-MONT-BLANC • 900 ANS D’HISTOIRE

Au cœur de Chamonix, la rue des Moulins

Année 2012 Chers Amis,

Temps forts de la mi-septembre, les journées du patrimoine sont le rendez-vous incontournable pour découvrir autrement voire redécouvrir un lieu de notre vallée.

Cette année 2012, rythmée par divers événements, nous amène à rappeler des anniversaires, certains déjà Introduction fêtés, tels les 80 ans de la prestigieuse Ecole Militaire de Haute-Montagne (EMHM) et d’autres à venir, Chapitre La rue des Moulins : les 40 ans de la non moins imposante Maison de la Montagne. sa création

A cette occasion, nous mettrons également à l’honneur, la rue des Moulins, première rue pietonne de I Autrefois dépendance de l’ensemble des bâti- Chamonix, riche en histoire. ments du prieuré, la rive droite de l’ en

amont du Pont de Cour est, depuis le Moyen La Maison de la Mémoire et du Patrimoine inaugurée en mars dernier, en est une belle illustration. Age, investie de fabriques, moulins, foulons, pressoirs, scieries et autres forges. Point d’ancrage de la journée, elle ouvrira la porte aux souvenirs avec le concours des familles ayant vécu en ces lieux, véritables acteurs d’un jour, leurs nombreux témoignages seront une invite à de fructueux Un bief ou bédière (et d’autres canaux annexes) échanges sur le terrain. assure le fonctionnement de ces ateliers, ce ca- nal d’amenée d’eau étant alimenté par l’eau de A bientôt, et toujours le plaisir de vous retrouver. l’Arve captée plus en amont.

Amicalement, En admirant les gravures du XIXe siècle, on peut facilement imaginer l’environnement bruyant de ce secteur où, grâce à la force hy- Janny COUTTET draulique, tournent les énormes roues à aube Première adjointe au Maire de Chamonix-Mont-Blanc, faisant taper les martinets sur les fibres de chargée de la culture et des relations internationales chanvre, actionnant le va-et-vient des scies et la ronde des meules à grain. Années 1980 vaux de réhabilitation de la rue : infrastruc- Le XXe siècle de ce quartier de Chamonix ver- tures, mise en place des réseaux souterrains, REMERCIEMENTS A : ra, progressivement, les fabriques se transfor- dallage en pavés de porphyre de Trente, éclai- mer grâce à l’avènement de l’électricité. Ainsi rage public... Irma Bérard • Gil Bodin • Christine Boymond-Lasserre • Arlette et Philippe Bruno • Martine Chevallier • Marie-Jo- naîtront divers ateliers, voisinant les logements sèphe Collignon • Minouche et Patrick Compois • Céline et Armand Comte • Sylviane et François Cordera • Gisèle Coutaz • Philippe Couttet • Claude d’Ham • Chantal et René Dufour • Eric Favret • Eric Fournier • Huguette des ouvriers venus parfois d’autres contrées. La façade aveugle de l’ancien hôtel Métropole, et Fernand Mermin • Jacques Michel • Marie-Jeanne Milliet • Coco Monard • Janine Monterrain • Catherine et enlaidie d’une vieille peinture publicitaire, est Michel Poletti • André Réquet qui ont ouvert leurs albums, confié leurs souvenirs et leurs témoignages. La bédière est abandonnée, puis comblée. Le décorée par un habile trompe-l’œil de toitures Avec la collaboration des services de la commune : Culture, Karine Létang (archives), Catherine Poletti (Musée quartier s’organise. Ferronnier, maçon, peintre, par le peintre Joly-Pottuz. L’EDF souhaite Alpin), Lucinda Perrillat (Maison de la Mémoire et du Patrimoine), Myriam Sarnel & Karine Payot (communica- staffeur, imprimeur... mais aussi charcutier, valoriser ses garages : un échange de terrain tion), Sylvain Breteau (imprimerie municipale). Auteure et recherche iconographique Joëlle Dartigue-Paccalet. avec son abattoir privé, restaurateur, boucher, permettra de créer une rampe avec une sor- couturière... s’installent, prenant possession de tie-voitures vers l’avenue du Mont-Blanc. En ces modestes locaux qu’ils animent d’une vie parallèle, pour les piétons, on construit un élé- BIBLIOGRAPHIE-SOURCES pleine d’entrain. gant escalier de schiste. Nicolas Carrier - La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen-Age • Agnès Ducroz - Françoise Loux - Christian Pocachard - Chamonix autrefois • Maurice Gay (ed. Amis du Vieux Chamonix) - La Maison Baud ou «Maison des Sœurs» • Joëlle Dartigue-Paccalet et Christine e Boymond-Lasserre - Flâneries au pied du Mont-Blanc • Paul Payot - Au Royaume du Mont-Blanc • Véronique Romand - Tot Dret • Charles Les années 1980 dessineront un nouveau tour- Au XXI siècle, la rue des Moulins, avec la Mai- Vallot - Chamonix Mont-Blanc - 1927 • Archives municipales • Cadastre de Chamonix 1924 • Dossier «Usine des Nants» • Photothèque nant pour ce qui est devenu la rue des Moulins. son de la Mémoire et du Patrimoine, retrouve EMHM • Archives Compagnie des Divers projets ont été émis, mais sont restés ses lettres de noblesse : une discrète, mais dans les dossiers, comme l’idée d’un vaste mar- néanmoins élégante petite ruelle qui s’anime SAMEDI 15 et DIMANCHE 16 SEPTEMBRE 2012 ché couvert. Une association foncière urbaine à l’heure des repas et qui raconte un peu du Réalisation : Août 2012 • Publication & Impression : Communication Mairie de Chamonix-Mont-Blanc se crée alors pour lancer toute une série de tra- passé de Chamonix. 2 3 La bédière La maison Weissen ChapitreII ChapitreIII Une bédière, canal de dérivation de l’Arve, Dépendance de l’hôtel Bellevue appartenant à Coincée entre coule sur la rive droite de la rivière, captée en la famille Weissen, cette coquette petite mai- l’Arve, la bé- amont de l’actuel pont de la plage (ancienne- son aux encadrements de granit est ancienne. dière et le «tas ment pont du casino). Les hôteliers y logent parfois leurs employés. de terre» (fu- ture avenue du Mont-Blanc au droit de l’hô- Du balcon de la maison Dufour, tel Alpina), la vue sur la maison Weissen petite maison témoigne d’un passé populaire et animé. A l’intérieur, ce n’est pas le grand confort, certes. Mais les loyers sont modestes et les enfants y Les plans de la ville des guides touristiques trouvent leur comptant d’aventures et de petits d’autrefois et le cadastre de 1924 portent le plaisirs. Parfois, en période d’étiage, on peut tracé en bleu des anciens biefs ou bédières, passer la rivière à gué et rejoindre le terrain va- canaux d’amenée d’eau aux forges, foulons et gue, place du autres moulins. Mont-Blanc d’aujourd’hui. C’est le cas pour la rue des Moulins qui, pen- Au début des années 1930, quand la famille Parfois, au dant la première moitié du XXe siècle encore Attilio et Matilda Giazzon arrive des Dolo- c o n t r a i r e , accueille quelques unes de ces petites indus- mites, elle en occupe le rez-de-chaussée. quand l’Arve tries familiales qui utilisent la force hydrau- L’étage accueille la famille Coscia et leurs cou- est en crue et lique. sins, la famille de Dominique Poletti (parents que le torrent Ancien lit de la bédière comblé et transformé en promenade de Michel, direction générale de l’UTMB). de Blaitière La promenade des Sonnailles actuelle em- Venus de la région du lac d’Orta (près du lac bouillonne, prunte l’ancien lit de cette bédière dont on Majeur), ils résideront dans la rue des Moulins les maisons distingue encore quelques traces, sous le petit jusqu’en 1954. sont inon- pont de la Plage par exemple. dées et il faut Suivant ce parcours, l’eau est utilisée par la se hâter de forge Devouassoux «Sonnettes», puis par la surélever les scierie de Léon Mugnier en contrebas de l’hô- meubles... Les familles Coscia et Giazzon tel Beaulieu. Elle traverse les jardins des hôtels Bellevue et Beaulieu, passe sous le tunnel et Le passage, créé le long de la bédière à des fins finit sa course dans la rue des Moulins où, en d’entretien du canal devient, pour les enfants 1905, elle fait fonctionner la scierie Tronchet du quartier, une porte vers un univers de rêve : ainsi qu’une fabrique d’objets en corne et la les magnifiques jardins de l’hôtel Beaulieu, la forge du maréchal-ferrant, notamment. Par un passerelle privée sur l’Arve, au droit de l’hôtel, coude, l’eau est ensuite rejetée dans l’Arve. l’allée de sorbiers conduisant à la route du Bou- Plan de la ville 1913 La famille Attilio Giazzon chet, la clientèle aisée arrivant en automobile. 4 5 Commissaires chargés du L’usine hydro-électrique se situe à 1500 mètres contrôle des comptes : MM. d’altitude, employant l’eau du fougueux tor- Payot Jean, négociant en vins, rent des Nants. Les bureaux de direction, les et Couttet J.E. ferbantier à logements des responsables, les transforma- La société électrique Chamonix.» teurs, les ateliers... trouveront leur place dans deux bâtiments, flanqués de leurs dépendances Chapitre Dès 1897, soit cinq ans au- techniques, construits en 1903 et 1910, sur un paravant, de nombreux Cha- terrain délaissé descendant vers l’Arve, en ar- de Chamonix moniards avaient été sollicités rière de la rue Nationale (rue Vallot) et de la IV pour tracer le chemin d’accès poste (de l’époque). S’apprêtant à commencer une nouvelle vie au Aussi, après les années d’inévitables études et dans la forêt et acheminer les cœur de Chamonix, le bâtiment ex E.D.F. pos- propositions, une concession est-elle accordée matériaux de construction Dans le premier, à la toiture en ardoises et aux sède une histoire peu banale, son pouls ayant par la commune, pour 30 ans, à une société ano- de la centrale électrique des encadrements en granit, s’étagent au-dessus battu pendant plus d’un siècle au rythme de nyme qui prend le nom de Société Electrique de Nants. des caves humides, un rez-de-chaussée abritant l’éclairage électrique de la ville. Chamonix. En 1902, l’Echo du Faucigny écrit : L’ingénieur Nivert en a conçu un magasin et un atelier de forge, un entresol, « La société a pris le nom de Société Electrique et dessiné l’ensemble, bâti- siège de la Société Electrique de Chamonix et En effet, c’est là que s’installera, dès 1903, la de Chamonix et a été fondée pour une durée de ment et machines ; il dirige le trois étages de logements. Société Electrique de Chamonix (S.E.C.), 30 ans. La concession municipale lui accorde le chantier concédé à la Société concessionnaire de l’éclairage électrique de la privilège exclusif de l’exploitation, de la produc- Alsacienne de construction. Le magasin sera très vite inutilisable, «vu l’hu- commune. tion et du transport de l’éclairage et de l’énergie midité des canaux qui, par suintement, ont électriques sur tout le territoire de Chamonix, à «L’installation de l’électricité a formé des flaques d’eau». Le premier étage est L’éclairage au gaz, fonctionnant depuis 1880, l’exclusion de la section d’Argentières. Modèle de lampadaire utilisé eu plein succès à Chamonix, et occupé par la Société électrique de Chamonix pour l’avenue de la Gare en 1909 n’est plus de mise et la municipalité souhaite, Ont été nommés : les étrangers, venus des cinq par- qui y a installé ses bureaux, ses magasins de pour des raisons de sécurité et de propreté, Administrateurs : ties du monde pour admirer le géant des Alpes, ne marchandises, ateliers et entrepôts. Les trois mais aussi de qualité, passer à l’électricité. MM. Favre W-J, électricien Genève ; Meynet sont pas peu surpris de contempler dans la petite étages supérieurs sont aménagés en six loge- Rappelons, par ailleurs, que le train arrive à F.M. maître d’hôtel Chamonix ; Dévouassoud ville plus de 1500 becs électriques fonctionnant ments. Chamonix depuis 1901 et fonctionne grâce à Henri, négociant Chamonix ; Chalut Jules, élec- admirablement.» lira-t-on dans La Croix de son rail central électrique. tricien Genève ; et Martin John, rentier Genève. Haute-Savoie. Dans le second bâtiment, couvert d’une ter- rasse et accolé au précédent, on trouve égale- ment magasins et ateliers au rez-de-chaussée et logements dans les deux étages supérieurs.

Au nord et à l’est a été bâtie une construction légère en moëllons, entrepôt et annexe de l’ate- lier.

Un hangar de bois s’ajoute aux constructions en dur. Bâtisse de stockage de matériau, mal entretenue et soumise à l’humidité constante, elle sera vite considérée comme vétuste.

Quatorze cabines de transformateurs consti- tuent les éléments techniques. On les décrit comme ayant « un soubassement en maçonnerie, un dallage sur le sol, des murettes en aggloméré Projet de façade de l’usine des Nants en 1897 de gravier et ciment, des couvertures en tôle et des Dessin de l’ingénieur Nivert portes avec cadres en fer ».

L’usine électrique de la rue des Moulins, dessin de 1903 6 7 Cadastre de 1924 : emprise de l’usine électrique de la rue des Moulins. Six années plus tard, la demande se fait un peu Des travaux sont nécessaires. Mais parallèle- plus pressante de la part des habitants, et sur- ment, la Société propose, devant l’insistance tout des hôteliers qui signalent que Chamo- des habitants et des hôteliers, un plan détaillé 1929 : plan détaillé de la ville où figurent les lignes existantes et futures de distribution de l’électricité. nix doit répondre aux exigences du tourisme où figurent les différents points de distribution moderne et ne pas priver les visiteurs de ce électrique, les lignes existantes et les lignes à confort. La société électrique adresse au conseil créer. Pourtant rien ne change vraiment, bureaux municipal de Chamonix «une demande pour et ateliers sont toujours au même endroit, les qu’elle soit autorisée à construire une nouvelle ouvriers sont logés sur place et d’énormes rou- usine hydraulique aux Tines. Une fois l’usine leaux de câbles occupent l’entrepôt... construite, la commune aura gratuitement un supplément de lampes pour l’éclairage des Aujourd’hui racheté par la commune, cet élé- principales artères de Chamonix, et en plus les gant bâtiment au centre de Chamonix est ré- abonnés auront, par ce fait, la certitude abso- habilité en logements pour les Chamoniards. lue de ne pas être privés de lumière en cas d’ac- Les anciens garages donnant sur la rue des cident grave à l’une des deux usines.» La presse Moulins sont destinés à des commerces, de relève que : « Le nouveau chef de la société est même que les bureaux d’autrefois, ouverts sur M. Guillaume Michon, et il est à constater que l’avenue du Mont-Blanc. depuis son entrée en fonction l’éclairage est d’une régularité parfaite. » Etat des lieux en 1930

En 1929, un an avant la fin de la concession, La fin de la Deuxième Guerre mondiale sera les bâtiments sont devenus vétustes. Les an- suivie de la nationalisation des régies d’électri- ciennes bédières n’ont pas été fermées et ap- cité (privées et communales). EDF est créée. portent beaucoup d’humidité au secteur. Le bâtiment E.D.F. des années 1990 8 9 La ruelle La Maison ChapitreVdu Tortachu ChapitreVIBaud Pas facile à accepter par les propriétaires des terrains, ce plan d’alignement ne sera adopté qu’en 1864, après de longs palabres. Hô- tels (Hôtel de l’Europe, Hôtel de la Croix Blanche...) et boutiques vont alors très vite sortir de terre pour former une nouvelle rue bordée de trottoirs que les touristes emprunte- ront volontiers, au détriment de l’ancien che- min poussiéreux et sombre. La construction Passage privé entre les maisons en 1924. de l’Hôtel Métropole et Victoria par la famille Petitjean en ferme- Depuis la rue des Moulins, où se sont installés ra définitivement différents ateliers et artisanats, persiste, pen- l’accès aval. dant de longues années, la ruelle du Tortachu collection Christophe Boillon permettant de rallier directement la rue Val- Aujourd’hui destinée à la Mémoire et au patri- En amont, à hau- lot. Baptisé ainsi en raison de sa forme (torta- moine de la vallée de Chamonix, cette bâtisse, teur du Café des chu = tordu, sinueux, alambiqué...) cet étroit trapue et bien assise sur la rive droite de l’Arve, Sports, la ruelle du passage piéton constitue le maigre reliquat de date de presque deux siècles. Tortachu main- l’ancienne rue du bourg avant l’ouverture de la tiendra, pendant rue Vallot. C’est après qu’une digue ait été érigée pour de nombreuses dé- protéger le terrain des crues de la rivière que cennies encore et L’incendie de 1855, détruisant bon nombre les travaux de construction de la maison com- jusque dans les an- de maisons et de granges dans cette partie du mencent, à partir de 1826. Elle doit servir nées 1980, un pas- bourg de Chamonix, sera, pour la municipa- d’école pour les filles de Chamonix. La maison Baud en 1986. sage piéton jusqu’à lité l’occasion de lancer un plan d’alignement la rue des Moulins. avant reconstruction. Deux religieuses, Sœur Anselme et Sœur Mé- Se tortillant entre Malheureusement, son fonctionnement s’avé- lanie, sont déjà sur place, déléguées par la les maisons, des- rera difficile : seules quelques familles sont en La future rue Vallot est Congrégation des Sœurs de la Charité de La cendant parfois des capacité de payer les frais de scolarité (l’éco- tracée plus large, plus Roche-sur-Foron comme enseignantes pour marches d’escalier lage) nécessaires. Dès la rentrée suivante, on ne rectiligne, plus ouverte, les filles et comme pharmaciennes pour les ha- ou empruntant Restaurant le Chaudron compte plus que 23 élèves inscrites... Deux ans avec des bâtisses plus bitants de Chamonix. Arrivées dès 1825, elles une allée de jardin, plus tard, l’école sera fermée ! espacées. On prévoit ouvrent leur classe provisoirement dans l’an- ce passage restera surtout utilisé par les habi- des constructions en cienne « Maison des Dîmes » (futur Relais de tants de la rue des Moulins ou par les commer- Abandonné, le bâtiment sera réutilisé par la dur, utilisant le granit Poste, actuelles parfumerie et pharmacie Piot). çants de la rue Vallot : « On montait derrière la force des choses dès 1831. Devant l’épidémie pour les encadrements terrasse chez nous. Il y avait ce chemin, parallèle de choléra, le conseil municipal décide d’ou- de porte et de fenêtres, Le 2 juin 1828 est inaugurée la nouvelle école, à la rue Vallot, puis on passait un mur jusque vrir une salle pour les malades «à la Maison des pour les escaliers mais au bord de l’Arve. «Chez Ronzel» (actuel café des Sports) pour tra- Sœurs». aussi pour les trottoirs. Ruelle dans les années 1940 verser jusqu’à la rue Vallot ». 10 11 En 1844, Jean-Marie Tronchet, fils de l’ancien le magasin se situe sous meunier ex-propriétaire du terrain, rachète le les arcades), logeant sur bâtiment et en termine la construction. Suivra place avec sa femme et une cascade de successions qui, d’héritage en ses deux enfants. legs et par la loi du hasard, ramènera le bâti- François Cordera y ins- ment dans la propriété de la Congrégation des tallera son atelier de ser- Sœurs de la Charité. rurerie de 1958 à 1974.

D’Hortense Josèphte Tissay, fille héritière, la maison passera dans les mains de sa tante Ade- Années 1980 : entrée du bureau des guides indépendants. line Eugénie Tisserand (1912), puis de la fille Acquise par la commune aux fins de loger des de cette dernière, Denise Eugénie épouse Baud Une des réalisations de François Cordera associations locales, la «Maison Baud» est la dont l’unique héritière, Marcelle entre au cou- proie des flammes le 7 février 2006. Sa restau- vent des Sœurs de la Charité, léguant ses biens ration, par l’atelier d’architecture Guerzou, lui à la Congrégation. garde son aspect architectural d’autrefois, avec ses deux portes d’entrée légèrement en contre- Les religieuses exerçant leur sacerdoce à l’hô- bas de la chaussée, et son aspect massif propre pital de Chamonix y seront logées entre 1978 Joseph Vauturier en compagnie de Denise Eugénie Baud. aux maisons traditionnelles du bourg. et 1985. Ci-dessous avec Marcelle Baud, religieuse, en 1966. Au début des années 1970, la presse parle Suivant les conseils avisés de René Simond, d’une ancienne maison «abritant l’atelier d’un président des Amis du Vieux Chamonix, la ferronnier-serrurier, qui, avec son toit typique commune se porte acquéreur en 2002. mériterait bien d’être restaurée et mise en va- leur.» Le même article émet des réserves sur Lorsque la famille Cordera arrive à Chamonix cette réalisation... Et pourtant... Faisant réfé- en 1933, c’est Madame Tisserand qui leur loue rence à la typologie des fermes ancestrales de le premier étage. La maison ne possède pas le la Haute-Savoie, la maison, agrémentée de son grand confort, mais son loyer reste accessible. toit débordant sur une large croupe, est réper- Italiens originaires de Vercella (près de Turin), toriée au plan des références architecturales en Giovanni est embauché comme maçon chez 2005. Restaurée dans son enveloppe ancienne, Catella, tandis que son épouse propose ses ta- elle est devenue le lieu de conservation et de lents de couturière. valorisation des archives de la vallée.

En 1951, Madame Baud et sa fille, religieuse, logent Joseph Vauturier et sa fille Arlette (fu- ture épouse de François Bruno), âgée de 9 ans, tous deux venus de Naves, près d’Annecy. Homme à tout faire, Joseph travaille dans les En 1975 la Compagnie des Guides Indé- maisons d’enfants, nombreuses encore à Cha- pendants voit le jour, initiée par Gil et Patrice monix à accueillir et soigner les petits citadins Bodin, et Jean Afanassieff. malingres. Ancienne institutrice d’une grande Une demoiselle Baud, thononaise, religieuse gentillesse, Madame Baud aide la petite Arlette et «adorable» leur loue le rez-de-chaussée où Au rez-de-chaussée, on trouvera tour à tour : pour ses devoirs d’école. Ils resteront dans ce ils installent leur bureau des guides à côté de un restaurant « Chez Tony », dont la cuisine quartier, pauvre mais animé et riche de beau- l’atelier de couture. Ils y demeureront jusqu’en donne directement sur l’Arve, une forge et une coup d’entre-aide jusqu’en 1988. 2006. ferronnerie. Pendant quelques années, un dé- nommé Appiuma, cordonnier, y travaille pour l’atelier de cordonnerie de M. Ducrey (dont 12 13 Les petits métiers ChapitreVIId’autrefois Ils sont nombreux les petits métiers, les petites industries nées, dans un premier temps de la force hydraulique.

La fabrique d’objets en corne

Le «tourneur d’objets en corne» est cité par Charles Vallot en 1927 et décrit par Daniel Baud-Bovy en 1905 : « La lumière (de l’atelier) y est tamisée de poussière grise, et toutes grises sont les solives du plafond où, suspendues à des poulies, Sur le feu de la forge bout une marmite d’huile, les se déroulent sans fin des courroies qui luisent et fragments évidés de corne qu’on y trempe s’y ramol- vibrent. Les unes actionnent les tours qui servent lissent rapidement ; on peut alors, en les forçant La maison Dufour dans les années 1920. à creuser et à polir les cornes, les autres, la scie dans les calibres, leur donner une forme régulière, Les chambres mansardées sont occupées par A gauche (à l’emplacement d’une ancienne tournante qui les tranche d’un coup ou la meule ou même, après les avoir fendus dans le sens de la les commis de charcuterie employés par Louis quincaillerie), se trouve l’abattoir, au bout à aiguiser. longueur, les convertir en feuilles translucides. Un Dufour. « On avait au moins deux commis à d’un étroit couloir par lequel entrent, chaque ouvrier, en ce moment, confectionne des liens de l’année et en été on en prenait deux ou trois de lundi matin en été, une douzaine de cochons. serviette ; c’est une merveille de le voir, d’une pres- plus. Une bonne venait nous garder ». Ils ont été livrés par un camion de la maison sion de poinçon, diviser en trois ou quatre par- Gennoz. Tous les enfants de la rue des Moulins ties, les cylindres de corne enfilés à un axe tour- attendent ce moment, fatidique pour les bêtes, nant ; un sifflement bref de l’acier, une fine la- avec une grande angoisse mêlée d’excitation. nière de corne qui jaillit et se tord, un battement «Parfois ils avaient peur. Ils voulaient se sauver. de l’outil qui éloigne l’anneau obtenu, il n’y faut Il fallait les retenir. Ça hurlait ! On entendait pas une seconde ; puis, d’une marque à feu rou- leurs cris jusqu’au bout de la rue !» « On grimpait gie, il imprime sur la corne encore souple un sur des cageots pour regarder... » nom : Chamonix. »

La charcuterie Dufour

Cette grande maison, ornée d’un grand balcon au premier étage que l’on peut admirer dans les années 1920 appartient à Madame Veuve Lam- bert Favret née Aline Payot. Les époux Dufour Très généreuse, Simone Dufour a toujours sa (Simone et Louis), originaires de Scionzier, table ouverte pour celui qui est dans le besoin. l’achètent en 1945. Au rez-de-chaussée de la maison, des locaux La famille Dufour habite au premier étage, techniques ont été aménagés afin de renta- tandis que l’ex-propriétaire a gardé son loge- biliser la charcuterie qui possède un pas-de- 1905, fabrique d’objets en corne 1944 : Henri, René, Marie-Jeanne, Georges et Claude Dufour ment au deuxième. « On lui portait à manger, porte sous les arcades (actuellement bureau de elle habitait tout en haut ». l’agence du Dauphiné Libéré). 14 15 A l’arrière, on Premier atelier d’imprimerie à Chamonix ? Aujourd’hui, le salon de thé « Le Gouthé » oc- a construit un « J’ai travaillé comme un dingue, dira-t-il, au cupe les lieux et masque derrière une paroi de séchoir ainsi moment de passer le flambeau. Né en Bretagne, bois les traces de suie de l’ancien poêle. qu’un ensemble j’ai commencé mon apprentissage à 14 ans et Lors de ses travaux de rénovation, Philippe d’équipements tourné dans différentes villes de France .» Couttet a eu la surprise de découvrir, en com- pour la fabri- Deux ans plus tard, il épouse Bertha Claret. pagnie des anciens occupants, une jolie fresque cation et la fleurie réalisée à l’encre d’imprimerie. conser vation Depuis cette date, l’atelier de l’Imprimerie de la charcute- Nouvelle édite tous les documents dont la po- rie : saucisses et pulation a besoin : cartes de visite, dépliants, saucissons, jam- faire-part, billetterie... bons. En 1978, Patrick Compois et André Re- Marie-Jeanne quet en communiante, s’associent pour reprendre l’affaire. Que années 1950 de chemin parcouru depuis : « L’atelier était chauffé par un méchant poêle à bois dont le tuyau Tous ces locaux subissent, bien sûr, un sévère de sortie traversait toute la pièce pour évacuer la contrôle sanitaire. Sur la commune de Chamo- fumée sur le devant. Tout le mur du fond était nix, Jules Bonnet (père de Marie-Thérèse Os- noir de suie. Quand on imprimait les affiches, il terberger, ancienne élue) est chargé de vérifier fallait les sortir une à une à la main... Cliché typographique réalisé en métal ; il est gravé par l’action régulièrement la conformité des lieux et des d’un acide après insolation à travers un film. La plaque de métal gravée est ensuite montée sur un bloc de bois. Le cliché, techniques. C’est un poste de grande impor- à l’envers, est monté manuellement dans une «forme» dans la- tance pour l’ensemble des étals de boucherie et quelle est composé le texte en relief avec des caractères en plomb ; de charcuterie du canton. La famille Simond : Hector, Angèle et Yvette. l’ensemble se reproduit à l’endroit par impression typographique, feuille à feuille, procédé devenu aujourd’hui obsolète. La Maison Simond Hector André Monterrain, Patrick Compois et André Requet, 1978 D’une très ancienne famille chamoniarde, Hector Simond est propriétaire de cette char- mante petite maison au balcon ouvragé avec simplicité. Non intéressé par ce pas-de-porte, ayant par ailleurs ouvert un commerce du côté de Cluses, il le loue, dans un premier temps.

André Monterrain s’y installe dès 1931.

Louis Dufour sur la place du Poilu.

Le laboratoire de charcuterie, ainsi que le fu- moir pour les jambons et saucissons, se trou- vent au sous-sol du magasin. Louis Dufour a parfois recours à ses parents, cousins ou amis de Scionzier pour le fumage de charcuterie, opération délicate s’il en est. Surtout en saison, tous les membres de la fa- mille, parents et enfants, sont mis à contribu- tion pour faire tourner l’affaire ! André Monterrain et François Coquoz en 1934. 16 17 La famille Giazzon Nous sommes au milieu des années 1930. Deux frères, Attilio et Federico, natifs de Santa Giustina près de Belluno, viennent «s’embau- cher» comme maçons au sein de l’entreprise Catella.

Les enfants Giazzon, années 1940 D’abord scolarisés à l’école Jeanne d’Arc, toute proche, les enfants fréquenteront en- suite l’école du centre. « J’avais 6 ans en 1942, raconte Irma. J’ai appris à lire par la méthode globale, pour ainsi dire : mon père me faisait la lecture en français, et je suivais avec son doigt les mots sur le livre. Pendant la guerre, la directrice d’école, Mademoiselle Carrier, ne pouvait pas me La boucherie Mermin-Collomb L’abattoir (personnel) et la maison d’habita- donner le biscuit de guerre auquel tous les en- Sur un terrain vague appartenant à la famille tion se trouvent sur la place du Mont-Blanc, fants avaient droit : j’étais italienne. Pendant la Payot, Arsène (dit Marcel) Collomb fait terrain vague à l’époque, traversé par le torrent récréation, c’est Mademoiselle Didelon, ma maî- construire sa maison en 1951, comportant un de Blaitière que l’on a canalisé tant bien que tresse, qui partageait le sien avec moi.» pas-de-porte dans le but d’ouvrir son étal de mal. boucher. Huguette et Fernand Mermin prennent la re- lève dès 1965 après avoir modernisé le magasin et réalisé les travaux nécessaires au logement Luigia et Federico Giazzon, années 1930 du premier étage.

Tandis qu’Attilio et son épouse Matilda habi- tent, avec leurs huit enfants, dans la maison de Madame Weissen (actuelle Maison Arpin), Federico et Luigia s’installent au deuxième étage d’une petite maison (actuel restaurant Le Chaudron). «Seul le rez-de-chaussée était distri- bué en eau courante. Un grand bassin servait de lavoir, et, de temps en temps de baignoire pour peu qu’on y ait descendu des brocs d’eau chaude.» L’eau courante est installée en 1959.

« Du côté du bâtiment ex EDF, il y avait un tas de terre qui remontait vers la future route. Les enfants y grimpaient pour se rendre à l’école ou s’amusaient à faire de la luge l’hiver. La terre s’éboulait sous les pieds et les maigres barrières de bois étaient à refaire chaque année. » Années 1940 : les enfants Giazzon devant l’hôtel Beaulieu 18 19 Une petite rue très vivante

Cette petite rue des Moulins, pour discrète et pendant longtemps assez pauvre qu’elle soit, n’en a pas moins cultivé un véritable art de La ferme Payot vivre. Chapitre Ateliers d’artisans, petites industries, habi- tations familiales... Tout est réuni pour faire de cette rue un lieu de vie modeste mais très animé. VIIIComme l’indique le linteau, ajouté récemment croiser ces étrangers qui au-dessus de la porte, et comme le stipulent les vivent dans un intérieur Parmi les métiers aujourd’hui disparus, ou documents de l’actuel propriétaire, cette très sombre et insalubre, un presque, on y trouve un staffeur ou stuca- ancienne bâtisse daterait de 1622, ce qui en vrai taudis. Pour résister teur : Fred Fontanini, son épouse et son fils ferait une des plus vieilles maisons du bourg. au rude climat de Cha- Bernard. De véritables œuvres d’art naissent monix, auquel ils ne sont de ses mains habiles et de son coup de poi- Situés à proximité des moulins et autres fou- pas habitués, ces der- gnet énergique et rapide. lons, c’est sur cette rive que se sont implan- niers s’emmitouflent de tés trois fours à pains, dont les voûtes de deux couches superposées de On y croise aussi un peintre, répondant au d’entre eux subsistent aujourd’hui à l’intérieur vêtements. Parfois, cer-

nom de Crossi, dont le dépôt de peinture se collection Christophe Boillon de l’établissement. On distingue également tains d’entre eux fêtent trouve au bord de l’Arve (près du Pèle) et un Construction de la rampe de l’avenue du Mont-Blanc. d’énormes gonds de fer, reliquats d’une an- le Ramadan : de bien tailleur de pierre, Ranzoni. cienne et lourde porte d’entrée ; un anneau effrayantes coutumes à métallique d’attache des mulets et chevaux l’époque... Logeant dans un modeste baraquement de Le restaurant La Tartiffle pourrait y attester de l’activité d’un maréchal- bois, travaille un sellier. « Il faisait des mer- ferrant. En 1963, Raoul Lanet est le maire de Chamo- veilles, cousait le cuir et confectionnait toutes Plus récemment, les riverains accueilleront avec Dans les an- nix et il projète de transformer la rue des Mou- sortes de modèles de sacs. » joie Madame Dufour. Lyonnaise, elle s’installe nées 1940-1950, lins en vaste marché couvert. Mais cette idée aux fourneaux de son petit restaurant et pro- la famille Payot ne se réalisera pas et un an plus tard, Théo dit Dans la Maison Baud, un certain Lambros- pose un régal de petits plats traditionnels, tout « Kak » est pro- «Coco» Monard se rend acquéreur de la ferme chini fait fonctionner une forge. simples. Sa bonne humeur et sa gentillesse res- priétaire de cette auprès des héritiers des familles Payot, Ribey- tent dans les mémoires ! ferme, occupée par rolles et Crossi. Il crée un ensemble magni- Les gamins de la rue se souviennent tous du un vieux couple fique, le « Pèle » et le restaurant le « Crochon ». « Russe », « Monsieur Paul », Paul Tchester- de paysans avec nikov, qui prétend être capitaine de l’Armée deux vaches, Après les dégâts de l’incendie de 2006, il s’at- Impériale du Tsar Nicolas II. Il habite, avec sa des poules, des telle à la reconstruction. Le « bar des Moulins » mère, vieille dame très distinguée, un petit gre- chèvres et des oies revit grâce à Xavier son fils, et le Pèle avec son nier derrière l’imprimerie, parle 14 langues et « qui nous pinçaient restaurant le Cap Horn voient le jour et sont enseigne parfois l’anglais... les mollets ». A deux inaugurés en décembre 2011 par Laurence pas des hôtels les Claret-Tournier et Vim son mari. Les travaux La rue vit également au rythme des entrepôts plus cotés de Chamonix, c’est un habitat vrai- de restauration ont restitué une magnifique des magasins de la rue Vallot. La Crémerie ment rudimentaire, sans aucun confort ! charpente et mis en valeur les fours à pain, les Collin, dont les propriétaires sont originaires voûtes du sous-sol et leurs piliers. La grande de Scionzier, y décharge notamment les fro- Un peu plus tard, dans les années 1955, la mai- roue de l’ancien moulin est conservée. Pour la mages, achetés chez des cousins paysans et qui son est occupée par les premiers Algériens ren- toiture, les larges lauzes de rem- seront affinés dans leur sous-sol. trés «en métropole» avant que n’éclate le conflit placent les ardoises de Morzine disparues. De que l’on connaît. Il n’y a que des hommes : l’autre côté de la rue, la sœur de Coco, Mireille pas de femmes, pas d’enfants. Aussi les gosses et son mari Pierre Osterberger gèrent avec leur du quartier craignent-ils particulièrement de fils le restaurant le « Chaudron ». 20 21 Au sortir de la guerre, les petits Chamoniards se régaleront eux-aussi avec Hoppy la marmotte et You-pi le chamois, contes pour enfants écrits en 1945 et 1946 par Philippe Gaussot, La librairie et les journaliste au Dauphiné Libéré et illustrés par Pellos. Pour compléter la trilogie, on prévoit Chapitre Tcherk le choucas, mais il ne verra jamais le éditions Landru jour ! IX L’histoire des Editions Jean Landru s’arrête peu En 1939, c’est la mobilisation et Jean Landru après pour des raisons de livraison impayée au est réquisitionné pour s’occuper de la presse Roger Carle, Uselac, Madame Roberts, Jean Brésil. dans les armées. Il sera démobilisé un an plus Effel ou Pellos... quelques grands noms d’il- tard, mais l’avenir ne s’annonce pas favorable lustrateurs offriront leur talent pour orner pour les commerçants. La presse végète... quelques œuvres littéraires classiques, comme C’est alors que l’opportunité lui est offerte Les fables de la Fontaine, Les fleurs du mal de monter une petite maison d’édition. Son de Baudelaire, Madame Chrysanthème de grand-père exerce le métier de contre-maître Pierre Loti ou La maison du Chat-qui-pelote dans une usine de papier iséroise, les « Papiers de Balzac. de Rives ». La matière première est disponible. Son goût pour le livre d’art l’entraînera dans cette belle - mais pas très rentable - aventure de la petite édition.

Depuis plus de 80 ans, la famille Landru offre les services de sa librairie-journaux aux habi- tants de la vallée de Chamonix.

Pourtant, quand ils ouvrent leur première li- brairie en 1930, Jean Landru et son épouse ont prévu de ne rester que quelques années à Séance de dédicace, années 1960. Chamonix. Les jeunes époux se sont rencon- trés à Voiron (Isère) où la famille Landru tient « J’avais une dizaine d’années, raconte Marie- un petit magasin de journaux et où les parents Josèphe Collignon, sa fille. Mais je n’avais pas le de sa future épouse viennent d’ouvrir un hôtel. droit de regarder. Les parents en parlaient à voix Œuvres d’art ou œuvres d’artisan ? Il nous Ils s’installent sous les arcades dans un premier basse. » Nus, scènes osées voire érotiques : les reste les quelques rares exemplaires de ces livres temps avant d’emménager dans le restaurant aquarelles reproduites au fil des pages sont par- hors du commun, aujourd’hui recherchés par désaffecté de l’hôtel Métropole et Victoria. fois imprimées en tiré-à-part et constituent de les bibliophiles. magniques lithographies en coffret.

Carton publicitaire pour les éditions Jean Landru.

22 23 La résidence Chapitre Victoria Années 1950 - personnalités sur la terrasse de l’hôtel X Dans les années 1940, on reçoit une clientèle aisée venue d’Afrique du Nord ou d’Indo- chine. Mais on accueille aussi, comme dans de nombreux établissements de la vallée, des ma- lades atteints de primo-infection venus respi- rer l’air pur des montagnes. Pendant la guerre, certaines familles riches y «cachent» leurs en- fants, les tenant ainsi à l’écart des turbulences des villes.

Années 1950 : on aperçoit les arcades de l’ancien hôtel, Décors de plafond, peinture, stucs et médaillons. aujourd’hui noyées dans le parking souterrain. Transformé en appartements en 1965, on lui donne le nom de Résidence Victoria en souve- Une société, dite franco-suisse, achète bâti- Plus tard, en 1910, seront entrepris les travaux nir du passage de la Reine Victoria qui serait ments et jardins à la famille Tairraz, dans les de construction du « Chamonix Palace ». L’hô- venue, dit-on, très discrètement dans la vallée années 1870. « Ces beaux établissements appar- tel d’Angleterre passe, dans les années 1923- à l’occasion d’un de ses nombreux séjours dans A l’emplacement de l’actuelle place de Gar- tiennent aujourd’hui à une société en comman- 27, aux mains de Paul Simiot qui le rachète à la station thermale d’Aix-les-Bains. misch-Partenkirchen et des bâtiments de dite formée par les principaux maîtres d’hôtel la Société Franco-Suisse. l’Irish Coffee et du Rond-Point, on trouve suc- de Genève. Sous le nom d’Hôtels Réunis, ils sont La passerelle conduisant au Chamonix-Palace cessivement des jardins, puis le fameux hôtel placés sous la direction de Christiaens (...). Les est retirée, le jardin est surmonté d’une dalle et de Londres, démoli en 1920, puis à nouveau garçons parlent plusieurs langues, la plupart sont transformé en parking couvert : les belles arches un magnifique parc entouré d’un élégant mu- allemands, suisses ou genevois. » Ainsi s’exprime de granit dorment désormais sous le béton. ret et ouvert par un large portail, puis, jusqu’en Achille Raverat en 1872. 1949, deux petits chalets de bois où se vendent En 1999 le feu ravage la salle et des souvenirs. atteint le bâtiment de l’ancien hôtel d’Angle- terre. Parquets, peintures, stucs, disparaissent à tout jamais. Seuls subsistent la première par- tie du très bel escalier de granit, quelques stucs

Années 1950 - Edgar Coutaz à gauche derrière dans l’entrée et quelques encadrements de gra- lors d’une des nombreuses réceptions organisées dans ses salons. nit des portes et fenêtres du rez-de-chaussée, remarquables de raffinement. Edgar Coutaz, alors instructeur à l’EHM, entre dans la famille et imprimera à la vie de ce désuet, mais charmant établissement, une at- mosphère chaleureuse dont beaucoup de Cha- Très bel escalier en colimaçon. moniards se souviennent. Détruit en grande partie une première fois par l’incendie de 1855, l’Hôtel de Londres sera ce- A deux pas de la mairie et du Syndicat d’Initia- pendant reconstruit et fera partie de l’ensemble tive, on y organise les réceptions officielles, les du « Grand Hôtel de Londres et d’Angleterre » remises de médailles à l’issue des compétitions tenu par Victor Tairraz et ses frères. L’hôtel d’Angleterre encore en exploitation dans les années 1940. de ski et les vins d’honneur divers et variés. 24 25 L’E.M.H.M.80ème anniversaire L’année 2012 nous invite également à fêter deux anniversaires : > Les 80 ans de l’E.M.H.M. Le 4 juillet, vernissage de l’exposition au Musée Alpin dédiée à l’histoire de l’E.M.H.M. Concert des musiques militaires de Lyon et de la fanfare du 27ème B.C.A. Le 5 juillet, place du Triangle de l’Amitié, départ du Colonel Hubert Gomart, passation de pouvoir et prise de commandement du Lieutenant-Colonel Quentin Bourgeois. > Les 40 ans de la Maison de la Montagne (cf. page 29)

Depuis 80 ans, l’EHM, devenue EMHM - 1938 : Un des premiers quartiers de l’EHM (Ecole Militaire de Haute Montagne), est pré- à Chamonix : l’hôtel Balmat, derrière la mai- - 1945 : L’EHM retrouve ses locaux dans l’an- - 1952 : Acquisition du garage Amiot, dans sente à Chamonix. Dans leurs lieux de vie, rie (appelé plus tard Hôtel Rallye, aujourd’hui cienne école communale de Chamonix (occu- la rue Paccard. Pendant de longues années, les d’entraînement, de travail ou d’apprentissage, démoli). pée pendant la guerre). Chamoniards y verront déboucher les véhi- les militaires de l’EMHM font partie de la vie cules militaires. de la vallée au quotidien. Complètement in- tégrée, cette structure, animée par des profes- sionnels de la montagne hautement qualifiés, participe activement à la vie de la communauté.

Ces quelques images témoignent de leur pré- sence, parfois discrète mais néanmoins bien ancrée, dans la vallée.

-1942 : Pendant la guerre, les jeunes gens peu- - 1945 : Pour loger le personnel, on réquisi- vent être formés dans des centres de Jeunesse tionne puis on loue l’ancien hôtel Royal (ca- et Montagne, comme ici, à . sino).

- 1953 : Acquisition de la Villa Rosemont. Les gens du pays l’appelleront immédiatement « Maison du Colonel », car c’est là que logent tous les chefs de corps successifs, depuis 1954. - 1936 : Défilé de l’EHM dans la rue Paccard : On ne peut s’empêcher d’en admirer le style Le Capitaine Pourchier est à cheval. néo-palladien très opulent, avec pilastres, fron- ton, colonnes et chapiteaux...

- 1948 : Acquisition de plus d’un hectare de terrain aux Pècles. On prévoit, au départ et pour des questions budgétaires, de simples ba- - 1945 : Pendant quelques temps, ce bâtiment raquements. Mais la commission d’Urbanisme appartenant à l’Etat (Chalet du CAF au Tour) n’est pas d’accord. On ajoute des fenêtres et sera utilisé par l’EHM. des balcons pour agrémenter les façades. - 1936 : photo de groupe. 26 27 La Maison40ème anniversaire de

- 1957 : A la Flègère, la chavanne, chalet d’al- la Montagne page où l’on fabrique le fromage, n’était plus La Compagnie des Guides de Chamonix, Au Sud-Ouest, la porte cintrée et les deux utilisé. Un nouveau refuge est aménagé pour - Parmi les « figures » ayant marqué spéciale- l’Ecole de ski Français, l’Office de Haute- petites fenêtres en tuf de la façade principale 30 personnes : utile pour le ski et l’alpinisme ment Chamonix de leur empreinte : Montagne et la Chamoniarde, le Météo-site... actuelle constituent les rares éléments architec- dans les Aiguilles Rouges. les structures-phares de la vie montagnarde turaux du bâtiment initial. La « salle du tour dans la vallée de Chamonix s’abritent, de- de rôle des guides » a gardé son plafond voûté puis maintenant 40 ans, dans cette ancienne de l’époque médiévale. Il faut aussi remarquer bâtisse, à l’emplacement même du premier l’entrée de cette salle ainsi qu’un arc surbaissé prieuré, base de l’histoire de Chamonix. donnant sur la pièce d’accueil. Deux autres ou- vertures du même style, aujourd’hui murées, donnent dans les couloirs.

- 1963 : Ouverture de l’hôtel de Lognan. Ce sera, pour les stagiaires, un refuge très appré- - Capitaine Pourchier : de 1932 à 1939 cié pour le ski de randonnée et les courses en montagne dans le bassin d’Argentière.

La très secrête salle du tour de rôle actuelle

Cet austère bâtiment cubique, avec un toit Reconstruit par la Collégiale de Sallanches à quatre pans et d’épais murs de pierre, est après l’incendie de 1758, ce bâtiment vibre construit sur la structure d’origine de l’ancien depuis le Moyen Age au rythme de la vie du prieuré. C’est alors un ensemble fermé avec pays. Il est difficile d’imaginer ce que constitue une tour carrée percée de sévères meurtrières. alors, ce « prieuré comprenant une maison forte Une aile latérale, le «petit corps de logis du et une église adhérente… Une cour séparant la prieur» est contiguë au chœur de l’église, une nef des bâtiments claustraux composés d’un grand fenêtre s’ouvrant directement sur ce chœur. corps de logis parallèle à la nef et, perpendiculai- - Quelques images de secours en montagne. rement à celui-ci, un petit corps de logis où étoit De la construction primitive, la restauration la chambre du prieur ». En 1583, un premier in- a conservé au Nord-Ouest l’ancienne porte à cendie détruit une grande partie de l’ensemble des encadrement de tuf, du XIIe siècle, ainsi qu’un bâtiments. Lorsque la Collégiale de Sallanches en pilastre que l’on fait correspondre à l’arcature entreprend la reconstruction, «... l’on en diminua du chœur de l’église, la petite niche abritant le les deux tiers et l’on ne conserva du premier bâ- ciborium (petite construction destinée à abri- timent que la portion qui servait de réfectoire ou ter le ciboire, vase sacré dans la liturgie catho- pèle et de cave, laquelle est encore la même. (...) - Colonel Gonnet : de 1963 à 1969 lique). 28 29 De l’ancienne cuisine, l’on a formé l’allée d’en- Avec « l’Alpine L’Office de Haute Montagne (O.H.M.), L’Ecole de Ski Français trée, le cabinet et la chambre du domestique à Club » vient le la Chamoniarde et le Météo-Site l’entrée de ladite allée et la cour actuelle du prieu- temps de l’alpi- Importés de Norvège en 1876, les premiers skis ré était les 2/3 du bâtiment que l’on a détruit…». niste-explora- En 1972, après une saison d’été particulière- sont considérés à Chamonix comme un moyen L’ancien prieuré est utilisé pendant de lon- teur qui tente ment inquiétante, nombreux sont les profes- de locomotion. Le Docteur Michel Payot les gues années comme presbytère par les prêtres de gravir toutes sionnels cherchant une solution qui préserve- utilise pour se rendre au chevet de ses malades. successifs. Puis, devenu trop insalubre, il sera les cimes vierges. rait à chacun l’espace de liberté que constitue Ainsi, les skis vont-ils très vite être adoptés complètement désaffecté jusqu’en 1972, année De nouveaux la montagne tout en réduisant les risques liés à par la population de la vallée ! Et ce, d’autant où Gérard Devouassoux, de haute-mon- conflits - entre la méconnaisance du milieu. L’initiative en re- plus rapidement que naissent les sports d’hi- tagne et moniteur de ski, mais aussi adjoint au professionnels vient à Gérard Devouassoux, sur une « concep- ver et que les hôtels de Chamonix installent maire de Chamonix, en initie la réhabilitation. et amateurs - tion généreuse, originale et efficace d’aborder la le chauffage central pour pouvoir accueillir les conduisent à la délicate question de la prévention des accidents de touristes en hiver. La Compagnie des Guides de Chamonix dissolution de la montagne par le biais de l’information ». Très familier de ces drôles de planches, le Doc- Compagnie en teur Michel Payot fonde le premier « Club des Plus de 180 guides de haute-montagne et ac- 1892. Elle y per- Sports Alpins » à Chamonix, organisant des « compagnateurs en moyenne montagne se re- dra le monopole concours de ski » dès 1908. Après la première groupent dans cette structure atypique née en de l’activité sur le Guerre Mondiale, un autre adepte du ski, Al- 1821. massif du Mont-Blanc, mais renaitra, deux ans fred Couttet, dit Couttet-Champion, rédige Au XVIIIe siècle, Chamonix accueille de nom- plus tard, sous forme de « syndicat ». un petit memento sur la technique du ski et breux visiteurs, curieux d’admirer les «glacières» Le XXe siècle ouvre les portes de la montagne crée ce qui deviendra plus tard l’école de ski. et de frémir devant les «sublimes horreurs» de aux sports d’hiver. Le ski est né, la Haute Les championnats du monde de ski de 1937 la montagne. Le «monarque», le Mont-Blanc, Route est ouverte. « Terrain de jeu », la haute valideront la technique française de ski : l’Ecole vaincu en 1786 par et Michel- montagne devient par ailleurs le théâtre d’ex- de Ski Français est officiellement créée sur le Gabriel Paccard, attire le regard. On le voit de- ploits sportifs extraordinaires. Les plus grandes territoire national. puis Genève... voies sont ouvertes, parfois par les guides de la Compagnie, mais parfois aussi par des alpi- L’ESF de Chamonix (également installée dans Ainsi, une expédition, conduite par le Docteur nistes extérieurs à la vallée. Une nouvelle fois, les murs de la Maison de la Montagne) démarre Hamel se met en route pour le Mont-Blanc la concurrence est rude, et les membres de la en 1943 (officiellement 1946) avec douze mo- en 1820... et se termine tragiquement par la Compagnie doivent se remettre en question. niteurs, suivie de près par l’ESF d’Argentière. mort de trois guides. C’est le premier accident grave : les guides décident de s’organiser afin Les guides étaient initialement formés «sur le Les années d’après-guerre et le Plan-Neige, d’éviter que pareille catastrophe ne se repro- tas» : le jeune homme est embauché par son Structure associative en partenariat avec la com- avec la forte démocratisation de cette activité duise. Le 24 juillet de l’année suivante naît père ou son oncle comme porteur. Son rôle mune, l’Office de Haute Montagne est ouvert de loisir, feront office de rampe de lancement la « Compagnie des Guides de Chamonix », consiste, comme son nom l’indique, à porter le à tous. Topos, livres, magazines, cartes topogra- fabuleuse pour les écoles de ski. Chamonix structure avalisée par le Roi de Sardaigne en sac du client ainsi que tout ce dont on aura be- phiques, cassettes vidéo sont à disposition. compte aujourd’hui plus de quatre cents mo- 1823 : c’est la plus ancienne compagnie des soin pendant l’ascension : couvertures, vivres, niteurs. guides au monde. bois pour le feu... Deux siècles plus tard, le tra- Aujourd’hui, l’Office de Haute Montagne fu- vail de porteur n’existe plus. Les guides seront sionne avec la « Chamoniarde » (association Dans la vallée, le rôle des guides est très impor- dorénavant formés à l’Ecole Nationale de Ski regroupant les divers acteurs de la sécurité en tant, s’opposant parfois à celui des hôteliers, les et d’Alpinisme nouvellement créée en 1945, montagne) pour travailler de concert sur tous deux corporations venant alors se concurren- située successivement au village des Praz, au les sujets concernant l’organisation des secours, cer sur le plan financier. centre Jean Franco au Lyret, et actuellement mais surtout pour la prévention et la sensibili- Des conflits éclatent, sur la place du Mont-Blanc. sation des scolaires, des jeunes, des volontaires. des restructurations sont nécessaires... Les pre- Aujourd’hui, à l’instar de Roger Frison-Roche Par ailleurs, issu d’un partenariat avec Météo- mières excursions à dos coopté au sein de la Compagnie bien que non France, un espace d’information météorolo- de mulet ont fait place à natif de la vallée, de nombreux alpinistes de ta- gique, « le météosite », vient en complément des ascensions difficiles lent obtiennent leur diplôme de guide et rejoi- de l’OHM, avec une évolution vers le « Pôle L’église et son presbytère en 1840. sur glacier. On s’adapte. gnent les rangs de la prestigieuse compagnie. Montagne Risk ». 30 31 Aquarelle de Claude d’Ham - Rue des Moulins © 1985