au système défensif. Les textes mentionnent deux ouvrages de défense ou de flanquement – une porte et une tour – dès la fin du XIV e siècle. Si la porte a disparu, plusieurs constructions encore en place présentent un

6 Idem , p. 239. 7 Cf. note 11. 8 Seulement deux maisons sont localisées à Frausseilles, à l’extérieur du fort (voir plus loin). 9 Voir notamment le compoix de Frausseilles daté de 1594 (A.D. 81, 95 EDT CC 1). 10 Cette situation a été observée à la fin du XVI e siècle mais on peut supposer qu’elle n’est pas très éloignée de la situation à la fin du Moyen Age. 11 Acte mentionnant une maison située « ante turrim, quod confrontatur cum fossato fortalicii dicti loci », 1394, AD 81, EDT 69 AA 1, fol. 39 ; mention d'une maison située « ante portam fortalicii de Fraucilhia », 1464, cf. C. PORTAL, « Extraits de registres de notaires, documents des XIV e- XVI e siècles concernant principalement le pays albigeois », dans Revue du Tarn , 1899, t. XVI, p. 215 ; une autre maison est localisée « ante fores porte loci de Fraucelhia », confrontant « cum valato dicti loci », 1501, idem , p. 215. 12 C. PORTAL, Histoire de la ville de Cordes…, op. cit. , p. 74. 2 caractère fortifié. L'église, en premier lieu, possède un clocher fortifié desservi par une tourelle d'escalier semi-circulaire percée de jours en archère. En deuxième lieu, la façade sud-ouest du bâtiment formant l'angle sud du fort et intégrée par la suite dans le château moderne comporte un retour laissant apparaître deux archères canonnières superposées. Les deux bâtiments constituaient les points forts du réduit mais il est difficile de déterminer si le terme « turris » relevé en 1394 fait référence à la tour d’angle de plan quadrangulaire ou au clocher de l’église. Le pôle ecclésial forme sans doute le noyau du réduit, servant initialement de refuge temporaire.

Le compoix de la fin du XVI e siècle apporte des informations plus précises concernant l’organisation interne de ce fort transformé en manoir. L’espace enclos défini autour de l’église est occupé par des maisons alignées sur une ou plusieurs rues. La majorité des bâtiments est partagée entre plusieurs propriétaires qui possèdent un chai au rez-de-chaussée et/ou une ou plusieurs « chambres » aux étages. La communauté bénéficie également d’un four banal déclaré, dans le compoix, par le seigneur du lieu 13 . L'enceinte englobe enfin la demeure seigneuriale sur laquelle nous reviendrons plus loin. Cette organisation suppose ainsi un allotissement de l’espace et la construction de structures pérennes qui rassemblent plusieurs fonctions.

4. FONCTIONNEMENT ET STATUT DU FORT : LE NOUVEAU CENTRE DE LA COMMUNAUTE

Le compoix de 1545 recense 34 tenanciers pour le fort de Frausseilles 14 . Seuls six d’entre eux y possèdent une maison principale servant d’habitation permanente. Les autres déclarent seulement tenir une « chambre » ou un « chai » et détiennent une habitation principale à l’extérieur du fort. A l’exception de deux propriétaires de maisons localisées « à Frausseilles », à l’extérieur du fort, les autre détenteurs de chambres ou de chais résident majoritairement dans les mas de la paroisse (17 tenanciers sur 28). Neuf habitants de paroisses voisines possèdent également un bien dans le réduit. Ainsi, le compoix de la fin du XVI e siècle traduit un phénomène de double propriété qui est lié ou hérité d’une fonction de refuge temporaire. Les chambres correspondent à des loges qui permettent d’accueillir les habitants du terroir en cas de danger et les chais résultent peut-être d’une évolution fonctionnelle des espaces de stockage. Le noyau d’habitat décrit à travers le compoix traduit donc le dédoublement de l'habitat dispersé sous la forme de structures d’habitat pérennes mais d’utilisation temporaire. L’habitat permanent et principal n’est toutefois pas absent du fort. En effet, les maisons mentionnées dans le compoix pourraient correspondre à d’anciennes habitations englobées dans la fortification de la fin du Moyen Age. Cependant, il peut également s’agir d’anciens bâtiments initialement divisés en « chambres » qui ont été acquises par un même propriétaire pour être transformées en habitation principale ou pour être louées. Il est donc difficile de déterminer si le noyau d’habitat existant autour de l’église en 1594 correspond à une restructuration et une fortification de l’habitat groupé d’origine ecclésiale, ou s’il résulte presque entièrement de la pérennisation de structures de refuge pour la population rurale autour d’un pôle monumental et à l’intérieur d’une fortification collective. Les indices textuels conduisent toutefois à associer les deux fonctions et les deux processus : le réduit de Frausseilles peut sans doute être identifié comme une structure collective fonctionnant à la fois comme une fortification d’ensemble du modeste habitat en place, et comme un refuge pour les habitants du terroir. Cette situation observée à la fin du XVI e siècle semble par ailleurs proche de celle qui transparaît dans les sources de la fin du Moyen Age.

Cependant, malgré la présence d’un parcellaire et de structures bâties, l’habitat fortifié reste très modeste et fonctionne avant tout comme le centre d’une communauté rurale. La pacification de la région après les guerres de Religion entraîne l’abandon progressif du réduit puis sa destruction au

13 A.D. 81, 95 EDT CC 1, fol. 2. 14 A.D. 81, 95 EDT CC 1. 3 profit de la demeure seigneuriale qui est étendue à son emplacement. Ce processus permet un rapprochement avec la localité de Bleys qui fait également partie des juratifs du consulat de Cordes 15 . Dans les deux cas, la propriété seigneuriale s’étend sur l’emprise initiale de l’habitat villageois et absorbe son noyau fortifié. Ces exemples mettent ainsi en évidence la relation forte entre la communauté, son centre aggloméré et son fort collectif qui renforce, face au bourg de Cordes, sa légitimité et son indépendance. L’évolution de ces structures d’habitat après les troubles du Moyen Age et de la période moderne conduit à penser que la disparition du fort sonne le glas de ces modestes habitats groupés qui semblent pourtant antérieurs à l’aménagement de la fortification.

5. L’IMPLANTATION SEIGNEURIALE : DE LA MAISON NOBLE AU CHATEAU

Le centre actuel de Frausseilles est occupé par un château d’époque moderne, largement remanié et restauré à une période récente mais qui conserve des éléments architecturaux du XVI e ou du XVII e siècle. Son emprise actuelle ne correspond pas à la propriété seigneuriale initiale qui était englobée à l’intérieur d’un réduit collectif. Le fort étant organisé autour de l’église, au centre d’un probable enclos ecclésial, il est peu probable que son enceinte ait été définie sur les limites de la basse-cour castrale, comme cela est le cas pour plusieurs localités de la région. En revanche, une première maison forte existait peut-être à proximité de l’église lors de la construction de la fortification collective. Son emplacement aurait ainsi conditionné l’implantation du noyau fortifié, mais si cette hypothèse est séduisante, elle reste à confirmer par les textes. En effet, les sources modernes étudiées ne font jamais référence, de façon explicite, à la fortification seigneuriale. Les seuls biens détenus par le seigneur de Frausseilles dans le fort sont plusieurs maisons jouxtant la muraille, un four, deux chais et deux chambres, qu'il doit probablement bailler à des villageois 16 . On peut supposer que l'une de ces maisons nobles sera réunie avec les autres parcelles pour former un manoir fortifié à la période de moderne. Ainsi, la demeure seigneuriale, peut-être fortifiée dès le XIV e siècle, est intégrée dans la trame bâtie et le système défensif du fort sans pour autant y jouer un rôle polarisateur.

15 Cf. notice « Bleys » : ce cas illustre également un processus de désertification d’un modeste habitat groupé d’origine médiévale dont le parcellaire est totalement effacé par un remembrement au profit du propriétaire noble du XIX e siècle. 16 A.D. 81, 95 EDT CC 1, fol. 2. 4 Etude ILLUSTRATIONS

Fig. 1 : Carte IGN (© GEOPORTAIL).

Fig. 2 : Cadastre de Frausseilles actualisé en 1982 (Section A2).

Fig. 3 : Cadastre de Frausseilles, 1810 (A.D. 81, 3P 2434)

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Fig. 4 : Le manoir de Frausseilles, vue d’ensemble depuis le sud. Le logis actuel s’élève à l’emplacement d’une ancienne maison noble englobée dans un réduit collectif..

Fig. 5 : La place de Frausseilles établie au devant et à l’emplacement de l’ancien fort. Vue d’ensemble depuis l’ouest.

Fig. 6 : L’église de Frausseilles, pôle de fixation du réduit fortifié. Vue d’ensemble depuis l’ouest.

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Fig. 7 : Vestiges d’une construction percée d’archères - canonnières dans l’angle sud du réduit (tour ? Maison forte seigneuriale ?). Vue du mur d’enceinte sud-ouest de la cour située à l’emplacement du réduit.

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