FRANÇOIS PUAUX

L'ITALIE SANS BERLINGUER

UN COMMUNISME DE CHARME

« Je veux tous les catholiques. » La main et l'avant-bras décrivaient un tranquille arc de cercle au-dessus d'un bureau en tôle grise, dans un modeste décor fonctionnel et dépouillé. Au mur, seul ornement, une photographie de Gramsci. Nous étions dans ce vieux palais réaménagé de la via delle Botteghe Oscure, cette rue des sombres boutiques, où le parti communiste italien a installé son quartier général, au cœur de la vieille Rome, à quelques mètres de la piazza del Gesù, siège de la Démocratie chrétienne. C'était mon premier contact, au printemps de 1975, avec Enrico Berlinguer et j'avoue avoir été séduit par la personnalité de cet homme frêle, courtois, calme et réfléchi, au regard un peu triste sous des cheveux mal disciplinés. Berlinguer était aussi simple et sobre dans ses propos que son homologue français l'est peu. Mauvais orateur, indifférent au décor, il croyait, ou paraissait croire à son discours, même si certaines de ses sincé• rités ont été successives. Ses réponses, voilées d'un humour latent, étaient éclairées d'un demi-sourire qui donnait à l'homme un charme indéniable, et c'est avec un vif intérêt intellectuel et humain que je l'ai revu par la suite (1). Nous étions alors au lendemain du premier choc pétrolier et de l'échec du référendum sur le divorce qui avait porté un coup très dur à et à la Démocratie chrétienne,

(1) Contrairement à ce qu'on a souvent dit, Enrico Berlinguer n'avait pas le titre de marquis, mais appartenait à une famille de propriétaires terriens qui a été inscrite au nobiliaire sarde. Son père était député libéral et il a eu une éducation bourgeoise. 122 LA POLITIQUE EXTERIEURE au sein de laquelle se faisaient sentir de vives tensions. Je deman• dais au secrétaire général du parti communiste si une majorité comprenant le P.C.I., les socialistes et la gauche démocrate-chré• tienne lui paraissait possible. Il m'avait répondu que son projet englobait toute la Démocratie chrétienne et « qu'il n'était pas possible de gouverner l'Italie avec 51 % des voix », ce qui pour un Français n'était pas évident (2). L'offre d'une coalition rouge et noire qui aura été la grande idée de Berlinguer est demeurée toujours un peu une énigme pour nos compatriotes (3). Pour la comprendre, il faut connaître la formation de la pensée commu• niste italienne et, en particulier, celle du penseur marxiste le plus original, , et son idée du « pouvoir culturel ». Gramsci qualifiait son discours de « léninisme adapté ». Du fond de son cachot, par ses Quaderni dal carcere, il a plus que tout autre contribué à former l'image du P.C.I. d'aujourd'hui. On sait qu'il n'a quitté en 1936 les prisons fascistes que pour mourir et qu'il faisait figure d'hérétique aux yeux de Moscou. Togliatti avait rompu avec lui et ne l'a réhabilité qu'après la mort de Staline. Dans le pénitencier de Turi, Gramsci avait été exclu du collectif communiste. Les marxistes orthodoxes lui repro• chaient d'avoir une idéologie trop marquée par l'idéalisme et le spiritualisme. On soupçonne Togliatti d'avoir manœuvré pour inciter les fascistes à prolonger sa détention. Gramsci, très marqué par Hegel qui avait à ses yeux l'im• mense mérite d'avoir su unir dialectiquement le matérialisme et le spiritualisme, était fasciné par la force idéologique et sociale du catholicisme. « Le pape, écrivait-il, est le chef et le guide des paysans et des femmes. » L'Eglise forme « un bloc historique » entre les intellectuels et les masses, et c'est la source de sa puis• sance. Cherchant à analyser le pouvoir de l'Eglise et celui de l'Etat, Gramsci en est venu à opérer une distinction décisive entre la « société politique » et la « société civile ». Cette der• nière recouvre l'ensemble du secteur privé, c'est-à-dire le domaine

(2) La formule a été employée par lui pour la première fois dans un article de Rinascita en octobre 1973. Je note qu'après l'échec du compromis historique et bien des vicissitudes, Enrico Berlinguer, qui prônait à la veille du XVI* congrès « l'alternative démocratique » avec les socialistes, a reconnu en janvier 1983 à l'écran d'une télévision privée « qu'il était possible de gou• verner avec 51 % des voix ». (3) Le compromis historique n'a jamais été non plus bien compris par la base du P.C.I. qui ne l'a accepté que comme une tactique pour arriver au pouvoir. L'ITALIE SANS BERLINGUER 123

culturel, intellectuel, religieux et moral, au sein duquel s'élabore le « consensus social ». La société politique comprend les institu• tions et l'appareil coercitif de l'Etat. Les deux sociétés, articulées, constituent un « bloc historique ». L'erreur des communistes, selon Gramsci, était jusqu'ici de croire que l'Etat ne repose que sur son appareil politique. En fait, il dirige tout par le moyen d'une « idéologie implicite et de valeurs admises comme allant de soi ».

La prise du pouvoir ne passe pas, selon Gramsci, par l'insur• rection mais par un travail en profondeur au sein de la société civile. C'est ce qu'il appelle, utilisant la formule inventée par Proudhon et reprise par Renan, puis Sorel, la « réforme intellec• tuelle et morale » qui doit déboucher, selon lui, sur une relation dialectique entre la politique et la culture, jetant les bases d'une « révolution culturelle ». Il s'agit, cela dit, d'une conception qu'il décrit lui-même comme « hégémonique », mais cette hégé• monie remplace de fait et déborde la dictature du prolétariat, que Gramsci ne renie pas pour autant tout en lui donnant un tout autre sens que Staline et ses contemporains.

On voit combien cette vision, d'une originalité incontestable, et qui devait éveiller, trente ans après la mort de Gramsci, l'écho que l'on sait dans la gauche française et européenne, s'éloignait non seulement du stalinisme mais, d'une manière générale, des conceptions de la IIP Internationale à laquelle le parti commu• niste français est demeuré étroitement fidèle. Il convient d'ajou• ter que la pensée de Gramsci a d'autant mieux marqué le parti communiste italien que ce dernier, à la différence du P.C. fran• çais ouvriériste, est un parti interclassiste. Les ouvriers n'y comptent que pour 40 % et l'intelligentsia y tient une place importante.

Le message gramscien avait valeur prophétique. Mais il était, malgré sa finalité universelle, destiné avant tout à la société ita• lienne. Togliatti en a le premier développé les virtualités en désta- linisant le P.CL, puis en définissant en 1964 « la voie démocra• tique et pacifique » au socialisme et, enfin, la même année, dans son testament, en prônant le « polycentrisme » et « l'autonomie des voies nationales ». Mais il appartenait à Enrico Berlinguer d'en• gager le Parti dans l'étrange aventure du compromis historique. 124 LA POLITIQUE EXTERIEURE

DU COMPROMIS A L'ECHEC

L'idée d'une alliance entre le communisme et le « parti populaire » catholique ne se trouve pas chez Gramsci. Certes, l'Eglise était pour lui un modèle, mais un modèle négatif. Il était prêt à inclure les catholiques dans son bloc historique, mais il lui paraissait inconcevable que le ralliement à l'Etat socialiste pût être le fait de l'ensemble de l'Eglise ou du parti catholique. C'est Togliatti qui, le premier, en 1953, après la mort de Staline, semble avoir joué avec l'idée d'exploiter les difficultés intérieures de la Démocratie chrétienne et de lui proposer une grande alliance. Mais il faudra attendre 1973 et les trois articles fameux de Berlinguer dans Rinascita, hebdomadaire du P.C.I., pour que soit franchi un pas décisif. Le nouveau secrétaire général du Parti (élu en 1972) avait été victime à l'automne d'un accident d'auto• mobile en Bulgarie, sur la côte de la mer Noire. Il dut, rentré à Rome, garder la chambre pendant plusieurs semaines, lire, réflé• chir, écrire. Il avait été vivement frappé par deux phénomènes. D'une part la remontée du fascisme en Italie : on était à l'époque des Trame nere (les complots noirs) et de la tentative de putsch, à vrai dire dérisoire, du prince Borghese. Berlinguer craignait que le mouvement néo-fasciste M.S.I. ne récupérât les classes moyennes et ne s'alliât à la Démocratie chrétienne. D'autre part, l'échec et la mort de Salvador Allende à Santiago, le 11 septembre 1973, semblaient avoir été une conséquence de son refus de s'allier à la Démocratie chrétienne, très puissante au Chili comme en Italie. Le fruit de ces réflexions fut le projet « d'un grand compromis historique entre les forces qui réunissent et représentent le peuple italien (4) ». La classe politique n'avait guère pris au sérieux les articles de Rinascita. Nixon, puis Ford, et surtout Kissinger, régnaient à Washington et ne cachaient pas leurs sentiments vis-à-vis de la participation communiste au gouvernement d'un pays européen. Il fallut le succès du P.C.I. aux élections régionales de juin 1975 (34,4 % des voix) pour amorcer le processus. Nous avons vu dans cette chronique, à l'occasion du cinquième anniversaire de

(4) Enrico Berlinguer, « Riflessioni sull'Italia, dopo i fatti del Cile », Rinascita, 28 septembre, 8 et 9 octobre 1973. L'ITALIE SANS BERLINGUER 125 sa mort, le rôle joué dans cette affaire par (5) et comment l'enlèvement et l'assassinat de l'infortuné secrétaire général de la Démocratie chrétienne par les « Brigades rouges » a mis fin en 1978 aux manœuvres extrêmement subtiles et au jeu florentin des « convergences programmatiques » et du « paral• lélisme insolite » par lequel Moro et Berlinguer ont progressive• ment amené leurs deux partis très réticents à la formation d'une majorité « programmatico-parlementaire » (pour éviter de parler d'une majorité « politique » qui aurait effrayé beaucoup de députés). Les Brigades rouges, en abattant le seul homme capable de « piloter » une pareille opération politique, voulaient et ont réussi à stopper le « berlinguerisme » qui pour elles, d'inspiration néo- staliniste, était une dérive traîtresse. La disparition de Moro a, en effet, aussitôt libéré les forces hostiles au compromis, à savoir la droite démocrate-chrétienne et le parti socialiste que venait de prendre en main , un animal politique de pre• mière grandeur. Berlinguer a très vite mesuré l'étendue de son échec. Il a pris son virage dès le 18 septembre, dans son dis• cours de Gênes. Pour la première fois apparaissait l'idée d'une « troisième voie vers le socialisme », qui ne serait celle ni des pays de l'Est ni de la social-démocratie. Le P.C.I. quittait en janvier 1979 cette majorité équivoque dans laquelle l'avait fait entrer Aldo Moro moins d'un an auparavant et, en avril, au XVe congrès, le secrétaire général réussissait à regrouper son parti autour de lui sur une formule simple : « Ou au gouverne• ment ou dans l'opposition. » L'échec du grand dessein n'en était pas moins grave. Les élections anticipées de juin 1979 prenaient très vite le caractère d'un référendum pour ou contre la présence du P.C.I. au gouvernement. Les communistes, qui pâtissaient malgré eux de la mort de Moro et du terrorisme « rouge », reve• naient de 34,4 % à 30,4 %, premier et net recul depuis la guerre. En février 1980, le congrès de la Démocratie chrétienne, qui se tenait à l'ombre de Kaboul et de l'agonie de Tito, faisait son choix en votant un préambule resté fameux aux termes duquel « des considérations de politique internationale et écono• mique ne permettaient pas à la Démocratie chrétienne d'exercer une co-responsabilité de gestion avec le parti communiste ». Après

(5) La Revue des Deux Mondes, « Politique extérieure » : « Il y a cinq ans Aldo Moro... », juin 1983. 126 LA POLITIQUE EXTERIEURE avoir vu s'entrouvrir les portes du pouvoir, les communistes se trouvaient rejetés, non pas dans un ghetto comme au temps de Gasperi, mais loin de la stanza dei bottoni (6).

LA RECHERCHE D'UNE IDENTITE

Le plus surprenant, au cours du lent retour à la normale qui a suivi les « années de plomb » du terrorisme, la mort de Moro et le naufrage du compromis historique, est que l'autorité d'Enrico Berlinguer au sein de son parti et l'audience du P.C.l. dans Pélectorat ne semblent pas avoir souffert de l'échec du grand projet, ni de celui de 1' « Eurocommunisme » qui n'a pas survécu à la rupture de l'union de la gauche en France et à l'écla• tement du parti communisme espagnol en deux factions. La situa• tion était cependant d'autant plus embarrassante pour Berlinguer qu'il ne pouvait se permettre de revenir en arrière. Le P.C.l. était beaucoup trop engagé dans le jeu démocratique des régions et des communes pour se permettre une politique « à la » qui lui aurait coûté de 5 à 10 % de son électorat non communiste. (Depuis 1979 jusqu'au scrutin du 17 juin, le P.C.l. était stabilisé autour de 30 % des voix.) L'action du secrétaire général, excellent manœuvrier, s'est exercée dans trois directions : 1") trouver des thèmes nouveaux ; 2°) s'affirmer vis-à-vis de Moscou ; 3°) proposer une nouvelle formule de gouvernement. Les nouveaux thèmes (pacifisme, développement du tiers monde et désarmement) n'étaient à première vue pas très mobi• lisateurs. Le pacifisme, qui faisait des ravages dans l'Europe du Nord, n'émouvait guère les peuples latins. La campagne du P.C.l. contre les euromissiles n'a pas empêché l'installation des engins sur le site de Comiso en Sicile, mais elle a montré les limites du loyalisme des communistes vis-à-vis de l'Alliance atlantique. On s'est toujours senti, via delle Botteghe Oscure, très près de Tito et l'on retrouve la tentation du neutralisme à propos de la crise afghane où le P.C.l. a cru devoir répartir subtilement ses blâmes entre les deux superpuissances.

(6) La « chambre des boutons », c'est-à-dire le poste de commande. L'ITALIE SANS BERLINGUER 127

Le problème des relations avec Moscou, toujours difficile, a connu avec l'affaire polonaise une secousse qui a accaparé, au cours de l'hiver 1981-1982, toute l'attention du Parti et de la classe politique italienne. Il est clair que Berlinguer a cru voir dans l'expérience amorcée par Solidarité la réalisation de sa fameuse « troisième voie ». La tentative de Walesa lui parais• sait venir à point car ses adversaires, en dehors et même à l'inté• rieur du Parti, lui reprochaient de ne pas expliciter cette formule qui semblait, dans son esprit, avoir des traits du modèle yougos• lave, une sorte de mélange d'autogestion et d'un certain corpo• ratisme dans la tradition italienne, une tradition qui n'est pas morte avec le fascisme. La proclamation de l'état de siège à Varsovie, le 13 décem• bre 1981, a mis le feu aux poudres. « Une période s'achève, déclarait Berlinguer à la télévision le 15 décembre, la force propulsive qui a pour origine la révolution d'Octobre s'est désor• mais épuisée, comme s'est épuisée la capacité de renouvellement des sociétés de l'Est européen [...] et comme s'est éteinte la IF Internationale. » Et pour faire bonne mesure, le secrétaire général ajoutait quelques jours après : « Notre réflexion sur la voie vers le socialisme dans les sociétés développées et démocra• tiques d'Occident ne peut trouver un fondement dans Lénine. » La réaction de Moscou a été furibonde. La du 24 janvier 1982 parlait « d'assistance directe à l'impéralisme [...] et de ten• tative sacrilège et blasphématoire ». On s'est cru à deux doigts du strappo (de la rupture) mais elle n'a pas eu lieu. Pour l'Eglise communiste, pour l'Empire soviétique, le schisme de Berlinguer, venant après celui de Tito, aurait été extrêmement grave. Pour le P.CL, rompre avec le mouvement communiste international aurait signifié un dangereux isolement et la perte de son identité. Sur le plan intérieur, « l'alternative démocratique », c'est-à- dire l'union de la gauche avec les socialistes détestés, a remplacé le compromis historique comme objectif, un objectif bien lointain à vrai dire. C'est du moins la position qu'a confirmée le XVIe con• grès qui s'est tenu à en mars 1983. Mais, en bon tacti• cien, Berlinguer maintenait simultanément plusieurs fers au feu. Tout en renouvelant de manière assez provocante son offre d'al• liance, il faisait attaquer férocement le P.S.I. par le syndicat C.G.I.L. (équivalent de la C.G.T. française) et s'en prenait sur• tout à Bettino Craxi, lequel, avec 10 % des voix, occupe depuis 128 LA POLITIQUE EXTERIEURE un an le palais Chigi, siège de la présidence du Conseil. Le terrain choisi est le décret-loi du 15 février dernier qui ose toucher à la sacro-sainte scala mobile, l'échelle mobile des salaires, la « machine infernale », comme la définissait le gouverneur de la Banque d'Italie, un système qui maintient automatiquement l'in• flation à un taux supérieur à deux chiffres. Il s'agit d'une offen• sive de grand style : le 25 mars dernier, le P.C.I. et la C.G.I.L. n'ont pas mobilisé moins de 700 000 manifestants à Rome pour protester contre la politique d'austérité. Au même moment, des appels du pied laissaient comprendre à la Démocratie chré• tienne qu'elle aurait tout intérêt à laisser tomber Craxi pour rechercher avec les communistes de « possibles terrains d'en• tente ». Discours en somme assez équivoque, lutte partisane sans projet autre que l'accès au pouvoir, incapacité d'élaborer une synthèse et une stratégie, Berlinguer en mourant aura laissé une belle machine politique, le seul parti structuré d'Italie, au milieu du gué, trop avancé sur la voie du compromis pour redevenir révolutionnaire, trop attaché d'autre part à la famille commu• niste pour rompre avec Moscou. Berlinguer enfin, et avec lui la très grande majorité du Parti n'étaient et ne sont pas près à renoncer aux deux règles qui l'empêchent d'être un parti comme les autres : d'une part, le « centralisme démocratique », qui veut que toute décision vienne d'en haut, et, d'autre part, le principe d'hégémonie, selon lequel, une fois au pouvoir, le Parti en prend le contrôle total sous des formes plus ou moins démocratiques.

a disparition d'Enrico Berlinguer sera-t-elle de nature L à modifier les données du jeu politique italien qui apparaissait depuis quelque temps désespérément figé ? La vague d'émotion qui a accompagné la mort inattendue du chef charisma• tique a donné au P.C.I. un avantage dans le scrutin des élections européennes où il a recueilli 33,3 % des suffrages. Il a fait mieux, à trois dixièmes près, que la Démocratie chrétienne (33 %), réalisant, pour la première fois dans l'histoire de la République, le fameux sorpasso (dépassement) qui a été longtemps la hantise des bourgeois italiens. En réalité, le P.C.I. avait déjà atteint et dépassé ce chiffre en 1976 (34,4 %), et le phénomène vraiment important et nouveau n'est pas ce sursaut communiste, relative- L'ITALIE SANS BERLINGUER 129 ment léger, mais l'effondrement de la Démocratie chrétienne aux élections législatives de l'an dernier. Passé de 38,5 % à 32,5 % des voix, le parti catholique, affaibli par les scandales, le clientélisme et la corruption, a perdu les deux grands soutiens qui lui avaient per• mis de dominer la vie politique italienne depuis la guerre. Le catho• licisme traditionnel n'existe plus. L'élection d'un pape polonais a amené l'Eglise à prendre quelque distance avec la politique locale, et l'évolution des mœurs a laïcisé la société qui échappe de plus en plus à la conduite du clergé. L'autre force de la Démocratie chrétienne était d'apparaître comme le seul rempart contre le communisme. Or celui-ci — et ce sera l'héritage laissé par Ber• linguer — fait beaucoup moins peur qu'autrefois, au point que le nouveau secrétaire général de la Démocratie chrétienne, Ciriaco de Mita, qui se veut un peu l'héritier de Moro, a déclaré que le P.C.I. était désormais un parti comme les autres. Ce n'est pas exact, nous avons vu pourquoi, mais des propos de ce genre, l'hostilité partagée qu'éprouvent communistes et catholiques vis-à- vis des ambitions de Bettino Craxi dont le parti n'arrive pas à dépasser le plafond des 10-11 % et le recul « historique » de la Démocratie chrétienne ne permettent pas d'exclure une nou• velle convergence entre les deux grands pôles de la politique ita• lienne maintenant à égalité. Ce serait — ironie de l'histoire — une victoire posthume de Moro et de Berlinguer.

FRANÇOIS PUAUX

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