Matthieu BIDAULT

Lycée Georges Brassens Neufchâtel-en-Bray

Dossier de presse en vue de l'admission à l'Institut d’Études Politiques de Paris

Dessin de Chard, 9 mars 2014.

La peopolisation de la vie politique fausse-t-elle le débat démocratique ?

Mars 2017

1 SOMMAIRE

Liste des articles retenus pour la note de synthèse...... page 3 Note de synthèse...... page 4 Note de réflexion personnelle...... page 6 Sources...... page 10

2 LISTE DES ARTICLES RETENUS POUR LA NOTE DE SYNTHESE (Période de référence s'étendant du 1er Octobre au 1er Décembre)

MORIO Joël, « Les politiques à confesse sur le divan de Karine Le Marchand », lemonde.fr, 8 Octobre 2016

DION Julia & WILLIAMS Patrick, « ''Une ambition intime'', l'émission de Karine Le Marchand : la pipolisation de la vie politique est-elle dangereuse ? », elle.fr, 9 Octobre 2016

CLAVEL Geoffroy, « ''Une ambition intime'' sur M6, entre déjà-vu et transgression », huffingtonpost.fr, 9 Octobre 2016

« ''Une Ambition Intime'' un succès d'audience controversé », lepoint.fr, 10 Octobre 2016

DURUPT Frantz, « ''Ambition Intime'' : et l'on feignit de découvrir avec M6 la peopolisation de la politique », liberation.fr, 10 Octobre 2016

DEVILLERS Sonia, « les politiques doivent-ils étaler leur intimité à la télé ? », franceinter.fr, 10 Octobre 2016

LENOIR Christian, « ''Une ambition intime'' : attaquée par Roselyne Bachelot, Karine Le Marchand lui répond », closermag.fr, 27 Octobre 2016

RAJCHMAN Olivier, « Une ambition intime, M6 : Michèle Cotta donne son avis sur l'émission de Karine Le Marchand », telestar.fr, 31 Octobre 2016

« Pour Nicolas Bedos, ''Une ambition intime'' est aussi frivole que les tenues de Karine Le Marchand », huffingtonpost.fr, 31 Octobre 2016

ORBAN Christine, « Karine Le Marchand bouscule le paysage politique », parismatch.com, 31 Octobre 2016

LECOEUVRE Sarah, « Nicolas Bedos dézingue Une ambition intime : je suis allé vomir », lefigaro.fr, 2 Novembre 2016

JOUIN-CLAUDE Allyson, « Une ambition intime : Karine Le Marchand répond aux critiques de Benoit Hamon », lefigaro.fr, 6 Novembre 2016

« Primaire à droite : Fillon juge ''incontestable'' que son passage à ''Ambition Intime'' ait joué », leparisien.fr, 22 Novembre 2016

LECOEUVRE Sarah, « a refusé de participer à Une ambition intime », lefigaro.fr, 25 Novembre 201

3 Note de synthèse

En plein contexte électoral de primaires en vue de l’élection présidentielle de mai 2017, M6 diffusait le 9 octobre 2016 le premier volet de l'émission "Une Ambition Intime". Présentée par Karine Le Marchand, à la source de ce concept innovant, elle reçoit les candidats à la présidentielle qui se tiendra en mai prochain et dresse leur portrait en 30 minutes en se focalisant sur leur parcours et leur intimité. L'animatrice proscrit tout sujets politiques. L’émission a pour objectif de rapprocher les politiques des citoyens. Le premier numéro consacré à , Arnaud Montebourg, et Marine Le Pen a enregistré 3,1 millions de téléspectateurs, soit 13,6 % de l'audimat. Le second numéro a été diffusé le 6 novembre 2016, avec les portraits d'Alain Juppé, François Fillon, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. Le format a fait couler beaucoup d'encre. En effet, la presse s'est emparée du sujet pour décortiquer le concept de l’émission et donner la parole à ses (nombreux) détracteurs mais aussi à ses défenseurs.

Avant même sa première diffusion, "Une Ambition Intime" a beaucoup fait parler d'elle. En effet, la veille de son premier volet, Le Monde se penchait déjà sur le concept et le déroulement de l’émission. Selon le quotidien du soir du 8 octobre, Karine Le Marchand met tout en ordre « pour que l'invité se sente bien » en soignant évidemment le décor. « Karine Le Marchand a investi des appartements qu’elle a réaménagés avec quelques objets personnels, des photos de familles. Il est vrai que le résultat est surprenant. Une image léchée, une décoration soignée, un éclairage tamisé, des musiques pop empruntées au répertoire de "L’Amour est dans le pré", on est loin des habituels plateaux des émissions politiques… ». Pour Geoffroy Clavel, chef du service politique du Huffington post, "Une ambition intime" reprend tous les codes de l’émission « peopolitique ». Les mots d’ordre sont "Bienveillance" et "confiance mutuelle". « Pas question de piéger les invités ou de concurrencer les émissions politiques ». Pour le journaliste, « Tout le sel de cette "Ambition intime" repose sur sa présentatrice, Karine Le Marchand, plus habituée à accoucher les agriculteurs de "L’Amour est dans le pré" qu'à tailler le bout de gras avec de potentiels chefs d'Etat. La populaire et sympathique animatrice ne prétend pas remplacer les journalistes politiques et reconnaît volontiers ses lacunes sur le sujet ». "Moi je pense qu'il faut prendre de la distance avec le programme et les idées des gens. L'idée c'est qu'ils nous racontent leur histoire", assume-t- elle. Selon Geoffroy Clavel, « c’est là toute la transgression et en même temps les limites de ce programme diffusé en pleine campagne électorale quand les Français s'interrogent sur la personne à qui ils confieront leur destin. Alors que les journalistes s'échinent à traquer les failles des argumentaires politiques, Karine Le Marchand choisit au contraire de faire abstraction des valeurs et des agendas pour mieux cerner l'homme ou la femme appelé(e) à diriger le pays. "On ne gouverne pas de la même façon quand on a été frustré toute son enfance, ou quand on a souffert du regard des autres", pense la présentatrice ». « On demande à voir » ajoute le journaliste.

D’autres journalistes ou personnalités sont beaucoup plus critiques. Le dramaturge et humoriste Nicolas Bedos fait partie de ceux-ci. Invité sur le plateau de C à Vous, il a ouvertement critiqué l'émission, expliquant « qu'il avait dû se lever à plusieurs reprises pour vomir » durant le programme. Il a aussi ajouté que l'émission politique était « aussi frivole que les tenues de Karine Le Marchand » (lefigaro.fr, 2 novembre). Il lui reproche même d’avoir rendu sympathique Marine Le Pen. Certes « Elle (Karine Le Marchand) a du charme, elle a de l’humour un peu XVIe arrondissement, elle s’en tire parce qu’elle a une répartie

4 mais, c’est grave la politique comme dirait François Fillon. C’est sérieux », a t-il assuré en fustigeant la bande sonore de l’émission qui, selon lui, a rendu Marine Le Pen «émouvante». Plusieurs responsables et personnalités politiques ont aussi vivement critiqué le concept de l’émission. C’est le cas notamment de Benoit Hamon, le candidat à la primaire du Parti socialiste, qui a déclaré dans le 6 novembre, « c'est par honnêteté intellectuelle et par grandeur de l'idée que j'ai de la politique que je ne vais pas dans son émission ». Jean- Marc Ayrault, l’actuel ministre des Affaires étrangères, va dans le sens de Benoît Hamon dans Le Point du 10 octobre, en qualifiant le concept de « consternant ». Pour Ségolène Royal, qui a aussi refusé de participer à l'émission, il s’agit là d’un « mélange des genres », point de vue partagé par l’ancienne Ministre de la Santé Roselyne Bachelot qui a trouvé « l’émission désastreuse » (Closermag du 27 octobre), ainsi que par Emmanuel Macron qui estime qu’il n’a pas à « exhiber sa vie privée » (lefigaro.fr, 25 novembre). Pour Frantz Durupt, journaliste au service web de Libération, l’initiative de M6 illustre une tendance à l’œuvre depuis de nombreuses années, « la peopolisation de la politique » (liberation.fr, 10 octobre). « Une dépolitisation du jeu politique » écrit-il « qui ne peut que conduire à une situation où tout se vaut ». Pour Frantz Durupt, « l’exercice de la confession politique, innocent en apparence tant qu’il jouait avec les candidats des grands partis de gouvernement, devient beaucoup moins anecdotique quand il concerne la présidente du FN. C'est « le triomphe de l'individualisme », explique le psychanalyste Serge Hefez dans le magazine Elle du 9 octobre. « De nos jours, on ne se définit plus par son appartenance à un groupe social, à une religion, à un métier, à une corporation, mais par sa personnalité, ses affects, son histoire ». « Jusque-là, les politiques étaient épargnés : la fonction prenait le pas sur l'individu. Adhérer au programme d'un candidat, c'était adhérer à des idées, pas à son monde intérieur. Plus personne n'échappe à cette lame de fond. », ce que Serge Hefez déplore.

Interviewée dans Paris Match, Karine Le Marchand, la première concernée a indiqué « n'avoir que faire des critiques... bien au contraire ! On a fait une liste des journalistes qui allaient nous critiquer et on a eu tout juste ! » confie t-elle. C'étaient les journalistes politiques, surtout de gauche » a t-elle ajouté. Certains journalistes politiques ont cependant trouvé un intérêt au concept de l’émission. C’est le cas de Michèle Cotta notamment, qui l’a trouvée « réussie ». Pour la journaliste et chroniqueuse, « Contrairement à ce que disent certains de mes confrères, l'émission ne nous trompe pas : il s'agit de vie privée, et c'est assumé. Il y a même des moments d'émotion » (Telestar du 31 octobre). D’autres, comme Frantz Durupt dans Libération, ont rappelé que des émissions ayant le même objectif furent diffusées bien avant ''Une Ambition Intime", comme "Questions à domicile" à partir de 1985 ou encore "Le divan" plus récemment. Enfin, certains ont pointé le rôle de l’émission dans la victoire de François Fillon dans la primaire de la Droite et du Centre. Quand j'ai diffusé "Une Ambition Intime", on disait François Fillon il sera à la troisième ou quatrième place, donc c'est fou ! », a expliqué Karine Le Marchand sur RTL. De son côté, l'intéressé a reconnu auprès du Parisien du 22 novembre, que l'émission avait « incontestablement » joué en sa faveur. « Si j'en juge par le nombre de réactions, c'était énorme », a glissé l'ancien Premier ministre qui s'était dit au départ plutôt réticent à participer à ce type d'émission.

La presse française n'a donc pas manqué de commenter largement le lancement d'"Une Ambition Intime", mais cette émission ouvre d'autres interrogations, notamment celle de la peopolisation de la politique. Comme s’interroge « L’instant M » de Inter du 10 octobre, quel poids l’intime et le privé ont-ils aujourd’hui dans le débat démocratique et d’une manière plus générale, la peopolisation peut-elle le fausser ou au contraire le servir ?

5 Note de réflexion personnelle

La diffusion de l’émission Ambition intime présentée par Karine Le Marchand, a mis en lumière la « peopolisation » de la vie politique française. « Au secours la politique se peopolise » titrait même le quotidien Libération du 10 octobre. Au-delà des réactions « à chaud » suscitées par cette émission, on peut s’interroger sur cette tendance à l’œuvre depuis plusieurs années. Quel est l’intérêt de ce type d’émission ? La peopolisation de la vie politique fausse t-elle le débat démocratique ou bien peut-elle réconcilier les Français avec leur classe politique et être une solution au « désenchantement démocratique » ? Pour répondre à cette interrogation, nous rappellerons dans un premier temps que cette tendance n’est pas nouvelle. Dans un second temps, nous pointerons les risques de peopolisation pour le débat démocratique. Enfin, dans une dernière partie, nous verrons que la peopolisation peut avoir des effets bénéfiques et contribuer, peut-être, à réconcilier les Français avec leur classe politique et ainsi revivifier le débat démocratique.

Selon Wikipédia, la peopolisation (néologisme dérivé du mot anglais « people ») ou pipolisation ou encore (au Québec) vedettisation, est la propension des médias à accorder de l’importance aux célébrités et personnalités (en dehors du monde du spectacle) de la politique et du sport en présentant leur vie privée au grand jour. Mais la peopolisation prend tout son sens lorsque l’homme politique utilise la médiatisation de sa vie privée ou de son histoire personnelle à des fins de communication. En fait, selon Christian Delporte, Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles-Sont Quentin et directeur du centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines et de la revue Le temps des médias1, « la peopolisation est un jeu à trois acteurs - hommes politiques, médias, opinion publique ». Toujours selon Wikipédia, la peopolisation serait un modèle ango-saxon récemment importé en France au début des années 2000. Pourtant, la peopolisation de la vie politique française n'est pas un phénomène récent malgré le fait que l'emploi de ce mot le soit et on aurait tort de croire que ses origines soient uniquement anglo-saxonnes. En effet, comme l’a montré Christian Delporte, « la peopolisation de la vie politique en France est à l’image de la presse people : elle existait bien avant de recevoir un nom de baptême ». Les racines de la peopolisation de la vie politique en France sont pour Christian Delporte, forts anciennes et remontent à la IIIeme République.

Malgré la loi sur la presse de 1881 interdisant diffamations et injures, Le Figaro brise, en 1914, le pacte du silence sur la vie privée des responsables politiques en s'immisçant dans celle du ministre des Finances de l'époque Joseph Caillaux. Le directeur du journal à l'initiative de cette enquête, , n’hésitera pas à publier le fac-similé d’une lettre adressée à la première femme de Joseph Caillaux. Il justifie alors son acte au nom de la vérité. Craignant la publication d’autres lettres plus intimes, Mme Caillaux assassine Gaston Calmette, le 17 mars 1914. Toute la presse condamne alors le procédé, mais le Figaro a brisé un tabou. Durant l'entre deux guerres, l'essor de la photographie favorise la diffusion d'informations sur les hommes publics. Edouard Herriot, par exemple, apparaît en couverture du magazine de reportage Vu, en mai 1928. Herriot est alors ministre de l’Instruction publique

1 Christian Delporte, «Quand le peopolisation des hommes politiques a t-elle commencé ? Le cas Français », Le Temps des médias, N° 10, janvier 2008.

6 et maire de Lyon et c’est à son domicile lyonnais que l’équipe de Vu vient le rencontrer. Herriot est photographié au cœur de son intimité, en veste d’intérieur et pantoufles, prenant le café dans sa bibliothèque. C’est donc bien le Herriot secret et intime que le magazine entend faire découvrir au public. Presque un siècle plus tard, c’est la même intention d’ « Ambition intime ».

Comme le souligne Christian Delporte « Les années 1930 ont amorcé le changement, les années 1950 installent le phénomène ». En effet, le modèle américain a fait émerger de nouveaux journaux dans les années 1950 s'intéressant à la vie des célébrités, comme Ici-Paris ou Point de vue, imités par Paris Match. C’est d’ailleurs cet hebdomadaire qui consacre sa couverture en avril 1952 à , nommé Président du conseil en mars 1952 (il le restera jusqu’en décembre de la même année). Dans l’article qui lui est consacré, l’attention des lecteurs est attirée par les clichés de ses enfants : son fils Louis que le président du Conseil aide à sortir d’une piscine ; sa fille, dont on ignore le prénom (« Mme Roy »), avec laquelle il se fait photographier à Saint Jean-Cap-Ferrat. On franchit donc avec Pinay, une étape décisive sur le chemin de peopolisation de la vie politique. Non seulement il entrouvre sa sphère privée pour s’attacher la sympathie des Français, mais il utilise son personnage privé dans une stratégie de communication visant à construire un récit qui met en cohérence son mode de vie, son discours, son action. Un an plus tard, c’est au tour de René Coty, président de la IVe République, posera à son tour pour la une de Paris Match. Dans ce numéro, Paris Match raconte au public une histoire qu’on pourrait résumer ainsi. Lorsqu’il a appris son élection, René a téléphoné à sa femme, Germaine pour lui dire : « je crois qu’il va falloir que tu prépares mes habits ». Elle ne s’attendait pas à l’heureux événement : elle préparait, dans sa cuisine, le gâteau du Réveillon. La brusque promotion de René va bouleverser la vie du couple… Les exemples d’ouverture de la sphère privée se multiplient dans les dernières années de la IVe République et durant la campagne présidentielle de 1965 (Jean Lecanuet), mais c'est , élu à la Présidence en 1969, qui a favorisé l'émergence de cette forme de médiatisation. En effet, celui-ci veut se distinguer du Général De Gaulle, en jouant la carte de la modernité. Pour ce faire, sa femme et lui-même dévoilent leur vie privée à la presse. Valéry Giscard d'Estaing, président de 1974 à 1981, intensifie le processus en l'employant lors de sa campagne présidentielle de 1974, jouant de l'accordéon avec Yvette Horner ou André Verchuren ou encore répondant à une interview torse nu. Le sixième président de la Ve République française mise sur l'exposition de sa vie privée pour communiquer et diffuser l’image d’un président proche des Français. Il n'hésite pas non plus à mettre en scène sa famille. Une dernière étape sera franchie avec Nicolas Sarkozy dont le mandat, selon Christian Delporte « sonne le glas de la peopolisation en demi-teinte » et « marque la démesure du phénomène ».

On le voit, l’essor de la peopolisation politique s’est opéré par glissements et étapes successives. Par ailleurs, le phénomène est souvent accusé de fausser le débat démocratique.

Une partie des responsables politiques et des politologues voient en effet dans la peopolisation une dérive dangereuse pour la démocratie. Ainsi, Benoît Hamon, qui a refusé de participer à l'émission « Ambition Intime » considère que ce phénomène « ne correspond pas simplement à [sa] vision de la politique. Il serait incohérent pour [lui] de reprocher à l'élection présidentielle d'ignorer les enjeux fondamentaux de notre pays, tout en participant à ce qui s'apparente à un casting de l'homme providentiel » (20 minutes du 18 octobre 2016). La peopolisation de la vie politique fausserait donc le jeu démocratique, mais en quoi ?

7 Le paradigme de la peopolisation des hommes politiques est le suivant : « Regardez comme je suis, vous pouvez me faire confiance, puisque je suis comme vous ». Pour Christian Delporte, « on s’intéresse finalement assez peu à ce que les hommes politiques disent ou proposent, et de plus en plus qu'à ce qu'ils sont ». On ne demande plus seulement à un homme politique d'être compétent : on lui demande également d'être chaleureux, sympathique, proche. Ce qui l’amène à devoir créer un lien affectif avec l'opinion publique pour se faire élire ou réélire en exposant sa vie privée. Pour le journaliste et politologue Alain Duhamel2, la peopolisation représente « l’avant-garde caricaturale de la démocratie d’opinion. Elle envahit en fait beaucoup plus profondément la scène politique que son strass et ses paillettes ne pourraient le faire croire. Elle incarne et symbolise en effet le triomphe de l’image sur le verbe, de l’émotion sur la réflexion, de la subjectivité sur la rationalité. Elle consacre la victoire de la séduction sur la conviction. ». Dès lors, le programme et l'avis de l'électeur sur le programme n'ont plus d'intérêt. Avec la peopolisation, il s’agit également pour les hommes et les femmes politiques, de jouer une comédie qui les met en scène comme ils souhaitent qu’on les voie pour s’attirer la sympathie du plus grand nombre, mentant parfois. L’enjeu selon le modèle actuel de communication politique, réside dans la construction d’une image au travers de différents scénarios, les uns susceptibles de plaire à telle cible et les autres à telle autre. Le tout laissant progressivement apparaître une personnalité. Quand nous disons « plaire », c’est bien de cela dont il s’agit : séduire plutôt que convaincre. On peut donc considérer la peopolisation comme une forme de manipulation de l’opinion publique. Certains électeurs, peu enclin à la recherche, s’abreuvent et se contentent de ce que les médias directs ont à proposer, votent par sympathie et oublient que peut-être cette personnalité propose des idées qui nuiront à sa vie quotidienne, tout ça parce qu'ils l'ont vu, dans sa cuisine ou en vacances en train de bronzer ou de se promener sur la plage main dans la main avec son épouse. La classe politique souhaite toucher les catégories populaires, autrement dit, celles qui rejetteraient le plus les sujets politiques, « par les affects et par l'image, par une impression de proximité », de Monsieur "Tout le monde". Cela serait alors perçu comme de la « pure démagogie » selon Jamil Dakhlia, professeur en Sciences de l'Information et de la Communication à l'Université Paris 3 Sorbonne nouvelle. Selon lui, « la peopolisation est prise entre le marteau de populisme et l'enclume de la démagogie ». Les politiques profitent de la montée en puissance de ce processus qui leur permet de s'afficher tels qu'ils le désirent afin d'attirer un maximum de monde. Comme le souligne Christian Delporte, le système repose désormais sur une triple hypocrisie. Dans un premier temps, celle des politiques « qui cherchent à communiquer sur leur vie privée, jusqu'à ce qu'ils ne veulent plus jouer le jeu ». Deuxièmement, l'hypocrisie des électeurs, qui disent dans les sondages « que la vie privée des politiques ne les intéresse pas, mais qui achètent massivement les journaux lorsque la vie privée des politiques y est abordée » ou regardent des programmes comme « Ambition intime ». Enfin, celle des médias, ayant «un intérêt économique évident à aborder des sujets vendeurs ».

Malgré l'influence des médias et de la peopolisation, c'est le citoyen qui vote et qui a le choix. Les électeurs ne seraient-il pas alors responsables de ce dont ils se plaignent ? D’autre part, peut-on voir aussi dans la peopolisation des effets bénéfiques pour la démocratie ?

Pour Christian Delporte, la peopolisation peut contribuer à « désacraliser le pouvoir ». En effet, des émissions comme « Ambition intime » peuvent aider à comprendre qui sont ces personnes qui occuperont peut-être les plus hautes fonctions de l’État. Ce sont aussi des

2 Propos d’Alain Duhamel dans Libération, rubrique Débat: “Peopolisation la politique toc”, septembre 2006

8 hommes et des femmes « comme nous ». Autrement dit, même si ces dirigeants sont exceptionnels, il est tout à fait possible de s'identifier à eux. Ainsi les politiques sont « à notre image » et nous ressemblent car « ils ont des goûts, des activités et des problèmes on ne peut plus ordinaires ». Cette technique se justifie par un éventuel rapprochement ou même une réconciliation entre les deux groupes de pairs. Comme le souligne Jamil Dakhlia, la peopolisation peut être aussi une réponse au « désenchantement démocratique »3. Nous observons en effet, depuis quelques années, un divorce croissant entre les français et les responsables politiques, jugés lointains et déconnectés des réalités. Ce divorce se traduit notamment par une montée régulière de l’abstention aux élections. C’est ici que la peopolisation intervient et peut être une alternative afin de renouer le lien avec les citoyens. En effet, comme le montre Jamil Dakhlia, « la peopolisation ne consiste pas seulement à parler à d'autres gens [...] mais aussi à parler autrement aux gens ». Le professeur compare et oppose le langage politique « froid, abstrait et général » avec le discours people « fondé sur le particulier, le concret et l'affect ». Les Français cherchent davantage de chaleur, à être rassurés que de programmes pas forcément explicites et susceptibles de décevoir. Développer la peopolisation en politique pourrait donc « réchauffer la communication politique » en la rendant « plus vivante et plus proche des gens ». En effet, le discours people est tout sauf apolitique et il met en débat, à sa manière, des questions de société ou de mœurs éminemment politiques. Libres ensuite aux lecteurs ou aux téléspectateurs, de prolonger le débat et la réflexion. D’autre part, la presse people est populaire et accessible à tous. Elle peut donc être un bon moyen pour s'informer et pourquoi pas, se forger son opinion sur tel ou tel responsable politique. La peopolisation de la vie politique peut être alors vue comme un remède, une solution au problème de défiance des Français à l’égard de leur classe politique, qui persiste et progresse.

La peopolisation de la vie politique apparaît donc comme un phénomène ambivalent. Malgré les nombreuses critiques entendues (et souvent justifiées) et les dérives constatées, je suis convaincu que la peopolisation politique joue un rôle positif et nécessaire dans le débat démocratique. Dans une période où les taux d'abstention sont élevés et où l'on assiste à un divorce croissant entre électeurs et politiques, il me semble important de trouver un remède à ce problème et la peopolisation en est un. Elle permet de redonner de l'intérêt à la vie politique et de réconcilier les français avec leurs responsables politiques en favorisant le retour à une forme de proximité nécessaire au débat démocratique. Même Jean-Luc Mélenchon, en acceptant de participer à « Ambition Intime » ou de dévoiler son régime alimentaire pour Gala, semble s’en être convaincu. De plus, je vois ce phénomène comme un début, une première étape d'un cheminement vers une réappropriation du discours et du débat politique. Cependant, ce phénomène peut s’avérer positif seulement sous certaines conditions car il comporte des risques à prendre en considération. Comme l’a très justement démontré Christian Delporte, la peopolisation de la politique met en jeu trois acteurs ; les politiques qui ont intérêt à communiquer sur leur vie privée, les médias, qui ont un intérêt économique évident à cette pratique et enfin nous, les citoyens / lecteurs / téléspectateurs qui affirmons dans les sondages que la vie privée des politiques ne nous intéresse pas, mais qui achetons massivement la presse people ou qui regardons des émissions comme « Ambition Intime ». En tant que futur citoyen, je dois alors prendre du recul sur ce qu'on me propose, ne pas tout prendre au premier degré, ne pas me limiter à cette forme de communication politique et fonder mon propre jugement sur les faits et la réflexion

3 Jamil Dakhia, « People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la peopoplisation. » Revue Questions de communication, 2007.

9 SOURCES

Articles de presse :

Sur Internet :

DUHAMEL Alain, « Peopolisation, la politique toc », liberation.fr, 6 septembre 2006.

CAUTRES Bruno, « Epuisement de la parole politique, défiance : notre démocratie va mal et c'est inquiétant », leplus.nouvelobs.com, 6 Mai 2016.

DURUPT Frantz, « ''Ambition Intime'' : et l'on feignit de découvrir avec M6 la peopolisation de la politique », liberation.fr, 10 Octobre 2016.

FONTAINE Nicolas, « Émissions politiques et peopolisation des candidats : est-ce que nous allons trop loin ? », leplus.nouvelobs.com, 13 Octobre 2016

« ''Une Ambition intime'' : Benoit Hamon refuse de participer à l'émission », 20minutes.fr, 18 Octobre 2016.

BASTIEN HUGUES, « la peopolisation des hommes politiques, une triple hypocrisie », http://blog.lefigaro.fr/peopolitique/2010/09/les-hommes-politiques-plus-que-jamais- people.html, 16 septembre 2010.

Revues :

DAKHLIA Jamil, « People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la peopolisation », Questions de communication, 2007.

DELPORTE Christian, « Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas français », Le Temps des médias, numéro 10, janvier 2008.

Sites web : http://fr.wikipedia.org/wiki/Peopolisation https://thetsukiuniverse.wordpress.com/2014/11/12/peut-on-parler-de-democratie- dans-une-societe-ou-la-peopolisation-politique-prend-plus-de-place-que-les- programmes-partie-2/ http://www.raison-publique.fr/article205.html http://peopolitique.wixsite.com/peopolisation/historique

Émissions radios :

« Les nouvelles limites du ''people'' », France Culture, émission du 28 Mars 2014

« L'instant M », France Inter, émission du 10 Octobre 2016 10

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