Etudes et Travaux

n°86

Hamani Oumarou

La construction du « local » et la gouvernance communale

par le bas L’exemple de la commune rurale de Banibangou ()

Juin 2011

La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

Sommaire

INTRODUCTION ...... 3

I. LA DECENTRALISATION ET LES DYNAMIQUES ASSOCIATIVES : LE DEBAT ...... 6

II. LE CADRE GENERAL DE L’ETUDE ...... 9 BANIBANGOU, UNE COMMUNE RURALE ENCLAVEE OUBLIEE PAR L’ETAT CENTRAL...... 9 L’ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL LOCAL ...... 9 LES SERVICES DECONCENTRES DANS LA COMMUNE ...... 10 LE DISPOSITIF DU PROGRAMME DE COOPERATION DECENTRALISEE (PCD-II) : UNE ENCLAVE INSTITUTIONNELLE ...... 12 LE PROJET ET SON DISPOSITIF D’INTERVENTION ...... 13 LES « OFFRES » DU PROGRAMME DE COOPERATION DECENTRALISEE ...... 15 LA COMMUNE ET LA REALISATION DES INFRASTRUCTURES PUBLIQUES : DISCOURS ET PRATIQUES ...... 17 LE COFINANCEMENT DES DEMANDES DES GROUPEMENTS ...... 17 LE ROLE DE LA COMMUNE DANS LE DISPOSITIF DU PCD-II ...... 19

III. ETHNOGRAPHIE D’UNE DEMANDE : LA CONSTRUCTION D’UN BLOC DE CLASSES ...... 21 LES INFRASTRUCTURES SCOLAIRES, UN REEL BESOIN POUR LA COMMUNE...... 21 AVOIR UN BLOC DE DEUX CLASSES, L’HISTOIRE D’UNE DEMANDE ...... 22 LA REAPPROPRIATION DE LA DEMANDE PAR LE CONSEIL MUNICIPAL ...... 23 LES CLASSES : OBJET DE DEBAT AU CONSEIL MUNICIPAL ...... 23 RECHERCHE DE FONDS ET RECOURS AUX RESSORTISSANTS ...... 24 TROUVER UN PORTEUR DE L’ACTION ET SE CONFORMER AU DISPOSITIF DU PROJET ...... 25 MISE EN PLACE D’UN DISPOSITIF DE MOBILISATION DES FONDS CENTRALISE ...... 25 EMERGENCE D’UNE NOUVELLE CULTURE DE L’ECOLE ? ...... 26 « AVANT ON N’AIME PAS L’ECOLE, MAIS MAINTENANT ÇA A CHANGE », UNE NOUVELLE IMAGE DE L’ECOLE ...... 26 « MAINTENANT ON ELIT, AVANT ON DESIGNAIT ! », DEMOCRATISATION DES STRUCTURES DE GESTION SCOLAIRE ...... 26 LA REVISION DU MANDAT DES MEMBRES DU COGES ...... 27

IV. CONCLUSION : LES ELEMENTS DE TENDANCES ...... 29

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La construction du « local1 » et la gouvernance communale par le bas

L’exemple de la commune rurale de Banibangou (Niger)

Hamani Oumarou

Introduction

Les réformes de décentralisation ont mis les acteurs locaux au centre de la production des services publics de base (Mback, 2001 : 95-114 ; Olivier de Sardan, 2004 :9). Les dynamiques induites par ces réformes suscitent des questionnements en même temps qu’une inquiétude partagée par les chercheurs, les développeurs, les décideurs politiques, voire les populations elles-mêmes: quelles sont les capacités des communautés à assurer le fonctionnement des services publics de base dans un contexte de décentralisation ? Sur le terrain, l’élan pour atteindre cet objectif est donné par des acteurs extérieurs qui tentent d’organiser les populations et de mettre en place une nouvelle structuration sociale apte à « accompagner » les efforts de réalisation « de biens publics ». De leur côté, les populations destinataires des ressources du projet ne restent pas inactives. Par un jeu de réappropriation sélective (Olivier de Sardan, 1995), elles organisent leur coopération pour rendre possible la réalisation de leurs propres objectifs. Elles redéfinissent leurs relations avec les différentes instances de décisions (chefferie, conseil municipal, ressortissants, etc.) en en faisant des pôles structurants de la réalité sociale. Il nous parait intéressant dans cette perspective

1 J’emprunte à Olivier de Sardan la notion de « local » qui renvoie à un espace public (et étatique) émergeant où des représentants de l’Etat et des représentants des populations interagissent autour de normes multiples (locales, régionales et nationales) concernant l’accès aux biens et services collectifs et publics.

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 3 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

de saisir le processus par lequel les communes nouvellement installées font leurs premières expériences en matière de mise en œuvre de politiques publiques. C’est l’analyse de ce « jeu complexe des acteurs sociaux, leurs pratiques, les formes de consensus », autour d’une action donnée qui est au centre de notre préoccupation2. Une attention sera accordée aux formes émergeantes de collaboration entre communes et groupements ruraux dans la réalisation d’infrastructures collectives. Quelles significations les élus locaux donnent-ils aux actions des groupements villageois ? L’hypothèse est que, avec la décentralisation, les organisations locales sont devenues des actrices importantes dans le processus de construction des communes. Cette hypothèse sera étayée à travers l’analyse du processus par lequel une association des parents d’élèves (APE) a réussi à mobiliser, autour d’une action de développement, différents niveaux de pouvoirs, à commencer par le conseil municipal. La dynamique locale induite par cette forme de participation permet de saisir la réalité des stratégies d’acteurs, les enjeux, les formes d’articulations entre les différents pouvoirs. Ces aspects seront analysés dans la perspective théorique relative à la capacité des interventions extérieures (ici le projet) à construire un espace public local. Abordée sous cet angle, notre réflexion s’inscrit dans le débat sur le « processus de construction » des communes3 et de la gouvernance locale. Les matériaux empiriques utilisés dans le présent travail ont été collectés au cours d’enquêtes de terrain effectuées dans le cadre d’un programme de recherche du Lasdel, suivi sociologique, dont le but est de comprendre les dynamiques et les transformations induites par la mise en œuvre du Programme de Coopération Décentralisée, au cours de sa seconde phase (PCD-II)4. Le projet intervenant dans un environnement marqué par un pluralisme institutionnel, et une diversité de logiques induites par le processus de communalisation. La commune rurale de Banibangou, située au nord du département de , constitue notre terrain. La méthodologie utilisée, de type qualitatif, combine des entretiens réalisés auprès de groupes stratégiques5 et des observations autour de cas qui présentent des singularités intéressantes. Les sessions d’évaluation, les visites sur les chantiers de

2 Je reprends ici l’une des questions que pose Dominique Gentil, dans le numéro 17 du bulletin de l’APAD, 1999, p. 105-109. 3 Le processus de communalisation a été consacré par les élections locales du 24 juillet 2004. 4 Le programme de coopération décentralisée est co-financé par la République du Niger et la Commission de la Communauté Européenne (sur le fonds FED). Il a démarré en 2003 pour une période de cinq ans. Il appuie huit communes dans les régions de Dosso et de Tillabéri : Abala, Banibangou, Filingué, Karguibangou, Koré Maïroua, , Tombokoirey II et . 5 Les groupes stratégiques renvoient à des agrégats sociaux, empiriques, à géométrie variable, qui défendent des intérêts communs, en particulier par le biais de l’action sociale et collective. Si l’histoire de la notion remonte à Evers et Schil (1988), c’est véritablement Bierschenk et Olivier de Sardan qui vont la systématiser et en faire une catégorie importante de la méthode ECRIS (enquête collective rapide d’identification des conflits et des groupes stratégiques). In Bierschenk et Olivier de Sardan (dir.) Les pouvoirs au village, le Bénin rural entre démocratie et décentralisation, Paris :Karthala.

4 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

microprojets, les sessions de validation des travaux du comité d’évaluation, ont été autant de moments d’observations. Nous nous sommes ensuite entretenus avec les autorités communales, les agents du PCD II et les membres des associations des parents d’élèves. Nos enquêtes ont pris fin 2007, après la fermeture du projet. Après avoir passé en revue le débat sur la décentralisation et présenté le cadre de l’étude, notre analyse sera organisée suivant deux axes. Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre les processus par lesquels les organisations de base, à travers les microprojets qu’elles créent, sont devenues des porteurs de la construction institutionnelle de la commune de Banibangou. Dans cette perspective, il s’agira de comprendre comment ces structures parviennent à mobiliser, autour de leurs demandes, les différents acteurs locaux, y compris le conseil municipal et les ressortissants. Bien qu’elles s’appuient sur les actions de développement, les logiques de mobilisation ainsi que les pratiques des acteurs sont révélatrices d’enjeux qui opposent parfois les acteurs. Le second axe de notre réflexion consiste à décrire, à partir de l’ethnographie d’une demande de classes, comment les divergences sont localement étouffées et substituées par des logiques de collaboration stratégique6, en mettant un accent sur les ‘’ententes’’ entre conseil municipal et l’association des parents d’élèves. Dans le lot des réalisations du PCD II, dans la commune rurale de Banibangou (puits, case de santé, élevage, gestion de ressources naturelles), c’est t véritablement autour de la réalisation des infrastructures scolaires qu’émergent des dynamiques intéressantes pour l’analyse socio-anthropologique, vu la diversité des acteurs qui sont impliqués et la complexité des liens entre ces derniers. Ces liens s’analysent à plusieurs niveaux : entre le projet et son environnement, entre les différentes instances locales de décisions, entre les attentes de la population et les services produits. Le cas de l’APE de Banibangou est pour nous une façon de participer au débat sur la relation entre décentralisation et productions de biens et services au niveau local.

6 A partir d’un cas sénégalais, Blundo montre que les relations entre groupements villageois peuvent passer du conflit à l’entente en fonction des opportunités qui s’offrent à eux. Les thèses interactionnistes soutiennent que « les conflits sont inhérents à toute société » (Gluckman, mais en même temps que « l’ordre social est toujours un ordre négocié » (Anselm Strauss, 1992).

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I. La décentralisation et les dynamiques associatives : le débat

Les études consacrées aux dynamiques associatives actuelles en milieu rural africain recoupent deux principales thématiques. L’effervescence associative en milieu rural (Jacob et Lavigne Delville dir, 1994), ainsi que le regain d’intérêt pour les organisations rurales dans le débat scientifique, sont consécutifs au désengagement de l’Etat par rapport à ses fonctions ‘‘traditionnelles’’ de délivrance de biens et services publics, qui a ramené les organisations rurales sur le devant de la scène du développement local7. Mais en moins de dix ans, les processus de décentralisation en Afrique de l’Ouest introduisent une nouvelle lecture de celles-ci, et ce sont aujourd’hui les politiques de décentralisation qui servent de focale à l’analyse du rôle des organisations rurales. Très vite, la question de l’articulation entre la décentralisation (en tant que projet politique et pratiques sociales) et le développement local a alimenté les débats en sciences sociales (Gentil et Husson, 1996 ; Le Meur, 1999 ; Olivier de Sardan, 1999). Le débat autour de la décentralisation s’est d’abord construit en termes d’opposition entre d’un côté l’idée selon laquelle la décentralisation, en tant que projet politique, déstructure des dynamiques de développement local, lesquelles prennent corps principalement à l’échelle villageoise (Gentil et Husson, 1996) et de l’autre côté, la thèse selon laquelle les actions de développement ne sont visibles qu’à travers des formes d’institutionnalisation et qu’une certaine mise en cohérence ou centralisation est nécessaire (Jean-Pierre Jacob, 1998). Ces deux approches exprimaient les interrogations des chercheurs face à l’innovation politique et institutionnelle que représentait la décentralisation, au moment où cette thématique émergeait (au début des années 90 en Afrique de l’ouest, et 10 ans plus tard au Niger). La réalité politique locale actuelle fournit des éléments d’appréciation sur les rôles attendus et ceux réellement assumés par les différents acteurs de la décentralisation. A côté de ces approches, les chercheurs en anthropologie des pouvoirs locaux se sont investis dans l’analyse de la reconfiguration des pouvoirs au niveau local. L’entrée en jeu des communes dans des contextes institutionnels déjà structurés s’accompagne d’une redéfinition, plus ou moins négociée, des rapports entre les acteurs de l’Etat local. Dans ce contexte, la commune autant que les organisations rurales font leur apprentissage de la négociation avec les partenaires extérieurs. Cette situation fait émerger des interrogations sur les formes d’articulations entre les communes, les organisations rurales et les partenaires d’appui au

7 Je reprends la définition que donnent Gentil et Husson du développement local. Selon ces derniers le développement local est une dynamique économique et sociale, voire culturelle plus ou moins concertée, impulsée par des acteurs individuels ou collectifs sur un territoire donné (p. 67)

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développement local. De façon moins importante apparaît la question de la capacité des organisations rurales à se substituer à l’Etat lorsqu’il s’agit de répondre aux attentes des populations en matière de délivrance des biens et services publics8. A ce sujet, les opinions divergent et les courants pessimistes expriment de vives inquiétudes car selon eux les organisations rurales ne sont pas préparées pour prendre le relais de l’Etat (Deveze, 1992). La préoccupation soulevée par ce type de réflexions peut concerner à la fois à la gestion des infrastructures collectives héritées par les communes dans le cadre du transfert des compétences, et la capacité des groupements ruraux à mettre en œuvre des actions dans le cadre du développement local. La thèse défendue par le présent article vise à montrer l’existence d’une articulation entre les points de vue théoriques opposés soulignés plus haut. Je pense qu’en dépit des idées qui divisent les chercheurs, la décentralisation et le développement local ont des effets structurants qu’il faut isoler et analyser. Dans le cadre du présent travail, le regard sera porté sur le processus de construction d’une commune rurale. De l’expérience du programme veille sociologique réalisé dans la commune de Banibangou (qui intéresse le présent rapport), il en ressort ce bilan : « Sur le terrain, les groupements ont mis en place des organes de gestion propres qui ont peu de liens avec les commissions communales. Dans certains cas, les organes de gestion sont jeunes à l’image des groupements qui les ont créés, dans d’autres cas ce sont des organes peu outillés qui se sont vu confier la gestion des infrastructures nouvelles acquises par les groupements »9 La décentralisation préfigure l’émergence de nouvelles formes de gouvernance autour de la délivrance des services publics en milieu rural. Elle préfigure également de nouveaux types de rapports entre l’Etat central, l’Etat local et les organisations rurales, avec en toile de fond leur rôle dans la construction de l’Etat local10. Nous nous inspirons ici des réflexions de Pierre-Yves Le Meur qui considère le développement local comme un « processus de reconstruction et de relégitimation de l’Etat ». La décentralisation, pour ce dernier apparaît comme une des « modalités » de cette reconstruction (Le Meur, 1999). Une autre catégorie de travaux s’intéresse aux interrelations entre organisations rurales. Des micro-situations d’interactions montrent que le monde associatif

8 La notion d’inquiétude a été diversement exprimée par les chercheurs. Certains l’abordent sous l’angle de la capacité des populations à la base à produire des biens et services, d’autres s’interrogent sur la nature des liens entre le local et le global (repositionnement du pouvoir central dans les arènes locales), d’autres encore posent la question de l’appropriation de la décentralisation (en tant que réforme initiée au sommet). 9 Mohamadou, A., 2007, Rapport de synthèse, veille sociologique, PCD II-Lasdel 10 Pour Olivier de Sardan, comment les réformes de décentralisation en Afrique, dont la mise en place semble inéluctable, vont-elles s’articuler avec les multiples organisations paysannes, comités de gestion, associations de développement. Cf. Olivier de Sardan, « décentralisation et développement local » in bulletin de l’APAD n°17, p. 103

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 7 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

constitue en lui-même une arène. Les relations entre organisations rurales sont ambiguës et oscillent entre conflits et coopération (Blundo, 1994). L’instabilité de ces relations peut être perçue comme le reflet des relations entre celles-ci et les partenaires d’appui. Jean-Pierre Jacob, à ce propos fait remarquer qu’entre partenaires et structures associatives se développent des relations stratégiques, marquées par des manipulations, des négociations et des confrontations. Le travail de Jacob aide à poser le regard sur les enjeux que représentent les structures associatives pour les partenaires d’appui, mais également de façon réflexive, les ressources que représentent les projets pour les associations. Réconciliant les thèses de Jacob et Blundo, Lavigne Delville fait remarquer que, quelle que soit la nature de ces relations, elles sont structurantes de la réalité sociale (Lavigne Delville, 1992). Et tout l’intérêt consiste à comprendre comment ces relations structurent la réalité sociale, comment derrière ces interrelations, les acteurs parviennent à définir des « règles de jeu » et à stabiliser leurs relations. Les réflexions soulignées plus haut ne sont pas déconnectées de la configuration des pouvoirs politiques locaux. Elles renvoient implicitement à la question de la redéfinition des rôles dans une arène marquée par une fragmentation des structures de pouvoir au niveau local. Les interventions de développement apparaissent alors comme des lieux où peut aisément s’observer la redistribution des pouvoirs et rendre complexes les dynamiques politiques locales, selon Bierschenk : « Decentralization complicates political games at local level. While decentralization signifies the open up new political opportunities and the creation of space for political expressions for previously excluded actors…decentralization creates greater fragmentation of political arenas and greater procedural heterogeneity” (Bierschenk, 2002) Les interventions de développement opérant dans un contexte politique de décentralisation, leur analyse doit prendre en compte la question de la recomposition des arènes politiques locales. La décentralisation contribue ainsi à la fragmentation des arènes de luttes et de négociation politiques. Eric Hahonou, à partir du cas de l’ouest nigérien, décrit les stratégies d’anticipation des acteurs locaux à travers le renforcement des phénomènes contestataires et les concurrences pour l’accès au pouvoir (Hahonou, 2002). Il serait alors intéressant de décrire les mécanismes par lesquels des interventions de développement local influent sur les anciens pôles de pouvoir. Si les interventions de projet tentent de retirer aux autorités traditionnelles le rôle de seuls interlocuteurs des populations et de conférer aux groupements villageois une légitimité juridico-politique (Kassibo, 1997), ces autorités ne disparaissent pas pour autant. Elles se recomposent pour réinvestir les rouages du projet11. Ce sont autant de préoccupations qui seront mises en perspective avec la réalité de la commune rurale de Banibangou.

11 Dans Les courtiers en développement fait une analyse de la diversité des stratégies de recomposition des acteurs locaux.

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II. Le cadre général de l’étude

Banibangou, une commune rurale enclavée oubliée par l’Etat central

La commune rurale de Banibangou est située à l'extrême Nord-est du département de Ouallam (à l’Ouest du Niger). D’une superficie d'environ 5000km², la commune compte selon le recensement général de 2001 une population de 45000 habitants, composés de Zarma- groupe ethnique majoritaire-, de Peuls, de Touaregs et de Hausa, tous installés depuis plus d'un demi-siècle. L'élevage, l'agriculture et le commerce sont les principales activités de la population. Olivier de Sardan parle, à propos du peuplement dans le Zarmaganda, de « mosaïque de groupes divers aux trajectoires confuses voire inextricables » (Olivier de Sardan, 1984 :21). La commune de Banibangou appartient au zarmaganda, espace géographique de l’Ouest nigérien qui connaît des crises alimentaires structurelles12. L’enclavement constitue l’une des principales contraintes de la commune de Banibangou13. Deux axes routiers cabossés, quasi impraticables en saison des pluies permettent de s'y rendre: -Ouallam-Banibangou et l'axe Niamey-Balleyara-Banibangou, les deux axes distants d'un peu moins de 250 km. Cette situation rend la commune difficilement accessible. La localité connaît un fort taux d’émigration en direction de Niamey ou en direction l’extérieur du Niger (Mounkaïla, 2002).

L’environnement institutionnel local

Du point de vue institutionnel, la commune de Banibangou jouit d'un statut à la fois intéressant et complexe pour l'analyse politique. Sur un même territoire coexistent trois types de pouvoirs publics portés par le poste administratif, le secteur14 et récemment la commune. Cette cohabitation va impulser une dynamique nouvelle dans les relations entre ces pouvoirs. Le poste administratif crée en 1962 et la commune actuelle ont la même délimitation. Ce qui n’a pas posé de problème dans le choix du chef-lieu de commune, contrairement à ce qui a pu être observé ailleurs15. Historiquement, les

12 Hamidou A. SIDIKOU: "Une région sahélienne en crise: le Zarmaganda", sous-programme UNESCO décembre 1987. Une étude plus récente réalisée à Ouallam dans le cadre du programme Analyse rétrospective de la crise alimentaire au Niger en 2005 », voir le rapport de Koné Mariatou. 13 Rapport de l’étude sociale et géographique/ situation de références dans le département de Ouallam et la commune rurale de Banibangou, 2005, PCD II, p.16 14 Certains cantons sont découpés en plusieurs secteurs ayant à leur tête un chef de secteur désigné par le chef de canton. Les chefs de secteurs sont les représentants du chef de canton. 15 Cf. ECRIS, dans la commune rurale de Karguibangou (Dosso) et dans bien d’autres, le choix du chef-lieu de commune a ravivé les antagonismes politiques anciennes entre les gros villages.

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 9 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

limites du poste administratif sont également celles du secteur, découpage opéré par la chefferie de canton dans le cadre de l'administration de la population. Le secteur compte plus d'une trentaine de villages. Fort de cet ancrage historique, le statut du village va se renforcer juridiquement et administrativement avec la loi sur la décentralisation qui consacre le passage des postes administratifs au rang de commune. Enfin une dimension économique a joué également dans le choix de Banibangou comme chef-lieu de commune. En effet, par le passé, le village a joué un rôle économique important en tant que centre de distribution et de vente des vivres. La présence des magasins de l'office des produits vivriers du Niger (OPVN) constitue aujourd'hui encore les ''vestiges'' d’un passé économique raconté fièrement par les anciens du village. Ainsi trois sortes de légitimité coexistent et confirment Banibangou, comme village devant abriter le chef-lieu de la commune du même nom : légitimité historique, passé économique et fondement juridique. Le paysage politique est dominé par la présence de deux partis: le MNSD et le PNDS. Aux élections locales de juillet 2004, cette configuration s'est transposée au niveau du conseil municipal qui comprend 14 membres élus, dont 9 pour le MNSD et 5 pour le PNDS. Dans le chef-lieu de commune, le PNDS compte 2 conseillers contre 1 au MNSD.

Les services déconcentrés dans la commune

Les services déconcentrés de l'Etat présents dans la commune de Banibangou sont la santé, l'éducation, l'élevage, l'agriculture, l'environnement16. Ils présentent presque tous la même organisation: un responsable de service, parfois secondé par un agent constituent le personnel qui doit couvrir toute la commune. De fait, quand on aborde la question de leur fonctionnement, on est frappé par la constance des discours classiques sur "l'insuffisance des moyens et du personnel".

L’éducation, un secteur négligé par les interventions extérieures à Banibangou

L’analyse du tissu associatif de la commune de Banibangou montre la faiblesse des interventions extérieures dans le domaine de l’éducation. En effet, les premières formes d’appuis apportées dans la localité et qui remontent aux années 1970 se sont focalisées sur la création de coopératives, à travers le projet intégré nord-Ouallam mis en œuvre par la CARITAS. Le projet visait le développement de la culture maraîchère par le biais de la mise en valeur de mares17. De 1991 à 1994, la localité a bénéficié d’un appui du Japon qui a concerné la réalisation

16On note aussi la présence des forces de sécurité (gendarmerie et Forces Nationales d'Intervention et de Sécurité). 17 La CARITAS a réalisé au moins 80 puits sur l’ensemble de la commune de Banibangou.

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d’infrastructures (la résidence actuelle du maire, les locaux de la mairie, un château d’eau reconverti en puits). Au début des années 2000, on assiste à l’intervention du projet de réduction de la pauvreté (PRP) qui s’est intéressé à la réalisation d'infrastructures publiques (digues, banques céréalières, puits, hangars de marché, etc.). Dans la perspective d'obtenir des crédits, plusieurs groupements féminins sont crées. La Subvention pour le Développement du Secteur Agricole (SDSA), intervient à travers l'ONG APRODEN dans l'organisation, l'encadrement maraîcher et le crédit féminin. Cet acteur s'est spécialisé dans l'encadrement des exploitantes qui travaillent sur des espaces aménagés. Des crédits féminins et la distribution de matériels de culture de contre-saison ont accompagné l'encadrement maraîcher. L’association nigérienne pour la promotion de l’irrigation privée (ANPIP) annonce son arrivée. Ses activités se focalisent sur les travaux de canalisation autour de la mare de Banibangou. On remarque que les interventions extérieures dans la commune de Banibangou sont concentrées sur le développement agricole, avec pour cibles principales les femmes. Cette situation a considérablement contribué à organiser les femmes autour d'actions collectives et à faire de ces celles-ci les interlocutrices des promoteurs de développement qui interviennent dans la zone. Ce qui peut apparaître comme une discrimination au profit des femmes s’explique par le fait que, à Banibangou, la culture maraîchère reste une activité essentiellement féminine. A travers les activités d'aménagement maraîcher, les femmes ont réussi à se construire un ‘’monopole’’. Elles maîtrisent le circuit de la production maraîchère. Les groupements féminins étaient en léthargie depuis quelques années; ils ont refait surface avec l’arrivée du programme de coopération décentralisée (PCD II). Il faut noter que le secteur de l’éducation est resté le parent pauvre des interventions extérieures que la localité a connues.

Les enjeux locaux autour de l’éducation

Selon une étude-diagnostic réalisée en 2005, la commune a un taux de scolarisation de 31,97%. Ce taux est nettement inférieur à la moyenne nationale (52%) et au taux enregistré par la région de Tillabéri (48,4%)18. On y enregistre vingt-cinq écoles primaires, cinquante-cinq classes dont environ 33% ne sont pas encore en matériaux définitifs19. La population scolarisable est de 7650 personnes. Si on s’en tient à une moyenne de 44 élèves par classe, les besoins de la commune en infrastructures scolaires pour l’année 2005 seraient de l’ordre de 173 classes. Hors ces besoins ne sont satisfaits qu’à environ 31%.

18 Statistiques du ministère de l’éducation de base et de l’alphabétisation, 2004-2005, pp.83-84. 19 Sur 55 classes, 11 sont en paillotes, 37 en matériaux définitifs et 7 en banco. L’étude-diagnostic fait ressortir 44 élèves pour un enseignant.

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 11 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

Le choix de l’éducation comme thème d’analyse dans le présent article tient à un certain nombre de dynamiques particulières observées dans la commune de Banibangou. Bien avant l’arrivée du projet, la question de l’école était déjà au centre de rencontres organisées par les ressortissants de l’ensemble du département de Ouallam (auquel est rattachée la commune de Banibangou) qui avaient jugé utile d’appuyer ce secteur (infra, p.16). A Banibangou, l’importance de la question tient au fait que la localité abrite le second collège de tout le département à côté de celui de Ouallam. Ensuite, il y a « la fenêtre d’opportunité » que constituent les possibilités d’appuis financiers offertes par le PCD-II dans le cadre de l’équipement des écoles en salles de classe. Les conseillers élus, quant à eux, sont conscients que le faible niveau du budget de la commune ne permet pas de faire des investissements aussi importants que la construction de classes ou la réalisation de puits villageois. Le cofinancement, en plus de la subvention du PCD-II, apparait aux élus locaux comme une solution pour sauver la face vis-à-vis des demandes de classes. Enfin la construction de classes représente un enjeu symbolique aussi bien pour les élus locaux qui en encourage les demandes à travers les cofinancements, que pour les responsables locaux du projet qui y voient un signe de visibilité extérieure.

Le dispositif du programme de coopération décentralisée (PCD-II) : une enclave institutionnelle

Le PCD-II fait suite à un projet financé sur le 7ème FED, le PCD-I (1996-1999)20. Après avoir souligné comme acquis du PCD-I, l’implication des populations dans la réalisation des microprojets, l’évaluation du PCD-I a également mis en exergue quelques faiblesses que corrige le PCD-II, notamment l’insuffisance en matière de développement local. D’une durée de cinq ans (2003-2007), le PCD-II est financé à hauteur de 7,15 millions d’euros par l’Union européenne sur 8ème FED. Le gouvernement du Niger a un rôle de supervision et de maîtrise d’ouvrage. Le PCD-II intervient dans les régions de Dosso et de Tillabéri (Ouest du Niger), les mêmes zones d’intervention du PCD-I. Le renforcement des organisations de la société civile et l’accompagnement du processus de transformation de l’Etat (désengagement et décentralisation) en sont les missions principales. Le programme de coopération décentralisée est théoriquement conçu de manière à limiter l’influences des pouvoirs existant dans la commune, susceptibles de constituer une entrave à la ‘’bonne’’ réalisation de ses actions. La démarche est en rupture avec les approches « classiques » des projets qui réservent une place de choix aux détenteurs de pouvoirs (la chefferie, les services techniques, les autorités administratives, voire les leaders politiques locaux), dans les localités où ils interviennent. Si ailleurs, ces différentes catégories d’acteurs jouaient un rôle d’interface entre les projets et la population bénéficiaire de par leur stratégie

20 Programme de coopération décentralisée, convention de financement n°6395/NIR, projet n°8 ACP NIR 028, p.2, décembre 2003

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d’accaparement ou des pratiques de péages (Bierschenk et Olivier de Sardan, 1998), le dispositif du PCD-II a réussi, en tout cas de façon formelle à briser ce maillon intermédiaire des chefs coutumiers et à intervenir directement auprès des populations. Du point de vue institutionnel, le PCD-II appartient à la « catégorie des projets qui ont une existence autonome à l’échelle locale » (Olivier de Sardan, 1999 :151), ce qui lui donne une marge d’action propre. Il interagit directement avec les populations par l’intermédiaire de ses agents de terrain, sans passer par les structures préexistantes à son arrivée, qu’elles soient de l’Etat, de la commune ou de la chefferie. Le projet introduit une rupture avec les « approches participatives classiques», dans la seule mesure où les structures du projet ont réussi à garder le contrôle et la gestion des ressources. On assiste pour le cas du PCD-II à une « participation contrôlée ». La conception du PCD-II préexiste au processus de décentralisation. La première phase du programme (PCD-I) est mise en œuvre avant l’avènement des conseils municipaux ; la seconde phase (PCD-II) démarre aussi avant la mise en place des communes qui est intervenue au second semestre de l’année 2004. Cela explique en partie que le dispositif du projet se soit peu intéressé au rôle de la commune dont on ignorait encore les modes de fonctionnement.

Le projet et son dispositif d’intervention

Le PCD-II est réalisé par une cellule de coordination basée à Niamey qui s’appuie, conformément à la politique du faire-faire, sur une équipe d’encadrement basée à Banibangou appelée opérateur local décentralisé (OLD)21. L’OLD encadre le processus et accompagne la réflexion au sein des communautés, anime la planification locale et contribue à l’élaboration d’un plan d’investissement local dans lequel figure les actions à appuyer. L’OLD de Banibangou est composée de trois agents : un chef d’équipe qui assure la coordination du travail d’encadrement et deux animateurs. En plus de son rôle d’appui-conseil, l’équipe d’encadrement assure la supervision des actions des groupements villageois. Le dispositif du projet fait la part belle aux populations par le biais d’organisations villageoises. Toute une structuration caractérise la charpente institutionnelle du projet. On a des grappes constituées d’un ensemble de villages regroupés selon des affinités sociales ou historiques22. Le regroupement s’est fait sur des « bases volontaires », laissant aux populations le libre choix du centre de grappe auquel elles veulent être rattachées. Des assemblées villageoises coordonnent les processus décisionnels au sein des villages et procèdent à la désignation des délégués de village.

21 Les agents de l’OLD sont mis à la disposition du PCD-II par des cabinets d’études ou des ONG. 22 Les villages centres de collecte des impôts pendant la colonisation ont été retenus comme centres de grappes.

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 13 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

Leur rôle a été déterminant au cours de la phase de diagnostic pour l’identification des contraintes du village et la définition de des priorités. Au niveau des grappes, des délégués de grappes sont choisis à l’issue d’assemblées villageoises selon des critères définis par les populations elles-mêmes. Ceux-ci assurent le relais de la chaîne de communication entre le projet et les populations de la grappe. Désignés par l’ensemble des délégués de village, les délégués de grappe (au nombre de trois par grappe) ont un rôle représentatif. Un certain nombre de critères, définis par les populations elles-mêmes, ont été mis en avant pour la désignation des délégués. Ce schéma crée ainsi une rupture avec le modèle classique de « l’auto-désignation ». A l’échelle des grappes, des axes prioritaires de développement ont été dégagés pour servir de cadre de référence local aux actions de développement. Les délégués de grappe sont adoubés du pouvoir de décision que leur confère le statut de membre d’un comité d’agrément. Cet organe qui présente une composition hétérogène incluant à la fois des représentants du conseil communal et du projet, confère néanmoins plus de pouvoir aux délégués de grappe. Le Comité d’agrément se réunit à l’issue de chaque appel à propositions pour procéder à l’évaluation des demandes de microprojets proposés par les organisations de base (groupements, associations, etc.). Seuls les délégués de grappes ont le droit d’évaluer les demandes des organisations de base. Les représentants de la mairie et les agents du projet qui assistent aux travaux du comité d’agrément se contentent du rôle d’observateurs. Les dossiers retenus par le comité d’agrément sont enfin soumis à l’approbation du conseil municipal. Le dispositif institutionnel du PCD II retire aux autorités municipales le contrôle sur l’évaluation des microprojets. Toutefois, le conseil municipal retrouve son pouvoir au moment d’approuver les actions retenues par le comité d’agrément. La réalité fonctionnelle révèle qu’il y a plus ‘’partage’’ entre les organisations rurales et les élus. Si le rôle des premières consiste en la sélection des groupements bénéficiaires, l’accès aux ressources n’est véritablement possible que si les seconds ‘’valident’’ les résultats du comité d’agrément. De plus, cette validation conditionne la mise en œuvre des actions par le PCD II. Acteur absent dans le fonctionnement du projet, le conseil municipal n’en demeure pas moins présent dans le processus décisionnel. Même si dans l’ensemble, les actions retenues au comité d’agrément ont presque toutes été validées par le conseil, nous verrons plus loin que les élus restent indépendants dans leurs décisions. Institutionnellement, le dispositif du projet n’a pas prévu de ‘’voie de recours’’ au cas où le conseil municipal en venait à rejeter une action. La procédure a ainsi permis la réalisation de plusieurs actions de développement dans la commune. Les premières subventions ont fini par susciter un engouement chez la population qui, il faut le dire, était réticente lors du démarrage du projet. Les populations étaient peu convaincues dans de l’idée d’une subvention non remboursable; les microcrédits étant devenus depuis quelques années une des

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« principales actions de développement » des projets de développement dans les campagnes23.

Les « offres » du programme de coopération décentralisée

Les activités du projet sont financées grâce à un fonds d’investissement ouvert aux groupements villageois pour la réalisation de microprojets. Les subventions sont censées être un moyen susceptible d’engager les populations dans des actions collectives avec comme objectif sous-jacent, la structuration d’une société civile locale. Il s’agit, pour le projet d’inscrire la population, dans le processus décisionnel local à travers des instances locales,. Les appuis du projet ont été orientés vers trois grands types d’actions : l’économie locale, la structuration de la société civile et la réalisation d’infrastructures publiques.

L’amélioration de l’économie locale

Au cours de l’intervention du projet, les subventions ont été dominées par l’appui aux activités visant l’amélioration des revenus des populations. L’avènement du projet dans la commune a donné un nouveau souffle à une population pour laquelle l’élevage représente une activité essentielle. Les dossiers de demandes d’élevage ont dominé tous les appels à propositions lancés par le PCD-2. La pratique de l’élevage dans cette localité est favorisée par un environnement écologique propice à cette activité (bonne disponibilité fourragère, zone à dominante pastorale). Il faut cependant noter qu’au fil des appels à proposition, les demandes d’appui pour les actions d’élevage ont connu une baisse et l’on a assisté à une « diversification » des demandes de la population. Les demandes ont été orientées vers la réalisation d’équipements à caractère économique (demandes de moulins, de banques de céréales et de boutiques villageoises). Ces demandes se sont accrues passant en valeur relative de 7,07% à 20%24.

La structuration de la société civile

Les comités d’agrément, instance de décision au niveau des grappes, devraient à terme évoluer vers la mise en place d’un cadre de concertation regroupant le pouvoir municipal et les organisations de base. L’avènement du projet a favorisé la floraison d’un nombre important d’organisations de base à l’intérieur desquelles les populations s’organisent pour solliciter des actions de développement. Cette approche favorise l’apparition d’une action collective, au sens de projet commun.

23 On dénombre une multitude d’intervenants qui se sont succédé sur nos sites et dont les « offres » de service sont dominées par le « micro-crédit ». Autour de ces activités sont greffées parfois des activités connexes peu visibles. Le recouvrement des prêts fait l’objet de nombreux procès entre institutions de micro-crédit et les bénéficiaires. 24 Enquête de suivi an-2 de 2006.

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 15 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

Si on peut mettre au compte du PCD-II l’avantage d’avoir réussi à créer une dynamique de « groupe » au sein de la population, il faut cependant relever que ces dynamiques sont restées limitées. L’émergence de la « société civile englobante » à l’échelle de la commune ne s’est pas réalisée. Les dispositifs mis en place par le projet pour insuffler cette dynamique n’ont pas fonctionné. Les concertations prévues entre grappes ou, à l’intérieur des grappes entre les délégués des villages, ont été suspendues du fait des longues distances qui séparent les villages et parfois aussi, il faut le dire à cause du manque de motivations des délégués de grappe. IL faut souligner que le projet avait institué des « indemnités de transport » pour les délégués de grappes lorsqu’ils prennent par aux travaux du comité d’agrément, ces derniers n’avaient pas toujours le même enthousiasme à se retrouver entre grappes ou au sein des grappes, entre villages, sans prise en charge. Les initiatives prises par les grappes qui accueillent, consistant à des prises en charge de l’entretien des délégués hôtes, n’a pas résisté aux difficultés alimentaires de 2005. De plus, en période de travaux champêtres, certains délégués préfèrent aller dans leur champ plutôt que de prendre part à des réunions entre grappes. Le comité d’agrément qui reste l’un des cadres de participation populaire au processus décisionnel tend lui aussi, après avoir rendu de « loyaux services » à ses débuts, à disparaître avec la fin du projet. Les reproches faits à cet organe de n’être fonctionnel qu’au moment des sessions d’évaluation des dossiers, n’ont pas été exploités pour le rendre plus efficace et pérenne. Pourtant, les membres du comité d’agrément sont sans conteste, grâce à leur connaissance en matière d’évaluation de microprojets, des acteurs déterminants dans le processus de développement local.

L’amélioration de l’offre de services publics de base

Du fait des rares interventions extérieures que connaît la commune, les infrastructures publiques sont vétustes et insuffisantes. Les quelques infrastructures publiques ont été construites depuis plus de 10 ans. A cela il faut ajouter la concentration de certains services au niveau du chef-lieu de la commune et leur faible présence dans les villages éloignés25. Cette situation explique les importantes demandes locales en infrastructures de base que le projet tente de satisfaire. Sur le terrain, on note sur l’ensemble des subventions du PCD-II une trentaine d’actions26 qui concernent directement la réalisation d’infrastructures scolaires, sanitaires et hydrauliques. Si au début de l’intervention du projet, ces actions intéressaient peu de groupements, on note toutefois une nette progression au fil des appels à propositions. Plusieurs raisons sont à l’origine de cet accroissement

25 Certains villages sont situés à plus de 50 kilomètres du chef-lieu de la commune 26 Sur un total de 79 actions réalisées dans la commune, on dénombre 19 salles de classes, 9 puits et 2 cases de santé. Les ouvrages représentent près de 40% de l’ensemble des actions réalisées dans la commune.

16 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

des demandes d’infrastructures. Les groupements ont exploité des réseaux extérieurs constitués par les ressortissants de la commune27. Ceux-ci ont en effet, été régulièrement mobilisés par les paysans dans le cadre de la réalisation des infrastructures. Dans certains cas, ces derniers en sont les principaux instigateurs. Le recours aux ressortissants marque le dépassement du cadre du village et prolonge les frontières du local vers l’extérieur. Comme il a été observé avec les élections locales et le processus de communalisation, la réalisation des infrastructures favorise le « retour au terroir ». Depuis son installation en début 2005, le conseil municipal enregistre des demandes de classes que le faible budget communal ne peut satisfaire. L’arrivée du PCD-II est perçue comme une opportunité (Olivier de Sardan et Abdoua, 2000) que les autorités de la commune saisissent pour s’impliquer, aux côtés des organisations de base, dans la réalisation d’infrastructures sociales. Quels sont les modalités et niveaux d’implication du conseil municipal dans la mise en œuvre des infrastructures collectives ?

La commune et la réalisation des infrastructures publiques : discours et pratiques

Le cofinancement des demandes des groupements

Dans le dispositif du projet, la commune se donne un nouveau rôle à jouer. Elle intervient sur deux registres par lesquels elle redéfinit ses rapports avec les organisations de base d’une part et avec le dispositif institutionnel du projet d’autre part. Etant dans l’incapacité financière d’entreprendre, sur fonds propres, des investissements sociaux importants, le conseil municipal se tourne vers les groupements villageois pour les inciter à adresser le maximum de demandes en infrastructures collectives (classe, puits). Le conseil joue sur le caractère pérenne de ces infrastructures qui « doivent profiter à tout le monde », contrairement aux « activités d’élevage qui restent la propriété individuelle des seuls membres des groupements » (maire de la commune de Banibangou, 2006). Le discours d’incitation est, en aval, soutenu par une « politique » de financement partiel de la contribution exigée aux groupements comme conditions d’accès à la subvention, dans le cadre de la réalisation d’infrastructures. Les groupements bénéficiaires de salles de classe et de puits perçoivent ainsi une enveloppe de 150.000F28 CFA comme appui de la commune. Les raisons invoquées par le premier responsable de la commune sont claires.

27 Pour plus de détails sur le rôle des ressortissants, voir Amadou Oumarou 28 L’appui de la commune s’est élargi à la réalisation de cases de santé comme cela a été le cas dans le village de Darey Dey. La commune a contribué à hauteur de 500000Fcfa pour ajuster le budget de construction et éviter que cette infrastructure soit « perdue ».

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 17 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

« Les classes et les puits sont des infrastructures qui bénéficient à tout le monde. Normalement c'est à la commune d'en réaliser; mais si nous trouvons un partenaire qui décide de le faire à notre place, on ne peut qu'apporter notre contribution. Les infrastructures, c'est pour tout le monde alors que l'élevage, par exemple…ça ne profite qu'aux seuls membres des groupements » (maire de la commune de Banibangou, 2006) Les propos du maire de Banibangou expriment clairement la logique institutionnelle29 qui sous-tend l’appui de la commune aux groupements. Ce qui intéresse les autorités communales, c’est de pouvoir s’appuyer sur les groupements pour doter la commune d’infrastructures collectives. Face à un problème (celui de l’incapacité de la commune à réaliser des infrastructures), le cofinancement apparaît comme la modalité retenue par le conseil. Les questions relatives au fonctionnement de ces infrastructures, à leur entretien, ne sont pas véritablement des priorités pour les élus locaux. Le programme vient enlever aux responsables communaux une épine du pied en comblant leur incapacité à produire des biens publics. Le projet permet de ce fait aux élus locaux de « sauver la face » devant la population qui est de plus en plus impatiente de voir se réaliser les promesses électorales faites par les élus locaux. Les infrastructures représentent un intérêt politique dans l'arène locale. Derrière ce cadre de partenariat se joue pour les responsables municipaux la légitimation et la matérialisation de leur mandat à la tête de la commune. Par cette stratégie de récupération, les autorités de la commune entendent « améliorer » leur image et disposer « d’éléments de bilans » solides pour les échéances politiques à venir. Par leur personne, c'est aussi l’audience du parti majoritaire (le MNSD30) au conseil municipal qui se joue à partir de la réalisation des infrastructures communautaires. Toutefois, l’expérience a révélé la fragilité de l’initiative prise par le conseil municipal. Elle s’est vite émoussée après le second appel à propositions. Les recettes municipales et la taxe de marché sur lesquelles le maire et ses collaborateurs comptaient bâtir leur politique de subvention sont faibles. Elles sont tributaires du civisme fiscal des populations et des aléas saisonniers. Ce fut le cas en 2005 avec la crise alimentaire qui a fait baisser le taux de recouvrement de la taxe municipale31. De l’autre côté, les demandes d’infrastructures se sont accrues. Cette situation a rendu impossible l’exécution du budget de la commune qui s’élevait en 2005 à 40 millions de francs Cfa. Sur le terrain, la commune était devenue incapable de faire face aux nombreuses demandes de cofinancement adressées par les groupements. « L’année dernière [2005], le conseil municipal a pris l’engagement de co-financer des infrastructures hydrauliques et scolaires.

29 Gentil et Husson opposent la logique fonctionnelle à la logique institutionnelle. 30 Le mouvement national pour la société de développement, actuel parti au pouvoir. 31 Dans un entretien du 24 septembre 2006, le deuxième adjoint au maire de la commune situe à environ 28% le taux de recouvrement de la taxe municipale. Ce taux constitue une performance par rapport au taux de 2005, année de crise alimentaire, qui était de 3,44% au 19 juin 2005.

18 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

L’appui a-t-il continué dans ce sens ? On n’a pas d’argent actuellement pour le faire. Avant, on l’a fait car on a donné notre quote-part à tous les groupements et APE qui ont bénéficié d’infrastructures. Il y a eu 4 classes et 3 puits qui sont passés. Sur les 3 puits, la mairie a donné à deux villages et sur les 4 classes également la mairie a donné à 3 villages. Pour les autres, on va voir ce qu’on a collecté comme recette » (vice-maire de la commune de Banibangou). Le choix opéré par la mairie, visant à encourager les demandes d’infrastructures lui confère de facto un droit de regard dans le processus de gestion de biens collectifs et dans le fonctionnement des groupements qu'elle cofinance. Sur le terrain, lors de la collecte des fonds, le maire organise des réunions périodiques, réunions au cours desquelles un compte rendu des cotisations lui est dressé. Par ailleurs, le maire ou son représentant, accompagné des membres du comité de gestion de l’APE supervise les travaux de construction. Il s’est ainsi institué une sorte de règles implicites qui organisent les rapports entre les élus locaux et les groupements villageois bénéficiaires de la subvention de cofinancement. Pour marquer sa présence dans la réalisation des infrastructures collective, le conseil municipal de Banibangou conditionne désormais son appui aux groupements villageois. Cette décision a été prise lors d’une séance de validation des travaux du comité d’agrément : « Désormais, les APE doivent consulter d’abord la mairie avant de monter des dossiers d’équipements. Il ne sert à rien de présenter des dossiers qui, une fois acceptés, auront du mal à être réalisés » (maire de la commune de Banibangou, 11 novembre 2005) La décision du conseil municipal intervient pour redéfinir les ‘’règles’’ de cofinancement des infrastructures et les conditions de partenariat avec les groupements villageois. Ces conditions sont apparues après avoir constaté l’incapacité de certaines APE à mobiliser la contribution financière exigée par le programme. Les règles définies par la commune viennent ainsi se superposer aux conditions d’accès à la subvention du projet. La réalisation des infrastructures se fait selon deux types de règles non opposées, mais complémentaires.

Le rôle de la commune dans le dispositif du PCD-II

La réalisation d’infrastructures a permis de renforcer les rapports entre la mairie et l’organisation locale de développement chargée de la mise en œuvre des actions du PCD II. Ces derniers effectuent de façon conjointe des sorties sur le terrain, à l’occasion de la réception d’ouvrages ou en cas de problèmes de réalisation d’ouvrages lors des missions de suivi ou de sensibilisation. Dans ce processus d’implication du conseil municipal dans le développement local, on est frappé par l’absence des « commissions » mises en place dans la commune. Ces structures ont été mises en place pour « décentraliser » et partager le pouvoir communal entre les conseillers. Au regard des « attributions » qui ont été conférées à ces commissions, c’est la « commission développement » qui

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 19 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

devrait jouer le rôle d’interlocutrice directe du projet auprès du conseil municipal. Cette structure est effacée par le dynamisme d’un maire doté d’un capital culturel largement supérieur à celui des autres conseillers. Les faits montrent l’inutilité des commissions qui semblent être créées plus par souci de formalisme institutionnel que pour les missions qu’elles devraient véritablement assurer.

20 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

III. Ethnographie d’une demande : la construction d’un bloc de classes

Les infrastructures scolaires, un réel besoin pour la commune

Le secteur de l’éducation comprend deux cycles : le secondaire et le primaire. Le cycle secondaire est matérialisé, dans la commune de Banibangou, par la présence du collège d'enseignement général, créé en octobre 2000. Administrativement, l’établissement dépend de l'Inspection de l'Enseignement Secondaire (IES) de Filingué dont il reçoit irrégulièrement la visite. Le personnel enseignant se compose de huit professeurs (toutes disciplines confondues), ayant essentiellement le statut de contractuels de l'éducation. L’établissement dispose officiellement de deux salles, classe réalisées en 2003 sur fonds du budget de la collectivité. Pour faire face à l'insuffisance des salles de classe, l'ex-magasin de stockage des céréales construit par le projet japonais a été aménagé pour servir de salle de cours à la classe de 3ème qui compte 16 élèves. Le collège connaît un problème de sous- équipement chronique illustré par les propos du directeur du collège: « …les moyens de travail n'ont pas été mis à notre disposition. Vous voyez par exemple, on a 3 livres de lecture pour 16 élèves en classe de 3ème. La classe de 5ème compte 32 élèves et dispose d'un livre de français et de 5 livres de biologie », (S.I., directeur du collège de Banibangou). L'établissement fonctionne, en partie, grâce à une initiative personnelle du directeur. A l'aide d'une machine à écrire (style dactylo) récupérée au niveau de l'inspection, ce dernier réussit à multiplier les textes de cours aux élèves de 3ème. Il a adressé avec succès, auprès des ressortissants de la localité, des requêtes de tables-bancs. Cet appel a eu un écho favorable. Un député national originaire de la localité, placé à la tête de l'association des ressortissants du département de Ouallam, a fait don de 42 tables-bancs pour équiper le collège. Deux types d'enseignement sont dispensés au cycle primaire: le formel et le non formel. Au niveau de l’enseignement formel, l'école primaire traditionnelle de Banibangou a été créée en 1961. En 2006, l'établissement comptait un effectif de 376 élèves pour 84 tables-bancs, soit un ratio de 5 élèves par table-banc. Par manque d'équipement dans certaines classes, "les élèves prennent cours à même le sol" dit le directeur. Le personnel enseignant est composé de 8 agents dont 7 contractuels qui n'ont d'ailleurs reçu aucune formation initiale de l'Ecole normale. L'enseignement non formel est représenté à Banibangou par une médersa (franco- arabe) ouverte en 1993 et qui compte 2 classes.

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 21 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

Devant la défection de l'Etat et la rareté de l'appui des partenaires traditionnels de la localité (PAM et Aide & Action), la communauté, regroupée au sein de l'Association des Parents d'Elèves (APE), multiplie les initiatives pour prendre en charge l'éducation. Le dynamisme de cette association s'est manifesté à la rentrée scolaire de 2004-2005 par une contribution financière à hauteur de 28.000 F.CFA. Cet argent a été utilisé pour la construction d'une classe en paillote et l'achat de matériel de travail : craie, ardoises, cahiers. Deux structures constituent les cadres de concertation pour les partenaires locaux de l'école. Il y a d’abord les comités de gestion (COGES), cadres de rencontres entre parents d'élèves et enseignants. Au sein des COGES sont débattus les problèmes de l'école primaire avec en toile de fond une plus grande responsabilisation des parents dans l'éducation des enfants. Leur contribution financière, en dehors des 28000 F.CFA sus mentionnés, atteint près de 100.000 F.CFA. Le second cadre de concertation est ponctuel. Il s’agit d'un forum sur l'éducation dans le zarmaganda tenu en 2006. Cette rencontre a permis la mise en place d'un comité chargé du suivi des recommandations issues du forum. L’initiative a abouti à l’ouverture d'un compte bancaire alimenté régulièrement par les contributions des ressortissants de Ouallam résidant à Niamey. En somme, le secteur de l'éducation est entièrement porté par la communauté à travers des formes d'action individuelle (mécénat), collective (COGES) et supra- locale (comité départemental de suivi). La contribution des parents se mesure directement à travers des cotisations fréquentes. Les efforts combinés des organisations collectives et des parents individuellement pris participent de la production de l'offre d'éducation normalement relevant des attributions de l'Etat32. C’est dans un tel contexte de l’éducation que le programme de coopération décentralisée va intervenir à Banibangou.

Avoir un bloc de deux classes, l’histoire d’une demande

L’APE du village avait sollicité la réalisation d’un bloc de deux classes (dont le montant de subvention s’élève à 11.996.072 Fcfa) pour renforcer les capacités d’accueil de l’unique collège d’enseignement général (CEG) qui reçoit l’ensemble des élèves de la commune (Hamani, 2005 :12). Dans le contexte de l’éducation ainsi décrit, l’initiative de l’APE répond à un besoin réel de la commune. Elle

32 Au regard de la loi 2002-013 du 11 juin 2002, portant transfert de compétences aux régions, aux départements et aux communes, la construction et l’entretien des établissements du cycle de base II (collèges et Lycées) et des centres d’alphabétisation sont assurés par le département (art.58). C’est également au département de participer à l’acquisition des manuels et fournir scolaires (art.60). La commune participe à la construction des écoles du cycle de base (primaire) et préscolaire, des centres permanents de post-alphabétisation et assure leur entretien, de même elle assure le recrutement et la gestion du personnel auxiliaire (art.62).

22 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

rencontre également les préoccupations dégagées lors du forum sur l’éducation dans le département en 200533. Pour comprendre la place accordée à l’école dans la commune, interrogeons les cadres de références locaux (CARELS) élaborés dans les différentes grappes du projet. Parmi les axes prioritaires dégagés par les populations, le « développement de l’éducation » occupe entre la deuxième et la sixième place sur un ensemble de 9 axes. Le rang qu’occupe l’éducation dans les cadres de références locaux (CARELS) témoigne, à l’échelle des grappes, de la divergence des rapports des populations à l’école. Cette situation traduit l’écart entre les cadres théoriques ou les outils de planification et la réalité des besoins des populations. L’école apparaît comme un réel besoin structurel, mais reste un intérêt peu visible au regard des CARELS. Si l’école a fini par s’imposer localement comme un besoin dans la commune, il faut souligner que ce besoin est impulsé « d’en haut », d’un « en haut » à l’échelle de la commune, c'est-à-dire des autorités municipales vers les populations à la base. En nous référant à l’enquête-diagnostic de 2005, l’éducation a été classée à la vingtième position (sur 21) dans les « contraintes de la commune rurale de Banibangou »34

La réappropriation de la demande par le conseil municipal

Les classes : objet de débat au conseil municipal

Devant l’enjeu que représente le bloc de classes, le conseil municipal a pris le devant des choses pour s’adresser directement à la population de la commune. Le comité d’agrément avait dans un premier temps retenu la demande de bloc de classes avant que celle-ci soit par la suite rejetée au conseil municipal pour « incompétences de la commune à réaliser des infrastructures scolaires relevant du cycle secondaire ». Sans véritablement abandonner l’action, les autorités municipales ont continué à mener des réflexions sur les voies et moyens pour relancer une demande d’une aussi grande portée symbolique. L’inscription de la question au conseil municipal et le débat qu’elle suscita témoignent de l’intérêt que les autorités accordent à ce projet, comme cela ressort dans le discours de l’adjoint au maire de la commune : « Lorsqu’on a échoué avec les deux classes là, ça nous a vraiment choqué au niveau du Conseil [municipal]. Après on a tenu une réunion entre conseillers pour voir comment on peut faire pour « rebénéficier » du bloc de classes-là. On a dit qu’il faut

33 Un forum s’est tenu dans le département de Ouallam en vue de réfléchir sur la situation de l’école. Il faut préciser que la localité se caractérise par un taux important de migration, surtout des filles vers Niamey où elles sont employées comme domestiques. 34 Situation de références dans le département de Ouallam et la commune rurale de Banibangou, 2005, p.17

ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 23 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

qu’on passe par les gens35 car après tout, le CEG, c’est pour la commune, les élèves de toute la commune viennent là. On s’est dit qu’il faut que les villageois nous viennent en aide pour la somme nécessaire» Cependant, les marges d’action de la commune sont limitées par les conditions institutionnelles du projet pour lequel seule une organisation de base est autorisée à adresser une demande de subvention. Il faut également ajouter le niveau élevé de l’incapacité financière de la commune à prendre en charge à elle toute seule la contribution en espèces qui conditionne l’accès à la subvention du PCD-II. Il fallait de ce fait trouver des sources de financement extérieures.

Recherche de fonds et recours aux ressortissants

A l’issue des réflexions menées par le conseil municipal, des rencontres furent organisées avec des ressortissants de la localité en vue de les rassembler autour de l’œuvre. A l’intérieur de la commune, des concertations et une campagne de sensibilisation furent organisées par le maire en personne, aidé dans sa tâche par les conseillers et les membres du bureau de l’APE. La quête de l’adhésion populaire au projet a favorisé le retour des conseillers dans leur zone politique36 respective pour convaincre leur électorat. On a joué sur l’assise politique dont jouissent les conseillers auprès de la population. Ce retour a représenté implicitement un enjeu politique pour chacun des conseillers : tester l’assise de ces derniers dans leur zone politique. Avec les populations, les rencontres ont porté sur les modalités de participation des villages à la réalisation des salles de classe. Le principe de la participation volontaire a été retenu comme mode de mobilisation de la contribution en espèces. Cette participation devrait s’opérer en tenant compte de l’importance démographique des villages, précise le secrétaire général de l’APE « La commune compte 40 villages administratifs. Nous avons fait le calcul pour savoir combien chaque village doit verser. Nous avons tenu compte de la taille du village. C’est ainsi qu’il y a des villages qui ont cotisé 25000F Cfa, d’autres 20000Fcfa. Les ‘’petits’’ villages ont payé 10000F Cfa. Nous avons collecté au total 631.870F Cfa » Les « big men » de la localité n’ont pas été en marge du processus. La participation de ces derniers a contribué à encourager les populations dans leur œuvre de réalisation du bien public que représentent les classes. Le député du département, localement apprécié pour son mécénat, s’est illustré en versant l’intégralité de la subvention demandée à l’APE. Les sommes collectées auprès des villages ont servi à alimenter une caisse ouverte à cet effet. L’usage de ces

35 L’expression renvoie à l’ensemble des habitants de la commune, ainsi qu’aux ressortissants et aux mécènes…. 36 Dans le cadre des élections municipales de 2004, les partis politiques ont procédé à un « zonage » de la commune. Chacun des conseillers élus est issu d’une zone qui représente sa base électorale.

24 ETUDES ET TRAVAUX DU LASDEL N°86 La construction du « local » et la gouvernance communale par le bas

ressources sera différé pour « demander une action ultérieure ». L’équipement des salles de classes est avancé comme future demande de l’APE.

Trouver un porteur de l’action et se conformer au dispositif du projet

La mobilisation financière fut un des grands défis relevés par les autorités communales, dans un contexte où l’école ne fait pas partie des priorités de la population et de surcroît en proie à des difficultés financières, particulièrement du fait de la crise alimentaire de 2005. La mobilisation sociale réalisée, le conseil trouve une base légale à la demande pour rester conforme aux conditions d’octroi de la subvention, en faisant porter par l’APE la demande des classes. Le dossier a été repris et déposé au PCD-II. Il est encore une fois retenu à l’issue des travaux du comité d’agrément. Pouvait-il en être autrement au regard de l’enjeu que représentait le bloc des deux classes? Dans les faits, on assiste à un dédoublement des porteurs de l’action. D’un point de vue juridique, la demande de bloc de classes émane de l’association des parents d’élèves du village de Banibangou. Territorialement, les actions de l’APE sont limitées à ce village. Mais l’entrée en jeu du conseil municipal, porte l’action au- delà du cadre restreint du village de Banibangou. Tous les villages de la commune sont ainsi impliqués. L’une des conséquences qui apparaît, c’est que de fait, l’action cesse d’être l’œuvre de la seule APE du Village de Banibangou pour s’étendre à l’ensemble de la commune.

Mise en place d’un dispositif de mobilisation des fonds centralisé

L’implication du maire s’est élargie à la gestion des fonds collectés dans le cadre de la réalisation du bloc de classes. Celui-ci organise régulièrement des rencontres avec les dirigeants de l’APE en vue de faire le point sur les cotisations. Des comptes-rendus sont régulièrement présentés par l’APE au maire. Le « principe d’accountabily » ainsi initié par le bas s’écarte des schémas théoriques. Le mode de gestion observé dans la commune de Banibangou ne relève pas d’une décision populaire mais bien de l’initiative prise par le premier responsable de la commune, il n’est pas non plus régi par des textes formels. Il faut y voir l’expression d’une régulation implicite et conjointe, décidée devant l’urgence de l’action de réalisation des classes. Les conditions de réalisation de l’action ne sont pas prédéfinies, mais créées par les acteurs pour rendre leurs activités possibles.

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Emergence d’une nouvelle culture de l’école ?

« Avant on n’aime pas l’école, mais maintenant ça a changé », une nouvelle image de l’école

La réussite de l’action ainsi que l’intérêt général qui lui a été accordé ont contribué à transformer les rapports entre la population et l’école, constate un conseiller municipal « Avant, on n’aime pas l’école. Mais maintenant, quand tu fais un peu le tour dans les villages, ça a changé. Nous avons [au niveau de la mairie] actuellement 21 demandes de classe. Avant quand vous leur proposez une classe gratuitement, ils la refusent. Mais maintenant, ce sont eux qui la demandent ». Le regain d’intérêt pour l’école est localement « accompagné » par la mise en place de structures communales. Une commission éducation a vu le jour et présidée par un élu local qui est également directeur d’école et secrétaire général du comité d’agrément. A l’échelle de la commune, on assiste à la mise en place d’un cadre de concertation autour de l’éducation. Les acteurs de l’école se rencontrent régulièrement au sein de la fédération des associations des parents d’élèves (FAPE). L’organisation n’a pas encore un statut juridique, il n’en demeure pas moins que les membres se réunissent localement et de façon informelle. Cette dynamique constituait une des principales pistes à investiguer lorsque, malheureusement, la recherche arrivait à sa fin. Ces structures ont réussi à créer autour de l’école une dynamique favorable à une mobilisation de l’ensemble de la population de la commune de Banibangou. L’émergence d’un cadre local de concertation, tout en constituant un espace de débat public sur la question de l’école, a contribué ainsi à reconstruire les perceptions que les parents avaient auparavant de l’école. Cette reconstruction peut s’observer à travers le mode d’accès aux instances de prise de décisions concernant l’école.

« Maintenant on élit, avant on désignait ! », démocratisation des structures de gestion scolaire

L’une des principales dynamiques induites par les actions du projet a été la transformation du mode d’accès aux processus décisionnels. La démocratisation des structures de gestion scolaire s’implante progressivement dans la commune. Les membres des structures scolaires sont élus par leurs pairs ; ce qui met fin au mode ancien de désignation basé sur des critères peu objectifs et complaisants. Un membre de l’APE sortant, nostalgique raconte : « Avant, il n’y avait pas grand-chose, il n’y a pas eu de projet. C’étaient uniquement les activités de l’école. Depuis que nous avons eu le PCD2, que nous avons fait des demandes et obtenu des classes, les gens s’intéressent de plus en plus aux activités de l’APE. J’ai été secrétaire général de l’APE pendant 20 ans [de 1987 à 2007]…maintenant, j’ai préféré aller servir l’école de mon quartier….Avant on

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demande seulement s’il y a un volontaire, tu lèves la main et on te nomme. Mais cette fois-ci il faut des votes. ….Avant quand on convoque une réunion, les gens viennent rarement ; mais maintenant s’il y a une A.G. Tout le monde se présente Pourquoi, les gens viennent-ils maintenant aux réunions ? Maintenant ils ont compris, avant peut-être qu’ils n’avaient pas compris ». Selon notre interlocuteur, les changements observables dans les structures de l’association des parents d’élèves, ont une origine externe liée à l’arrivée du projet qui crée ainsi une rupture avec la situation antérieure de « manque ». Si l’école n’attirait pas les gens, c’est parce qu’il n’y avait pas grand-chose. Les ressources apportées par le PCD2 ont indirectement favorisé l’émergence de dynamiques nouvelles de mobilisation autour de la question de l’école. Plusieurs acteurs sont à la base de ces initiatives : il y a tout d’abord le PCD-II et son « complexe » (conditions d’appui, subventions du projet et les APE), relayé par des acteurs extérieurs (élus locaux, populations destinataires, etc.). En même temps se sont mis en places de nouveaux mécanismes pour réguler le fonctionnement des structures scolaires. Dans les comités de gestion scolaire, les ‘’bureaux’’ ont fait un peu partout l’objet de renouvellement.

La révision du mandat des membres du COGES

Par le passé, le renouvellement - en fait il s’agit de reconduction des bureaux des APE se faisaient tous les trois ans. Le mandat des membres des APE a été maintenant ramené à un an, renouvelable. Ces « micro-réformes » intervenues dans le fonctionnement des structures scolaires traduisent un regain d’intérêt de la part de la population pour l’école. Celle-ci, regroupée au sein des associations des parents d’élèves prend de plus en plus place dans le processus de décisions relatif à la gestion des infrastructures scolaires. Au rang des nouveaux rôles que la population est appelée à jouer, celui de l’accountability figure en bonne place. Le mode électif de désignation des membres régule désormais l’accès à la gestion des infrastructures scolaires. La population, à travers l’APE, dispose ainsi d’un moyen de sanction contre toute forme de « mauvaise gestion ». Les mécanismes actuels de fonctionnement des APE et des COGES jettent-ils les bases d’une amélioration dans la gestion des infrastructures scolaires ? Si ces micro-réformes ont une origine extérieure aux groupements, il n’en demeure pas moins que des causes endogènes aient favorisé leur mise en branle, comme cela ressort dans l’entretien avec l’actuel président du COGES, ex- magasinier dans l’ancien bureau : « Le PCD2 n’a travaillé qu’avec le président et le secrétaire général de l’APE. Ces derniers ne rendaient aucun compte sur les activités qu’ils menaient. Le président ou le SG qui pouvaient convoquer des réunions ne le faisaient pas. Personne ne savait comment étaient gérés les fonds. Lors des élections, ils ont été mis à l’écart » (Président du COGES, Banibangou).

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S’il est évident qu’on observe des dynamiques sociales, il faut cependant reconnaître que celles-ci ont une origine externe, qu’elles sont soutenues par des ressources extérieures et obéissent à des principes d’accès aux ressources dictés par le projet.

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IV. Conclusion : les éléments de tendances

Il est difficile de tirer des conclusions avec les données dont nous disposons. Les matériaux collectés ne prennent pas en compte les dimensions importantes de l’après-projet. Dans ce cas, il paraît plus sage de présenter quelques éléments de tendance qui se profilent à la fin du projet. L’intervention du PCD II dans la commune de Banibangou et la réaction des populations aux offres que propose le projet permettent une analyse des processus de « construction de l’Etat local » d’une part et d’autre part du rôle que les populations regroupées en organisations villageoises sont amenées à jouer. Ces analyses aident à comprendre, sans les épuiser, les processus actuels de la gouvernance locale, et plus particulièrement de la gouvernance communale. Il met en perspective anthropologie politique et développement local. La construction institutionnelle de la commune s’est amorcée suivant deux registres : un registre politique qui relève du domaine des conseillers municipaux et un registre associatif, champ investi par les représentants des groupements villageois impulsés par le projet et d’autres acteurs qui lui sont extérieurs. La consolidation du processus de construction de la commune reste un enjeu lié à l’articulation entre ces deux pôles de pouvoir. La réalisation des infrastructures collectives a été pour nous une « entrée » pour comprendre et expliquer l’articulation des rapports entre les pôles de pouvoir dans une arène locale. La réalisation des infrastructures met en lumière un modèle de « l’entente tacite» ou de la « régulation implicite » qui ouvre sur le développement d’un espace de coopération relative entre acteurs. Un tel constat invite à relativiser l’approche par les conflits et d’inscrire dans « la possibilité de collaborations ». Comme on l’a vu, les activités de microréalisations, loin de contribuer à durcir les clivages déjà existants, contribuent à l’éclosion de relations de coopérations stratégiques entre les acteurs. En lieu et place de la confrontation et du conflit, on assiste dans le cas de la réalisation des infrastructures, à une « associativité » (Barthélémy, 2000), une intégration, un partenariat. Les actions du PCD II favorisent la création d’initiatives structurantes. La réalisation des infrastructures, observée à partir du cas de Banibangou, offre des éléments de réponse à une des nombreuses questions soulevées par la mise en œuvre du processus de décentralisation, à savoir en quoi la décentralisation va-t-elle permettre la constitution d’un espace de débat, de négociation, et éventuellement de consensus sur les affaires publiques locales (Olivier de Sardan, 2004 :14). Le cas de la réalisation des classes relance, à l’échelle de la commune, le débat sur le global (bien de toute la commune) et le local (bien relevant d’un groupement villageois). On a observé que l’action collective peut, dans certaines situations, déborder du cadre d’un village pour s’étendre à un espace plus large. Les formes d’articulations entre le « local » et le « global » deviennent des terrains dignes

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d’intérêt d’un point de vue analytique. Les conseillers municipaux ont été les maillons essentiels de l’articulation entre les registres local et global. De plus, la forte implication des élus locaux dans la réalisation du bloc des classes révèle les illusions de certains projets bâties sur l’idée de la mise à l’écart de certains acteurs locaux. Mis à l’écart par les textes du projet (les conditions d’accès aux offres du projet), les acteurs locaux trouvent toujours le moyen de revenir sur le devant de la scène du développement local pour jouer des rôles importants. Se pose alors la question de savoir si la mise à l’écart de certains pouvoirs locaux ne compromet pas les réalisations des projets. Bien qu’étant ‘’nuisibles’’, certains acteurs jouissent de légitimités sociales qui les rendent incontournables. L’exemple du conseil municipal de Banibangou illustre bien la force des interactions entre les normes localement définies et celles du projet. Le retour des élus locaux qui s’opère aux marges des dispositifs du projet contribue ainsi à l’émergence de corps de règles pratiques qui coexistent avec les normes prescrites du projet. Il n’y a pas forcément de conflits, mais une complémentarité entre un système de règles officielles du projet, de règles pragmatiques impulsées par les élus locaux et une opportunité à saisir par la population à la base. Les dimensions sociales du projet : Emergence d’acteurs nouveaux A l’échelle de l’arène locale, le projet a réussi à renforcer le pouvoir associatif qui reste fondé sur des leaders « peu expérimentés » en courtage (Bierschenk et Olivier de Sardan, 1998). On se retrouve loin de la figure des leaders courtiers de développement, dotés d’une parfaite maîtrise des réseaux de la coopération de développement (Olivier de Sardan, 2001). Les leaders des organisations de base observées préfigurent-ils la naissance d’une « société civile locale »? Quels rôles politiques ces leaders vont-ils jouer dans la vie de la commune ? Les groupements villageois seront-ils investis par les leaders locaux comme espace de confrontations politiques ? Une question subsiste, celle de la capacité des communes à transformer les « équipements » qu’elles réalisent, en services publics au sens plein du. Comment ces réalisations peuvent-elles passer de leur aspect ponctuel, à une dimension pérenne ? La construction institutionnelle de la commune s’accompagne-t-elle chez les populations de nouvelles représentations du « local », du global et de l’Etat ? Derrière ces interrogations émerge la question de l’après-projet. Une analyse prospective de l’après-projet peut s’appuyer sur le niveau d’engagement des populations bénéficiaires des infrastructures scolaires. Les dynamiques construites autour des structures de parents d’élèves, en tant qu’instances décentralisées de prise de décisions constituent un atout indéniable si leur mode de fonctionnement est maintenu. Dans certains villages, elles se positionnent comme principaux acteurs dans l’entretien des classes, rôle qu’elles se disent prêtes à assumer après la fermeture du projet. De plus, au cours de son intervention, le PCD-II a offert à la commune des cadres de concertation (les grappes) et d’échange à l’échelle des villages. On peut espérer que ces instances se maintiennent après le projet au regard de l’engagement des élus locaux à « intégrer les comités de gestion des écoles (COGES) dans [le] plan de développement communal ».

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L’idée de « l’école comme bien du village » peut apparaître comme un facteur de mobilisation sociale en faveur de l’éducation. L’avenir des infrastructures et de leur entretien repose sur le niveau de réceptivité de cette idée après la fin du projet. Ce sont là autant de questions que ce travail ne peut traiter pour une raison d’ordre pratique : notre phase de terrain s’est arrêtée avec la fin du projet en décembre 2007.

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Ce rapport est issu de la recherche « Veille sociologique », financée par l’Union Européenne.

Le LASDEL (Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local) est un centre de recherche en sciences sociales implanté au Niger et au Bénin), dont les principaux axes de travail portent sur la délivrance des services publics, la mise en œuvre des politiques publiques et les interactions avec les usagers (santé, hydraulique, pastoralisme, éducation, justice, etc.), les pouvoirs locaux et la décentralisation, et l’intervention des institutions de développement. Le LASDEL recourt à des méthodes qualitatives fondées sur les enquêtes de terrain approfondies. Il met à la disposition des chercheurs et doctorants son Centre de Documentation de Niamey. Il contribue à la formation de jeunes chercheurs, en particulier avec son Université d’été.

La collection « Etudes et Travaux du LASDEL » propose des rapports de recherche issus des travaux menés par le LASDEL. Ils sont disponibles en ligne (www.lasdel.net) ou en vente à son secrétariat. Derniers numéros parus : n° 82 « Les pouvoirs locaux dans la commune de », par H. Moussa (2009) n° 83 « ‘A cheval donné on ne regarde pas les dents’. Les mécanismes de l’aide… » par P. Lavigne Delville et A. Aghali (2010) n° 84 Les pouvoirs locaux et le rôle des femmes à Guéladjo (3), par N. Issaley (2010) n°85 Les pouvoirs locaux et le rôle des femmes dans les arènes locales à l’heure de la décentralisation (Site de , 2006), par Younoussi Issa (2011)

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