« Innovation et adaptation : quelles nouvelles pratiques en forêt méditerranéenne ? » L’exemple de la montagne de Lure (La Rochegiron, 31 mai 2012 et Revest-des- Brousses, 1er juin 2012)

Compte rendu des journées La Rochegiron, 31 mai 2012 L’ASL du Tréboux Si bien des peuplements de nos forêts méditerranéennes ne sont pas très productifs, il paraît toutefois important de trouver de nouvelles pistes assurant une dynamisation des territoires ruraux et contribuant ainsi à leur développement et à leur structuration. Cette problématique est valable dans toute la région méditerranéenne où, dans certaines forêts non gérées depuis des années, le risque incendie (accru notamment par l’embroussaillement et la passivité des propriétaires) est élevé. Le cas très concret de l’ASL du Tréboux à la Rochegiron (Alpes-de-Haute-Provence) - développé par Gilles Martinez (CRPF PACA) - constitue un exemple d’innovation et d’adaptation de cette forêt méditerranéenne.

Innovation A l’époque, l’outil PDM (Plan de développement de massif), initié par le CRPF PACA et repris depuis par de nombreux CRPF, avait été le point de départ. Le fer de lance avait été ensuite la Charte forestière de territoire de la Montagne de Lure ; ce projet avait été porté conjointement par la Communauté de Communes du Pays de -Montagne de Lure et celle du Pays de Banon. La commune de la Rochegiron, située entre deux entités naturelles faisant l’objet de gestion, avait alors été choisie comme site de développement du territoire. Sous l’égide de Gilles Martinez, 39 propriétaires forestiers se sont regroupés en association syndicale libre de gestion forestière : ainsi est née l’ASL du Tréboux. La surface concernée atteint 1 009 ha avec des propriétés hétérogènes allant de 3 ha à 200 ha. Nous retiendrons de ces journées que l’innovation dans cette démarche aura été d’impliquer dès le départ les propriétaires forestiers ainsi que les acteurs locaux (chasseurs, bergers…) et d’écouter leurs motivations sans les hiérarchiser avant de faire tout diagnostic. Le but était de dissiper les craintes qu’un tel projet pouvait susciter dans l’esprit des propriétaires et autres usagers du territoire. La première question à poser est la suivante : de quoi avez-vous besoin ? Une fois toutes les attentes et les motivations de chacun recueillies, un diagnostic du territoire a pu être effectué en essayant de répondre aux exigences de chacun. Bien évidemment, tout le monde n’a pas pu être entièrement satisfait, mais on doit retenir que les notions d’intérêt général, de dialogue multi-acteurs, de multifonctionnalité, de respect de l’espace naturel et de développement local du territoire auront été privilégiées. L’autre originalité de ce projet a été d’avoir fait intervenir le maire de la commune de la Rochegiron (M. Pellissier) dès le départ. Celui-ci a participé au rassemblement des propriétaires forestiers (étude foncière) et a soutenu l’élaboration de l’ASL. Enfin, la dernière innovation que l’on peut voir dans un tel projet est d’avoir regroupé les propriétaires en ASL. Pour le maire, cette structure est rassembleuse dans le sens où les conflits sont évités car c’est avant tout un projet commun. Elle permet une mutualisation des charges et des profits auprès des propriétaires et aussi, elle a permis de mettre un frein aux exploitations illicites. Une des innovations les plus marquantes est sans doute la nouvelle confiance et le contrat établis avec l’exploitant forestier.

Adaptation Écouter les acteurs du territoire ; c’est s’adapter à leurs attentes et motivations et ne pas partir avec des idées toutes faites. C’est ainsi que Gilles Martinez, au cours de l’arrêt n°1 dans la hêtraie, précise que l’objectif n’est pas d’avoir le peuplement le plus productif possible, mais d’avoir une forêt d’agrément où le troupeau de moutons passe aisément, où le propriétaire forestier peut ramasser des champignons et où il y a également un revenu forestier. À ce titre, la mise en place d’unités de gestion homogènes constitue un outil plus cohérent pour la gestion des peuplements. Pour réaliser un tel projet, il faut évidemment que ça ne coûte pas d’argent aux propriétaires forestiers. Nous ne sommes pas dans une logique où le propriétaire ira investir en forêt. De fait, il faut chercher comment tirer des revenus de la forêt. S’adapter à une forêt méditerranéenne c’est en appréhender sa multifonctionnalité. Il ne s’agit pas de limiter ce projet à la seule exploitation forestière. Or, on peut considérer que la multifonctionnalité a bien été prise en compte : en développant l’enjeu sylvopastoral diagnostiqué comme étant très fort, en louant la chasse à la même société qu’auparavant, en restaurant d’anciens jas, en gérant une source… S’adapter c’est aussi savoir gérer un budget et innover : or, celui de l’ASL ne permet pas de faire de martelages (marquages en réserve) ; de fait, ils ont fait des placettes (sur les trois niveaux de pente existants) dans lesquelles ils ont martelé, montrant aux bûcherons ce qu’ils doivent reproduire à la tronçonneuse. Enfin, l’ASL essaie de s’adapter aux opportunités locales de marchés en favorisant les circuits courts, toujours pour mieux développer le territoire. L’idéal étant de proposer le produit bois à des communes locales qui ont des projets de production de chaleur par le bois (chaufferies).

Perspectives d’avenir Nous avons bien compris que l’ASL du Tréboux a vu le jour car il y avait, à la base, un maire motivé (et propriétaire forestier par ailleurs). Ne peut-on pas y voir une limite quant à la reproductibilité d’un tel projet dans d’autres localités ? On peut penser que chaque commune est un cas particulier et est confrontée à des problématiques différentes. Certains maires ont des vues foncières d’agrandissement (urbaines, viticoles…). D’autres préfèrent ne pas aller à l’encontre des revendications de leurs administrés plutôt que de s’investir dans le développement économique (forestier, pastoral…) de leur territoire ; c’est le cas notamment de certaines communes où les chasseurs refusent tout projet d’exploitation ou de gestion forestière et c’est ainsi que de nombreuses forêts communales ne sont pas gérées. La volonté de mettre tous les acteurs autour d’une même table n’est donc pas si évidente et on ne peut que louer le travail effectué par Gilles Martinez et le maire de la Rochegiron. On l’aura compris ; l’ASL du Tréboux a pu fonctionner grâce à un financement par la Charte forestière de territoire de la Montagne de Lure à hauteur de 10 000 €. Il est évident que l’argent public est nécessaire pour faire démarrer de tels projets. Toutefois, il reste une donnée à laquelle on n’a pas de réponse : pour qu’un tel projet soit reproductible et viable à long terme, combien faut-il d’argent public pour qu’une ASL s’autonomise ? L’argent étant le nerf de la guerre, on peut douter de la reproductibilité d’une telle ASL dans d’autres régions méditerranéennes où le potentiel forestier est moindre. Il faut garder en vue que la principale ressource de revenus provient de l’exploitation forestière. Ainsi, un tel projet doit avoir, a minima, une rentabilité nulle mais pas négative ; il ne doit pas y avoir une part d’autofinancement de la part des propriétaires (cette dernière devant être prise en compte à terme par l’ASL).

Bilan Si certains points techniques paraissent être améliorables et mériteraient une attention plus fine (débardage, absence de martelage, intensité de l’éclaircie…), il n’en demeure pas moins que l’ASL du Tréboux aura permis de gérer durablement l’espace forestier, d’apporter un revenu forestier à des propriétaires qui, jusqu’alors, ne tiraient pas un centime d’euro de leur bois, de développer une activité pastorale certaine, de poursuivre l’activité cynégétique et de rouvrir les espaces anciennement pâturés qui s’étaient refermés suite à la déprise agricole. En outre, le bon état des finances de l’ASL permet d’envisager son autonomie vis-à-vis des fonds publics. L’ASL du Tréboux est donc un exemple de gestion multifonctionnelle découlant d’une concertation multi-acteurs, ouverte sur l’innovation et l’adaptation en forêt méditerranéenne.

Compte rendu rédigé par Olivier Gleizes (ingénieur FIF), juin 2012

Revest-des-Brousses, 1er juin 2012 Placettes d’expérimentation sur la sylviculture du chêne blanc

Le chêne pubescent, ou chêne blanc, recouvre une surface importante dans la région méditerranéenne. Cette essence fait l’objet d’observations par le CRPF et l’ONF en , et en Italie. Mais après 60 ans d’exploitations en taillis, les forestiers s’intéressent à la durabilité de ce système d’exploitation.

Les enseignements de la placette expérimentale de Revest Le programme Sylvipaca a pour but d’obtenir des références techniques des peuplements régionaux. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur compte plus de 200 000 ha de taillis de chêne pubescent. M. Jaubert nous a accueillis dans sa propriété, gérée depuis plus de 50 ans notamment dans une optique de conversion du taillis en futaie pour les parcelles les mieux venantes. • Le protocole d’expérimentation

Pour installer le protocole de relevé de données, il a fallu mettre en place des placettes d’expérimentation. Chaque placette a subi une intervention sylvicole différente, et il n’y a pas eu de répétitions expérimentales. Pour minimiser les erreurs statistiques, il a donc fallu gommer au maximum les effets pédoclimatiques. Les placettes sont positionnées sur un même sol, sur un même versant et dans une même classe de fertilité. Le sol est homogène mais médiocre, sa rétention en eau est faible car il s’agit de calcaire gréseux fissuré et d’un coluvium de 30 cm d’épaisseur contenant beaucoup de sable. La réserve utile est d’environ 7 à 8 cm, alors que la pluviométrie s’élève à 780 mm par an (avec 220 mm en été grâce aux orages). La placette comprend 5 placeaux de modalités expérimentales différentes. Tous ces placeaux ont la même forme (sauf la zone d’éclaircie très forte) mais une zone tampon est respectée autour de chacun pour limiter les effets d’ouverture d’une coupe voisine. Les éclaircies sont effectuées selon un coefficient (le rapport entre la hauteur moyenne des arbres et leur espacement moyen), dont les modalités choisis sont : 24 ; 34 ; 44 ; 545 et coupe à blanc. Il faut remarquer que ces éclaircies sont plus fortes que celles préconisées dans le SRGS (outils répertoriant les directives d’intervention pour le CRPF). Avant toute intervention, un inventaire en plein a été effectué. De plus les mesures de diamètre et de hauteur ont été prélevées sur des arbres réservés (5 grands, 5 moyens, 5 petits). Les individus d’autres espèces feuillues sont gardés sur pied, et leurs mesures dendrométriques sont prélevées. Le premier inventaire est effectué juste après les coupes, par la suite ils seront effectués tous les 5 ans.

• Plusieurs graphiques ont été présentés et permettent de retracer les résultats obtenus.

La vitesse de croissance n’a pas augmenté sur les éclaircies par rapport au témoin, mais il faut tenir compte du fait qu’il y avait moins de brins pour produire le même volume. La mortalité est faible et on n’observe aucune perte dans les petits diamètres. Néanmoins, on ne peut pas tenir compte de ces résultats pour le moment, car l’état sanitaire, la descente de cime et les gourmands sont observés normalement 10 ans après l’intervention, ainsi que le calcul de ces pourcentages. Les cerfs et chevreuils sont très présents dans le massif, ils ont un impact sur les rejets en les abroutissant. Un enclos de 5X5 m a été positionné dans le placeau « coupe rase », pour voir leur impact réel. Les semis ne survivent pas plus de 2 ans, mais pour le moment personne n’est en mesure de proposer une explication vérifiée. De plus, il semblerait que les rejets ne s’affranchissent pas toujours de la souche, ce qui, à terme, provoquera l’épuisement de cette souche et donc la disparition du taillis. Mais actuellement, on ne sait pas pendant combien de temps une souche peut rejeter avant de s’épuiser. M. Ducrey a réalisé plusieurs études et publication sur ce sujet. L’observation de la biodiversité végétale est effectuée par analyse fréquentielle tous les 50 cm, toutes les espèces botaniques sont relevées. Environ 20 espèces sont présentes, le milieu est pauvre, mais dans les zones de plus fortes éclaircies, des espèces héliophiles se sont installées, elles sont provisoires et disparaîtront avec la fermeture du milieu.

Le pôle Recherches et développement de l’ONF, Avignon L’ONF a effectué aussi des mesures par un dispositif installé dans la Drôme sur le renouvellement des taillis de chêne pubescent. Leur objectif est de déterminer l’influence de l’âge du taillis dans sa capacité à pérenniser. Les taillis sont divisés en trois modalités : taillis jeune jusqu’à 25 ans, taillis adulte jusqu’à 51 ans et taillis vieux de plus de 80 ans. Un dispositif comporte deux blocs de fertilités différentes, mais dont l’un est actuellement incomplet. La capacité de régénération par semis est observée, mais les plants ne survivent pas d’une année sur l’autre. Les résultats semblent montrer que les taillis plus vieux perdent de la capacité de rejet et le nombre de souches vivantes diminue.

La forêt de chêne blanc en Italie En Italie les taillis se trouvent sur des sols d’une plus grande hétérogénéité pédo- climatique. Le bois est valorisé en bois de chauffage ou en poutre, et on trouve plus de pâturage et de chênes truffiers. Les coupes sont réalisées en faveur des autres essences valorisables. La biodiversité est plus importante. Les sols plus argileux retiennent plus d’eau. Il y a en général plus de futaie de chêne blanc dans les forêts publiques, mais la différence avec les forêts privées n’est pas aussi forte. En ce moment, des coupes de conversion du taillis en futaie sont effectuées par « effet de mode ».

Bilan Au vue des observations qui ont été faites au cours de la journée, plusieurs questions ressortent : - Le chêne blanc est-il en station ? - Quel est l’avenir du taillis de chêne blanc ? - Et comment transformer le taillis en futaie quand les semis ne survivent pas plus de 2 ans ?

Les placettes d’expérimentation ne sont pas en place depuis assez longtemps pour répondre à ces questions.

Compte rendu rédigé par Camille Guérin (stagiaire FIF), juin 2012