Félix HUGONNAUD

Journet au fil du Temps Histoire d'un village en Poitou Photo de couverture : Carte postale ancienne (vers 1910). La dame en coiffe tricote et derrière la lanterne deux cultivateurs élèvent un gerbier. « Notre village actuel est souvent la survivance du vil- lage primitif.. Il importe essentiellement de pouvoir retrou- ver le siège de la primitive vie agricole, reconnaître l'antique lieu des foyers et des demeures. »

« Originairement, le village n'existe qu' en fonction des chemins de sa campagne. Leur réunion lui donne sa raison d'être. Leur rencontre lui donne sa structure. »

Gaston Roupnel Histoire de la campagne française (collection Terre Humaine) COMMUNE DE JOURNET PREFACE

Monsieur Félix Hugonnaud, auteur de cet ouvrage, est Commissaire Divi- sionnaire Honoraire de la Police Nationale et ancien déporté résistant. Il est Chevalier de la Légion d'Honneur, Officier de l'Ordre National du Mérite, Chevalier des Palmes Académiques et membre de la Société des Antiquaires de l'Ouest. Il a été Maire de Journet de 1977 à 1989. En 1993, il a publié un ouvrage intitulé «La croix et les croix de chemins dans le Canton de » qui a été honoré d'une préface de Monsieur Jean Tarrade, Professeur Honoraire de l'université de qui avait alors écrit « l'ouvrage que j'ai beaucoup de plaisir à présenter est un de ces excel- lents travaux d'érudits, comme il y en avait tant au XIXe siècle, qui, quoique devenus plus rares de nos jours, sont toujours très précieux en apportant leur pierre à notre connaissance de l'histoire régionale ». Dans l'histoire du Montmorillonnais, aucune page, jusqu'ici ne semble avoir été consacrée à Journet par les historiens locaux. Lire notre commune, voilà ce que Monsieur Hugonnaud, nous permet aujourd'hui. La découvrir au fil des siècles, à travers les particularismes de chaque époque, porte la marque d'une érudition et d'une recherche méticuleuse qui prouve l'attachement de l'auteur pour elle. Consulter les archives poussiéreuses, réunir des documents, inédits pour la plupart, représente une somme de patience, de tenacité considérable et il fallait être Monsieur Hugonnaud pour l'entreprendre. Cet ouvrage s'inscrit dans notre patrimoine. L'éclairage qu'il apporte faci- litera et suscitera d'autres recherches. 16 Juin 1995 Roland Girardot Maire de Journet

AVANT-PROPOS

Le but de cet ouvrage est double : faire connaître l'histoire de Journet, qui s'inscrit dans l'histoire générale, avec ses particularités, donner au lecteur le désir de mieux connaître le village et ses environs, que nous avons eu le plai- sir de découvrir, chemin faisant, presque pierre à pierre, du moins kilomètre après kilomètre. La surprise et l'admiration sont toujours présentes. Nous étions passés cent fois sans voir, ni savoir, qu'il y avait un vestige de tour dans la cour de cette ferme, peut-être un vaste domaine gallo-romain dans ce champ pierreux avec une si « belle vue » . Cent fois nous avions traversé la place de l'église sans imaginer que le 14 Juillet 1790 elle était le lieu de rassemblement de toute la population en fête à l'appel de « la semblée nationale ». Les vieux manuscrits des Archives Départementales eux-mêmes nous ont réservé des surprises quand, au milieu des feuilles jaunies, les dessins de bouquets et de croix ornées témoignaient de la fraicheur et de la foi des dames de Villesalem, qui avaient ainsi agrémenté le texte de leur Profession de Foi : elles avaient 18 ans. Tous ces témoignages seraient un peu figés sans les voix de ceux qui ont vécu des années déjà lointaines et dont le récit est en grande partie celui de l'histoire du village. Monique Hugonnaud

Ecrire l'histoire d'une paroisse, c'est avoir entre les mains un vieux par- chemin, un document plus ou moins poussiéreux de jadis ou de naguère qu'il faut interroger avec patience. « Il faut le considérer comme l'émanation d'un homme (ou d'un groupe) qui, au moment où il l'écrivait, était vivant, entouré de toute une société aussi remuante que lui, sensible, imaginative, pleine de réflexions, de convictions et de routines. Mais le peu qu'il nous livre à travers son grimoire tient de plus ou moins près à toute sa vie et sa culture comme la plupart de nos actes et de nos discours.» (Jean Bottero - Historien) C'est dans cet esprit que j'ai essayé de comprendre la vie et la société des anciens habitants de notre commune. En voyant les réalisations qu'ils nous ont laissées et surtout les documents, j'ai toujours pensé qu'il s'agissait de personnages qui, vivant avec leur siècle, étaient comme nous animés par leurs passions et leurs intérêts, mais dans une société plus hiérarchisée. Les plus anciens n'ont laissé que quelques traces de leur savoir artisanal : pierres taillées, pierres polies, vestiges de l'exploitation du fer, restes de vil- las gallo-romaines. Dans ce dernier cas apparait chez nous l'art du mieux vivre, du premier confort et de la recherche de la beauté dans un environne- ment choisi. Après l'éclipsé des destructions du Haut Moyen-Age, l'amélioration du cadre de vie apparait après l'an mille avec la construction des églises puis des châteaux et manoirs, et peu à peu dans la conception de l'habitat paysan. C'est de cette époque que datent les documents les plus anciens qui nous permettent d'apprécier le plus souvent l'humanité des habitants de ce temps. Celle des prieurs curés ressort des réflexions qu'ils ont notées au hasard des rédactions des actes de l'Etat Civil : - « pauvre mendiante... pauvre innocente qui n'avait jamais parlé »... ou encore : « mon grand regret, je n'ai pu lui faire entendre la messe...» Si aux XVIIe et XVIIIe siècles on sent une grande humili- té des prieurs curés devant les grands (mariages, inhumations dans l'église ou le prieuré etc...) ils n'hésitent pas à critiquer les riches au cours du XIXe siècle. Un des derniers curés de la paroisse en 1950 chante son amour et la beauté de notre beau coin dans un poème naïf, mais toujours empreint d'une grande humanité. Les grands propriétaires, de noblesse récente ou ancienne, n'étaient pas des nobles de cour, ils vivaient sur ou près de leurs terres. Ils apparaissent assez peu dans les documents sauf dans les baux. Les artisans, avant ou après la Révolution, et les laboureurs ont assuré la perennité de la société. Ils ont participé à la vie sociale, religieuse et adminis- trative. Ils sont la frange toujours sympathique de la société. Au XIXe siècle les nobles et les artisans participèrent ensemble, au sein du Conseil Municipal, à la grande évolution de la commune. Ensemble ils ont préparé intelligemment l'avenir et donné à la commune sa physionomie d'au- jourd'hui tout en se préoccupant de venir en aide aux plus pauvres. Ils ont mis en place l'école publique pour les garçons et les filles, avant qu'elle ne devienne obligatoire. Je me suis senti proche de ces hommes que j'ai vu vivre, notamment ceux qui occupaient des postes de responsabilité communale. C'étaient des hommes de bonne volonté remplis d'humanité. A travers eux j'ai senti aussi le comportement de quelques-uns, moins soucieux du bien public et du bien- être des autres que de leur ambition et de leur intérêt. Mais c'est celà une société, tous les membres n'ont pas nécessairement les yeux fixés sur le même but. Et puis le maillon que nous constituons en cette fin de XXe siècle se doit d'apporter sa part à la construction de l'énorme héritage que la longue lignée de nos pères, depuis la nuit des temps, n'a cessé d'accumuler « et qui nous a été transmis avec la vie et la culture, à notre arrivée au monde. » Félix Hugonnaud

CHAPITRE 1 Généralités sur Journet

LE NOM DE LA COMMUNE Sur le territoire de la commune il y eut pendant la période gallo-romaine, autour des Ier et IIe siècles après Jésus-Christ, plusieurs villas importantes, notamment sur les plateaux dominant les rives droite et gauche du (entre Tervannes et la Cacaudière - entre Mazert et Villesalem). La prospec- tion aussi bien aérienne qu'au sol n'ayant pas été faite de façon systématique, on peut penser qu'il y en avait d'autres, peut-être aux environs du bourg actuel. Une certitude toutefois, les spécialistes sont unanimes sur ce point, le nom de Journet nous a été légué par un ancêtre gallo-romain qui a dû habiter l'une de ces propriétés. Il devait s'appeler « Jornec » ou « Joi-tiacos », nom d'origine gauloise. Sous la domination romaine il devint « Jornacus, Jornia- cus ou Juronius » puis « Jornacum » ou « Jorniacum » pour se fixer à la fin du Moyen-Age avec une terminaison en et, en é, en ec ou en ay. C'est à partir de cette époque seulement, entre le XIe et le XIVe siècle que nous avons des documents nous précisant le nom de ce qui est devenu notre paroisse. Au XIIe siècle, on trouve « Jornet » dans le cartulaire de la Maison- Dieu de (1) et ce nom va évoluer jusqu'en 1850 environ. En 1247, la paroisse s'appelle « Jornec » puis « Parochia de Jornaco » (1407, chapitre de la Cathédrale), « Journec » en 1450, « Journé » en 1625, en 1649 « Journet ». A partir de cette date on suit les variations orthographiques, en particulier dans les registres d'état-civil qui nous donnent « Journay » pen- dant quelques années entre 1750 et 1755, puis «Journée» en 1755 et enfin « Journé ». En 1792 les registres d'état civil deviennent municipaux, mais l'ortho- graphe du nom de la commune reste erratique, on hésite entre «Journé» et «Journet» suivant les rédacteurs. Ces deux suscriptions figurent alternative- ment dans les divers documents, émanant de la commune, de la préfecture,

( 1 ) Redet. Dictionnaire topographique de la . des services financiers ou des tribunaux. A partir de 1854, sauf de très rares exceptions, le nom est définitivement fixé avec l'orthographe « Journet ». Sous cette forme c'est un patronyme relativement courant. Un ténor nommé «Journet» fut enterré, à la fin du XIXe siècle, dans le cimetière du Père Lachaise à Paris. De nos jours un évêque et un président de Conseil Général du même nom résident tous les deux dans la Vallée du Rhône. Mais la particularité la plus curieuse est celle de la commune de Chindrieux en Savoie : 48 personnes s'appelant «Journet» y habitent, et 14 vivent dans des localités voisines. Enfin sous quelle appellation doit-on désigner les habitants de Journet ? Cette question n'a apparemment pas intéressé nos ancêtres car on ne trouve aucune indication dans les documents du passé. Pour ma part je pense « JOllrnetois » ou « Joiirnetans », ma préférence allant au second nom. SA SITUATION GEOGRAPHIQUE La paroisse s'est formée très tôt autour de l'ancienne église Saint Martin et sans doute, avant sa construction, près d'une chapelle dédiée elle aussi à Saint Martin, à l'ouest de laquelle se constitua notre vaste cimetière mérovin- gien formé de sarcophages de pierre. Elle est située à 60 kilomètres au sud-est de Poitiers, dans le département de la Vienne, à la limite du Limousin et du Berry. Pendant l'Ancien Régime, elle appartenait à la Généralité ou Intendance de Poitiers. Elle dépendait de la Sénéchaussée de Montmorillon et des Présidiaux de Poitiers et de Montmo- rillon. Sur le plan religieux la hiérarchie s'établissait ainsi : Doyenné de la Trimouille, Archiprêtré de Montmorillon, Diocèse de Poitiers. En 1790 elle était déjà dans les limites territoriales actuelles lorsqu'elle devint une commune. Sa superficie est de 5 800 hectares (2). Elle mesure 8 kilomètres du sud-est au nord-ouest et 6 kilomètres d'est en ouest. Assez riche en eau, elle est traversée par deux rivières. Le Véron prend sa source dans la commune (dans le territoire actuel du camp militaire), traverse le bourg et se jette dans le Salleron. Celui-ci est une rivière beaucoup plus importante qui nait vers Azat-le-Ris, au lieu-dit « le Ris Chauveron » en Haute Vienne, et va se jeter dans l'Anglin près d'Ingrandes (Indre) après un cours de 36 kilomètres à vol d'oiseau. Quittant sa vallée très encaissée et boi- sée, notamment entre l'ancien gué du moulin du Peux et celui de Chantebon, elle arrose les communes d' et Béthines. Cette vallée et les coteaux environnants furent les premiers lieux habités de Journet (3). Rivière assez rapide, surtout en Haute-Vienne, et au débit suffisamment important, même

(2) 500 hectares sont soustraits à l'agriculture. Ils ont été achetés en 1970 par l'Etat pour y installer le Camp militaire dont la superficie totale, avec les communes de Saint Léomer et de Montmorillon, est de 1 644 hectares. (3) Voir le chapitre intitulé « La Préhistoire et la Formation de la paroisse ». en été, le Salleron a permis sur ses rives l'installation de nombreux moulins au cours des siècles. GEOLOGIE, CLIMAT ET HABITAT L'altitude au niveau de la mairie est de 113 mètres. Nous subissons, comme l'ensemble de la région, un climat encore océanique avec des vents dominants d'ouest et sud-ouest (à vol d'oiseau nous ne sommes qu'à 160 kilomètres de La Rochelle). Les hivers sont en général doux avec quelques exceptions qui, au cours des siècles, ont laissé un très mauvais souvenir. La pluviométrie moyenne annuelle pendant la décade 1970-1980 a varié de 600 à 770 millimètres. La formation géologique très ancienne du sous-sol a crée des zones variées même dans une superficie restreinte comme celle de la commune. La vallée du Salleron et les plateaux qui la dominent vers Mazert, la Villecha- rault, Maviaux, Boissec..., sur les rives droite et gauche, attestent qu'ils ont été submergés il y a plusieurs millions d'années. Les animaux marins fossili- sés sont nombreux dans les roches sédimentaires, par exemple dans les car- rières du pont de Tervanne. Ailleurs ce sont plutôt des terres alluvionnaires formées de sables argileux, peu perméables et favorables aux brandes. Dans le sous-sol, suivant les vallées, on trouve des pierres de taille de qua- lité, des pierres à chaux longtemps exploitées, des argiles qui ont alimenté les tuileries pendant des siècles et enfin du minerai de fer. La valeur des terres est donc très variable d'une extrémité de la commune à l'autre. Les drainages et les amendements modernes ont modifié largement ans.les rendements des différentes cultures et ceux de l'élevage, surtout depuis 50 Au XIXe siècle il y avait encore de très belles futaies sur la commune. Par suite de leur exploitation il ne reste que de nombreux taillis épars. Pendant longtemps leurs produits ont servi à chauffer les fours à chaux et les fours des boulangers. Certains, depuis peu, alimentent les papeteries de Saillat en Haute-Vienne et aujourd'hui les chauffages des particuliers. Le reste de la commune est une zone d'exploitations agricoles coupées de haies car, fort heureusement, il n'y a pas eu de remembrement. Nous sommes dans la région considérée jusqu'au XIXe siècle comme un pays de brandes aux sols pauvres. Il n 'y a presque plus de brandes, sauf dans le camp militaire où, aussitôt la mise en jachère qui a suivi l'achat des terrains par l'état, elles ont repris possession du sol. Ainsi de nos jours ces espaces abandonnés par les cultures nous donnent une image de ce qu'étaient certaines parties de la commune avant les grands défrichages. De par notre situation entre Berry et Haut-Poitou notre habitat est d'un type assez hybride, plus proche du type berrichon que du type poitevin. Jour- net est la dernière commune avant Montmorillon où les toits, le plus souvent à quatre pentes, sont recouverts de tuiles plates. Les fermes et les maison- nettes n'ont en général qu'un rez-de-chaussée, et on accède au grenier à l'ai- de d'une échelle extérieure à barreaux, système qui donnait beaucoup de mal naguère lorsque les battages avaient lieu dans les fermes. Les porteurs de sacs de grains devaient gravir ces échelles avec un poids de 80 kilos sur l'épaule. L'habitat est très dispersé. En 1990 on a dénombré 412 habitants dont 133 dans le bourg et 280 disséminés dans les fermes et hameaux. Avec 34 exploi- tations la population est essentiellement agricole. Il n'y a aucune entreprise industrielle ou commerciale sur la commune en dehors d'un petit artisanat. Quatre routes départementales nous desservent. La RD 727 relie directe- ment Montmorillon à la Trimouille en évitant le bourg. Par contre la RD 121 venant elle aussi de la direction de Montmorillon dessert le bourg et continue sur la Trimouille pendant qu'une autre branche, la RD 120, poursuit sur le Blanc. La quatrième route numéro 33 arrive de Saint Léomer et rejoint Haims après avoir traversé le bourg. Un réseau de 36 kilomètres de chemins communaux, revêtus de bitume, dessert les hameaux et les fermes, et plus de 80 kilomètres de chemins ruraux (chemins de terre) relient les fermes aux champs en culture. Enfin notre territoire est traversé sur 8 kilomètres d'ouest en est par l'ancienne voie ferrée devenue chemin communal et lieu de prome- nade très apprécié. CHAPITRE II DE LA PRÉHISTOIRE À LA PAROISSE ET À LA COMMUNE

PÉRIODE PRÉHISTORIQUE L'origine celtique du nom de Journet, la nature du sol et du sous-sol per- mettent de penser que ces lieux ont été habités depuis des temps très anciens. Les découvertes faites par différents spécialistes et amateurs éclairés en apportent des preuves certaines. La majeure partie des silex taillés ou polis qui figurent dans les vitrines du Musée de Montmorillon ont été trouvés dans la région de la Villecharault, Maviaux, Villesalem, Mazert d'une part et d'autre part sur les pentes qui bordent le Véron entre son confluent avec le Salleron et Monson. Peut-être ne se bousculait-on pas dans ce secteur 30 000 ans avant Jésus-Christ, mais les habitants étaient manifestement très nom- breux. En regardant aujourd'hui la carte au 25 millième de l'I.G.N. (Institut Géo- graphique National), on comprend pourquoi cette zone a été la première habitée. Le bourg est à 113 mètres d'altitude, le plateau de Mazert à 141 mètres, et le carrefour du Pilori à 146 mètres. Cette région plus élevée, constituée de terrains perméables, présentait beaucoup plus d'attrait que les zones marécageuses qui, d'Eport en passant par la Machelidon, Crémiers et le Bois, rejoignaient les brandes en bordure de l'actuelle route de Montmo- rillon-La Trimouille. D'ailleurs le conseil municipal qualifiait encore le 24 Juillet 1838 ces terres de « pays inhabité et marécageux », lorsqu'il souhai- tait que le tracé de la route en question passât par Journet. La configuration du sol se prêtait parfaitement au genre de vie de ces loin- tains ancêtres et explique leur choix. Aux endroits choisis, le Salleron sur- tout, et même le Véron coulent dans une vallée profonde. Les pentes rappro- chées et très escarpées de la rivière permettaient de dominer les vallées et constituaient des abris appréciables. En raison de découvertes abondantes de silex taillés et polis effectuées dans le secteur, certains spécialistes de la Préhistoire ont pensé que la grotte dite « de Monson », en bordure du Véron, a accueilli des habitants 30 000 ou 20 000 ans avant Jésus-Christ. Elle constitue en effet ce que les archéologues appellent « un abri sous roche », genre d'habitat qui était très recherché à cette époque. L'ouverture orientée vers l'est est protégée des vents dominants et de la pluie. Seules des fouilles effectuées par des spécialistes pourraient permettre d'affirmer la réa- lité d'une occupation préhistorique dans ce lieu. Quant au vaste plateau de la rive droite du Salleron, au-delà de la Ville- charault, il se prêtait à la chasse et plus tard à l'agriculture. De plus il permet- tait une surveillance facile contre toute attaque éventuelle de tribus ennemies. Enfin, détail non négligeable, une source d'eau claire, abondante et d'excel- lente qualité coulait en bas du coteau, en dessous de Maviaux, à quelques dizaines de mètres du lit du Salleron. Elle coule d'ailleurs toujours mais le débit est, dit-on, plus faible que dans le passé. L'abondance des silex naturels que l'on trouve dans cette zone n'est cer- tainement pas étrangère à la densité de l'habitat. Ces hommes trouvaient en effet sur place la matière première pour la fabrication de leurs armes et de leurs outils. Ils ne manquaient d'ailleurs pas de bon sens car dans la suite des temps les habitats se sont toujours élevés plus rapidement dans les régions où les matières premières de grande nécessité étaient les plus faciles à trouver. On trouve toujours de gros blocs de silex entre Maviaux, la Villecharault et le Salleron mais la grande réserve de ces matériaux git sur la rive gauche, de l'autre côté de la rivière, entre Bessac et l'ancien Petit Tervanne. A cet endroit la densité et la qualité de ces pierres sont exceptionnelles. Elles sont à la fois d'une extrême dureté, ce qui facilite l'obtention d'arêtes très cou- pantes, et d'une beauté assez rare. Les veinures de certains de ces blocs ont des couleurs dans la masse qui les feraient ressembler à des agathes, si ces pierres étaient polies. Dans les bois de la région, on a trouvé au siècle dernier des ateliers de taille et de polissage mais malheureusement ils n'ont pas été répertoriés et il ne m'a pas été possible d'en retrouver sous une végétation toujours plus envahissante. L'abondance et la qualité de ces matériaux nous permettent de penser qu'ils devaient être renommés dans tous les environs et sans doute faire l'ob- jet de commerce, comme cela se produisait dans la région toute proche du Grand Pressigny. C'est donc avec un intérêt affectueux envers nos ancêtres que nous pouvons imaginer leur vie dans ce secteur qui a été habité au cours des siècles jusqu'à nos jours. On peut d'ailleurs légitimement se demander si, aux environs de Maviaux et de la Villecharault, il n'y avait pas plus d'habi- tants, en ces temps reculés, qu'aujourd'hui. PÉRIODE GALLO-ROMAINE Jusqu'au milieu de ce siècle, on s'est plu à habiter sur ce plateau, ce n'est que depuis une cinquantaine d'année que ces villages se vident de leurs habi- tants. Les prospections aériennes effectuées par la Société Archéologique de ont permis de déceler des traces au sol de « villae gallo- romaines » notamment entre Mazert et Villesalem d'une part, entre Tervanne et la Cacaudière d'autre part. Ces constructions appartenaient à de riches pro- priétaires qui employaient un personnel important, elles prouvent la perma- nence de l'intérêt que l'on trouvait à habiter en ces lieux. Près de Mazert, les morceaux de tuiles à rebord, les « tegulae », qui carac- térisent cet habitat sont très nombreux. On peut légitimement penser que c'est à cet endroit qu'habitait le bourgeois gaulois « Jornec » ou « Jornacus » qui a donné son nom à la paroisse puis à la commune. A ce sujet Christian Richard, dans un important ouvrage intitulé : « Contribution à V Etude de F Occupation Antique du Haut-Poitou Méridio- tial » (Imprimerie Martineau, 2e trimestre 1995) s'exprime ainsi : « La villa de Mazert fut découverte en 1991 dans le labour par prospection aérienne grâce à l'importance des anomalies causées par la présence des bâtiments... Quelques mois plus tard, en 1992, une céréale et la sécheresse ont permis d'obtenir une partie des structures de cette villa qui est une des plus grandes actuellement connues dans le Centre-Ouest de la Gaule avec une superficie de près de deux hectares. » Bien que jusqu'à présent on n'ait pas retrouvé d'autres traces au sol d'ha- bitations gallo-romaines il faut admettre qu'il y en avait beaucoup d'autres dont les soubassements enfouis dans le sol restent inconnus. Peut-être y en avait-il vers notre bourg actuel, sur les hauteurs du Puy Jousserand ou du Moulin à Vent car les architectes de l'époque notaient : « Quant à l'habita- tion même du propriétaire, il faut en fixer l'emplacement en un lieu un peu plus élevé et plus sec que les autres pour éviter que les fondations soient endommagées et pour qu'elle bénéficie d'une belle vue ».(1) Christian Richard note encore que «le terme de villa qualifie les constructions d'un domaine rural agricole, quelles que soient les dimensions ou l'importance de la superficie construite.» (1) Petits ou grands, ces domaines parsemaient nos campagnes et l'on sait que le christianisme, diffusé chez nous par Saint Mar- tin et ses moines, trouva tout d'abord auprès des propriétaires de villas des adeptes qui, à leur tour, entrainèrent dans la religion nouvelle des membres de leur famille et de leur domesticité. L'historien Irénée Marrou rappelle que « des églises (étaient) établies soit dans les bourgades, soit dans les grands domaines autour de la résidence du maître. » Ceci nous amène à évoquer une hypothèse qui n'a rien d'historique puisque jusqu'à ce jour on n'a aucun document concernant l'origine de notre bourg. Beaucoup de ces grandes et belles villas gallo-romaines disparurent entre les Ille et Ve siècles de notre ère, à l'époque des premières grandes inva- sions, mais aussi à une époque de grande christianisation. Cette christianisa-

( 1 ) Citation de l'architecte Palladius rapportée par Christian Richard dans « Approche d'une typo- logie des villas gallo-romaines en Haut Poitou méridional ». B.S.A.O. se série. Tome 2. 3e trimestre 1989 tion entraina la construction d'églises ou chapelles dans certains domaines et en même temps la destruction des temples dédiés aux divinités païennes. Autour de nous il y avait deux sites gallo-romains importants pourvus de temples : Masamas sur la commune de Saint Léomer et le Gué de Sciaux sur la commune d'Antigny. Dans leur zèle évangélisateur Saint Martin et ses dis- ciples détruisirent les temples et tout ce qui rappelait le culte païen. C'est d'ailleurs après avoir constaté la disparition des plus beaux monuments gallo-romains de cette période que d'éminents archéologues en ont fait le reproche à Saint Martin et aux religieux qui l'accompagnaient. Le vocable de Saint Martin pour notre ancienne église date vraisemblable- ment de cette fin du IVe siècle. Ces moines si actifs laissèrent leur souvenir en sanctifiant notre paroisse naissante par quelque chose que nous ne connais- sons pas, mais qui eut des répercussions capitales dans les siècles suivants. Peut-être un évangélisateur fut-il enterré dans la première chapelle ? C'est une pure supposition mais, ce que l'on sait, c'est que les premiers chrétiens voulurent être enterrés dans les lieux sanctifiés (chapelles ou leurs abords abritant un corps considéré comme saint ou sanctifié par son passage). Or, à Journet, les morts semblent affluer autour de l'église, et pas n'importe les- quels, car ils sont enterrés dans des sarcophages de pierre dont on ignore l'origine, mais ces privilégiés deviennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure des années. Le village n'a fait l'objet d'aucune fouille ni prospec- tion dans le sol mais, lors des travaux de construction de certaines maisons, on s'est aperçu que le premier cimetière, celui des sarcophages de pierre, s'étendait à partir de l'église actuelle de part et d'autre de la route de Mont- morillon jusqu'au Gué Bernard. La moindre fouille dans le sol permet encore aujourd'hui de trouver des sarcophages dans ce secteur. De plus leur nombre est attesté par le fait qu'en 1860 l'ancien cimetière, proche de l'église mais sous la place actuelle, était encore bordé de « couvercles de sarcophages comme à . »(2) Une autre preuve de l'importance de cet ancien cimetière est apportée par un acte de partage privé daté de 1791. A cette époque, comme il n'y avait pas encore de cadastre, on ne pouvait déterminer l'emplacement d'un immeuble ou d'une pièce de terre que par l'énumération des propriétaires riverains. Ce texte notarié essaie de définir « un petit domaine renfermé de murailles et fossés joignant au levant le jardin de Louis Carin, du midy le chemin du bourg à Montmorillon, du couchant la terre du Seigneur de Fumé ; le ruis- seau entre deux à celui du domaine appelé le vieux cimetière. » Ce domaine du vieux cimetière était donc compris, dans la direction de Montmorillon, entre l'ancien chemin de cette époque, qui est à peu près l'assiette de l'ac- tuelle RD 120, et le petit ruisseau qui coule au fond des jardins. Les corps se trouvant dans les multiples sarcophages étaient-ils ceux des seuls habitants de Journet ou venait-on des environs se faire enterrer ici parce qu'il y avait un espoir plus sûr d'avoir sa place au ciel ?

(2) Le Touzé de Longuemar. B.S.A.O. 1859-1861 page 308. Parmi les premiers chrétiens beaucoup, à l'exemple de l'Empereur Constantin, retardaient le baptême jusqu'à l'heure précédant la mort, car, ce sacrement lavant tous les péchés, on était sûr de mourir en état de grâce. Les fouilles effectuées à Civaux ont permis de retrouver un baptistère primitif par immersion, et ce monument est peut être une explication de l'amoncellement des sarcophages dans ce secteur, pour des gens venus y chercher le chemin du ciel. Journet a-t-il possédé quelque chose de semblable pour mobiliser les croyants ? Le hasard peut permettre un jour de trouver une explication ! Puisque nous sommes depuis plus de mille ans sous le vocable de Saint- Martin, il n'est pas sans intérêt de rappeler les circonstances de la mort de ce grand saint, qui donnèrent naissance, dit-on, à une très belle légende. Saint- Martin, évêque de Tours, se rendit en 397 à Candes (qui s'appelle maintenant Candes-Saint Martin), petite localité située au confluent de la Vienne et de la Loire, pour y arbitrer un conflit entre les moines tourangeaux et poitevins. Pris de malaise, il décèda dans une chapelle, à l'emplacement où s'élève de nos jours l'église paroissiale. On étendit son corps sur un lit de sarments et il fut veillé par les moines tourangeaux et poitevins qui déjà se disputaient sa dépouille ; les uns voulaient le ramener à Ligugé, les autres à Tours. Profitant du sommeil des Poitevins, qu'ils auraient provoqué, les Tourangeaux passè- rent le corps du saint par une petite fenêtre de la chapelle, le transportèrent dans un bateau et, à force de rames, aidés aussi par un vent propice, ils remontèrent la Loire. Or, circonstance miraculeuse, bien que l'on fût en novembre, au passage du convoi les buissons et les arbres des bords de la Loire se couvrirent de fleurs. C'est pourquoi nous connaissons chaque année à la même époque « l'été de la Saint-Martin ». LE MOYEN-AGE Ces inhumations se sont poursuivies assez tard dans le Moyen-Age sans doute jusqu'au XIIe ou XIIIe siècle. Cependant la misère, les invasions, puis les guerres les rendirent plus difficiles bien que l'on ait pris l'habitude de réutiliser les sarcophages en y mettant de nouveaux corps auprès des sque- lettes, car on ne pouvait pas étendre indéfiniment la surface du cimetière. On enterra alors les morts dans un nouvel emplacement qui s'étendit cette fois à l'est de l'église, sous la place actuelle. C'est dans ce lieu, peut-être à l'initia- tive d'un prieur curé venant de Lesterps, que l'on construisit la Lanterne des Morts. Et puis, au cours des siècles, ces cimetières furent peu à peu désaffec- tés, parce que saturés, et l'on s'étendit jusqu'à la chapelle du prieuré. On peut résumer cette évolution en disant que tout au long de son passé Journet s'est construit sur un cimetière. D'abord le mérovingien à l'ouest de l'église, puis vers l'est autour de la Lanterne des Morts (3). Chassé par les routes construites au XIXe siècle, il s'est étalé jusqu'au prieuré Saint Jean où

(3) Des travaux effectués au début des années 1980 devant la porte de la mairie ont permis de décou- vrir des sépultures ; on en avait découvert également sous le socle et autour de l'ancien emplace- ment de la Lanterne des Morts. gisaient déjà à l'intérieur de la chapelle et contre les murs extérieurs les anciens prieurs, les nobles et ceux qui pensaient y avoir leur place en raison de leurs mérites. Il faut se souvenir que les habitants du village se rassem- blent finalement dans le cimetière. Les vivants sont une minorité dans le bourg, beaucoup moins nombreux que les morts dans le cimetière. Puis au xxe siècle, au nom du droit des vivants de prendre la place des morts, au nom de l'hygiène, le cimetière a été repoussé à l'extrémité Est de la localité. Peu à peu les morts n'ont plus vécu que dans le souvenir des vivants et les maisons se sont élevées sur leurs tombeaux. LA VIE ADMINISTRATIVE ET SOCIALE. LA PAROISSE Les cimetières ont évolué au cours des siècles, leur évolution étant com- mandée par celle de la paroisse. Elle a manifestement été constituée très tôt, le cimetière mérovingien en est la preuve. Mais on ne connait pas de faits précis sur son fonctionnement, pas plus que sur l'élévation de la première église Saint Martin (démolie en 1874) qui a pu succéder à une chapelle remontant à l'époque de Saint Martin. Au début du XIIe siècle, en même temps qu'il participait par ses dons, avec sa femme Paquette, à la création du prieuré de Villesalem (4) où il sera d'ailleurs inhumé, Audebert de la Trémoille dut faire des donations à la parois- se de Joumet et au prieuré Saint Jean. Ce prieuré était pris en charge par les moines de l'abbaye Augustine de Lesterps qui fournirent jusqu'à la Révolution le prieur curé de la paroisse Saint Martin (5). Quelques «aveux et dénombre- ments» rédigés par les prieurs, et parvenus jusqu'à nous, soulignent l'importan- ce qu'avaient pour eux les ducs de la Trémoille et leurs bienfaits. D'autre part les documents laissés par les dames prieures de Villesalem prouvent que les descendants de cette noble famille, même après leur installation au château de Thouars, ne manquèrent pas de soutenir par leurs largesses les églises, cha- pelles et prieurés que leurs ancêtres avaient contribué à mettre en place. De son côté le « Pouillé » du diocèse de Poitiers indique que notre parois- se dépendait du doyenné de la Trimouille et de l'archiprêtré de Montmorillon en 1649. En 1623 le prieur curé avait ouvert le registre d'état civil prévu par la loi et celui-ci nous permet de suivre l'évolution de la paroisse et de ses habitants, d'en connaître les professions et le milieu social : nobles, bour- geois, artisans, laboureurs et journaliers. Curieusement on ne connait rien de l'ancienne église Saint Martin si ce n'est que, dès le XVIIe siècle, elle mena- çait ruine. Elle fut interdite durant 120 ans de 1664 à 1784. A nouveau inter- dite en 1817, elle fut réparée sommairement et put poursuivre son office jus- qu'en 1874. La chapelle du prieuré Saint Jean, construite à peu près à la même époque, est toujours debout et n'a pas nécessité de grosses réparations

(4) Voir chapitre sur Villesalem. (5) Au testament d'Audebert de la Trémoille de 1247, rédimé en 1282 par Messire Joyeux, archi- prêtre de Montmorillon, l'église de Journet figure pour un don de 12 deniers. Dom Fonteneau IV page 413. si ce n'est sa remise en état dans les années 1960, après avoir servi de grange pendant plus d'un siècle et demi. Plutôt que d'un défaut de construction, on peut penser que l'église Saint Martin avait souffert des déprédations consécutives à la guerre de Cent ans et aux guerres de religion. Les historiens ont établi que le connétable anglais Jean Chandos a commis, à la tête des troupes anglaises, de multiples exactions dans notre région. Notamment en 1369 il détruisit le couvent de , dépendant de l'abbaye de Fontevrault, et endommagea gravement l'église de Villesalem, en particulier la toiture et la voûte (6). L'église de Journet n'est pas mentionnée mais les troupes, constituées davantage de brigands que de soldats, ne manquèrent sans doute pas de lui faire une visite destructrice. Jean Chandos fut blessé l'année suivante, en 1370, à Lussac-Ies-Châteaux et mou- rut quelques jours plus tard au château de Morthemer (7). A la fin du XIXe siècle, le curé de la Croix sur Gartempe (Haute-Vienne) écrivit une biographie sommaire de la famille de Saint Martin de Bagnac. Dans ce document il indique que ce fut le Chevalier de Saint Martin de Bagnac qui donna le coups mortel au connétable anglais. Ce fait d'arme est confirmé par Froissart dans ses Chroniques de La guerre de Cent ans (Froissart, La Guerre de Cent ans. Union générale d'Editions. Coll. « Le monde en 10/18 », 1964, p. 162). Cette famille était originaire du lieu-dit Bagnac commune de Saint Bonnet de Bellac (Haute-Vienne). Le dernier descendant du nom, Jean Baptiste Anthony de Saint Martin de Bagnac (1826-1892) avait fait édifier un château néo-gothique à l'emplacement de l'ancien château familial dont il reste la fuie. La salle de billard du nouveau château était ornée d'une fresque illus- trant le combat de Lussac-Ies-Châteaux. Après le décès de J.B. Anthony de Saint Martin, mort sans postérité, le château a été abandonné et cent ans après la mort de son constructeur il est déjà en ruines. Puis de nouvelles déprédations furent commises 100 ans plus tard, sur les mêmes monuments, par les bandes armées constituées par les instigateurs des guerres de religion. Dans l'ouvrage collectif intitulé « La Vienne » les auteurs citent une lettre adressée à la Reine le 15 Octobre 1562 par Monsieur de la Messelière (page 191) qui nous intéresse plus particulièrement : «Aussi il a passé une troupe de cinq à six cents hommes revenants d'Orléans, laquelle ne pouvant entrer dans les rues de Montmorillon à saccager l'abbaye de la Maison Dieu et massacrer les prêtres du dit lieu, sont venus loger en ma terre où ils ont fait bon mesnage et brûlé mon église... Ils sont passés en ung prieuré de religieuses lesquelles ils ont laissé en cothe et saccagé le reste... » N'ayant pu entrer dans Montmorillon défendue par ses fortifications, cette troupe a donc saccagé la Maison Dieu qui ne commencera à se relever que 100 ans plus tard et les hommes, avant tout des pillards, (n'oublions pas qu'il s'agissait de mercenaires) se sont répandus autour de la ville où ils ont pillé et plus ou moins détruit « prieurés de religieuses et églises ». Très vraisem-

(6) Déodata. La Puye. Page 61. Cité par Jean de Boscher dans « Les origines de Villesalem ». (7) Un monument situé près du Pont de Lussac rappelle ces faits. blablement Villesalem et Saint Martin de Journet furent leur cible car elles étaient sur leur chemin, puisqu'ils venaient d'Orléans. Malgré ces graves incidents, la paroisse solidement implantée joua dans la vie locale un rôle très important jusqu'à la Révolution, en particulier en raison de la qualité des prieurs curés qui la desservaient. D'ailleurs, sous l'ancien régime, le curé était l'homme de confiance à la fois de ses paroissiens et de l'administration royale. Il avait une grande auto- rité sur les fidèles et l'un des moments essentiels de la vie de la paroisse était le prône à la messe dominicale. C'est dommage que nos prieurs ne nous en aient laissé aucun par écrit, car nous aurions un reflet de la vie locale, par semaine, ainsi que les recommandations au sujet des lois séculières et des règlements religieux. Ainsi qu'ils le notaient sur le registre d'état civil (8), ils lisaient et commentaient quatre fois par an l'Edit d'Henri II de 1559 concer- nant les filles et les veuves enceintes. Au XVIIIe siècle ils ont même joué un rôle non négligeable en matière d'information, de médecine et santé, de même que sur les problèmes agricoles. De son côté, après la messe, devant la porte principale de l'église, le syndic s'adressait aux fidèles, le plus souvent pour leur parler de règlements de police et d'impôts. EVOLUTION DE LA VIE COMMUNAUTAIRE ET DE LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE En même temps qu'une certaine paix dans nos campagnes les Romains implantèrent leurs structures administratives. Déjà, en particulier, ils ne man- quèrent pas de se préoccuper de prélever les impôts, en échange de leur pro- tection, disaient-ils ! H. Arbois de Jubainville citant Strabon observe que le recensement pour l'impôt avait commencé en 27 avant Jésus-Christ et qu'il avait été précédé d'un arpentage général (9). La Gaule fut divisée en une soixantaine de circonscriptions financières appelées « Territorium » ou « Regio ». Elles furent découpées en « Pagi » puis subdivisées en « Fundi », ce qui constituait le cadastre de base pour l'impôt romain. Arbois de Jubain- ville ajoute que la «regio» pouvait correspondre à notre département, le « pagus » à notre arrondissement et le «fundus » à notre commune sur lequel se trouvaient les « villas ». « C'est bien le fundus qui est à l'origine de nos communes rurales » écrit-il. « Les plus anciens portaient en général un nom formé avec un nom de famille romain ou romanisé avec le suffixe "acus". « Le premier propriétaire un grand seigneur gaulois qui ordinairement en devenant citoyen romain a pris le gentilice (nom de famille) de son protec- teur romain. De ce gentilice vient le nom de son fundus. » Tout naturellement le nom de ce fundus passa à la paroisse puis à la commune, et, à la villa, suc- céda le village. Dans le même temps ce grand propriétaire, devenu sédentai- re, n'ayant plus à combattre, « partagea une partie de ses biens entre ses gens à charge de redevances » (10). C'est le début de l'accession à la pro-

(8) Voir chapitre sur l'Etat Civil. (9) H. Arbois de Jubainville « Recherches sur l'origine de la propriété foncière et des noms de lieux habités » (1890). (10) Arbois de Jubainville. Op. cité. priété par le plus grand nombre mais cette évolution sera très longue. Au XIIIe et au XVIe siècle des bourgeois puis des artisans purent acheter des terres et aussitôt se multiplia le nombre des seigneurs car ces nouveaux propriétaires ajoutèrent le nom de leur terre à leur propre patronyme. Chez nous jusqu'à la Révolution nobles, seigneurs, artisans, laboureurs et manouvriers divers cohabitèrent sans trop de heurts si l'on s'en tient aux documents d'archives de cette époque. Certains actes anciens font état de litiges entre les prieurs et certains seigneurs à propos de la redevance des dîmes. C'est ainsi qu'en 1427 un différend de cet ordre fut jugé par un tribunal de Montmorillon entre le prieur de Journet et le Seigneur de Blanchefort, Seigneur de la Jautrudon. On trouve de multiples sentences rendues à propos de limites de terre et d'héri- tages mais aucune affaire grave de révoltes ou autres. LE PEUPLEMENT DE LA PAROISSE. LA FORMATION DES HAMEAUX Pendant ce temps la paroisse se peuple, les hameaux et les seigneuries naissent sur son territoire. Déjà à partir du XVIe siècle la population des écarts était supérieure à celle du bourg qui prenait peu d'extension, gêné par ses cimetières. Avant la Révolution beaucoup de hameaux portaient le nom de « seigneu- rie ». « C'est un territoire sur lequel s'exerce la propriété d'un seigneur noble ou roturier, laïc ou ecclésiastique, qui prélève dans cet espace un cer- tain nombre de redevances et qui y jouit de privilèges honorifiques, de droits de justice et de police » ( 11). Ces hameaux, fermes, borderies, seigneuries se répartissaient comme maintenant sur tout le territoire de la paroisse et au XVIIIe siècle ils étaient même plus nombreux qu'aujourd'hui. Hameaux et fermes disparus Plusieurs disparitions sont assez récentes car on a la certitude qu'à la fin du XIXe siècle tous ces lieux-dits étaient encore habités. L'importante ferme de la Boissière existait en dessous de Boissec, au droit du Moulin de Chante- bon. Ses ruines sont visibles au milieu d'un taillis et en particulier un curieux four à pain. Elle abritait encore 8 habitants en 1885. Des restes de murs, dont la hauteur varie de 1,50 mètres à 3 mètres, signalent l'emplacement de l'habi- tation et de la grange principale. A côté, des murs en pierres sèches, toujours en bon état, entourent un ancien jardin de 200 mètres carré environ et une sorte de parc beaucoup plus vaste de 2 hectares environ. Comme il fallait s'y attendre en raison du nom de la propriété, de délicieux chemins dans les buis conduisent à ces ruines au milieu desquelles pousse l'élégante héllébore sau- vage dont les fleurs ne se distinguent des feuilles que par un vert plus tendre.

( 1 ) La Vienne. Ouvrage collectif sous la direction de Jean Tarrade (Editions Bordessoulles). Cette ferme appartenait en 1832 à Laurent Argenton dont la famille parait éteinte aujourd'hui. Du Petit Tervanne (ou Taravanne) à peu près à mi-chemin entre Bessac et le Grand Tervanne il ne reste que quelques pans de murs au milieu d'une végétation luxuriante. En 1832 le propriétaire en était Laurent Cornette de Laminière demeurant à Boissec et la famille de l'exploitant comptait 7 per- sonnes en 1885. La ferme de la Demaison (ou Demaigeons) était habitée par 8 personnes en 1885 et en 1832 elle appartenait à la Veuve Scourion de Boismorand, demeurant à Poitiers. Une grange est encore debout aujourd'hui mais les murs pignons de la maison d'habitation restent seuls à implorer le ciel. Le Moulin du Peux qui, d'après le recensement de 1885, abritait 19 habi- tants, n'est plus qu'une ruine au bord du Salleron. On distingue cependant encore les murs du moulin avec les restes d'un four à pain. De l'autre côté du chemin, juste à la sortie du gué, utilisé pendant des siècles pour communi- quer entre le bourg et les hameaux de la rive droite du Salleron, se dressent les ruines imposantes des maisons d'habitation. Près de Mazert un hameau de quelques maisons au lieu-dit « les Chirons » avait remplacé et sans doute continué l'activité de la villa gallo-romaine. Il n'est plus signalé aujourd'hui que par quelques tas de pierres dans des champs et des bosquets. Près de la Braudière, d'après les aveux et dénombre- ments effectués par les seigneurs du lieu au XVIIe et XVIIIe siècle, il y avait sur leur terre une ferme importante appelée la Monnière. Elle a disparu en emportant son nom avec elle. La Tuilerie de Journet était située à mi-chemin entre le Moulin à Vent et l'entrée du chemin de la Roche. Elle était le siège d'un artisanat important comprenant la maison du tuilier, les bâtiments professionnels et le four. Au milieu d'un quadrilatère formé par de grands chênes, seuls des morceaux de carreaux, dont certains étaient vernissés, et de tuiles permettent d'en détermi- ner l'emplacement exact. Appartenant à Lagorce de Limoges elle a dû dispa- raître vers la fin du XIXe siècle lorsque la famille s'est éteinte. Une autre tuilerie, propriété de Jean-Baptiste de Fumé, du Ris, avait été construite près des bâtiments du Moulin à Vent et a disparu à peu près en même temps que la précédente. Ces dernières années nous avons vu disparaitre des bâtiments de fermes à la Pouge, au Coiroux, ainsi que de nombreuses maisons d'habitations et des granges à Villesalem, la Villecharault et Maviaux. Enfin au Moyen-Age la paroisse de Journet avait sur son territoire le châ- teau fort de la Braudière. Les importants terrassements qui restent sont aujourd'hui sur la propriété de la Jautrudon. Ils ont été décrits par Philippe Durand dans sa thèse « Les châteaux de la baronnie de Montmorillon aux XIVe et XVe siècles. » « Il ne reste pratiquement rien, écrit-il, de l'ancienne forteresse. Seul son emplacement est à peu près connu à environ un kilomètre du château moder- ne (de la Jautrudon) au milieu d'un bois. Il subsiste encore quelques bases de murs recouverts de végétation. Il est impossible étant donné l'état des lieux de faire un relevé précis. Il se pourrait à première vue que la forteresse ait présenté un plan formant un triangle dont la base serait le sud. Il reste des vestiges de ce qui pourrait être le mur d'enceinte sur environ 30 mètres au sud, 50 mètres à l'est et 60 mètres à l'ouest. Il n'est pas possible de tirer des conclusions sur l'aspect du château d'autant plus que l'ancien cadastre n 'apporte aucun renseignement. » De même aucun document ne révèle à quelle époque il a pu être détruit, peut-être pendant la guerre de Cent ans, car les aveux et dénombrements des seigneurs de la Braudière ne parlent pas du château, mais d'une maison noble qui d'ailleurs a elle aussi disparu. Les hameaux d'aujourd'hui Le bourg n'est jamais devenu très important, peut-être parce que l'habitat s'est dispersé très tôt sur l'ensemble du territoire de la paroisse. La période gallo-romaine a vu les villas s'implanter aux deux bouts de la commune. Puis, au cours des siècles, elles ont disparu et des hameaux ont quadrillé peu à peu l'espace au fur et à mesure que l'agriculture se développait. Les cher- cheurs et historiens ont découvert, dans les archives des bénéficiaires des diverses redevances agricoles, les documents qui prouvent que, dès le Moyen-Age, notre campagne était habitée comme aujourd'hui. A cet égard le dictionnaire topographique de la Vienne de Redet est une mine de renseigne- ments. Son travail de « bénédictin » l'a amené à utiliser toutes les sources, qu'elles soient administratives ou privées (terriers de différents propriétaires privés ou communautés etc...). Chacun de nos hameaux ou presque a donc sa propre histoire qui, dans les documents, commence au Moyen-Age. L'Age Ancien fief relevant de la baronnie de la Trémoille, figure au chapitre de la cathédrale (24) de Poitiers en 1401, puis en 1524 sous le nom de l'Age de Jornec. On le retrouve en 1731 dans le rôle des tailles. Il subsiste quelques restes d'une maison forte paraissant remonter au xve siècle, notamment une fenêtre à meneaux. Asnières 1494. Archives du fief de Gersant qui existait sur la Trimouille. Les Bablinières 1580. (seigneurie de Courtevrault à ). 1710 : rôle des tailles. S'écrit successivement : Bablynière, Babelynières. Le château actuel remonte au début du XIXe siècle. Il appartenait aux familles Delaporte Louis en 1838, puis Patin (testament en faveur du couvent), et Bonnet. La chapelle de la fin du XIXe siècle est décrite ainsi par l'abbé Reix : « sculptures trop sèches manquant d'agrément, style Renaissance, la porte est surmontée d'un arc en accolade et encadrée de deux clochetons fleuris ». La Barbotière Ferme de Cervolet. 1545 sur le terrier de Rouflac (Commanderie des Templiers sur Béthines). La Barde Un des lieux les plus anciens : 1292. Figure aux archives de l'évêché (33) sous le nom d'Huguetus de Barda. Les seigneurs de la Barde ont toujours joué un rôle important à Journet. Aux archives de la Vienne figure un acte de vente de la Seigneurie de la Barde au Seigneur du Puy-Jousserand en 1396. C'est vers cette époque que fut construite la maison noble dont il ne reste que la tour découronnée, conte- nant l'escalier de pierre, et le rez-de-chaussée défiguré du logis. Cette construction devait ressembler très exactement au logis du confesseur du Prieuré de Villesalem, construit à la même époque. D'après une note du Doc- teur Jean Jacquet, contenant des extraits de l'oeuvre de Dom Fonteneau, Le Beau André, Seigneur de la Barde, fut Sénéchal de Montmorillon de 1580 à 1589. « En 1589 il repoussa les attaques des protestants. Ceux-ci étant par-

La Barde venus à pénétrer dans la ville, André Le Beau fut pris par trahison et massa- cré dans l'église Notre-Dame, où il s'était enfermé avec quelques soldats. Sa maison fut pillée et sa veuve contrainte de s'enfuir avec son fils Paul, âgé de 12 mois. » Le jeune Le Beau Paul, Seigneur de la Barde, fut sénéchal à son tour à partir de 1621 mais, écrit Dom Fonteneau « il ne put jamais rien apprendre de cette charge, on disait qu'il fallait qu'il eÛt été ensorcelé et charmé, de sorte qu'il demeurait à l'audience comme une statue, sans dire un mot. » Il fut contraint de vendre sa charge en 1629. Le 11 Juillet 1701 le prieur Charles Calixte Ménard procède au mariage de « Louis Le Beau, escuyer Sei- gneur de la Barde âgé de 25 ans, fils de Geofroy Le Beau et de défunte Judith Catherine de Ravenel et de Mademoiselle Mavie Dauphine de Muzard âgée de 18 ans, fille de Pierre de Muzard escuyer Seigneur de Chantebon et du Ris Chazerat et de Dame Mavie de Chassaigne ses pères et mères tous deux de cette paroisse ». Ce fut un beau mariage à Journet, auquel assistaient les représentants des familles nobles de la paroisse et des environs. Suite à ce mariage, la Roche va entrer dans le patrimoine du Ris Chazerat. La Braudière Cité en 1542 « hameau et moulin de la Braudière » dans le terrier de Rouflac. Puis Seigneurie de la Braudière avec « chastel et forteresse. 1616 : ancien fief relevant de la baronnie de la Trimouille (Dom Fonteneau. Tome XI, page 290) ». En fait « la forteresse » de la Braudière remonte au XIIe siècle. Il s'agit du château-fort décrit par Philippe Durand et dont quelques ruines se trouvent dans un taillis appartenant aujourd'hui à la Jautrudon. C'est dans un homma- ge et aveu remontant au 1er Février 1606 fait par Florent de Ravenel, écuyer, Sieur de la Rivière « au très puissant seigneur, Duc de la Trimouille et pair de à cause de la chatellenie de la Trémoille » que l'on trouve quelques précisions. « Pour la Braudière je vous confesse tenir de vous mont dit seigneur... au devoir d'une paire d'éperons dorés de la valeur de 5 sols tournois payables à chaque mutation de seigneurs et d'hommes : ma maison et forteresse et hôtel noble de la Braudière, de la Monnière contigiies et près l'une de l'autre sise en la paroisse de Journet. » La forteresse devait être déjà à l'état de ruines mais il y avait un « hôtel noble » à la Braudière, aujourd'hui détruit et situé dans l'ancien village des fermes. Un champ tout proche porte encore le nom de « champ de l'orange- rie ». La maison bourgeoise actuelle ne remonte qu'à la fin du XIXe siècle et a remplacé « l'hôtel noble ». En 1665 la famille de Ravenel dut, pour pouvoir racheter « la Rivière » (12) lourdement hypothéquée, vendre la Braudière à Hector de Chassagnol, Seigneur de Boirecloux, pour la somme de 10 246 livres.

( 12) Château situé au bord de la Benaize sur la commune de La Trimouille. Celui qui veut écrire l'histoire de son petit coin de terre... « dans son travail doit faire intervenir son propre cœur en vouant délibérément de la sympathie... aux hommes dont il dépouille les papiers et dont il veut débrouiller les affaires. » (Jean Bottero). Cette sympathie, je l'ai ressentie tout au long de ces pages et mon ambition serait que le lecteur se sente attiré lui aussi par l'humanité de ces hommes et de ces femmes qui nous ont précédés de la Préhistoire à la Paroisse, et à la Commune. Tous ont vécu l'esprit tendu vers une vie meilleure, avec leurs travers et leurs qualités. Ils étaient le plus sou- vent proches les uns des autres, quelle que soit leur origine sociale, et ils ont fait le Joumet que nous aimons. Félix Hugonnaud Ancien maire de Journet

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.