numéro 16 Octobre 2016 3 euros

HistoBULLETIN DE L’INSTITUT CGTLivre D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN

02 L’ÉDITORIAL par Xavier Hirsch HOMMAGE A GEORGES SÉGUY 03 DEUX MORTS par Maurice Lourdez LIRE HISTOIRE DE LA CGT par Marc norguez 04•05 SOUVENIR MON RAPPEL EN ALGÉRIE par Armand Lanaro 06 LA PRESSE D’EXTRÊME DROITE SE DISTINGUE par Michel Ancé 07 LE LABEL 08 LA CORRECTRICE DE CÉLINE par André Panchaud 09 LA CRÉATION DES CAISSES DE RETRAITE DE LA PRESSE ET DU LABEUR 10 par Roger Dédame 1936 DANS LE LIVRE PARISIEN • 11 12 par Roger Dédame 13•14 15•16 PORTRAIT DE MILITANT MARC HENRY par Michel henry 17 SOLIDARITÉ INTERNATIONALE PHILADELPHIA par Marc norguez 18•19 COALITION D’OUVRIERS IMPRIMEURS À EN 1830 par Gilles Pichavant CONSEIL D’ADMINISTRATION COTISATIONS ANNUELLES 2016 - 2017 20 LE PARCOURS DU LIVRE PARISIEN AU 19E SIÈCLE par Paul Chauvet 21 UNE PÉTAIN DE COQUILLE par Yann volant 22 CHANSON MARCHE POUR L'EMPLOI L’ARGOT DES TYPOGRAPHES CHÈVRE… 23 par Eugène Boutmy 24 VIENT DE PARAÎTRE PIERRE-JOSEPH PROUDHON

Maison du Livre - 94 boulevard Auguste Blanqui - 75013 PARIS - Tél. : 01 43 31 53 51 Fax : 01 43 31 79 70 02 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN

à quelques-uns de nos militants qui ont eu des responsabilités importantes et qui nous font part de leurs expériences vécues. Nombre d’entre vous doutent peut-être de l’utilité Edito d’un tel travail de mémoire alors qu’ils sont dans le présent confrontés à une situation sans précé- DIX ANS DÉJA dent où les conquêtes sociales acquises par la lutte sont systématiquement détruites par ceux- Avant la fin de cette année, notre Institut souf- là mêmes qui se considèrent comme les héritiers flera les bougies de son dixième anniversaire. de Jaurès, mais qui en fait trahissent sans ver- Dix ans c’est jeune si on s’en réfère aux différents gogne son apport et ceux qui se sont battus pour IHS créés depuis 1982, date à laquelle la CGT, les conquérir. sur proposition de Georges Séguy (voir article L’histoire sociale des travailleurs et de leurs or- ci-dessous), décidait à l’occasion du congrès ganisations est traitée par les médias anciens confédéral de Lille de créer un institut national. et nouveaux par la déformation systématique Cette initiative a été prolongée depuis par la créa- des faits, voire le mensonge. Il suffit pour s’en tion de 56 instituts territoriaux et professionnels. convaincre de surfer un peu sur le web. En 2006, Daniel Légerot, devenu notre président, C’est la raison pour laquelle notre institut se doit constate avec quelques camarades l’état dans Directeur de publication : Daniel Légerot de tout faire pour travailler à établir la vérité et de lequel se trouvent les archives des syndicats pa- rapporter les témoignages de celles et ceux qui Conseil de rédaction : Bernard Haned, risiens entassées dans les sous-sols de Blanqui ont vécu cette histoire au fil du temps. Xavier Hirsch, Jean-Jacques Hédouin, et menacées de disparition à plus ou moins long C’est bien dans notre histoire, aussi bien dans les Etienne Lambert, Marc Norguez terme. victoires que dans les défaites, en analysant, en Jean-Jacques Pitout, Yann Volant Très vite on recherche une solution pour leur s’interrogeant sur ce qui a marché et ce qui n’a Maquette : Nicolas Bessemoulin conservation et leur accessibilité. Ce fut chose pas abouti, que les militants d’aujourd’hui trou- Saisie des textes : Bruno Rivet faite avec le dépôt par le SGLCE de ses archives veront la capacité à faire face aux épreuves aux- Correction : Philippe Zirn aux Archives départementales de la Ville de Pa- quelles ils sont confrontés. Imprimé par nos soins. ris. Cette première initiative fut donc couronnée Chaque génération a son propre vécu, les ISSN : 2103-3927 de succès. époques sont difficilement comparables, mais http://www.ihs.livreparisien.fr Mais l’essentiel était de faire vivre l’institut et de tirer les enseignements de notre action passée créer les conditions pour partager et écrire avec permet de nourrir les actions d’aujourd’hui. Après

l’ensemble des salariés de nos professions l’his- dix ans, notre IHS présente d’ores et déjà un bilan toire de nos luttes communes. Pour cela nous utile dont nous pouvons être fiers. organisons des conférences, nous faisons appel à des historiens et à des universitaires mais aussi XAVIER HIRSCH

Hommage à Georges Séguy

Georges Séguy est décédé le 18 août dernier. Elle se souviendra également de la volonté de Georges Séguy de renforcer la Cgt en lui per- Le 28 janvier 2010, Georges était parmi nous mettant d’évoluer pour rester en phase avec à la Maison du Livre à l’occasion de la sortie les aspirations du monde du travail, notam- de son ouvrage : « Résister. De Mauthausen à ment dans la préparation du congrès confé- Mai 68 ». Devant une participation exception- déral de Grenoble en 1978. nelle, il avait animé avec passion une confé- Pour ce qui nous concerne, nous mesurons rence que nous avions baptisée : « Un ouvrier particulièrement ce qu’il a apporté à l’histoire du Livre dans la résistance et dans la lutte » sociale en créant l’institut d’histoire sociale pour rappeler son apprentissage de conduc- de la CGT dont le rôle et l’importance sont teur typographe. Un métier qu’il aimait. Ce aujourd’hui mieux appréciés et qui suscita la fut une de nos premières initiatives publiques constitution de multiples IHS professionnels avec plus de cent auditeurs et qui nous a ou territoriaux. donné particulièrement confiance dans nos projets. Homme de paix, homme de dialogues et de raison, militant communiste, Georges Séguy L’histoire retiendra son apport au mouvement laisse un vide. N’oublions pas ses valeurs et syndical, son rôle moteur en mai et juin 68, où ses engagements. il contribua aux rapprochements et à la soli- darité entre les étudiants et les travailleurs et à 28 janvier 2010 avec notre IHS une victoire historique du mouvement ouvrier. à la Maison du Livre INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 03 DEUX MORTS…

Le conflit du Parisien libéré a produit quelques événements dramatiques. Il s’agit d’accidents de la vie totalement imprévisibles. Ce 26 septembre 1975, un peu après 12 h 45, plus de cinq cents ouvriers du Livre in- vestissent le Palais Brongniart (Bourse des valeurs), ils venaient du journal l’Aurore et des imprimeries situées dans le secteur. L’objectif était de s’imposer devant les caméras de TF 1 qui transmettaient chaque jour les cotations boursières au journal télévisé de 13 heures.

L’initiative a été préparée avec minutie, des renseignements détaillés ont été recueillis auprès de syndicalistes ayant travaillé dans les lieux ; seulement, cette fois-ci, il y a eu des fuites… À l’heure dite, les manifestants font irruption autour de la corbeille où sont massés les agents de change, sans rencontrer d’op- position. Quelques-uns montent sur la passe- relle pour tendre les banderoles « Amaury doit négocier » devant les caméras qui filment les cotations. Au fur et à mesure, Roland Turgis,

la réalité, si riche et souvent si contradictoire. Les Mais, on l’aura compris, ce livre mérite une plus chapitres 1 et 2 rédigés par Michel Pigenet et le grande publicité. Il est à mettre entre toutes les troisième par Jérôme Beauvisage sur les origines mains, particulièrement dans celles de ceux qui et la jeunesse de la CGT sont particulièrement veulent connaître en peu de pages l’essentiel de Lire intéressants à l’heure où la crise du syndicalisme l’histoire de notre confédération, et à utiliser pour HISTOIRE nous impose de réfléchir au sens et aux valeurs toutes les formations syndicales. de base de notre activité. MARC NORGUEZ DE LA CGT C’est ce que propose René Mouriaux à la fois dans son introduction et dans l’ultime chapitre Histoire de la CGT, ouvrage collectif, Les La CGT a donc eu cent vingt ans l’an dernier. La qu’il a rédigé et qu’il intitule : « Et maintenant ? » Éditions de l’Atelier, 2015, 192 pages, 18 euros. confédération et l’Institut d’histoire ont célébré Disponible au siège de notre IHS l’événement par différentes initiatives dont une Les autres parties font le point sur l’état des série de conférences de grande qualité. connaissances historiques des grandes périodes de la vie sociale et du rôle de la CGT. Difficile L’IHS national avait l’ambitieux projet de réaliser de sortir un chapitre plus qu’un autre, tous sont un livre anniversaire à la fois clair et historique- clairs, précis, utiles et rédigés par des spécia- ment de haut niveau. listes indiscutables de différentes générations. Cette Histoire de la CGT publiée par les Éditions Les illustrations sont également une grande de l’Atelier et imprimée à Condé–sur-Noireau a réussite par leur originalité – la photo du congrès brillamment rempli cet objectif. de juillet 1921, page 64, par exemple – ainsi que Les différents chapitres ont été confiés à des les encarts qui complètent utilement le texte historiens professionnels ou à des militants qui général. apportent un éclairage nouveau à l’histoire de la On regrettera sa parution tardive, en fin d’année Confédération générale du travail. dernière, qui a nui sans doute à une plus grande L’histoire est bien vivante, se libère des carcans diffusion et, dans la précipitation du retard pris, et des pudeurs du passé pour rendre compte de la fin brutale et incomplète de la page 77. 04 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN

délégué syndical du Monde, efface les cota- fragile. C’est même pour cette raison qu’il La vérité rétablie tions. Contre toute attente, nous nous retrou- avait été affecté à ce poste de police réputé vons nez à nez avec des appariteurs musclés calme et sans danger. Il s’est effondré tout- La « Commission des loisirs » (*) est sur la visiblement étrangers à l’institution, équipés à-coup, juste à la sortie de la Bourse, alors sellette. Une réunion de crise s’organise dans de barres de fer et de coups de poing améri- qu’il attendait des renforts. On a tenté de le l’après-midi à la direction confédérale de la cains. L’un d’eux, en nous voyant arriver, dit : ranimer, sans succès, puis il a été transporté CGT sous la présidence de Jacques Piot, « Depuis le temps qu’on vous attend ! » Une à l’Hôtel-Dieu où les médecins n’ont pu que secrétaire général de la Fédération du Livre, bagarre s’ensuit. Des courtiers en Bourse, constater son décès. et d’Oswald Calvetti, dirigeant confédéral. Ils quelques agents de change, excédés par une veulent m’entendre ainsi que René Lepeu. Au cours de la journée, les condamnations de grève des employés de la Bourse trois jours La réunion a déjà commencé lorsque nous l’action des ouvriers de la Presse parisienne plus tôt, s’en mêlent en criant : « La CGT à arrivons. Tandis que nous nous avançons pleuvent. La CGT des commis d’agents de Moscou ! ». Des chaises volent… Quelques au milieu de visages hostiles, Jacques Piot change est la première à réagir. Dans un com- policiers en fonction dans ce temple de la nous lance : « Alors, les cow-boys, vous êtes muniqué, elle précise : « Nous n’étions pas au finance s’interposent. Les manifestants res- contents ? » Nous faisons profil bas. Nous courant et nous n’avons en aucune manière sortent au bout d’un quart d’heure et se ras- ignorons tout de la crise cardiaque du com- favorisé l’intervention des travailleurs du semblent dehors. C’est alors qu’un inspecteur missaire. Nous pensons à ce moment-là tout Livre parisien à l’intérieur de la Bourse. Nous des Renseignements généraux s’approche de à fait possible qu’un coup fatal lui ait été don- condamnons la manière dont s’est effectuée moi et me dit : « Monsieur Lourdez, il y a un né dans la confusion de la bagarre. Cette idée cette intervention. Tout en comprenant les mort. » nous est insupportable. L’épreuve que nous revendications des travailleurs du Parisien traversons est très dure parce que nous avons L’autopsie révélera plus tard que le commis- libéré, nous nous élevons contre l’attaque toujours basé nos actions sur la volonté d’évi- saire divisionnaire Henri Puissant, cinquante- qui a été faite contre la liberté de travail des ter les incidents, les drames. Notre journée deux ans, chef du commissariat spécial de la commis. » Le syndicat CGC, majoritaire au s’annonce comme une succession de sup- Bourse, ancien adjoint à la sécurité du général Palais Brongniart, tient des propos similaires : plices : à la sortie de cette première réunion, De Gaulle, a succombé à une crise cardiaque. « Notre organisation est indignée des procé- nous devons nous rendre Boulevard Blanqui Mais à ce moment-là, alors que les manifes- dés qui ont été utilisés par ces manifestants et devant le Comité inter pour s‘expliquer, se tants repartent en cortège vers la rue d’En- condamne sans appel cette forme d’expres- justifier encore et encore. ghien, personne ne le sait encore. Le bruit sion. » Le ministre de l’Intérieur, Poniatowski, court au contraire qu’il est mort d’avoir reçu fait savoir qu’il a donné ordre au préfet de Jacques Piot s’apprête à me donner la parole des mauvais coups pendant la bagarre. Un police, Jean Paolini, de « rechercher les cri- lorsque quelqu’un frappe à la porte de la salle profond malaise, le sentiment que cette fois- minels ». Il affirme sans la moindre preuve que de conférence. Une main passe. Elle fait le ci nous sommes allés trop loin se répandent. « le commissaire Alexandre-Henri Puissant est signe « deux » avec les doigts. Deux morts ! L’enquête établira pourtant formellement que tombé, frappé par de lâches agresseurs, alors Il y a deux morts ! Dans la salle, l’indignation le policier n’a pas été frappé. Il avait le cœur qu’il s’efforçait de repousser les assaillants ». est à son comble. Ceux qui se sont toujours

manifestations de rappelés commencèrent dans de syndicalistes ou de militants du Parti commu- les jours qui suivirent cette décision. La plupart niste, mais, livrés à nous-mêmes, l’échec était de ces « disponibles » n’avaient aucune envie de fatal. Pourtant, la colère était au bord des lèvres Souvenir risquer leur vie pour une cause qui ne les concer- et une étincelle aurait pu peut-être changer le nait pas. Fin avril 1956 je travaillais à l’imprime- cours des choses. Pour nous, l’acheminement MON RAPPEL rie Georges Lang, quand mes parents me firent ferroviaire vers Marseille n’avait présenté aucun prévenir de la venue de deux gendarmes à la accroc, mais j’ai su par la suite que d’autres EN ALGÉRIE maison, posant des questions pertinentes sur convois avaient été empêchés de partir et le mon lieu de travail et l’horaire de mon retour. Une signal d’alarme souvent actionné. Ces copains feuille de route m’y attendait. Et c’est ainsi que, avaient été déclarés « contestataires » et se sont le cœur gros, j’ai dû rejoindre rapidement la gar- retrouvés par la suite sur des pitons isolés, loin nison basée à Maisons-Laffitte dans les Yvelines. de tout. Je fus baptisé marsouin dans le régiment du 2/9e Le bateau à Marseille, le Kairouan, était plus que RIC. J’avais vingt-quatre ans. complet. Nous avons eu la chance en mai d’avoir Il y régnait une grogne générale des rappelés, une mer calme et comme d’autres nous avons une envie de révolte et le sentiment d’être aban- pu dormir sur le pont enroulés d’une couverture, Les rappelés embarquent donnés de tous. Nos chefs, sentant la rébellion, évitant une cale généreusement équipée de tran- nous réunirent pour tenter de nous expliquer les sats et pleine à son maximum. Arrivée au port En mars 1956 furent votés les pouvoirs spéciaux raisons du maintien de l’ordre en Algérie, faisant d’Alger au petit matin, tous les regards tournés au gouvernement socialiste et au président du appel à notre esprit patriote. Des protestations vers la ville, avec une certaine angoisse. Sur le Conseil, Guy Mollet, avec l’apport du PCF. La s’élevèrent parmi nous, tout de suite « étouf- quai des travailleurs algériens affairés, l’un d’eux volonté du gouvernement était de rétablir la paix fées » par des supérieurs nous encadrant et nous fit le geste d’un revers de pouce traversant en Algérie, ce qui signifiait : service militaire por- repérant les fortes têtes. Aucun soutien des syn- la gorge. Bel accueil ! té de 18 à 27 mois et le rappel immédiat de 70 dicats ni des partis politiques, nous comptions Cantonnés ensuite à Beni Amran (commune de 000 hommes du contingent « disponibles ». Des bien un certain nombre de militants ouvriers et Palestro) sous de grandes tentes bâchées avec, INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 05 opposés à notre stratégie relèvent la tête. Le Piot, à la tribune d’un Comité national du présents lors de la réunion du 26 septembre, mot terrible d’« assassins » est même pro- Livre, une panoplie de cow-boy. Lorsqu’il s’emplit de rires. noncé. La seule chose que l’on sache à cet dévoile son cadeau, la salle, composée en MAURICE LOURDEZ instant est que Robert Beugnot, la seconde majorité de délégués syndicaux qui étaient (*) Groupe de militants chargés de la préparation des actions. victime, est un liquidateur de soixante-six ans. A-t-il reçu des coups ? Tout le monde le pense. Plus tard, dans la soirée, la vérité sera rétablie. C’est bien après la fin de la manifes- tation au Palais Brongniart, vers 15 heures, pendant une séance spéciale appelée « la pe- tite Bourse » en relation avec les cotations de New York, que Robert Beugnot s’est effondré alors qu’il était en pleine discussion avec un commis d’agent de change. L’autopsie établit que, comme le commissaire, il avait le cœur en très mauvais état. La crise cardiaque aurait pu survenir à n’importe quel autre moment.

Les journaux du lendemain et des jours sui- vants rendent publique cette vérité. Deux morts ? Oui, mais comme sont obligés de le confirmer les communiqués officiels, il s’agit de deux accidents dans lesquels les travailleurs des imprimeries parisiennes et la « Commission des loisirs » n’ont aucune res- ponsabilité directe. Il faudra quand même du temps – et l’indignation générale suscitée par la sauvagerie policière dans « l’affaire des Arts et Métiers », deux mois plus tard – pour que les esprits se calment.

Après avoir laissé passer quelques semaines, nous nous payons une petite vengeance à notre manière. Nous faisons livrer à Jacques

au début, un équipement rudimentaire : pas de lieutenant, était disparue dans une mission de 18 mai, veille des fêtes de la Pentecôte, donnant lit, seulement une couverture à même le sol, et reconnaissance. Le lendemain, tôt le matin, nous des détails précis sur le bataillon, les dates de en mai en Algérie les nuits sont plutôt fraîches. partons à leur recherche, très inquiets : plus départ, le lieu etc. Mais, à cause des fêtes, les C’est à ces moments-là que j’ai eu la plus grande de contact radio, une bonne demi-journée de noms des disparus n’ont pu être donnés que le peur de ma vie : la garde ! Seul dans la nuit, dans marche dans un terrain montagneux difficile et mardi 22. D’où l’attente, dans l’angoisse, des le silence à l’écoute du moindre bruit suspect. nous avons découvert dans une petite clairière familles. escarpée les traces d’un guet-apens. Un petit col Notre première mission était de sécuriser l’axe Nous avons ensuite été relevés du secteur et que nos malheureux amis ont voulu gravir, mais routier qui traverse les gorges de Palestro. Pales- déplacés dans le petit village de Borj Menaiel au-dessus d’eux, derrière de gros rochers, un tir tro gorge et Palestro coupe-gorge : une région (région de Tizi Ouzou). D’autres escarmouches et d’armes automatiques les a stoppés net. Puis à embuscades ont secoué le bataillon avec encore sauvage de bois et de rochers. De part et d’autre leur arrière, deux FM croisés ont empêché toute plusieurs morts. Nous nous rendions compte de la route, le djebel avec ses flancs abrupts. Nos retraite possible. Au sol : douilles et traces de qu’il ne s’agissait pas « d’une poignée de re- regards figés sur les pentes des hauteurs, cris- sang ont prouvé un combat désespéré : une em- belles » mais de la volonté générale d’une popu- pés sur nos armes. Nos armes, il faut en parler : buscade-massacre. Pour notre part, nous avons lation et qu‘un jour l’Algérie serait indépendante. des MAS 36 modifiés 49, des MAS 51 automa- relevé deux camarades : corps nus à peine dis- Et pourtant nous avions des échos des radios tiques, des équipements de l’armée américaine simulés dans un taillis, d’autres ont été trouvés de la métropole annonçant qu‘un bon travail était et anglaise. Une vraie panoplie ! Et, de plus, on non loin de là, tués et mutilés, semble-t-il par les fait par les appelés et les rappelés et un certain se découvrait être des « tendres » pas aguerris habitants des mechtas avoisinantes, désertées à ministre de l’Algérie, Robert Lacoste, annonçait du tout : aucune formation ni entraînement, sinon ce moment-là, bien sûr. Nous avons redescendu « le dernier quart d’heure ». Fin novembre 1956, quelques tirs. Quand nous avions un « suspect nos camarades avec peine sur des civières de nous avons pris le chemin du retour. Au débar- avéré », nous le conduisions à la gendarmerie fortune, les hélicos n’étant pas libres paraît-il. À quement à Marseille, un comité d’accueil nous d’Alger, où les gendarmes se chargeaient de le partir de ce moment, l’attitude des rappelés avait attendait : une haie de CRS nous canalisait vers faire parler ! Trois semaines après notre arrivée quelque peu basculé : colère, haine et racisme ; les camions menant à la gare Saint-Charles. en Algérie, nous apprenions soudain qu’une de blessés au fond d’eux-mêmes, toute la rancœur nos sections, basée dans une maison canton- accumulée refaisant surface. Les médias ont ARMAND LANARO nière, 19 hommes sous les ordres d’un sous- largement diffusé cette hécatombe du vendredi 06 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 1988 : LA PRESSE D’EXTRÊME DROITE SE DISTINGUE

Le 25 Juillet 1988, les services d’ordre du un médiateur pour que la situation soit réglée pressions conjuguées du Parti communiste et Syndicat du Livre et de l’UD CGT de l’Es- dans le respect de la loi. de la CGT et contraint à l’inaction. Un vrai ro- sonne évacuent la milice armée de Jean Di- En clair, si la CGT n’était pas allée à l’assaut, man. Mi-août l’hebdo facho remet le couvert. dier, patron de l’imprimerie du même nom à le patronat conservait une garde armée pour La CGT est qualifiée de « syndicat du crime », Massy. Face à un patron de combat, faute de dicter sa loi du travail. voir appliquer le Code du travail, faute de voir Dès le lendemain, la presse fait ses choux intervenir le ministère du Travail, la CGT a dû gras de l’événement. Libération y consacre la forcer la porte de l’entreprise pour mettre un une et trois pages intitulées « Les militants terme à une délinquance inouïe et en finir avec CGT prennent d’assaut l’imprimerie Didier ». ce conflit social. Les médias, dont une majorité ne témoignent En juin, le patron Jean Didier a licencié deux pas d’une grande sympathie pour la CGT, in- salariés, puis vingt-deux autres, le 24 juin, terpellent cependant Pierre Joxe, ministre de dont dix-neuf délégués CGT. Dans la foulée, l’Intérieur, et Jean-Pierre Soisson, ministre du il met en place un lock-out de l’entreprise Travail, pour tenter de savoir comment en est- malgré une ordonnance contraire du tribu- nal. Jean Didier veut produire en dehors des on arrivé là, et pourquoi une telle inertie des règles sociales en vigueur, pour un meilleur services de l’État. profit ; il lui faut virer la CGT. Quelques semaines plus tard, au mois d’août, Ce 25 juillet, après avoir tenté une résistance les publications d’extrême droite, Minute et armée, le patron et ses vigiles sortiront sous National Hebdo, se déchaînent une nouvelle la protection de la police. Ce n’est qu’après fois. cette mise au point nécessaire, et six se- La CGT serait, bien sûr, le bras armé du Parti maines de conflit social intense, que le minis- communiste dans les conflits sociaux, Pierre tère du Travail, sommé par la CGT, nommera Joxe, ministre de l’Intérieur, serait otage des

des États-Unis avait puissamment secondé l’action syndicale. Aussi, l’idée de créer une LE LABEL marque pour le livre et les imprimés fit rapi- dement son chemin. C’est en décembre 1903 En 1926, dans une brochure « Notes histo- que le Comité central d’alors mit des clichés à riques 1881 – 1925 » la Fédération Française des Travailleurs du Livre s’adressait à la jeu- la disposition des syndicats. Le dessin de ce nesse en ces termes : « Le Comité fédéral cliché a été modifié par décision du Congrès met à la disposition des sections ces brèves de Lyon (1905) ; le nouveau comprend la notes historiques de notre organisation. Mal- marque confédérale. gré leur brièveté elles permettront à la jeu- Depuis 1903, et surtout pendant les périodes nesse de l’imprimerie d’apprécier le rôle et Pour revendiquer éventuellement tous droits électorales, le label a rendu de réels services les services rendus par la Fédération. Elles en cas d’abus, une formule uniforme précise aux syndicats fédérés, bien que le patronat ne sont destinées à faciliter la propagande de les conditions dans lesquelles les clichés sont lui soit réellement pas sympathique. C’est gé- tous, près des jeunes qui veulent savoir et délivrés ; elle donne la liberté absolue de les néralement la clientèle qui le pousse à en faire comprendre… ». Nous reprenons ci-après le retirer à un patron dès que ces conditions ne usage. chapitre consacré au label. sont plus observées.

L’exemple des organisations syndicales Le Comité fédéral a fait le dépôt légal du des- Cette formule stipule que la marque syndicale américaines a produit chez les travailleurs sin de la marque syndicale au tribunal de com- est délivrée et peut être retirée par la Fédéra- du Livre français une très forte impression en merce de Paris, dépôt qui donne à la Fédéra- tion exclusivement, ce qui est non seulement ce qui concerne l’usage de la marque syndi- tion la propriété exclusive dudit dessin. Cette conforme à la loi du 12 mars 1920, mais aussi cale dite « label ». Ils pouvaient espérer que mesure est prise conformément à la loi du aux statuts fédératifs. Les sections n’ont donc le public s’intéresserait à la garantie que pré- 12 mars 1920 qui assimile les marques dites pas à faire de dépôt de dessin ; le fonctionnaire sente cette marque pour les travailleurs en « labels » aux marques de fabrique dont la pro- de la section qui signe le contrat avec le patron général, puisque le public de certaines régions priété est garantie par la loi du 23 juin 1857. est le mandataire de la Fédération. INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 07

et le journal de citer sur deux pages une liste dogmatiques. Là où les salariés ont choisi de dates où des faits inexistants, invérifiables, la seule CGT pour les défendre, les attaques tels que plastiquage, extorsions ou détour- médiatiques pleuvent dru. Le syndicat du nements de fonds, agressions et crimes, qui Livre n’est bien sûr pas épargné. Les feuilles seraient monnaie courante à la CGT. d’extrême droite sont des plus virulentes. Un peu plus tard, Minute remporte la palme Le ton a été donné en 1983. Jean Auroux, du délire. Le « service action » de la CGT pren- alors ministre du Travail, invité par les patrons drait ses ordres non seulement au Parti com- de l’imprimerie à un déjeuner à Paris (25 jan- muniste, mais aussi auprès du Kremlin, par vier), plaide pour le pluralisme syndical (sur- les relais de la Fédération syndicale mondiale tout) dans l’imprimerie pour que les négocia- (FSM). La preuve ? Il y a écrit FSM sur les ban- teurs donnent la préférence aux contrats, à « deroles de la CGT. une politique contractuelle pour contrer une Ce 25 juillet 1988 a été marqué par une vic- Ainsi, les gouvernements français ont obtenu réglementation rigide imposée d’en haut ». toire peu ordinaire des travailleurs du Livre la paix sociale, contre des concessions faites Comme c’est joliment dit. CGT, qui ont montré leur détermination. à Moscou. La presse d’extrême droite cible donc le syn- L’enjeu était de taille. Les patrons des impri- Fermez le ban ! dicalisme de classe là où il est bien implanté, meries étaient à l’affût, si Jean Didier imposait sa norme sociale, l’ensemble de la profession Ces écrits pathologiques ne sont pas rares et majoritaire. Dockers, mines et énergie, lui emboîtait le pas. Le gouvernement, dans dans les feuilles nauséabondes, ils traduisent entre autres, et Livre CGT bien sûr. sa logique de reculade sociale, attendait l’is- la haine syndicale ordinaire à laquelle la CGT On ne pardonne pas à la CGT de rester majo- sue de ce combat pour avaliser la nouvelle doit faire face, depuis toujours. ritaire, ou seule organisation élue dans cer- donne sociale. Le premier septennat de François Mitterrand, tains secteurs. Les dockers, le Livre CGT font La presse d’extrême droite a salué à sa dès 1982, tourne court, pause sociale, poli- les frais de campagnes haineuses plus sou- manière le combat exemplaire des gars du tique du franc fort. La sidérurgie, les mines, vent qu’à leur tour. Livre, en appliquant la devise de Goebbels en la navale font les frais d’une politique antiso- Bien que durement attaquées, les profes- 1940 : « Mentez, mentez, il en restera toujours ciale, aux antipodes des promesses du can- sions du Livre ont encore des institutions quelque chose. » didat Mitterrand. Les dégâts dans les rangs majoritaires qui tiennent tête au patronat, des Notre histoire syndicale est jalonnée de crises, syndicaux sont terribles. salaires supérieurs à d’autres professions. de divisions, qui ne furent surmontées que par La CGT est montrée du doigt, comme syn- Cette démonstration dérange. Pour casser le l’unité des travailleurs et l’amélioration des dicat irresponsable ; la CFDT devient un syndicat, le patronat recourt de plus en plus conditions sociales malgré les campagnes modèle, « partenaire social » incontournable, à l’intimidation, voire à la violence. La presse haineuses qu’elle a dû affronter. c’est un syndicat pragmatique, qui comprend d’extrême droite se surpasse dans l’ignominie son époque, contrairement aux syndicats et le mensonge. MICHEL ANCÉ

Voici le contenu du contrat que doit signer l’im- Cette remise ne constitue entre les mains de primeur qui fait usage du label : M… qu’un dépôt précaire et l’autorisation qui lui est donnée d’en faire usage sus-indiqué Entre M… et la Fédération française des tra- ne lui est concédée que sous la condition ex- vailleurs du Livre, presse et formelle que le personnel technique Il est convenu ce qui suit : employé par lui est et demeurera adhérent à la Fédération française des travailleurs du Livre, La Fédération française des travailleurs du est et demeurera traité et payé dans les condi- Livre est propriétaire de la marque syndicale tions du tarif syndical. dont le dessin ci-dessus a été adopté confor- mément à la loi ; elle est destinée à être appo- Il est expressément convenu que, dans le cas sée sur tous les imprimés exécutés dans les où cette condition cesserait d’être remplie, ateliers dont le personnel technique est en ce dont la Fédération française de travailleurs totalité adhérent à la Fédération française des du Livre entend être seule juge, M… perdrait travailleurs du Livre, traité et payé conformé- tout droit à l’usage de la marque ; qu’il devrait, ment au tarif syndical. en conséquence, cesser immédiatement d’apposer sur les imprimés exécutés dans ses Sur l’affirmation de M… que le personnel tech- ateliers ; qu’il devrait restituer à la Fédération nique employé par lui est en totalité adhérent à française des travailleurs du Livre, à première la Fédération française des travailleurs du Livre, réquisition de celle-ci, les clichés dont le dépôt qu’il est traité et payé dans les conditions du lui a été confié ; et ce sous peines et sanctions tarif syndical, la Fédération française des tra- légales et sous réserve de tous dommages-in- vailleurs du Livre a consenti à lui remettre gra- térêts. tuitement les clichés de sa marque syndicale et à l’autoriser à en faire usage en l’apposant sur les imprimés exécutés dans ses ateliers. 08 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN LA CORRECTRICE DE CÉLINE

Louis-Ferdinand Céline avait une correc- la Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne et trice ; sa correctrice. À son service exclusif. révélé John Crowper Powys au public fran- Il n’en voulait pas d’autre. La particularité çais. Mais sans la moindre disposition pour la de cette personne consistait à n’être pas correction. correctrice professionnelle, n’ayant pas la formation de cette fonction. Les merdeux correcteurs À quoi devait-elle le privilège d’occuper d’imprimerie une telle situation ? La première correctrice des œuvres de Céline se nommait Jeanne La confiance que lui témoignait Céline tenait Carayon. Elle était la voisine de palier du de sa scrupuleuse fidélité au texte et au style docteur Destouches (c’est-à-dire Céline lui- si particulier de l’écrivain. Intransigeant sur même) lorsque ce dernier exerçait la méde- le respect de ses manuscrits, il exige de ses cine au dispensaire de Clichy, en banlieue éditeurs (Denoël puis Gallimard) que toutes parisienne. Il se trouvait que cette voisine tra- les épreuves de ses livres passent par Marie vaillait comme correctrice d’épreuves et était Canavaggia. Dans une lettre à son ami Pierre l’amie d’enfance de celle qui devait bientôt la Monnier, il précise : « Mes textes sont très remplacer au service de Céline : Marie Cana- ardus, pleins d’embûches, ce ne sont pas les vaggia. Jeanne Carayon deviendra, après merdeux correcteurs d’imprimerie qui s’en la guerre, secrétaire de Montherlant puis de tirent ! Il faut passer pour tout par Marie ou Marguerite Yourcenar. Marie Canavaggia était renoncer à tout ! » Dans la correspondance donc l’oiseau rare qui restera durablement et qu’il entretient avec l’éditeur Gallimard, il fidèlement la collaboratrice du futur « collabo- ne cesse d’insister : « Ah ! j’y tiens absolu- rateur » honni. De père d’origine corse et de ment. Elle fait partie du travail. Les autres mère toulousaine, Marie Canavaggia, née en sont des parasites imprudents. Elle, tout le 1896, était de deux ans la cadette de Céline. contraire. » À Jean Paulhan, qui avait fait les Traductrice d’italien et d’anglais, elle avait ob- premières démarches auprès de Gallimard tenu un prix de traduction international avec qui l’employait pour une réédition du Voyage

C’estDéjà, après au congrès la grève confédéraldes journaux de parisiens Bourges, de La route était dégagée pour voir plus grand. LA CRÉATION en1947, 1904, une idéequ’est – lancéevotée sansla proposition suite dès 1938 de Le départ à la retraite des ouvriers à partir de faire– avait du été 1er reprise mai 1906 dans la dateles négociations, à laquelle les à soixante-cinq ans méritait d’être financière- DES CAISSES ouvrierssavoir : le françaisregroupement doivent régional obtenir des lacaisses jour- ment plus soutenu, non seulement pour les néede maladie de huit etheures, de retraite cet objectif qui avaient quasi été sym ins- travailleurs âgés, mais aussi pour les plus DE RETRAITE boliquetituées dans formulé certaines dès 1866 imprimeries et dont (telle s’étaient celle jeunes, car c’était un moyen de limiter les nourriesdu Petit Parisien,les espérances la plus ancienne), de chaque dans 1leer risques de chômage. Après que le congrès fé- DE LA PRESSE maibut de depuis fidéliser la fondationleur personnel de laqualifié. IIe Interna Mais -la déral de Bordeaux (1949) eut décidé d’en faire tionaleréalisation en de 1889. ce projet Un futdébat abandonnée, bref, d’assez le 16 une priorité, la question de la création d’une nombreusesavril 1950, après réserves, qu’une loi le futdésir adoptée majoritaire recon- caisse de retraite fut posée aux employeurs ET DU LABEUR de la presse parisienne. d’unnaissant grand à chaque élan, alimenté salarié « danspar un le puissantcadre de effortsa profession de propagande. [le droit de] Mais s’assurer une préparaune deu- Comme toujours, le patronat traînait des La Sécurité sociale rendait sans commune tionxième réelle retraite médiocre, complémentaire. sinon nulle Elle est: la faculCGT- pieds, malgré de vagues promesses – depuis mesure les modestes prestations de la solida- s’entative aperçoitou obligatoire lorsqu’elle […] quand fait leles point assujettis le 5 la grève de 1947 qui avait évoqué le problème rité, auxquelles la Fédération du Livre et ses avrild’une 1906. même Qu’importe, corporation diten Griffuelhes,ont décidé ainsi, son – et le Comité intersyndical dut envisager d’exercer des pressions pour débloquer la organisations demeuraient traditionnellement secrétairesoit sur le plan général national, : « Noussoit sur ne le visons plan régio pas- situation. De fait, un mouvement d’impatience attachées, malgré les critiques qui leur repro- unnal… objectif » Cette précis loi finalisait – une réforme les premiers – mais textes un de courte durée fut déclenché, pour obtenir chaient d’y consacrer, par corporatisme et ré- grandd’Ambroise mouvement Croizat qui,social. dans » la foulée de la enfin des négociations sur le sujet, au début formisme syndicaux, une part des cotisations EtSécurité la FFTL sociale, ? Écoutons avaient Keufer légalisé à Bourges l’existence : « de l’année 1951. au détriment du soutien financier aux luttes Lad’organismes journée de dispensateurs, huit heures est destinés une réforme à com- ouvrières. Sans pour autant partager cette cri- désirablepléter les pensions (…) mais prises il ne ensuffit compte pas par d’expri l’ins- L’exemple des rotativistes tique (car, en matière de solidarité de classe, mertitution un nationale désir, il fautqui, enindiquer dépit d’un le moyen incontes de- La section rotativistes n’avait pas attendu le Livre n’avait guère de leçons à recevoir), il latable réaliser. progrès, (…) ne Je pouvait suis d’avis, couvrir, et entrès totalité, caté- pour prendre en charge, seule, la mise à la fallait bien reconnaître que le mutualisme syn- goriquement,les besoins des que assurés l’on poursuivedépourvus d’abordd’autres retraite de ses mandants à l’âge de soixante- dical devrait laisser la place à autre chose. laressources. journée de neuf heures » ; elle est en cinq ans et cette initiative avait incité toutes INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 09 au bout de la nuit, il écrivait : « Je suis sau- une femme bien dévouée, bien sympathique Une Occupation vage pour la pureté des textes. (…) Que les ; je m’impatiente avec elle, j’ai tort. Il faut la très contraignante jean-foutres respectent mes textes et merde ménager au contraire (…) Seulement elle est du reste ! » Ces invectives visaient les cor- Corse (Colomba), emmerdante de certaine Avant la guerre et durant toutes les années de recteurs d’imprimerie, qui, souvent, s’étaient jalousie. C’est la vie, la vie du cul, le ciboire l’Occupation, Céline avait toujours sa correc- permis de modifier ses textes, allant même des femmes. » trice à portée de main… si l’on peut dire. Le parfois jusqu’à supprimer les points de sus- travail de correction s’accomplissait à deux ; pension, abondants dans ses œuvres. On La jalousie féminine se manifestait sourde- l’auteur faisait dactylographier ses textes, les conçoit la fureur bien compréhensible de l’au- ment entre Marie et Lucette, troisième femme retravaillait, Marie corrigeait après une lecture teur. Il convient de préciser que les exigences de Céline, que seize années séparaient. Les à haute voix en commun. Mais pendant la pé- tatillonnes de Céline ne s’appliquaient qu’au relations entre les deux femmes furent, en ef- riode d’exil, qui dura sept ans (de mars 1944 strict respect du texte. Il était moins qualifié fet, plus que glaciales. Les impatiences dont à juillet 1951), les relations (épistolaires cette pour juger de l’orthographe. La lecture de sa s’accuse Céline tenaient surtout aux absences fois) ne vont pas cesser et même s’intensifier. correspondance témoigne que ce n’était pas de sa correctrice. Marie se rendit quelquefois Marie n’est plus seulement correctrice attitrée, là son point fort. en vacances dans les Grisons en compa- mais aussi intermédiaire. Elle effectue pour le gnie de ses sœurs. Ses sœurs, c’est-à-dire Rivalités compte de son « patron », en vacances for- Renée avec qui elle vivait, astrophysicienne à cées, de nombreuses démarches tant admi- féminines l’observatoire de Port-Royal, et Jeanne, écri- nistratives que judiciaires. Celui-ci demande La collaboration entre l’écrivain et sa correc- vaine et peintre. Trois sœurs donc, comme les à Marie de lui faire parvenir diverses revues trice, entamée dès 1933, se poursuivra sans sœurs Brontë. Ce qui, transposé dans la ver- françaises, d’aller lui chercher des docu- interruption jusqu’à la mort de Céline, le 1er sion célinienne, se traduit par : « Les trois sis- ments à la Bibliothèque nationale, de prendre juillet 1961, soit durant vingt-huit ans. « La ters Cava, Brontë comme jamais, sont allées contact avec ses éditeurs, ses avocats, etc. très prude, toute mignonne, très effacée Marie chercher des bites en Engadine. » Canavaggia, aux immenses et divers savoirs Sa rigueur quant à la qualité du travail n’a universitaires », comme la décrit Jean-Mau- Ce que l’auteur de Guignol’s band semblait pas faibli, au contraire. Il fait sans cesse de rice Bizière ; « Mon excellente amie et colla- oublier est que sa secrétaire-correctrice n’était nouvelles corrections, assaillant Marie de ses boratrice », selon Céline… les éloges flatteurs pas une employée à temps complet et à son exigences. « Il me faut du consciencieux, de n’étaient pas épargnés, on le voit, à Marie. N’y service exclusif. Elle n’avait jamais renoncé à l’appliqué. (…) Il faut corriger jusqu’au dernier avait-il vraiment qu’une amitié, en tout bien son activité de traductrice. D’où les récrimi- carat ; sauvagement. » La ponctuation joue tout honneur, entre eux deux ? Marie aurait nations de Céline : « Marie n’est pas comme dans l’œuvre de Céline un rôle prépondérant. bien voulu parfois qu’il en fût autrement, sug- moi, figé et dolmen ; elle est comme les gens « La moindre virgule me passionne », écrit-il. gère J.-M. Bizière. Mais laissons la parole à d’à présent, pour un rien elle fout le camp et l’intéressé lui-même : « La pauvre Marie est on ne la revoit plus, tous les prétextes ! »

les autres sections à se pencher sérieusement avance sur les fonds de fonctionnement, tant étude demandée à M. Bigori (ancien direc- sur le problème. Les principaux responsables que le placement des sommes souscrites teur d’assurances devenu directeur technique du Comité inter, de ses syndicats et des sec- ne générait pas en suffisance les moyens de de la caisse de retraite des cadres) selon tions techniques du SGL s’attelèrent donc à couvrir les premiers départs. laquelle, afin d’assurer un fonctionnement ra- une tâche jalonnée d’obstacles à surmonter. Ayant acquis cette conviction, ils s’adres- pide, la cotisation devrait être fixée à 9 % du À leur inexpérience en la matière s’ajoutait un sèrent, en une deuxième phase, à un orga- salaire plafond de la Sécurité sociale et pour- travail fastidieux de recensement et d’étude nisme de regroupement des caisses, l’Asso- rait être assurée, pour un tiers, à la charge démographique (pyramide des âges), auquel ciation générale de retraite par répartition des salariés et, pour deux tiers, à celle des se livra principalement Armand Prudhomme. (AGRR). Un projet de convention était établi et employeurs. Le montant de la retraite com- plète à soixante-cinq ans (soixante ans en L’annonce du projet attira, en un premier sur le point d’aboutir, lorsque des précisions cas d’invalidité), au terme de trente années de temps, la convoitise des banques et des et des assurances sur le long terme furent de- service dans la presse, serait très proche de compagnies d’assurances. Leurs représen- mandées qui ne donnèrent pas satisfaction. 50 % du dernier salaire ; le cas échéant d’un tants n’étaient pas avares en propositions Dès lors, l’idée de la création d’une caisse de décès, la moitié de cette pension reviendrait à plus alléchantes les unes que les autres, sans retraite indépendante progressa chez les syn- la veuve ; les points attribués à chaque retraité cependant parvenir à séduire leurs interlocu- dicalistes, en dépit d’une préférence patro- seraient revalorisés annuellement. Un régime teurs qui, bien que novices, comprirent vite nale en faveur d’un rattachement à une caisse de prévoyance s’ajoutait à ces prestations. Il l’unique but des financiers de faire, à terme, centralisatrice existante : « Pourquoi ne pas concernait une participation aux frais d’ob- main-basse sur les mises. Mais ces consulta- chercher une solution en toute autonomie ? sèques, un capital décès, une indemnité jour- tions initiales eurent l’avantage, d’une part, de Ce que les rotativistes ont entrepris seuls, se- nalière en cas de maladie de longue durée, familiariser les responsables syndicaux avec rions-nous incapables de le réaliser ensemble d’accident ou d’invalidité. Des négociations des sujets jamais abordés, et, d’autre part, de et par nos propres moyens ? » paritaires, longues et difficiles, s’engagèrent les convaincre d’éviter, autant qu’il était pos- Le 2 février 1952, le Conseil central du SGL dans cette voie. Le 23 octobre 1951, un pro- sible, le régime de retraite par capitalisation se prononçait en faveur d’un « système de tocole d’accord était signé aux termes duquel qui obligerait à passer par l’un des prédateurs répartition intégrale » et pour une adhésion les employeurs acceptaient l’aboutissement précédemment consultés, afin d’obtenir une obligatoire. Cette décision reposait sur une du projet. 010 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN

En tout bien Voyage au bout des ennuis tout honneur À son retour en France, juillet 1951, il séjourne Les éminentes qualités que l’écrivain attribue quelques mois à Menton dans sa belle-famille à sa collaboratrice ne vont pas toujours sans avec laquelle il ne s’entendra pas du tout. Fer- quelques réticences. Dans une lettre à l’écri- dinand et Lucette vont alors s’installer défi- vain Roger Nimier, il prévenait : « Vous me par- nitivement à Meudon (-et-Oise, actuel- lez de Canavaggia, je la pratique depuis vingt- lement Hauts-de-Seine)… sans oublier leur cinq ans !... Attention !... Je la connais dans chat Bébert, qui les accompagna partout du- tous les coins, en tout bien tout honneur ! La rant toutes les années d’exil. Lucette ouvre un gazelle est très dangereuse et pas du tout la cours de danse au premier étage, Ferdinand scrupuleuse vieille fille qu’elle a l’air ! » C’est s’installe au rez-de-chaussée. Marie Cana- assez dans la manière du versatile Céline de vaggia reprend alors régulièrement sa tâche distribuer compliments et blâmes aux mêmes de correctrice. Elle était devenue, depuis personnes selon l’humeur du moment. longtemps, par la qualité et la rigueur de son D’autres que Marie en savent quelque chose. travail, la « secrétaire de confiance » de l’écri- Les années d’exil l’avaient rendu atrabilaire vain réprouvé, mais enfin réhabilité. C’est elle et misanthrope. Ainsi écrit-il à Marie (30 mai qui assura la mise au point définitive de tous 1947) : « Je ne vis plus que pour emmerder les textes, à l’exception du Pont de Londres et ceux qui m’ont emmerdé. » C’est là, à un de Rigodon, œuvres posthumes. siècle d’écart, du pur Flaubert : « Sacré nom Marie Canavaggia décédera accidentellement de Dieu ! il faut se raidir pour emmerder l’hu- quinze ans après Céline, renversée par un manité qui nous emmerde… » Amnistié en camion, à l’âge de huitante ans. avril 1951, Céline regagne la France. Il doit sa libération à un habile tout de passe-passe Avoir été correctrice de confiance exclusive de son défenseur, Me Tixier-Vignancour. Au du plus grand prosateur de langue française cours du procès, ce dernier n’a jamais fait du XXe siècle, c’est bien là une référence dont allusion à l’écrivain et au « collaborateur » voudraient se prévaloir toutes nos Mères Vir- Dessin de Jacques Tardi Céline, mais à Louis-Ferdinand Destouches, gule. ancien combattant de 14-18, médaillé mili- taire et invalide de guerre. C’est donc plus le ANDRÉ PANCHAUD docteur Destouches que Céline le maudit qui a été amnistié.

Naissance de la Gutenberg 350 ouvriers des journaux avaient pris leur industries graphiques ». Afin de faciliter les Dès le 1er janvier 1952, alors que les discus- retraite dans les conditions fixées, dont les 72 constitutions des dossiers de carrière, car le sions se poursuivaient encore sur le choix du rotativistes qui s’y trouvaient déjà à la charge labeur était généralement la principale source système, les organisations ouvrières deman- de leur section. Tout fonctionnait déjà lorsque, de recrutement de la presse – notamment dèrent le prélèvement sur les salaires de la le 31 mars 1953, l’agrément ministériel fut si- à Paris où l’embauche était syndicalement contrôlée – une coordination fut organisée participation financière « afin que le principe gné. entre les deux caisses. Son fonctionnement de la retraite soit définitivement consacré, Lors d’un Conseil central du SGL (22 sep- fut facilité lorsqu’elles adhérèrent à l’Asso- même en l’absence d’un régime définitif ». tembre 1951) alors que les négociations ciation des régimes de retraites complémen- C’était l’acte de naissance de la caisse Gu- étaient encore loin d’aboutir dans la presse, taires (ARRCO), à laquelle, malgré un souci tenberg, bien qu’il restât des difficultés à sur- Armand Prudhomme évoquait la mise en d’indépendance qui avait porté ses fruits, la monter qui furent d’ailleurs ponctuées d’un place d’un système de retraite similaire Gutenberg dut se joindre en 1972, du fait de mouvement intercatégoriel le 1er avril de la regroupant les imprimeries du labeur de la l’augmentation considérable du nombre de même année, afin de hâter l’aboutissement région parisienne, dont le projet sera mis en prestations à dispenser. d’un accord paritaire à la fin du mois. chantier au début de l’année suivante. Plus récemment encore (2003), les ouvriers, Le but était enfin atteint, le 2 mars, avec le Les premières conversations s’étaient orien- les cadres et les journalistes de presse écrite dépôt officiel d’une convention collective, de tées vers la création d’une caisse de retraite se rapprochèrent des salariés de l’audiovi- statuts et d’un règlement intérieur, rédigés par unique pour l’ensemble de la profession. Mais suel et du spectacle pour former le groupe M. Potémon, actuaire désigné par hasard, de trop importantes disparités entre les deux Audiens. mais qui se trouvait être celui qui avait cou- secteurs d’activité firent abandonner cette vert la création de la caisse de capitalisation ambition pour la limiter, en un premier temps, ROGER DÉDAME du Petit Parisien. Un conseil d’administration aux seules imprimeries de labeur de la région provisoire et son bureau géraient le fonction- parisienne, le 18 août 1953, avant de l’étendre nement de l’institution (installée rue Gabriel- au plan national, deux ans plus tard, sous la Laumain) à laquelle les employés furent asso- dénomination de « Caisse de retraite et de ciés à dater du 1er octobre. À la fin de l’année, prévoyance de l’imprimerie de labeur et des INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 011 1936 DANS LE LIVRE PARISIEN

Dans la mémoire militante, dans celle de tous les progressistes, le Front Populaire demeure un moment phare de l’émancipation individuelle et collective. Quatre-vingts ans après, l’expérience transformatrice du Front populaire n’en finit pas de nous interroger. En cette période anniversaire, rappelons-nous cette période 1936 dans le Livre.

Sortie des rotativistes à l'Humanité, dans la nuit, des résultats du premier tour des élections législatives : Paul Vaillant-Couturier, le rédacteur en chef, au milieu de l'équipe de l'imprimerie, vient d'être élu du Front populaire.

Alors que la réunification de la CGT était sur le aux élections législatives (avril-mai 1936). sation des conventions collectives engageant point d’aboutir, le 14 juillet 1935 revêtit pour le C’était l’acte de naissance du Front populaire. les employeurs et les salariés. Des milliers de mouvement ouvrier une importance politique Forte de ce nouveau succès – obtenu, il celles-ci se concrétiseront dans les semaines comparable à celle que le 12 février 1934 avait convient de le souligner, avec le soutien et les mois qui suivent pour atteindre le nombre de 7 000 engagements contractuels eue au plan syndical. d’autres couches de la population également en 1938. Le matin, un meeting était organisé au stade sensibles à la démocratie, à la paix, ainsi Buffalo (Montrouge), à l’appel du comité Ams- qu’aux actions engagées contre le chômage La pression ouvrière persistera quelques jours terdam-Pleyel regroupant, à l’initiative de et la dégradation des conditions de vie ou de encore après la réunion de Matignon pour en Joliot Curie et d’Henri Barbusse, des intellec- travail – la classe ouvrière se mobilise. Le 11 améliorer les accords, entreprise par entre- tuels, des représentants syndicaux, ainsi que mai, les premiers mouvements de grève se prise. des responsables des partis de gauche. déclenchent. Un mois plus tard, deux millions Le 20 juin, le Parlement vote la loi des congés Des dizaines d’organisations – partis poli- d’ouvriers ont cessé le travail. Les usines payés ; le lendemain, c’est au tour de la se- tiques, syndicats, associations et groupe de sont occupées. Le 7 juin, le gouvernement maine de 40 heures d’être légalisée. Cette gauche d’intérêt général – s’étaient joints à dirigé par L éon Blum organise, à la demande dernière mesure permettra, l’année suivante, cette assemblée au cours de laquelle fut pro- d’organisations patronales, une rencontre de faire disparaître le chômage partiel et à 10 posé et adopté, en présence de dix mille par- paritaire à Matignon. Le soir, vers minuit, un 000 chômeurs de retrouver du travail. ticipants, un programme de Front populaire accord est signé par la Confédération géné- Indéniablement l’unité syndicale retrouvée pour « le pain, la paix et la liberté ». rale du travail, la Confédération générale du avait permis d’obtenir ces victoires sans pré- cédent ! Le rassemblement matinal fut ponctué, patronat français et le président du Conseil. l’après-midi, par une immense manifestation Il prévoit des augmentations de 15 % pour Les ouvriers du Livre parisien à la Bastille où les principaux responsables les plus bas salaires et de 7 % pour les plus et le Front populaire des partis socialiste, radical et communiste élevés ; la reconnaissance des libertés syn- Comme à son habitude et sous le fallacieux firent le serment de se rassembler sur ce pro- dicales et le droit de la représentation des prétexte de neutralité politique, le secrétaire gramme. Le pacte politique fut couronné par travailleurs dans les entreprises par l’intermé- général de la FFTL, Claude Liochon, considé- une large victoire de ces formations politiques diaire des délégués d’atelier élus ; la générali- rait le Front populaire telle « une simple forma- 012 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN tion électorale » et se bornait à enregistrer les acquis sociaux allant même, pour se dédoua- ner, jusqu’à juger la grève dans les imprime- ries « communicative, particulièrement de la part des travailleurs non syndiqués ». En revanche, le bulletin du mois de mai 1936, du Livre-Papier unitaire (les papetiers ne s’organiseront spécifiquement que l’année suivante) clamait « sa joie immense devant le magnifique succès remporté par le Front populaire » et soulignait que « le mouvement syndical ne peut ni feindre d’ignorer ni négli- ger l’événement historique sous prétexte d’in- dépendance syndicale »… Les grèves du mois de juin 1936 furent suivies par toutes les sections parisiennes sous la di- rection du Comité intersyndical. Les résultats s’avérèrent au niveau de la combativité. Dans le labeur, les salaires inférieurs au tarif syndi- cal se trouvaient augmentés de 15 % et ce pourcentage était souvent dépassé pour les Grève aux messageries Hachette catégories les plus défavorisées. Les salariés non concernés par la précédente revalorisa- rée à la fin de l’année 1937 (la dernière était Voter à gauche ne suffit pas tion, obtenaient un supplément horaire de 50 en vigueur depuis 1935), pour s’appliquer le pour museler le capitalisme er centimes. 1 février 1938. Complétée d’annexes tech- Au mois de mars 1937, le gouvernement di- Dans la presse, la valeur du service était ma- niques catégorielles dans la presse, elle fixait rigé par Léon Blum, décide d’instaurer une jorée de 4 francs, avec application de l’échelle des conditions régionales de travail et de ré- « pause sociale, afin de permettre à l’écono- mobile quand des indices varieraient de 25 munération, généralisait l’échelle mobile des mie privée de se remettre des réformes so- points minimum. salaires (avec remise à niveau indiciaire tous ciales ». Cette décision stoppe, en fait, l’achè- les trimestres), substituait une caisse géné- De surcroît, de nouvelles conventions étaient vement des promesses électorales du Front rale de retraite à celles qui avaient été aupara- mises en chantier qui aboutirent à d’appré- populaire et encourage le patronat à résister vant instituées dans certaines imprimeries de ciables améliorations en faveur des ouvriers aux doléances ouvrières, voire à revenir sur la presse, afin d’assurer la fidélité des ouvriers du Livre de chaque secteur d’activité. parole donnée dans les accords contractuels. qualifiés qui perdaient leurs droits en cas de Celle du labeur fut signée le 17 septembre La dévaluation du franc (57 % entre 1936 et départ. 1936, pour une application au 1er janvier 1937 1938) et les hausses de prix amputent les Fait important (dont nous retrouverons une à la fin de l’année suivante. Au-delà des dis- acquis salariaux. Un freinage organisé de la positions légales (congés payés, 40 heures, application élargie lors de la libération de production et des investissements réactive le libertés syndicales…), elle prévoyait les majo- Paris) : les employeurs admettaient le recours chômage. Les employeurs avancent tous les rations des heures supplémentaires à 33 %, aux bureaux de placement syndicaux. prétextes pour ne pas respecter leurs enga- 50 % et 100 % selon leur nombre journalier ou Ces accords contractuels s’étaient cepen- gements conventionnels. Ils répondent par le hebdomadaire ainsi que pour le travail excep- dant heurtés au refus patronal d’instaurer un lock-out aux débrayages qui se déclenchent tionnel du samedi, du dimanche et des jours tarif minimal pour l’ensemble des imprimeries ou qu’ils provoquent volontairement par- fériés. Une limitation du nombre des apprentis françaises. De ce fait, les salaires des ouvriers fois. Ils licencient les grévistes soupçonnés à 1 pour 5 ouvriers était également fixée… du Livre provinciaux demeuraient très en deçà d’être les meneurs et donc les délégués. Ils La convention de la presse fut agréée le 2 de ceux pratiqués dans la région parisienne. exportent leurs capitaux à l’étranger. En résu- août 1937, jusqu’à une date limite de vali- Alors que le SGL en appelait à l’action de mé, ils organisent le marasme économique, dité fixée, elle aussi, au 31 décembre 1938. tous les ouvriers du Livre – non seulement afin d’en faire peser la responsabilité sur les Ses dispositions les plus notables réglemen- pour améliorer le sort des régionaux, mais avancées sociales qui, selon eux – intense taient : les effectifs des équipes en fonction aussi pour mettre un terme au chantage des campagne médiatique à l’appui –, ruinent du travail à effectuer ; la durée des services éditeurs qui prenaient prétexte de cette situa- l’économie du pays. (6 heures en 6 jours ou 7 heures en 5 jours) ; tion pour délocaliser leurs productions vers la Afin de prévenir les risques d’une nouvelle les majorations pour heures supplémentaires province –, Claude Liochon s’en remettait à la flambée de grèves, le gouvernement instaure, déjà mentionnées ; une gratification du travail conciliation et à la « bonne volonté patronale » au mois de mars 1938, comme pour fêter de nuit (à négocier régionalement) ; l’octroi, dans le but d’améliorer la convention natio- l’anniversaire de la pause sociale, un arbitrage à terme, d’une troisième semaine de congés nale en ce sens. obligatoire et préalable à tout durcissement payés ; l’officialisation de la non parution des Mais, pour les employeurs, l’heure n’était plus de conflit, notamment sur les augmentations journaux le 1er Mai. aux courtoisies paritaires. Il leur fallait à tout salariales. Les médiations, confiées à des ar- Une convention globale de l’industrie du Livre prix reprendre ce qu’ils avaient été contraints bitres désignés sous le contrôle du ministère de Paris et de sa banlieue fut enfin instau- de concéder. du Travail, exigent des délais de conciliation INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 013 et de rédaction des rapports, mis à profit par il se cantonnera dans le rôle d’auditeur sans Toujours est-il que les patrons pouvaient dé- les patrons pour gagner du temps. pouvoir prendre de décision. sormais fonder leur stratégie sur trois fronts : Cette aide, dans leur reconquête du terrain Il lui est proposé, à sa surprise, d’appli- le Comité intersyndical sortait quelque peu perdu depuis 1936, est encore accrue, au quer l’augmentation indiciaire du 1er mai, à ébranlé de ce qui n’avait peut-être été qu’une mois de mai 1938, par une loi prévoyant que, condition de revoir le problème par la suite. habile manœuvre de division de leur part ; les en cas de désaccords persistants malgré la Confronté à cette proposition inattendue, le délais d’application de leurs engagements médiation arbitrale, un surarbitre sera nommé bureau syndical du SGL décide de suspendre conventionnels, concédés sous la contrainte des grèves de 1936, arrivaient à expiration à la qui aura autorité pour s’opposer aux reven- la grève en l’attente du retour, deux jours plus fin de l’année ; enfin ils ne manqueraient pas dications salariales et aux réajustements indi- tard, des autres responsables intersyndicaux. ciaires automatiques, les revoir à la baisse ou d’exploiter, sans aucune retenue et avec l’aide Le 3 mai, la réunion du Comité au complet du pouvoir politique, l’aggravation de la situa- les abolir « en fonction des conditions écono- qui succède est houleuse. Les typos croient, miques » du secteur industriel concerné. tion internationale qui allait bientôt entraîner en effet, malgré les explications de Poëncin, le monde dans le plus odieux carnage de tous C’était donner la part belle aux employeurs avoir été placés devant le fait accompli. Ils les temps… en général et, plus particulièrement, en ce qui acceptent néanmoins un délai de réflexion nous concerne, à ceux des imprimeries de la pour statuer sur la proposition des patrons. Les honteuses tentations région parisienne. Ceux-ci en profitent pour surseoir à l’appli- de la bourgeoisie française L’arbitrage, lance-torpille cation des indices, tant que l’Inter n’aura pas « Hitler viendra mettre de l’ordre en France. contre l’échelle mobile pris de décision. […] Cela ne fera pas de mal à certains !.. » Le conflit paraît devoir rebondir. Mais leur Attribuée au dirigeant d’une grande imprime- Alors que l’augmentation galopante du coût rie de la région parisienne, Georges Lang, qui de la vie se répercutait sur le calcul des in- décision faisant force de loi, les deux arbitres parviennent cependant à convaincre les em- l’aurait proférée dès 1937, cette ignominie tra- dices et donc sur les remises à niveau auto- duisait la volonté, partagée par de nombreux ployeurs de s’exécuter, sous réserve d’un matiques des salaires, le patronat du Livre pa- patrons et leurs amis politiques, d’utiliser les engagement paritaire de renégocier les mo- risien rechignait de plus en plus à l’application pires moyens pour en finir avec le Front po- dalités conventionnelles d’application des va- de l’échelle mobile, la rendant responsable pulaire et juguler toute résistance ouvrière à du départ en province des travaux exécutés leur offensive de reconquête antisociale. Elle jusqu’alors dans les imprimeries de la capi- annonçait les défections du pouvoir politique tale. dans la défense de la paix, ses responsabili- Le 30 avril 1938, l’Union patronale parisienne tés dans la future défaite de 1940 et, finale- déclenche ouvertement l’offensive. Elle décide ment, la collaboration d’une large fraction de de s’opposer à la répercussion sur les salaires la bourgeoisie avec l’occupant nazi. des variations indiciaires du mois d’avril (10 % Ainsi, le 13 novembre 1938, sous prétexte de er d’augmentation applicables au 1 mai) et de « remettre la France au travail », le pouvoir im- celle prévue au mois d’août, selon le rythme Le Front Populaire de France poursuit ses ... en donnant aux ouvriers la possibilité de posait trente-deux décrets-lois dont les prin- ravages et vient, entre autres méfaits, de partir vers la mer ou la montagne à des tarifs trimestriel de révision inscrit dans la conven- provoquer la fermeture de certaines usines... inconnus jusqu'à ce jour. cipaux prévoyaient : une durée du travail des tion. Ainsi s’amorce un premier conflit. fonctionnaires à quarante-cinq heures sans L’intersyndicale refuse l’arbitrage de M. Amiot, riations indiciaires et suggèrent de ne plus les majoration de salaire (celle-ci étant réduite à 5 médiateur patronal désigné en application de appliquer automatiquement à partir de 10 % % de la quarante-cinquième à la soixantième la loi : « Il n’a pas à arbitrer notre convention, d’augmentation, mais seulement au-delà. heure) ; la possibilité, pour les employeurs du privé de fixer le travail hebdomadaire à qua- mais à l’appliquer. » Cet épisode laisse quelques interrogations rante-huit heures sur six jours, assortie d’un Placé devant cette opposition, le ministère du sans réponse. Pourquoi avoir choisi de débu- encouragement à faire effectuer des heures Travail désigne un second arbitre, le secrétaire ter la grève le 30 avril, alors que l’assurance supplémentaires malgré le chômage grandis- de la FFTL Claude Liochon, trop heureux de conventionnelle était donnée d’un 1er mai sant (nous sommes toujours en 1938 et non prendre ainsi un ascendant sur les organisa- chômé ? La différer jusqu’au retour des princi- en 2010 !) ; des sanctions à l’encontre des tions parisiennes. Le Comité inter prévient paux dirigeants de la CSTP (notamment celui salariés qui s’y refuseraient, allant jusqu’aux son responsable fédéral qu’il n’acceptera ni le de Largentier) dont l’absence était program- licenciements si ces heures étaient ordonnées report de l’augmentation du 1er août, ni son mée, pouvait-il en contrarier l’organisation dans l’intérêt de la défense nationale… Quelle paiement en deux paliers, autre hypothèse ou, le cas échéant, empêcher l’application aubaine pour les patrons ! évoquée par les patrons, qui répliquent en rétroactive d’un accord ? Se rendant seul au confirmant leur refus de la revalorisation du rendez-vous patronal, Poëncin – un militant Le patronat parisien du Livre 1er mai. on ne peut plus expérimenté – ne pressen- s’engouffre dans la brèche Un avis de grève dans les journaux est lancé tait-il pas le malaise qui s’ensuivrait au sein Dès la fin du mois d’octobre 1938, après avoir pour le 30 avril. Malgré l’absence des repré- de l’intersyndicale? N’offrait-il pas ainsi aux suspendu les négociations conventionnelles sentants de la CSTP partis en province à employeurs – du fait de ce foisonnement de six mois plus tôt et sans attendre la promul- l’occasion des meetings du lendemain, Émile circonstances pour le moins malencontreuses gation officielle des décrets-lois – ce qui peut Poëncin, secrétaire du SGL et de l’Inter (avec –, l’occasion de planter un coin dans l’unité laisser à penser que ceux-ci ne sortaient Largentier), se rend seul à l’invitation de ren- du Comité intersyndical ? Qui d’autre aurait pas d’un chapeau, mais étaient à l’étude de contrer les patrons, mais il leur annonce que, contribué à cet embrouillamini ?.. À chacun sa longue date, – les employeurs parisiens pré- sans la présence de son alter ego des typos, réflexion. sentaient un nouveau projet de convention 014 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN collective, la précédente arrivant à expiration écopaient de huit jours de mise à pied. Plus travail situant le minimum de majoration des à la fin de l’année. Les revendications sala- de 10 000 ouvriers furent licenciés dans les heures supplémentaires à 25 % ; annualisent riales seraient systématiquement soumises à entreprises privées avant d’être réembauchés la durée du temps de travail ; fixent à 10 % un arbitrage préalable ; la majoration des deux individuellement… sans les « meneurs », délé- la majoration des 250 premières heures dans premières heures supplémentaires se trouve- gués en tête. Plus de 1 700 salariés se trou- les entreprises de 500 ouvriers et entre 5 % raient réduite de 10 % ; les heures chômées vèrent soumis à des poursuites judiciaires, et 10 % dans les établissements de moindre pour cas de force majeure ou de jour férié dont environ 800 emprisonnés, parfois pour importance, la gratification à 15 % au-delà de devraient être récupérées sans majoration de plus de deux mois. La grève redevenait un ces 250 heures !.. salaire ; les bureaux de placement syndicaux délit. Cette décision gouvernementale entraîne la étaient récusés ; les initiateurs de collecte ou Rien que dans les imprimeries parisiennes, 54 reprise des pourparlers sur les conventions de propagande politique sur les lieux du tra- ouvriers du Livre étaient menacés de licencie- collectives de la presse parisienne. Les majo- vail s’exposaient au congédiement ; enfin, ce ment au titre de rupture du contrat de travail. rations des heures supplémentaires sont re- qui autodétruisait d’ailleurs et a priori le pro- Parmi eux figuraient les grévistes du réaction- vues à la baisse, mais au-dessus du barème jet contractuel lui-même, toute décision des naire Petit Journal, le seul quotidien du matin général : la première heure supplémentaire pouvoirs publics en matière sociale et éco- de diffusion nationale qui réussit à être mis en est majorée de 10 %, la deuxième à 15 %, la nomique se substituerait immédiatement aux vente le 30 novembre, grâce à des non-syn- troisième à 25 %, la quatrième de 33 % et la règles existantes. diqués ou à des ouvriers inscrits dans de pré- cinquième de 50 %. Les syndicats parisiens refusent de discuter tendus syndicats à la solde du patronat. Les La demande patronale de ramener les congés une telle proposition. Ils annoncent un mou- dossiers des travailleurs sanctionnés furent payés de 21 jours à 15 jours est examinée par vement de grève sans en fixer la date, mais soumis à l’arbitrage par le Comité intersyndi- le Comité inter sous condition que les autres le préparent comme s’il devait se déclencher cal et renvoyés au sur-arbitrage qui confirma points en litige soient favorablement réglés le lendemain ; « Au jour choisi par la Comité les sentences. lors des futures négociations. intersyndicale du Livre, la grève sera effective Il ne restait plus au SGLP et à l’Inter qu’à Les salaires sont augmentés le 1er février en dans toutes les maisons, sans exception, de appeler à la solidarité active en leur faveur, fonction de la variation des indices, désor- la typographie, lithographie, papeterie, bro- par le biais d’une cotisation exceptionnelle et mais calculés sur ceux de 1930, alors qu’ils chure, reliure ». d’une souscription, en attendant leur réem- l’étaient, jusque-là, sur la base de 1914. L’opportunité est offerte de tirer un coup de bauchage qui, pour la plupart des licenciés, L’arrogance patronale n’a plus de borne. Les semonce, le 30 novembre 1938, date à la- deviendra effectif avant la fin de l’année. variations indiciaires ayant atteint 8 % (688 quelle – d’ailleurs sur proposition du SGL et Le rapport moral du Conseil central du SGL, à 744 points), un réajustement salarial est de la CSTP au congrès confédéral qui s’était en préparation des assemblées générales revendiqué pour le labeur par le Comité inter- tenu du 14 au 17 novembre – la CGT décidait catégorielles du mois d’avril 1939, tirait les syndical, au mois de juin 1939. d’appeler à une grève de 24 heures contre les leçons de cette funeste situation : « L’attaque Forts de l’absence de convention collective décrets-lois. des patrons a été puissamment aidée par le depuis le 1er janvier, les patrons écartent non Officiellement annoncé le 22 novembre, ce gouvernement. Elle a été facilitée par la trop seulement la revendication, mais demandent, qui révélait une certaine hésitation, le mouve- grande confiance des travailleurs dans leur par pure provocation, une baisse des salaires ment fut préparé à la hâte et mal répercuté. bulletin de vote précédent et les illusions que de 10 % ! Le Comité inter porte l’affaire de- De surcroît, le gouvernement avait ordonné un le gouvernement continuerait de les aider. La vant la Commission départementale de conci- déploiement dissuasif des forces de l’ordre, riposte ouvrière aux décrets-lois n’a pas été liation, en application de la loi du 4 mars 1938. comparable à celui qu’il aurait mobilisé contre au niveau de ce qu’elle aurait dû être parce Les deux arbitres, Amiot pour les patrons un mouvement insurrectionnel. Il en résulta que le syndicalisme de masse dû à un cou- et Liochon pour la partie ouvrière, ne par- que la riposte ne se hissa pas au niveau du rant d’adhésions sans précédent (qui régres- viennent pas à s’entendre… et pour cause ! déchaînement antisocial décrété quinze jours sait proportionnellement aux désillusions) M. Denoist, vice-président du tribunal de pre- plus tôt. Néanmoins, en dépit d’une faible a moins bien résisté à l’offensive que celui mière instance, est désigné en sur-arbitrage. Il participation au plan national et de Claude d’avant 1936, au nombre d’adhérents infini- s’appuie sur l’absence de convention collec- Liochon qui, au nom de la Fédération du Livre, ment moins élevé, mais plus chevronnés et tive pour refuser l’augmentation des salaires avait attiré « l’attention sur le danger qu’il y combatifs. » considérant qu’il convient de ne pas aggraver aurait à s’engager dans une affaire politique », la situation de l’industrie du Livre parisien, du Quant à la Fédération du Livre, Claude Lio- les ouvriers du Livre de la région parisienne fait de l’alourdissement des charges et de la chon traduisait sa résignation : « La grève suivirent la grève à 100 % dans la presse et à concurrence de la province… Mais le pire est est et demeure licite. Seulement, comme au 80.% dans le labeur. à venir… (avec la guerre – NDLR) temps passé, le syndiqué en lutte ne doit pas L’attaque du patronat puissamment oublier que dans l’action il risque de perdre ROGER DÉDAME aidée par le patronat son emploi… » EXTRAIT DU SYNDICAT DU LIVRE CGT Le pouvoir et le patronat avaient la place Lois, décrets-lois, arbitrage, sur-arbitrage ar- LES INDES SAVANTES 2012 pour déclencher une répression antisyndicale rachent un à un les avantages obtenus par les rarement égalée, afin, selon le président du ouvriers. Au redressement économique suc- Conseil, « de punir les grévistes assez sévère- cèdent les « nécessités de la défense natio- ment pour leur enlever toute envie de recom- nale » pour servir de prétexte à de nouveaux mencer ». Le gouvernement donna l’exemple. décrets qui, au printemps 1939, annulent une Les fonctionnaires ayant participé à la grève clause de la Convention internationale du INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 015

familiales. Aux environs de 1925 ses parents se la forteresse de Luxembourg, où il sera incarcé- portrait sont installés à Saint-Cloud pour y trouver du ré. Après un interrogatoire brutal par la Gestapo, travail. Marc Henry, fils unique, y a passé son il est envoyé au camp disciplinaire de Trèves, de militant certificat d’études primaires. Reçu premier du d’où il s’évadera à nouveau. Repris, il sera cette département, il va bénéficier d’une bourse qui fois-ci envoyé au camp de représailles de Rawa lui permettra d’entrer, comme interne, au lycée Ruska où, après neuf jours de voyage dans des MARC Hoche à Versailles où il passera le bac après wagons à bestiaux, il devait arriver le 15 janvier avoir sauté la 5e et la 3e . Inscrit en faculté, il sui- 1943. Le régime très dur de ce camp, décrit HENRY vra des enseignements de lettres et de philoso- par Winston Churchill comme celui de la goutte phie, assidu aux cours de Georges Politzer, et en d’eau et de la mort lente, était, pour les soldats parallèle passera la licence de droit puis le CAPA. soviétiques, un camp d’extermination. À vingt ans, en 1934, il prêtait serment d’avocat. L’esprit de résistance des sous-officiers s’expri- Sa vie professionnelle va débuter comme sta- mait, au nom des conventions de Genève, par le giaire dans le cabinet de Georges Pitard, qui sera refus de travailler pour l’Allemagne, attitude qui fusillé le 20 septembre 1941 au mont Valérien. Le sera sanctionnée par un transfert à Kobierzyn même jour était également fusillé le meilleur ami en Pologne, camp de représailles pour sous- de Marc Henry, Michel Rolnikas, lui aussi avo- officiers réfractaires. Marc Henry sera affecté cat et communiste. Convaincu dès ses années au bloc 3.1, où il mènera avec Albert Tanneur, d’étudiant par le marxisme dans sa tendance l’homme de confiance élu par ses camarades, trotskiste, il pensait, de manière utopique, pou- avec Jean Puiggali et d’autres, une lutte idéolo- voir travailler un jour pour la Société des nations, gique de résistance au nazisme. apprenant pour cela l’esperanto. Lors de l’avancée de troupes soviétiques en Dès 1936, il était cependant appelé à faire son Ukraine et en Pologne, Marc Henry sera évacué, service militaire comme fantassin. La menace de en août 1944, au camp de Markt Pongau dans Marc Henry, fut longtemps l’avocat des tra- guerre devait le conduire à poursuivre par l’école le Sud autrichien. De là, il sera désigné par le vailleurs du Livre parisien et de leurs syndi- des sous-officiers dont il sortira sergent. Il était groupe de résistance interne au camp, qui orga- cats. Nous le considérons comme un de nos mobilisé le 27 août 1939 au 158e régiment d’in- nisera son évasion le 12 mars 1945, pour prendre militants. fanterie de Strasbourg. Son bataillon sera déci- contact avec la résistance autrichienne et établi- Marc Henry est né le 13 janvier 1914 à Bordeaux mé à Assevent, près de Maubeuge, puis ce qu’il ra le contact le 25 mars au-dessus de Salzbourg. dans une famille de condition modeste originaire en restera, engagé dans la défense de Bavay, Revenu dans le camp après cette mission, il est de la moyenne Dordogne, protestante et répu- où il sera fait prisonnier par une colonne blindée renvoyé à l’extérieur pour y chercher des armes. blicaine. Il disait avoir perdu toute foi religieuse allemande le 27 mai 1940. Il s’acquittera de cette mission dans les Alpes vers ses seize ans mais il restera profondément Évadé en 1942, il sera repris après quatorze jours autrichiennes où la SS était omniprésente, puis marqué par la rigueur des convictions morales de marche à pied près de Longwy et emmené à recevra l’ordre de regagner la France avec les

les événements du monde, de proclamer son innocence. SOLIDARITÉ Aujourd’hui gravement malade, il souffre d’une hépatite C. Mais la justice de Pennsyl- INTERNATIONALE vanie a la rancune tenace et fait de Mumia un homme à abattre par tous les moyens. Pour cela, elle lui refuse le traitement dont il a vita- PHILADELPHIA lement besoin. Il faut, pour se soigner dans les prisons de Pennsylvanie, non seulement se payer les médicaments qui sont horriblement Il y aura bientôt quinze ans déjà que, avec chers, mais avoir le droit de se les administrer. Guillaume Thomas-Flores, j’allais aux États- Il faut donc une décision de la justice fédé- Unis manifester notre solidarité à Mumia Abu- rale pour obliger les instances pénitentiaires à Jamal, prisonnier politique condamné à mort laisser à Mumia la possibilité de prendre son pour un meurtre qu’il a toujours nié. traitement. Cette procédure prend de longs Mumia a été arrêté en 1981 et, à l’issue d’un mois pendant lesquels la santé du prisonnier procès tronqué et expéditif, a intégré le quar- se dégrade. tier des condamnés à mort l’année suivante. Au moment où cet article est rédigé la déci- À deux reprises son exécution a été program- sion n’est pas tombée… mée, puis reportée. Mumia représente tout ce que le pouvoir À l’issue d’une intense campagne interna- américain exècre. C’est un intellectuel, noir tionale, il a quitté le couloir de la mort pour et communiste. À dix-sept ans, il était l’un la prison à perpétuité en 2011. Il n’a jamais des porte-parole des Blacks Panters à Phila- cessé de se battre, de donner son avis sur delphie. On comprend mieux ainsi l’acharne- 016 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN

archives du bloc. Après avoir volé un véhicule C’est à cette époque qu’il adhérera au Parti Les affaires du Livre, partagées entre conten- militaire allemand et s’être armé, il regagnera les communiste. tieux prud’homal et conflits collectifs, repré- lignes américaines à Innsbruck. Il installera son cabinet dans le modeste appar- sentaient une part importante de l’activité de La guerre se terminera pour lui le 10 novembre tement de ses parents, 11 bis, rue Mansart, dans droit du travail du cabinet avec la Fédération 1945. le 9e arrondissement, et reprendra l’exercice de du Verre puis l’Enseignement privé. La spécia- lisation du cabinet en droit social se renforcera Le général de Gaulle lui décernera la croix de la profession en défendant des salariés pour la encore à l’occasion de l’installation du cabinet guerre avec étoile d’argent et citation à l’ordre CGT. rue Claude-Bernard en 1973, époque qui cor- de la division pour son magnifique esprit de Éliane abandonnera la fin de ses études de bio- respond à la constitution d’une SCP avec Michel résistance. Officier des forces françaises de logie et de génétique pour assurer le secrétariat Henry, qui avait prêté serment en 1971, et Gilles du cabinet. Chaque soir, il fallait repartir par le l’intérieur, il recevra la médaille militaire, la croix Albouy. de guerre, la médaille des évadés, celle du com- train gare Saint-Lazare pour se rendre à Asnières Quelques grands conflits sociaux vont marquer battant volontaire de la Résistance et d’interné où le couple avait trouvé un logement avec Mi- ces années, le plus important étant celui du Pari- résistant puis sera fait chevalier, ensuite officier chel sous le bras, qui était né le 12 décembre sien libéré. Le 19 novembre 1974, la FFTL avait de la Légion d’honneur à titre militaire. 1947. Deux ans plus tard, la famille et le cabinet éliront domicile au 13, rue de Clichy, pour y rester appelé à des manifestations contre la dégrada- Chaque année les anciens de Kobierzyn, aux- jusqu’en 1973. L’activité du cabinet se répartis- tion de la situation des travailleurs du Livre et quels se joignait souvent l’Amicale des Belges, sait entre le contentieux prud’homal et des af- donné pour consigne de faire insérer dans tous tenaient congrès et banquet au cercle militaire faires de responsabilité civile pour La Fraternelle, les journaux un communiqué syndical. place de Saint-Augustin et se retrouvaient dans compagnie d’assurances créée après la guerre Émilien Amaury ayant refusé de publier in exten- une ambiance de fraternité qui ne s’est jamais par le Syndicat des chauffeurs de taxi CGT et so ce communiqué dans ses titres nationaux, les émoussée. Albert Tanneur a été élu après la présidée par Albert Tanneur, qui avait été, avant ouvriers des ateliers du Parisien libéré, du Petit guerre président de l’Amicale des anciens de le déclenchement des hostilités, secrétaire du Parisien et de l’Équipe décidaient de cesser le Kobierzyn. À sa mort, en 1969, Marc Henry lui Syndicat des cochers-chauffeurs. travail pour vingt-quatre heures. Émilien Amaury succédera à la présidence. En 1956, Marc Henry prendra la succession ripostait par un lock-out des trois entreprises À son retour en France le 3 juin 1945, très amai- d’Henri Gamonet comme avocat de la Fédé- et tentait de négocier la remise en cause des gri, il rejoignit Clermont-Ferrand pour y reprendre ration du Livre (FFTL CGT aujourd’hui FILPAC accords parisiens, dans le cadre d’un projet de des forces. C’est là qu’il rencontra, le 9 juin, CGT) et des syndicats qui lui étaient affiliés. Ces construction d’une nouvelle imprimerie à Saint- Éliane Kempf. Le 23 juin, ils étaient fiancés. organisations étaient à l’époque puissantes ; la Ouen. En cette année 1945, Marc Henry reprendra la Fédération venait de négocier et de signer la Après quatre mois d’affrontements, Émilien robe, démuni financièrement mais fort de convic- Convention collective de branche de l’imprime- Amaury décidait de fermer l’imprimerie de la rue tions forgées avant la guerre avec la montée du rie de labeur et le secteur presse était régi par d’Enghien, de transférer la fabrication de ses nazisme, celle des fascismes et de la guerre des conventions de métiers qui garantissaient le titres en province et de « remettre » les ouvriers d’Espagne et endurcies par les années de cap- monopole syndical à travers le contrôle de l’em- du Livre à la « disposition » du Syndicat du tivité. bauche et l’usage du label. Livre, prétendant n’en avoir jamais été le patron

ment contre Mumia Abu-Jamal depuis trente- direction du syndicat il fut décidé de parti- comme Saint-Denis et Bobigny. Même si quatre ans, si à cette peur qu’ont en eux le ciper à la campagne pour sa libération. Au « adhérent d’honneur » n’existe pas dans les pouvoir blanc et les racistes de tout poil, on début des années 80, l’engagement pour les statuts, cette décision politique fut prise à ajoute le fait que Mumia n’a jamais renié ses prisonniers politiques américains n’était plus l’unanimité. convictions. À la fin du Party, il a poursuivi le même que dix ans plus tôt. Un voyage de solidarité à Philadelphie était son engagement et ses activités au service de Nous sommes entrés en relation avec le en préparation pour la fin 2002 avec des par- l’égalité, de la justice, de la vérité. collectif français qui menait depuis 1995 la ticipants de différentes organisations et col- Il est devenu chauffeur de taxi la nuit pour bataille pour Mumia, prisonnier politique aux lectivités locales. Les organisations étaient vivre et journaliste de radio – toujours à Phi- États-Unis, contre son exécution et pour l’ou- vraiment différentes, l’expression ici n’a rien ladelphie –, pour faire entendre la voix des verture d’un nouveau procès. Ce collectif était, d’une clause de style. Il y avait, de mémoire, humbles, des réprouvés. Il est rapidement et est toujours, animé par un formidable mili- une élue européenne de Lutte ouvrière, un devenu « la voix des sans-voix ». tant de la CGT, Jacky Hortaut. Guillaume ou député communiste des Bouches-du-Rhône, C’est donc en 1981 que la vie de Mumia bas- moi sommes allés quelques fois aux réunions un camarade du comité Honecker, des jeunes cula. La police monta un guet-apens, une du collectif au siège du Mouvement contre communistes, des élus de Bobigny, de Saint- opération tordue, qui se solda par la mort le racisme et pour l’amitié entre les peuples Pierre-des-Corps, de Mont-Saint-Martin, de d’un policier que la justice complice lui impute (MRAP) et aux rassemblements hebdoma- Valenton, de Stains, une camarade de l’UD toujours. Ce fut le début d’un nouveau cas daires devant l’ambassade des États-Unis, CGT de la Seine-Saint-Denis, des militants du d’injustice comme l’histoire en connaît trop. place de la Concorde. Le Livre parisien se MRAP, des membres des collectifs de sou- Pour rester aux États-Unis, rappelons le cas faisait régulièrement l’écho de la campagne. tien à Mumia d’ et de la Guadeloupe. de Léonard Pelletier, prisonnier politique amé- Le XIIIe congrès du SGLCE décida de faire Alfonse Véronèse, du Bureau confédéral de la rindien depuis 1976. Celui-là, comme tous les Mumia « adhérent d’honneur », à l’image des CGT, devint, naturellement la figure de proue autres, est insupportable. villes qui le déclaraient citoyen de la même du groupe. Informés, quelques militants du SGL se sont distinction, comme Paris, ou qui donnaient Nous partîmes le 1er novembre 2002. Dès intéressés à la situation de Mumia. Avec la son nom à un espace public ou à une rue, notre arrivée à Philadelphie, nous fûmes INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 017

puisqu’il n’avait jamais eu le contrôle de l’em- En marge de cette vie professionnelle à travers mières heures de cette initiative née d’un mani- bauche. Cette provocation marquera le début laquelle il a exprimé, dans la défense au quoti- feste publié dans la Gazette du Palais du 8 août des actions judiciaires, d’abord prud’homales, dien du monde du travail, ses convictions poli- 1972 « pour une véritable organisation syndicale pour réclamer des salaires. Le 7 mai 1975, la tiques, Marc Henry a aussi participé activement, de défense de la profession d’avocat ». Le SAF grève avec occupation était votée, le personnel en 1948, à la reparution du Droit ouvrier, revue sera longtemps qualifié de « syndicat des avo- occupant les locaux et s’y barrica-dant. Pendant juridique de la Confédération générale du travail cats syndicaux de droit du travail ». Le colloque des mois, les ouvriers du Livre parisien vont faire dont il restera toujours un membre actif du co- annuel de sa Commission de droit social, qui la chasse aux journaux « pirates » imprimés en mité de rédaction. Cette revue, d’abord dirigée réunit de nombreux participants à l’université de province ou en Belgique et vont multiplier les ma- par Maurice Boitel puis par Francis Saramito, Dauphine au mois de décembre, est depuis un nifestations médiatiques. La lutte était soutenue constitue une source documentaire importante des moments forts de la vie syndicale. par une contribution de 10 % du salaire payée pour les praticiens et les militants syndicaux et Vie professionnelle, militantisme, débats poli- par tous les ouvriers du Livre de la capitale. Le assure le rayonnement d’une doctrine juridique tiques passionnés et fortes amitiés se mêlaient conflit cessera par un accord honorable pour de haut niveau, soutenant avec les armes du étroitement et se prolongeaient l’été par des le Livre CGT le 12 juillet 1977 après qu’Émilien droit les idéaux de la CGT. Il réalisera, en 1952, vacances montagnardes en Cerdagne d’où Jean Amaury se fut tué le 2 janvier dans un accident avec Jacques Vignaux, un Manuel pratique des Puiggali était originaire et où il entraînera aussi de cheval. Le conflit a donné lieu à des centaines prud’hommes, édité par la CGT Madeleine et Jean Rebérioux connus en 1952, de procédures prud’homales, civiles, administra- Après la guerre, les avocats communistes, qui qui resteront les plus proches amis d’Éliane et tives et pénales et mobilisé le cabinet de la rue étaient nombreux, ont été répartis entre trois de Marc Henry. Convaincu que le combat pour Claude-Bernard pendant deux ans. Les affaires cellules d’avocats pour ce qui concerne le palais améliorer la condition des hommes ne devait pénales en correctionnelle, le plus souvent pour parisien. Marc Henry sera rattaché à la cellule jamais s’exonérer d’une morale de l’action, Marc destruction de la propriété mobilière d’autrui, Georges-Pitard. II est resté fidèle à ses convic- Henry n’a jamais perdu la foi dans la justesse de c’est-à-dire les journaux pirates du Parisien tions communistes jusqu’à la fin de sa vie, même ses idéaux, même s’il a pris ses distances avec libéré, étaient défendues par un collectif d’avo- s’il a pris ses distances avec l’appareil du parti les dogmes et souvent marqué de la défiance à cats militants auxquels se joignaient quelques dans les années 70. l’égard des comportements d’appareil. ténors du barreau : Robert Badinter, Jean-Denis Cette période fut aussi, dans un esprit d’ouver- Sources documentaires : Bredin, Roland Dumas... et donnaient lieu à des ture et de modernité pour une partie des com- • Michel Henry, son fils et associé de 1973 à 1984 • Discours d’Henri Noguères à l’occasion de la remise audiences épiques où il s’agissait, pour le col- munistes, celle du programme commun de la lectif de défense, de plaider le plus longtemps de la médaille d’officier de la Lé-gion d’honneur gauche. Dans cet élan d’union fut créé, en 1974, • Discours de réponse de Marc Henry à Henri possible. le Syndicat des avocats de France, à l’initiative Noguères Marc Henry prendra sa retraite le 31 décembre d’avocats communistes avec l’accord de la • Discours de J.Charvet pour la remise des insignes de chevalier de la Légion d’honneur 1984, dans sa soixante et onzième année, et fédération de Paris du Parti communiste et de • Annales du Syndicat des avocats de France, tome 1, rejoindra jusqu’à son décès, pour une activité à la section socialiste du palais parisien, dont les 1972-1992, par Claude Michel mi-temps, la Fédération des déportés et inter- membres rejoindront, dans un deuxième temps, nés, rue Leroux. le nouveau syndicat. Marc Henry fut aux pre-

quelques-uns à être retenus par la police car nous portions des pétitions que nous vou- lions remettre à un représentant de la Cour suprême de Pennsylvanie. Les forces de sécurité goûtaient assez peu le fait que nous venions leur donner des leçons de démocratie en prenant la défense d’un communiste noir tueur de policier. Nous fûmes cependant libérés rapidement et allâmes immédiatement à la Cour suprême. Le lendemain était jour de manif et de prises de parole. Le froid n’a pas tempéré nos ar- deurs à manifester dans les rues de Philadel- phie contre la peine de mort et pour la justice pour Mumia. Nous avons pris des libertés avec le parcours convenu par nos amis américains en allant plus loin que prévu et en nous arrêtant devant des bâtiments publics. La population sur les trottoirs était partagée. Certains exprimaient clairement leur volonté de voir Mumia exé- cuté. Lors du meeting, ce furent François Liberti, Guillaume et Marc en compagnie de ,au centre ,de Pam Africa, leader à l’époque du mouvement « Move » et, à droite, de Julia Wright, fille du romancier Richard Wright, auteur du célèbre « Black Boy ». député du PCF, et Alphonse qui furent les 018 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN COALITION D’OUVRIERS IMPRIMEURS À PARIS EN 1830

Des grèves à Rouen font suite aux Trois Journal de Rouen : croyaient avoir droit. Par suite de l’instruction glorieuses, où les ouvriers parisiens ont dimanche 12 septembre 1830 suivie contre les membres de cette commis- e été la masse de manœuvre qui a permis On annonce que sept ouvriers imprimeurs, qui sion ont comparu hier devant la 6 chambre, le succès de la révolution : floués de leurs avaient été délégués par un certain nombre présidée par M. Lefebvre, les compositeurs et espérances, ils engagent des luttes pour de leurs confrères pour rédiger un projet de imprimeurs dont les noms suivent : les salaires et la réduction du temps de tra- règlement, viennent d’être arrêtés comme Roget, imprimeur, président ; Carré, com- vail ; il y a une grosse vague de grèves à prévenus de coalition. positeur, secrétaire ; Champion, imprimeur ; Rouen dans la période, et sans doute aussi Genuyt, compositeur ; Devienne, imprimeur ; Journal de Rouen : ailleurs. On lira avec intérêt comment la Possel, imprimeur ; Lamy, imprimeur ; Anas- vendredi 17 septembre 1830 presse locale a rendu compte du procès tase Lachevardière, dit le Balafré, imprimeur ; tenu à Paris. Paris 15 septembre [1830] St-Anne, imprimeur ; Hy, imprimeur, Domère, Journal de Rouen : Tribunal correctionnel de Paris compositeur ; Guillaume-Tell Valant, composi- mardi 7 septembre 1830 Affaire des ouvriers imprimeurs coalisés teur ; Cruché, compositeur ; Guyon, composi- Le procureur du roi a commencé aujourd’hui On se rappelle les rassemblements d’ouvriers teur et Danzel, compositeur. des poursuites contre des ouvriers impri- imprimeurs qui, dans les premiers jours de M. l’avocat du roi Fournerat expose en peu de meurs prévenus de coalition, prévues et septembre, firent naître dans la capitale des mots les faits de cette affaire. Le 2 septembre condamnées par les articles 415 et 416 du inquiétudes que les sages mesures de l’auto- dernier, à la vue d’une ordonnance du roi qui Code pénal. Des mandats de comparution rité, l’heureuse intervention de la Garde natio- ordonnait à l’Imprimerie royale le rétablisse- ont été lancés contre treize signataires d’un nale et le bon esprit de la majorité des ouvriers ment des presses mécaniques brisées le 29 écrit dans lequel le fait de la coalition a paru imprimeurs firent promptement cesser. Une juillet, un soulèvement général eut lieu dans positivement exprimé. (Le Moniteur) À la suite instruction a été dirigée contre les membres cette imprimerie. Les ouvriers cessèrent tous des rassemblements qui ont eu lieu ces jours composant la commission née du sein de ces travaux, et se réunirent en grand nombre, le 2 derniers, plusieurs individus ont été arrêtés rassemblements et a été instituée par tous les septembre, à la Courtille, le 3 septembre à la par la Garde nationale, amenés à la préfecture ouvriers pour porter leurs griefs devant l’auto- barrière du Maine. Dans ce dernier lieu, une de police et traduits devant les tribunaux. rité et en obtenir la satisfaction à laquelle ils commission fut instituée. Après de longues

plus applaudis, représentants de la France World Trade Center furent détruites et où populaire aux yeux des délégués étrangers et moururent ou furent blessés des milliers de des militants américains – « activistes » on dit personnes, un an auparavant. là-bas. Dans la soirée, nous fûmes reçus dans la Le troisième jour, nous fûmes reçus par la famille de Guillaume, dans le Queens, pour communauté « MOVE », la grande famille dîner, puis nous rejoignîmes l’aéroport. d’adoption de Mumia. Nous remîmes la carte Ce rapide voyage reste pour nous un beau d’ « adhérent d’honneur » de notre syndicat moment de solidarité, de fraternité entre les à Pam Africa, une femme combattante, auto- participants français entre eux et avec les rité morale de cette collectivité qui entend « activistes » américains, courageux, qui avec vivre selon des valeurs humanistes et fut par très peu de moyens nous ont accueillis avec deux fois (en 1978 et en 1985) attaquée mili- chaleur. Nous y avons porté les valeurs de tairement par la police. Nous avons décou- notre syndicat, de la CGT. vert un monde bien différent des images de Dans l’avion, avec Guillaume, en prenant un l’American Way of Life, du rêve américain, du verre, nous échangions nos impressions fortes pays policé que les médias en France nous et nombreuses après ces intenses moments. présentent. Les États-Unis sont un pays dur, Nous dérangions un peu nos compagnons de violent, injuste pour les humbles, pour ceux voyage, les participants au marathon de New qui à un moment décrochent, ou qui refusent York qui rentraient et voulaient dormir. Pour de vivre dans l’individualisme et contestent le eux l’épreuve était terminée. système. Pour Mumia, tragiquement, elle se poursuit Nous partîmes ensuite pour New York, à 150 encore. kilomètres au nord. Nous nous arrêtâmes à Ground zero, le lieu, désert, où les tours du MARC NORGUEZ INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 019 conférences, auxquelles prirent part plusieurs compte des prévenus, membres de la com- L’avis unanime des témoins, exprimé à plu- officiers supérieurs de la Garde nationale, une mission. Ils se sont tous accordés à les pré- sieurs reprises par chacun d’eux, est que le détermination fut prise et signée par les pré- senter comme des ouvriers laborieux, amis de rétablissement de l’ordre est dû entièrement venus ci-dessus dénommés en leur qualité. l’ordre et naturellement portés, à raison même aux efforts de la commission. MM. Agier et C’est dans l’art. 3 de cette détermination que de leur bonne réputation, comme chefs des Carbonnel ont rendu en public hommage a l’autorité judiciaire a cru reconnaître princi- ouvriers révoltés. chacun de ses membres en général, et à MM. palement les caractères du délit de coalition M. Agier, colonel de la 12e légion et M. le Cruché, Vaillant, Roget et Carré en particulier. d’ouvriers ayant pour but d’empêcher les tra- général Carbonnel, appelés sur le lieu du ras- Après l’audition des témoins, M. Fournerat, vaux. semblement par les ordres du général en chef, avocat du roi, a pris la parole. Après avoir Cet article est ainsi conçu : se sont également empressés à rendre hom- retracé les faits de la prévention, ce magis- « Dans nos intérêts réciproques, la commis- mage au bon esprit qui animait les membres trat a examiné quel caractère on devait recon- sion s’engage et engage ses confrères à ne de la commission. Ils ont eu la conviction que naître dans les faits reprochés aux prévenus. pas travailler dans les maisons où des méca- c’est au parti mixte, pris par cette commis- S’armant des deux paragraphes des conclu- niques seront en activité. sion, que l’on a été redevable du prompt réta- sions que nous avons cités plus haut, il a sou- La commission va s’occuper de faire des fonds blissement de l’ordre. M. le général Carbonnel tenu que tous les prévenus à l’exception de pour subvenir aux besoins des confrères qui a été jusqu’à dire, sur une interpellation de M. Lachevardière et Guyon, étaient suffisamment cesseront leurs travaux pour cause d’activité le président : « Si j’avais été à la place de la convaincus du délit de coalition d’ouvriers, de mécanique. » coalition, j’aurais agi comme elle. » prévu par l’art. 415 du Code pénal. Il s’est empressé, toutefois, de reconnaître qu’il exis- Le ministère public a fait citer plusieurs té- MM. Renouard, Beaudoin et Fain, imprimeurs, tait dans la cause des circonstances fortes moins, parmi lesquels on remarque MM. les n’ont fait que confirmer, par leurs dépositions, chefs de l’Imprimerie royale, M. Agier, conseil- l’idée que MM. les chefs de la Garde natio- atténuantes, et a appelé lui-même sur les pré- ler à la cour royale, député, colonel de la 12e nale s’étaient formée du rassemblement et venus l’indulgence du tribunal. légion de la Garde nationale ; M. Carbonnel, des efforts déployés par la commission pour MMe Charles Lucas et Boutet ont défendu les général de la même garde ; M. Fain, impri- arriver, au moyen de concession possibles, au prévenus. meur. rétablissement de l’ordre. Après avoir délibéré, le tribunal, attendu que MM. les chefs de l’Imprimerie royale en ren- Sur l’observation de M. le président que l’article le fait de coalition n’était pas prouvé, a ren- dant compte des motifs qui engagèrent les de la détermination précitée constituait véri- voyé les prévenus de la plainte. ouvriers à cesser leurs travaux et des efforts tablement la coalition d’ouvriers, le président tentés par eux, avec succès, pour détourner de la commission a répondu qu’ils avaient été Document communiqué par tous les compositeurs et tous les imprimeurs obligés, pour rétablir l’ordre, de prendre une GILLES PICHAVANT des diverses imprimeries de Paris de conti- détermination mixte, et de marcher entre la nuer tous travaux ont été unanimes sur le légalité et les exigences du moment.

CONSEIL D’ADMINISTRATION Cotisations annuelles DE L’INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN Individuelle 25 euros en 2016-2017 Michel ANCÉ Maître Michel HENRY Isabelle ANTONUTTI Xavier HIRSCH Collective (CE, associations, syndicats…) Roger BODIN Étienne LAMBERT adhésion normale Bernard BOLLER Violette LASSERRE 100 euros Marie-Cécile BOUJU Daniel LÉGEROT adhésion de soutien Maryse BOURGEOIS Maurice LOURDEZ 200 euros Michel BURGUIÈRE René MAHAUD adhésion de bienfaiteur Christian CARDINAL Denis MALÉTRAS 500 euros Sylvie CHARLIER Pierre MICHARD Roger DÉDAME Marc NORGUEZ Bulletin d’adhésion individuelle Antonio DELGADO Gilbert PÉPINO Michel DOARÉ Jean-Jacques PITOUT Nom :...... Jean-Michel FLORET Thierry PORRÉ Dominique FOUBLIN Bruno RIVET Prénom :...... Jean-Pierre GHIOTTO Hervé ROPERT Philippe GICQUIAUX Jean-Claude TIPHANGNE Adresse :...... Bernard HANED Yann VOLANT Adresse courriel :...... Jean-Jacques HÉDOUIN Joindre votre règlement et adresser le tout à notre adresse. 020 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN DE L’ASSOCIATION AU SYNDICAT, LE PARCOURS DU LIVRE PARISIEN AU 19 E SIÈCLE

Dans son ouvrage « Un centenaire histo- subis dans leur lutte contre les mécaniques, rique dans le Livre », Paul Chauvet retrace s’étaient réfugiés dans une sorte de clan- le cheminement, chaotique mais inexo- destinité en refusant systématiquement de rable, qui mène vers l’organisation syndi- participer aux négociations engagées entre cale au sein des différentes corporations les compositeurs et les maîtres imprimeurs, du Livre. HistoLivre reprend un chapitre ce qui avait fait dire à un maître imprimeur, de ce livre que nous nous sommes permis Malteste, à l’occasion de la discussion du 1 de titrer et de sous-titrer pour améliorer le tarif de 1843 : « Vos statuts, si toutefois vous confort du lecteur. en avez, ne sont que verbaux, vos chefs sont choisis par élection, vous gardez vos secrets à merveille, si bien que lorsqu’il y eut des cas Une réunion d’ouvriers dans une imprimerie au XIXe siècle À côté des compositeurs, dont le sens inné de flagrants de coalition entre vous, on n’a pas l’organisation avait toujours fini par triompher Les ouvriers imprimeurs pu en découvrir les auteurs. » En 1848, ce- de tous les interdits inventés par les différents pendant, on a vu qu’ils consentirent à sortir L’envahissement progressif des imprimeries régimes qui s’étaient succédé en France en ce de l’anonymat en envoyant des délégués à la parisiennes par les mécaniques – 120 en e XIX siècle, les ouvriers des autres professions Commission du Luxembourg et en particulier 1848, 273 en 1853 – condamnait les presses à du Livre faisaient figure de parents pauvres. aux diverses activités politiques des autres main et, par voie de conséquence, les ouvriers Les plus nombreux, les imprimeurs, fortement organisations ouvrières, et spécialement à imprimeurs à une disparition totale à brève touchés par les échecs répétés qu’ils avaient celles de leurs confrères compositeurs. échéance ; aussi, de bonne heure, on voit les

le méfait à Fernand de Brinon, secrétaire d’État et ambassadeur de France auprès du UNE PÉTAIN gouvernement allemand, en lui assurant que le linotypiste fautif serait renvoyé sitôt iden- DE COQUILLE tifié. Le 26 avril 1942, nouvelle lettre au ministre Virant de vert de rage à vert de trouille, Al- dans laquelle Clément explique qu’un metteur bert Clément fulmine en brandissant le Cri du en pages dénommé Charlin a pris l’initiative peuple daté du 24 avril 1942, avec, en pre- de refaire la légende et que le « é » ne se trou- mière page, la photo d’une médaille à l’effi- vant pas dans le « magasin de la lino », il a gie du maréchal Pétain, spécialement gravée dû le prendre dans un petit « casseau » sis à droite et s’est trompé en prenant un « ü ». pour lui être offerte ce jour même, date de son Toute la légende étant composée et placée 80e anniversaire, par le conseil municipal de dans la page, Charlin imprima une morasse Paris. Et sous le regard sidéré du rédac’chef qu’il fit lire rapidement en la tenant devant un du canard collaborationniste, la légende qu’il correcteur nommé Cardonnel, qui ne vit pas scrute pour la dixième fois : « Au Maréchal PÜ- la coquille dans la précipitation du bouclage. TAIN présent par le cœur et par l’esprit ». Vous avez bien lu : le É de PÉTAIN était devenu un Le rédacteur en chef termine sa missive en se Ü ! Pire qu’une injure, c’était un blasphème à « portant garant de la conscience profession- l’icône des capitulards. Faute professionnelle nelle et de l’honorabilité » des protagonistes, qui s’en tirent plutôt bien, en étant chacun ou sabotage ? frappés d’une mise à pied de huit jours. On Illico-presto, Clément diligente une enquête comprend mieux cette mansuétude quand on et, prenant les devants, il signale le jour même sait que le Cri du peuple était le journal créé INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 021 plus jeunes et les mieux doués apprendre le tants des imprimeurs-conducteurs, avec pour ouvriers fondeurs en caractères avaient, eux métier de conducteur de mécaniques. objectif la création d’une Chambre syndicale aussi, envoyé des délégués à l’exposition de À l’exposition de Londres, à laquelle ils fédérale. Engelbauer avait même pu rallier à Londres, puis à celle de 1867, où ils avaient avaient, eux aussi, envoyé une délégation, ce projet les dirigeants de la Gutenberg ; des rédigé un rapport rempli d’observations et leur acte anticipé de décès fut proclamé par négociations furent engagées et elles auraient de suggestions fort sensées qu’ils avaient leurs confrères : « Ce sont de rudes et labo- vraisemblablement abouti si la guerre franco- soumises, « avec respect et confiance », à rieux camarades qui nous quittent », avaient- allemande n’était pas survenue. Elles furent l’appréciation de leurs patrons et du gouver- ils écrit. Pourtant, ils n’étaient pas encore près reprises par la suite, mais sans la Gutenberg, nement « qui nous a donné tant de preuves de mourir, mais un jour vint où ce qui restait revenue à son splendide isolement. de sollicitude », croyaient-ils devoir assurer, d’imprimeurs dut se résigner, en 1866, à ac- tout en déplorant le manque d’entente exis- cepter dans leur société, sortie de la clandes- Les fondeurs en caractères tant dans cette profession, ce qui – consta- tinité, ceux des conducteurs de mécaniques Les fondeurs en caractères, bien qu’on trouve taient-ils – était une cause d’avilissement des qui voulaient bien s’associer à eux, vraisem- quelques traces de leur activité sociale et salaires. blablement d’anciens imprimeurs, car entre- même politique sous la monarchie consti- En 1869, une chambre syndicale fut enfin temps il s’était formé, sous la IIe République, tutionnelle et sous la IIe République, ne pa- constituée ; un militant actif, Soleil, membre une société extrêmement fermée de conduc- raissent pas avoir été organisés en association de l’Internationale, en assura la présidence, teurs, la Gutenberg, qui se maintint longtemps avant le Second Empire ; du moins on n’en assisté d’un bureau de quinze membres. Un dans un systématique isolement. trouve pas trace avant 1865, date à laquelle tarif fut aussitôt mis en discussion, mais cette En 1870, la Société des imprimeurs-conduc- une Société de la fonderie typographique pa- discussion se prolongea assez longtemps ; teurs se transforma en Chambre syndicale, risienne avait reçu l’estampille officielle. Les ainsi les taux des heures supplémentaires après avoir essayé, mais sans succès, d’atti- ne furent fixés que le 30 mars de l’année sui- rer à elle la Gutenberg. Elle se donna comme vante. Par contre, les questions relatives à président un Danois, Engelbauer, internatio- l’apprentissage avaient été réglées dès mai naliste et partisan passionné de l’union de 1869, sa durée ne devait pas excéder deux toutes les organisations typographiques pari- ans et, détail important, il était prévu que les siennes. Il était secondé par Vasseur « impé- apprentis devraient être préalablement exami- rialiste repenti » qui, par son intervention au nés par deux membres de la Chambre syn- traditionnel banquet typographique de 1869, dicale. Il semble que cette association ait su avait obtenu de Baraguet, successeur d’Eu- acquérir assez d’autorité pour imposer ses gène Gauthier à la présidence de la Chambre décisions aux patrons car on voit, en juillet syndicale typographique, la promesse de la 1870, la puissante maison Chaix lui envoyer constitution d’une délégation qui serait char- un de ses agents pour obtenir des renseigne- gée d’entrer en contact avec les représen- ments sur le tarif qu’elle avait institué.

en octobre 1940 par Jacques Doriot, fonda- teur du Parti populaire français (PPF) d’ins- piration fasciste et créateur de la Légion des volontaires français (LVF). Il ambitionnait de récupérer les lecteurs de l’Humanité et d’atti- rer la classe ouvrière.

Un peu plus d’un mois après cet incident, Albert Clément était abattu le 2 juin 1942 par des résistants communistes et le ci-devant marquis Fernand de Brinon, secrétaire d’État et ambassadeur, était exécuté le 15 avril 1947 au fort de Montrouge.

YANN VOLANT Avec nos remerciements à Marie-Cécile Bouju qui a retrouvé ces documents 022 INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN

L’imprimerie en taille douce ne pas renvoyer l’ouvrier avec lequel il a un de cette même année, les maître relieurs de Voici maintenant une profession à laquelle le débat ». Paris, réunis en assemblée générale sous la nombre restreint, aussi bien des maîtres que > « Obligation également pour l’ouvrier de ne présidence du même Bouché, décidèrent de se constituer en Chambre syndicale avec un des ouvriers, ne permettait guère de jouer un pas quitter le travail sur lequel statue la com- bureau de 19 membres ; 15 relieurs et 4 do- rôle dans le mouvement ouvrier, il s’agit de mission mixte ». reurs, cette dernière profession étant toujours l’imprimerie en taille-douce. Cet accord devait être renouvelé en 1873, intimement liée à celle de relieur 2. Dans cette profession, une société de secours puis en 1879, mais en 1887 une grève, qui Quant à la société ouvrière, la mort tragique mutuels avait été créée en 1833. Cette socié- se solda par un échec, vint rompre l’équilibre de Varlin, fusillé par les versaillais après la té, qui comptait à peine 70 membres, était existant entre les deux parties et les ouvriers chute de la Commune, l’exil de Clémence qui remarquablement organisée, assurant des durent accepter de reprendre le travail sans réussit à éviter la déportation en se réfugiant indemnités à ses malades, des pensions à ses voir triompher leurs revendications. en Suisse, lui furent fatales. Ce qui lui restait veuves et se payant même le luxe d’avoir un Les relieurs des sociétaires adhéra à la Fédération de la docteur appointé. Elle passa sans encombre Il existait dans le Livre une autre profession, typographie française et des industries simi- à travers les différents régimes qui se succé- plus ancienne que l’imprimerie elle-même, la laires, dès sa fondation, mais, sur les 1 390 dèrent de cette époque à la IIIe République reliure (…), mais dans cette profession arti- hommes et les 2 503 femmes occupés dans et, si on s’en rapporte à un article paru dans sanale par excellence, et employant plus de les diverses branches de la reliure, ainsi que l’Almanach ouvrier pour 1874, elle possédait femmes que d’hommes, il n’y avait jamais eu sur les 420 doreurs (si on s’en rapporte au re- fin 1873 un avoir d’un montant de 100 000 3 d’organisation ouvrière digne de ce nom ; il censement de 1872) , il ne s’en trouvait plus francs. C’est dans cette profession que fut fallut l’intelligence et la ténacité de Varlin et de que 43 de syndiqués ! réalisé, en février 1870, un accord remarqua- son camarade et ami Clémence pour qu’une PAUL CHAUVET blement étudié, qui plaçait ouvriers et patrons organisation solide se développe parmi les in Un centenaire historique dans le Livre sur un pied de stricte égalité, si on en juge par ouvriers relieurs et tente par deux grèves les grandes lignes de cette convention : 1. Malteste. Quelques observations à Messieurs les successives, en 1864 et 1865, d’arracher ouvriers imprimeurs de Paris. Paris 1843. > « Journée de dix heures » ce qui, à l’époque, des salaires décents à leurs patrons, souvent 2. Revue de la reliure et de la bibliophilie, no 2, juin 1869. était loin d’être une règle générale. eux-mêmes assez misérables. En 1868, il se 3. Chambre de commerce de Paris. Enquête sur les conditions de travail à Paris en 1872. > « Salaire minimum de 6 francs par jour » produisit dans cette profession un événement extraordinaire. Il n’existait pas d’organisa- (seuls les conducteurs de machines avaient tion patronale dans la reliure, ce qui rendait des salaires supérieurs). impossible la réalisation d’accords collectifs > « Formation d’une commission mixte ». entre patrons et ouvriers et c’est sur l’initiative > « Obligation pour le patron de s’en rappor- du président de la Société de secours mu- ter au jugement de la commission mixte et de tuels ouvrière, Bouché, que le 22 novembre

CHANSON « MARCHE POUR L’EMPLOI »

Chanson composée Refrain On le protégera, par les salariés de Chômeurs et salariés, Car c’est notre gagne-pain. Luttons pour travailler l’Imprimerie François Au refrain Et l’imprimerie vivra. Huissiers et policiers, à Ozoir-la-Ferrière (77) A travers les conflits, Evitez d’emmerder en lutte avec occupation Nous serons réunis Les pauvres ouvriers d’usine pendant plusieurs Pour que vive François. mois. Texte paru dans Qui veulent travailler. Jack Lang, Bérégovoy, On protège notre usine, le Livre Parisien n° 243. Restent toujours muets. On protège nos machines, Nous serions heureux Pour les négociations, On va les surveiller. de connaître sur quelle Ils veulent s’en tirer. Pour ne pas qu’elles se débinent. musique se chantaient Mais il faut bien compter Au refrain ces paroles. Sur la ténacité Des milliers d’ouvriers et de la CGT. On veut redémarrer notre outil de travail ! Editeurs, imprimeurs, évitez la pagaille ! Au refrain L’gouvernement nous ment. A Ozoir-la-Ferrière, Il n’est jamais trop tard, On ferme les barrières. Alors qu’pendant ce temps Ensemble nous luttons, Pourrissent des milliards. Ensemble nous occupons, Au refrain. Car l’Imprimerie François, Notre métier à chacun, INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 023 L’ARGOT DES TYPOGRAPHES

Chèvre : s. f. Mécontentement, colère || Go- Manuscrit belge : s. m. Copie imprimée. On Réclame : s. f. Mot qui se mettait autrefois ber sa chèvre, c’est s’irriter, se fâcher, poussé a appelé de ce nom cette sorte de copie peut- à la fin d’une feuille, dans la ligne de pied, et à bout par les plaisanteries de l’atelier ou pour être parce que les ouvriers belges, assez nom- qui se répétait au commencement de la feuille toute autre cause. Cette expression est très breux à Paris, ne pouvant autrefois déchiffrer suivante. || Vérifier la réclame, c’est s’assurer ancienne. Molière l’emploie en un sens très la copie manuscrite, on ne leur donnait à que la fin d’une feuille concorde bien avec le voisin de celui qu’elle a aujourd’hui, dans composer que les réimpressions. Aujourd’hui, commencement de celle qui suit immédia- Sganarelle ou le Cocu imaginaire (scène XII), cette distinction a à peu près disparu. tement. || Au figuré, ce qui reste dans une pièce représentée en 1660 : Voici une autre explication de cette expres- bouteille après que chacun a eu sa part : Ne D’un mari sur ce point j’approuve le souci ; sion : en Belgique, il y a trente ans, les impri- t’en va pas, il y a la réclame, c’est-à-dire : il Mais c’est prendre la chèvre un peu bien vite meurs ne vivaient que de contrefaçons ; on en reste encore un peu pour chacun de nous. aussi. ne composait donc jamais ou presque chez EUGÈNE BOUTMY, Chier dans le cassetin aux apostrophes : v. eux que sur des livres. Voilà pourquoi, sans CORRECTEUR D’IMPRIMERIE Cette phase grossière et malséante peut se doute, on a donné le nom de manuscrit belge FLAMMARION ET MARPON, PARIS, 1883 à toute copie imprimée. L’expression est alors traduire en langage honnête par : « Quitter le CHRONIQUE ALIMENTÉE métier de typographe. » plus fine, plus satirique que dans l’hypothèse PAR MICHEL GOISLARD Étouffer un perroquet : v. Expression pitto- précédente ; elle raille spirituellement l’indéli- resque pour dire : Boire un verre d’absinthe, catesse de nos voisins, qui se procuraient de sans doute à cause de la couleur verte de ce la copie à trop bon marché. funeste breuvage. Ranger : v. a. Mettre en pâte. Ce mot est Gras : s. m. Réprimande || Recevoir un gras. employé ironiquement et par antiphrase. Recevoir des reproches de la part du patron, Lorsqu’un homme de conscience laisse du prote ou du metteur en pages, pour un échapper de ses mains un compartiment manquement quelconque. On dit encore dans de casse, un paquet de distribution ou tout le même sens savon ou suif. L’analogie est autre objet, les compagnons charitables ne visible entre cette dernière expression et gras. manquent pas de s’écrier, en appuyant sur le Les Allemands emploient un autre terme : Re- dernier mot : Ce n’est rien ; c’est la conscience cevoir un hareng haering. qui RANGE ! On se prépare pour le A La chez Alcan

Conférence-débat de Jean-Louis ROBERT historien et président de l’association des Amies et des Amis de la Commune de Paris 1871, présentera « ADOLPHE CLÉMENCE, relieur et communard » le mercredi 9 novembre 2016 à 14h15 Maison des métallos - Salle Jean Borne 94, rue Jean-Pierre Timbaud - Paris 11e Métro : Couronnes

ENTRÉE LIBRE BROCHURES ÉDITÉES PAR L’IHS-CGT DU LIVRE PARISIEN Elles sont disponibles au prix de 5 euros l’exemplaire (6 euros pour envoi par la poste).

VIENT DE PARAÎTRE :

Adresser la commande et le règlement à : Institut CGT d’histoire sociale du Livre Parisien Maison du Livre 94, boulevard Auguste Blanqui 75013 Paris

Préface de Georges Navet, président de la Société P.-J. Proudhon

BULLETIN DE L’INSTITUT CGT D’HISTOIRE SOCIALE DU LIVRE PARISIEN 94 boulevard Auguste Blanqui - 75013 PARIS - Téléphone : 01 43 31 53 51 – Fax : 01 43 31 79 70 HistoLivre