© Charles Corlet, Éditeur ISBN 2-85480-194-6 ALBERT PIPET Histoire de Cerisy-la-Salle et ses environs

Charles Corlet Éditeur 22-26, rue de Vire 14110 Condé-sur-Noireau 1988 Du même auteur — La Trouée de Normandie. Presses de la Cité. Paris 1966. — Mourir à . Presses de la Cité. Paris 1974. Médaille de la ville de Caen. Grand Prix des Écrivains Normands. — D'Omaha à St-Lô. Histoire de la 29 DI US. Éditions Heimdal. Bayeux 1980. — Parachutés sur Ste-Mère-Église. Presses de la Cité. Paris 1984. Prix du Cotentin. Prix de la Fondation Victor Moritz, président de l'Académie des Provinces françaises. 1984. Cet ouvrage est publié sous l'égide de la municipalité de Cerisy et du Cartescentre etsocio-culturel dessins de l'auteur. du collège Heurgon-Desjardins de Cerisy.

CERISY : Diocèse et Élection de , Parlement de Rouen, Intendance de Caen. 456 feux. Il y a dans ce bourg plus de 500 métiers de toiles et coutils qui en fait toute la richesse et le trafic, ce qui fait que la moitié du terrain est semée en lin. On y tient un marché tous les samedis de chaque semaine qui relève du Seigneur qui est M. de Cerisy. Il y a un château et d'agréables dehors. Le seigneur présente à la cure qui vaut près de 2 000 Livres. Avant la Révocation de l'Édit de Nantes, il y avait un prêche pour les Calvinistes. Ce lieu est situé à trois lieues des villes de Coutances et Saint-Lô. Géographie du Royaume de par M. Dumoulin 1765, p. 146

Cherisie ou Cerisy jusqu'en 1732, Cerisy-la-Salle jusqu'en 1776, puis Cerisy-Caillebot ou Cerisy-Caillebot la Salle jusqu'en 1790. De 1926 à 1963 temporairement rattaché à l'arrondissement de Saint-Lô. Surface 1 685 hectares dont 109 ha de landes et bois au début du siècle. Situé au 49° de latitude nord. Altitude 168 m.

CHAPITRE PREMIER DES ORIGINES A LA GUERRE DE CENT ANS

Le Cadre : Situation et relief du canton de Cerisy Lorsque vous regardez la carte du département de la , si vous posez le doigt au centre, sans vous tromper vous êtes à Cerisy-la- Salle ou dans son canton, situé à une vingtaine de kilomètres de la mer entre Coutances et St-Lô. C'est une petite région qui subit l'influence de ces deux villes, tout en conservant un certain isolement puisqu'elle reste à l'écart des grands axes de communication. Petite partie du bocage normand, elle couvre une superficie de 13 261 hectares avec une population de 5 231 habitants répartis sur onze communes à prédomi- nance rurale. Ce canton au relief vallonné, d'est en ouest est traversé par une barre rocheuse très dure, ramification lointaine des Collines de Nor- mandie, parallèle à la vallée de la Soulles, portant le nom de « synclinal de Montmartin » qui de 28 m dans cette commune monte en pente douce jusqu'à 180 m au bois de Soulles à travers les communes d' (111 m) (148 m) et Cerisy (168 m). Prenant appui sur cette échine rocheuse, un plateau creusé par les vallonnements d'innombrables ruisseaux qui sont à l'origine de ce relief ondulant, descend lui aussi en pente douce vers la mer. Principale rivière du canton, la Soulles (41 km) prend sa source au pied de la butte de et se jette dans la Sienne au Pont de la Roque. Autre rivière La Vanne qui grossit la Sienne à Quettreville. Le Lozon et la Terrette prennent naissance dans la partie nord du canton. Des roches parmi les plus anciennes du globe Le sous-sol est constitué de roches sédimentaires antérieures à l'ère primaire (précambrien) nommées Phyllades de St-Lô. L'arête rocheuse du synclinal de Montmartin a été entaillée par la Soulles à Coquerel et la rivière de Rabec au Moulin de la Roque, des couches de grès quartzitique blanc et de schiste rouge furent exploitées dans une carrière. Le grès blanc mis à nu par l'érosion affleure au som- met de l'arête. Ces schistes du précambrien remontent à 3 000 millions d'années et se classent parmi les roches les plus anciennes du globe. Conglomérats et moraines fossiles L'ensemble des couches rocheuses servant d'assise à la région se rat- tache aux formations dites « du Briovérien » d'après l'ancien nom de St-Lô. Une importante zone de cisaillement traverse le canton sur l'axe Granville, , Cerisy, et St-Lô. Cisaillements et poussées affleurent en surface dans la vallée de la Soulles. Les lits de galets autrefois à l'horizontale se sont solidifiés dans la roche. On les retrouve figés selon toutes les pentes de l'oblique à diffé- rents niveaux ou comme on dit « en touches de piano ». Ces galets sertis dans un ciment siliceux proviennent de fonds marins ou fluviaux qui ont donné ces roches détritiques ou ces conglo- mérats. Les variations du niveau des côtes et du lit des rivières furent très importantes au quaternaire qui fut rythmé par quatre glaciations et réchauffements successifs, entraînant ainsi la fonte d'énormes quantités de glace. L'énorme calotte glaciaire qui couvrait la mer du Nord et le nord de l'Europe s'achevait à la hauteur de la Tamise. Nous étions donc bien situés en périphérie dans la zone des coulées de ce glacier gigantesque dont l'actuel Groenland serait le dernier vestige. La fonte des glaciers provoqua des coulées, ainsi que des moraines fossilisées depuis, sous forme de tillites et de bancs de phtanites, roches d'un noir de jais proche du silex de la craie, que l'on trouve à Quibou. Cette coloration est due aux traces de carbone et donc de matière orga- nique emprisonnée autrefois lors de la précipitation d'eaux siliceuses. Cette roche peut rougir au feu (1). Elle est la toute première dans l'ordre minéral qui annonce l'arrivée de la vie sur notre planète il y a près de trois milliards d'années.

Le menhir de « La Roche Bottin » au bois de Cerisy (1) Graindorge in Annuaire des 5 Départements 1977. Carte du relief avec au centre la vallée de la Soulles. Le lent travail des eaux depuis des millénaires. La Roche Bottin Selon la tradition, cette énorme pierre verticale de 2,50 m de hau- teur située au bois de Cerisy est un menhir de la préhistoire. Un mégali- the qui fut dressé entre 4 000 et 2 000 ans avant J.-C. Nombre de ceux-ci furent détruits au cours des siècles. Leur rareté chez nous ne fait qu'augmenter leur intérêt. A Caen, le musée de Normandie ne signale que deux menhirs seulement pour le centre du Cotentin, Feugè- res et Cerisy-la-Salle. Le menhir serait avant tout un monument signal, contrairement au dolmen qui n'est qu'une chambre sépulcrale. Le menhir fut dressé pour attirer l'attention sur un endroit qui cache une source, un gué, un pas- sage, un tumulus voisin, voire une table de sacrifice. Alors qu'en est-il de la Roche Bottin ? Tout le monde est bien d'accord pour reconnaître que cette pierre énorme a été abandonnée sur la crête de la hauteur par l'érosion et qu'elle fut bel et bien dressée par l'homme. Mais alors dans quel but si ce n'est tout simplement pour signaler la présence d'une table de sacri- fice à demi enterrée, aux dimensions respectables. Ce menhir forme un tout avec la table. Comme on le fait remar- quer, sa face principale est tournée vers l'Orient, le soleil levant, face au dieu Soleil symbole de toute vie. On pouvait célébrer ici le culte du soleil au milieu d'une clairière au sommet de la colline. Allons donc diront certains, ne voyez-vous pas qu'il s'agit d'une borne frontière abandonnée là lors des grands défrichements ? Elle aurait permis de délimiter une propriété avant la construction des haies. Hypothèse fort plausible. Mais alors il resterait à expliquer le pourquoi de cette énorme table au pied du menhir. Cette table nous montre bien que nous sommes certainement en pré- sence d'un monument religieux de culte païen étroitement lié au culte des astres. La comparaison avec une borne frontière n'est plus possible. Une conférence donnée au cercle archéologique de la Manche le 15 novembre 1858 par M. Parey avait pour titre La Roche Bottin. Or, on y lit ceci : « Certainement peu de lieux furent plus propices à l'érec- tion de monuments qui nous préoccupent, cette contrée de Cerisy avait un aspect sauvage et mystérieux, convenant aux cérémonies du culte druidique. Le menhir est situé dans le bois de Cerisy, la seule partie de cette contrée qui n'ait pas subi un commencement de défrichement. Après avoir démontré que cette pierre a bien été plantée par l'homme, le conférencier s'attarde sur la forme elliptique de la table, comme si elle avait été taillée. Sa surface est plate et présente un rebord de quelques centimètres qui existe tout autour. « Cette forme quoique naturelle, conclut-il, présente trop d'analogie avec celle que l'on donnait aux tables de sacrifice pour ne pas permettre de supposer qu'elle a été choisie et apportée là pour servir à cet usage ». De plus, de tous les blocs de grès des environs, c'est le seul qui pos- sède un nom fort connu auquel peut se rattacher une tradition superstitieuse. M. Parey fait allusion à la légende de Noël. Enfant je l'ai entendue raconter bien des fois, la voici : Carte de situation. Étoile de situation à cet endroit. « A minuit, la nuit de Noël, Lorsque de la ferme voisine le coq chantera, Trois tours sur elle, Elle fera ». Naturellement des fouilles furent aussi pratiquées afin de découvrir un trésor qui lui aussi fait partie de la légende. Ce monument de la Roche Bottin fut donc dressé par l'homme pour célébrer le culte de la vie. L'inventaire des découvertes archéologiques de la Manche dressé par Auguste Voisin en 1901 nous parle de deux menhirs classés comme monuments historiques dans la commune de Cerisy. Le second menhir n'est pas connu. Des haches ou coins en bronze au Pavage (1 500 ans av. J.-C.) Du côté de à Port Pignot dans le nord Cotentin, l'étude d'un gisement d'éclats de silex en bordure de mer, nous apprend que l'homme vivait ici il y a 400 000 à 300 000 ans environ. Ce sont parmi les plus anciennes traces d'habitat au monde. Si l'âge de la pierre dura un million 500 000 ans, on ne trouve rien de tel du côté de Coutances. On ne remonte qu'à l'âge du bronze avec la fusion cuivre-étain des années 2 000 à 750 avant J.-C. Elle offrait à l'homme un alliage facile à travailler permettant de forger des épées, des pointes de lance et des haches. Le Cotentin avec les îles voisines connut des échanges continuels avec les marchands d'étain de Cor- nouailles qui venaient livrer des lingots sur nos côtes. Un atelier de fon- derie avec moules fut découvert à Anneville-en-Saire. On y fabriquait en série des coins en bronze. Des haches en bronze furent découvertes en très grand nombre dans notre presqu'île comme récemment dans la tourbe à Marchésieux. A Ouville près de Coutances, nombre de haches furent mises à jour en 1816. M. de Vesly à Savigny en trouva sur sa propriété. A Muneville-le- Bingard on en rassembla 40 kilos et près de nous, une cache de 50 haches fut découverte au Pavage à Montpinchon en 1830. Aucune de ces haches ne fut utilisée comme outil. Elles sont souvent creuses, leur taille variant de 7 à 15 cm. Elles comportent une petite boucle sans doute destinée à les réunir par un lacet et sont ornées de fines nervures. L'opinion varie au sujet de ces dépôts. S'agit-il d'offrandes votives, d'un stock de marchands, de monnaie d'échange avant la découverte des métaux précieux, ou simplement un trésor enterré à l'approche d'un danger ? Le mystère de ces coins en bronze demeure. Les bienfaits de la Pax Romana On connaît la défaite de Viridovix chef des Unelles au Mont Castre en 56 avant J.-C. et avec la domination romaine, la soumission des tri- bus du Cotentin aux nouveaux maîtres. Coutances occupée par une importante garnison devenait siège d'un préfet. La ville y perdait son nom de Cosedia pour devenir Constantia en hommage à l'empereur Constance Chlore. A part quelques monnaies romaines découvertes à Ouville et des Le Doyenné de Cenilly au début du XIV s. vases et médailles trouvés à Monpinchon comme le note Léopold Que- nault à la page 66 de son livre « Recherches archéologiques sur la ville de Coutances », notre canton n'a guère de souvenirs de cette époque. Les fameuses voies romaines si nombreuses dans la presqu'île à cause de son intérêt stratégique sont inexistantes chez nous. On se contenta de renforcer les chemins gaulois qui déjà existaient comme ce fut le cas pour le chemin de Coutances à St-Lô ou plus près de nous celui du Pavage. Cependant la civilisation gallo-romaine a laissé des traces à travers les noms de lieu. De grands domaines vont s'ouvrir à la culture et cha- que domaine ou villa prendra le nom de son fondateur. Ainsi Savigny à l'origine n'est autre que le domaine de Sabinus tout comme Cerisy le domaine de Cerisius ou Ceratus. Des noms d'hommes qui pouvaient être après tout de respectables gaulois. Certains avancent que la racine « cera » cire suggère une réminiscence de la symbolique du baptême. Cette hypothèse est-elle plausible ? A signaler plus tardivement l'influence scandinave qui sera attestée par les noms d'Ouville (Ulfi), la Hogue (hauteur) et des patronymes connus comme Turgis, Osouf, et Angot. Ces derniers ont donné leur nom aux villages de l'Osouvière et de l'Angotière à Cerisy. Le déterminant « la-Salle » fut ajouté à Cerisy au XVIII siècle par Louis Caillebot se référant au fief de la Salle du Mesnil-Thomas (Eure- et-Loir) que sa famille avait vendu. En 1722 le fief de Montpinchon fut érigé en « marquisat de la Salle », Montpinchon devint simplement La Salle, puis Caillebot-La-Salle. Et comme Cerisy relevait de Montpin- chon, ce seigneur obtint qu'à partir de 1732, Cerisy s'appelât aussi La Salle, ce qui fort justement, allait permettre de le différencier de Cerisy-l'Abbaye qui deviendra Cerisy-la-Forêt. Pendant environ 15 années, Cerisy s'est aussi appelé Cerisy Caillebot-la-Salle de 1776 à 1790, le décret du 20 juin 1790 n'a fait que confirmer l'appellation actuelle. Pour finir, n'oublions pas le latin « Cerasus », avec lui, Cerisy serait « le pays des cerisiers ». Grandes phases de défrichage De grandes vagues de défrichage virent disparaître les étendues boi- sées qui recouvraient notre région. Comme on vient de le voir, les pre- miers grands domaines furent exploités par les gallo-romains alors qu'un vague défrichement avait été commencé dès l'âge du bronze et les Gaulois excellents agriculteurs ne furent pas en reste ! Entre les XI et XIII siècles, de nouveaux défrichages au tissu plus serré vont recouvrir notre région de noms propres. Ce ne sont plus les paroisses entières souvent issues d'un grand domaine que l'on désigne ainsi mais bien une fourmilière de villages et de modestes hameaux. Chaque vague de défrichement est la résultante d'une nouvelle crois- sance de la population avec la mise en valeur de nouvelles terres. Cette fourmilière de villages et hameaux souvent terminés en « ière » ou « erie » remplit tous les vides et crible la carte de la paroisse, le tout s'effectuant par morcellements successifs à la suite de partages. Ces partages sont venus se concrétiser sous nos yeux par toutes ces haies qui font office de clôture d'une propriété dans une région de bocage comme la nôtre. Ceci nous amène à parler de clôture au lendemain du défrichage. Autrefois les animaux domestiques vivaient en parfaite liberté dans les bois. Le défrichage ayant pour but de mettre en valeur une terre par les cultures, on sera dans l'obligation de se clore à cause des animaux errants. Quelques pieux avec une légère palissade de bois vont marquer la première étape de la conquête par l'homme d'un coin cultivé et cela d'une façon provisoire. La palissade de bois sera suivie d'une haie qui cette fois viendra marquer de façon définitive les limites du domaine. A la clôture provi- soire d'un bien provisoire, la haie viendra sceller les limites d'un droit de propriété définitif. L'évolution de la clôture marque toute l'évolution de ce droit. Si l'on s'en tient aux noms de villages on peut avancer qu'au XIII siècle Le Pesnel et Le Breuil étaient des terres récemment défri- chées entourées de pieux et de palissades au milieu de taillis. Par contre plus au sud, « Le Deshayes » était un domaine de fondation plus ancienne puisque son propriétaire l'avait déjà entouré de « haies » pour le délimiter de façon définitive. Les haies ont donné leur nom au village qui a conservé son « y » alors que le nom commun l'a perdu. Ce petit coin de bocage nous étant familier, jamais nous ne pensons à ce travail gigantesque représenté par ces millions de mètres cubes de terre qui furent remués par l'homme pour construire nos haies. Aujourd'hui si l'on parle de haies c'est bien pour les détruire. Ce travail de clôture est sans doute le travail le plus gigantesque et le plus ignoré qui a été réalisé par l'homme pour protéger ses cultures et façon- ner son environnement. Au début du XII siècle on peut considérer faute de documents que la paroisse regroupait une dizaine de hameaux. Le plus important par sa situation près du château prendra la tête avec la construction d'une église. Première évangélisation : (V siècle) Les invasions normandes ayant fait table rase de tout ce qui pouvait représenter le christianisme, l'évangélisation de notre presqu'île est mal connue. A cause justement de l'insécurité des côtes un diocèse éphémère avec Léontien aura son siège à St-Lô. La première évangélisation des campagnes sera surtout le fait de moines appartenant à des monastères fondés par des évêques comme celui de Scissy fondé par St-Pair évêque d' (2). Aux dires de l'abbé Canu dans l'Histoire des Évêques de Coutances p. 30 et p. 90, le monastère de St-Pair joua dans ce rayonnement un rôle assez important puisqu'il fonda des maisons religieuses à Chausey, Pierrepont, Orval et Cenilly. Le monastère de Scissy et sa forêt disparu- rent au cours du cataclysme de 709 mais la controverse place cette date bien antérieurement.

(2) Aux VI et VII siècles étaient fondés les monastères d'Orval, de Portbail, de Nant à St-Marcouf, le Ham, St-Fromond (?) et Scissy ou Sessiac à St-Pair. Géographie du Royaume. Dumoulin 1765 généralité de Caen. Élection de Cou- tances partie Est. Remarquer les importantes retenues d'eau sur la Soulle au sud de Cerisy (qui comptait 456 feux en 1763). Vers les VI et VII siècles, une maison religieuse portant sans doute le nom de Ste-Marie de Cenilly (?) existait près de chez nous et contri- bua à l'évangélisation de la contrée. Les pirates Normands s'acharnant ensuite à tout détruire, l'évêque Lista réfugié à St-Lô fut tué et Coutan- ces y perdit le monastère de Potentin et son premier aqueduc. La mai- son religieuse de Cenilly disparut elle aussi. L'histoire seule en a gardé le souvenir. Au moment des invasions normandes, notre Cotentin appartenait aux Bretons, on l'appelait « la Terre des Bretons ». Le domaine voisin de auprès de Cerisy était la propriété des évêques de Nantes (3). Naissance et croissance du bourg De nombreux facteurs peuvent entrer en ligne de compte, la physio- nomie du relief et la volonté de l'homme résument l'essentiel. Dans cet ensemble de lignes de crêtes orientées est-ouest que nous connaissons, Cerisy se présente comme un point de passage où l'axe nord-sud peut franchir plus facilement la vallée de la Soulles grâce à la coupure de la rivière de Rabec. Cerisy étant donc un créneau dans une ligne de crête, ce point d'intersection entre deux axes deviendra aussi point de convergence, et plus simplement un nœud routier. Ouvrez une carte de notre région et vous y verrez « sauter aux yeux » cette convergence de routes vers le bourg qui fait penser aux plis d'un gigantesque éventail déployé sur la rive nord de la Soulles et qui aurait Cerisy pour centre. Nous pensons qu'un modeste village, le village Esneye pouvait exis- ter à proximité d'un point d'eau. Creuser un puits sur cette crête devait être une entreprise importante. La véritable implantation de l'église comme du bourg sera le fait du seigneur. Le bourg deviendra le gros village du château auquel il sera réuni par deux majestueuses avenues. La seule mise en valeur possible de cette crête où le rocher affleure était d'y attirer commerçants et artisans afin d'en faire un centre d'activité et d'échanges c'est-à-dire un marché. L'humble village Esneye voyait se développer à la croisée des chemins, un centre commercial et adminis- tratif autour de la place que nous connaissons aujourd'hui. Si le fameux réflexe d'auto défense de villageois s'établissant à l'ombre d'un château peut parfois faire d'un bourg un faubourg satel- lite du château, nous pensons que la fondation du bourg doit beaucoup plus au travail des champs et à sa vocation rurale qu'à tout le reste. L'essor du bourg est avant tout d'ordre économique. Pendant la guerre de Cent Ans la population de Cerisy ne devait guère dépasser les 300 habitants. En plus de différentes corvées les habi- tants devaient assurer le service du guet. Montpinchon en 1428 comptait environ 450 habitants avec 90 feux. Chaque foyer devait payer 10 sous pour être exempt de guet aux murailles de Coutances. Celles-ci furent rasées sur ordre de Louis XI en 1468.

(3) En 911 Traité de St Clair s/Epte. Charles Le Simple cède à Rollon chef normand, la Normandie. Naissance de la paroisse La paroisse est une circonscription ecclésiastique qui se forma à par- tir du VI siècle dans les villes mais beaucoup plus tardivement dans les bourgs et domaines ruraux. Fondation ou dédicace, telle est la première preuve en date qui vient attester l'existence d'une paroisse. Ainsi à St-Pierre de Marigny, la dédicace fut faite par l'évêque Geoffroy de entre 1048 et 1093 à la demande du seigneur Robert de Rémilly qui donnera en dot à l'églige, le bourg qu'il venait de faire construire. L'histoire de la paroisse de Cenilly commence également le jour de sa fondation en 1131 lorsque l'église fut donnée par Jourdain de Say et Luce son épouse au monastère d'Aunay. La dédicace de la magnifique église romane de Savigny, la mieux conservée du diocèse se situe vers 1128 (4). En ce qui concerne Cerisy, il n'existe aucun document sur les origi- nes de la paroisse, liée certainement à la famille de , qui possédait aussi la terre de Montpinchon. La première implantation religieuse con- nue est celle de l'existence d'un ermitage à la Foucherie en 1226 dépen- dant de l'abbaye d'Aunay. Où il est question de la paroisse de Cerisy : (1263) Le premier document qui vient attester l'existence de la paroisse de Cerisy se trouve dans les archives de l'Hôtel-Dieu de Coutances. On y parle en 1263 d'un certain Symon du Breuil et de son moulin dit mou- lin du Breuil, situé sur la paroisse de Cerisy-sur-Soulles « sito in paro- chis de Cereseio super Solam ». La paroisse de Cerisy existait donc en 1263. Un autre document postérieur d'un siècle concernant un héritage de la sergenterie de Mauffras est beaucoup plus explicite. Parmi les témoins cités on notera « une femme Perrotte déguerpie (veuve) de Jean Touroude de la paroisse de Cherisie, âgée de 55 ans, dépose qu'elle aida à donner crestienté à la dite Thomine et la tint sur les fons de l'église de Cherisie » (cf. HDM 66, p. 104). Tel est le premier texte connu où il est fait mention de l'église et de ses fonds baptismaux. En l'absence de document plus précis nous dirons donc que l'église de la paroisse St-Pierre et St-Paul de Cerisy connut une dédicace assez tardive que nous situons au XIII siècle. La paroisse était rattachée au doyenné de Cenilly.

de Montbray(4) La dédicace eut lieu de lel'église-mère, 8 décembre la1056. cathédrale Notre-Dame de Coutances par Geoffroy Le Doyenné de Cenilly d'après les plus anciens documents connus (1320) (1332)

La doyenne de Cenilly avant la Révolution (1765)

Le Doyenné de Cenilly comptait au XIV siècle 16 paroisses en moyenne Contrières et Soulles étaient de rattachement récent puisque le manuscrit Y 29 de la Bibliothèque de Rouen daté de 1320 n'en fait pas état. Les droits de patronage du Pont Brocard revenaient aux Templiers. Le montant des bénéfices est extrait du pouillé de 1332, d'où St- Sauveur de Bonfossé a disparu. Appellation la plus ancienne : Cenilly : Senilleio, Belval : Bella valle en 1210. : Campo Motoso 1216, Karentelago 1056, de Carantilus nom gallo-romain. Cerisy : Ceriseio 1258, Cerisiaco 1280, Ceraseium 1284. Dangi en 1210. Guéhébert : De Vado Heberti 1180. Marigny : Marineio et Marigneium. Montpinchon : Monte Pin- ceon 1180. Pont-Brocard : Ponte Brocardi en 1280. Roncey : Ronceio. St-Denis le V : Sancti Dyonisii Vestiti 1200. Savigny : Savigneio 1280. Sancti Martini de Cenilleio 1280. Le vocable : paroisse St-Pierre et St-Paul Le titulaire d'une église donne son nom à cette église à perpétuité. C'est sous ce vocable qu'est dédié le maître-autel. En principe, les dédicaces de Saint-Pierre furent les premières et pré- cédèrent toutes les autres. La fondation de notre paroisse étant tardive et sans doute postérieure à Montpinchon, il faut croire que d'autres facteurs ont pesé sur le choix de ce vocable. Le seigneur de Cerisy avait-il une dévotion particulière pour St-Pierre ? Était-ce tout simple- ment son propre prénom ? Nous ne le saurons jamais. Bien que notre église soit placée sous le double vocable de St-Pierre et St-Paul, l'ancien régime ne connut que St-Pierre de Cerisy. Il en fut de même à Périers. De même la fête patronale ne connaît que le nom du premier apôtre. L'église eut d'autres dédicaces comme nous le verrons à la suite d'importants travaux. Dédicace ou consécration d'une église est le seul fait de l'évêque car lui seul détient la plénitude des sacrements. Cette consécration a pour but de faire pénétrer dans le monde profane quel- que chose de la sainteté divine « jusqu'à que surgisse la nouvelle terre qui sera totalement imprégnée de son appartenance à Dieu ». C'est au moment de sa consécration que l'église reçoit son titre ou vocable. Toute église paroissiale est filiale de l'église-mère qui est l'église cathédrale. Et le vrai curé d'une paroisse c'est l'évêque. Le curé qu'il nommera n'aura qu'un pouvoir délégué. Voyons maintenant l'administration civile. La Vicomté ou Élection de Coutances et la sergenterie de Mauffras (Justice) La Vicomté de Coutances dont dépendait Cerisy appartenait au bail- liage du Cotentin, généralité de Caen. Elle comprenait Coutances et les 136 paroisses de « l'élection » avec 22 615 feux et 16 sergenteries fief- fées. Ces sergenteries assuraient un service de police avec la charge de faire respecter les droits seigneuriaux et les assignations en justice. Le ressort d'une sergenterie s'étendait sur plusieurs paroisses dont le nom- bre variait suivant les démembrements (la Vicomté deviendra ensuite « Élection »). La sergenterie de Mauffras, la nôtre, avait son chef assis en la paroisse du Mesnil-Aubert et appartenait à la famille de Mauffras puis à la famille Escoullant qui donna son nom à l'Escoulanderie à Coutan- ces. La dite sergenterie étendait son ressort sur les paroisses de Coutan- ces, , Gouville, St-Malo de la Lande, Boisroger, Tourville, Saussey, Quesnay, Contrières, Quettreville, Muneville, Cenilly, Mont- pinchon, Cerisy, Carantilly, Cametours, Roncey, Savigny, Servigny, la Vendelée, le Homméel, Blainville, Anneville, Angoville, , Agon et Linverville d'après l'aveu du 5 octobre 1397. Un siècle plus tard avec la famille Escoulland il n'y a plus que les paroisses de Cenilly, Montpinchon, Cerisy, Carantilly, Cametours, Ron- cey, Savigny, La Vendelée, le Homméel, Blainville, Anneville, Geffos- ses, Linverville et Agon. Et dans la liste des fiefs qui sont répartis à l'intérieur de la paroisse de Cerisy on trouve : — Germaine déguerpie (veuve) de Jouet de Grimouville tient à Cerisy « ung demy fieu de haubert ». — et Robert de Pierrepont qui tient à Cerisy de M. Eustache de Pirou « ung fieu de haubert » en 1427. Jean Augustin Drieu, sergent royal à Cerisy Jean Augustin Drieu était sergent royal de la juridiction de Coutan- ces pour la sergenterie de Mauffras en résidence ordinaire à Cerisy. Il était chargé de faire les sommations d'audience de comparaître aux plaids ou cours de justice de la seigneurie de Cerisy qui se tenaient près de l'église à 10 h du matin. L'annonce ou criée était faite par le sergent à la sortie de la messe. Le seigneur se faisait représenter par un officier de justice ou sénéchal qui jugeait tous les différends entre le seigneur et ses tenanciers. Un reçu du seigneur de Cerisy est ainsi libellé : « J'ai offert à Bricqueville pour faire tenir les plaids dix livres. Juillet 1702. » CHAPITRE II PENDANT LA GUERRE DE CENT ANS

Pendant la Guerre de Cent ans En 1346, Édouard III d'Angleterre avec son armée, guidé par le traître Geoffroy d'Harcourt débarque à St-Vaast, pour reprendre la couronne de France. Froissard dans ses Chroniques nous dit que le bon et gras pays de Normandie était brûlé, pressuré, volé, endommagé et pillé par les Anglais. « On ne vit que pillage et assassinats. Les paysans étaient écra- sés sous les impôts. La famine, les maladies contagieuses et les ravages des loups mirent le comble à ces désastres. Les terres restèrent en fri- ches. Une foule de paroisses se trouvèrent complètement dépeuplées. Le nord du Cotentin jusqu'à la ligne de l'Ouve fut transformé en un désert de terre brûlée. Protection excellente pour une tête de pont anglaise sur le continent. En un seul raid, Réville et Tourlaville eurent 174 maisons d'incendiées. La tactique d'Édouard III se résumait à cette boutade : « Guerres sans incendies ne valent rien, Pas plus que andouilles sans moutarde ! » Au sud de l'Ouve, la région de Coutances ne fut pas épargnée. Tho- mas de Marest curé de St-Nicolas de Coutances note « qu' » à l'appro- che des Anglais les gens du pays de Coustances, nobles, bourgeois et laboureurs, s'enfuirent en des pays estrangers surtout en Bretagne ». En 1387, il ne subsistait à que le quart ou le sixième de la population, tout le reste était parti. Les des Anglais venus des îles voisines mettaient en coupe réglée la région. Le moulin de Lengronne était hors d'état de fonctionner, les alentours en friches. De même à Heugueville. Le bourg de Torigny sera mis à sac en 1388 (1). Pendaisons de patriotes Face à ce pillage organisé, des laboureurs de la région de Coutances

(1) Avec l'exode massif des paysans, ronces et broussailles envahirent à nouveau les terres défrichées ce qui fit dire « que les bois sont venus en France par les Anglais ». décidèrent de faire payer tous ces crimes à l'occupant. Le chef Richard Lemarié avec ses trois fils de Marigny était à la tête d'une bande de résistants, attaquant les colonnes, incendiant les ponts, montrant ainsi aux Anglais qu'ils n'étaient pas en sécurité dans nos campagnes. On a retrouvé une liste de 304 pendus parmi lesquels figurent sans doute des résistants ainsi Guillaume Adde de Roncey pendu en 1426, de même Martin Bogier de Montpinchon, Jean Lemeret de Quibou, Jean Prioult de Montpinchon et Jean Fenoyer de . Richard Lemarié à part sera décapité.

Heurs et malheurs à Coutances du « pôvre » Jehan Donvillet de Cenilly « Jean Donvillet povre homme simple cousturier de ND de Cenilly, âgé de 55 ans ayant fame et sept petiz enffants, et but tant à la taverne qu'il fut cheu en yvresse et en tel estat que par trop boyre, il ne savait qu'il disait ne qu'il faisoit, mais allait par les rues de la dicte ville sans chaperon comme un fol démesuré. Et ce dit jour, en yssant à la porte d'icelle ville par l'aide de deux de ses voisins qui l'emmenoient et tenaient par dessouz ses deux aisselles, luy, estant ainsy abuvré (abreuvé) dist aux portiers de la dicte porte qu'il avait été prisonnier par deux fois des Armignaz mais encore les aimait-il mieulx qu'il ne faisait les Anglais, et amait mieulx le roy de France Charles qu'il ne faisait le roy Henry d'Angleterre. Pour la quelle cause il fut mené au Lieutenant du capitaine de Coutances et lui fist la même réponse qu'il aimait mieulx le roi Charles. Il fut mené vers le Vicomte et lui fist la mesme response. Et pour cette cause le dit vicomte l'envoya et fit met- tre prisonnier en nos dictes prisons au dit lieu où il a esté détenu pour ce par l'espace de deux mois ou environ es fers et en la fosse à grant povreté et misère. Et pour le dit cas a esté mis en jugement es Assises du dit Coutances. Et a esté le dit suppliant prins par serment de dire et rapporter la vérité de ce qui en estoit : lequel en a rapporté et dit ou déposé par le serment que il ne savait ne n'avait aulcune mémoire que il en eus aulcune chose dit ne parlé. Et si fu tesmoigné par le geolier des dictes prisons que il était allé l'endemain devers lui en la fosse où il estait es fers, mais il l'avait treuvé encore endormy et lorsqu'il l'avait esveillé, avait esté iceluy suppliant tout esmerveillé où il estait. Et quand il se trouva enfermé et en la dicte fosse commença à plourer et commença à demander qui l'avait mys ylec et pourquoy il y estait « Après l'audition des témoins, il jura par son âme » que il nous aimait mieux qu'il ne faisait les aultres nos adversaires. Sur quoy le Lieutenant du bailly qui tenait les assises examina plusieurs témoins qui déposèrent qu'il avait dit les dictes paroles, mais aussi qu'il estait adonc en l'estat et yvresse dessus dicte « Si donnons en mandement de le mettre en liberté...». Donné à Mantes le 10 décembre 1431, le II de nostre régne. Chronique du Mt-St-Michel Siméon Luce 1879, p. 300. Notre Jehan Donvillet l'avait échappé belle ! p. 14 (Histoire de N.D. de Cenilly par l'abbé Ménard).

Panoplie réservée aux « anemys » du Roi Dans la panoplie réservée aux « anemys » du roi il existait d'autres douceurs comme verges, coups de fouet, cachot, étranglement et enfouissement. En voici des exemples. Un mandement de Hugues Spencer bailli du Cotentin à Coutances daté du 4 juillet 1435, enjoint de payer à Bertrand Leroux « maistre des haultes œuvres » une somme de 15 sols tournois « pour sa paine et sal- laire d'avoir battu de verges à jour de marchié, au dit lieu de Coustan- ces, ung nommé Richard de Grandouit de la paroisse de Cenillie, à ce condamné par sentence de justice ». En 1432, un tailleur de la même paroisse, Jehan Donvillet sera jeté dans la prison de Coutances pour propos désobligeants envers le roi d'Angleterre, car il avait déclaré qu'il aimait mieux les Français que les Anglais. Il sera mis aux fers dans une basse fosse. Quittance donnée à Guilbert Foison maréchal pour une somme de 23 livres en paiement de travaux de forgerie exécutés aux basses prisons de Coutances et au Moulin Huet à Gavray le 31 octobre 1443. Et 50 sous tournois sont versés à Guillaume Myart maistre exécuteur des haultes œuvres « pour avoir trayné, pendu et estrangly au gibet le corps du dit Gaultier Fessard » (A 3917 et sq.). Le seigneurs de Dangy et la prise de St-Lô (1417) Ce sont deux seigneurs de Dangy, les chevaliers Tesson et Guillaume de Carbonnel qui commandaient la place forte de St-Lô au moment de l'arrivée des Anglais. Vaincus par le nombre, le 12 mars 1417, ils se rendirent à Jehan de Robessard général anglais à condition que les habitants et hommes d'armes aient la vie sauve. « Mais tous les vivres et victailles avecque toute manière d'artillerie, c'est à sçavoir lances, arcs, arbalestres, fleiches, veritons, poudre, canons et austres abillements de guerre qui sont en la dite ville de St-Lô, demourront en ycelle sans aulcune brûllerie ne aultre obstruc- tions quelconques. Et ce promettons, les dits messires Jehan Tesson et Guillaume de Carbonnel chevaliers, capitaines d'ycelle ville sur nostre foy ». (Echiqu. de Normandie, p. 267). Le fléau de la peste et une abominable famine Comme un malheur ne vient jamais seul, au pillage des Anglais vin- rent s'ajouter de terribles épidémies qui engendrèrent une grande morta- lité en 1348, 1362 et 1369, qui emporta les 2/3 des hommes et des fem- mes « Les guerres, les loups et la tierce mortalité, tout ensemble com- mença » rapporte le prieur de la Bloutière. On parle surtout d'une affreuse peste noire suivie d'une abominable famine. A Carentan, la paroisse fut dans l'obligation d'ouvrir un second cimetière. L'évêque du diocèse, Guillaume de Thieuville sera emporté par le fléau dans son château du Mesnil-Garnier. Pour comble, les hivers qui suivirent furent d'une dureté impitoyable. Cerisy fut-il touché par ce fléau ? On ne le saura jamais. Jehan de Grimouville seigneur de Carantilly obtint un délai pour faire son aveu, « étant donné que la mortalité est moult grande en son pays ». A Gavray, la mortalité était si grande « qu'il n'y est pas demouré la moitié des gens et il en meurt chaque jour à très grand nombre. « Vous ne sortirez plus de cet asile » La lèpre avait connu une nouvelle expansion à la suite des croisades. Comme il n'existait aucun remède pour lutter contre ce mal qui ron- geait les chairs, on isolait le malade chez lui bien souvent quand il ne se cachait pas dans les bois. Des maladreries placées sous l'autorité du roi, d'un seigneur, d'une abbaye existaient un peu partout. Louis VIII en 1225 attribua 100 sols à chacune des 2 000 léproseries de son royaume. Dès qu'un lépreux était signalé dans une paroisse, on allait le cher- cher en procession et à la messe on lui lisait l'évangile de la guérison du lépreux. Puis ensuite il entendait cette prière : « Vous êtes à jamais séparé du monde. Vous ne sortirez plus de cet asile sans être accompagné de votre clochette que vous sonnerez pour avertir les passants de votre approche. Vous n'ôterez point votre cha- peau. Vous ne parlerez à personne le long de la voie, excepté à ceux qui vous interrogeront et dans ce cas, vous prendrez soin de prendre le des- sous du vent, de crainte qu'ils ne soient souillés de votre haleine. Si vous allez dans les prairies et les lieux boueux vous n'empoignerez pas une branche pour vous aider à gravir un fossé, qu'auparavant vous n'ayez mis des gants, de crainte que si quelqu'un venait à la prendre après vous, il ne contractât votre maladie, » cité par l'abbé Canu, p. 177). Une léproserie exista sans doute aux environs de Cerisy. A Cenilly, les religieux d'Aunay étaient tenus de laisser une gerbe du meilleur blé par maison pour les lépreux ou pour le trésor quand il n'y en a point (2).

(2) A Marigny, le chapelain de la chapelle St-Léger veillait sur les lépreux de six paroisses voisines (1663). CHAPITRE III L'ÉPOQUE FÉODALE

La Noblesse. Les Seigneurs de Cerisy La terre appartient au roi qui l'a reçue en dépôt de Dieu. En Normandie, elle appartient au duc Guillaume le Conquérant qui l'a distribuée à ses compagnons les barons. Chaque baron recevait une terre de cinquante ou cent manoirs par exemple, suivant ses mérites. Il en gardait quelques-uns pour lui-même. Le reste, il le distribuait à des vassaux qui seront redevables du service de la chevalerie. A leur tour, ces chevaliers-vassaux conservaient une ferme ou manoir à proximité du château. Le reste des terres était confié à des laboureurs roturiers qui naturellement, devaient en contre-partie des redevances en nature ou en travail. Les grands fiefs étant héréditaires, la noblesse formait une classe à part vouée au métier des armes, elle versait l'impôt du sang. La société féodale du haut en bas de l'échelle était régie par un enchaînement de contrats et serments qui liaient cha- cun des membres au suzerain. Pour prendre possession de son fief, le vassal rendait hommage à son suzerain, en fait de quoi il devait le ser- vice d'ost, le guet, l'assistance aux plaids ou cour de justice et une rede- vance : la taille, sans parler d'un nombre déterminé de journées, les corvées, afin de veiller à l'entretien des chemins, du moulin, participer aux charrois, faire les foins, etc. Moyennant un droit de banalité, il était tenu d'utiliser le moulin, le four et le pressoir du seigneur. Quant au suzerain, il était tenu de protéger son vassal et de lui rendre loyale justice. Tout manquement à la foi jurée était une félonie. Au début de l'ère féodale, suite aux incursions normandes, il sem- blait que le principal danger pour notre « litus saxonicum » venait tou- jours de la mer. Ainsi s'explique cette chaîne de défense de puissants barons établis en bordure des côtes à la Haye-du-Puits, Bricquebec, St- Sauveur-le-Vicomte, Pirou et La Haye-Pesnel. Ces seigneurs étaient extrêmement riches et leurs terres ne se comptaient plus. La famille de Pirou La paroisse de Cerisy faisait certainement autrefois un tout avec celle de Montpinchon. Au début de notre millénaire, aussi loin que l'on puisse remonter, on trouve la trace de l'une des familles les plus ancien- nes de notre province, les de Pirou (1). Cette seigneurie fondée par deux frères est éteinte depuis longtemps. Elle possédait de nombreux fiefs dans la Manche. Olivier de Pirou regroupait les terres du nord Cotentin à Ferman- ville, Beaumont, Ste-Mère-Église, Carentan tandis que son frère Jean possédait des biens dans le Coutançais à Lengronne, la Meurdraquière et Montpinchon-Cerisy. La filiation est difficile à suivre car les seigneurs prenaient le nom de leur terre, ou simplement une seule de leur terre un Guillaume de Pirou pouvait se faire appeler Guillaume de Montpinchon. Aussi rien d'étonnant à ce qu'on trouve des Robert de Cerisy ou des Olivier de Cerisy même si ce sont des membres de la famille de Pirou. Parmi les seigneurs normands qui accompagnèrent Guillaume le Conquérant lors de la conquête de l'Angleterre en 1066 on cite un de Pirou. Son fils Guillaume, écuyer d'Henri I roi d'Angleterre et duc de Normandie était parmi les infortunés chevaliers qui se noyèrent en 1120 dans le naufrage de la Blanche Nef. Lors de la conquête de l'Angle- terre, un chevalier de Pirou recevra le château de Stoke dans le Som- mersetshire. Un Guillaume de Pirou deviendra Grand Sénéchal de Nor- mandie. Lors de la déchéance de Jean sans Terre, les chevaliers se sou- mirent à Philippe Auguste. Nous voyons un Richard de Pirou jurer fidélité avec l'ensemble des barons. C'est encore un Thomas de Pirou que nous retrouvons pendant la guerre de Cent Ans luttant aux côtés de d'Estouteville avec 119 gentilshommes normands lors du siège du Mont Saint-Michel par les Anglais. La lignée de cette famille est totalement éteinte, elle avait pour armes : « De sinople à la bande d'argent cotoyée de deux cotices de même ». Cet écu sera repris par la famille Richier qui y ajoutera « un lion d'or passant au chef ». Les cinq fiefs nobles de la paroisse A la suite de plusieurs démembrements de la seigneurie de Montpin- chon, la paroisse de Cerisy comprendra cinq fiefs nobles : 1) Premier démembrement à une date inconnue du fief du Breuil. Fief à part qui relèvera des seigneurs de Pierrepont et de Clérel- . 2) Le fief de Bray avant d'appartenir au seigneur de Cerisy, il était dans la mouvance de la famille de Say. 3) Troisième démembrement : Marie de la Lande Dame de Cerisy et de Montpinchon épousa en 1389 Jean de Guerrots. Celle-ci devenue veuve, épouse en secondes noces Pierre de Farcy. L'héritage de Marie de la Lande sera donc divisé en deux parts : — Pierre de Farcy reçoit la Petite Seigneurie. — La famille de Guerrots la Grande Seigneurie.

(1) Nous recommandons au lecteur le solide ouvrage « le Marquisat de la Salle » d'Edmond Lemonchois paru en 1982, fort documenté, qui ajoute de nouveaux développe- ments à ce chapitre. Un aveu d'Avril 1410 nous apprend que « Guillaume de Grimouville tient de Pierre de Farcy à cause de sa femme ung membre de fief assis en la paroisse de Cerisy avec tous les droits de patronage sur l'église et sur la paroisse » (la Petite Seigneurie). Puis Guillemette de Grimouville fille du précédent épousera Richard Richier, premier du nom. Enfin, le fief de la Grande Seigneurie sera acquis par Jean Richier le 30 septembre 1619 à Gaspard de Guerrots devant les tabellions de Qui- bou. Les deux principaux fiefs de la paroisse (la Grande Seigneurie cou- vre à elle seule les trois quarts des terres de Cerisy) sont désormais réu- nis sous le même chef. On verra ces fiefs tantôt réunis, tantôt séparés et les seigneurs porter le titre de seigneur de Cerisy ou de Bray, ou les deux à la fois. 4) Le fief noble de la Guerrière le plus récent appartenant à la famille Bazire. Étendue des cinq fiefs 1) Le fief de la Petite Seigneurie ou fief de Grimouville, c'est celui du château de Cerisy avec les aînesses voisines, fief du Fresne, de Lau- nay, du Coudray et au Gouy et la ferme de la Basse-Cour. L'aînesse est le chef-lieu d'un héritage roturier divisé entre frères et dont l'aîné est tenu de répondre au seigneur de Cerisy pour l'ensemble des biens de son aînesse. Les tenanciers de ces fiefs roturiers rendaient aveu au sei- gneur de Cerisy. 2) Le fief de la Grande Seigneurie, famille de Guerrots, c'est de loin le plus important. Le domaine non fieffé comprend le manoir de la Hutière et la ferme des Rebressières. Suivent les fiefs roturiers sui- vants : Fief du Valjouais ou Valjoie, Fief Henry et Savary, Fief de la Nicollière, Dainière, Doublière, Vionnière, Lasnier ou Basnier, de Rabec, des Marettes-Forestier, de la Royauté, de la Sagerie, la Musar- dière, la Pellerie, le Calenge, l'Aubrière, le Fief au Bourgeois, La Mariavallière, la Foucherie et la Guerrière. Tous les tenants de ces fiefs rendent aveu au seigneur de Guerots qui lui aussi était « seigneur de Cerisy en sa partie ». 3) Le fief de Bray comptait cinq aînesses roturières : La Rimon- dière, Enguerrand-Malescause, la Mazure, La Lucassière et la Croque- tière. L'Ourselière étant le manoir seigneurial. Les seigneurs de ce fief étaient apparentés aux de Guillebert seigneurs de Dangy et relevaient de la seigneurie de Marcambie à Cenilly. Ce fief avant la Révolution sera acquis par Guillaume Richier. 4) Le fief du Breuil, le premier démembré de la seigneurie de Mont- pinchon comprenait le fief de la Foucherie en partie et le moulin du Breuil. 5) Le fief de la Guerrière appartenant à la famille Bazire était tantôt rattaché à la Grande ou à la Petite Seigneurie et possédait des biens sur les paroisses de Cerisy et Montpinchon. Le fief du Breuil. L'Ermitage de la Foucherie Les documents les plus anciens de notre histoire datent surtout du XIII siècle. Ils émanent de Guillaume de Pirou et du seigneur du Breuil. Guillaume de Pirou et son épouse Ybrée de Tracy vont doter l'Abbaye d'Aunay fondée en 1131 en lui cédant le fief de la Motinière à Montpinchon et des biens situés près d'un bois à la Foucherie sur Cerisy, qu'on appellera « l'Ermitage ». La donation suivante de 1226, faite par un Guillaume de Pirou des- cendant du premier, à Pierre Le Pellé, concerne une petite ferme, la masure du Fol « situé près de l'Ermitage de la Foucherie » que tenait Guillaume du Breuil avec 4 acres de terre. En 1233, ce même Pierre Le Pellé donnera à l'Abbaye, un champ tenu par Pierre Le Fol, ayant appartenu autrefois à Guillaume de Pirou, (précision fort importante) et qui était loué présentement à Guil- laume du Breuil. A ce champ, s'ajoutait un bois voisin de la chapelle de la Foucherie, limité au couchant par le ruisseau de la Farcière. Le seigneur du Breuil avait lui des liens très étroits avec une maison de charité : L'Hôtel-Dieu de Coutances. En 1256, donation est faite par Guillaume du Breuil à l'Hôtel-Dieu de 4 boisseaux de froment de rente à prendre sur son moulin de Cerisy (in molindino meo de Cereseio) pour être distribués entre les religieux et les pauvres le jour de son anniversaire. En 1258, Symon du Breuil confirme la donation de feu son père et ajoute 2 boisseaux de froment. En 1263, acquêt par l'Hôtel-Dieu de Symon du Breuil pour la somme de 8 livres tournois, de deux quartiers de froment sur son mou- lin de Cerisy dit moulin du Breuil « sito in parochia de Cereseio super Solam » situé sur la paroisse de Cerisy-sur-Soulles ». La paroisse de Cerisy existait donc en 1263. Fief de Bray : Fondation d'une chapelle en la cathédrale de Coutances (1436) Voici un très curieux document concernant le fief de Bray à Cerisy daté du 17 septembre 1436. Il s'agit de la fondation d'une chapelle à la cathédrale de Coutances « en la révérence mémoire et honneur de la passion et sépulture de N.S. Jésus-Christ ». « A tous ceux que ces lettres verront et oiront Clément Lecomte escuyer garde du sceau des obligations de la Vicomté de Coustances salut, sçavoir faisons que par devant Colin Burrey tabellion juré soubz Pierre Le Potier escuyer, tabellion juré au siège de Coustances, furent présents, Jehan LeComte escuyier et Demoiselle Tiphaine Prestrel sa femme à laquelle il donna auctorité en ce qui suit : lesquels confessèrent de leurs bonnes volontez et par le conseil et con- sentement de Bernard LeComte escuyier, frère aisné du dit Jehan, avoir donné et ausmoné à toujours mais afin d'héritage pour eux et pour leurshoirs à vénérables et discrettes personnes. Messeigneurs du Chapitre de l'Église Nostre-Dame de Coustances, pour le temps advenir, de la fondation d'une chapelle en la dite église qui est ordonnée a estre fondée auprès du revestière (la grande sacristie) en sera l'entrée par dessus la chapelle St- Thomas le martyr, et sera icelle chapelle fondée "en la révérence mémoire et honneur de la pas- sion et sépulture de Nostre Seigneur Jésus-Christ", à cause d'un fief ou Ce gros bourg du centre Manche entre Coutances et Saint-Lô connut jadis la célébrité comme terre d'accueil des Réformés grâce aux Richier, mais il fut aussi et surtout un marché textile important qui ruina celui de Coutances et qui sera finalement supplanté par celui de Canisy. Un grand espoir de réforme était fondé sur la révolution de 1789 mais hélas 1789 cachait 1792 et ses excès. La persécution religieuse, la déportation du clergé provoquèrent un profond malaise. Messire Surville curé de Cerisy prêta serment. Il finira dans l'oubli. La veille du combat de La Fosse nous verrons par ailleurs les Chouans venir bivouaquer à Cerisy. Finalement ce n'est qu'avec le Concordat que la paix reviendra dans nos campagnes. Humilié et déchu au profit de Savigny, Cerisy reprendra en 1800 sa place à la tête du canton. L'abbé Harel après un séjour injuste dans les prisons du Mont Saint-Michel sera élu maire de la commune. Cet ouvrage a d'autant plus d'intérêt qu'à travers l'essor d'une paroisse on y découvre la place importante de l'artisanat rural, les efforts répétés dans la construction des routes, l'entretien de nombreux moulins, les liaisons avec la poste aux chevaux, les débuts de la mécanisation, l'apparition de la fée électricité, la révolution de l'élevage avec le fameux boom de la viande, etc. Abondamment illustré l'ouvrage donne un résumé historique des com- munes du canton ou des environs ainsi que les faits les plus marquants du siècle dernier, avec parfois des anecdotes savoureuses et amusantes. Le dernier chapitre est consacré à la libération, la destruction du centre- bourg, les combats à Cenilly et la Poche de Roncey.

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